GUIDE DU VISITEUR 03C Pierre JOUVE

Transcription

GUIDE DU VISITEUR 03C Pierre JOUVE
GUIDE
DU
VISITEUR
03C
Misère des migrants. Les huit couloirs pour
automobiles du périphérique ronflent et sifflent
à quelques mètres. Il fait plus de 30 degrés porte
de Bagnolet. Puanteur des pots d’ échappement
et des ordures accumulées sur ce terrain en
pente, où les employés de la ville refusent de se
rendre par crainte d’ y contracter une maladie.
Des Bulgares venus se vendre au rabais sur le
marché du travail se sont installés là et y vivent
sans eau, ni sanitaires, ni électricité. Bidonville
reconstitué. Ce Bulgare-là est appréhendé pour
contrôle de permis de séjour. Il s’ est jeté sur un
tas de détritus. Il proteste.
Pierre
JOUVE
Marianne Brisée
ou la face cachée de Paris
16 mai – 16 août 2009
Photographe et écrivain, ancien journaliste
et réalisateur, Pierre Jouve a pu pendant
une année et demie photographier Paris,
libéré des entraves qu’ opposent à la vision
des drames, la justice et la police, les
politiques. Autorisation exceptionnelle
accordée par la Préfecture de Police de
Paris à un artiste de plonger son regard
dans la réalité dramatique du quotidien
de la cité ; à charge pour lui de laisser
une trace du Paris cruel et caché, années
2006 – 2007, début de siècle. Vision
intimiste du tragique au quotidien.
Pierre Jouve
Musée d’ Art Moderne de Saint-Étienne Métropole
La Terrasse – BP 80241
42006 Saint-Étienne Cedex 1
Tél. +33 (0)4 77 79 52 52
[email protected]
www.mam-st-etienne.fr
IC&K
Ouvert tous les jours de 10 h à 18 h
sauf le mardi, le 14 juillet et le 15 août.
Marianne brisée
Perquisition à l’aube. Les policiers ont forcé la
porte et appréhendé le fils. La mère s’ effondre
à l’ idée que la justice le condamne à la prison ;
les policiers essaient d’ empêcher la femme de
tomber. Scène classique de perquisition, selon
eux. Les policiers doutent souvent de l’ absolue
sincérité des évanouissements, si spontanés.
Dans sa cellule de garde à vue, au Dépôt section
« femmes », elle est devenue un fantôme ; les
vitres blindées de détention sont comme les
marches de sa disparition progressive.
Soudain, elle me sourit lorsque je m’ approche,
se dandine, me supplie enfin de lui prêter mon
portable que je tiens à la main par négligence.
Elle voudrait tant donner de ses nouvelles aux
siens, ou à un complice ?
Le portable est la liberté que je lui promène sous
le nez. Les sœurs qui gardent les femmes interviennent. Un suspect ne doit pas communiquer
avec l’ extérieur.
Les photographies de ce livre appartiennent aux Parisiens de la détresse.
Images que la justice, la police et les
politiques masquent pour mille raisons,
dont celle de défendre victimes ou
criminels de l’ avide regard des médias.
Un formidable geyser de vérités que
Pierre Mutz, alors préfet de police de
Paris, m’ a autorisé à regarder sans
autre raison que de laisser une trace
photographique de la capitale, années
2006 – 2007, hors le miroir embellissant
de son historique architecture.
Les policiers m’ ont fait voir le sang, les
larmes de leur quotidien, écouter les cris
des victimes ou coupables effondrés dans
le désespoir.
Paris n’ est jamais immobile ; pas
d’ heure pour les drames. Ces photos
sont exposées suivant le désordre de
la chronologie des cruautés. Pas de
liens entre ces « faits-divers », sauf les
dysfonctions sociales ou psychiques ;
l’ injustice.
Ce spectacle de l’ homme fascine,
jusqu’ à ce que se dégage une sensation
de répétition, de roue perpétuelle du
malheur, qui incite à clore le reportage
particulier : visite placée en regard de
la symbolique de la loi qui doit dévoiler
parfois, j’ en suis persuadé, un peu ce
qu’ elle est en charge de contenir.
La personne au couteau dans la tête a
été sauvée grâce à la promptitude des
pompiers, policiers, chirurgiens et à
l’ ahurissant cheminement de la lame
dans le crâne.
Cette image ressort de l’ histoire des
hommes, hors les censures des morales
ou même de la victime qui n’ est pas
identifiable.
Mais cette vision et les autres ont laissé
en moi une empreinte, me collent à
l’ âme ; à l’ instar des gens de justice,
médecins, gens des pompes funèbres,
thanatologues, etc, dont l’ esprit et
l’ intelligence sont façonnés par la dure
réalité, par le silence des suicidés ou
des assassinés.
Je suis passé du statut de touriste
visiteur de la douleur des gens à celui de
« client » de la police, si l’ on peut écrire
cela : deux suicides parmi mes proches.
Signal prémonitoire ? L’ une de ces
désespérées ressemblait à la Marianne
brisée. Marianne, emblème de la
République, plâtre cassé que j’ ai
photographié dans un commissariat
quelques semaines avant le suicide ;
commissariat d’ où partaient parfois
des gardiens de la paix pour s’ assurer
que cette femme n’ avait pas commis
l’ irréparable.
Depuis, l’ aigu de la peur ou de la
douleur que j’ ai pu découvrir sur les
gens, la mort même, telle qu’ elle pétrifie,
se montre furtivement en chaque être
que je scrute.
J’ ai suivi les chemins qui mènent à la
morgue, à l’ hôpital, au cimetière, au
commissariat, à la Brigade Criminelle,
à la prison, à l’ asile. Ce reportage m’ a
montré ces routes dont l’ une sera la
dernière. Le « cela peut arriver à chacun
à chaque instant » m’ est omniprésent
depuis ce voyage dans ma ville réelle.
Superman de la perquisition à l’ aube, le policier
harnaché et armé constate que le jeune homme
est inoffensif. Le Coran est sur les murs.
Vies sauvées par les policiers, pompiers, médecins
et infirmiers, tous les jours.
La personne au couteau dans la tête est un miracle
littéral. Les neurochirurgiens lui ont retiré la lame,
profondément enfoncée. L’ un des médecins :
« On découvre encore de nouveaux chemins
chirurgicaux pour le cerveau. »
Pierre Jouve
Travesti battu par l’ un des innombrables sadiques
qui les pourchassent pendant le tapin. Il dépose
une plainte.

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