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Panorama
de l’art numérique
Mathieu Bouvier
Séminaire “audiovisuel dans les expositions” - Cité des sciences et de l’industrie, 1er décembre 2006
0.1
Introduction
L’art numérique, dont les évolutions suivent ou devancent de près les dévellopements de la science et des nouvelles
technologies de l’information et de la communication, ouvre une nouvelle ère esthétique dans laquelle les catégories de la
représentation sont à ré-évaluer entièrement.
En effet, cet art ne procède plus de la représentation par mimésis (dessin, peinture, sculpture...), ni de l’empreinte analogique qui
caractérise la photographie et le cinéma. L’art numérique procède d’un calcul computationnel (la numérisation) qui permet le
transcodage de toute information (lumineuse, sonore, énergétique, statistique...) en un langage binaire, dont la propriété
essentielle est d’être réplicable à l’infini, manipulable et adaptable de toutes les manières, actualisable dans une infinie variété de
formes et de manifestations sensibles.
0.2
Dans sa production même, l’art numérique se conçoit sur un mode «dialogique» (ou interactif) entre l’auteur et la machine, c’est à dire qu’il passe
par des séries d’actions et de rétro-actions dans l’écriture et le contrôle du programme. Cette opérabilité sur l’oeuvre est par principe illimitée,
ouverte et toujours en devenir : elle le restera dans le rapport du spectateur à l’oeuvre si l’artiste prévoit un dispositif interactif qui permette au public
d’agir à son tour sur (ou avec) l’oeuvre. L’opérabilité ainsi offerte au spectateur fait de l’oeuvre une virtualité toujours actualisable, sans cesse
recommencée.
Le temps de l’oeuvre dialogique est donc «potentiel» en ce sens qu’il attend d’être révélé par le spectateur. Puisqu’il ne s’agit plus de «lire» un
enregistrement analogique reproductible, mais d’opérer sur un code ou d’activer un système de probabilités, chaque relation de chaque spectateur à
l’oeuvre devient le moment singulier d’une actualisation de celle-ci. L’art numérique invente donc un temps uchronique, c’est à dire un temps qui ne
relève plus d’aucune linéarité, mais qui offre toutes les possibilités de réitération, de réversion, de morcellement ou de recomposition perpétuelle et
sans délai. Le temps uchronique ne relève plus du « ça a été » de la photographie, du cinéma et de la peinture. Il ne relève pas non plus du « c’est »
du direct télévisuel, il renvoie à un « ça peut être », mode temporel fait non plus d’une succession d’événements, mais d’un réservoir d’éventualité et
de virtualité.
Enfin l’art numérique est intrinsèquement fondé sur un principe de traduction, qui est sans cesse à l’oeuvre dans tout processus numérique,
surtout et déjà dans son opération première : la numérisation. La numérisation doit en effet être comprise comme une traduction littérale entre un
régime d’information et un autre. Elle autorise par exemple l’encodage d’une onde énergétique (lumière, son, ondes éléctro-magnétiques...) en
séquences d’informations binaires, pixels, bits, etc, ou encore la transformation en temps réel d’informations statistiques en systèmes actifs ou
interactifs de commandes. Cette capacité de traduction, qui est également «virtuelle», c’est à dire ouverte, illimitée et toujours actualisable, offre à
l’expression artistique un champ de manoeuvre aussi vaste et divers que le monde : grâce à des systèmes d’équivalence entre langages
informatiques, toute information numérisée peut être traduite dans n’importe quel autre champ de signe, devenir une énergie, un opérateur dans
n’importe quel registre d’information ou d’action, en temps réel et à travers le monde.
Les oeuvres que je voudrais vous présenter appartiennent toutes à ce que l’on appelle la seconde génération de l’interactivité : Si la première
interactivité, jusque dans les années 90, relevait d’un esthétique permutationelle de type action/ réaction ou stimulus/réponse, la sophistication des
dispositifs de capture couplée avec des modèles informatiques inspirés des neurosciences permet aujourd’hui aux artistes de concevoir des
systèmes doués d’autonomie et de facultés cognitives, qui instaurent entre l’oeuvre et le visiteur une relation évolutive, une interaction organique et
intelligente.
!
Présentation du sommaire :
Je terminerai ce tour d’horizon une présentation de quelques oeuvres particulièrement innovantes dans le domaine de l’image, des interfaces
et de leur manipulation, en espérant que ces quelques exemples stimuleront l’imaginaire dans ce contexte de réflexion sur l’audiovisuel dans ses
applications muséographiques.
Miguel Chevalier, Fenêtre mémoire hexadécimale infinie, 1992
spécifictés de l’art numérique :
- interactivité / dialogisme
- potentialité / uchronie
- numérisation / transcodage
Miguel Chevalier - Ultra-nature, 2006
Sommaire :
1. esthétique de l’information
2. Vie artificielle
3. art biotech
4. Interface corporelle
5. Images hors cadre
6. Nouvelles interfaces
7. Limites (positives ou regrettables) de l’interactivité
1. 1 Esthétique de l’information
Mori - Ken Goldberg
(1999-2006)
http://www.ieor.berkeley.edu/~goldberg/art/mori/
1.1
Les capacités technologiques de traitement en temps réel de données statistiques collectées sur le web, ainsi que le développement des
systèmes d’information globalisés à l’échelle de la planète ont poussé nombre d’artistes à concevoir des oeuvres qui fonctionnent sur un
principe de capture, de traduction et de métamorphose expressive des ces données.
C’est ainsi qu’on a pu voir ces dernières années nombre d’oeuvres interactives qui traduisaient en sons ou en images, en environnements
sensitifs, voire en organismes virtuels, des données météorologiques, démographiques, environnementales, politiques ou financières collectées
en temps réel via internet. De nombreux artistes ont également travaillé sur des représentations cartographiques ou diagrammatiques des flux
d’information qui circulent sur le net.
Mori - Ken Goldberg (1999-2006
Depuis 1999, Ken Goldberg développe une installation intitulée Mori qui capture des données sismiques partout autour du globe, pour les
transformer en une expérience sensitive qui sonne comme le chant de la terre.
Là où il présente son travail, Ken Goldberg utilise les données sismiques des observatoires sismographiques les plus proches. Un ordinateur
collecte ces données en temps réel, via le web, et les traduit en modulations sonores et lumineuses. Les visiteurs entrent dans un espace obscur
en forme de conque, guidés par un câble en fibre optique qui en souligne le contour. La lumière de ce câble ondule au rythme des secousses,
tandis qu’au centre de la pièce, un moniteur incrusté dans le sol donne à voir une représentation graphique, animée en temps réel, des
événements sismiques enregistrés.
Une symphonie de sons de basse fréquence, dont la vibration est corporellement sensible, est elle aussi modulée en temps réel par les
variations sismiques : cet environnement immersif baigne les visiteurs dans une atmosphère tellurique que renforce encore des diffuseurs
d’odeurs de terre humide.
Mori, dont le titre fait référence au mot japonais qui veut dire « forêt ou sanctuaire «, et au latin « Memento Mori», considère la terre comme un
«média vivant», dont l’expression, ici numériquement traduite en un chant, rappelle au visiteur qu’il en est à la fois membre vivant et responsable.
1. 2 Esthétique de l’information
Blobmeister millennium bash – Thierry Bernard, 2004
http://www.lesiteducube.com/atelier/thierrybernard-blobmeister.html
1.2
Blobmeister millennium bash – Thierry Bernard.
Installation interactive et comportementale, BMB est une représentation graphique et sonore du NASDAQ, le marché financier américain des
valeurs à forte croissance. Un écran montre un univers mi-sidéral mi-aquatique, dans lequel évoluent une centaine de boules rouges et vertes, ainsi
qu’un “blob”. Chacune de ces boules représente l’une des valeurs du Top 100 des entreprises du NASDAQ, leur taille dépendant de la valeur
représentée. Leur couleur, ainsi que le comportement associé correspond, en temps réel, au fait que la valeur soit haussière ou baissière. Les valeurs
haussières sont représentées par des boules rouges au comportement évoquant une agitation libre et agressive. Les valeurs baissières représentées
par des boules vertes au comportement grégaire, restent groupées et semblent chercher à éviter leurs congénères, sauf lorsqu’elles rejoignent l’autre
groupe au gré des fluctuations boursières.
Ces formes fluides et organiques, qui évoquent des globules ou des organismes de SF, sont les avatars des flux financiers immatériels et de leur
«volatilité». Les flashes lumineux évoquent l’activité du marché et un grand éclair blanc illumine l’intégralité de l’écran toutes les minutes, à l’occasion
du rafraîchissement, via internet, des données du marché. Un «blob numérique pseudo gélatineux » et rougeâtre évolue dans l’espace autour de la
colonie des boules de couleur : il représente le marché en lui-même et la valeur globale de ses échanges.
Ici non plus, pas d’interactivité avec le spectateur mais une sorte d’écosystème autonome qui s’alimente d’un flux permanent d’informations, et qui
les traduit en une formes vivantes, organiques. Le spectateur n’a pas plus de prise sur l’œuvre qu’il n’a de prise, fut-il actionnaire, sur la vie de ce
«monstre » financier.
A terme Thierry Bernard prévoit une version où les sphères s’entre-dévorent, comme par phagocytose, lorsque les entreprises fusionnent : le ballet
sanglant des acquisitions, absorptions, et autres liquidations.
1. 3 Esthétique de l’information
Listening Post - Mark Hansen et Ben Rubin, 2003
http://www.earstudio.com/projects/listeningpost.html
1.3
Listening Post - Mark Hansen et Ben Rubin
Dans une pièce sombre, 231 écrans accrochés à un filet tendu en forme d’hémisphère affichent leurs textes en caractères lumineux. Huit hautparleurs et deux subwoofers déversent des voix synthétiques sur fond musical qui, parallèlement aux lignes de texte paraissant sur les diodes
luminescentes, lisent les contenus de milliers de pages de chatrooms et de forums. Plusieurs ordinateurs filtrent ces pages dans les énormes quantités
de textes du web et les classent par catégories ou par registres de formules linguistiques. Progressivement, les messages regroupés par scènes
thématiques s’affichent sur les moniteurs et leurs énoncés sonores emplissent la pièce.
Listening Post donne à voir et à entendre l’Internet de manière minimale et émouvante. L’interaction n’a pas lieu physiquement dans l’exposition mais
dans le processus entre la recherche de tel ou tel type de textes en temps réel dans les «chats» et forums en ligne et leur transformation en son et en
images. L’algorithme de l’ordinateur recherche quotidiennement des formules archétypales de type «I’am», «I like», «Il live in», «I’m looking for», ou des
récurrences de mots-clés. Ce chant de l’Internet est un collage en mouvement où se juxtaposent commentaires de l’actualité, expressions intimes et
stéréotypes de communication formelle.
«Listening Post» est une sorte de station d’écoute multimédia qui matérialise l’incroyable volume de la communication immatérielle et qui permet de
l’appréhender par l’expérience subjective. Si le monde entier se gargarise de communication globale, cette installation en dévoile le négatif avec un
soupçon de mélancolie : internet est aussi un vaste choral de solitudes.
2 La vie artificielle
Dans les années 40, Norbert Wiener, le théoricien de la cybernétique définissait les trois concepts fondateurs de tout organisme vivant que sont
la communication, le feed-back et le contrôle et établissait un parallèle quasi-ontologique avec le fonctionnement des systèmes informatiques.
Les concepts d’information et de feed-back comme principes organisateurs de vie sont également liés à la théorie de la «mémétique» de
Richard Dawkins. Ce zoologiste anglais, qui prolongea dans les années 70 les thèses de Darwin en une théorie du Gène égoïste, inventa le
concept de «mème» : à l’instar des gènes qui se servent des corps comme véhicules pour se perpétuer eux-mêmes, les «mèmes» sont des unités
d’information qui se propagent de cerveau en cerveau par un phénomène d’imitation et qui constituent le moteur de l’évolution sociale et
culturelle.
Ces théories intéressent particulièrement les artistes qui explorent la vie artificielle. Les formes de vie qu’ils développent sont essentiellement
constituées d’informations numériques, que ce soit des textes, des images ou des processus de communication. La plupart de ces projets
reposent précisément sur les caractéristiques même de la technologie numérique : la possibilité de traduire et de reproduire des données à l’infini,
selon des combinaisons diverses, des programmes comportementaux, et en fonction de variables spécifiées par l’interaction des visiteurs.
On ne compte plus les oeuvres numériques qui consistent à proposer des écosystèmes d’organismes virtuels, au point qu’aujourd’hui ce motif
de recherche est presque devenu un poncif du genre. Les formes proposées sont souvent inspirées d’une hybridation des règnes végétaux,
animaux et cellulaires, et sont engagés dans des processus de génération, de reproduction, de survie et de mutation, de dégénérescence et de
mort, simulant ainsi les mécanismes bio-génétiques de l’évolution. Parmi ces très nombreux projets, apparus depuis une quinzaine d’années sur
la scène numérique, l’installation A-Volve, de Christa Sommerer et de Laurent Mignonneau, sans doute une des toutes premières à fonder ce
paradigme, reste une des plus élégantes dans l’usage de son interface aquatique.
2.1 Vie artificielle
A-Volve
Christa Sommerer & Laurent Mignonneau, 1994
http://www.mic.atr.co.jp/~christa/WORKS/index.html
2.1
A-Volve. Christa Sommerer et Laurent Mignonneau, 1994
Dans leur installation A-Volve (1994), les visiteurs peuvent interagir avec des créatures artificielles qui vivent, se reproduisent et évoluent
dans un bassin rempli d’eau. Les visiteurs doivent d’abord dessiner avec les doigts une forme profilée sur un écran tactile qui se trouve à
proximité du bassin, afin de faire «naître» une créature virtuelle en trois dimensions dans le bassin rempli d’eau (au moyen d’une vidéo-rétroprojection sur un écran couvert d’eau).
Ces créatures artificielles ont un comportement d’êtres « vivants « et donnent l’impression de nager dans l’eau réelle du bassin. Les
mouvements et le comportement de ces créatures sont décidés en fonction de leurs formes, issues du dessin de l’interacteur sur l’écran
tactile.
La survie des créatures est liée à leur capacité à se déplacer dans l’espace du bassin, en nageant. La créature la plus performante survivra le
plus longtemps, en étant capable de chasser d’autres créatures moins performantes, en essayant de les attraper et de s’en nourrir, puis de se
reproduire avec une autre parmi les créatures les plus performantes du bassin. Lorsque ces deux créatures se rencontrent, elles peuvent
s’accoupler pour donner naissance à une nouvelle créature. Non seulement les créatures interagissent les unes avec les autres, mais elles
réagissent également aux mains des visiteurs, plongées dans l’eau du bassin. On peut donc attraper, protéger ou aider les créatures à se
rencontrer.
A-Volve transpose les règles de l’évolution des espèces dans un écosystème virtuel tout en liant les règles de celui-ci à la création et à la
décision humaine, nous rappelant ainsi la complexité de toute forme de vie et notre inter-dépendance à notre milieu.
2. 1 Vie artificielle
A-Volve
Christa Sommerer & Laurent Mignonneau, 1994
http://www.mic.atr.co.jp/~christa/WORKS/index.html
2. 2 Vie artificielle
Autopoiesis - Ken Rinaldo, 2000-2005
http://kenrinaldo.com
2.2
Ken Rinaldo, Autopoiesis
Autopoiesis, qui peut être traduit du latin par «auto-production» ou capacité de s’auto-réaliser, est une installation interactive comprenant 15 bras
robotiques et musicaux, capables de comportements évolutifs en fonction de la rétro-action et de l’interaction des visiteurs, mais également en
fonction de rétroactions mutuelles entre les bras, tous reliés ensemble par une programme informatique de commande inspiré des systèmes
neuronaux.
Chacun des bras est muni de diodes luminescentes qui clignotent en fonction de ce que les bras «voient», et des données qu’ils reçoivent et
traitent. Les bras ont un comportement «émotionnel» relatif à la présence et à l’activité des visiteurs parmi eux. Ils peuvent s’approcher des corps
des visiteurs, sembler les renifler un instant, puis s’en écarter comme dans un mouvement de peur ou de répulsion.
Ils s’expriment également par le biais de tonalités téléphoniques, dont les variations expriment des états émotionnels : des tonalités aïgues et
rapides expriment la peur, des tonalités graves et plus délibérées expriment la relaxation et la confiance dans le jeu de l’interaction. D’autres
tonalités donnent l’impression que les machines sifflotent, pour elles-mêmes, ou entre elles.
Des capteurs sophistiqués (infrarouges qui détectent la présence par la chaleur des corps) informent les bras de présences physiques à proximité,
de leur nombre et de leurs mouvements, de sorte que les bras peuvent s’approcher des visiteurs, sans jamais les toucher, mais aussi chercher à les
éviter. En présence d’un grand nombre de personnes, le système commande aux bras des mouvements moins amples et moins vigoureux, alors
qu’en présence de peu de corps, ils peuvent se mouvoir davantage et de façon plus vive. Si les capteurs ne décèlent aucune présence de visiteurs,
les bras retombent en une sorte de léthargie indifférente.
Au bout de deux de ces bras, des caméras miniatures projettent ce qu’elles voient sur les murs, de sorte que le visiteur a l’impression d’être lui
aussi observé par les créatures, et de faire partie du système, ce qui renforce la rétro-action globale.
Les bras sont construits avec des branches de vigne séchées (cabernet sauvignon), qui donnent à ces robots un aspect plus rassurant, plus
«primitif» , plus biologique que si ils étaient fait de métal et de cables. Séchées, ces branches de vigne manifestent aussi une sorte de conscience
cellulaire figée dans le temps. Leurs comportements d’approche évoquent le tropisme des branches de vigne naturelles qui tendent à s’enrouler
autour d’autres branches ou des tuteurs pour chercher la chaleur du soleil, ce qu’elles font ici aussi en cherchant la chaleur des corps.
Les comportements d’autopoiesis évoluent constamment en réaction à l’environnement actif que créent les visiteurs. Cette conscience collective
artificielle des robots se manifeste sous la forme d’un “ballet cybernétique de l’expérience où l’ordinateur-machine et l’observateur participant
exécutent la grande danse de la captation et de l’évolution mutuelle”.
2. 2 Vie artificielle
Autopoïesis - Ken Rinaldo, 2000-2005
3. Art biotech
Genesis - Eduardo Kac, 1999
http://www.ekac.org/geninfo2.html
3. Art Biotech
L’étude et la simulation des systèmes vivants à l’heure de la cybernétique et de la manipulation génétique ne peut qu’encourager les artistes à
s’emparer des questions que soulèvent la bio-ingénierie, certains avec une attitude critique, d’autres en se livrant à des expérimentations sur le vivant
: l’art biotech est lancé.
Eduardo KAC, qui s’est illustré médiatiquement en 2000 avec la création d’un lapin génétiquement modifié dont le pelage était vert fluorescent
(GFP Bunny), a également crée une installation interactive et transgénique, Genesis, dont la portée critique est largement plus intéressante.
Pour cette oeuvre, Eduardo Kac a crée un gène artificiel. Il a fait traduire en morse cette phrase de la Genèse, où, sous forme d’injonction à
l’homme, Dieu proclame «Que l’homme domine les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur la terre». Puis il a
converti ce code morse en paire de bases nucléïques d’ADN. Le gène ainsi obtenu a été exprimé dans la bactérie E.Coli.
Les bactéries sont mises en culture dans une boite de Petri, et par le truchement d’une interface dans la galerie et d’un site internet, visiteurs et
internautes à distance peuvent faire muter la bactérie en allumant ou en éteignant un lampe UV positionnée au dessus de la culture : La protéine
fluorescente de la bactérie réagit à la lumière UV en émettant de la lumière visible, cyan ou jaune. Le choc énergétique de la lumière UV sur la
bactérie rompt la séquence d’ADN, augmentant le taux de mutation. Un projecteur vidéo relié à une caméra de microscope projette au mur une
image agrandie de la division bactérienne et de la mutation produite par l’interaction du public.
De grands textes sont projetés de part et d’autre de l’installation : la phrase de la genèse d’un côté, et sa traduction génétique de l’autre. Une
musique synthétique, générée en direct par l’évolution du processus, est diffusée dans l’installation. Le tout se trouve dans une enceinte de
protection contre les ultraviolets, rendant ainsi la bactérie inoffensive pour les visiteurs de la galerie.
Eduardo Kac :
«J’ai choisi cette phrase de la Genèse car elle fonde la notion douteuse, mais sanctionnée par Dieu, de la suprématie de l’homme sur la nature. Le
code Morse, lui, représente l’aube de l’âge de l’information, la genèse de la communication globale. Ce gène a été transféré à des bactéries, qui sont
exposées. Les participants peuvent déclencher depuis le Web l’allumage d’une lampe à ultra-violets dans la galerie, ce qui provoque des mutations
chez les bactéries. Après l’exposition, leur ADN est séquencé et le gène retraduit en Morse, et des mutations peuvent avoir altéré la phrase biblique
originale. Dans ce travail, la possibilité de modifier cette phrase a une portée symbolique : cela signifie que nous n’acceptons pas son message dans
sa forme originale, et que de nouveaux sens émergent alors que nous cherchons à la modifier.»
4 . Interfaces corporelles
Le corps, en tant que surface sensible et d’échanges, est la première interface entre le sujet et le monde. L’art numérique, qui est un art de
l’interface, a d’emblée placé le corps à l’articulation de ses recherches sur le dialogisme entre homme et machine, entre sujet et système.
On ne compte plus le nombre de projets interactifs fondés sur la capture de mouvement qui permettent d’animer des formes picturales ou sonores,
ou encore des avatars corporels. Que ce soit dans le cadre de spectacles vivants ou d’installations, et quel que soit par ailleurs le degré de
sophistication du système de programmation et d’interaction, ces oeuvres fondées sur des échanges kinesthésiques en miroir ne dépassent guère
une dimension récréative.
Voici deux exemples, presque paradigmatiques de ce type d’oeuvres interactives qui se fondent sur l’échange kinesthésique.
4.1 Interface corporelle
Viens danser - Catherine Langlade, 2005 .
http://www.lesiteducube.com/atelier/catherinelanglade-viensdanser.html
4.1
Viens danser - Catherine Langlade
Viens danser est une “Installation chorégraphique comportementale interactive» pour danseur solo ou spectateur lambda, qui peut donc se
décliner sous forme d’installation ou de dispositif scénographique. L’image de la personne qui entre dans l’aire d’interaction est captée par une
caméra et transmise à un ordinateur qui en analyse la silhouette, la décompose en un schéma corporel, en traduit les mouvements, les dynamiques
et les orientations spatiales et reconstitue ces données sous les aspects d’une forme hydrozoaire souple, pouvant évoquer quelque schématique
dragon.
Cette représentation graphique et organique du corps du spectateur permet de lever les inhibitions sociales ou personnelles que pourraient
provoquer l’image de soi.
Cette forme dynamique évolue au milieu d’une centaine d’entités évoquant un milieu marin, entre méduses et anémones de mer. Elles forment
comme un corps de ballet changeant d’état selon le comportement du spectateur, dansant autour la forme-avatar, réagissant à ses mouvements,
leurs vitesses et leur synchronisme, pour en faire une interprétation de la qualité de son geste et de sa présence.
La variété des réponses visuelles de l’installation permet une véritable sophistication des mouvements du spectateur. En effet, l’exploitation
différentielle par le sytsème de capture des mouvements des bras, de la tête et des pieds déclenchent des graphismes particuliers à chacune de ces
polarités.
Ce feed-back adapté permet au spectateur de mieux comprendre sa propre kinesthésie, fondée pour l’artiste sur l’expérience du décentrement
qu’elle a elle-même appris auprès d’Alwin Nikolaïs. Lorsque la caméra détecte une prédominance d’activité sur l’une ou l’autre des extrémités du
corps du spectateur (pieds, mains, tête), le dragon, fait de virgules rouges, s’anime en réaction, selon des modalités de «plié-extension».
Le choix de figurer les dynamiques corporelles par des méduses est fondé sur une référence volontaire à leur motricité propre, qui résulte d’une
fonction organique vitale (leurs ombelles, en ondulant, filtrent l’eau dont elles tirent nourriture et oxygène), rappelant ainsi l’origine vitale de tout
mouvement.
4. 2 Interface corporelle
RUN MOTHERFUCKER RUN - Marnix Denijs, 2001/2004
http://www.marnixdenijs.nl/rmr.htm
4.2
RUN MOTHERFUCKER RUN - Marnix Denijs, 2001/2004
RMR est une installation interactive qui invite à une course nocturne, ou une fuite dramatique dans un paysage urbain désert, sinistre et
angoissant.
Le visiteur monte sur le tapis roulant qui fait face à une énorme vidéoprojection d’un travelling avant en 3D dans une métropole qui paraît
désaffectée, spectrale. Poursuivi ou poursuivant, le visiteur doit courir pour animer le mouvement de caméra , et le voilà devenu protagoniste d’une
fuite éperdue dans un polar angoissé.
A vitesse relative, la distance courue sur le tapis est la même que celle que le coureur couvrirait dans la ville virtuelle projetée devant lui. En
accélérant son allure, il accélère le défilement du tapis et la vitesse de progression du travelling à l’écran. En fonction de ses déplacements latéraux,
il progresse dans l’espace en choisissant de nouvelles situations géographiques.
La vitesse du tapis est variable entre 0 et 30 km/h. Elle accompagne les variations de vitesse du coureur mais peut également les devancer pour
l’entraîner dans une course folle. L’image n’apparaît que si le coureur est en mouvement, elle disparaît lorsqu’il s’arrête, et elle n’atteint son niveau
maximal d’intensité que si le coureur va suffisamment vite.
L’installation contraint donc le public à un effort physique pour intégrer la fiction dont il devient à la fois le sujet et le moteur, le ressort
dramatique et le ressort mécanique.
4.3 Interface corporelle
BODY SPIN +++ - Time‘s up , 2000-2006
http://www.timesup.org
4.3
Les technologies issues des recherches en neurosciences touchent des domaines phénoménologiques qui sont le terreau même de l’art : en effet,
les processus en action comme penser, percevoir, sentir et s’émouvoir ne sont pas seulement les supports de la pratique artistique, ils en sont aussi
sa visée et sa finalité heuristique. C’est pourquoi, dans le domaine de l’interaction corporelle, les oeuvres les plus ambitieuses sont celles qui font du
corps le lieu même de l’échange dialogique, grâce à des systèmes de bio-feed back qui permettent au corps, en tant que système organique intercommunicant, en tant que milieu dans un milieu, d’être directement impliqué dans l’expérience sensible.
Time ‘s up - Body SPIN
Body SPIN est une sphère translucide de 3 mètres de diamètre soutenue par des systèmes de roulements qui lui permettent de tourner dans toutes les
directions, sous les pas du visiteur qui pénètre à l’intérieur. Sur les parois de la sphère sont projetées des images d’univers virtuels qui immergent
intégralement le corps du visiteur. Leurs perspectives et leurs axes se modifient selon la position du corps.
Le visiteur est équipé de capteurs de tension musculaire, de fréquence respiratoire, de pression artérielle et d’activité cérébrale. Les données
recueillies sont traduites en divers effets de modification des univers virtuels dans lesquels il évolue. Une série d’environnements supposant des
comportements spécifiques pour une bonne progression en leur sein, amène le visiteur à faire l’apprentissage de conditionnements bio-mécaniques
pour rendre son corps «compétent» devant chaque situation. Le visiteur doit ainsi apprendre à contrôler ses émotions et ses fonctions organiques afin de
trouver une «harmonie» avec le milieu dans lequel il évolue.
Divers scénarios se suivent dans Body Spin +++ :
Pulse race est un tunnel dont la sortie recule à chaque battement de coeur, la distance de recul étant proportionnelle à la cadence cardiaque. Vous
devez apprendre à tempérer votre pouls si vous voulez atteindre le bout du tunnel.
Le labyrinthe cérébral, ou Brain Maze, se complexifie en fonction de votre niveau de stress. Ainsi la sortie la plus rapide ne tient pas à un maximum de
tentatives dans un laps de temps le plus court, elle suppose au contraire un état de conscience alerte mais calme.
Un bon surf respiratoire sur un océan virtuel exige le contrôle de votre souffle : une respiration profonde et calme augmente la taille et la longueur des
vagues qui vous ramèneront souplement sur la plage. Une respiration courte ou haletante vous laissera barbotter dans les vagues permanentes d’un
océan infini.
Cette oeuvre de réalité virtuelle est sans doute une des plus achevées du genre, qui compte encore aujourd’hui peu de réalisations convaincantes.
D’abord parce que le corps, bien qu’encore appareillé de capteurs, conserve sa liberté de mouvements, et que l’immersion visuelle et sonore se passe
de prothèses encombrantes.
Ensuite par que le corps tout entier est sollicité, non seulement dans ses fonctions perceptives et motrices, mais aussi et surtout dans son expression
énergétique et émotionnelle, pour interagir avec son environnement. Dans le cas d’une telle sphère cosmogonique, plutôt que d’environnement ou de
milieu, on pourrait même parler d’une matrice qui exige de son hôte une symbiose fusionnelle, en vue de réguler une entente organique.
Plutôt que de réalité virtuelle, le collectif auteur de Body Spin préfère d’ailleurs parler de réalité inversée, soulignant ainsi que la réalité n’est pas un
donné séparé de notre conscience, et que c’est le corps qui conditionne son actualisation.
4. 4 Interface corporelle
Wave UFO - Mariko Mori, 2003
http://www.publicartfund.org/pafweb/projects/03/mori_s03.html
4.4
Mariko Mori « wave UFO »
« Wave UFO » est une capsule pénétrable, dont la forme ovoïde, ou en goutte d’eau, et l’aspect nacré évoquent un véhicule matriciel et
futuriste. Ses dimensions ont d’ailleurs été conçues d’après celles du corps d’un baleine.
«Wave UFO» a pour fonction de capter et de projeter en formes colorées les ondes cérébrales des participants sur ses parois intérieures.
Munis d’électrodes sur la tête, trois personnes peuvent s’installer confortablement dans la capsule. Le système lit les ondes cérébrales et les
traduit en temps réel par des gammes complexes de formes cellulaires : les ondes Alpha, représentées en bleu, témoignent d’un état de
relaxation, les ondes Beta, figurées en rose indiquent l’action des mécanismes de l’attention, et les ondes Theta apparaissant en jaune
signifient que le sujet a atteint l’état de songes irréels. Par ailleurs, six cellules biomorphes représentant par paires les lobes droit et gauche
des cerveaux peuvent fusionner lorsque le sujet atteint un état de relaxation proche de la méditation telle qu’elle est pratiquée par exemple
dans le boudhisme.
La perception des métamorphoses colorées qui traduisent l’état énergétique de son cerveau provoquent immanquablement chez le sujet des
réactions émotionnelles induites par ce qu’il observe de son propre «état d’âme» : réactions plus ou moins conscientes de contrôle, de
résistance ou d’abandon. Cette nouvelle activité cérébrale est immédiatement traduite en formes visibles.
Cet instant de bio-feedback inclut dans le circuit neuronal global de l’expérience non seulement l’expérience subjective de chaque
participant, mais également l’interrelation entre ceux-ci. En effet, la répartition spatiale des formes projetées permet à chaque participant de
connaître l’état d’activité cérébrale des deux autres. Ceux-ci peuvent donc entrer par exemple dans une compétition pour exprimer une
activité cérébrale dominante ou au contraire tenter d’accorder leurs ondes dans une sorte de méditation collective.
Mariko Mori réussit avec cette oeuvre d’un onirisme “réalisé” un double pari : celui de mettre les technologies les plus avancées au service
d’une haute expérience de spiritualité, mais aussi celui de mettre en oeuvre dans un circuit rétro-actif «intelligent» entre l’homme et la
machine une exploration inédite des fondements même de la phénoménologie de la perception. Cette expérience de la rétro-action
neuronale, qu’elle soit vécue consciemment ou non, nous permet en effet de jouer dans l’intimité de nos propres organes de saisie et de
traitement du réel, seuls devant le miroir de notre pensée, ou ensembles dans l’écho rendu palpable de la pensée collective.
5
L’image hors cadre
Quant il s’agit de faire éclater la dimension plane et rectangulaire de l’écran, qu’il s’agisse de l’écran du moniteur ou de celui de la vidéo-projection,
l’inventivité des artistes ne connaît pas de limite. Mais une image projetée sur un volume complexe, sur une matière séduisante ou selon des
procédés inattendus peut rester un caprice formel si le choix de ses modalités plastiques n’est pas fondé sur un projet d’intention globale. En effet, si
l’on considère, avec Mac Luhan, que le message est le médium, on identifiera une tentative de délocalisation de l’image comme un geste artistique
accompli si la forme, la matière et les procédés choisis ont avec le contenu de l’image et son message une connivence formelle et conceptuelle
étroite : où la forme participe du fond.
A titre d’exemple de ces réussites, voici quelques pièces où la dimension plastique de l’image participe pleinement du contenu de l’oeuvre:
5.1 Images hors cadre
Tony Oursler
http://tonyoursler.com
5.1
Tony Oursler
Depuis ses débuts Tony Ourlser travaille sur l’identité humaine mise à mal par le monde contemporain. Ses oeuvres sont d’une grande variété
formelle mais sont toujours restées fidèles à une forte dimension théâtrale et à une mise à l’épreuve incessante du corps, qu’il a réduit, fragmenté,
désintégré, recomposé, en faisant de la poupée vidéo la figure centrale et significative de son art.
Le motif le plus fréquent de son oeuvre est celui de la poupée de chiffon, dont le visage ovoïde supporte la projection vidéo d’un visage se perdant
en en diatribes théâtrales sur lui-même, son identité disloquée, en lamentations psychologiques, sexuelles, politiques ou morales. La démesure de
l’échelle du visage par rapport au corps de la poupée, la mise en scène souvent grotesque des situations, la fragmentation du corps en éléments
singulièrement expressifs (des yeux, des bouches, des fragments de grimaces) donnent au travail d’Oursler une force tragi-comique flirtant avec
l’absurde : l’humour comme politesse du désespoir.
Depuis une quinzaine d’années Oursler a intégré à son théâtre des formes plus abstraites mais néanmoins toujours aussi expressives, et en a
surtout élargi les dimensions à des créations paysagères ou architecturales.
Là encore, l’image projetée sur un objet, une forme tridimensionnelle, ou encore à la mesure d’un bâtiment ou d’un paysage, a une qualité
d’apparition spectrale et amplifie cette puissance propre au théâtre de marionnettes de faire surgir la vie de toute objet.
5.2 Images hors cadre
Ebb - Amy Jenkins, 1996
http://www.amyjenkins.net/
5.2
Amy jenkins : Ebb.
Dans un registre encore une fois assez théâtral, L’installation Ebb est un dispositif qui consiste à projeter à la surface d’une maquette de baignoire
un film qui a été lui-même tourné dans une baignoire, selon un point de vue zénithal qui correspond à celui du public dans l’installation, et avec une
réduction d’échelle qui fait coïncider l’image sur l’objet.
Dans une sorte de rite de purification, une femme (l’artiste elle-même) entre dans un bain rouge sang, et le sang reflue petit à petit dans son corps,
à l’inverse du flux menstruel.
5.3 Images hors cadre
Mona Hatoum - Corps étranger
5.3
Mona Hatoum - Corps étranger
Corps étranger consiste en une sorte de cabine cylindrique dans laquelle on doit entrer pour regarder l’œuvre. Sur le sol de la cabine, il y un écran
rond sur lequel sont projetées des images agrandies de la surface et de l’intérieur du corps de l’artiste.
On peut suivre les mouvements d’une caméra endoscopique qui tantôt effleure la peau et tantôt pénètre les orifices, comme l’anus et le vagin, pour
filmer l’intérieur du corps. Les mouvements de la caméra sont accompagnés par le bruit amplifié de la respiration et de la pulsation cardiaque de
l’artiste : tant que la caméra reste en dehors du corps, on entend le son de la respiration, dès qu’elle y entre, on entend le battement du cœur.
De ce fait, le spectateur qui se trouve dans la cabine assez étroite, ne pouvant guère éviter de marcher sur l’écran, peut se sentir comme absorbé
dans le corps de l’artiste. Il est pris dans un «cercle étrangement intime», entre l’extériorité et l’intériorité d’un corps que le dispositif de projection
l’oblige à pénétrer et à piétiner.
5.4 Images hors cadre
Michal Rovner
The Well, 2004
Tablets, 2004
Cabinet Stones, 2004-2005
5.4
Michal Rovner - Jeu de Paume 2005
The Well, 2004
Un puits creusé dans une pierre massive, et dont le fond est occupé par un écran à cristaux liquides, montre l’image d’une foule humaine en
mouvement, prisonnière d’un motif en évolution constante, passant par des états de coagulation et de grouillement, des dynamiques centrifuges,
des formes de fuites circulaires ou de danses cycliques. Les corps sont rouges et faits d’une texture qui évoque le sang ou quelque métal en
fusion. The Well propose de se pencher sur une représentation «souterraine» de la vie humaine en temps que phénomène de grégarité et
d’organicité sociale. Une figure archétypale de l’espèce, à la croisée du récit originel et de la menace technologique.
Cabinet Stones, 2004-2005
Derrière des vitrines de facture très muséale, telles des vestiges archéologiques, sont présentées des pierres du désert dont la surface aplanie
est couverte de signes, et qui semblent avoir été gravés et usés par le temps. En s’approchant des vitrines, ce qui paraissait un texte gravé
s’avère en fait une projection vidéo : le regard balaie les caractères bâtons, minutieusement alignés, venant du fond des âges, et bientôt perçoit,
étonné, que cette écriture, dans une langue aussi inconnue qu’improbable, est vivante. Ces signes sont des homoncules debouts, vus de face ou
de profil, qui, dans des mouvements d’ensemble, glissent latéralement, puis reprennent position, ou sautillent sur place, se baissent et se lèvent,
ou encore lancent des signaux indéterminés, entre salut et détresse.
Tablets, 2004
Les deux pierres rectangulaires posées comme une double page sur le sable et visibles depuis une plateforme surélevée, sont parcourues de
figures alignées quadrillant leur surface, selon le même principe que les pierres des Cabinet Stones. Les silhouettes lilliputiennes qui les animent
alternent la marche et la prosternation. sont mues de mouvements semblables, de part et d’autre de la séparation, avec une légère
désynchronisation, un camp suivant l’autre, identiques et dissemblables, hypnotiques, tout occupés à occuper la surface de leur réceptacle. Là
encore, la référence à l’archaïsme — on pense aux tables de la loi comme à des processions religieuses, voire des colonies d’exilés — dénote
avec l’extrême sophistication de la technologie moderne.
Ces effets surprenants sont obtenus par un traitement réducteur et démultiplicateur de l’image vidéo, qui bouleverse la perception. Transformer
ainsi la silhouette humaine en signes scripturaux, entre caractères cunéiformes ou pictogrammes chinois, entre bâtonnets chromosomiques
et signes mathématiques, les coucher sur des pierres, des murs, ou des cahiers, ou les métaboliser en grouillements biologiques, rappellent
l’humanité à son fond commun, fait d’animalité et de culture.
La superposition d’une technologie récente à des matières minérales (dont certaines passent pour des vestiges archéologiques), parce qu’elle
articule des temporalités incompatibles, insiste sur la dimension an-historique de ces figures de l’humanité que sont l’écriture et la représentation
du corps.
5. 5 Images hors cadre
Electronic shadows
3 minutes 2, 2004
http://www.electronicshadow.com/
H2O, 2004
5.5
Electronic shadows
3 minutes2 est un dispositif qui met en scène une unité d’habitation extrêmement réduite. Cet espace a la particularité de s’étendre bien au-delà de ses
limites physiques par le biais de l’image dont il est la surface de projection. Ainsi ce volume se démultiplie en autant de fonctions qui sont décrites dans le
scénario d’utilisation de cet espace de vie.
En effet, l’espace se reconfigure en permanence en fonction des activités de son habitant et se définit également dans la temporalité. Le scénario
présente la compression en quelques minutes des principales activités et fonctions contenues dans l’habitat et qui correspondent au quotidien de son
habitant, manger, dormir, travailler, etc.
Cet espace est une coquille vide qui prend vie au contact de l’image. L’image n’est pas ici un support de représentation mais la condition essentielle
de l’espace dont il dessine tout autant les contours que le contenu. Les objets sont dématérialisés rendus à l’état de pixels, les interfaces virtuelles
coexistent avec la représentation des objets et des fonctions « réelles » qu’elles proposent.
L’habitant lui-même est contenu dans l’image, représenté sous forme de silhouette. Cette ombre qui représente la projection d’un individu neutre dans cet
habitat est le centre névralgique du dispositif, l’habitat se construisant autour de lui comme un cocon, une extension plus culturelle que naturelle. Ainsi
l’habitat devient un personnage à part entière, un double, un écrin.
H2O, 2004
!
L’espace est composée d’un bassin de 5m de long, d’une série de murs dont un grand miroir et d’éléments de mobilier qui sont animés et
transformés en permanence par le biais de l’image. Ces images mettent en scène un personnage, une silhouette de femme, qui vit dans cet espace et le
transforme par sa gestuelle. L’espace devient tour à tour différents décors : une salle de bain, une plage, une piscine, une terrasse sur la mer, etc...
!
Les visiteurs peuvent interagir dans cette scène, qui est à leur échelle et dans laquelle ils sont déjà totalement immergés, par l’intermédiaire d’une
surface animée au sol. Lorsqu’il se place sur ce tapis interactif, l’ombre du visiteur se projette dans la scène et un second personnage, la silhouette d’un
homme, entre à son tour dans la scène, sans perturber les actions du premier personnage.
En fonction de l’endroit où l’on se place, la perception est différente et l’animation fait qu’on peut regarder l’ensemble de la scène plusieurs fois en
découvrant à chaque fois de nouveaux éléments. L’espace est démultiplié par l’image et l’image par l’espace. Ce dispositif fait totalement sortir l’image de
l’écran pour la faire fusionner avec l’espace scénographique, les deux étant conçus de concert. !
!
!
Le contenu narratif de l’installation est une référence au roman de l’écrivain argentin Adolfo Bioy Casares, l’invention de Morel, qui traite d’une
machine permettant de créer des sortes d’images virtuelles de personnes pour les faire vivre en boucle pour l’éternité. Les deux personnages de H2o vivent
également leur cycle en boucle, le second n’apparaissant que par la présence d’un visiteur sur une surface interactive, le visiteur ne voyant alors la scène
qu’à travers le miroir disposé dans l’installation.
6. 1 Nouvelles interfaces
The golden calf - Jeffrey Shaw
http://www.jeffrey-shaw.net
6. Nouvelles interfaces
!
En terme d’usage et d’interrogation sur les pertinences de l’interface, la pièce de Jeffrey Shaw, the Golden Leaf, reste, malgré son âge avancé
(1994), une proposition dont l’intelligence critique est indépassable.
6.1
!
Jeffrey Shaw - Le veau d’or (the golden calf)
!
Cette pièce est constituée d’un piédestal blanc sur lequel se trouve un écran couleur LCD portable relié à un ordinateur caché dans le
piédestal. L’écran que le spectateur peut soulever du piédestal présente l’image tridimensionnelle d’une statuette de veau d’or posée sur le piedestal.
!
Cette image est générée en temps réel par l’ordinateur qui la présente à une échelle et selon les axes de point de vue qui correspondent à la
situation spatiale de l’écran manipulé par le spectateur. L’écran fonctionne donc comme un cadre qui présenterait un objet virtuel tel qu’on pourrait le
voir dans l’espace réel.
!
Le veau d’or a une surface miroitante dans laquelle le spectateur voit évoluer les reflets de l’espace réel de l’installation, grâce à des
photographies de la pièce numérisées auparavant et «mappées» sur le corps du veau.
Avec ce veau d’or, le corps n’est plus un objet physique mais l’hypostase d’un processus de révélation. En déplaçant le moniteur autour du
piédestal pour contempler une absence, le visiteur exécute ce qui ressemble à une danse cérémoniale autour d’une idole technologique absente,
un phantasme rendu tangible.
!
6.2 Nouvelles interfaces
Guilt - Gary Hill, 2006
http://www.fondation.cartier.fr
6.2
Gary Hill, Guilt
Présentée en ce moment à la fondation Cartier, Guilt est une installation dans laquelle cinq lunettes astronomiques sont braquées sur des pièces
d’or fin (24 carats) présentées à quelques mètres de ces lunettes sur des supports tournants. Telles des loupes, les lunettes astronomiques permettent
de voir en très gros plan, magnifiées à outrance, ces pièces d’or véritable qui tournent lentement sur elles-mêmes.
Sur les pièces sont gravées des détails du corps de l’artiste dans des situation d’auto-agression : il se frappe le visage à coups de poing, ou se
flagelle le dos avec une branche de laurier (l’insigne impérial romain !). Ces autoportraits en artiste châtié sont par ailleurs couronnés de maximes
latines ou anglaises en forme d’injonctions adressées à la conscience individuelle, forcément coupable, de l’artiste et de son spectateur : «l’art est un
corps sans valeur», «acte coupable, conscience coupable», «le monde veut être dupé, donc il l’est», etc.
Cinq enceintes ultra-focalisantes diffusent à l’aplomb de chaque lunette un filet sonore qui vous rentre littéralement dans la tête quand vous vous
approchez des lunettes pour regarder dedans. La voix de l’artiste s’insinue ainsi dans votre conscience pour y proférer des injures et des
récriminations envers lui-même. Cependant, la forme vocative utilisée vous désigne également comme coupable.
Le titre Guilt (coupable) peut se lire comme une autocritique sur le statut de l’artiste, sur la légitimité de sa parole et la complicité aveuglée du public.
Son visage et son corps malmenés, dont les effigies ornent les pièces d’or, sont partout dans l’espace les points de fuite d’une oeuvre qui convoque
une dimension cosmogonique (les lunettes astronomiques) pour se recentrer sur le corps de l’artiste, surexposé, survalorisé.
Les échelles de valeur (valeur de l’art, de l’artiste et de son message subjectif) entrent ici en collusion avec les échelles du regard (des lunettes
astronomiques pour magnifier un objet de petite taille mais de grande valeur, aussi brillant et inaccessible qu’une étoile, ou que le prix de l’or).
Dans ce travail, c’est véritablement l’interface de la lunette astronomique qui articule le sens de l’oeuvre. Tout en se faisant le relais du regard, elle lui
apporte toutes ses déterminations signifiantes : l’objet visé est à la fois inaccessible et proche, sa valeur financière est réelle mais sa valeur éthique est
discutée par le simple fait de magnifier l’artiste comme une «star».
La ligne de focalisation du regard, sur laquelle court métaphoriquement et littéralement toute une série de problèmes d’appréciation, est redoublée
physiquement par la focalisation du son, dont l’effet est saisissant. Au moyen d’une technique de focalisation sonore particulièrement convaincante
(flat phone ?), la voix de l’auteur, perceptible comme un murmure dans l’espace, vous fore littéralement la tête lorsque vous êtes à l’aplomb de
l‘enceinte, pour s’insinuer dans votre conscience.
6. 3 Nouvelles interfaces, appareils mobiles
Speaker’s corner - Jaap de Jonge
http://www.speakerscorner.org.uk/
Meridians - Jeremy Wood, 2006
http://www.gpsdrawing.com/
Colour by numbers - Erik Krikotz
http://www.colourbynumbers.org
Eyes mobile
Les yeux ouverts,
expo Fabrica,
Centre Georges
Pompidou, 2006
Agent Ruby - Lynn Herschmann
http://www.agentruby.com
http://www.fabrica.it/
6.3
Nouvelles interfaces : appareils nomades
Tous les appareils qui servent de relais de communication ou de visualisation dans le cadre d’un réseau télématique peuvent être utilisées comme
interfaces dans l’art numérique : téléphones portables, PDA, palm pilots, ou GPS...
Speaker’s corner est une ouvre de Jaap de Jonge qui consiste en un tableau d’affichage LED interactif de 15 mètres de long installé sur la
façade du Media Centre de Huddersfgield en Angleterre. N’importe qui sur la terre peut y afficher un message qu’il aura envoyé à partir de son
téléphone portable ou d’un site web dédié.
Colour by numbers est un projet de l’artiste Erik Krikotz et de l’architecte Milo Laven, qui permet, avec un simple appel depuis un téléphone
portable de colorer les fenêtres illuminées d’une ancienne tour relais de télécommunications dans le centre de Stockholm. Le choix des fenêtres à
éclairer et la variation colorimétriques à lui imputer sont extrêmement manipulables grâce à un système de gradiants par impulsion sur les touches
du téléphone.
Grace à un système GPS, l’artiste Jeremy Wood a accompli pour le projet Meridians une marche de 71 km dans Londres dont le tracé dessine le
texte suivant : «it is not down on any map. true places never are», qui est une phrase d’Hermann Melville tirée de Moby Dick.
Agent Ruby, de Lynn Herschmann, est un projet d’intelligence artificielle que l’on peut expérimenter sur le web mais également télécharger sur
PDA. Agent Ruby est un être virtuel, qui apparaît sous la forme d’un visage stylisé et animé d’expressions. Par le biais d’un programme d’échange
discursif intelligent, on peut avoir une conversation avec cet être virtuel, qui développe ses capacités cognitives et linguistiques au fur et à mesure
des «conversations» qu’elle entretient avec les internautes.
Téléchargeable sur PDA, elle peut devenir une confidente virtuelle qui peut vous accompagner partout.
Fabrica, Les yeux ouverts. Centre georges Pompidou.
Eyes mobile,
Les visiteurs de l’expo Fabrica empruntent un écran portable muni d’un casque audio à l’entrée de l’exposition. Le système, qui utilise la
technologie Bluetooth, réagit à l’installation qu’ils sont en train de regarder, afin de leur fournir des informations spécifiques et des contenus
enrichis, par simple sollicitation tactile de l’écran.
6. Nouvelles interfaces, pixels liquides
Bubble Screen - Daniel Kupfer & Eyal Burstein
http://www.digitalexperience.dk
Bubble Screen is an organic 3D display
system created at BetaTank by Daniel Kupfer
and Eyal Burstein.
The system utilizes water bubbles to create
images and text.
The display consists of a large water tank with a
row of boxes with holes in them placed on the
bottom.
Using a water pump system it is possible to
control the size and speed of the water bubbles
coming out of the holes and thereby utilize the
bubbles as pixels or moving LEDs.
Lifeblood - Stephanie Andrews
http://www.washington.edu/dxarts/profile_research.php?who=andrews&project=lifeblood
6. Nouvelles interfaces, surfaces
Splash Screen - Carl Emil Carlsen
Splash Screen is a water
video display created by
multimedia artist Carl Emil
Carlsen.
Splash Screen consists
of a machine that produces
an artificial waterfall onto
which video is projected.
http://www.digitalexperience.dk
The ever changing
surface of the water
animates the images in a
way that bring them to life
and encourage the onlooker
to touch and interact with the
water.
It is possible to think of
different applications of the
Splash Screen: from
displaying of advertisements
in stores, to the Splash
Screen functioning as a
sculpture.
6. Nouvelles interfaces, surfaces
Screen made of concrete - Innovation lab
Screen made of concrete
The screen consists of concrete with embedded optical fibres, arranged as pixels, capable of transmitting natural as well as artificial light.
The light-admission points are on the back of the screen where the fibres are positioned.
The light, or the picture, will then be displayed in pixels on the front. The light source can be a projector emitting either pictures or film footage.
In principle, the screen is capable of acting as a window since the light-absorption capabilities of the screen and the optical cables provides it with
the capacity of transmitting natural light.
http://www.youtube.com/watch?v=BKhorTDDg_c
6. Nouvelles interfaces, 3D
Sandscape - Tangible Media Group / MIT
Sand scape
The purpose of the interface is to
allow users to design and understand
landscapes through computational
simulations using sand.
Users view these simulations as they
are projected on the surface of a sand
model that represents the terrain.
They are able to alter the form of the
landscape model by manipulating the
sand while seeing the resultant effects
of computational analysis generated
and projected on the surface of the
sand in real-time.
In addition, users can choose from a
variety of different simulations that
highlight either the height, slope, contours,
shadows, drainage or aspect of the
landscape model.
http://www.digitalexperience.dk
The SandScape as a tangible
interface takes advantage of our natural
ability to understand and manipulate
physical forms while still harnessing the
power of computational simulation to help
our understanding of a model
representation.
6. Nouvelles interfaces, 3D
Holodust - Jeff Han
Computer science, New York University
Holodust is another work in
progress by Jeff Han: A true
open-air volumetric display
device, a 3D-display which can
show free-floating 3D images in
the air.
Holodust works by rapidly
sweeping an infrared laser
throughout the display space
where tiny dust-like particles are
introduced.
When the laser encounters a
particle, some light is scattered
and a photodetector senses the
particles position in the display
space.
If this position is intended to
be lit according to a predefined
3D-model, another laser, a
visible one that is in-line with the
infrared one, is quickly triggered
thereby creating a momentary
flash of light at this point in
space.
http://cs.nyu.edu/~jhan/
This process happens in
microseconds, and when
repeated rapidly it forms a
coherent 3D-image.
6. Nouvelles interfaces, 3D
Heliodisplay - IO2 Technology
Heliodisplay is a new
display technology developed by
the American company IO2
Technology.
The Heliodisplay projects
images into free space (i.e. midair).
Although the Heliodisplay
images appear to be in freespace, they are not holographic.
Rather, the Heliodisplay employs
a rear projection system in which
images are captured onto a nearly
invisible plane of transformed
air.
This projection system makes
the images seem to appear
floating in mid-air. The projected
images are two-dimensional, but
appear 3D since there is no
physical depth reference.
http://www.digitalexperience.dk
The newest version of the
Heliodisplay, the M2i Heliodisplay,
has an interactive feature built
into it, which allows the user to
interact with the projected content
using his finger, hand, pen, pencil
etc.
6. Nouvelles interfaces
architecture
http://www.spots-berlin.com/
Spots installation,
immeuble HVB, PostdamerPlatz, Berlin
6. Nouvelles interfaces, 3D
Scénographies interactives : Justin Manor / Small Design Firm
Churchill Table, 2004 - Imperial War Museum, London
Nobel Chamber, 2005 - The Nobel Peace Center, Oslo
videos : http://justinmanor.com/keygrip.html
http://www.davidsmall.com/
7. Limites (positives) de l’interactivité : l’interaction livrée aux poissons
Augmented fish reality - Ken Rinaldo, 2005
vidéo sur : http://kenrinaldo.com
31
Augmented fish reality - Ken Rinaldo
Dans cette installation sculpturale de bocaux à poissons, robotisés et montés sur roulettes, ce sont les poissons vivants dans les bocaux qui
sont les principaux interacteurs d’un système dont le but est d’explorer la communication intraspécifique (les poissons entre eux) et
interspécifique (les poissons et les humains présents dans l’installation)
Ces sculptures robotiques permettent à des poissons «combattants de Siam» mâles et femelles de se servir de matériel et de logiciels
intelligents pour déplacer leur bocal dans l’espace. Ces poissons combatifs ne sont pas seulement terriblement agressifs entre eux, ils ont
également une intelligence sociale très élaborée, qui se manifeste par la conscience d’un ordre hiérarchique au sein du groupe et par une
capacité à élaborer des stratégies collectives. Ils peuvent par exemple renoncer à leurs querelles intestines pour faire cause commune dans la
détection de prédateurs ou la recherche de proies. Au lieu de mettre les poissons dans un seul bocal et de les laisser s’étriper, l’artiste préfère
utiliser ces aquariums rotatifs pour rendre visible leurs comportements d’intimidation, de fuite, ou le cas échéant de rassemblement défensif.
Chaque bocal est muni de capteurs infrarouges très précis. En nageant jusqu’au bord du bocal, le poisson active des roues motorisées qui
déplacent son robot selon ses mouvements dans l’eau et son axe dorsal. Les poissons peuvent ainsi s’approcher les uns des autres, que ce soit
avec des visées agressives ou de conciliation. Le simple fait qu’un visiteur entre dans la pièce modifie également le comportement des poissons.
Mais ici, l’interaction est laissée à l’animal, et c’est lui qui choisit de s’approcher ou de fuir le visiteur, parfois au grand dam du public, qui se
sent frustré de son habituelle position de contrôle.
La conception des bocaux et des robots permet aux poissons de s’approcher les uns des autres jusqu’à 7 mm, ce qui leur assure une
communication visuelle (ces poissons sont réputés pour voir très loin hors de l’eau). Des caméras vidéos intégrés au robots captent l’intérieur du
bocal, ainsi que les humains présents dans leur axe. Les images vidéos de ces milieux sont projetées sur les murs de l’installation, ce qui donne
aux humains l’impression d’être intégrés à la vision du poisson, et ce faisant à son environnement.
« Les visiteurs de l’Ars Electronica, gâtés par de l’interactivité, seraient-ils conditionnés par cette danse où chacun peut tenir le premier rôle ?
Dans quelle mesure l’Homo Faber - visteur de l’Ars Electronica - est-il victime de sa consommation anthropocentrique d’installations artistiques ?
Il suffit de jeter quelques coups d’œil dans la salle où est installée cette « Augmented Fish Reality» pour se rendre compte que presque personne
n’est capable d’une approche contemplative de cette communication dans laquelle le spectateur, une fois n’est pas coutume, ne tient aucun rôle
principal. Au contraire, l’homme cède à un penchant humain trop humain qui le pousse à essayer, par sa présence insignifiante, de balader les
poissons comme s’ils étaient des tamagochis de Descartes ; il s’approche des parois de verre pour faire des grimaces ou des gestes, à défaut de
boutons à enfoncer. Ainsi, dans cette salle d’installation de Ken Rinaldo, c’est aussi et surtout l’observation de l’Homo Sapiens qui est un délice
cognitif.»
7. Limites (regrettables) de l’interactivité
Limites de l’interactivité :
le brouillage de l’information
et le public hébété dévoyant joyeusement l’interface
http://www.stockexchangeofvisions.org/
Stock exchange of visions
Une installation interactive qui invite les visiteurs à prendre conscience de l’avenir de la planète. A travers « Stock Exchange of Visions » le public
peut voir et entendre une série d’entretiens avec des artistes, scientifiques, sociologues et futurologues, ayant chacun une vision du futur. Sont
abordés les thèmes-clé de la culture, l’environnement, les ressources énergiques, l’économie et la société. Sur le sol aménagé comme un outil de
navigation, le visiteur peut choisir les thèmes-clé qui l’intéressent le plus. Un logiciel spécifique enregistre tous ces choix, les transforme en
graphiques et affiche le résultat en temps réel pour constituer une « bourse d’échange des visions » qui met en évidence les préoccupations
majeures pour demain. L’installation est connectée en direct à un site web où les visiteurs peuvent aussi apporter leurs idées