PakistaN: ParteNaire de sécurité et foyer de crise - CSS

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PakistaN: ParteNaire de sécurité et foyer de crise - CSS
CSS
Politique de sécurité: analyses du CSS
ETH Zurich
N° 47 • février 2009
Pakistan: partenaire de
sécurité et foyer de crise
Le Pakistan devient de plus en plus un point chaud de la politique de sécurité de l’Ouest.
Malgré l’aide militaire massive des Américains, l’État nucléaire s’est transformé en zone de
repli pour les terroristes et est devenu une menace pour la stabilité régionale. La gestion de la
crise en Afghanistan et la lutte contre le terrorisme international ne produiront pas de succès
durables tant que l’armée pakistanaise ne poursuivra les militants islamistes que de manière
sélective et que ses priorités stratégiques continueront d’être dictées par sa rivalité avec l’Inde.
Du point de vue de l’Occident, le défi central consiste à renforcer la promotion de la démocratie
au Pakistan sans pour autant affaiblir les militaires, garants de la sécurité.
(Inter-Services Intelligence) sont peu disposés à agir contre quelques-uns de ces groupements. Une fois de plus, des décideurs
importants à Islamabad gèrent un agenda
stratégique régional qui est différent de celui de Washington et qui s’aligne davantage
sur la rivalité stratégique avec l’Inde que sur
les exigences de la lutte contre le terrorisme.
Reuters 25.01.2009
Manifestation contre la première action militaire américaine dans les Régions tribales sous le président Obama.
Depuis son indépendance en 1947, le Pakistan a été à différentes reprises un important
allié de l’Ouest. La collaboration a toutefois
été souvent marquée par des attentes et des
intérêts divergents, ce qui a causé des déceptions dans les deux camps. Ainsi, durant
la guerre froide, le Pakistan s’est joint aux alliances régionales sous la houlette des ÉtatsUnis essentiellement pour se «réassurer»
contre une confrontation avec l’Inde, alors
que Washington considérait Islamabad comme un poste extérieur pour endiguer l’Union
soviétique (et par moments la Chine).
Après la fin du conflit Est-Ouest et le retrait soviétique de l’Afghanistan, Islamabad a temporairement perdu son importance stratégique pour l’Ouest. Les choses
ont toutefois changé avec les attaques du
11 septembre 2001 à la suite desquelles le
Pakistan est devenu un pays de première
ligne dans la lutte contre le terrorisme.
Les États-Unis ont levé les sanctions qu’ils
avaient prises après les essais atomiques du
Pakistan en 1998 et la prise du pouvoir par
Pervez Musharraf dans le cadre du putsch
militaire de 1999. Depuis 2001, ils ont accordé pas moins de douze milliards de dollars US à titre d’aide militaire et conféré au
pays le statut d’un allié privilégié.
Toutefois, le Pakistan n’est pas devenu un
partenaire de sécurité fiable comme souhaité, mais s’est toujours davantage transformé en menace pour la sécurité régionale
et globale. Le territoire pakistanais qui fait
frontière avec l’Afghanistan sert aujourd’hui
aux Talibans et à Al-Qaïda de zone de repli
stratégique. De même, d’autres groupements islamistes militants lancent toujours
plus souvent leurs opérations à partir de ces
régions qui ne sont pratiquement plus sous
le contrôle de l’État. Ces acteurs non étatiques déploient un effet déstabilisateur non
seulement en Afghanistan et en Inde, mais
aussi, dans des proportions croissantes, au
Pakistan même. L’une des principales raisons
de cette évolution est que des fractions de
l’armée pakistanaise et en particulier le puissant service de renseignements militaire ISI
© 2009 Center for Security Studies (CSS), ETH Zurich
Les États-Unis ont cependant reconnu la
nécessité de revoir leur stratégie à l’égard
du Pakistan jusqu’ici largement focalisée
sur l’aspect militaire, d’autant plus que leur
ancien allié principal Musharraf a progressivement perdu le soutien sur le plan de la
politique intérieure et a été contraint de se
retirer en été 2008. La question de savoir
dans quelle mesure l’Ouest doit, après la
fin du gouvernement militaire, miser sur
les forces démocratiques et le nouveau régime civil du président Zardari plutôt que
sur les militaires demeure controversée.
Priorités divergentes
Quatre facteurs ont poussé l’administration de George W. Bush à conclure un partenariat étroit de politique de sécurité avec
Islamabad. Premièrement, eu égard à sa
situation géographique, le Pakistan était et
reste une importante base opérationnelle
pour la lutte contre les Talibans et Al-Qaïda
en Afghanistan. Deuxièmement, la coopération avec cet État musulman qui est le
troisième dans le monde par sa grandeur
devrait produire un effet de signal indiquant que la «guerre globale contre le terrorisme» n’est pas dirigée contre le monde
islamique. Troisièmement, le danger de
prolifération nucléaire provenant du Pakistan est devenu manifeste avec la mise au
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Le Pakistan et ses voisins
N° 47 • février 2009
TA JI K I STA N
U Z B E KT A. J I K .
C H IN E
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AFGHANIS TAN
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Kabul
Islamabad
Ligne Durand
Province de la Frontière-du-Nord-Ouest
I R A N
PAKIS TAN
I N D E
New Delhi
Régions tribales fédéralement administrées
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grand jour du réseau d’Abdul Qadeer Khan.
La perte de contrôle de l’armée pakistamer d’Arabie
naise sur les
armes atomiques et le savoirfaire nucléaire constitue un scénario du pire
pour les États-Unis en matière de politique
de sécurité. Et quatrièmement, en s’alliant
avec le Pakistan, Bush espérait un renforcement de la stabilité dans la région. Parallèlement aux impulsions positives pour
la gestion de la crise en Afghanistan, une
détente dans les relations entre le Pakistan
et l’Inde était au centre des préoccupations.
Le fait que le Pakistan a également une
frontière commune avec l’Iran et la Chine
a probablement aussi joué un certain rôle
dans le calcul des États-Unis en termes de
stratégie régionale.
Les espoirs que les États-Unis ont placés
dans le Pakistan ont toutefois été dans
une large mesure déçus. Le Pakistan est
aujourd’hui plus un foyer de crise qu’un facteur de stabilité et représente pour l’Ouest
un défi central en matière de politique de
sécurité. Toutefois, la situation actuelle au
Pakistan en termes de politique sécuritaire
doit être considérée sous plusieurs aspects.
Ainsi, deux menaces souvent mentionnées
paraissent plutôt invraisemblables: une
prise de pouvoir par les Islamistes ne se profile pas à l’horizon. Leur progression dans les
élections parlementaires se situe à chaque
fois entre 10% et 15% seulement. L’armée,
traditionnellement l’institution la plus puissante du Pakistan, ne tolérerait guère une
révolution islamique. De ce fait, le risque de
voir les fondamentalistes islamiques prendre le contrôle des armes nucléaires pakistanaises paraît également faible.
Il serait toutefois faux de voir chez les militaires uniquement un facteur de stabilisation. Leur lutte sélective contre le terrorisme constitue tout au contraire un motif
essentiel de l’évolution du Pakistan vers la
Copyright 2009, Marion Ronca, ETH Zürich
crise et de la déstabilisation croissante de
la région. Tandis que les forces0 armées
ont
240
km
km
ces dernières années davantage marché
sur Al-Qaïda et les Talibans pakistanais,
les Talibans afghans et d’autres groupes
islamistes opérant à partir du territoire pakistanais n’ont souvent pas été inquiétés.
L’instabilité régnant dans la Province de la
Frontière du Nord-Ouest (NWFP) et dans
les Régions tribales fédéralement administrées (FATA) dans la zone frontière avec
l’Afghanistan ainsi que dans la région très
disputée du Cachemire à la frontière avec
l’Inde semble parfois même être attisée intentionnellement en particulier par le service de renseignements ISI.
Cette politique anti-terreur sélective a pour
but de maintenir ouvertes des zones de repli pour les insurgés et les terroristes qui, en
particulier en Afghanistan et au Cachemire,
mènent leur guerre asymétrique à partir
des territoires frontaliers pakistanais. Elle
recèle un objectif stratégique qui consiste
à prévenir la prise d’influence régionale
croissante de l’Inde. L’Afghanistan doit être
préservé en tant qu’État-tampon de faible
envergure afin de permettre au Pakistan de
gagner en profondeur stratégique en cas de
conflit avec New Delhi. En outre, une déstabilisation durable de l’Afghanistan permet
de contrecarrer les efforts des nationalistes
pachtounes dans l’Est de l’Afghanistan et
dans le Nord-Ouest du Pakistan qui visent à
créer un Pachtounistan indépendant ou appartenant à l’Afghanistan.
Déstabilisation régionale et au
Pakistan
L’instabilité dans les régions frontalières
avec l’Afghanistan et l’Inde a toutefois rempli son but qui était d’affaiblir Kaboul et
New Delhi, de retenir les troupes internationales en Afghanistan et ainsi de limiter
l’influence indienne dans ce pays. Elle sape
© 2009 Center for Security Studies (CSS), ETH Zurich
toutefois aussi le pouvoir de gouvernance
de la direction civile pakistanaise dans les
régions frontalières. Comme, parallèlement, l’armée a partiellement perdu son
influence sur les groupements militants
qu’elle tolérait, voire soutenait autrefois,
ces territoires sont de plus en plus marqués par un vide de pouvoir étatique.
La forte progression de la menace qui a sa
source en territoire pakistanais et qui émane des Islamistes militants ne se manifeste
pas seulement en Afghanistan, mais touche
aussi l’Inde de plus en plus. L’organisation
islamiste Lashkar-e-Toiba rendue responsable des attentats de Mumbai en novembre
2008 lutte depuis deux décennies pour l’annexion du Cachemire au Pakistan et la fondation d’un État de Dieu dans l’Asie du Sud.
Si elle a été précédemment soutenue par le
service de renseignements pakistanais ISI,
son implication dans les récents attentats
ne relève que de spéculations. Quoi qu’il en
soit, les auteurs ont probablement atteint,
du moins à court terme, leur objectif visant
à miner le processus de détente qui se dessinait entre le Pakistan et l’Inde.
Le fait que le Pakistan devient lui-même
toujours plus la cible d’attentats terroristes
est significatif en soi. Ceux-ci ne se limitent
depuis longtemps plus aux territoires frontaliers. Ainsi, en septembre 2008, quelques
heures seulement après que Zardari eût
prononcé son discours d’investiture et promis l’éradication du terrorisme, un attentat
dévastateur a été dirigé contre le Marriott
Hotel à Islamabad, qui prévoyait notamment d’atteindre le cabinet du nouveau président. Depuis 2001, ce sont plus de 2 000
personnes qui ont été victimes d’attentats
terroristes dans tout le pays. Visiblement,
le Pakistan est de plus en plus souvent pris
dans le viseur des groupes que l’armée a
jusqu’ici laissés agir pour des raisons stratégiques qui relèvent de la rivalité avec l’Inde.
La lutte pour le pouvoir entre les militaires
et les partis politiques qui est arrivée à son
point critique en 2007/08 et qui s’est traduite par le retrait de Musharraf a contribué à l’instabilité de la politique intérieure.
La position de l’ancien président, proche
des États-Unis, et sa participation dans la
«guerre contre la terreur» ont donné lieu à
des critiques toujours plus nombreuses au
plan de la politique intérieure qui se sont
encore accentuées avec la proclamation
de l’état d’exception et la révocation de la
cour suprême. L’avenir dira dans quelle mesure l’armée va effectivement se retirer de
la politique dans l’ère de l’après-Musharraf.
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La Suisse et le Pakistan
Politique de développement: Engagement depuis plus de quatre décennies;
bonne gouvernance et réduction de la pauvreté comme priorités; depuis 2012,
le Pakistan ne comptera plus parmi les pays prioritaires.
Promotion civile de la paix: Le Pakistan n’est pas un pays prioritaire.
Exportations de matériel de guerre: Le Pakistan est le plus grand acheteur
non occidental en 2007 et, de manière générale, le plus grand acquéreur de
matériel de guerre suisse en 2008 (ordre important portant sur 24 systèmes de défense contre avions, approuvé en décembre 2006); des nouvelles
demandes ne sont plus autorisées tant que les États européens voisins
n’adoptent pas une position uniforme en ce qui concerne les exportations de
matériel de guerre à destination du Pakistan.
Politique de défense: Le Pakistan n’est pas un partenaire de coopération
prioritaire; participation d’officiers pakistanais aux cours de l’armée suisse
(formation de montagne, observateurs militaires).
Liens entretenus par la famille d’entrepreneurs Tinner avec le réseau Khan.
Le fait est qu’elle continue d’occuper une
position très solide également dans le civil,
comme par exemple dans la bureaucratie
d’État et dans l’économie pakistanaise.
Une approche globale
Le type de mesures nécessaire de rendre le
Pakistan à nouveaux un partenaire sécuritaire de l’Ouest crédible fait actuellement
l’objet de vives discussions. Il est indéniable que l’approche militaire unilatérale des
États-Unis ne s’est pas révélée efficace. Il
faut au contraire adopter une stratégie globale qui comporte trois éléments essentiels:
une approche de stabilisation régionale qui
considère les développements au Pakistan,
en Inde et en Afghanistan dans une optique
intégrée; un soutien renforcé à la démocratie au Pakistan et, parallèlement, un soutien
à l’armée pakistanaise qui soit davantage
lié à des conditions. Aucune de ces composantes ne sera simple à réaliser eu égard à
la fragilité de la situation actuelle.
A l’échelon régional, il faut tout d’abord gérer
la crise à court terme sur deux fronts. D’une
part, la menace plane de voir une escalade
des tensions entre le Pakistan et l’Inde. Dans
le cas d’un nouvel attentat terroriste massif
comme à Mumbai, les pressions en Inde augmenteraient en vue de ne plus agir contre le
Pakistan uniquement avec des notes de protestation, à plus forte raison que des élections auront lieu en mai 2009. Parallèlement,
de grandes fractions de l’armée pakistanaise
n’auraient pour ainsi dire aucun problème à
suspendre le combat contre les frères musulmans dans les territoires frontaliers avec
l’Afghanistan pour se retourner à nouveau
contre l’ennemi traditionnel, les Indiens à
l’Est. Par ailleurs, les relations entre le Pakistan et les États-Unis pourraient également
s’aggraver si, dans le contexte de sa stratégie
vis-à-vis de l’Afghanistan, Washington devait
continuer de bombarder sans l’autorisation
d’Islamabad des positions des Talibans et
d’Al-Qaïda sur le territoire de l’État pakistanais. Zardari pourrait alors être placé devant
un choix: suspendre la collaboration avec les
États-Unis ou risquer sa chute sur le plan de
la politique intérieure.
Une stabilisation régionale durable va, en
plus d’une approche intégrée des différents conflits, avant tout aussi nécessiter
des efforts diplomatiques pour résoudre
les problèmes de frontière entre le Pakistan et l’Inde ainsi qu’entre le Pakistan et
l’Afghanistan. Un accord sur la question du
Cachemire et une démarcation formelle du
tracé contesté de la frontière, qui remonte à
la domination coloniale britannique, entre
le Pakistan et l’Afghanistan (ligne Durand)
n’iront certes pas sans de grosses difficultés
et exigeront une bonne dose de diplomatie,
mais contribueraient à atténuer la rivalité
stratégique qui oppose le Pakistan et l’Inde.
Une garantie de l’intégrité territoriale du Pakistan donnée par les États-Unis et d’autres
pays comme la Chine et la Russie pourrait
continuer d’augmenter les chances de voir
les relations entre Islamabad, New Delhi et
Kaboul s’améliorer. Ce n’est que sur de telles bases que le Pakistan devrait enfin être
disposé à abandonner ses conceptions tactiques vis-à-vis des Islamistes et à s’atteler à
la lutte contre le terrorisme.
Équilibre entre armée et
démocratie
La promotion de la démocratie et l’intensification de la collaboration avec le gouvernement civil devraient constituer un
élément-clé de la future stratégie des États
occidentaux vis-à-vis du Pakistan. Sans une
société civile forte, la lutte contre l’extrémisme et le terrorisme ne produira guère de résultats durables. Le projet de loi Biden-Luger,
© 2009 Center for Security Studies (CSS), ETH Zurich
qui sera prochainement débattu au Congrès
américain, vise donc dans la bonne direction. Il prévoit le versement de 7,5 milliards
de dollars US à titre d’aide sur une période
de cinq ans, avec en point de mire un développement politique et économique global
du Pakistan en plus du soutien à l’armée. Il
serait important de prendre des mesures en
particulier pour remédier à la rareté croissante de l’énergie et des produits alimentaires, enrayer la progression du chômage
et combattre la pauvreté généralisée. Une
amélioration des conditions commerciales
pour le Pakistan pourrait contribuer à la reprise économique du pays, qui est urgente,
et à renforcer le gouvernement Zardari.
Il ne serait néanmoins pas opportun de miser désormais unilatéralement sur les acteurs démocratiques au Pakistan. A court
terme, davantage de démocratie ne signifie
pas pour autant davantage de stabilité au
plan de la politique intérieure. En outre, eu
égard à la forte position et aux intérêts personnels des militaires, les limites d’un développement de la démocratie au Pakistan
sont claires. Un affaiblissement de l’armée
pourrait produire des effets négatifs sur la
sécurité, d’autant plus que le contrôle que les
militaires exercent sur les armes atomiques
pakistanaises continuera de constituer une
préoccupation centrale pour les États-Unis. Il
est crucial que le soutien financier apporté à
l’armée soit dorénavant lié à des conditions
sévères. Une lutte crédible contre le terrorisme et la transparence dans l’affectation des
fonds devant occuper le devant de la scène.
Une stratégie mettant l’accent non seulement sur la promotion de la démocratie
mais aussi sur la coopération avec les militaires du Pakistan va certainement susciter
des contradictions. Toutefois, les efforts de
stabilisation de cet État ne peuvent aboutir que si l’on adopte une approche civilomilitaire globale. Les Européens, qui se sont
jusqu’à présent principalement engagés
dans le domaine économique et de la politique de développement, peuvent ici aussi
apporter leur contribution. Un rapprochement transatlantique s’impose, à plus
forte raison que la gestion de la crise en
Afghanistan et la lutte contre le terrorisme
international n’ont que peu de chances de
succès sans le soutien du Pakistan.
Editeur responsable: Daniel Möckli
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