Les facteurs liᅢᄅs aux actes d¬タルhomicide chez les patients

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Les facteurs liᅢᄅs aux actes d¬タルhomicide chez les patients
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L’évolution psychiatrique 79 (2014) 611–618
Article original
Les facteurs liés aux actes d’homicide chez les patients
tunisiens atteints de schizophrénie夽
Factors related to homicide in Tunisian patients with schizophrenia
Saoussen Bouhlel a,∗ , Jaafar Nakhli a , Haifa Ben Meriem b ,
Rim Ridha b , Béchir Ben Hadj Ali a
b
a Service de psychiatrie, CHU Farhat-Hached, 4002 Sousse, Tunisie
Service de psychiatrie légale, hôpital Razi, 2010 La Mannouba, Tunisie
Reçu le 25 juillet 2012
Résumé
Introduction. – La schizophrénie est l’une des pathologies mentales qui augmente considérablement le risque
d’actes criminels notamment d’homicides. La détermination des facteurs sociodémographiques, cliniques
et thérapeutiques qui augmentent le risque d’homicide est d’une grande importance dans la prévention d’un
tel acte.
Objectifs. – Étudier les caractéristiques sociodémographiques, cliniques et thérapeutiques liées aux actes
d’homicide chez les patients atteints de schizophrénie.
Méthodes. – C’est une étude rétrospective comparative ayant concerné 36 patients de sexe masculin atteints
de schizophrénie, auteurs d’actes d’homicide et qui ont été hospitalisés dans le service de psychiatrie légale
de l’hôpital Razi à la suite d’un non-lieu pour « cause de démence » en vertu de l’article 38 du Code pénal
tunisien entre janvier 2000 et mai 2012. Ces patients ont été comparés à une population témoin composée
de 50 patients suivis dans le même établissement pour la même pathologie et n’ayant pas d’antécédents
judiciaires.
Résultats. – Les facteurs liés aux actes d’homicide étaient : une durée de psychose non traitée supérieure à
un an, un nombre d’hospitalisation réduit, des antécédents d’hospitalisations sous contrainte, une durée de
suivi courte, un faible insight et une mauvaise observance thérapeutique.
Discussion. – Notre étude confirme les données de la littérature qui indiquent que dans le cas de la schizophrénie, les facteurs sociodémographiques n’ont pas de relation avec le risque d’homicide, contrairement
aux facteurs cliniques et thérapeutiques.
夽 Toute référence à cet article doit porter mention : Bouhlel S, Nakhli J, Ben Meriem H, Ridha R, Ben Hadj Ali B. Les
facteurs liés aux actes d’homicide chez les patients tunisiens atteints de schizophrénie. Evol psychiatr XXXX ; Vol. (N◦ ) :
pages (pour la version papier) ou adresse URL et [date de consultation] (pour la version électronique).
∗ Auteur correspondant. 416, rue ELmaari, Msaken 4070, Tunisie.
Adresse e-mail : [email protected] (S. Bouhlel).
0014-3855/$ – see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
http://dx.doi.org/10.1016/j.evopsy.2013.07.004
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S. Bouhlel et al. / L’évolution psychiatrique 79 (2014) 611–618
Conclusion. – La prévention d’acte d’homicide dans la schizophrénie doit passer par une prise en charge
précoce des troubles, une amélioration de la qualité d’insight et de l’observance thérapeutique et un suivi
régulier par l’équipe soignante.
© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Mots clés : Schizophrénie ; Facteur de risque ; Prévention ; Homicide ; Tunisie ; Étude rétrospective ; Étude comparative
Abstract
Introduction. – Evaluation of variables correlated to homicide is a fundamental issue for developing preventive and therapeutic strategies to deal with such criminal behavior.
Objectives. – The objectives of this study were to assess the characteristics of homicide in Tunisian patients
suffering from schizophrenia and to determine the correlated socio-demographic, clinical and therapeutic
variables.
Methods. – The study included two groups of male patients with a DSM-IV diagnosis of schizophrenia who
attended the “Razi” university psychiatric hospital of Tunis. The first group was composed of 36 patients
hospitalized for homicide in the forensic unit between the first of January 2000 and the 30th of May 2012.
The second group included 50 patients without any criminal record. Demographic, clinical and therapeutic
variables were analyzed and compared between the two groups.
Results. – No differences were found between the two groups regarding the different socio-demographic
variables. Significant differences were found with respect to a duration of untreated psychosis equal to or
more than one year (p = 0.048), shorter duration of psychiatric care (p = 0.002), lower number of hospitalizations (p = 0.026), antecedent of forced hospitalization (p < 0.001), low degree of insight (p = 0.001), poor
medication compliance (p < 0.001) and higher antipsychotic doses (p = 0.001).
Discussion. – Demographic variables as suggested by other studies are less valuable predictors of homicide
in patients with schizophrenia.
Conclusion. – Interventions for reducing such behavior should focus on clinical variables and integrate an
early diagnosis of the disease and improvement of insight as well as medication compliance.
© 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Keywords: Schizophrenia; Risk factors; Prevention; Homicide; Tunisia; Retrospective study; Comparative study.
1. Introduction
La littérature abonde en données sur le lien incontestable entre la dangerosité criminologique
et les troubles mentaux. Parmi l’ensemble des troubles, les études montrent des Odds-Ratio particulièrement élevés pour la schizophrénie. Eronen et al. [1] ont comparé la pathologie mentale des
meurtriers homicides et celle de la population générale en Finlande et ont montré que la schizophrénie multiplie entre quatre à dix fois le risque de commettre un homicide. Pour Wallace et al.
[2], la schizophrénie augmente le risque d’homicide par sept par rapport à la population générale.
Dans une étude rétrospective sur 25 ans concernant les auteurs d’homicide en Australie, Schande
et al. ont montré que le risque d’homicide est multiplié par 6,5 pour un homme schizophrène [3].
Toutes ces données ne doivent pas pour autant nous faire oublier que la proportion des crimes
violents observés dans la société et qui sont attribués à la schizophrénie ne dépassent pas un taux
de 10 % et que ce chiffre se trouve encore diminué si on élimine les patients ayant une comorbidité
avec un abus ou une dépendance à des substances [4].
Une meilleure connaissance des facteurs de risque des actes d’homicide dans la schizophrénie
est ainsi nécessaire pour l’élaboration de stratégies thérapeutiques et préventives. Les objectifs
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de ce travail étaient de décrire la fréquence et les caractéristiques des actes d’homicide chez
les patients atteints de schizophrénie, et d’étudier les facteurs sociodémographiques, cliniques et
thérapeutiques qui y sont associés.
2. Patients et méthodes
Il s’agissait d’une étude rétrospective, descriptive et comparative portant sur 86 patients de
sexe masculin atteints de schizophrénie selon les critères diagnostiques de la quatrième version
du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV) [5]. Cette population
comprenait 36 patients auteurs d’actes d’homicide et 50 patients sans antécédents judiciaires.
Pour le groupe témoin, nous avons inclus de façon non consécutive les 50 patients à partir des
consultations de la post-cure de l’hôpital Razi, durant une période de six mois, allant du mois de
novembre 2009 jusqu’au mois d’avril 2010. Nous avons exclu les patients ayant des antécédents
judiciaires, c’est-à-dire ceux qui ont eu dans le passé un acte délictuel ayant abouti à un jugement
judiciaire. Ces derniers étaient stabilisés et avaient tous accepté de participer à l’étude.
Nous avons inclus dans le groupe des patients auteurs d’actes d’homicide, les sujets ayant
commis un acte d’homicide et qui ont été hospitalisés au service de psychiatrie légale de l’hôpital
Razi entre les mois de janvier 2000 et mai 2012 suite à un non-lieu pour cause de démence selon
l’article 38 du Code pénal tunisien. Ce service reçoit tous les patients médicolégaux résidant dans
le nord ou le centre de la Tunisie. Nous avons exclu les patients auteurs de tentatives d’homicide,
de viol ou de coups et blessures n’ayant pas entraîné la mort.
Nous avons exclu des deux groupes de l’étude les patients atteints de trouble schizo-affectif
ou d’un retard mental ou ayant une pathologie neurologique associée telle qu’une démence ou
une épilepsie.
Le degré d’insight des patients a été apprécié en bon, moyen ou mauvais selon que le patient
se considère ou non comme atteint d’une maladie mentale, s’il reconnaît ou non que le traitement
l’aide à gérer les symptômes de sa maladie et s’il estime que la maladie affecte ou non sa vie
sociale.
Les doses des derniers neuroleptiques prescrits étaient converties en équivalent chlorpromazine
(éq-cpz) selon la table d’équivalence du Patients Outcome Research Team : « PORT » [6].
L’observance thérapeutique a été évaluée d’une manière subjective en bonne ou mauvaise selon
les antécédents d’un arrêt volontaire du traitement psychotrope ou du suivi psychiatrique.
L’étude statistique a été effectuée à l’aide du logiciel SPSS dans sa version 16.0. Nous avons
calculé des fréquences simples et des fréquences relatives (pourcentages) pour les variables qualitatives. Nous avons calculé des moyennes, des médianes et des écarts-types et déterminé les
valeurs extrêmes pour les variables quantitatives. Les comparaisons de deux moyennes sur séries
indépendantes ont été effectuées au moyen du test t de Student pour séries indépendantes. Les
comparaisons de pourcentages sur séries indépendantes ont été effectuées par le test du chi2 de
Pearson, et en cas de non-validité de ce test, et de comparaison de deux pourcentages, par le test
exact bilatéral de Fisher. Dans tous les tests statistiques, le seuil de signification a été fixé à 0,05.
3. Résultats
Pour le groupe de patients ayant commis un acte d’homicide, l’âge moyen au moment du
crime était de 30 ans. Nous avons relevé 37 victimes pour 36 patients : un seul patient a commis
un double homicide. Une tentative de suicide concomitante à l’acte d’homicide a été notée chez
sept patients. Le crime a été accompli par une arme blanche dans 71,8 % (n = 28) des cas avec
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recours à un instrument piquant et tranchant, type couteau ou des ciseaux, dans 24 cas et à un
instrument contondant et tranchant, tels qu’une pioche ou un marteau, dans quatre cas. Dans les
autres cas c’était un objet contendant dans 17,9 % des cas (n = 7) avec utilisation d’une pierre dans
trois cas, bâton en fer dans trois autres cas et contusion passive contre le mur dans un autre cas. La
défenestration et l’utilisation d’une arme à feu ont été observées chacune dans un seul cas (2,5 %)
alors que la strangulation a été notée dans trois cas (5,1 %). Seuls deux patients ont prémédité
leur crime. Une altercation avec la victime ayant précédé le passage à l’acte a été retrouvée chez
41,6 % des patients. Une désinhibition par l’alcool a été notée chez deux (5,5 %) patients.
Les victimes d’homicides étaient un membre de la famille dans 67,5 % des cas : le père dans
six (16,2 %) cas, la mère dans neuf (24,3 %) cas, un frère ou une sœur dans quatre (6,8 %) cas
et un membre plus éloigné de la famille dans six (16,2 %) cas. Il s’agissait d’une connaissance
dans 18,9 % (n = 7) des cas et une personne inconnue dans 13,5 % (n = 5) des cas. Le crime a été
commis au domicile du patient dans 23 (63,8 %) cas, aux alentours du domicile dans six (16,6 %)
cas, dans la rue loin du domicile dans six (16,6 %) cas et sur les lieux du travail dans un (2,7 %)
cas.
Le délire (69,4 %) essentiellement de persécution envers la victime et les hallucinations
(55,5 %) avec ordre meurtrier étaient les principales motivations criminelles chez ces patients.
Deux (5,5 %) patients ont senti une menace pour leur intégrité physique ou psychique et deux
autres patients ont présenté un état dépressif au moment de l’acte.
Une mauvaise observance thérapeutique précédant le crime a été notée dans 69,4 % (n = 25)
des cas. Vingt-trois (63,8 %) patients ont éprouvé une indifférence et un détachement par rapport
à leur acte criminel, huit (22,2 %) patients ont éprouvé un soulagement et seulement cinq (13,8 %)
ont regretté leur passage à l’acte.
Dix-neuf (52,7 %) patients ont pris la fuite immédiatement après l’acte d’homicide, neuf (25 %)
patients ont déclaré spontanément leur crime à la police et six (16,6 %) patients se sont laissés
arrêter sans résistance. Deux (5,5 %) patients ont tenté de dissimiler leur crime. Quatre-vingt-six
pour cent (n = 31) des patients ont reconnu avoir tué leurs victimes mais soit en banalisant soit en
rationnalisant leur geste. Le reste des patients (n = 5) niaient toujours leurs actes criminels.
La comparaison des différentes variables sociodémographiques des patients avec et sans antécédents d’actes d’homicide n’a pas montré de différences statistiquement significatives entre les
deux groupes. Concernant les variables cliniques et thérapeutiques, les comparaisons statistiques
ont conclu qu’une durée de psychose non traitée supérieure ou égale à un an, une courte durée de
suivi en psychiatrie, un nombre réduit d’hospitalisations, les antécédents d’hospitalisation sous
contraintes, la mauvaise observance thérapeutique et le faible degré d’insight étaient significativement plus fréquents chez les patients criminels. Les détails sont résumés dans le Tableau 1.
4. Discussion
Dans notre étude, l’acte d’homicide commis par le patient schizophrène a été accompli le plus
fréquemment contre un membre de la famille, dans le domicile du patient ou dans l’entourage
proche, en utilisant une arme d’opportunité, en l’occurrence une arme blanche, et en étant motivé
par un délire de persécution ou par des injonctions hallucinatoires. Ces données sont concordantes
avec la description de la littérature qui rapporte que les homicides des schizophrènes envers les
personnes concernent principalement les proches et de façon préférentielle envers les parents. Plus
rarement, il s’agit de l’agression d’un inconnu. L’acte se caractérise classiquement par sa gravité,
avec acharnement sur la victime, souvent au moyen d’une arme blanche. Les thèmes délirants de
persécution et d’influence avec idées d’emprise et de contrôle idéique sont les plus criminogènes.
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Tableau 1
Caractéristiques sociodémographiques et cliniques des patients atteints de schizophrénie selon les antécédents d’actes
d’homicide.
Variables
Patients avec
homicide
moyenne ± DS ou n
(%)
Patients sans
homicide
moyenne ± DS ou n
(%)
p
Âge actuel (ans)
38 ± 8,02
39,3 ± 9,4
0,5
Niveau instruction
Analphabète + primaire
Secondaire
Supérieur
16 (44,5)
17 (47,2)
3 (8,3)
20 (40)
23 (46)
7 (14)
0,7
Statut professionnel
Sans profession
Profession occasionnelle
Profession régulière
28 (28/86)
11 (11/30)
4 (4/18)
25 (50)
15 (30)
9 (20)
1
Statut marital
Célibataire
Marié
Divorcé, séparé, veuf
32 (88,8)
1 (2,9)
3 (8,3)
38 (76)
8 (16)
4 (8)
0,0
9
Isolement socio-familial
Âge début maladie (ans)
Durée psychose non traitée ≥ 1an
Durée de suivi (ans)
Antécédents familiaux psychiatriques
Nombre hospitalisations antérieures
Antécédents hospitalisations sous contrainte
Tabagisme
Consommation alcool
Consommation cannabis
3 (8,4)
23,3 ± 5,37
24 (66,6)
6,5 ± 4,91
19 (57,7)
2,75 ± 2,22
36 (100)
28 (77,7)
16 (44,4)
7 (19,4)
2 (4)
23,9 ± 5,67
26 (52)
13 ± 9,77
30 (60)
5,36 ± 6,61
28 (56)
39 (78)
8 (16 %)
4 (8 %)
0,79
0,46
0,048
0,002
0,77
0,026
< 0,001
0,77
0,09
0,21
Forme clinique schizophrénie
Paranoïde
Indifférenciée + désorganisée
18 (50)
18 + 0 (50)
21 (42)
19 + 10 (58)
0,2
4
Degré d’insight
Bon
Moyen
Mauvais
0
6 (16,6)
30 (83,3)
12 (24)
17 (34)
21 (42)
0,0
01
Mauvaise observance
Dose équivalent chlorpromazine (mg/j)
29 (96,6)
3070 ± 1290
12 (24)
1812 ± 1291
< 0,001
0,001
L’absence de culpabilité, la froideur et l’indifférence caractérisent parfois les crimes perpétrés
par les hébéphrènes [7].
Nous n’avons pas trouvé de différences entre le groupe auteurs d’actes d’homicide et le groupe
sans antécédents judiciaires en ce qui concerne les caractéristiques sociodémographiques. Dans la
littérature, certains éléments sociodémographiques ont été identifiés comme prédictifs de crimes
violents, toutefois lorsque certains facteurs sont pris en compte (exposition à des groupes violents,
utilisation de services cliniques), les facteurs retrouvés ne semblent plus significativement associés
à la violence [8].
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Dans notre étude, un retard de prise en charge de la schizophrénie supérieur ou égal à un
an était prédictif d’actes d’homicide ainsi qu’une durée courte de suivi et un nombre réduit
d’hospitalisations. Les études citent que parmi les schizophrènes auteurs de meurtres, 25 à 40 %
n’avaient pas de suivis psychiatriques avant le passage à l’acte [9–11]. Russo et al. [12], dans une
étude sur une période de cinq ans, ont comparé 75 malades mentaux meurtriers à 140 malades
mentaux non criminels, les malades mentaux meurtriers ont reçu moins souvent une thérapeutique
médicamenteuse et ont été moins souvent hospitalisés que les malades mentaux non criminels.
Dans la méta-analyse de Nielsen et al. [13], 38,5 % des homicides ont été commis au cours du
premier épisode psychotique, avant la mise en place du traitement initial. La prévalence des
taux annuels d’homicide lors du premier épisode psychotique était de 15,5 fois le taux annuel
d’homicide après le traitement de la psychose.
Dans notre travail, les antécédents d’hospitalisations sous contrainte étaient plus fréquents chez
le groupe avec actes d’homicide que le groupe témoin. Les patients hospitalisés sous ce mode
sont naturellement plus impulsifs et plus agressifs et moins compliants aux soins que ceux qui
sont habituellement hospitalisés avec leur consentement.
Nous n’avons pas trouvé de corrélation entre la forme clinique de la schizophrénie et les actes
d’homicide bien que les formes paranoïdes et indifférenciées étaient les plus représentées. En ce
qui concerne les motivations criminelles, le délire à thème de persécution ainsi que les injonctions
hallucinatoires étaient les plus invoqués par nos patients homicidaires. Dans la littérature, la forme
paranoïde serait la plus pourvoyeuse de conduites agressives et ce sont les hallucinations et plus
particulièrement le syndrome d’influence qui sont les plus impliqués dans le passage à l’acte.
La violence d’un psychotique est perçue comme une réponse de défense à un sentiment de
menace, ou à une impression de perte de contrôle interne [14]. Certains auteurs parlent d’une
crise catathymique. Elle réside en un conflit psychique qui se situe à la base de l’homicide et qui
est inconscient ou inconnu du sujet schizophrène. Tout au plus, le sujet peut rapporter un état de
« tension » psychique diffus, incoercible et inexplicable qui finit par donner naissance à l’idée que
seul un acte violent peut le soulager [15].
Nestor [16] a noté, chez des patients psychotiques auteurs d’homicide et d’infractions contre
les biens, qu’en cas de présence de délire au moment du passage à l’acte, les patients homicidaires
présentaient plus d’idées délirantes centrées sur un proche (92 % vs 72 %). La même constatation
a été faite par Trichet et al. [17]. Cela est en accord avec nos résultats. En effet, dans 67,5 %
des cas, la victime était un membre de la famille. Bjorkly [18], dans une revue de la littérature
incluant 26 études et portant sur les liens entre délire et violence a trouvé une augmentation du
risque de violence associée au délire et principalement au délire à thème de persécution. Le même
auteur dans une autre revue [19] incluant 17 études s’intéressant aux liens entre les phénomènes
hallucinatoires et le risque de violence, a trouvé que seulement quatre études avaient mis en
évidence une relation certaine entre les hallucinations et le risque de comportement violent et
que dans trois autres, ce lien existait mais n’était pas significatif. Cinq études ne révélaient, en
revanche, aucune relation entre les phénomènes hallucinatoires et le risque de comportement
violent.
Nous avons trouvé une différence statistiquement significative entre les deux groupes concernant la qualité d’insight. Une mauvaise conscience de la maladie s’associe généralement à un
manque d’adhésion aux soins et à une évolution péjorative de la maladie, ce qui contribue à augmenter le risque de comportements agressifs. Dans la littérature, le lien entre l’insight et le risque
de violence est difficile à établir. Cheung [20] ainsi que Swartz [21] n’ont pas trouvé d’association
significative entre l’insight et la violence chez les schizophrènes. A contrario, Arango [22], Buckley [23], Soyka [24] et Alia-Klein [25] ont noté dans leurs travaux que les patients schizophrènes
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violents présentaient une capacité d’insight plus faible que les patients non violents. Dans une
étude sur la violence au cours du premier épisode psychotique, Foley [26] a constaté que le manque
d’insight augmentait le risque de violence par trois.
Dans notre étude, presque la totalité des patients criminels qui ont été déjà suivis en psychiatrie
avaient une mauvaise observance thérapeutique contre 28 % des patients sans antécédents judiciaires. Ce résultat était en accord avec les données de la littérature. En effet, plusieurs études
ont mis en évidence que les patients ayant commis un acte de violence hétéro-agressive étaient
en rupture de soins [27,28]. La non-compliance ou la résistance aux chimiothérapies accentue la
dangerosité du patient [29].
Enfin, il est important de noter que notre étude présentait certaines insuffisances méthodologiques. Il s’agit de la taille réduite de la population témoin ainsi que de la population des criminels
violents et la nature rétrospective du travail. Cette dernière a rendu aussi impossible l’évaluation
lors de l’accomplissement de l’acte d’homicide de certaines dimensions cliniques et thérapeutiques tels que la symptomatologie psychotique positive et négative et les effets indésirables
neurologiques. Le fait qu’il ne s’agisse pas du même évaluateur pour les deux groupes pourrait entraîner des différences inter-juges surtout pour l’évaluation de l’insight et de l’observance
thérapeutique. Il aurait été souhaitable d’utiliser des échelles standardisées.
5. Conclusion
Notre étude a montré qu’il existe un sous-groupe de patients schizophrènes de sexe masculin
particulièrement à risque de commettre un acte d’homicide. Il s’agit des patients dont la prise
en charge a été tardive ou courte, ceux qui refusaient les hospitalisations, qui arrêtaient leur
traitement et qui n’étaient pas conscients de leurs troubles. Chez ces patients criminels, ce sont
les membres de l’entourage, notamment familial, qui ont été le plus souvent les victimes et qui ont
été tués par une arme d’opportunité sous l’influence d’injonctions meurtrières ou d’un délire de
persécution. Il ressort ainsi que la facilitation d’accès aux soins et l’établissement de programmes
de psychoéducation destinés à ce sous-groupe de patients et à leurs familles sont des mesures
incontournables pour la prévention des actes homicides.
Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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ID
908500
Title
Lesfacteursliésauxactesd’homicidechezlespatientstunisiensatteintsdeschizophrénie☆
http://fulltext.study/journal/893
http://FullText.Study
Pages
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