Les facteurs liᅢᄅs aux actes d¬タルhomicide chez les patients
Transcription
Les facteurs liᅢᄅs aux actes d¬タルhomicide chez les patients
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com L’évolution psychiatrique 79 (2014) 611–618 Article original Les facteurs liés aux actes d’homicide chez les patients tunisiens atteints de schizophrénie夽 Factors related to homicide in Tunisian patients with schizophrenia Saoussen Bouhlel a,∗ , Jaafar Nakhli a , Haifa Ben Meriem b , Rim Ridha b , Béchir Ben Hadj Ali a b a Service de psychiatrie, CHU Farhat-Hached, 4002 Sousse, Tunisie Service de psychiatrie légale, hôpital Razi, 2010 La Mannouba, Tunisie Reçu le 25 juillet 2012 Résumé Introduction. – La schizophrénie est l’une des pathologies mentales qui augmente considérablement le risque d’actes criminels notamment d’homicides. La détermination des facteurs sociodémographiques, cliniques et thérapeutiques qui augmentent le risque d’homicide est d’une grande importance dans la prévention d’un tel acte. Objectifs. – Étudier les caractéristiques sociodémographiques, cliniques et thérapeutiques liées aux actes d’homicide chez les patients atteints de schizophrénie. Méthodes. – C’est une étude rétrospective comparative ayant concerné 36 patients de sexe masculin atteints de schizophrénie, auteurs d’actes d’homicide et qui ont été hospitalisés dans le service de psychiatrie légale de l’hôpital Razi à la suite d’un non-lieu pour « cause de démence » en vertu de l’article 38 du Code pénal tunisien entre janvier 2000 et mai 2012. Ces patients ont été comparés à une population témoin composée de 50 patients suivis dans le même établissement pour la même pathologie et n’ayant pas d’antécédents judiciaires. Résultats. – Les facteurs liés aux actes d’homicide étaient : une durée de psychose non traitée supérieure à un an, un nombre d’hospitalisation réduit, des antécédents d’hospitalisations sous contrainte, une durée de suivi courte, un faible insight et une mauvaise observance thérapeutique. Discussion. – Notre étude confirme les données de la littérature qui indiquent que dans le cas de la schizophrénie, les facteurs sociodémographiques n’ont pas de relation avec le risque d’homicide, contrairement aux facteurs cliniques et thérapeutiques. 夽 Toute référence à cet article doit porter mention : Bouhlel S, Nakhli J, Ben Meriem H, Ridha R, Ben Hadj Ali B. Les facteurs liés aux actes d’homicide chez les patients tunisiens atteints de schizophrénie. Evol psychiatr XXXX ; Vol. (N◦ ) : pages (pour la version papier) ou adresse URL et [date de consultation] (pour la version électronique). ∗ Auteur correspondant. 416, rue ELmaari, Msaken 4070, Tunisie. Adresse e-mail : [email protected] (S. Bouhlel). 0014-3855/$ – see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.evopsy.2013.07.004 612 S. Bouhlel et al. / L’évolution psychiatrique 79 (2014) 611–618 Conclusion. – La prévention d’acte d’homicide dans la schizophrénie doit passer par une prise en charge précoce des troubles, une amélioration de la qualité d’insight et de l’observance thérapeutique et un suivi régulier par l’équipe soignante. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Schizophrénie ; Facteur de risque ; Prévention ; Homicide ; Tunisie ; Étude rétrospective ; Étude comparative Abstract Introduction. – Evaluation of variables correlated to homicide is a fundamental issue for developing preventive and therapeutic strategies to deal with such criminal behavior. Objectives. – The objectives of this study were to assess the characteristics of homicide in Tunisian patients suffering from schizophrenia and to determine the correlated socio-demographic, clinical and therapeutic variables. Methods. – The study included two groups of male patients with a DSM-IV diagnosis of schizophrenia who attended the “Razi” university psychiatric hospital of Tunis. The first group was composed of 36 patients hospitalized for homicide in the forensic unit between the first of January 2000 and the 30th of May 2012. The second group included 50 patients without any criminal record. Demographic, clinical and therapeutic variables were analyzed and compared between the two groups. Results. – No differences were found between the two groups regarding the different socio-demographic variables. Significant differences were found with respect to a duration of untreated psychosis equal to or more than one year (p = 0.048), shorter duration of psychiatric care (p = 0.002), lower number of hospitalizations (p = 0.026), antecedent of forced hospitalization (p < 0.001), low degree of insight (p = 0.001), poor medication compliance (p < 0.001) and higher antipsychotic doses (p = 0.001). Discussion. – Demographic variables as suggested by other studies are less valuable predictors of homicide in patients with schizophrenia. Conclusion. – Interventions for reducing such behavior should focus on clinical variables and integrate an early diagnosis of the disease and improvement of insight as well as medication compliance. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Schizophrenia; Risk factors; Prevention; Homicide; Tunisia; Retrospective study; Comparative study. 1. Introduction La littérature abonde en données sur le lien incontestable entre la dangerosité criminologique et les troubles mentaux. Parmi l’ensemble des troubles, les études montrent des Odds-Ratio particulièrement élevés pour la schizophrénie. Eronen et al. [1] ont comparé la pathologie mentale des meurtriers homicides et celle de la population générale en Finlande et ont montré que la schizophrénie multiplie entre quatre à dix fois le risque de commettre un homicide. Pour Wallace et al. [2], la schizophrénie augmente le risque d’homicide par sept par rapport à la population générale. Dans une étude rétrospective sur 25 ans concernant les auteurs d’homicide en Australie, Schande et al. ont montré que le risque d’homicide est multiplié par 6,5 pour un homme schizophrène [3]. Toutes ces données ne doivent pas pour autant nous faire oublier que la proportion des crimes violents observés dans la société et qui sont attribués à la schizophrénie ne dépassent pas un taux de 10 % et que ce chiffre se trouve encore diminué si on élimine les patients ayant une comorbidité avec un abus ou une dépendance à des substances [4]. Une meilleure connaissance des facteurs de risque des actes d’homicide dans la schizophrénie est ainsi nécessaire pour l’élaboration de stratégies thérapeutiques et préventives. Les objectifs S. Bouhlel et al. / L’évolution psychiatrique 79 (2014) 611–618 613 de ce travail étaient de décrire la fréquence et les caractéristiques des actes d’homicide chez les patients atteints de schizophrénie, et d’étudier les facteurs sociodémographiques, cliniques et thérapeutiques qui y sont associés. 2. Patients et méthodes Il s’agissait d’une étude rétrospective, descriptive et comparative portant sur 86 patients de sexe masculin atteints de schizophrénie selon les critères diagnostiques de la quatrième version du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV) [5]. Cette population comprenait 36 patients auteurs d’actes d’homicide et 50 patients sans antécédents judiciaires. Pour le groupe témoin, nous avons inclus de façon non consécutive les 50 patients à partir des consultations de la post-cure de l’hôpital Razi, durant une période de six mois, allant du mois de novembre 2009 jusqu’au mois d’avril 2010. Nous avons exclu les patients ayant des antécédents judiciaires, c’est-à-dire ceux qui ont eu dans le passé un acte délictuel ayant abouti à un jugement judiciaire. Ces derniers étaient stabilisés et avaient tous accepté de participer à l’étude. Nous avons inclus dans le groupe des patients auteurs d’actes d’homicide, les sujets ayant commis un acte d’homicide et qui ont été hospitalisés au service de psychiatrie légale de l’hôpital Razi entre les mois de janvier 2000 et mai 2012 suite à un non-lieu pour cause de démence selon l’article 38 du Code pénal tunisien. Ce service reçoit tous les patients médicolégaux résidant dans le nord ou le centre de la Tunisie. Nous avons exclu les patients auteurs de tentatives d’homicide, de viol ou de coups et blessures n’ayant pas entraîné la mort. Nous avons exclu des deux groupes de l’étude les patients atteints de trouble schizo-affectif ou d’un retard mental ou ayant une pathologie neurologique associée telle qu’une démence ou une épilepsie. Le degré d’insight des patients a été apprécié en bon, moyen ou mauvais selon que le patient se considère ou non comme atteint d’une maladie mentale, s’il reconnaît ou non que le traitement l’aide à gérer les symptômes de sa maladie et s’il estime que la maladie affecte ou non sa vie sociale. Les doses des derniers neuroleptiques prescrits étaient converties en équivalent chlorpromazine (éq-cpz) selon la table d’équivalence du Patients Outcome Research Team : « PORT » [6]. L’observance thérapeutique a été évaluée d’une manière subjective en bonne ou mauvaise selon les antécédents d’un arrêt volontaire du traitement psychotrope ou du suivi psychiatrique. L’étude statistique a été effectuée à l’aide du logiciel SPSS dans sa version 16.0. Nous avons calculé des fréquences simples et des fréquences relatives (pourcentages) pour les variables qualitatives. Nous avons calculé des moyennes, des médianes et des écarts-types et déterminé les valeurs extrêmes pour les variables quantitatives. Les comparaisons de deux moyennes sur séries indépendantes ont été effectuées au moyen du test t de Student pour séries indépendantes. Les comparaisons de pourcentages sur séries indépendantes ont été effectuées par le test du chi2 de Pearson, et en cas de non-validité de ce test, et de comparaison de deux pourcentages, par le test exact bilatéral de Fisher. Dans tous les tests statistiques, le seuil de signification a été fixé à 0,05. 3. Résultats Pour le groupe de patients ayant commis un acte d’homicide, l’âge moyen au moment du crime était de 30 ans. Nous avons relevé 37 victimes pour 36 patients : un seul patient a commis un double homicide. Une tentative de suicide concomitante à l’acte d’homicide a été notée chez sept patients. Le crime a été accompli par une arme blanche dans 71,8 % (n = 28) des cas avec 614 S. Bouhlel et al. / L’évolution psychiatrique 79 (2014) 611–618 recours à un instrument piquant et tranchant, type couteau ou des ciseaux, dans 24 cas et à un instrument contondant et tranchant, tels qu’une pioche ou un marteau, dans quatre cas. Dans les autres cas c’était un objet contendant dans 17,9 % des cas (n = 7) avec utilisation d’une pierre dans trois cas, bâton en fer dans trois autres cas et contusion passive contre le mur dans un autre cas. La défenestration et l’utilisation d’une arme à feu ont été observées chacune dans un seul cas (2,5 %) alors que la strangulation a été notée dans trois cas (5,1 %). Seuls deux patients ont prémédité leur crime. Une altercation avec la victime ayant précédé le passage à l’acte a été retrouvée chez 41,6 % des patients. Une désinhibition par l’alcool a été notée chez deux (5,5 %) patients. Les victimes d’homicides étaient un membre de la famille dans 67,5 % des cas : le père dans six (16,2 %) cas, la mère dans neuf (24,3 %) cas, un frère ou une sœur dans quatre (6,8 %) cas et un membre plus éloigné de la famille dans six (16,2 %) cas. Il s’agissait d’une connaissance dans 18,9 % (n = 7) des cas et une personne inconnue dans 13,5 % (n = 5) des cas. Le crime a été commis au domicile du patient dans 23 (63,8 %) cas, aux alentours du domicile dans six (16,6 %) cas, dans la rue loin du domicile dans six (16,6 %) cas et sur les lieux du travail dans un (2,7 %) cas. Le délire (69,4 %) essentiellement de persécution envers la victime et les hallucinations (55,5 %) avec ordre meurtrier étaient les principales motivations criminelles chez ces patients. Deux (5,5 %) patients ont senti une menace pour leur intégrité physique ou psychique et deux autres patients ont présenté un état dépressif au moment de l’acte. Une mauvaise observance thérapeutique précédant le crime a été notée dans 69,4 % (n = 25) des cas. Vingt-trois (63,8 %) patients ont éprouvé une indifférence et un détachement par rapport à leur acte criminel, huit (22,2 %) patients ont éprouvé un soulagement et seulement cinq (13,8 %) ont regretté leur passage à l’acte. Dix-neuf (52,7 %) patients ont pris la fuite immédiatement après l’acte d’homicide, neuf (25 %) patients ont déclaré spontanément leur crime à la police et six (16,6 %) patients se sont laissés arrêter sans résistance. Deux (5,5 %) patients ont tenté de dissimiler leur crime. Quatre-vingt-six pour cent (n = 31) des patients ont reconnu avoir tué leurs victimes mais soit en banalisant soit en rationnalisant leur geste. Le reste des patients (n = 5) niaient toujours leurs actes criminels. La comparaison des différentes variables sociodémographiques des patients avec et sans antécédents d’actes d’homicide n’a pas montré de différences statistiquement significatives entre les deux groupes. Concernant les variables cliniques et thérapeutiques, les comparaisons statistiques ont conclu qu’une durée de psychose non traitée supérieure ou égale à un an, une courte durée de suivi en psychiatrie, un nombre réduit d’hospitalisations, les antécédents d’hospitalisation sous contraintes, la mauvaise observance thérapeutique et le faible degré d’insight étaient significativement plus fréquents chez les patients criminels. Les détails sont résumés dans le Tableau 1. 4. Discussion Dans notre étude, l’acte d’homicide commis par le patient schizophrène a été accompli le plus fréquemment contre un membre de la famille, dans le domicile du patient ou dans l’entourage proche, en utilisant une arme d’opportunité, en l’occurrence une arme blanche, et en étant motivé par un délire de persécution ou par des injonctions hallucinatoires. Ces données sont concordantes avec la description de la littérature qui rapporte que les homicides des schizophrènes envers les personnes concernent principalement les proches et de façon préférentielle envers les parents. Plus rarement, il s’agit de l’agression d’un inconnu. L’acte se caractérise classiquement par sa gravité, avec acharnement sur la victime, souvent au moyen d’une arme blanche. Les thèmes délirants de persécution et d’influence avec idées d’emprise et de contrôle idéique sont les plus criminogènes. S. Bouhlel et al. / L’évolution psychiatrique 79 (2014) 611–618 615 Tableau 1 Caractéristiques sociodémographiques et cliniques des patients atteints de schizophrénie selon les antécédents d’actes d’homicide. Variables Patients avec homicide moyenne ± DS ou n (%) Patients sans homicide moyenne ± DS ou n (%) p Âge actuel (ans) 38 ± 8,02 39,3 ± 9,4 0,5 Niveau instruction Analphabète + primaire Secondaire Supérieur 16 (44,5) 17 (47,2) 3 (8,3) 20 (40) 23 (46) 7 (14) 0,7 Statut professionnel Sans profession Profession occasionnelle Profession régulière 28 (28/86) 11 (11/30) 4 (4/18) 25 (50) 15 (30) 9 (20) 1 Statut marital Célibataire Marié Divorcé, séparé, veuf 32 (88,8) 1 (2,9) 3 (8,3) 38 (76) 8 (16) 4 (8) 0,0 9 Isolement socio-familial Âge début maladie (ans) Durée psychose non traitée ≥ 1an Durée de suivi (ans) Antécédents familiaux psychiatriques Nombre hospitalisations antérieures Antécédents hospitalisations sous contrainte Tabagisme Consommation alcool Consommation cannabis 3 (8,4) 23,3 ± 5,37 24 (66,6) 6,5 ± 4,91 19 (57,7) 2,75 ± 2,22 36 (100) 28 (77,7) 16 (44,4) 7 (19,4) 2 (4) 23,9 ± 5,67 26 (52) 13 ± 9,77 30 (60) 5,36 ± 6,61 28 (56) 39 (78) 8 (16 %) 4 (8 %) 0,79 0,46 0,048 0,002 0,77 0,026 < 0,001 0,77 0,09 0,21 Forme clinique schizophrénie Paranoïde Indifférenciée + désorganisée 18 (50) 18 + 0 (50) 21 (42) 19 + 10 (58) 0,2 4 Degré d’insight Bon Moyen Mauvais 0 6 (16,6) 30 (83,3) 12 (24) 17 (34) 21 (42) 0,0 01 Mauvaise observance Dose équivalent chlorpromazine (mg/j) 29 (96,6) 3070 ± 1290 12 (24) 1812 ± 1291 < 0,001 0,001 L’absence de culpabilité, la froideur et l’indifférence caractérisent parfois les crimes perpétrés par les hébéphrènes [7]. Nous n’avons pas trouvé de différences entre le groupe auteurs d’actes d’homicide et le groupe sans antécédents judiciaires en ce qui concerne les caractéristiques sociodémographiques. Dans la littérature, certains éléments sociodémographiques ont été identifiés comme prédictifs de crimes violents, toutefois lorsque certains facteurs sont pris en compte (exposition à des groupes violents, utilisation de services cliniques), les facteurs retrouvés ne semblent plus significativement associés à la violence [8]. 616 S. Bouhlel et al. / L’évolution psychiatrique 79 (2014) 611–618 Dans notre étude, un retard de prise en charge de la schizophrénie supérieur ou égal à un an était prédictif d’actes d’homicide ainsi qu’une durée courte de suivi et un nombre réduit d’hospitalisations. Les études citent que parmi les schizophrènes auteurs de meurtres, 25 à 40 % n’avaient pas de suivis psychiatriques avant le passage à l’acte [9–11]. Russo et al. [12], dans une étude sur une période de cinq ans, ont comparé 75 malades mentaux meurtriers à 140 malades mentaux non criminels, les malades mentaux meurtriers ont reçu moins souvent une thérapeutique médicamenteuse et ont été moins souvent hospitalisés que les malades mentaux non criminels. Dans la méta-analyse de Nielsen et al. [13], 38,5 % des homicides ont été commis au cours du premier épisode psychotique, avant la mise en place du traitement initial. La prévalence des taux annuels d’homicide lors du premier épisode psychotique était de 15,5 fois le taux annuel d’homicide après le traitement de la psychose. Dans notre travail, les antécédents d’hospitalisations sous contrainte étaient plus fréquents chez le groupe avec actes d’homicide que le groupe témoin. Les patients hospitalisés sous ce mode sont naturellement plus impulsifs et plus agressifs et moins compliants aux soins que ceux qui sont habituellement hospitalisés avec leur consentement. Nous n’avons pas trouvé de corrélation entre la forme clinique de la schizophrénie et les actes d’homicide bien que les formes paranoïdes et indifférenciées étaient les plus représentées. En ce qui concerne les motivations criminelles, le délire à thème de persécution ainsi que les injonctions hallucinatoires étaient les plus invoqués par nos patients homicidaires. Dans la littérature, la forme paranoïde serait la plus pourvoyeuse de conduites agressives et ce sont les hallucinations et plus particulièrement le syndrome d’influence qui sont les plus impliqués dans le passage à l’acte. La violence d’un psychotique est perçue comme une réponse de défense à un sentiment de menace, ou à une impression de perte de contrôle interne [14]. Certains auteurs parlent d’une crise catathymique. Elle réside en un conflit psychique qui se situe à la base de l’homicide et qui est inconscient ou inconnu du sujet schizophrène. Tout au plus, le sujet peut rapporter un état de « tension » psychique diffus, incoercible et inexplicable qui finit par donner naissance à l’idée que seul un acte violent peut le soulager [15]. Nestor [16] a noté, chez des patients psychotiques auteurs d’homicide et d’infractions contre les biens, qu’en cas de présence de délire au moment du passage à l’acte, les patients homicidaires présentaient plus d’idées délirantes centrées sur un proche (92 % vs 72 %). La même constatation a été faite par Trichet et al. [17]. Cela est en accord avec nos résultats. En effet, dans 67,5 % des cas, la victime était un membre de la famille. Bjorkly [18], dans une revue de la littérature incluant 26 études et portant sur les liens entre délire et violence a trouvé une augmentation du risque de violence associée au délire et principalement au délire à thème de persécution. Le même auteur dans une autre revue [19] incluant 17 études s’intéressant aux liens entre les phénomènes hallucinatoires et le risque de violence, a trouvé que seulement quatre études avaient mis en évidence une relation certaine entre les hallucinations et le risque de comportement violent et que dans trois autres, ce lien existait mais n’était pas significatif. Cinq études ne révélaient, en revanche, aucune relation entre les phénomènes hallucinatoires et le risque de comportement violent. Nous avons trouvé une différence statistiquement significative entre les deux groupes concernant la qualité d’insight. Une mauvaise conscience de la maladie s’associe généralement à un manque d’adhésion aux soins et à une évolution péjorative de la maladie, ce qui contribue à augmenter le risque de comportements agressifs. Dans la littérature, le lien entre l’insight et le risque de violence est difficile à établir. Cheung [20] ainsi que Swartz [21] n’ont pas trouvé d’association significative entre l’insight et la violence chez les schizophrènes. A contrario, Arango [22], Buckley [23], Soyka [24] et Alia-Klein [25] ont noté dans leurs travaux que les patients schizophrènes S. Bouhlel et al. / L’évolution psychiatrique 79 (2014) 611–618 617 violents présentaient une capacité d’insight plus faible que les patients non violents. Dans une étude sur la violence au cours du premier épisode psychotique, Foley [26] a constaté que le manque d’insight augmentait le risque de violence par trois. Dans notre étude, presque la totalité des patients criminels qui ont été déjà suivis en psychiatrie avaient une mauvaise observance thérapeutique contre 28 % des patients sans antécédents judiciaires. Ce résultat était en accord avec les données de la littérature. En effet, plusieurs études ont mis en évidence que les patients ayant commis un acte de violence hétéro-agressive étaient en rupture de soins [27,28]. La non-compliance ou la résistance aux chimiothérapies accentue la dangerosité du patient [29]. Enfin, il est important de noter que notre étude présentait certaines insuffisances méthodologiques. Il s’agit de la taille réduite de la population témoin ainsi que de la population des criminels violents et la nature rétrospective du travail. Cette dernière a rendu aussi impossible l’évaluation lors de l’accomplissement de l’acte d’homicide de certaines dimensions cliniques et thérapeutiques tels que la symptomatologie psychotique positive et négative et les effets indésirables neurologiques. Le fait qu’il ne s’agisse pas du même évaluateur pour les deux groupes pourrait entraîner des différences inter-juges surtout pour l’évaluation de l’insight et de l’observance thérapeutique. Il aurait été souhaitable d’utiliser des échelles standardisées. 5. Conclusion Notre étude a montré qu’il existe un sous-groupe de patients schizophrènes de sexe masculin particulièrement à risque de commettre un acte d’homicide. Il s’agit des patients dont la prise en charge a été tardive ou courte, ceux qui refusaient les hospitalisations, qui arrêtaient leur traitement et qui n’étaient pas conscients de leurs troubles. Chez ces patients criminels, ce sont les membres de l’entourage, notamment familial, qui ont été le plus souvent les victimes et qui ont été tués par une arme d’opportunité sous l’influence d’injonctions meurtrières ou d’un délire de persécution. Il ressort ainsi que la facilitation d’accès aux soins et l’établissement de programmes de psychoéducation destinés à ce sous-groupe de patients et à leurs familles sont des mesures incontournables pour la prévention des actes homicides. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Eronen M, Hakola P, Tiihonen J. Mental disorders and homicidal behavior in Finland. Arch Gen Psychiatry 1996;53:497–501. [2] Wallace C, Mullen P, Burgess P, Palmer S, Ruschena D, Browne C. Serious criminal offending and mental disorder. Br J Psychiatry 1998;172:477–84. [3] Schanda H, Knecht G, Schreinzer D, Stompe T, Ortwein-Swoboda G, Waldhoer T. Homicide and major mental disorders: a 25-year study. Acta Psychiatr Scand 2004;110:98–107. [4] Walsh E, Buchanan A, Fahy T. Violence and schizophrenia: examining the evidence. Br J Psychiatry 2002;180:490–5. [5] APA. Diagnostic and statistical manual of mental disorders. 4th Ed. Washington DC: American Psychiatric Association; 1994. p. 943. [6] Lehman AF, Steinwachs DM. At issue: translating research into practice: the schizophrenia patient outcomes research team (PORT) treatment recommendations. Schizophr Bull 1998;24:1–10. [7] Bénézech M, Le Bihan P, Bourjois ML. Criminologie et psychiatrie. Encycl Med Chir (Psychiatrie); 2002. p. 15 [37-906-A-10-15 p]. 618 S. Bouhlel et al. / L’évolution psychiatrique 79 (2014) 611–618 [8] Monahan J, Steadman H. Violence and mental disorder. Chicago: The University of Chicago Press; 1994. p. 229–57. [9] Millaud F. L’homicide chez le patient psychotique : une étude de 24 cas en vue d’une prédiction à court terme. Rev Can Psychiatr 1989;34:340–6. [10] Valevski A, Averbuch I, Radwan M, Gur S, Spivak B, Modai I, et al. Homicide by schizophrenic patients in Israel. Eur Psychiatry 1999;14:89–92. [11] Meehan J, Flynn S, Hunt IM, Robinson J, Bickley H, Parsons R, et al. Perpetrators of homicide with schizophrenia: a national clinical survey in England and Wales. Psychiatr Serv 2006;57:1648–51. [12] Russo G, Salomone L, Della Villa L. The characteristics of criminal and non-criminal mentally disordered patients. Int J Law Psychiatry 2003;26:417–35. [13] Nielssen O, Large M. Rates of homicide during the first episode of psychosis and after treatment: a systematic review and metaanalysis. Schizophr Bull 2010;36:702. [14] Vandamme MJ. Schizophrénie et violence : facteurs cliniques, infracliniques et sociaux. Ann Med Psychol 2009;167:629–37. [15] Declercq F, Maleval JC. Homicide sadique sexuel, schizophrénie et « crise catathymique » : étude de cas 1. Evol Psychiatr 2012;77:67–79. [16] Nestor PG, Haycock J, Doiron S, Kelly J, Kelly D. Lethal violence and psychosis: a clinical profile. Bull Am Acad Psychiatry Law 1995;23:331–41. [17] Trichet Y, Marion E. De la monstruosité du matricide à l’élaboration d’un altruisme délirant. Evol psychiatr 2012;77:279–90. [18] Bjorkly S. Psychotic symptoms and violence toward others. A literature review of some preliminary findings. Part 1: Delusions. Aggress Violent Behav 2002;7:605–15. [19] Bjorkly S. Psychotic symptoms and violence toward others. A literature review of some preliminary findings. Part 2: Hallucinations. Aggress Violent Behav 2002;7:617–31. [20] Cheung P, Schweitzer I, Crowley K, Tuckwell V. Violence in schizophrenia: role of hallucinations and delusions. Schizophr Res 1997;26:181–90. [21] Swartz MS, Swanson JW, Hiday V, Borum R, Wagner R, Burns BJ. Violence and severe mental illness: the effects of substance abuse and non-adherence to medication. Am J Psychiatry 1998;155:226–31. [22] Arango C, Barba A, Gonazales T, Ordonez A. Violence in inpatients with schizophrenia: a prospective study. Schizophr Bull 1999;25:493–503. [23] Buckley PF, Hrouda DR. Insight and its relationship to violent behavior in patients with schizophrenia. Am J Psychiatry 2004;161:1712–4. [24] Sokya M, Graz C, Bottlender R, Dirschedl P, Scoech H. Clinical correlates of later violence and criminal offences in schizophrenia. Schizophr Res 2007;94:89–98. [25] Alia-Klein N, O’rourke TM, Goldstein R, Malaspina D. Insight into illness and adherence to psychotropic medications are separately associated with violence severity in a forensic sample. Aggress Behav 2007;33:86–9. [26] Foley SR, Kelly BD, Clarke M, McTigue O, Gervin M, Kamali M, et al. Incidence and clinical correlates of aggression and violence at presentation in patients with first episode psychosis. Schizophr Res 2005;72:161–8. [27] Erb M, Hodgins S, Freese R, Muller-Isberner R, Jockel D. Homicide and schizophrenia: may be treatment does have a preventive effect. Crim Behav Ment Health 2001;11:6–26. [28] Monahan J, Steadman HJ, Appelbaum P. Rethinking risk assessment. The McArthur study of mental discorder and violence. Oxford: Oxford University Press; 2001. [29] Senon JL, Manzanera C, Humeau M, Gotzamanis L. Les malades mentaux sont-ils plus violents que les citoyens ordinaires ? Info Psy 2006;82:645–52. ID 908500 Title Lesfacteursliésauxactesd’homicidechezlespatientstunisiensatteintsdeschizophrénie☆ http://fulltext.study/journal/893 http://FullText.Study Pages 8