Texte n°2 : la Peste, Desnos

Transcription

Texte n°2 : la Peste, Desnos
Texte n°2 : la Peste, Desnos
Introduction
André Breton a dit de Desnos : « Il a joué un rôle nécessaire et inoubliable » ; « un prophète du
surréalisme ». Celui-ci était membre d’un réseau de résistance, et a été arrêté le 22 Février 1944,
emprisonné au camp de Compiègne jusqu’en Mai où il a été envoyé au camp de Buchenwald. Puis
il sera transféré au camp de Theresienstadt, et mourra en déportation en Juin 1945.
Le recueil « contrée » contenant la Peste paraît en 1944 avec un frontispice de Picasso. Desnos
était déjà déporté ; il s’agit d’une œuvre presque posthume. D’une manière générale, le recueil
dénonçait le nazisme et le sort des juifs.
Ce poème évoque le climat régnant en France pendant l’occupation, faisant allusion à la
persécution des juifs tout en jouant d’une manière insolite avec les formes traditionnelles du
sonnet.
I – Un sonnet à l’architecture trompeuse
A – Du point de vue métrique : des vers altérés
On croirait des vers car il y a des retours réguliers à la ligne. Mais :
 Les vers ne sont pas comptés (mètres différents) et la longueur excessive empêche de
ressentir la cadence
 Chaque vers semble avoir ses propres règles
 Rimes : il y a peu de rimes régulières. On voit surtout des rimes assonancées
(rapproche/porte) et des contre-assonances (résiste/peste).
 Pratique constante de l’enjambement et du rejet, et unité syntaxique jamais axé sur l’unité
métrique
 Le poème semble être enfermé dans un moule.
B – Du point de vue strophique : une structure différente de celle du sonnet traditionnel
En apparence, le poème a l’apparence d’un sonnet : 2 quatrains et 2 tercets. Sauf qu’en sonnet
normal, les quatrains et tercets forment deux unités sémantiques reliées mais distinctes.
1) Parenté entre le début et la fin
 Du point de vue du sens : Le premier quatrain commence à raconter une petite histoire.
Dans cette narration, il y a deux personnages : le promeneur invisible et le « je ». A la fin du
poème, on retrouve notre narration. Le personnage invisible disparaît mais il y a une affiche
posée sur la porte.
 Reprises lexicales
o Le pas retentit / Le pas s’éloigne (= antonymes)
o La cloche n’a qu’un seul battant / Son battant claque
2) Partie centrale, sorte d’intermède
Elle commence à « je vois le ciel ». On est plus dans le descriptif et la contemplation :
- passage plus lyrique avec des phrases plus longues
- les rythmes sont plus travaillés, il y a plus d’ampleur
- champ lexical du ciel et du cosmos (soleil lune astre ciel)
Le sonnet apparaît comme une forme vide, respectée en surface mais en réalité complètement
déconstruite. Sa forme gène la lecture et la mise en voix : elle apparaît comme une prison qui
torture le texte.
On peut interpréter ce choix d’écriture comme une allusion indirecte à d’autres contraintes, pas
dans le domaine littéraire mais dans celui de la vie sous l’occupation ; Desnos dénoncerait les
règlements contraignants et qui enferment les Français (tickets de rationnement, couvre-feu,
statut des juifs). Mais il est aussi possible qu’il y ait suggestion que l’on peut saboter ces
règlements de l’intérieur…
II – Un poème lyrique, réaliste et symbolique
Il y a deux parties dans ce texte :
- une partie narrative et réaliste
- une partie lyrique et contemplative
La poésie lyrique, détachée de l’histoire, célèbre la beauté du monde.
A – Le cœur du problème et la méditation sur le ciel
Contemplation de la nature sous la forme du ciel étoilé : ce qui permet la transition entre narratif
et lyrique, c’est le changement d’orientation de l’attention du personnage, qui « voit le ciel ». On
passe d’un univers réglementé à une évasion. Desnos respecte une tradition longue comme
l’humanité, celle de la double perception du ciel, c’est-à-dire un monde proche et très lointain à la
fois. Le ciel est une représentation matérielle de l’infini et de l’éternité, mais on y projette aussi
notre destinée, comme si le ciel était un miroir.
1) Le ciel étoilé : un autre monde
Un style emphatique : des procédé pour grandir, grossir, amplifier le texte :
 Répétitions (je vois le ciel x2)
 La cadence majeure : succession de groupes syntaxiques de plus en plus long (v6 à v8)
 Pluriels emphatiques : des lunes et des soleils
 Le poète échappe un instant aux soucis de la Terre, et si le ciel correspond à un monde
immense, il correspond aussi à quelque chose de connu et de rassurant, voire d’affectif
2) Le ciel nocturne : un monde proche et familier
Desnos personnifie les étoiles, tout comme depuis la nuit des temps les Hommes nomment les
étoiles et les constellations.
 Tous les hommes connaissent la constellation de la Grande Ourse, dont l’histoire est celle
de la nymphe Calisto, transformée en ours avec son petit par une déesse vengeresse.
L’animal qu’est l’ours est anthropomorphisé, et la Grande Ourse apparaît rassurante.
 Deux autres personnifications :
o Vénus (déesse de l’amour apparaissant comme l’étoile du berger)
o Diane (déesse de la chasse)
 On remarque d’ailleurs une érotisation, par référence aux scènes de bain
On a donc une présence libératrice et rassurante, mais ce n’est pas durable. En effet, les vers 9 et
10 introduisent une rupture (« jamais ») : le ciel semble s’éloigner au point de devenir inaccessible,
le regard qui s’était évadé revient sur Terre et la vie reprend son cours.
B – La fable de l’affiche jaune
1) Vraisemblance et tension dramatique
a – Une anecdote vraisemblable
Il y a un ancrage dans l’histoire, l’espace et le temps. Un contexte est suggéré, dans un village. Se
déroule un fait vraisemblable : celui qui est « je » perçoit la présence d’un autre personnage à
l’extérieur. Puis il voit une affiche jaune qui renvoie à une réalité : la persécution des juifs.
Ces affiches étaient issues d’un décret, paru en Septembre 1940 par le gouvernement de Vichy qui
avait l’obligation de signaler commerces et entreprises juifs par l’affichage sur les murs de cette
affiche. C’est une des nombreuses mesures discriminantes destinées à stigmatiser les juifs, à
contrôler leurs faits et gestes.
b – Une narration qui cherche à créer de l’angoisse
 La scène se déroule de nuit, une nuit silencieuse et vide (« un pas retentit »). De plus l’air de
nuit est qualifié d’opaque et de lourd : on est dans les ténèbres et la lumière se réfugie dans
le ciel
 Un point de vue limité : par focalisation interne, la narration se base sur la perception du
« je » : j’entends son souffle, le pas se rapproche… Le récit reste partiel et discontinu : le fait
de coller l’affiche est une ellipse
 Impression d’angoisse : interrogation (« où va-t-il ? ») qui amène à une absence de contrôle
de la situation
2) Dimension symbolique
Le mot PESTE renvoie à un univers différent de l’occupation : il s’agit de la maladie venant du fin
fond du moyen-âge, contagieuse et sans remède. Dans l’imaginaire collectif ce mot est désigné par
métaphore pour symboliser un mal idéologique, psychologique et surtout qui se propage par
contamination.
Deux interprétations possibles :
- La Peste est le fléau juif aux yeux des Nazis  symbolisation de la souillure
- La Peste est le nazisme  la peste Brune
Avec ce mot, la petite histoire racontée par le poète devient une fable :
- Elle va au-delà de son sens immédiat
-
Le poète fait une anecdote qui représente l’idée que l’occupation est un moyen-âge, une
régression de l’histoire. On peut même voir ici une allusion à l’inquisition et au fanatisme
religieux des temps obscurs
Conclusion
Ce poème est sombre, désespéré, dans lequel Desnos se place du point de vue des victimes. On
peut dire que c’est un poème de combat et engagé, qui se rapproche beaucoup d’un roman
d’Albert CAMUS, la Peste.