20 minutes avec Zerhouni

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20 minutes avec Zerhouni
20 minutes avec Zerhouni
Nouredine Yazid Zerhouni Boulevard de la Madeleine,
Paris. 04 mai 2012
Boussaad BOUAICH
Le 4 mai 2012
11h30, Boulevard de la Madeleine à Paris. Je croise un vieux
monsieur dont le visage m’était familier. Je le fixe bien,
aucun doute, c’est lui : Nouredine Yazid Zerhouni. Ancien
ministre de l’intérieur, ancien diplomate, mais surtout ancien
patron des services secrets algériens. Je fais demi tour et le
suis, le filme même de dos avec mon téléphone portable. Je
fais un grand détour et lui passe devant. Je l’attends enfin
juste à côté de la Place de la Madeleine, à l’entrée de la
grande boutique de l’opérateur téléphonique Orange.
Je l’accoste : Monsieur Zerhouni ? Il me répond avec un
sourire : Non, je lui ressemble. Et me demande à qui il avait
l’honneur. Je lui réponds spontanément : je suis membre de
l’opposition algérienne. Je suis du FFS (Front des Forces
Socialistes). Je lui demande to de go ce qu’ils ont fait de
notre pays et s’ils comptent ouvrir un jour les yeux pour voir
les Algériens et le drame qu’ils vivent. S’ensuit une longue
discussion d’interpellations de ma part et de justifications
de sa part.
C’était comme dans un rêve pour moi. Je tenais enfin devant
moi ce qu’on a toujours appelé « Le Pouvoir ». Du coup je ne
me suis pas gêné à l’ausculter du regard. Un homme banal, avec
un costume et une cravate tous banals. Rien n’indique en lui
que cet homme occupe un tel rang dans son pays. Celui qui ne
le connait pas le prendrait facilement pour l’un de ces
chibanis endimanché sorti tout droit de son foyer Sonacotra.
Je regarde ses pellicules abondantes sur sa veste et à sa
façon de me parler et de se justifier je n’ai pas pu
m’empêcher de penser à cette réflexion faite par SAS (Sid
Ahmed Semiane), le célèbre chroniqueur algérien après avoir
interviewé plusieurs généraux et hommes du sérail pour son
livre sur les évènements d’octobre 1988 (Octobre, ils
parlent). Il s’était étonné du décalage entre l’idée que se
fait le peuple de ces gens-là et leur réalité. Des gens qui ne
maîtrisent pas vraiment tout et qui ont parfois peur, et à SAS
de se demander comment on continue encore à être gouverné par
ces gens-là ?
C’est donc cela « Le Pouvoir » ? Ce bout de vieux malade et
fragile qui me parle en me tenant par la main et me disant
qu’il me parlait comme à son fils ? C’est donc de ces
personnages que dépendait et dépend encore la vie des
Algériens ? Je lui parle franchement et lui déballe tout. Je
le tiens ce « Pouvoir », et je veux comprendre enfin comment
peut-on être si indifférent à la souffrance de son peuple. Je
veux comprendre ce qui se passe dans leurs têtes, s’ils ont
une conscience. Il me dit qu’il se balade à Paris tout comme
je le faisais moi-même. Je lui dis que ce n’est pas la même
chose, que moi, comme beaucoup de mes compatriotes, j’ai fui
le pays. Je lui explique que j’ai quitté le pays en 2003 quand
il était au ministère de l’Intérieur justement ; traumatisé
que j’étais par les évènements du printemps dit « Noir » de
Kabylie de 2001 et notamment par ce qui s’est passé lors de la
marche du 14 juin de la même année à Alger. Ce jour-là comme
beaucoup des miens, j’avais perdu espoir de rentrer vivant
chez-moi. Je lui parle des voyous qu’ils ont envoyé nous
attaquer. Il nie tout, il minimise : il n’y avait qu’un mort
selon lui, la journaliste écrasée par le bus de l’ETUSA. Je
lui dis que j’ai vu de mes propres yeux des jeunes qui se sont
fait poignardés. Pas moyens, pour lui ce n’était pas vrai. Il
me rappelle le début des évènements avec l’assassinat du jeune
Guermah Massinissa dans les locaux de la gendarmerie de Beni
Douala à Tizi-Ouzou et me dit que des gens avaient appelé à
prendre d’assaut les locaux des gendarmeries. Je lui rappelle
que c’était lui-même qui avait mis le feu aux poudres en
traitant le jeune Massinissa de voyou. Il répond qu’il n’avait
jamais dit cela et que c’était une invention de la presse. Je
lui demande pourquoi n’avait-il pas agit à temps alors avant
que cela ne dégénère ? Je lui explique qu’ils n’ont rien fait
pour arrêter l’effusion du sang et qu’il aurait suffit de
rendre justice immédiatement à Massinissa en jugeant le
gendarme mis en cause au lieu de le muter comme ils l’ont
fait. Il me dit qu’il n’a pas été muté. Je lui demande où il
se trouve actuellement, il me répond qu’il doit être quelque
part en prison encore. Je lui signifie encore une fois la
légèreté avec laquelle il gère les vies des Algériens. Je lui
dis qu’entre eux et les Algériens ils ont érigé un mur qui les
empêche de les voir. Je lui dis vous vivez à Club des Pins et
vous ne savez rien et surtout vous ne voulez rien entendre des
cris du peuple. Il me répond qu’il ne vit pas à Club des Pins.
J’ai souri et lui ai dit, peu importe, l’essentiel c’est que
vous êtes dans un monde à part à mille lieues de ce que vit
l’Algérien au quotidien.
Je lui demande s’ils ont une quelconque conscience et si cela
les touche quand ils voient qu’avec les milliards qu’engrange
le pays actuellement, certains Algériens se nourrissent dans
les poubelles, et surtout si quelque chose en eux tremble
quand ils voient des jeunes algériens prendre le large pour
rejoindre l’Europe sur des embarcations de fortunes au risque
de leur vie. Je lui dis que je ne comprends pas quel Algérien
ferait-il cela à ses enfants. Qu’au lieu de résoudre leurs
problèmes, vous faites voter une loi qui punit les harragas ?
Il répond : combien font-ils cela? Pour lui c’est un
phénomène marginal. Je lui signifie que sa réponse me choque,
que même s’il s’agissait d’une seule personne cela devait les
interpeller, lui et ses amis au pouvoir. Je lui parle du
chômage et de leur drôle de façon d’agir : au lieu de lutter
contre le chômage, ils combattent les chômeurs. Qu’ils les
emprisonnent parce qu’ils demandent un travail. Je lui cite
l’exemple le plus récent de Abdelkader Kherba, ce chômeur
condamné à un an de prison. Il me dit qu’il n’est pas trop au
courant mais que ce dernier a forcément fait quelque chose.
Est-ce qu’il n’a rien cassé me demande-t-il. Je lui réponds
que même s’il a cassé quelque chose, cela ne justifie pas son
arrestation. Le pouvoir ayant cassé plus grave que ça ; des
milliers de vies humaines. Il me sort alors des sornettes du
genre « mais le chômage est partout, regardez ce qu’il se
passe ici en France ». Je lui dis que ce n’est pas comparable
et que chez-nous rien n’est fait pour créer de l’emploi. Il me
répond que je suis trop endoctriné et qu’il faut que j’ouvre
un peu les yeux. Je saisi de mieux en mieux leur logique.
Surtout quand il m’a sorti l’histoire que si nous, nous avons
fait des études, etc., sa génération « a marché pieds nus » et
connu les affres du colonialisme. Je lui dis que c’est
justement là le nœud du problème, c’est qu’ils continuent à
prendre les Algériens pour des « indigènes » – mot qu’il n’a
pas aimé- et que pour eux, l’Algérien doit se contenter du
minimum qu’ « on lui octroi ». Je lui demande de quel droit
d’ailleurs « ils nous octroi » des choses, l’Algérie est-elle
leur bien propre ? Il me répond que lui personnellement il n’a
pas cherché le pouvoir, et qu’il est venu par devoir pour
aider à mettre fin au terrorisme. Je lui demande comment ils
continuent à gouverner le pays, eux les vieux, alors que le
pays est à majorité jeune ? Sa réponse est que c’est de notre
faute à nous qui ont déserté le champ politique. Venez
travailler me dit dit-il. Je lui rappelle que les Algériens
n’attendent que ça ; travailler pour leur pays, mais que ce
sont eux justement qui font tout pour les en empêcher. Vous
avez tout fermé, lui dis-je. Le champ politique, médiatique,
la rue, tout. Pourquoi ne pas commencer à ouvrir la télé aux
Algériens pour qu’ils puissent parler entre eux et résoudre
leurs problèmes, pourquoi vous ne laisser pas les Algériens
prendre leur sort en main sans vous sentir tout le temps
obligés d’être là, partout ? Je lui demande s’il trouvait
normal qu’on soit gouverné par un président malade depuis
plusieurs années et qui ne gèrent plus rien ? Il me dit que
c’est moi qui dis qu’il ne gère rien. Je lui dis comment
expliquez-vous qu’il méprise son peuple à ce point, qu’il ne
dise aucun mot, qu’il ne signifie aucune compassion avec les
Algériens quand ils vivent des drames comme les dernières
intempéries, mais qu’il utilise « ses 5 minutes de forces pour
tenir debout» (sic) rien que pour appeler les Algériens à
aller voter ? Les Algériens sont réduit d’ailleurs à parler du
prix de la pomme de terre qui atteint les 100 DA. Il me répond
qu’il a eu l’information comme quoi ça a baissé à 40DA !!! Il
me demande si le vote n’était pas une chose importante ? je
lui dit que ce n’est pas le cas dans notre pays, notamment à
cause de la fraude. Il minimise la fraude et me dit que si ma
formation politique, le FFS a décidé de participer, c’est
qu’elle a eu des garanties à ce sujet ? Je lui réponds qu’il
savait très bien que ce n’est pas la raison de notre
participation et que nous ne faisons aucunement confiance à
leur administration.
Comme à chaque fois sa réponse était qu’il fallait juste
attendre pour que les choses aillent mieux chez-nous, il me
raconte une anecdote qui à mes yeux explique nettement leur
façon de penser. Il me raconte qu’il a été il n’y a pas
longtemps au Japon et qu’il a vu des gens vivre dans des
petits réduits. Il demande à un de ses accompagnateurs comment
ça se fait qu’on puisse voir ce genre de chose dans un pays
aussi développé que le leur ? Et la personne de lui répondre
que pour comprendre il faut vraiment connaître leur culture.
Que les Japonais se contentent de ce qu’ils ont et évoluent
petit à petit. Je n’ai pas trop suivi son histoire et je ne
sais pas où il voulait en venir. Je l’interromps et lui
demande si pour lui les Algériens doivent attendre des
centaines d’années pour vivre dignement ? Je lui dis
franchement : vous avez vu, Ben Bella est parti, vous aussi
vous allez partir tout comme le président, vous arrive-t-il de
penser à ce que vous avez fait de ce pays et ce que vous allez
laisser derrière vous ? Il me dit que leur vœu et de laisser
un pays sur la bonne voie etc., etc. Son téléphone sonne,
quelqu’un l’attendait visiblement. Il me dit qu’il doit partir
et que si un jour je croise Si Lhocine, je lui passe ses
amitiés, car c’est un homme pour qui il a beaucoup de respect.
Je lui dis que le respect ne suffit pas, et qu’ils devaient
écouter ses différentes propositions de sortie de crise avant
qu’on en soit arrivé là, c’est-à-dire après des milliers de
morts et un pays en ruines. Il me dit qu’encore une fois ce ne
sont que des slogans et je devais ouvrir plus les yeux… Comme
il allait vraiment partir, je tente une dernière question : et
le général Toufik alors ? Il me dit : quoi le général Toufik ?
Je lui dit c’est vrai ce qu’on dit, que c’est lui qui
vraiment l’Algérie ou serait-ce juste un mythe ? Il
il n’y a personne qui gouverne tout seul l’Algérie.
mythe alors, lui dis-je ? Il me dit, oui et ce sont
comme vous qui l’ont inventé…
gouverne
me dit :
C’est un
des gens
Voilà, je vous livre en vrac cette discussion car comme moi,
je pense que beaucoup d’Algériens veulent savoir vraiment ce
qui se passe dans la tête des gens du « Pouvoir ».
Pour ma part, je ne sais plus si j’ai discuté avec le diable
ou non, mais comme SAS je tire la conclusion que nous sommes
gouvernés par des gens à qui ont prête plus de pouvoir et
d’intelligence qu’ils n’en ont. Et que c’est à l’opposition de
revoir sa façon d’agir, car les grands discours que nous
tenons à longueurs de journées ne les atteignent même pas.
Comme beaucoup de personnes averties qui ont approché ces gens
du pouvoir de plus près, j’adhère à l’idée qui fait que nous
avons vraiment affaire à des gens qui n’ont aucune stratégie
ni politique claire. Toute leur force réside dans le monopole
de la violence. C’est le seul langage qu’ils comprennent, et
c’est le seul terrain où ils sont forts. D’où le fait que le
vrai changement ne doit être que pacifique.
4 mai 2012.