Chien Amyloïdose rénale

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Chien Amyloïdose rénale
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Chien
CAS CLINIQUE
Amyloïdose rénale
Les étapes du diagnostic
Une chienne non stérilisée de 7 ans est présentée pour abattement et anorexie. Une majoration des paramètres
rénaux associée à un syndrome néphrotique permet de suspecter une glomérulopathie. Le calcul du RPCU oriente
le diagnostic vers une amyloïdose. Malgré la mise en place de mesures de soutien, l’état de l’animal se dégrade.
Avec le consentement éclairé des propriétaires, une procédure de fin de vie est engagée. L’autopsie et les analyses
histologiques post-mortem confirment la présence d’une amyloïdose rénale. Ce cas illustre la démarche diagnostique lors de syndrome néphrotique du à une amyloïdose.
© Laboratoire d'anatomie pathologique, VetAgro Sup
L’amyloïdose est une glomérulopathie généralement
secondaire à un processus inflammatoire chronique chez
le Chien. Elle s’accompagne d’un syndrome néphrotique
dû à la fuite protéique urinaire importante. Le cas présenté
ici illustre la démarche diagnostique lors de protéinurie,
de l’examen clinique d’admission jusqu’aux analyses histologiques post-mortem.
Anamnèse
Une chienne springer spaniel de 7 ans non stérilisée sans
antécédents médicaux est présentée à la consultation d’urgence pour abattement et anorexie.
Commémoratifs
Mathieu Taroni
Docteur vétérinaire
Interne AC CHEV Vetagro Sup
Céline Pouzot-Nevoret
Docteur vétérinaire
Maître de conférences unité
SIAMU Vetagro Sup
Cinq jours avant la consultation, la chienne souffre d’une
baisse de l’état général suite à une séance de chasse. Elle
est présentée chez le vétérinaire traitant qui ne note pas
d’anomalie à l’examen clinique et réalise une injection
d’imidocarb. Le lendemain son état ne s’améliore pas et
elle présente une hypothermie à 36,5 °C et des vomissements. Le vétérinaire réalise des analyses sanguines qui
révèlent une urémie à 45 mmol/l (v.u. 3,1 - 10,9) et une
créatininémie à 285 µmol/l (v.u. 60 - 128). La chienne
est hospitalisée sous fluidothérapie, citrate de maropitant et furosémide.
Quatre jours plus tard, son état se dégrade et ses paramètres rénaux augmentent. Elle est alors référée en centre hospitalier vétérinaire.
1
Ulcères buccaux.
de la chienne, il convient d’envisager en priorité une insuffisance rénale associée à une protéinurie permettant de
s’orienter vers une glomérulopathie dont le diagnostic différentiel est reporté dans le tableau 1.
1. Diagnostic différentiel des glomérulopathies chez
le chien1
Infectieux
Adénovirus Canin I
Pyomètre, Affections bactériennes
chroniques
Leishmaniose, Borréliose, Ehrlichiose
Brucellose, Dirofilariose
Inflammatoire Pancréatite, Hépatite, Prostatite, MICI
Affection systémique à médiation
immune
Amyloïdose Idiopathique, Affection inflammatoire
chronique
Autre
Néoplasie, Idiopathique, Congénital
Examen clinique initial
Examens complémentaires
À son arrivée, la chienne est abattue et cachectique. Sa déshydratation est évaluée à 8 % et son score corporel à 1/5. Sa
température rectale est de 37,5 °C, sa pression artérielle systolique mesurée à 160 mmHg. L’examen clinique général
ne révèle que des ulcères buccaux et linguaux (photo 1).
Une biochimie sanguine, un ionogramme, la mesure des
gaz sanguins, un RPCU, un ECBU et un examen ROTEM
sont réalisés.
L’urine est isosthénurique, la bandelette révèle trois croix
de protéines et une absence de glycosurie.
Hypothèses diagnostiques
Au regard des commémoratifs et de l’examen clinique
Les principales anomalies sanguines sont une majoration
de l’urémie et de la créatininémie, une hyperphosphatémie,
une hypocalcémie, une hypoalbuminémie et une hypercholestérolémie. Le RPCU est mesuré à 28,4 et l’ECBU est
positif. L’examen ROTEM révèle un profil d’hypercoagulabilité (tableau 2). Une échographie abdominale révèle
la présence de lésions rénales compatibles avec une pyélonéphrite, une tubulopathie ou une glomérulopathie, un
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2. Anomalies sanguines et urinaires : orientation diagnostique
Paramètre
Urée
Créatinine
Phosphates
Calcium ionisé
Albumine
Cholestérol
Densité urinaire
Glucose urinaire
Protéines urinaires
RPCU
ECBU
ROTEM
Valeur
> 46,4 mmol/l
276 μmol/l
8,32 mmol/l
0,80 mmol/l
19 g/l
8,7 mmol/l
1,016
négatif
+++
28,4
Streptococcus canis
Cf. photo 2
Valeur usuelle
3,1 - 10,9
60 - 128
0,9 - 2,0
1,1 -1,3
28 - 39
3,1 - 7,1
1,015 - 1,045
négatif
négatif
0,5 - 1
Signification diagnostique
Insuffisance rénale
Syndrome néphrotique
Pas de tubulopathie
Glomérulopathie
Amyloïdose ou protéinurie non glomérulaire
Hypercoagulabilité
• Amoxicilline, acide clavulanique 20 mg/kg IV TID ;
• Aglépristone 10 mg/kg SC réalisé 1 fois.
Évolution du cas
foie hypoéchogène compatible avec une hépatite aiguë ou
une amyloïdose et la présence d’une distension liquidienne
de l’utérus compatible avec un pyomètre ou un mucomètre.
Réévaluation des hypothèses diagnostiques
Les examens biochimiques révèlent la présence d’un syndrome néphrotique avec perte massive de protéines. L’absence
de glycosurie élimine l’hypothèse de tubulopathie. Le RPCU
est à interpréter en fonction des résultats de l’ECBU. Sa valeur
très élevée associée au diagnostic de syndrome néphrotique
permet d’envisager en priorité une glomérulopathie, mais cette
protéinurie peut cependant être due à l’infection urinaire.
Associés aux images échographiques, ces résultats permettent
d’affiner les hypothèses diagnostiques :
• Amyloïdose rénale ;
• Glomérulonéphrite par dépôt d’immuns complexes
secondaire à une maladie infectieuse, inflammatoire ou
idiopathique ;
• Pyélonéphrite infectieuse.
Examens post-mortem
L’autopsie révèle notamment de nombreux ulcères et
nécroses digestives (photo 3), des reins hypertrophiés et pâles
3
Ulcères gastriques.
Prise en charge thérapeutique
Le traitement mis en place est symptomatique :
• Fluidothérapie : Ringer Lactate 4 ml/kg/h ;
• Métoclopramide 0,33 mg/kg IV TID et citrate de maropitant 1 mg/kg SC SID ;
• Ranitidine 1 mg/kg IV TID ;
• Sucralfate 5 g PO TID ;
© Laboratoire d'anatomie pathologique, VetAgro Sup
Profil ROTEM hypercoagulable.
4
© Laboratoire d'anatomie pathologique,
VetAgro Sup
2
L’état de la chienne se détériore lors de sa première nuit
d’hospitalisation. Une hématémèse apparaît et la chienne
est très abattue malgré la mise en place du traitement et
d’une alimentation entérale assistée. Au vu de la dégradation de l’état général, associée aux hypothèses diagnostiques de pronostic sombre, une procédure de fin de vie est
réalisée, en accord avec les propriétaires.
Test de réactivité au lugol positif.
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et une absence de pyomètre. Le test au lugol est positif sur
les reins (photo 4). L’analyse histologique corrobore ce résultat et met en évidence la présence de dépôts amyloïdes au
niveau de la medulla et du cortex rénaux (photo 5).
Une glomérulopathie est diagnostiquée si le RPCU>2. Il
peut atteindre des valeurs de 20 à 40 en cas d’amyloïdose. Cependant le RPCU s’interprète en l’absence d’hématurie, de pyurie ou de bactériurie car il peut alors être
le reflet d’une protéinurie non glomérulaire et ne peut
plus être correctement interprété. Il peut atteindre des
valeurs de 40 lors de cystite bactérienne4.
Abréviations
RPCU :
Rapport
Protéines/Créatinine Urinaire
ECBU :
Examen
Cytologique et
Bactériologique
des Urines
CIVD :
Coagulation
IntraVasculaire
Disséminée
ROTEM :
Thromboélastométrie Rotative
BID : Bis In Die
TID : Ter In Die
Bibliographie
1. NELSON R. W., COUTO
C. G. Glomerulonephropathies, in Small Animal
Internal Medicine. Saint
Louis : Mosby Elsevier,
2009, 637-644.
2. CHEW D. J., DIBARTOLA S. P., SCHENCK P.
A. Canine and Feline
Nephrology and Urology,
2nd ed. Saint Louis : Saunders Elsevier, 2011, 526 p.
3. NELSON R. W., COUTO
C. G. Diagnostic Tests for
the Urinary System, in Small
Animal Internal Medicine.
Saint Louis : Mosby Elsevier, 2009, 623-636.
4. BAGLEY R. S. et al. The
Effect of Experimental Cystitis and Iatrogenic Blood
Contamination on the
Urine Protein/Creatinine
Ratio in the Dog. J. Vet.
Intern. Med. 1991, vol. 5,
(2), 66-70.
5
Dépôts amyloïdes glomérulaires (flèches) observés en lumière polarisée (à droite).
Amyloïdose rénale et syndrome
néphrotique
L’amyloïdose est due à un dépôt extracellulaire de sousunités protéiques en conformation de feuillets β, ce qui leur
confère des propriétés optiques uniques : en effet elles
présentent une biréfringence verte en lumière polarisée
lorsqu’elles sont colorées au rouge congo (photo 5). De
plus cette conformation rend la substance amyloïde insoluble et résistante à la protéolyse in vivo1, 2.
L’amyloïdose est souvent associée à un phénomène inflammatoire ou néoplasique sous-jacent. Les dépôts contiennent la protéine amyloïde A, qui est le fragment
amino-terminal de la SAA (Serum Amyloid A protein),
protéine de la phase aiguë de l’inflammation. Cependant
dans la majorité des cas, aucun phénomène inflammatoire ou néoplasique associé n’est rapporté2.
Diagnostic
L’amyloïdose est une glomérulopathie et est ainsi responsable de protéinurie, associée à une hypoprotéinémie et une
hypercholestérolémie dans le syndrome néphrotique.
La suspicion diagnostique passe par la quantification de
la protéinurie. Chez le chien sain, les tubules peuvent
concentrer les urines et ainsi faussement augmenter les
valeurs de protéinurie. La créatinine qui est librement filtrée au niveau du tubule et qui n’a pas de sécrétion ni
réabsorption tubulaire significative est un bon marqueur
du volume urinaire. Ainsi le RPCU est-il le moyen le plus
fiable d’objectiver une protéinurie3.
© Laboratoire d'anatomie pathologique, VetAgro Sup
Le diagnostic de certitude d’amyloïdose nécessite une
étude histologique. Le cas de Belle l’illustre bien ; le RPCU
à 28,4 est associé à la présence d’un streptocoque urinaire, le rendant ainsi non interprétable. Seule l’histologie permet alors le diagnostic final.
Complications
L’amyloïdose s’accompagne d’un certain nombre de complications. Les principales sont présentées ci-dessous :
• Hypoalbuminémie : elle est due à une perte rénale massive d’albumine et engendre une baisse de la pression oncotique et la formation d’œdèmes périphériques.
• Hyperlipidémie : la baisse de la pression oncotique
augmente la synthèse hépatique et diminue le catabolisme
périphérique des lipoprotéines. Une hypoalbuminémie,
une hypercholestérolémie, des œdèmes ou ascite et une
protéinurie sont les éléments diagnostiques du syndrome
néphrotique.
• Hypercoagulabilité et thrombo-embolies : cette réaction est multi-factorielle. Tout d’abord l’hypercholestérolémie et l’hypoalbuminémie stimulent l’agrégation
plaquettaire. De plus il y a fuite rénale d’anti-thrombine
III, ce qui entraîne un état d’hypercoagulabilité et va favoriser la formation de thrombi macrovasculaires (thromboembolies) ou microvasculaires (phénomène de CIVD).
Les thrombo-embolies apparaissent dans 15 à 25 % des
cas de syndrome néphrotique. L’examen ROTEM est un
examen de choix pour déceler précocement un état d’hypercoagulabilité et ce avant l’apparition des signes cliniques. Ainsi un traitement à base d’anticoagulants peut
être mis en place.
Dans le cas de Belle, la thromboélastométrie rotative nous
a permis de mettre en évidence un état hypercoagulable.
Aucun thrombus n’a été mis en évidence ni cliniquement,
ni lors de l’examen nécropsique ou histologique2.
Gestion et pronostic
Aucun traitement n’est décrit comme étant efficace lors
d’amyloïdose et le pronostic est sombre. Généralement
en insuffisance rénale lors du diagnostic, les animaux ne
vivent pas plus d’un an.
L’amyloïdose est donc une glomérulopathie dont le diagnostic définitif est histologique. Cependant une forte protéinurie objectivée par le calcul du RPCU (en l’absence
d’infection urinaire ou d’hématurie) permet d’envisager
prioritairement cette affection. n
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