Le vieillissement cérébral
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Le vieillissement cérébral
6 Le vieillissement cérébral André DELACOURTE Résumé Le vieillissement cérébral humain est souvent accompagné de modifications morphologiques et physiologiques importantes, avec une diminution sensible, mais très variable selon les individus, des performances intellectuelles. La difficulté est de déterminer ce qui revient au vieillissement normal par rapport à ce qui est généré par des maladies neurodégénératives en cours de développement. Nous montrons que le vieillissement cérébral provoque des modifications importantes de la physiologie neuronale capables d’expliquer en grande partie la diminution des performances intellectuelles. Nous montrons également que les deux processus dégénératifs fréquemment observés au cours du vieillissement, à savoir les pathologies Tau et Aβ, et qui engendrent la maladie d’Alzheimer, ne font pas partie du vieillissement normal. Sommaire 1. Les altérations liées au vieillissement cérébral 2. Conclusion Introduction Il est admis que les performances intellectuelles diminuent au cours du vieillissement. La mémoire notamment semble très sensible aux effets de l’âge. D’une manière générale, toutes les fonctions cognitives semblent affectées, peu ou prou. Il est en effet reconnu que les effets négatifs de l’âge sont très variables selon les individus. Une simple observation de son entourage permet de le constater. Dès que la mémoire est touchée, dès que l’on ne retrouve plus le nom d’une personne que l’on connaît pourtant bien, on parle immédiatement de maladie d’Alzheimer qui s’installe. Il s’agit d’une boutade qui reflète une croyance bien ancrée, même dans le milieu scientifique, qui consiste à penser que la perte des fonctions cognitives, et en particulier des fonctions mnésiques, est inévitablement due à un processus d’ « alzheimerisation ». Effectivement on peut parler de croyance, puisque les études qui pourraient apporter des éléments de réponse solide sont rares, et toujours imparfaites. Dans cet article, nous allons passer en revue ce que nous savons des transformations physiologiques cérébrales liées à l’âge¸et nous considérerons en particulier les liens éventuels avec la maladie d’Alzheimer. 1. Les altérations liées au vieillissement cérébral 1.1 Altération des tissus nerveux au cours du vieillissement : un facteur qui pèse beaucoup sur les performances intellectuelles Au cours du vieillissement, tous les tissus se modifient et perdent leur élasticité. Ceci est vrai et bien visible pour la peau, qui va voir son réseau de fibres d’élastine et de collagène subir les effets cumulatifs de l’attaque des radicaux libres au cours des phénomènes oxydatifs. Les protéines, les lipides, l’ADN, tous les constituants de base sont modifiés progressivement. Les processus qui altèrent la peau vont affecter également les autres organes. Cependant tous les organes ne vieillissent pas à la même vitesse (ROBERT L 1994). 1 Chapitre 6 ADAPTATION DES SYSTÈMES DE CORRÉLATION AU VIEILLISSEMENT Principe général de fonctionnement du système nerveux Le cerveau est un organe qui fonctionne selon des règles générales très simples dans leur principe mais extrêmement complexes dans leur application. • Le principe général est que nous disposons de capteurs permettant de recevoir des informations du monde extérieur. • Ces informations sont ensuite analysées et intégrées de manière à générer de nouvelles informations qui sont alors stockées ou utilisées pour interagir avec le monde extérieur via des effecteurs. Les capteurs sont nos différents sens, et en particulier la vision et l’audition. La transmission de l’information sensorielle, d’abord codée sous forme d’influx nerveux par nos capteurs biologiques, est ensuite transmise par les neurones sensoriels vers différentes régions du système nerveux central. Les informations sont réceptionnées dans des régions cérébrales « primaires » spécialisées (le pôle occipital pour la vision par exemple), puis intégrées et brassées avec les informations résidentes, dans des régions cérébrales de plus en plus associatives. Chaque étape du cheminement de l’information passe par diverses structures qui seront affectées différemment par les outrages du temps. Dans cet article, nous décrirons plus précisément les transformations observées dans les structures du cortex cérébral, les plus mal connues. 1.1.1 Nos capteurs vieillissent mal La longévité de l’espèce humaine s’accroît de manière spectaculaire, et il n’est pas rare de rencontrer des octogénaires et des nonagénaires alertes et brillants. Cependant on notera qu’ils sont souvent bardés d’appareils bioniques, avec un jeu complet de lunettes à portée de main et un ou deux sonotones électroniques. D’autres signes du vieillissement comme la cataracte auront éventuellement été corrigés d’un geste chirurgical anodin. Ceci démontre que nos capteurs fondamentaux diminuent en performance au cours du temps (HOF T & MOBBS CV 2001a). Même si la technologie compense parfois, il ne faut pas se cacher que cette atteinte liée au vieillissement altère déjà les performances cognitives de l’individu concerné. En effet, la perte de souplesse de l’oreille interne liée à l’âge diminuera par exemple la capacité à distinguer une conversation d’un bruit de fond ambiant. Ceci diminue donc les entrées pertinentes d’information. Les effets peuvent être importants car ils isolent l’individu un peu plus, avec la possibilité de répercussions importantes sur l’état psychique, et un effet délétère accélérateur en boucle possible. 2 1.1.2 La transmission des informations est ralentie Les informations se propagent sous forme de trains d’influx nerveux le long des membranes neuronales. Il s’agit de dépolarisations de la membrane qui vont se propager jusqu’à la synapse. Ces micro-courants varient en fonction du nombre de décharges, de leur fréquence, de leur amplitude et de leur organisation, ce qui réalise un codage du message envoyé aux neurones-cibles. La vitesse de l’influx est déterminante dans la capacité de transmission des informations. La vitesse aussi bien que l’amplitude de l’onde de dépolarisation diminuent de manière linéaire avec l’âge chez les plus de 50 ans. Les données de la littérature, peu nombreuses, indiquent une diminution qui va de 10 à 30 %. Ceci résulte essentiellement d’une altération progressive de la structure de la membrane plasmique, notamment suite à l’attaque des radicaux libres qui modifie la structure des lipides et des lipoprotéines (RIVNER MH & AL 2001). Le vieillissement du tissu se répercute également sur d’autres aspects du fonctionnement neuronal. Ainsi, chez les animaux âgés, on observe une diminution significative des concentrations de neuromédiateurs (MORGAN D & MAY P 1990), de leurs récepteurs et des capacités de liaison de ces récepteurs (MISHIZEN A & AL 2001). Au total, le vieillissement progressif à la fois des capteurs, de la transmission de l’influx nerveux et des constituants neurochimiques diminue sérieusement l’acquisition et la transmission des données. Ce vieillissement pourra être encore accéléré par celui d’autres organes ou d’autres fonctions, telles le sommeil ou la fonction endocrinienne (HOF P & MOBBS CV 2001b). 1.2 Le vieillissement s’accompagne-t-il vraiment d’une atrophie cérébrale et une perte neuronale ? Parmi les mythes concernant le vieillissement cérébral, il y a celui de la perte des cellules nerveuses. Nous en perdrions de 10 000 à 100 000 par jour selon les versions et l’imagination des conteurs (et non des compteurs). En effet, n’oublions pas que nous avons de 10 à 100 milliards de neurones, chiffre impressionnant qui montre que nous sommes incapables de les compter avec précision. Il est vrai que l’atrophie cérébrale, objectivée par le scanner ou l’IRM, est fréquente au cours du vieillissement. Mais rien ne prouve que le vieillissement soit la cause de cette atrophie. Il s’agit d’une erreur d’interprétation classique, mais regrettable, car cette régression résulte la plupart du temps d’une pathologie neurodégénérative qui s’installe. En effet, la maladie Le vieillissement cérébral d’Alzheimer, par exemple, touche un patient sur quatre, voire trois, à l’âge de 90 ans, et 40 % des nonagénaires sont déments, ce qui démontre la grande fréquence des pathologies cérébrales. On peut donc s’attendre à trouver souvent une atrophie infra-clinique chez les non-déments âgés de plus de 70 ans. Quant à la perte neuronale liée au vieillissement, elle n’a jamais été démontrée. D’abord en raison de ce qui est évoqué au paragraphe précédent, et ensuite parce que le comptage des cellules nerveuses est difficile à effectuer. Il s’agit de corriger les nombreuses erreurs de dénombrement possibles. Cependant, après correction, les experts donnent des chiffres très variables, ce qui nous laisse au mieux perplexes. Au total, la perte significative des cellules nerveuses au cours du vieillissement reste à démontrer, et l’exemple vient plutôt de certains cerveaux centenaires, pratiquement parfaits, qui démontrent que l’encéphale peut résister à l’usure du temps. 1.3 Des changements spécifiques apparaissent systématiquement au cours du vieillissement cérébral La maladie d’Alzheimer est caractérisée par la présence de deux types de lésions cérébrales : les plaques amyloïdes et la dégénérescence neuro-fibrillaire. Ces deux types de lésions sont également observés assez fréquemment, en quantité variable mais généralement faible, au cours du vieillissement cérébral. 1.3.1 Plaques amyloïdes La substance amyloïde de ces plaques résulte de l’agrégation dans les espaces extracellulaires d’un polypeptide de 39 à 43 acides aminés (GLENNER GG & AL 1984), nommé Aβ (amyloïde bêta). Le peptide Aß est un produit catabolique normal dérivant d’une protéine de grande taille nommée : APP (Amyloid Protein Precursor). Mais l’agrégation de cette protéine sous forme de plaques est anormale. Des anticorps dirigés contre le peptide Aß synthétique détectent ces plaques amyloïdes avec une grande sensibilité, ainsi que des dépôts diffus nommés dépôts pré-amyloïdes puisqu’ils ne possèdent pas encore les propriétés physico-chimiques de la substance amyloïde. Les dépôts diffus contiennent essentiellement du peptide Aβ 1-42 tandis que le cœur des plaques amyloïdes est formé de Aβ 1-40f. Les dépôts préamyloïdes et amyloïdes imprègnent le parenchyme nerveux et diffusent dans la substance grise corticale de toutes les régions cérébrales. Ils sont également présents dans la région hippocampale. Le peptide Aß s’accumule également, à des taux variables, dans la paroi des artérioles et des capil- Chapitre 6 laires où ils provoquent l’angiopathie amyloïde (WISNIEWSKI T & AL 1997). 1.3.2 Dégénérescence neuro-fibrillaire (DNF) Elle correspond à une accumulation intraneuronale de fibrilles formées de filaments très caractéristiques, appelés filaments appariés en hélice ou PHF (Paired Helical Filaments en anglais). Ces filaments pathologiques sont d’excellents marqueurs ultrastructuraux du processus dégénératif de type Alzheimer. Les PHF sont également observées dans les neurites en dégénérescence qui abondent dans le neuropile et dans les plaques neuritiques. Les PHF sont constituées par l’assemblage de protéines microtubulaires dites Tau. Les protéines Tau de la DNF sont agrégées et anormalement phosphorylées. Leur caractérisation biochimique par la technique des immunoempreintes révèle la présence d’un triplet majeur de protéines phosphorylées (Tau 60, 64 et 69) agrégées, également appelé A68 ou tau-PHF, spécifiquement présent dans le cortex associatif des patients atteints de la maladie d’Alzheimer (BUEE L & AL 2000). 1.3.3 Plaques séniles et pathologie Alzheimer Certaines plaques amyloïdes sont entourées par une couronne de neurites en dégénérescence neurofibrillaire. Elles sont nommées « plaques neuritiques » ou « plaques séniles ». Au total, les plaques séniles sont l’association des deux processus dégénératifs qui caractérisent la pathologie Alzheimer : l’amyloïdogénèse et la dégénérescence neurofibrillaire. Il est possible de quantifier ces deux processus dégénératifs par une approche histochimique ou Vieillissement normal et pathologique Une étude prospective sur 130 sujets, non-déments et déments, a permis de préciser la distribution de ces lésions Aβ et Tau au cours du vieillissement cérébral normal et des différentes étapes de la maladie d’Alzheimer (BOURAS C & AL 1993). C’est ainsi que nous savons que les dépôts de peptide Aβ sont d’abord sous forme 1-42, puis, tardivement dans la pathologie Alzheimer, également sous forme de peptide Aβ 40. Les régions cérébrales concernées par ces dépôts sont initialement néocorticales, avec une grande variabilité régionale, mais la région occipitale est souvent la plus atteinte. Par contre, la pathologie Tau s’installe d’une manière extrêmement spécifique d’abord dans le cortex transentorhinal et entorhinal, puis dans l’hippocampe, les différentes aires du cortex temporal, pour atteindre enfin les régions associatives polymodales, puis sensorielles et motrices. La progression de la pathologie Tau se fait toujours selon le même chemin, qui passe par dix régions corticales différentes, ce qui permet de définir 10 stades de la pathologie Tau. 3 Chapitre 6 S0 S1 S2 S3 S4 S5 S6 S7 S8 S9 S10 S0 S1 S2 S3 S4 S5 S6 S7 S8 S9 S10 S0 S1 S2 S3 S4 S5 S6 S7 S8 S9 S10 ADAPTATION DES SYSTÈMES DE CORRÉLATION AU VIEILLISSEMENT Pathologie tau Stade 2 1) Ctx transendochrinal 2) Ctx endochrinal Hippocampe Pôle temporal Temporal inf. Temporal moyen Aires associatives Cortex secondaire Cortex primaire 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Vieillissement cérébral A) 50 60 70 80 Pathologie tau Stade 5 1) Ctx transendochrinal 2) Ctx endochrinal 3) Hippocampe 4) Pôle temporal 5) Temporal inf. 6) Temporal moyen Aires associatives Cortex secondaire Cortex primaire 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 APP* Maladie d’Alzheimer APP* infraclinique B) 50 60 70 80 Maladie d’Alzheimer Stade 10 1) Ctx transendochrinal 2) Ctx endochrinal 3) Hippocampe 4) Pôle temporal 5) Temporal inf. 6) Temporal moyen 7) Aires associatives 8) Aire 44 9) Cortex secondaire 10) Cortex primaire 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 APP* Seuil de la démence APP* C) 50 60 Plaques amyloïdes 70 80 Pathologie tau Figure 1 Chemin des pathologies Aβ et Tau au cours du vieillissement et de la maladie d’Alzheimer. La dégénérescence neurofibrillaire (DNF) est visualisée par immuno-empreinte, en détectant les protéines PHFTau dans les homogénats cérébraux (encart). La pathologie Tau progresse dans les régions cérébrales selon un chemin précis qui est séquentiel, hiérarchique et invariable. Dix stades de pathologie Tau ont été définis, qui correspondent aux 10 régions cérébrales touchées successivement (S1 à S10). Les régions concernées sont indiquées à droite. Les PHF-Tau sont toujours détectées, mais en quantité variable, dans la région entorhinale puis dans la formation hippocampique des patients non-déments âgés de plus de 75 ans. La pathologie Tau peut atteindre le stade 6 sans dépôts simultanés de peptide Aβ. Un certain nombre de patients non-déments ont des dépôts simultanés de protéines Tau pathologiques et de peptide Aβ. La présence de dépôts Aβ démontre que ces patients sont au stade infraclinique de la maladie d’Alzheimer La pathologie Tau ne gagne les régions associatives (Stade 7 et plus) qu’en présence de dépôts importants de peptide Aβ. Il y a donc synergie entre les pathologies Tau et Aβ, comme représenté en B et en C. Le processus de pathologie Tau qui est observé au cours du vieillissement va s’intensifier considérablement s’il est en présence d’un dysfonctionnement de l’APP [Sergeant et al. 2002, Neve 2001] (perte ou gain de fonction de l’APP ou neurotoxicité du peptide Aβ). Les manifestations cliniques de maladie d’Alzheimer sont toujours observées au stade 7 ou aux stades supérieurs, quand les régions polymodales sont affectées. Ainsi, il existe un seuil d’extension de la pathologie Tau vers le stade 6 qui sépare la MA infraclinique de la MA clinique. D’autres facteurs délétères vont s’ajouter progressivement, tels l’absence croissante de facteurs trophiques, les facteurs apoptotiques et de micro-inflammation, le stress oxydant, la réaction gliale et microgliale. Le processus dégénératif va s’auto-amplifier, pour consumer au fur et à mesure, comme une réaction en chaîne, tous les neurones des processus cognitifs, puis ceux des fonctions motrices et sensitives. 4 biochimique, et de déterminer leur relation avec le vieillissement cérébral « normal ». La quantification biochimique est à la fois plus précise et plus informative. Elle permet d’estimer la quantité de peptide Aβ 42 (lié à la substance pré-amyloïde) et Aβ 40 agrégé (lié aux plaques amyloïdes), ou encore la quantité de protéine Tau agrégée avec leur signature biochimique (DELACOURTE A & AL 1999). Les relations entre les pathologies Aβ et Tau sont maintenant mieux connues grâce à ce type d’approche. Ainsi, nous savons que les déments de type Alzheimer ont toujours à la fois une pathologie Aβ et Tau néocorticale importante. Les sujets non-déments peuvent avoir à la fois des dépôts modérés d’Aβ et une pathologie Tau allant jusqu’à la région temporale (stades 6 ou 7) (figure 1). On notera que les non-déments qui ont une pathologie Aβ ont toujours une pathologie Tau, au moins dans la région trans-entorhinale. Par contre, certains témoins ont une pathologie Tau, qui peut aller jusqu’au stade 6, sans avoir de dépôts Aβ. Fait intéressant, l’extension de la pathologie Tau dans les territoires corticaux associatifs se fait toujours en présence de dépôts d’Aβ. Ceci démontre la synergie entre les deux processus neurodégénératifs : pathologie Tau et dysfonctionnement de la protéine APP (figure 1). Enfin, nous avons remarqué que tous les sujets âgés de plus de 75 ans ont une pathologie Tau qui peut rester discrète, et qui est située dans la région trans-entorhinale et entorhinale. Certains nonagénaires peuvent présenter une pathologie Tau restée très discrète, ce qui démontre que son développement n’est pas dépendant linéairement de l’âge. L’âge n’est donc qu’un facteur de risque. L’ensemble de ces données biochimiques est en accord avec les données neuropathologiques (BOURAS C & AL 1993 ; BRAAK C & BRAAK E 1997 ; DUYCKAERTS C & AL 1998). En particulier, les travaux des BRAAK démontrent que la pathologie Tau de la région entorhinale toucherait une personne sur deux dès l’âge de 50 ans, et même déjà une personne sur 4 à l’âge de 25 ans. 1.4 La pathologie Tau des personnes âgées Les observations du tissu cérébral humain au cours du vieillissement et à différents stades de la maladie d’Alzheimer nous permettent de proposer les hypothèses suivantes. (A) Il y a un consensus pour dire que les dépôts β signent la maladie d’Alzheimer. Les argud’Aβ ments les plus forts proviennent des formes familiales, rares, mais où les mutations concernent systématiquement le métabolisme de Le vieillissement cérébral l’APP et la production de peptide Aβ. Le dysfonctionnement de l’APP est indiscutablement lié à la pathologie Alzheimer, mais pas forcément les dépôts Aβ qui ne seraient que des marqueurs (NEVE RL 2001 ; SERGEANT N & AL 2002). (B) La deuxième idée qui commence à émerger est que la pathologie Alzheimer résulte d’une synergie entre les deux processus dégénératifs β et Tau. Ceci est confirmé par notre étude Aβ (DELACOURTE A & AL 2002). (C) La pathologie Tau est maintenant bien connue et on s’aperçoit qu’il s’agit du processus dégénératif le plus impliqué dans les syndromes démentiels. Elle est observée non seulement dans la maladie d’Alzheimer, mais également dans les dégénérescences fronto-temporales et dans de nombreux syndromes Parkinsoniens. Chaque fois qu’il y a une atteinte du métabolisme de la protéine Tau, nous observons un processus dégénératif qui s’installe dans le système nerveux central. D’où le concept des tauopathies (GOEDERT M 1999). Les altérations des protéines microtubulaires Tau résultent directement de mutations qui provoquent une perte de fonction ou des anomalies d’épissage du gène Tau, ou alors d’une diminution d’expression des protéines Tau, par des dysfonctionnements qui reste à caractériser. (D) En fonction de ces constatations, la pathologie Tau du vieillissement cérébral, trouvée parfois sans dépôts Aβ, n’est donc pas liée à la maladie d’Alzheimer. Il s’agit d’une véritable pathologie, indépendante de la maladie d’Alzheimer, dont le premier facteur de risque est l’âge. Cette pathologie est observée systématique- Chapitre 6 ment chez les plus de 75 ans, mais elle n’augmente pas ensuite d’une manière linéaire en fonction de l’âge. Ceci démontre qu’il s’agit d’un processus indépendant de l’âge, mais révélé par l’âge. (E) À l’heure actuelle, nous ne connaissons par l’impact de la pathologie Tau, avec ou sans Aβ, sur les fonctions mentales. Il n’y a en effet aucune étude prospective qui comporte à la fois des données psychométriques solides et fines et des données neuropathologiques et biochimiques détaillées. (F) L’espèce humaine est donc frappée par deux pathologies différentes et fréquentes au cours du vieillissement : une vulnérabilité de la région entorhinale à une pathologie Tau d’une part, et un dysfonctionnement de la protéine APP d’autre part. C’est la rencontre de ces deux phénomènes qui va les potentialiser l’un et l’autre, et provoquer la forme clinique de la maladie d’Alzheimer. 2. Conclusion Les différentes observations présentées ici démontrent la transformation importante du tissu nerveux au cours du vieillissement. Ceci explique en partie la diminution des performances intellectuelles chez bon nombre de personnes âgées. Nous noterons deux points importants : d’abord que l’intensité de ces altérations est extrêmement variable d’un individu du même âge à un autre, et ensuite que les déclins cognitifs légers ne sont pas forcément liés à une pathologie Alzheimer sousjacente. 5