Carole Fréchette, Olivier Kemeid et Larry Tremblay

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Carole Fréchette, Olivier Kemeid et Larry Tremblay
0
L’expérience du monde sur la scène québécoise
Regards croisés
Carole Fréchette, Olivier Kemeid et Larry Tremblay
Entretiens réalisés par Anne-Claire Guilloteau
1
Remerciements
Que soient ici chaleureusement remerciés
Carole Fréchette, Olivier Kemeid et Larry Tremblay
Qui m’ont accordé de leur temps précieux
Et m’ont laissée approcher les processus intimes
À l’œuvre dans leurs écritures.
Josette Féral
Grâce à qui la publication de ces interviews a été possible
2
SOMMAIRE
REMERCIEMENTS ............................................................................................................................................ 1
SOMMAIRE ......................................................................................................................................................... 2
AVANT-PROPOS................................................................................................................................................. 4
QUESTIONS D’IDENTITÉ ......................................................................................................................... 6
I.
1. Distance Québec-Monde / être québécois et citoyen du monde ....................................... 6
1.1 Carole Fréchette : « Au Québec, on se sent protégé du monde. »............................... 6
1.2 Olivier Kemeid : « Nous sommes tous dans une communauté mondiale, car le
monde a rétréci.» ............................................................................................................. 8
1.3 Larry Tremblay : « On est dans une redéfinition permanente et complexe de notre
identité. » ......................................................................................................................... 9
2. Rapport à la langue et à l’identité québécoise ................................................................ 10
2.1 Carole Fréchette : « Mon interlocuteur imaginaire, c’est les gens d’ici » ............... 10
2.2 Olivier Kemeid : J’écris « dans ma langue » ........................................................... 11
II.
PARCOURS ARTISTIQUES ET RÉSONANCES POLITIQUES ........................................................... 13
1. Carole Fréchette, une conscience de soi et une conscience politique au service du
théâtre .............................................................................................................................. 13
2. Larry Tremblay, « les mots sur la peau de tambour de l’acteur » et la responsabilité
de l’artiste dans la société ................................................................................................ 17
3. Olivier Kemeid, un jeune auteur qui déconstruit certitudes et préjugés ...................... 19
III.
CHOIX ARTISTIQUES ET TRAITEMENT DE L’INFORMATION ................................................... 22
1. Je pense à YU, une lutte de chaque instant entre fiction et documentaire .................... 22
2. Moi, dans les ruines rouges du siècle, une large fresque aux éléments de réalités
recomposés ....................................................................................................................... 27
3. Cantate de guerre, écrire les mots anatomiques de la haine ........................................... 33
IV.
TRAVERSÉES DRAMATURGIQUES ................................................................................................. 38
1. Je pense à Yu de Carole Fréchette et le moteur de recherche Google ........................... 38
1.1 Temporalités démultipliées ....................................................................................... 38
1.2 Mise en réseaux, équivalences et assemblages .......................................................... 39
3
2. Moi, dans les ruines rouges du siècle d’Olivier Kemeid, double-narration et sauts
temporels.......................................................................................................................... 41
3. Recyclages, navettes temporelles et autres résonances : ................................................ 42
3.1 La gestion des déchets domestiques dans Je pense à Yu............................................ 42
3.2 Le traitement du chœur dans Cantate de guerre ........................................................ 43
3.3 Cantate de guerre de Larry Tremblay et Anéantis de Sarah Kane, sphères intimes et
sphères privées, des constructions inversées ................................................................... 44
V.
POSTURES ÉTHIQUES ET ESTHÉTICO-POLITIQUES...................................................................... 45
1. Larry Tremblay ou le paradoxe de l’art ........................................................................ 45
2. Carole Fréchette, le théâtre comme lieu de partage autour des valeurs d’humanité ... 47
3. Olivier Kemeid, l’écriture théâtrale pour mettre en scène les chemins de l’exil .......... 51
ÉPILOGUES....................................................................................................................................................... 54
BIBLIOGRAPHIE DES AUTEURS .................................................................................................................. 55
BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE ....................................................................................................................... 57
4
Avant-Propos
Ce dossier est composé de trois entretiens réalisés au cours de la saison 2011-2012, à
l’occasion d’un travail de recherche de Master 2 en Études Théâtrales intitulé L’expérience du
monde sur la scène québécoise, l’exemple de trois pièces créées au Théâtre d’Aujourd’hui,
Montréal/Québec, au cours de la saison 2011-2012.
Cette recherche se donnait pour objectif de questionner le processus créatif qui a mené
trois auteurs québécois de notoriétés diverses, Carole Fréchette, Olivier Kemeid et Larry
Tremblay, à se saisir de certaines réalités politiques internationales et à en faire matière pour
la scène théâtrale, alors que cette démarche reste marginale ou tout du moins très récente dans
l’histoire de la dramaturgie québécoise.
À n’en pas douter, ces auteurs se sont sentis convoqués d’écrire sur des sujets brûlants
d’actualité. Bien loin d’un théâtre purement militant, Carole Fréchette, Olivier Kemeid et
Larry Tremblay ont choisi la scène de théâtre pour redonner une place à la parole publique,
citoyenne et induire une réflexion chez les spectateurs. Cette forme d’« intranquillité
citoyenne » que l’on observe à la lecture de leurs pièces se situe certainement dans le
prolongement de celle qui fut le terreau de cette dramaturgie francophone particulière depuis
ses débuts, fortement marquée par la prise en compte d’un réel historique, politique et
géographique, et à la recherche de son identité propre.
Je pense à Yu témoigne d’un intérêt particulier de Carole Fréchette pour les
mouvements de révolte des étudiants de la place Tienanmen en Chine, en 1989. Elle écrit sa
pièce à la suite de la lecture d’un entrefilet dans son journal du matin sur la libération du
journaliste Yu Dongyue, incarcéré 17 ans pour avoir lancé de la peinture avec deux
compagnons sur le portrait de Mao pendant les manifestations de la place Tienanmen en 1989.
Son outil d’investigation - et celui de son double dans la pièce, Madeleine Laflamme - est le
moteur de recherche Google.
Olivier Kemeid a écouté les récits de vie de son ami Sasha Samar, acteur ukrainien
vivant au Québec et s’est mis à écrire sa nouvelle pièce Moi, dans les ruines rouges du siècle.
Sasha Samar en sera l’un des principaux interprètes. La pièce reconstruit le récit d’un
apprentissage de soi, à travers la thématique du mensonge sociétal et familial, dans une Union
soviétique en pleine déliquescence.
Cantate de guerre, pièce écrite dans une forme versifiée, traite de la question de la
transmission de la haine dans les guerres. Elle place sur scène un père soldat, un fils et un
chœur de soldat. Larry Tremblay dit avoir décidé de parler plus précisément des guerres
génocidaires et d’envisager de porter à la scène et de donner une forme théâtrale au poème
qu’il avait au départ écrit, suite à sa lecture bouleversante du livre de la journaliste russe
assassinée en 2006, Anna Politkovskaïa, Tchétchénie, le déshonneur russe.
5
Pour chacun des trois auteurs, la connaissance de ces faits - informations médiatiques,
témoignages et lectures - a généré un bouleversement intime et a suscité une écriture théâtrale
particulière, mêlant la grande histoire et la petite, éléments documentaires et fiction, réalité
politique, historique et réel intime.
Carole Fréchette, née en 1949 à Montréal, et Larry Tremblay, né en 1954 à
Chicoutimi, autre grande ville du Québec, appartiennent tous deux à ce qu’on appelle
« l’ancienne génération ». Leurs premières pièces ont été publiées à la fin des années quatrevingt : Baby Blues de Carole Fréchette (terminée en 1986, publiée en 1989, créée au Théâtre
d’Aujourd’hui en 1991, mise en scène de l’auteure), Le Déclin du destin de Larry Tremblay
(1988, créé dans plusieurs festivals, mise en scène et interprétation de l’auteur). Leurs
parcours respectifs, bien que très différents, sont assez représentatifs des idéaux et des
bouleversements politiques et culturels qu’ont traversés tous ceux de leur génération.
Olivier Kemeid est né en 1975 à Montréal et fait partie de la « relève ». Il est
principalement auteur et metteur en scène, ainsi que le membre fondateur et le directeur
artistique de la compagnie Trois Tristes Tigres, en collaboration avec Stéphanie CapistranLalondes. Sa première pièce publiée à ce jour est L’Énéide, d’après Virgile (2008)1.
Les entretiens qui constituent ce dossier ont eu lieu à Montréal, indépendamment les
uns des autres ; le 18 octobre 2011 avec Larry Tremblay, le 24 Janvier 2012 avec Carole
Fréchette et le 7 février 2012 avec Olivier Kemeid.
À l’heure de la publication de ces entrevues, Cantate de Guerre de Larry Tremblay
vient de remporter le grand prix 2012 de la dramaturgie francophone décerné par la SACD.
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Anne-Claire Guilloteau a travaillé à temps plein dans le spectacle vivant de 1985 à
2000, menant ses propres projets ou travaillant avec des metteurs en scène tels que Joël
Pommerat, Sophie Renaud, etc., puis elle a commencé, parallèlement à ses activités
artistiques, une carrière d’enseignante dans l’Éducation Nationale.
Elle a repris ses études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle-Paris 3/Censier en 20112012, en Master 2.
Citoyenne canadienne par son père et ayant déjà une bonne compréhension du
contexte socio-politique et artistique du Québec, elle a fait le choix de travailler sur des
auteurs québécois. Son mémoire est en libre accès à la bibliothèque Gaston Baty sur le site de
Censier/Paris 3.
Elle prépare actuellement une thèse en co-tutelle avec l’UQAM de Montréal.
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1
Pour une bibliographie plus complète des trois auteurs, se reporter à la dernière page de ce dossier.
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I.
Questions d’identité
1. Distance Québec-Monde / être québécois et citoyen du
monde
1.1 Carole Fréchette : « Au Québec, on se sent protégé du monde. »
A.-C. G. : Quelles différences fondamentales faites-vous entre Le Collier d’Hélène et Je
pense à Yu ?
C. F. : C’est vrai qu’il y a des liens entre ces deux pièces-là. Une première différence qui pour
moi est évidente : Le collier d’Hélène est née d’un voyage que j’ai fait au Liban. C’est moi
qui allais vers le monde dans Le collier d’Hélène. Pour Je pense à Yu, c’est le monde qui est
venu chez moi.
A.C. G. : Comment vous définiriez-vous en tant qu’auteure québécoise ? Est-ce que votre
identité québécoise est le premier point de départ de votre écriture ?
C. F. : On n’a pas le même rapport au monde si on est européen ou nord-américain. On n’a
pas la même façon de regarder la Chine ou de regarder le « Moyen-Orient.
Quand j’ai écrit Le Collier d’Hélène, je sentais bien qu’ici, au Québec, on est plus loin. On est
plus loin des foyers de guerre, même si le Canada est impliqué dans la guerre en Afghanistan.
Malgré tout c’est loin de nous. C’est plus loin que lorsqu’on est en Europe, où tout est la porte
à côté.
A.-C. G : La porte à côté ?
C. F. : Oui, c’est la porte à côté. C’est ce qui me semble, vu d’ici. Et puis, aussi, il y a une
population immigrante importante, ce qui fait que les choses ont une résonance plus forte en
Europe. Le débat intellectuel sur le Moyen-Orient se fait beaucoup là-bas, alors qu’ici, dans
les journaux, les questions internationales ne prennent pas beaucoup de place et nous n’avons
que peu d’experts sur ces questions. Cela influence aussi notre façon de regarder le monde.
Aujourd’hui on est relié au monde entier par les médias, mais malgré tout, on se sent, ici au
Québec, un peu à l’abri, parce qu’on est dans ce continent qui est encore le Nouveau Monde.
On est plus loin des foyers de guerre ou d’insurrection.
A.-C. G : Pensez-vous que la plus grande des mutations que nous sommes en train de vivre en
ce début de XXIe siècle, serait celle de pouvoir voyager, d’aller voir ailleurs, sans bouger de
chez soi ?
C. F. : Oui, c’est une grande mutation, certainement. Les communications existent depuis un
certain temps, mais maintenant, avec l’Internet, c’est encore plus efficace, c’est plus rapide.
7
Cette possibilité d’avoir accès à des choses qui se passent à l’autre bout du monde,
constamment, c’est certain que ça nous transforme, pour le bien ou pour le mal, je ne sais pas,
mais on voit bien que ça nous transforme. Comment un individu se retrouve là-dedans,
comment il fait sens de tout ça ? On a accès à beaucoup plus de choses que ce qu’on est
capable de transformer, d’ingérer… qu’est-ce qu’on fait de tout ça ? Et pourquoi est-ce que
moi j’ai accroché sur ce petit article-là ? On lit des milliers des petits articles sur des choses
terribles qui arrivent dans le monde et puis on passe à autre chose. Je pense, oui, qu’on vit une
mutation importante et je dirais même qu’avec l’arrivée de web et des réseaux sociaux, c’est à
double sens, non seulement on reçoit beaucoup, mais en plus on peut se donner soi-même une
existence publique, mettre publiquement sur la toile ce qui nous passe par la tête, des photos
qu’on a prises, des idées qu’on a eues, la soirée qu’on a passée. Chacun devient un spectacle
pour le monde entier. Je ressens une overdose d’opinions. Tout le monde écrit son blog, etc.
On est noyé là-dedans. Oui, c’est vrai, nous vivons une mutation, même si l’origine de ma
pièce, est un bon vieux journal en papier. (rires) Mais bien vite, je suis passée à Google. Sans
Google, je n’aurais même pas écrit la pièce. Je n’aurais sans doute pas fait le geste d’aller à la
bibliothèque pour faire des recherches, comme cela aurait été nécessaire il n’y a pas si
longtemps.
A.-C. G : La difficulté de l'échange interindividuel, thématique à l’œuvre dans votre pièce,
peut-elle être mise en tension avec "le trop-plein" d'informations ou une ouverture à tout-va
sur le monde, et en constituerait les limites, une sorte de prix à payer pour la modernité ?
C. F. : Il y a ça dans ma pièce, de manière assez évidente : pendant une bonne partie de la
pièce, Madeleine est enfermée chez elle à regarder la Chine sur Internet, alors qu’il y a une
vraie Chinoise qui frappe à sa porte. Et elle ne veut pas la voir. Je n’avais pas envie qu’on
trouve Madeleine antipathique, mais je sentais que cette fermeture en elle devait être très
forte.
A.-C. G : La dramaturgie québécoise me paraît pouvoir être définie en partie comme une
dramaturgie de résistance, d’intranquillité citoyenne. Le souci du monde, de l’actualité
internationale est-il une continuité de ce sentiment d’intranquillité ? Y a t-il vraiment eu
rupture après l’échec du référendum ? La dramaturgie québécoise s’est repliée certes sur des
réalités plus intimes, moins ancrées dans la réalité politique. Mais n’y a t-il pas un terreau
premier qui pousse aujourd’hui les auteurs à s’intéresser et à prendre en compte les
événements internationaux ?
C. F. : En tant que Québécois, on a toujours senti notre culture fragilisée, car nous sommes
peu de francophones au Canada, en Amérique du Nord. De ce fait, la dramaturgie québécoise
a été un lieu identitaire, un lieu de combat. Pendant les années 1970, l’identité nationale était
souvent le sujet même des pièces. Ensuite, dans les années 1980, il y a eu une période de
focus sur l’individu, l’individu créateur. Mais sans doute que cette vision du théâtre comme
lieu de prise de parole et non pas seulement comme lieu d’exploration esthétique, demeure
prépondérante pour les auteurs et les artistes du théâtre québécois. Ça demeure un lieu
d’affirmation. Peut-être que ce qui nous distingue de certaines dramaturgies européennes,
8
c’est cette volonté de prendre la parole, de communiquer, d’être un peu en résistance, et cela,
j’imagine, transparaît dans nos œuvres.
A.-C. G : Madeleine, le personnage principal de votre pièce, est bloquée, elle n’arrive ni à
travailler ni à bouger de chez elle, tandis que Lin, la chinoise nouvellement arrivée, est très
active, elle se promène sans problème pendant la tempête de neige. Est-ce à mettre en
rapport, comme une illustration parfaitement intégrée dans la pièce, du tiraillement entre une
dramaturgie plutôt enfermée sur le Québec et une nouvelle tendance qui veut s’ouvrir sur le
monde, grâce notamment à l’étranger qui vient sur le sol québécois ?
C. F. : (rires) Peut-être. Mais quand on écrit, on ne se dit pas : je vais faire une pièce où il y
aura des immigrants qui bougent et des Québécois qui sont enfermés chez eux ! On met des
personnages en action, et on les laisse aller. Le personnage de Lin est apparu parce que je
voulais que Madeleine et Jérémie soient en contact avec quelqu’un de plus jeune, qui pose un
autre regard sur la vie, sur le monde.
1.2 Olivier Kemeid : « Nous sommes tous dans une communauté
mondiale, car le monde a rétréci.»
A.-C. G : Comment se construire quand tout se déconstruit autour de nous, c’est la
thématique principale de votre pièce Moi, dans les ruines rouges du siècle, mais n’est-ce pas
un peu vrai aussi à l’échelle planétaire ?
O. K. : La pièce vient juste de finir. Je suis en train de mesurer plus précisément comment ça
a été ressenti. Mais ce qui m’a le plus touché, c’est le fait que ça a été fait à Montréal, au
Québec, et que le public québécois finissait par ressentir Sasha 2 comme un des siens.
Plusieurs personnes m’ont dit, il vient, nous lui avons offert un pays et il nous fait l’offrande
de son histoire. Et le fait que son fils soit né ici aussi, cette espèce d’enracinement-là et le mot
« ensemble » sur lequel la pièce finit, beaucoup de gens l’ont interprété comme un ensemble
communautaire, sociétal, pas seulement un ensemble théâtral.
A.-C. G : Il n’a pas intérêt à se séparer de sa femme dans deux trois ans, ce serait une
trahison. Il nous aurait encore menti !
O. K. : Il ne peut pas (rires). À cause de cette fin-là, il n’en a pas le droit ! (rires)
A.-C. G : Vous pensez que c’est nouveau ici pour le Québec, cette attention portée aux récits
des nouveaux arrivants ?
O.K. : Oui, vraiment, d’où tu viens, ça nous concerne ; parce qu’avant, il y avait la couleur
exotique, on savait par exemple que les Algériens avaient vécu telle ou telle chose.
Maintenant il commence à y avoir, de la part des Québécois, le sentiment de ne pas avoir été
complètement exclu de tout ça, c’est-à-dire que cette idée que nous aurions été détachés de
2
L’acteur-témoin-narrateur principal de la pièce, note d’Anne-Claire Guilloteau.
9
tout ce qui s’est passé sur la planète, ce sentiment très profond qu’ont beaucoup de Québécois
d’avoir été écarté du cours de l’histoire, cela tend à s’effriter, parce qu’évidemment on vit
maintenant dans un village global où plus rien n’est loin, où un printemps arabe a un impact
jusque dans les rues de Montréal. Actuellement, les Maghrébins ont dépassé en nombre les
Italiens, les Grecs et les Irlandais qui formaient les premières communautés migratoires du
Québec. Et cela a un impact sur la vie politique même du Québec. Comment se positionner
par rapport à ces pays ? Quand il y a eu le printemps arabe, les nouvelles montréalaises,
québécoises étaient très tournées vers ce qui se passait là-bas, parce qu’il y a énormément de
néo-Québécois qui viennent de là-bas et parce que maintenant tout a un impact sur le cours, la
destinée d’une nation. Ce n’est pas vrai que le Rwanda, ça ne nous concerne pas.
A.-C. G : L’Histoire s’est rapprochée de nous, elle est entrée dans nos maisons ?
O. K. : Oui, le monde s’est rétréci. La mondialisation, c’est aussi un rétrécissement du
monde. Et ça je le sens jusque dans la salle de théâtre. On n’est plus devant une carte postale
et un exotisme de pacotille, on est en train d’écouter la vie d’un Québécois.
A.-C. G : Ça remplace le voyage, on peut aller vers l’ailleurs sans plus bouger de chez soi ?
O. K. : Parlons en terme générationnel, car ma génération est la génération qui voyage le
plus.
A.-C. G : Vous êtes allé en Russie, en ex-URSS ?
O. K. : Non, mais j’ai voyagé pas mal en Europe, en Afrique du Nord, en Amérique centrale.
Mais par contre nombre de Québécois sont allés en ex-URSS. Parmi les acteurs de la pièce,
par exemple, Annick Bergeron est allée à Moscou. Il y avait aussi des spectateurs, et même
des Québécois qui étaient allés en URSS avant la chute du mur, et qui nous en ont parlé.
1.3 Larry Tremblay : « On est dans une redéfinition permanente et
complexe de notre identité. »
A.-C. G. : Vous considérez-vous comme un auteur citoyen ?
L.T. : Je n’ai jamais pensé accoler à mon travail l’étiquette «citoyen», mais pourquoi pas ? Je
pense que c’est plutôt d’actualité en tout cas, c’est aussi une façon de ne pas dire « conscience
nationale, ethnique, religieuse... », une façon de se définir en étant rattaché à un réseau ou un
contexte plus vaste… Avec la mondialisation, ne pas tenir compte du monde devient
impossible. La bulle nationale est devenue poreuse, tout est relié, ce qui se passe en Afrique
ou en Grèce actuellement, ça nous touche tout de suite, c’est un jeu de domino. Un artiste,
qu’il soit chorégraphe, peintre ou auteur dramatique, ne se dit pas : « je vais maintenant écrire
sur le monde, pour le monde, à travers ma vision », il le fait. Un artiste, c’est quelqu’un qui
absorbe les choses et les réorganise pour leur donner un sens plus ouvert, pour que d’autres
puissent réorganiser ce sens en fonction, je ne dirais pas du bien ou du mal, mais en fonction
d’un monde qui soit plus juste.
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A.-C. G. : Pensez-vous que cette attitude que vous décrivez est marquée dans le temps,
pouvez-vous en situer la période ?
L.T. : J’ai dit récemment dans une entrevue qu’il y a une quinzaine d’années, on aurait
difficilement accepté de voir un auteur dramatique québécois écrire une pièce sur la guerre, ou
un événement très éloigné du fait québécois. À l’époque, on écrivait beaucoup plus sur la
famille, le couple…
A.-C. G. : Alors qu’est-ce qui s’est passé, pourquoi cela s’est-il transformé ? Vous rappelezvous d’un événement ?
L.T. : Pas un événement mais une convergence de facteurs : globalisation, internet, réseaux
sociaux, sur-médiatisation, consumérisme, fluidité des capitaux, économie mondialisée et
délocalisée. La vie de chacun en a été bouleversée. Un auteur dramatique se sent aujourd’hui
légitimé d’écrire, par exemple, sur des problématiques reliées à l’Afrique même s’il n’est pas
africain, même s’il n’a jamais été en Afrique, alors que ça aurait été impensable il y a quinze,
vingt ans, selon moi… Aujourd’hui, il y a de plus en plus d’auteurs, toutes générations
confondues, qui écrivent sur des faits sociaux et politiques éloignés du fait social politique
québécois. Il faut rappeler qu’il y a une vingtaine d’années, les Québécois étaient prisonniers
de l’antagonisme canadien/québécois. Le mouvement indépendantiste avait une réelle
résonnance qu’il a influencé la plupart des créateurs, moi compris. Maintenant, on vit et crée
plus en fonction d’un rapport Québec/monde que Québec/Canada. On fait des choix et on agit
en fonction de plusieurs appartenances qui peuvent parfois être contradictoires. Pour
reprendre l’appellation de tout à l’heure, il y a des situations où on se sent avant tout citoyen
du monde. Ainsi on peut se sentir concerné par les événements du printemps arabe et
beaucoup moins, au même moment, par ce qui se passe localement. Ce qui a lieu en Tunisie,
en Syrie, prend ainsi une valeur qui met en perspective ce qui se passe ici. L’identité
contemporaine est moins monolithique et, on pourrait dire qu’elle demande à l’individu de
faire un effort permanent de synthèse et de redéfinition. Ce qui ne doit pas nous faire oublier
qu’il y a de nombreuses régions où la quête identitaire est instrumentalisée, se transformant en
repli communautariste. «Être ce que je suis» n’est plus aussi simple de nos jours !
2. Rapport à la langue et à l’identité québécoise
2.1 Carole Fréchette : « Mon interlocuteur imaginaire,
c’est les gens d’ici »
A.-C. G. : Quel est votre rapport à la langue française québécoise, à l’identité québécoise ?
Avez-vous le sentiment que cette donnée est présente dans chacune de vos pièces, sans en être
le thème principal ?
11
C. F. : Moi je suis née ici, je suis québécoise, montréalaise, depuis 62 ans. C’est d’ici que je
regarde le monde. Alors tout ce que j’écris est teinté de cela, je suppose. Je n’ai jamais vécu à
l’étranger et quand je parle de l’étranger, du Moyen- Orient dans Le Collier d’Hélène, ou de
la Chine dans Je pense à Yu, c’est très clair que j’adopte le point de vue de quelqu’un qui
n’est pas de là-bas.
Maintenant, est-ce que mon regard est typique d’une Québécoise ? Est-ce qu’on le distingue
tout de suite de celui d’une Française ou d’une Belge ou d’une Américaine ? Je n’en sais rien,
en fait.
Bien sûr, on sent beaucoup, dans la dramaturgie québécoise, la question de la langue, le
besoin d’affirmer l’identité québécoise à travers le français particulier que l’on parle ici– mais
moi, non, je ne pense jamais que j’écris pour défendre ma langue ou ma culture. Pour moi,
cette culture est un acquis. Je suis en elle. Elle est en moi. C’est tout.
A.-C. G. : Ne pensez-vous pas que votre pièce s’adresse d’abord à des Québécois ?
C. F. : C’est certain qu’un auteur, lorsqu’il écrit, a un interlocuteur imaginaire. Quand j’écris,
je m’adresse d’abord à ma société. Mon interlocuteur imaginaire, ce sont d’abord les gens qui
m’entourent, les gens de Montréal, du Québec, etc. Je suis en dialogue avec ceux qui
partagent ma réalité. Dans Je pense à Yu, cette femme, enfermée chez elle, alors qu’il fait
froid et que c’est l’hiver, elle vient évidemment de la réalité d’ici.
Pour autant, il n’y a aucune de mes pièces qui portent sur le Québec, ou sur la « question
nationale », comme on dit ici, ou sur ce que c’est que d’être québécois. C’est une chose qui
m’ennuie profondément. Je participe, comme tout le monde, à ce débat qui dure depuis un
demi-siècle, et je peux même me passionner pour lui à certains moments, mais je n’ai pas du
tout envie de parler de ça dans mes pièces.
Le fait que je sois d’ici, imprégnée de la culture d’ici, doit transparaître dans ce que j’écris.
Mais moi, je ne m’en rends pas vraiment compte. En tout cas le facteur culturel ne doit pas
être dominant dans Je pense à Yu, parce qu’une compagnie française, une compagnie belge,
une compagnie du Québec, puis bientôt une autre du Canada anglais, vont monter la pièce.
Elle doit donc porter quelque chose d’universel. Je suppose que les questions qui y sont
posées sont des questions que les gens, d’où qu’ils soient, se posent en ce moment.
2.2 Olivier Kemeid : J’écris « dans ma langue »
A.-C. G. : Quel est votre rapport à la langue française québécoise, dans son rapport à
l’identité québécoise. Je pense à Bacchanale où il y a une volonté assez marquée d’utiliser
d’abord plusieurs niveaux de langues et un parler québécois très populaire. C’est pour
traduire quoi ?
12
O. K. : Moi, je n’ai jamais vécu la langue comme un problème, contrairement à beaucoup de
gens ici. Mes investigations, mes tentatives de jouer avec ce fond-là, ont déjà été ressenties
comme un problème par d’autres, mais moi je n’ai jamais eu ce problème-là.
Quand on commence à lire mes textes en répétition, les acteurs me disent toujours : OK, mais
c’est quel niveau de langue ? Je leur réponds toujours « dans ma langue ! ». Je n’accepte pas
qu’on donne une étiquette tout de suite, sociale, référentielle, ah bon est-ce qu’il faut que ce
soit la langue québécoise de 2011 ou la langue gaspésienne ou… La primauté est donnée à la
scène, c’est la langue qu’aura cette pièce dans cette scène-là quand elle sera créée, nourrie de
toutes les influences à la fois québécoises, françaises, internationale, littéraires, toutes les
influences. Et dans cette espèce de maelström-là, surgit ma langue, la langue d’Olivier
Kemeid. Je trouve ça formidable d’être au Québec pour ça, parce qu’on est dans un carrefour
d’influences infinies entre une oralité québécoise assez marquée, assez jouissive – que j’ai
explorée dans Bacchanale – la présence de l’anglais, la présence de toutes sortes d’accents
français venus des immigrations successives. Je trouve que c’est un fond riche, et plein de
charme.
A.-C. G. : Pour vous, la langue est une source ludique. Ce n’est pas à travers elle que vous
souhaitez continuer à forger une identité ?
O. K. : Non et puis j’ai toujours senti qu’au Québec, on jouait le martyr d’être 6 millions de
francophones dans une mer anglophone de trois cent millions, mais on a souvent oublié qu’on
était aussi 6 millions de francophones parmi 250 millions de francophones dans le monde. On
n’arrête pas de rattacher de façon géographique le Québec à, c’est vrai, ce qui nous entoure, le
Canada anglais, les États-Unis. Mais on a tendance à oublier qu’on fait aussi partie de cette
vaste francophonie et j’aime pouvoir me mêler à ça, on ne l’a pas encore assez fait, au créole,
aux autres façons de parler le français, aux différentes façons de parler en France aussi, parce
qu’il n’y a pas que Paris. Je trouve qu’on commence un peu à se décloisonner, à se
décomplexer là-dessus au Québec. Non, je ne le vis pas de façon tragique. Je suppose que je
le vivrais de façon tragique si mes pièces n’étaient pas du tout montées et si mes pièces étaient
refusées à cause de ça. Je pense que je suis chanceux en même temps, je suis sans doute le
produit de mon contexte, parce qu’il y a vingt ou trente ans, ça n’aurait pas été possible. Ça
aurait été vu comme colonisé…
A.-C. G. : Colonisé ?
O. K. : Oui, le terme sortait lorsqu’on écrivait des pièces au Québec en ne prenant pas le
chemin de l’oralité québécoise, du joual. Mis à part avec Normand Chaurette, fin des années
1970, début des années 1980, le contexte très marqué par Tremblay était tellement dans
l’affirmation de la voix nationale que ceux qui s’en écartaient, qui étaient peut-être dans une
recherche plus esthétique de la langue, étaient assez rabroués, c’était difficile pour eux de
trouver des scènes. Je pense à Normand Chaurette qui écrit dans une langue très détachée de
l’oralité, ça a été long, il a fallu attendre que Denis Marleau s’empare de ses pièces dans les
années 1990 pour qu’il trouve sa place et que le Québec quitte ses complexes. Je pense qu’on
a le droit, comme Québécois de puiser dans ce vaste répertoire de la langue de la
francophonie.
13
A.-C. G. : Quelque chose de plus universel ?
O. K. : Ce n’est pas ça tellement, parce que finalement Michel Tremblay a eu un impact
universel en plongeant dans une oralité très locale. Belles-sœurs a été monté dans à peu près
tous les pays du monde, traduit dans toutes les langues, même si c’est l’expression d’une
oralité. Il touche des thèmes universels. Pirandello écrivait la moitié de ses pièces dans un
dialecte sicilien, ça ne l’a pas empêché d’atteindre l’universalité. Non, je pense que ce sont de
fausses questions, on n’écrit jamais en se disant, là je vais être universel ou là je ne vais
m’adresser qu’au coin de la rue. Les auteurs qui font ça se tirent une balle dans le pied. Là
n’est pas notre devoir, notre devoir est d’écrire, d’être à la hauteur de l’histoire que nous
voulons raconter. Après, ça ne nous appartient pas. La réception de l’œuvre, c’est très
déstabilisant, on ne peut jamais prévoir toutes les questions que ça pose. Si vous saviez, moi,
au moment où j’écris, comme j’essaye juste d’aller à la fin de ma scène, de mettre mon enjeu
et d’essayer que ça marche, quoi ! (rires) On est beaucoup plus concret et bassement terre à
terre, comme auteur ! Même le plus lyrique, même Paul Claudel, il essayait aussi de résoudre
les conflits à l’intérieur de ses pièces.
A.-C. G. : Est-ce que par moment tu penses avoir écrit pour les Québécois ?
O. K. : Non ce n’est pas ça. Il y a bien la commentatrice russe qui est mythique, qui est le
pendant de René Lecavalier, un commentateur très important au Canada, au Québec. C’est
pour montrer que des commentateurs mythiques, on en a eu des deux côtés, nos héros sont des
deux bords, et nous aussi on a eu les nôtres qui faisaient des descriptions très à l’emportepièce. Magnifiés, quoi, sur des cothurnes.
II. Parcours artistiques et résonances politiques
1. Carole Fréchette, une conscience de soi et une conscience
politique au service du théâtre
A.-C. G. : Quelles sont les résonances qui existent entre votre parcours artistique et votre
engagement politique ?
C. F. : Vous parlez de mon histoire, de mon engagement politique dans les années 1970 ou en
général ?
A.-C. G. : En général : quand vous repensez à votre parcours artistique, est-ce qu’il y a des
des réalités politiques sur lesquelles vous vous êtes interrogée, qui sont venues colorer votre
écriture d’une manière directe ou détournée ?
14
C. F. : Je dirais que le rapport de mon écriture avec mon engagement politique s’est modifié
avec le temps. Quand j’ai commencé à écrire, à faire du théâtre dans les années 1970, après
ma formation à l’École Nationale comme comédienne, j’ai fait partie du mouvement de
création collective. J’ai fait partie d’une troupe, le Théâtre des Cuisines, qui était engagée
dans la cause des femmes, mais aussi dans la cause de la justice sociale. On se définissait à
l’époque comme féministes et marxistes. Et là, mon théâtre était directement lié, tributaire et
issu de mon engagement politique. C’était vraiment du théâtre d’intervention, du théâtre
d’agit-prop. On se donnait un grand thème, l’avortement, le travail ménager, etc. et on écrivait
à plusieurs sur la question.
A.-C. G. : Vous avez commencé à faire du théâtre pour vous engager politiquement ?
C. F. : Ce n’est pas exactement comme ça. Mon désir de faire du théâtre a commencé quand
j’étais adolescente. Ce n’était pas du tout, à ce moment-là, en lien avec la politique. J’étais,
comme beaucoup de jeunes qui aiment le théâtre, séduite par la scène, par le phénomène du
jeu. J’ai commencé à aller voir des pièces quand j’avais quatorze, quinze ans, et j’avais le
désir secret de devenir comédienne, mais il me semblait que ce n’était pas pour moi. À cette
époque, je ne pensais pas du tout que j’allais écrire un jour. Je voulais jouer. Le temps a passé.
J’ai fini par trouver l’audace de passer une audition à l’École Nationale de Théâtre et j’ai été
acceptée ; quand j’étais à l’École, je n’étais pas encore tellement dans les préoccupations
politiques, mais il est vrai que j’ai commencé l’École en 1970, à une époque très bouillante du
point de vue politique, au Québec. Dans le monde aussi d’ailleurs. C’était la période de Mai
68, des mouvements révolutionnaires sud-américains, etc. C’est là que les questions politiques
ont commencé à m’intéresser…
A.-C. G. : Vos professeurs parlaient-ils de politique ?
C. F. : Je suis entrée à l’École à une époque charnière. À mon arrivée, l’École était dirigée par
un directeur français et la formation était orientée vers le théâtre européen, classique et
contemporain. Un an plus tard, il y a eu un changement et c’est un Québécois qui a pris la
direction. Il a donné à l’École une tendance très nationaliste : valoriser les auteurs québécois,
faire de la création collective, etc. La politique était donc présente au sens d’une affirmation
culturelle et nationale. Certains profs étaient très orientés sur la question de l’indépendance du
Québec. Le politique avait beaucoup d’importance et était présent dans les esprits. J’ai
commencé à lire des ouvrages féministes quand j’étais en fin de parcours à l’École et ces
livres ont été une sorte de révélation pour moi. Quand je suis sortie de l’École, comme tous
ceux qui entrent dans le métier, je devais passer des auditions et essayer de trouver du travail.
Mais je me suis vite rendue compte que cela ne me convenait pas du tout. Je n’aimais pas
cette idée d’être une actrice à la pige qui doit attendre qu’on l’appelle…
A.-C. G. : D’être dans le désir de l’autre, en permanence ?
C. F. : Oui, ce n’était pas fait pour moi. En sortant de l’École, j’étais très critique par rapport
à la société, par rapport au théâtre institutionnel, qu’on disait bourgeois, par rapport à ce qui
se faisait à la télévision, dans l’industrie, etc. Je suis sortie en 1973, et très vite, à l’été 1974,
je suis allée avec une amie assister à un festival qui s’appelait le Festival du Jeune Théâtre. Il
15
mettait à l’affiche des jeunes compagnies, beaucoup de théâtre politique, du théâtre engagé
sur des questions sociales, des questions de femmes, des questions identitaires, etc. Et j’ai tout
de suite senti que j’appartenais plus à ce monde-là…
A.-C. G. : Il y a eu une rupture, après le Théâtre des Cuisines, dans votre engagement
politique, est-ce vraiment lié à l’échec du référendum ?
C. F. : Pas seulement. C’est vrai qu’il y a eu l’échec du référendum, qui a été comme une
espèce de point culminant : toute une jeunesse s’était engagée dans l’action politique, une
action pour l’indépendance ; après le référendum, il y a eu une espèce de dépression générale.
Mais moi, je n’étais pas particulièrement une fervente nationaliste. Je m’intéressais plutôt à la
cause des femmes, aux causes sociales, à la justice sociale. Les années 1970 ont été un temps
fort de la bataille féministe. Il y avait aussi beaucoup de groupes de gauche, des maoïstes, etc.
Au tournant des années 1980, c’était un peu le début de la fin des utopies, partout en
Occident. On allait vers la chute du mur en 1989. De mon côté, j’ai eu mon enfant en 80 et
j’ai pris une pause du Théâtre des Cuisines. Quand je suis revenue en 81, j’avais moins
d’enthousiasme. C’était le cas de tout le monde dans la troupe. Et peu de temps après, le
Théâtre des Cuisines s’est arrêté.
En fait, dans l’histoire du Théâtre des Cuisines, il y a eu deux équipes. Dans la première
équipe, on était cinq femmes. En 1975, nous avons créée ensemble Maman travaille pas, a
trop d’ouvrage, un spectacle sur le travail ménager qui a eu beaucoup de retentissement au
Québec. Au bout d’un an, trois femmes ont quitté le groupe. Nous sommes restées à deux et
avons voulu ouvrir les portes. Nous avons recruté huit nouvelles comédiennes ! C’était très
difficile à vivre. Je dirais que nous pratiquions la démocratie extrême. Pas de hiérarchie, tout
devait être décidé par toutes ! Ce fonctionnement très lourd a contribué à l’épuisement et à la
dislocation du groupe.
A.-C. G. : Vous étiez à la fois créatrices, comédiennes, et productrices. La recherche de
lieux pour se produire, tout était collectif ?
C. F. : Oui, tout était collectif, mais on se divisait un peu les tâches, évidemment…
A.-C. G. : Ça ramenait un peu d’argent ?
C. F. : Non, pas du tout (rires)
A.-C. G. : Alors, vous viviez comment ?
C. F. : Nous avions toutes un travail pour gagner notre vie. Je travaillais à l’Université de
Montréal. J’étais animatrice au Service des activités culturelles. Je dirigeais la troupe de
théâtre des étudiants, j’organisais des ateliers de théâtre. Je travaillais à temps partiel trois
jours par semaine. Ça me suffisait pour vivre.
A.-C. G. : Le Théâtre des Cuisines, c’était une troupe amateur ?
16
C. F. : Non, nous ne nous disions pas amateures. Nous ne faisions pas du théâtre pour le
plaisir, mais pour une cause. C’était par choix que nous ne recevions pas de salaire. Quand
nous jouions pour des syndicats ou des organismes qui avaient les moyens de payer, nous
demandions un gros prix pour notre spectacle. Ça nous permettait de l’offrir gratuitement
ensuite à des groupes qui n’avaient pas d’argent. Pendant l’été 1975, nous avons fait une
tournée du Québec, et, pour cette tournée, nous avons été subventionnées et nous nous
sommes payé des salaires. Mais de manière générale, nous ne touchions pas d’argent. Les
revenus servaient à louer le camion, à construire le décor, ils servaient à la publicité, à tout le
reste. Est-ce que c’était du théâtre amateur, est-ce que c’était professionnel ? Quelques-unes
d’entre nous avaient une formation professionnelle, elles sortaient des écoles de théâtre ;
d’autres n’avaient aucune expérience. C’était une chose à laquelle on tenait : abolir les
frontières entre amateurs et professionnels. On voulait démocratiser le théâtre ! Nous avions
un statut un peu particulier qui n’était ni amateur, ni professionnel. Nous disions : « militant ».
(rires)
A.-C. G. : Ensuite, vous êtes entrée dans une écriture plus individuelle.
C. F. : Oui c’est vrai que pour moi, à la fin des années 1980, il y a eu une vraie rupture.
C’était la fin d’un monde : la fin du Théâtre des Cuisines, mais aussi la fin d’une époque. Et je
n’étais pas la seule à ressentir ce changement. Les années 1980 ont été des années de repli sur
l’individualisme…
A.-C. G. : Sur des réalités plus intimes …
C. F. : Oui, et le théâtre s’est centré sur l’individu, ses angoisses et son épanouissement,
contrairement aux années 1970, qui ont été les années de l’art « au service de ». Au service
d’une cause, au service d’une idéologie. L’art était un instrument.
Au tournant des années 1980, j’avais terminé l’école de théâtre depuis une dizaine d’années et
je n’avais pas fait carrière du tout. J’avais joué dans un réseau bien particulier (syndicats,
groupes populaires, etc.). Je n’avais jamais travaillé dans les théâtres du circuit professionnel,
je n’avais pas construit un C.V. de comédienne. À l’issue de l’aventure avec le Théâtre des
Cuisines, je me suis rendu compte que j’aimais plus écrire que jouer. Mais je n’avais plus
envie d’écrire « au service de ». Je ne voulais plus démontrer et convaincre. J’avais envie
d’une démarche plus intuitive, plus instinctive, plus artistique. Voilà comment j’ai bifurqué, et
comment je suis allée vers une écriture plus personnelle. Le rapport entre mon écriture et
l’engagement politique est devenu moins direct. Mais j’ai toujours gardé de mes racines - les
années 1970 sont mes racines - un souci de témoigner du monde et de m’adresser au monde,
un souci d’accessibilité. Ce n’est pas du tout le même type d’accessibilité qu’au Théâtre des
Cuisines, où on jouait pour des ménagères, pour des ouvriers, et on voulait adopter leur
langage. Mes mots sont devenus plus personnels, mais je pense que j’ai gardé quand même ce
souci. Dans mes premières pièces écrites en solo, le monde est devenu davantage une toile de
fond que le sujet principal. Il était toujours présent, mais à travers un prisme plus intime. Dans
Les Quatre Morts de Marie, par exemple, le deuxième tableau représente les années 1970 et
les utopies de l’époque : changer la société, faire exploser le vieux monde. Et le troisième
tableau, plus près des années 1980, est une espèce de party déjanté qui raconte le désarroi, le
17
repli sur soi-même, l’ère de l’individu où chacun doit se découvrir, s’exprimer, se réaliser,
réaliser son potentiel, etc. Il y avait tout ça dans Les 4 morts de Marie.
Mon écriture oscille entre des pièces qui sont vraiment dans le domaine de l’intime, où la
société est plus en retrait – comme La Peau d’Élisa – et d’autres pièces qui sont directement
ancrées dans les problèmes du monde – comme Le Collier d’Hélène, Je pense à Yu ou Les
Sept Jours de Simon Labrosse. Sur un ton humoristique et fantaisiste, cette pièce aborde, une
vraie réalité sociale.
J’ai écrit Simon Labrosse dans les années 1993-94, pendant une grave période de récession au
Québec, où il y avait une vraie panique du chômage. C’était aussi l’époque où j’ai décidé de
quitter mon travail au Conseil des Arts du Canada pour devenir auteure dramatique à plein
temps. J’étais donc moi-même dans une grande inquiétude, une grande précarité. J’étais
d’autant plus touchée par cette précarité que je sentais dans la société. Simon Labrosse vient
de là. Ça fait partie des pièces sur des réalités que je partage avec tous les citoyens, des
réalités que je vois à la télé, dans le journal, comme tout le monde. Et d’autres pièces, comme
La Petite Pièce en haut de l’escalier, sont plus à la verticale, en plongée dans les replis de
l’être. Mais le monde y est quand même présent.
2. Larry Tremblay, « les mots sur la peau de tambour de
l’acteur » et la responsabilité de l’artiste dans la société
Larry Tremblay est dramaturge mais aussi poète, nouvelliste, essayiste, metteur en scène,
acteur et professeur à l'Université du Québec à Montréal, où il enseigne l'interprétation. Il part
en Inde un peu par hasard dans la vingtaine, comme acteur d’une troupe de théâtre venue y
jouer… Les Belles-Sœurs de Michel Tremblay ! Ce voyage va complètement bouleverser son
jeu d’acteur, sa vision artistique, philosophique ainsi que sa vie. Il y retourne de nombreuses
fois, y étudie très sérieusement le kathakali, un théâtre dansé du sud de l'Inde. On peut sentir
l'influence de cet art dans la gestuelle et le rythme de toute son œuvre. Cette fascination se
traduit notamment par l'importance indéniable qu'il accorde au corps du personnage et de
l'acteur, dont il traite plus particulièrement dans son essai Le Crâne des théâtres, essais sur le
corps de l'acteur, paru en 1993, et qu'il a intégré dans sa pédagogie lors de ses années
d'enseignement. Ses textes sont régulièrement publiés et mis en scène, autant ici qu'à
l'étranger, les plus connus étant Leçon d'anatomie (1992), The Dragonfly of Chicoutimi
(1996), Le Ventriloque (2001) et Abraham Lincoln va au théâtre (2008). Ses pièces, souvent
oniriques et fantastiques explorent les origines de la violence psychique et sociale. Se situant
dans la mouvance des auteurs des années 1980 - comme Normand Chaurette et René-Daniel
Dubois qui délaissent le théâtre engagé et dénonciateur vers une forme plus personnelle et
travaillée, où le lyrisme remplace le joual et le vide efface le réalisme - Larry Tremblay est
reconnu pour ses monologues, où des personnages en crise identitaire se déconstruisent
physiquement et émotivement devant le public. On reconnaît aussi ses textes à leur forme
épurée, aux ponctuations et didascalies absentes, où toute la place est donnée au rythme et à la
musicalité des mots.
18
Nous retiendrons en finalité ici sur cet auteur, l’analyse d’Hélène Jacques, qui met en tension
dans l’écriture de Larry Tremblay le jeu sur la langue, l’invention poétique, avec la
responsabilité sociale et politique d’interroger le monde à travers la forme artistique pour
mettre à jour notre humanité :
La variété des formes caractérise l’œuvre de cet auteur qui affectionne le genre poétique, excelle dans le
monologue (The Dragonfly of Chicoutimi, Leçon d’anatomie, etc…) et prise aussi les intrigues
alambiquées où les actions des personnages s’emboîtent comme des poupées russes (Panda-Panda, Le
Ventriloque, Abraham Lincoln va au théâtre). Il existe cependant un fil rouge unissant les pièces de
Tremblay […] Face externe, foisonnent dans toutes ses pièces un commun plaisir de la langue, une
jubilation de l’invention poétique […] Plus souterrainement, on retrouve des thèmes récurrents dont un,
phare, concernant la place accordée à l’art dans la société. Chez Larry Tremblay, l’art se voit confier
une responsabilité sociale, celle d’interroger le monde et le secret des choses ; et l’imaginaire représente
un espace de liberté de pensée et d’humanité qu’il importe de préserver3.
Si ses sujets ne sont pas directement issus de la réalité sociale et politique, sa position
d’artiste, d’écrivain et de pédagogue, elle, s’inscrit pleinement dans la conscience aigüe d’une
responsabilité éthique, esthétique et politique que doit préserver l’art au sein de la société.
Certains de ses textes ou spectacles ont cependant été inspirés par des faits réels touchant à
l’actualité politique internationale. Une création chorégraphique pour cinq comédiens, appelée
Mille Grues, voit le jour en 1987 et pose un regard très émouvant sur l’horreur d’Hiroshima.
La Hache, texte publié sous forme de récit dans Piercing (2006) développe une réflexion sur
les conséquences potentiellement meurtrières, chez l’homme, de l'obsession de la pureté sous
toutes ses formes. Larry Tremblay explique que c’est le génocide du Rwanda qui a été d’une
certaine façon à l’origine de sa réflexion.
D’autres pièces ou écrits intègrent des réalités socioculturelles et politiques de manière plus
ou moins détournée. Dans The Dragonfly of Chicoutimi (1995), Gaston Talbot, un « enfant
dans un corps d'adulte », se réveille aphasique pour découvrir qu'il ne sait plus parler français,
sa langue maternelle, et qu'il ne s'exprime plus que dans un anglais idiomatique guindé avec
des traces de syntaxe française. La thématique du traumatisme national et son entrelacement
autour du symptôme de la perte de la langue s’inscrit dans un rapport à la réalité et aux
interrogations récurrentes au Québec sur l’identité québécoise. Le Génie de la rue Drolet
(1997) aborde le statut de l’art dans la société (un artiste fait des installations à base d’os de
poulet) tandis qu’est mis en question le statut des animaux destinés à la consommation dans
nos sociétés, leurs épouvantables conditions de vie et d’abattage, et les conditions de travail
des personnes employées dans ces abattoirs modernes. Dans L’Histoire d’un cœur (2006), un
cœur prend la parole. En racontant l'incroyable histoire de ses transplantations, il évoque des
personnages fantasmagoriques issus de notre monde contemporain : Henri, un éboueur rêvant
d'être le prochain John Lennon, Alejandro, un jeune tagueur, et pour finir un clown...
3
Hélène Jacques, « Le Secret des choses. Larry Tremblay en quatre temps. », in Cahier de Théâtre-Jeu n° 120,
Québec, 2006, p. 8 et p. 14.
19
3. Olivier Kemeid, un jeune auteur qui déconstruit certitudes
et préjugés
A.-C. G. : D’où vient votre nom, Kemeid, ça ne sonne pas très québécois ?
O. K. : C’est égyptien, mon père est né en Égypte. Ce sont mes grands-parents qui ont
immigré au Canada en 1952. Mon père avait 6 ans. Ils sont partis à la suite de la Révolution,
la nationalisation, la prise de pouvoir de Nasser. Ils ont fait parti d’une vague d’exil un peu
poussée de toutes les minorités non musulmanes, autochtones, égyptiennes, juives,
orthodoxes, chrétiennes du Moyen-Orient, etc. Il y en a qui sont restés. Une partie de ma
famille est restée mais la plupart est partie. Une mince partie est allée en France, une grande
partie au Canada.
A.-C. G. : Et vous, vous vous sentez québécois ?
O. K. : Oui ! Complètement !
A.-C. G. : Pourtant, dans vos textes, il y a cette problématique qui semble récurrente : le
rapport à l’immigration, à l’exil, le déplacement des populations. C’est une thématique qui
vous touche ?
O. K. : Oui, c’est sûr, j’en suis le fruit ! Tout en étant québécois. Mais je dis toujours que les
Québécois aussi sont des exilés. Et de toute façon, toutes les nations ont été formées par des
immigrés. Mais ici, c’est un cas assez particulier, le Québec, la Nouvelle-France, parce que
beaucoup de Québécois savent exactement de quel patelin de France ils viennent. Ma mère,
une Québécoise pure laine, entre guillemets, s’appelle Rochefort, elle vient de Rochefort-enTerre, dans le Perche. Plusieurs membres de ma famille sont même allés en pèlerinage en
France.
A.-C. G. : C’est très présent pour tout le monde ici ?
O. K. : Oui, c’est assez présent, beaucoup plus qu’on ne le croit. Moi, il y a une couche
supplémentaire par les origines de mon père et l’émigration récente, c’est-à-dire dans les
années 1950, alors que pour les colons on parle évidement du XVII e siècle. Mais oui, je suis
issu de ces deux couches successives d’émigration.
A.-C. G. : Quels liens vous unissent au Théâtre d’Aujourd’hui ?
O. K. : Il y en a plusieurs. D’abord, une liaison naturelle parce que c’est le théâtre de la
création québécoise par excellence et étant un auteur, il y a un lien indéfectible. Pour moi,
c’est un théâtre national au sens moral du terme parce que c’est celui qui fait l’ardente
promotion, la défense de la dramaturgie québécoise. Et puis, un lien naturel avec sa directrice
artistique Marie-Thérèse Fortin4, parce qu’elle est venue me chercher alors que j’étais encore
sur les bancs de l’école, à l’École Nationale de Théâtre, pour être son adjoint lorsqu’elle
4
Elle a terminé son mandat fin juin 2012, note d’Anne-Claire Guilloteau.
20
dirigeait le Théâtre du Trident, à Québec. J’étais tout jeune finissant ; je suis sorti de l’École
Nationale en 2002. Par la suite, on a collaboré souvent, j’ai été son conseiller dramaturgique
sur des mises en scène qu’elle a faites, sur L’Aigle à deux têtes de Cocteau. On a travaillé
ensemble sur l’œuvre de Gabrielle Roy, la grande écrivaine du Manitoba, aujourd’hui
décédée. Et puis, j’ai une pièce qui a été programmée ici, Bacchanale, en 2008, dans une mise
en scène de Frédéric Dubois, celui qui monte Réjean Ducharme en ce moment.
A.-C. G. : Comment vous situez-vous par rapport à des auteurs comme Larry Tremblay ou
Carole Fréchette ?
O. K. : Carole, ça a été une rencontre importante dans ma vie parce qu’elle a été ma marraine
d’écriture à L’École Nationale de Théâtre en écriture dramatique.
A.-C. G. : Il y a eu Wajdi Mouawad aussi ?
O. K. : Wajdi a été mon parrain d’écriture en troisième année, Carole Fréchette en deuxième
année. Carole était en plein dans sa démarche d’écriture qui allie la petite et la grande
Histoire, je pense au Collier d’Hélène, et évidemment à Je pense à Yu, sa dernière pièce.
Donc on avait des discussions assez riches là-dessus, car j’étais déjà dans cette thématique-là,
moi aussi.
A.-C. G. : Sentez-vous un écart de génération dans l’approche de cette thématique ?
O. K. : Non, pour moi l’analyse générationnelle, c’est le degré zéro de l’analyse historique et
ça empêche de pousser l’analyse plus loin. C’est évidemment la base, mais ce n’est rien. Par
moments, je me sens plus proche d’un Larry Tremblay ou d’une Carole Fréchette que de
certains auteurs de ma génération. Il y a chez certains une thématique dont je me sens plus
éloigné ; les questionnements du couple trentenaire, par exemple, la cellule privée, et un
théâtre très réaliste dont je suis assez loin finalement, un théâtre qui penche plutôt du côté soit
de la télévision, mais de la très bonne télévision, du très bon théâtre, et qui va mettre en scène
les tribulations du couple trentenaire dans une thématique urbaine. C’est un théâtre très
marqué par le théâtre nord-américain, par David Mamet, du théâtre très relationnel, une
langue assez naturaliste, une esthétique presque antithéâtrale par moment, du huit-clos, du
réalisme poussé, exacerbé. Je m’en sens très éloigné. Quand je suis sorti de l’École Nationale,
je me suis senti un peu tout seul de ma gang, comme on dit, parce qu’il y avait ce courant qui
était assez fort, et qui prenait d’assaut plusieurs théâtres. Je me sens super loin de ça, par
moments même en porte à faux. Pas en révolte parce que j’en suis tellement loin, que je ne
peux même pas m’insurger. J’ai presque l’impression de faire un autre métier.
A.-C. G. : Parlez-vous plusieurs langues ?
O. K. : Non, l’anglais un peu, plus deux trois insultes en arabe (rires)
A.-C. G. : Dans Nous qui ne rêvions plus ?
O. K. : Ah, oui, il y a un arabe inventé, un arabe de cuisine ! Mais ce n’est pas de l’arabe,
c’est une langue inventée aux consonances arabes. J’ai écrit ça parce que c’était ce que mon
21
oreille pouvait retenir de paroles entendues dans ma famille. Des consonances que je connais
de façon très éloignée, comme si vous aviez une arrière-grand-mère qui parlait breton, basque
ou… et que vous aviez quelques échos.
A.-C. G. : Quelles sont les résonances qui existent entre votre parcours artistique et votre
engagement politique ?
O. K. : Il y en a, c’est clair. Surtout que j’ai commencé par des études en sciences-politiques,
et puis par mes goûts, mes volontés de prendre la parole en public, etc. Je voulais devenir
journaliste. L’écriture théâtrale et le théâtre sont venus par la suite. Je faisais une maîtrise en
sciences-politiques sur le théâtre. J’aurais été le premier à faire cela à l’Université de
Montréal : le théâtre comme moyen de révolte et d’expression politique. En particulier le
théâtre britannique sous les années Thatcher et le Théâtre tchèque autour de la figure de
Vaclav Havel. J’étais passionné par mon sujet, mais plus je lisais ce théâtre, plus je voulais en
faire (rires). J’ai finalement abandonné mes études universitaires pour rentrer à L’École
Nationale de théâtre, et en écrire… il y a eu une bascule entre l’analyse et la création, entre la
volonté de comprendre les choses et celle de les dire.
A.-C. G. : Avez-vous une formation de comédien ?
O. K. : Non, j’ai fait un an de jeu dans une école de théâtre, c’est tout. Après je suis venu
directement à l’écriture et à la mise en scène, comme beaucoup d’auteurs de ma génération,
par défaut, par impatience, ou parce que j’ai vu des choses qui ne me satisfaisaient pas lorsque
je me faisais mettre en scène, ou parce que j’avais tout simplement envie de pousser l’écriture
dans une salle de répétition.
A.-C. G. : Moi je sens dans votre écriture une trame politique assez forte. Vous avez parlé de
journalisme ?
O. K. : Certainement, il y a des liens avec le journalisme. D’ailleurs plus qu’avec l’analyse
politique, car je me méfie beaucoup du théâtre à thèse. C’est bien important pour moi de ne
pas prendre position, mais plutôt d’amener des éléments et de laisser le spectateur faire son
chemin là-dedans. Je participe depuis maintenant six, sept ans à la revue Liberté, une revue
culturelle et là, je prends régulièrement position. Ou même dans des quotidiens, à la radio. Par
moment j’ai besoin…
A.-C. G. : D’autres tribunes ?
O. K. : Oui, avec une écriture complètement différente de celle du théâtre.
A.-C. G. : Avez-vous le sentiment que Moi, dans les ruines rouges du siècle se situe dans un
prolongement de votre pièce L’Énéïde ?
O. K. : Oui, il y a prolongement, à toutes sortes de niveaux : la quête, une odyssée, une
traversée, la traversée d’un siècle, un monde qui s’effondre dans les deux cas, une ville qui est
un reflet de la ville de Troie mais qui peut être Le Caire en 1952 ou Sarajevo. L’Énéïde, je
n’ai pas voulu la situer géopolitiquement, mais on imagine bien que c’est une ville qui
22
s’effondre et Moi dans les ruines rouges, c’est un monde au complet qui s’effondre. Il y a
aussi une émigration. Il y a une relation père-fils, énorme dans L’Énéïde et énorme dans Moi,
dans les ruines rouges. Il y a la mère absente dans les deux cas, (la mère qui meurt au début
de L’Énéïde). La langue est un peu différente, encore qu’on retrouve dans les monologues des
Ruines rouges une certaine forme de lyrisme, un côté épique qu’il y avait aussi dans
L’Énéïde. Il y a un ancrage plus réaliste dans Moi, dans les ruines rouges, un contexte
beaucoup plus précis et une dimension biographique évidemment plus poussée.
III. Choix artistiques et traitement de l’information
1. Je pense à YU, une lutte de chaque instant entre fiction et
documentaire
A.-C. G. : J’aimerais que vous me parliez des documents bruts dans votre pièce : comment
avez-vous procédé pour intégrer ceux-ci ? Aviez-vous dès le départ l’intention de faire une
pièce documentaire-fiction ?
C. F. : Comme vous le savez, tout a commencé par un article que j’ai vu dans mon journal.
Au départ je ne savais rien de cette histoire-là. Je connaissais, en gros, les événements de
Tienanmen, comme tout le monde. En 1989, j’avais suivi ça à la télé, j’avais lu un peu làdessus et j’avais été frappée par ce qui se passait là-bas, mais sans plus. Et puis, par hasard, il
y a quelques années, en 2006 plus précisément, j’ai vu ce tout petit article dans mon journal,
et je ne sais pas pourquoi, ça m’a touchée. Je l’ai lu et relu, en essayant de me souvenir si
j’avais déjà entendu parler de ce garçon qui avait lancé de la peinture sur le portrait de Mao,
sur la place Tienanmen pendant les révoltes des étudiants. J’en ai parlé à mon compagnon qui
m’a dit ne pas se rappeler de cet incident particulier. Alors, j’ai cherché sur Internet. Ça a
commencé comme ça. J’ai tapé le nom du garçon sur Google : Yu Dongyue. J’ai tout de suite
appris qu’il n’était pas seul à avoir lancé la peinture. Ils étaient trois. Et tous les trois ont été
condamnés à des peines sévères de prison. Yu Dongyue a été libéré après 17 ans, en février
2006. C’était le sujet de l’article que j’avais lu dans le journal. J’ai trouvé quelques
informations supplémentaires sur différents sites, puis je me suis arrêtée.
A.-C. G. : Pour les besoins de la dramaturgie, pour les relations entre les personnages de
votre pièce, je suppose que vous avez dû laisser de côté des tas de choses ? Comment avezvous fait vos choix ?
C. F. : La partie documentaire de la pièce s’est vraiment développée par étapes. Au départ, il
y avait cet incident – on ne peut pas appeler ça un fait divers, c’est plus qu’un fait divers –,
sur lequel j’ai cherché à en savoir un peu plus : qui étaient ces trois gars, qu’est-ce qui leur
était arrivé ? J’ai appris qu’ils avaient été arrêtés et emprisonnés tous les trois le jour-même
de leur méfait. L’un est sorti au bout de 10 ans, l’autre au bout de 8 ans, et Yu Dongyue a été
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libéré après 17 ans. J’ai commencé à écrire à partir de ces informations très sommaires et,
pendant longtemps, j’ai cru que cela me suffirait. Il était clair pour moi que je n’allais pas
faire une pièce directement sur ces trois jeunes Chinois. Cela n’avait aucun sens. Je ne les
connaissais pas vraiment, et je ne connaissais pas grand chose de la Chine ni des événements
de 1989. Non, je sentais plutôt que cet événement survenu à l’autre bout du monde, presque
20 ans auparavant, allait être le point de départ d’une réflexion sur l’ici et maintenant. Très
vite, j’ai eu cette image d’une femme qui lit dans son journal l’article sur les trois jeunes
hommes de Tiananmen et devient obsédée par leur destin. Cela la renvoie à sa propre histoire
et à son passé de militante.
A.-C. G. : Les faits politiques réels ont agi sur vous comme déclencheur pour créer votre
personnage imaginaire ?
C. F. : Je ne voulais faire une pièce documentaire au sens strict du terme et donc je ne me suis
pas lancée dans des recherches approfondies. Je suis partie de ce petit article et j’ai fouillé un
peu autour, sans plus. Je me suis mise rapidement à élaborer une fiction. Les personnages sont
arrivés : Madeleine, puis Jérémie. Ensuite, j’ai senti le besoin d’une voix plus jeune. J’ai alors
eu l’idée d’une étudiante immigrante, et pourquoi pas, tant qu’à faire, une étudiante chinoise.
Je cherchais des énergies différentes. Lin est dans l’énergie de la jeunesse. Elle est au début
de l’âge adulte. Elle est tournée vers l’avenir, elle veut bâtir sa vie. Elle est très déterminée.
Même si sa situation est difficile, elle ne se décourage pas. Plus tard dans la pièce, on
découvre qu’elle n’est pas si innocente qu’elle a en l’air, qu’elle a vécu des choses. Mais elle
est bien de son temps, et elle porte le désir de beaucoup d’immigrants. Elle est centrée sur son
destin individuel, elle veut s’en sortir, avoir une vie meilleure, une famille, des enfants, une
maison au bord d’un lac. Madeleine a eu vingt ans à une autre époque et dans une autre réalité
sociale. Née dans un pays démocratique, et arrivée à l’âge adulte dans une période de
prospérité extraordinaire, elle s’est passionnée pour le destin collectif. J’aimais l’idée de
mettre en présence ces deux personnages aux histoires complètement différentes.
Pendant que j’élaborais la fiction, je retournais de temps à autre sur Internet pour me
rebrancher sur les événements qui étaient à la source du projet. Je me disais : cette pièce n’est
pas seulement à propos de Madeleine, de Jérémie, de Lin, de leurs drames et leurs démons
personnels. Elle est à propos de Madeleine, Jérémie et Lin, en lien avec les trois jeunes
hommes de Tiananmen. Je ne voulais pas perdre de vue cette tension.
Plus je trouvais de la documentation sur les manifestations, les étudiants, comment tout cela
avait commencé, plus ça m’intéressait. J’ai lu, notamment, un roman, Beijing coma, écrit par
un écrivain chinois qui vit à Londres. C’est un roman de 700 pages dont la moitié au moins
raconte les événements de la place Tienanmen presque heure par heure.
Et un jour, j’ai trouvé des bouts de films tournés en 1989 qui m’ont conduite à cette
découverte incroyable : les trois jeunes hommes avaient été donnés à la police par les leaders
étudiants eux-mêmes.
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A.-C. G. : Ce n’est pas Lu Decheng qui vous l’a appris lorsque vous êtes allée le voir à
Calgari?
C. F. : Non, je l’avais trouvé avant d’aller voir Lu Decheng. Ce n’était pas quelque chose
qu’on pouvait trouver facilement. C’est en allant d’un site à l’autre que j’ai trouvé, sur le site
d’une télé asiatique en langue anglaise, un reportage sur les trois gars qui ont lancé la
peinture. Si je me rappelle bien, il y avait même Lu Decheng dans ce reportage. Il y expliquait
qu’ils avaient été dénoncés à la police par les leaders étudiants. Là, j’ai compris que toute
cette histoire était bien plus complexe qu’il n’y paraissait, bien plus intéressante et troublante.
C’est à ce moment-là, en faisant cette découverte, que j’ai décidé d’accorder une place plus
importante à la partie documentaire dans ma pièce. Je voulais raconter l’histoire de Yu
Dongyue, Yu Zhijiang et Lu Decheng dans toute sa complexité.
À cette époque, j’ai trouvé aussi de la documentation sur l’intervention de Zao Ziyang,
Secrétaire général du Parti Communiste Chinois. Il était venu sur la place supplier les
étudiants d’arrêter leur mouvement. Ce geste m’a énormément émue. Encore aujourd’hui,
quand j’y pense, ça me touche beaucoup. Ce monsieur qui venait dire aux étudiants en grève :
nous avons été jeunes nous aussi, soyez raisonnables. Fallait-il l’écouter ? Le lendemain de
son intervention, Zao Ziyang a été arrêté et assigné à résidence jusqu’à la fin de sa vie. Cela
aussi, j’ai eu envie de le raconter.
A.-C. G. : En dire plus pour en faire entendre plus, pour que les gens soient au courant ?
Pour faire entendre une réalité à laquelle nous n’avons pas eu accès à moins de se lancer
dans des recherches approfondies comme les vôtres ?
C. F. : Oui, au lieu de me limiter à raconter l’incident de la peinture sur le portrait de Mao,
j’ai voulu élargir mon propos en expliquant davantage ce contexte émouvant et troublant.
Mais après, la grande question était justement : comment choisir ? J’ai évidemment trouvé
beaucoup plus de choses que ce que j’ai raconté dans ma pièce. Je devais prendre des
décisions dramaturgiques. La pièce n’était pas une œuvre documentaire au sens strict, elle
était une fiction, avec des personnages que j’avais mis en place. Je devais leur laisser l’espace
pour évoluer, pour se confronter, tout en intégrant les éléments de Tiananmen. J’ai écrit dans
la tension constante entre ces deux pôles : 1989 et aujourd’hui, la Chine et l’ici maintenant,
l’histoire inventée, l’histoire réelle.
A.-C. G. : Donc ça a été une lutte tout au long de l’écriture de votre pièce ?
C. F. : Oui, une vraie lutte (rire).
A.-C. G. : Avez-vous eu le sentiment que la force de la réalité vous a mise à l’épreuve, car
comment écrire et élaborer une fiction en respectant l’émotion du réel ?
C. F. : Oui, le grand défi était de trouver un équilibre dans tout ça. Je faisais des allers retours
constamment. Pendant deux trois semaines, je construisais ma fiction. Je me posais des
questions de fiction : qui est Jérémie, qu’est-ce qu’il vient faire là ? (Pendant des mois je me
suis demandé ce qu’il venait faire dans cette pièce!) Et à d’autres moments, je revenais aux
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événements réels. J’avais toujours peur de donner plus d’importance à l’un qu’à l’autre. Je
craignais de – comment dire – d’arriver à un résultat où les personnages que j’ai inventés
paraissent plus importants, où leurs drames semblent plus importants que le drame réel vécu
par des hommes réels dans la Chine de 1989. J’ai eu de sérieux problèmes de conscience.
C’était la première fois que je manipulais des faits réels.
A.-C. G. : Est-ce que vous voulez dire aussi que les personnages réels ont en eux-mêmes une
telle force qu’à côté les personnages que vous inventiez devaient être aussi très forts pour
qu’il y ait cet équilibre, parce que ces personnages réels, ils battent toutes les fictions ? En
plus, la réalité ici dépasse la fiction, par sa complexité, c’est ce que vous avez découvert.
C. F. : Il y avait ça, et il y avait aussi le fait que leur histoire était tragique. En faisant leur
action, ils ont payé de leur vie, de leur jeunesse. De plus, ils ont été menés à la police par les
étudiants eux-mêmes, c’est une histoire très forte. Je me disais, au départ, que mes
personnages à moi allaient avoir l’air banal, mesquin, avec leurs petits drames. Et puis, quand
mes personnages sont devenus plus forts et plus intéressants, au moment de la crise de
Jérémie par exemple, je me disais que ça allait faire de l’ombre à l’histoire réelle des trois
Chinois. Donc j’étais tout le temps dans des déchirements entre les deux. Et je peux vous dire
qu’il y a eu des périodes où je n’y croyais plus du tout. Il y a même un moment où je me suis
arrêtée. Je me suis dit, ça n’ira pas.
A.-C. G. : Vous avez rencontré Lu Decheng, ici, au Canada, vous avez pu l’interviewer et
donc vous aviez un matériau brut, un témoignage direct, que vous avez choisi de ne
finalement pas intégrer à votre pièce. Pourquoi ? Je pense à Lin, qui dans la pièce se met
aussi à farfouiller sur internet et qui parle le chinois. Elle aurait tout à fait pu compléter les
informations de Madeleine. Elle le fait d’ailleurs, dans une certaine mesure. J’ai le sentiment
que vous avez voulu séparer complètement ce que vous avez trouvé grâce à Google, via
internet et le témoignage direct, la parole du témoin.
C. F. : Il faut dire que quand j’ai rencontré Lu Decheng, j’en étais déjà à mi-parcours. Ma
pièce avait déjà sa forme. Et quand j’ai appris qu’il vivait au Canada, j’ai même hésité au
début, je n’étais pas sûre de vouloir le rencontrer. Je me demandais si je voulais en savoir
plus. C’était une pièce de théâtre que j’écrivais, pas autre chose. Et finalement, j’ai décidé
d’aller à sa rencontre. Je trouvais que c’était impossible de ne pas le faire. C’était si
incroyable qu’il soit dans mon propre pays. Quand je suis partie pour Calgary (où il vit), je
doutais encore beaucoup de ma pièce. Il m’a raconté des choses sur son enfance. Puis il m’a
raconté ses années de prison, sa sortie de prison et ses années d’errance et sa décision de
quitter la Chine. Il y avait de quoi faire une autre pièce, juste avec tout cela. Nous avons eu
six heures d’entrevue. Je me suis demandé ce que j’allais faire de cette matière nouvelle. Et
j’ai décidé finalement que j’allais m’en tenir à ma pièce telle que je l’avais construite : on ne
saurait de l’incident de Tiananmen et de ses protagonistes que ce que Madeleine trouve sur
internet à travers ses recherches relativement superficielles.
Je suis revenue à l’émotion du départ : le geste des trois hommes. Trois jeunes hommes dans
la foule qui se disent, il faut faire ça, et ils le font. Il y a une beauté dans ce geste, une
témérité, une naïveté, une force. J’ai voulu m’en tenir à cela ; le geste et ses conséquences
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immédiates. La suite – les longues années de prison, l’errance, l’exil, la folie (dans le cas de
Yu Dongyue), c’est une autre étape, une autre pièce.
Par contre, je voulais témoigner de ma rencontre avec Lu Decheng. Lorsque ma pièce serait
finie.
A.-C. G. : Dans Entrefilet.
C. F. : Oui. J’ai écrit Entrefilet dans le cadre des célébrations des 100 ans du journal Le
Devoir. C’était une commande. Le Théâtre d’Aujourd’hui a demandé à quatre auteurs d’écrire
une courte pièce sur le thème de la liberté d’expression. Ce thème ne me disait rien du tout au
départ. Je le trouvais trop vaste. Le seul angle qui pouvait m’intéresser était le point de vue du
lecteur, l’individu qui tourne les pages de son journal, qui s’arrête un peu ici, qui ne s’arrête
pas là et qui tout à coup s’arrête plus particulièrement sur un article minuscule. C’est une
chose qui me fascine. J’ai donc eu l’idée de raconter ma propre expérience.
J’ai décidé de publier Entrefilet avec Je pense à Yu parce que je voulais absolument qu’il y ait
quelque part une trace de ma rencontre avec Lu Decheng. Une trace de ce qu’il a partagé avec
moi, sur son enfance, sur ses motivations, sur ses années de prison et sa décision de quitter
son pays. Je voulais aussi lui rendre hommage et le remercier pour m’avoir accordé son temps
et sa confiance.
A.-C. G. : Moi, ma supposition c’était que vous ne souhaitiez pas utiliser dans votre pièce les
documents auxquels vous seule avez eu accès et que cela procédait de votre désir de renforcer
le partage d’une expérience commune avec les spectateurs (les lecteurs), c’est-à-dire que tout
un chacun peut comme vous avoir accès aux mêmes documents sur internet. Ce serait en
quelque sorte une position politique : il n’y aurait pas d’un côté ceux qui ont accès à
certaines informations par ce qu’ils sont, ils font partie d’une élite et d’autres qui n’ont pas
ce privilège ?
C. F. : Je ne le formulerais pas comme ça, mais il est certain que ça n’aurait eu aucun sens,
pour moi, que Madeleine parte à la rencontre de Lu Decheng après avoir découvert qu’il vit
dans son pays. Moi je suis allée le rencontrer parce que j’écrivais une pièce, mais Madeleine
n’écrit pas de pièce. Justement, ce que j’aimais de la situation – et j’y tenais beaucoup –
c’était exactement ce que vous dites : Madeleine ne sait de cette histoire que ce qu’elle a
trouvé grâce à Google. On fait tous cela. On regarde la télé, on se dit, attend, qui est ce gars ?
On va taper son nom, on en sait un peu plus, on tape encore, on en sait encore un peu plus, et
c’est tout. Dans une version précédente, Madeleine avait fondé un journal dans les années
1970, un journal militant. Des gens qui avaient lu la pièce à ce moment-là m’avaient dit :
comment se fait-il qu’une journaliste ne trouve pas plus d’informations ? J’ai alors changé ce
détail dans la biographie de Madeleine. Si elle avait été journaliste, elle aurait eu un autre
rapport aux événements, elle aurait cherché de façon professionnelle. Je ne voulais pas du tout
qu’elle soit une professionnelle de la recherche sur Internet. C’était important pour moi
qu’elle soit une citoyenne comme les autres.
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A.-C. G. : Pensez-vous qu’internet est un nouvel outil de démocratisation de l’information, de
la circulation des savoirs et des connaissances ?
C. F. : Il me semble que oui. Et s’il y n’y avait pas eu Internet, aurais-je écrit cette pièce-là ?
Je n’en sais rien.
A.-C. G. : En allant en bibliothèque rechercher toutes les archives de journaux.
C. F. : Mais je ne l’aurais pas fait, je ne pense pas ! Mais maintenant, c’est si facile d’aller
taper Yu Dongyue sur Google et de voir les informations apparaître, et les photos, les films,
et les documents d’Amnistie Internationale. C’est pour ça que Google est si présent dans la
pièce (rires).
2. Moi, dans les ruines rouges du siècle, une large fresque aux
éléments de réalités recomposés
A.-C. G. : Le point de départ de votre pièce, c’est le mensonge. Un mensonge pour préserver
un idéal. De plus, l’acteur joue son propre rôle, donc il incarne aussi d’une certaine façon le
mensonge. Quand il pleure lorsqu’il retrouve enfin sa mère, puis ensuite lorsqu’il nous
raconte son décès, on est à la limite, dans une sorte de trouée du réel dans la fiction.
O. K. : Mais c’est le cas des autres acteurs aussi.
A.-C. G. : Mais ce n’est pas leur propre vécu qu’ils incarnent.
O. K. : Attention, qu’est-ce que c’est que le jeu ? Le jeu, c’est de replonger dans ses propres
émotions, il n’y a rien de plaqué, sinon c’est un jeu qui serait très mauvais. Annick Bergeron
(l’actrice qui joue la mère de Sasha) n’a jamais eu d’enfant.
A.-C. G. : Mais Sasha, lui, il revit chaque soir les retrouvailles avec sa mère et nous annonce
chaque soir son décès à 45 ans.
O. K. : Il ne l’a pas vécu exactement comme ça. Tout ça c’est de la transposition. Son
émotion, ce n’est pas parce qu’elle semble plus proche que celle des autres qu’elle plus réelle.
Chaque acteur a vécu ses propres séparations, ses propres deuils, il les revit aussi à sa manière
en jouant cette scène. Donc l’émotion de Sasha est aussi forte que celle d’Annick, de Robert,
de tous les acteurs présents sur scène.
A.-C. G. : Pour nous, ça n’a pas le même sens. Dans un cas nous acceptons l’illusion du
théâtre, dans l’autre, nous assistons presque à de la réalité, c’est ce presque que je veux
interroger. Parce qu’on sait que c’est lui, c’est son histoire. Il le dit au début, c’est son
histoire.
O. K. : Pourquoi vous le croyez ?
A.-C. G. : On l’a entendu parler à la radio, on a lu le programme.
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O. K. : Ah mais ça c’est vous ! La moitié de la salle n’a même pas lu le programme. C’est ça
qui est très impressionnant. C’est la force, à mon avis, de l’entreprise. La plupart des gens
vont au théâtre parce qu’ils sont amenés par quelqu’un, ils s’assoient, la pièce commence et
puis voilà. Et qu’est-ce qui nous fait dire, même si on a tout lu que c’est exactement ça qui
s’est passé ? Il y a une fiction, aussi, en marche.
A.-C. G. : Vous ne voulez pas mettre en avant le fait que ce soit un acteur-témoin, un témoin
direct.
O. K. : Moi je suis convaincu que cette pièce-là est pensable sans Sasha.
A.-C. G. : Mais n’avez-vous pas fait le choix de prendre le témoin principal pour créer la
pièce ?
O. K. : Si j’ai mis ça de l’avant, vous voulez dire dans l’écriture, ou de la manière dont je
présentais la pièce ? Non, on a eu des discussions avec Sasha, et il ne voulait pas jouer dans la
pièce au début.
A.-C. G. : Lui non, mais vous, ne vouliez-vous pas qu’il joue ?
O. K. : Finalement oui, mais on s’est posé la question.
A.-C. G. : Vous n’avez pas pensé à l’effet de réalité que cela provoquerait chez le spectateur
(et pour l’acteur), que cela créerait un trouble intéressant surtout par rapport à la thématique
du mensonge, sur lequel vous vous proposiez de jouer ?
O. K. : Oui, je savais qu’il y allait avoir cet élément-là. Je trouvais ça intéressant, mais non,
c’était bien plus concret que ça. Je me disais que pour donner une crédibilité ukrainienne,
étant donné que je veux prendre des acteurs québécois, j’allais avoir besoin au moins d’un
ukrainien et j’allais l’entourer d’acteurs québécois qui n’ont jamais vécu là-bas, qui ne
connaissent pas exactement ce qui s’est passé. Et c’est dans cette jonction-là, entre des nonUkrainiens et un qui a véritablement vécu là-bas, qu’il va y avoir une théâtralité intéressante.
A.-C. G. : Son jeu est aussi différent de celui des autres.
O. K. : Mais si je les faisais jouer un Pirandello ce serait la même chose. D’ailleurs j’ai écrit
une pièce au Théâtre des Quat’Sous où Sasha était et il jouait différemment des autres aussi,
même si ce n’était pas du tout basé sur sa vie.
A.-C. G. : Mais là, c’est basé sur sa vie.
O. K. : Mais ce que je suis en train de vous dire, c’est qu’il y a beaucoup moins de différence
que vous ne le pensez entre cette pièce-là et une autre pièce, où Sasha aurait aussi joué
différemment, aurait peut-être été aussi complètement ému, parce que certaines scènes
auraient eu des liens avec des choses qu’il a vécues dans sa vie. On n’était pas dans une
thérapie.
A.-C. G. : Non, je ne parle pas du tout de ça. Mais on voit des spectacles qui ont une part
documentaire, où ce sont les propres protagonistes, les vrais acteurs de l’histoire, qui
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viennent sur scène et qui racontent leur propre histoire. C’est annoncé comme ça, on ne s’en
cache pas, ça apporte une dynamique différente et cela procède d’une envie de créer un effet
de réel, un trouble, sur lequel on joue et cela fait partie de l’esthétique du spectacle. C’est
étonnant comme vous voulez vous démarquez complètement de cela, comme s’il ne s’agissait
pas de cela aussi.
O. K. : Je n’étais pas dans une démarche de théâtre-vérité, de théâtre-documentaire. Sasha, il
m’a amené son histoire pour qu’on en fasse une œuvre d’art de fiction, pour qu’on s’en serve
comme matériau. Au départ, il m’avait dit, tu prends ça, ça peut se passer au Chili pendant la
dictature de Pinochet et ça peut être un autre acteur qui joue. C’est vrai que j’ai trouvé ça plus
intéressant qu’il y soit, qu’on se serve quand même énormément de sa vie, que beaucoup
d’éléments biographiques me nourrissent, mais en même temps, c’est une œuvre de fiction, ce
n’est pas sa vie qu’il joue, ce n’est pas dans sa langue, les personnages, certains ont existé
d’autres non, ce sont des agrégats de personnages. Il n’avait pas d’ami acteur qui jouait
Lénine. Il avait un ami acteur et il a rencontré plus tard un acteur qui était de la génération de
son père, qui jouait Lénine, voyez ce genre de travail-là.
A.-C. G. : Il y a eu une réécriture énorme par rapport à ce qu’il vous a raconté.
O. K. : Mais bien sûr. Et une écriture uniquement de ma part, Sasha n’a jamais tenu la
plume ! Il m’a raconté sa vie pendant 4 mois et je suis parti 6 mois, seul avec ce récit.
A.-C. G. : Est-ce que ses confessions ont été le déclencheur de cette histoire-là ?
O. K. : Le déclencheur, c’est la quête. Un homme qui tente de se reconstruire dans un monde
qui s’effondre. Lorsque Sasha m’a parlé de cette fausse famille qui éclate parce
qu’effectivement le mensonge finit par craquer et de ce petit garçon qui tente de devenir
célèbre pour retrouver sa mère, ça a été ça, le déclencheur. C’est-à-dire qu’à partir de ce
moment-là, j’ai voulu écrire une pièce. Après, c’est sûr que ce petit mensonge dans le grand
mensonge que fut l’URSS, ça m’a captivé, passionné.
A.-C. G. : Vous avez fait des recherches ?
O. K. : Énormément. Déjà, c’était une histoire que je connaissais assez bien, de façon
théorique, mais là j’ai vraiment plongé. J’ai mitraillé Sasha de questions et oui, j’ai lu pas
mal. Tous les bouquins d’Hélène Carrère d’Encosse sur la Russie, sur l’empire russe, de
Pierre Legrand jusqu’à maintenant. Des livres de journalistes, énormément. Le Limonov de
Carrère. Beaucoup de choses.
A.-C. G. : Et les spectateurs, comme vous l’affirmez, ne sont pas au courant de ce qu’ils
viennent voir, ils viennent par des amis, ils plongent là-dedans, ils ne savent pas que Sasha
Samar, c’est l’acteur qui joue Sasha Samar et qui est à la base de cette histoire. Ils n’ont pas
non plus forcément de connaissances sur l’URSS, la Pérestroïka, l’époque Brejnev, etc.
Comment pensez-vous qu’ils reçoivent le spectacle ?
O. K. : Il y a plusieurs personnes qui m’ont dit qu’elles ne pourraient même pas mettre
l’Ukraine sur une carte et qui ont tout compris. La manière dont j’ai traité l’histoire, elle n’est
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pas théorique, c’est de l’histoire pratique. Vous seriez étonnée, je n’ai jamais aussi peu parlé
de marxisme de ma vie qu’avec Sasha. Ce sont les occidentaux qui parlent de marxisme. Ce
sont les occidentaux qui ont lu Le Capital de Marx. Mais le Russe, il a baigné là-dedans, c’est
sa vie quotidienne, il ne lit pas des traités. Et puis Brejnev, il n’en a pas une vision, je ne
dirais pas moins précise que nous mais c’est très… dans les contours, dans la silhouette, et
puis aussi dans des retombées très quotidiennes, hyper concrètes. C’est assez impressionnant
comment on a tendance, quand on est de l’autre côté, à vouloir analyser ça de manière très
théorique, très détachée, alors qu’eux sont plongés là-dedans et ne sont pas dans des
raisonnements politiques poussés. Je n’ai aucun cours à donner, aucune leçon. La scène pour
moi n’est pas un lieu d’information, c’est un lieu où on peut discuter de certaines choses, où
on peut amener des éléments.
A.-C. G. : Pensez-vous que le théâtre peut donner à voir une autre réalité ?
O. K. : Une autre réalité, oui. Je me méfie du mot information, avec la scène, parce qu’il y a
quelque chose qui dépasse la conscience et la raison, on est dans des zones beaucoup plus
instinctives, beaucoup plus irrationnelles, plus obscures. Une autre réalité oui, une réalité plus
profonde, plus émotive et plus inconsciente aussi. Je pense que ce qu’on a pu ressentir dans
Moi dans les ruines rouges, c’est aussi un communisme des bas-fonds, celui qui est vraiment
plus tellurique, plus indicible, plus dur à nommer justement. Et donc quand j’ai certains
personnages qui parlent de dates et tout ça, ce sont des fioritures, c’est comme de dire ce
matin-là, il pleuvait, quoi. Lorsqu’il dit, voilà, Boris Eltsine est devenu nouveau président de
la Fédération, la ligne que je donnais aux comédiens, je leur disais, ce jour-là, c’est comme si
tu disais il faisait moins vingt. Ce sont des données factuelles.
A.-C. G. : Mais vous avez fait le choix de les introduire, ces dates, dans le spectacle. Cette
pièce est historique aussi. On ne peut pas l’évacuer complètement.
O. K. : Non, non pas du tout. Mais ce n’est jamais là pour dire, voilà ça c’est important
pour moi.
A.-C. G. : Comment avez-vous procédé au choix des données documentaires, lesquels
introduire ou pas, comment les réduire ?
O. K. : Tout ce qui servait l’histoire de Sasha, je le gardais, tout ce qui faisait écran ou j’en
avais pas besoin, je le jetais aux poubelles. Même des choses très importantes. J’avais entre
autres une scène de dissidence, je trouvais important de parler de la dissidence qui a
commencé de façon très intime et qui est devenue de plus en plus grande. C’est une scène où,
lors de l’invasion des tanks en Tchécoslovaquie en 1968, il y avait eu 8 dissidents sur la place
rouge et un des fantasmes de la mère devenait une de ces dissidentes. C’était une belle scène.
Je l’ai jeté aux poubelles, elle ne nourrissait pas l’histoire de Sasha. C’était un sacrifice parce
que l’historien en moi trouvait ça important mais l’homme de théâtre devait faire ce sacrificelà.
A.-C. G. : Avez-vous le sentiment d’avoir trop réduit les données factuelles, historiques ?
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O. K. : Non, pas du tout. Je suis au maximum de où je peux aller comme dramaturge. Je ne
veux pas être un donneur de leçon.
A.-C. G. : Alors pourquoi avez-vous puisé dans un sujet historique ? Pourquoi l’URSS,
pourquoi les pays de l’Est, pourquoi ce bouleversement du XX e siècle ? Pourquoi êtes-vous
allé interroger cette partie d’histoire-là ?
O. K. : D’abord parce que c’est à peu près la moitié de la planète dont le système et les
croyances se sont effondrées sous nos yeux. On n’a pas fini d’en mesurer l’impact, et ça m’a
fasciné dès 1989. Ensuite parce qu’il y a quelque chose de tragique. La dimension tragique de
ce destin-là me fascine parce qu’elle a une essence pure, théâtrale. Imaginez-vous, on vous dit
voilà, tout ce à quoi vous avez cru, ce pourquoi vos parents sont morts, tout ce pourquoi vous
vous êtes battus depuis 1917, tout ça c’était faux. C’est un exemple presque sans précédent
dans l’histoire de l’humanité.
A.-C. G. : Est-ce que c’est une façon d’interroger la politique de certains pays qui continuent
actuellement à être dans une propagande aveugle et aveuglante ?
O. K. : Non. Ce n’est pas pour ça. Mais c’est sûr que ça fait des liens avec des systèmes qui
s’effondrent. Je n’ai pas écrit cette pièce-là pour faire un écho par exemple au printemps
arabe, mais il y en a, inévitablement.
A.-C. G. : La Chine aussi.
O. K. : Clairement, la Chine, Cuba. Et j’écrivais la scène de Tchernobyl, moi, au moment où
Fukushima est arrivé. C’était hallucinant, j’étais en train de revivre, mot à mot, les
liquidateurs, le mensonge orchestré par le Japon, la déification de la compagnie TEPCO,
jugée infaillible jusque là, un système mis à mal et un effondrement aussi du Japon, enfin
c’était fou, quoi ! Et on n’est pas du tout dans un système communiste et malgré ça, le nombre
de similitude entre Fukushima et Tchernobyl me faisait dire que cette histoire que j’étais en
train d’écrire et d’interroger, ce n’était pas pour rien que je le faisais, c’est qu’il y a encore des
conséquences aujourd’hui. C’est aussi une façon pour moi de parler de notre propre système
d’aujourd’hui. Quand je fais cette fameuse scène volontairement caricaturale de la
propagande soviétique …
A.-C. G. : Le mot lu par la professeure de théâtre, la propagande pour engager des
liquidateurs après la tragédie de Tchernobyl, c’est un document d’archive ?
O. K. : Non, c’est fictif mais nourri.
A.-C. G. : Avez-vous utilisé certains documents tels quels ?
O. K. : Les discours de Lénine sont réels, mot à mot. La kolkhozienne, non. Le jardinier oui,
c’est assez nourri par les poèmes du constructivisme, du réalisme soviétique, de plusieurs, je
n’ai pas de nom en particulier ; et puis « forger des fleurs d’acier », peut-être cette expression
je l’avais vu chez Maïakovski. Maïakovski a quand même été une source d’inspiration très
forte tout au long de la pièce et Anna Akhmatova aussi, dans un tout autre registre, dont son
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poème Requiem, pour le passage de Galina, la mère, parce que Anna Akhmatova, son fils et
son mari ont été emprisonnés et elle les a attendu, ça a été d’une grande influence pour moi,
pour le rôle de Galina. Mais je reviens juste sur la kolkhozienne, oui c’est un cliché de la
propagande soviétique mais pour moi, c’est très proche de la publicité capitaliste. C’est une
pub ! Et quand les gens voient, ça pourrait être pour du dentifrice. Ils me disent ah, que c’est
couleur locale !
A.-C. G. : Ce genre de scène existait dans les pays de l’Est ? Vous avez revu une émission de
télévision ?
O. K. : Non, par contre pour ce qui est de la chorégraphie, on a questionné Sasha, et c’est lui
qui nous a refait les gestes exacts et c’est là qu’on voit que la propagande ne s’inscrit pas juste
dans les cerveaux mais aussi dans les corps ; il a fait dans sa jeunesse des spectacles
kolkhoziens, ouvriers, etc., à la gloire du régime, où il y avait ce geste semer les semailles de
la terre, de forger, etc. C’est lui qui nous a appris tous les mouvements.
A.-C. G. : Vous a-t-il également donné des indications pour les costumes, le décor ?
O. K. : Non, il a validé certaines choses mais de manière assez éloignée. C’est étonnant car je
m’attendais à ce qu’il participe et le scénographe m’a dit, écoute plutôt que de se faire écraser
par le poids de toujours devoir être validé… c’est vrai qu’il fallait faire un travail
d’appropriation, pour moi, pour le travail, pour les concepteurs. Et plutôt aller vers une union
soviétique imaginaire. Le scénographe s’est beaucoup inspiré du film La vie des autres, où ils
ont aussi refait une Allemagne de l’Est imaginaire qui donne l’illusion d’être une véritable
Allemagne de l’Est ou une Union Soviétique dans notre cas. Dans une palette de couleur très
définie, avec une absence de rouge par exemple, dans les costumes et dans le décor, pour que
notre œil le complète. En mettant des couleurs vertes, on a tendance à vouloir y greffer assez
rapidement du rouge. Le fond n’est même pas rouge, il est brun, il est travaillé par les
éclairages. L’œil humain complète énormément cette palette.
A.-C. G. : Pourquoi ne vouliez-vous pas de rouge ?
O. K. : Parce que c’est la couleur du communisme par excellence, on ne voulait pas aller dans
l’affiche, l’évidence. Tout le but du théâtre est d’aller au-delà de l’évidence.
A.-C. G. : Il y a des détails qui vont à l’évidence : la bouteille de vodka.
O. K. : Il ne s’agit pas non plus d’aller dans la fausseté, ils buvaient de la vodka, on garde
quand même quelques éléments réalistes.
A.-C. G. : Vous avez mis sur scène des éléments de la réalité : la cuisinière, l’évier avec les
tuyaux et l’eau courante, un radiateur, Lénine se rase…c’est pour amener une réalité sur
scène ?
O. K. : Tous pris au Québec, à Montréal, dans des armées du salut. C’est une réalité fausse, la
cuisinière, c’est une cuisinière nord-américaine. Il n’en existait même pas des comme ça en
Russie ! Ça aurait été impensable, parce qu’elle est électrique alors qu’elles étaient la plupart
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à gaz et beaucoup plus étroites. Mais l’illusion donnée par l’agrégat de ces différents objets
nord-américains donnaient l’impression d’une réalité soviétique.
A.-C. G. : Les acteurs sur scène mangent, ils mangent vraiment, et c’est de la purée. C’est
parce que c’est l’enfant Sasha qui nous fait le récit de son histoire et que sa représentation du
repas, c’est de la purée ?
O. K. : Non, pas du tout. C’est un choix purement concret pour les acteurs ne s’étouffent pas,
c’est très technique, par contre je tenais à ce qu’ils mangent quelque chose pour vrai, qu’on ait
accès à un souper familial.
A.-C. G. : Êtes-vous dans un souci de réalisme ?
O. K. : Je suis dans une esthétique purement théâtrale. Il n’y a pas un russe qui mangerait
comme ça, cette nourriture là. On est vraiment dans la reconstruction, on donne l’illusion d’un
naturalisme mais on est dans une très grande théâtralité. On est sur un plateau nu avec
quelques éléments et les éclairages viennent sculpter le tout. Mais très concrètement tout est
improbable, d’ailleurs quand on est dans le décor, sous les néons, ça nous apparaît absurde
qu’un appartement ukrainien puisse exister aux yeux des spectateurs. Ça n’a l’air de rien,
c’est l’éclairage, c’est la vie, ce sont les comédiens qui fabriquent le sentiment d’une réalité.
Si je vous avais fait faire un tour dans le décor le lendemain de la dernière au moment où on
démonte, vous n’en auriez pas cru vos yeux, c’est du toc.
A.-C. G. : Mais vous avez souhaité qu’ils mangent, qu’ils boivent, qu’ils se rasent.
O. K. : Oui, je veux qu’ils vivent. C’est de la théâtralité qui se nourrit du réel. Je ne suis pas
dans un monde imaginaire, je ne suis pas dans une absurdité décalée, une poétique qui refuse
le réel.
3. Cantate de guerre, écrire les mots anatomiques de la haine
A.-C. G. : Dans un article du journal Le Devoir, paru à la suite de Cantate de guerre, vous
dites que « c’est le discours qui fonde la haine ». Pouvez-vous m’en dire plus ?
L.T. : J’ai exploré cette idée lorsque j’ai écrit La Hache, que j’ai montée au Théâtre de
Quat’Sous il y a quelques années. Dans ce texte théâtral, qui fonctionne aussi comme un récit,
j’ai voulu explorer le thème de la pureté et de ses dérives. C’est le génocide du Rwanda qui a
été, d’une certaine façon, à l’origine de ma réflexion. J’ai compris qu’un génocide ne naît pas
d’une pulsion, mais qu’il est toujours préparé en amont, instrumentalisé, structuré, théorisé.
Hitler, dans Mein Kampf, avait déjà décrit tout ce qu’il allait faire quelques années plus tard. Il
y a une logique qui cristallise la haine. Cette logique ou plutôt cette logistique, c’est le
discours qui la permet. D’où le projet d’écrire quelques années plus tard Cantate de guerre en
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ayant comme horizon les mots de la haine. Alors que j’avais effleuré le sujet dans La Hache,
je l’ai pris à bras-le-corps, si on peut dire, avec Cantate de guerre.
A.-C. G. : J’ai lu un document d’une anthropologue, Françoise Héritier, qui analyse et
dénonce surtout, les viols des femmes pendant les guerres génocidaires. Elle y dit que :
« La domination du corps de l’autre par le viol, la torture ou du territoire de l’autre, a pour
corollaire le sentiment d’impuissance, impuissance à faire respecter son corps, son territoire,
sa pensée. Triomphe et honte sont deux faces inextricablement liées du même rapport de
position réciproque, de même que puissance et impuissance. »
Donc, elle, elle inscrit cette violence et cette haine dans le corps, directement dans la
sensation, dans un ressenti physique d’un sentiment d’impuissance, qu’en pensez-vous ?
L.T. : Ça me rejoint parce que les deux positions – dans les mots/dans le corps – ne sont pas
contradictoires. Pour moi, les mots c’est aussi le corps au sens où ils sont stockés de façon
matérielle dans la peau, la chair et l’os. Au fil des ans, j’ai développé une approche reliée à la
formation de l’acteur, que j’ai par la suite appliquée à l’écriture dramatique. Je l’ai appelée
«anatomie ludique». C’est une approche basée sur l’imagination matérielle, inspirée des
travaux de Gaston Bachelard. J’ai écrit Cantate de guerre avec du métal, du verre pilé, une
matière agressive, négative. Les corps torturés, fracturés, blessés, ceux qu’on retrouve dans
les fosses communes, donnent aux mots leurs poids de souffrance et de révolte comme, si on
se tient du côté des tortionnaires et des génocidaires, les mots peuvent se charger de haine, de
destruction. Le corps est aussi un discours, donc un territoire de mots. Pour que des milliers
de gens se mettent à en tuer des milliers d’autres, pour que se produise cette collectivisation
meurtrière, ce consensus sanguinaire, le discours est essentiel. Ce dernier amplifie, magnifie
et légitime. L’homme a besoin, pour respirer dans ces zones de l’enfer, d’être légitimé par une
pensée. Ça le déresponsabilise de son inhumanité. On a vu ça avec les nazis : « j’ai reçu des
ordres ». Les ordres, c’est quoi ? C’est un discours. Les ordres viennent de quelqu’un qui a
une pensée, une vision du monde, des objectifs précis. Ces objectifs nécessitent de tuer des
millions de gens, mais on va obéir tout de même aux ordres …
A.-C. G. : Comment la lecture d’un livre sur la guerre en Tchétchénie, une guerre très
lointaine donc, a-t-elle pu susciter en vous un tel désir d’écrire ? Comment l’actualité
politique vient-elle résonner en vous, au point de devenir un véritable déclencheur ?
L.T. : De façon étonnante. J’étais en fait en vacances au Mexique. J’écrivais un texte poétique
sur les mots de la haine. Il se trouve que j’avais amené avec moi les deux livres d’Anna
Politkovskaïa, Le Déshonneur russe et Poutine, pas vraiment des livres de vacances. Le
Déshonneur russe m’a vraiment bousculé ; c’est un livre percutant, direct, un témoignage
puissant, courageux, honnête. Cette lecture, sans que je m’en rendre trop compte, m’a amené
à changer la tonalité de mon texte qui peu à peu est devenu choral et, donc, s’est rapproché de
la théâtralité. Au bout du compte, je me suis retrouvé avec un texte qui parlait de conflit
ethnique, de notions de race, de peau, de l’altérité comme étant ce qui devait disparaître, ce
qui devait être effacé du réel (Cantate de guerre débute ainsi : «Toi. T’es pas de ma peau. De
mes muscles. De mes yeux.») J’ai alors appelé cette suite poétique – qui n’était qu’une parole
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chorale sans personnage ni situation dramatique, un peu comme une bouche qui déversait le
discours de la haine avec un contrepoint critique – Poème pour soldats en forme de train, car
le texte était composé de phrases très courtes, ce qui donnait sur la page la sensation de voir
défiler un train de mots. J’ai fait lire ce texte à la metteure en scène Martine Beaulne qui a eu
un coup de cœur instantané. Suite à cela, on a travaillé en atelier avec des acteurs, ce qui m’a
permis d’entendre mon texte et a permis à Martine de spatialiser cette parole compacte. Ce
n’est qu’ensuite que sont arrivés les personnages du Père, du Fils, le chœur des soldats, le
viol, la structure dramatique et la fracture réflexive qui ébranle la haine, fait résonner le
pourquoi de la peur de l’autre, la logique autant que la folie de la guerre.
A.-C. G. : Que pensez-vous de cette femme ?
L.T. : Je l’admire, je trouve qu’elle est – en fait qu’elle était – extrêmement courageuse. Elle
a malheureusement été assassinée il y a cinq ans. Très peu de gens ont fait ce qu’elle a fait.
Elle a mis sa vie en danger, elle est allée, je crois, quarante-cinq fois en Tchétchénie. Elle a
vraiment été au bout de sa quête et de son enquête. Elle usé la corde. Je n’ai jamais été en
Tchétchénie évidemment, mais il y a maintenant assez de témoignages de sources différentes
pour se faire une idée de la terreur qui existait et existe là-bas.
A.-C. G. : La problématique de la guerre, du meurtre, des exécutions sommaires, de la
torture, du dérèglement psychologique, des exactions multiples dignes des pires atrocités de
la seconde guerre mondiale et des méthodes nazi – au fond des identités qui se déstructurent,
des identités de « pacotille » qui se défont, à peine sont-elles plongées dans ce chaos
innommable – que décrit si bien Anna Politkovskaïa, déstructuration qui perdure même au
retour de la guerre (puisque les autorités russes n’ont jamais mis en place de prise en charge
psychologique), tous ces éléments viennent-ils vous perturber, vous assaillir au point que
vous ressentiez une urgence à écrire, ou au contraire, ces faits sanglants, pervers, sadiques,
amoraux, sortis de toute humanité, viennent-ils en quelque sorte résonner avec des
problématiques qui vous envahissent déjà ? (Je pose cette question à la lecture d’autres textes
de vous : Ogre, Cornemuse, Le Génie de la rue Drolet, où il ne s’agit pas de guerre
particulièrement mais où les corps se disloquent, les identités sont disloquées.)
L.T. : Je répondrais que c’est en partie un phénomène de résonance, qu’existe déjà en moi
cette problématique de l’identité fragmentée ou disloquée. Je n’aime pas la sentimentalité au
théâtre, je n’aime pas non plus la prostitution émotionnelle. Et la littérature culmine quand
elle ose exprimer la «part maudite» – j’emprunte cette expression à Georges Bataille – de
l’humanité. Bien sûr, le théâtre c’est aussi un divertissement, mais il ne faudrait pas qu’il
devienne un simple produit de consommation que le spectateur digère sur place et évacue
aussitôt. La distance critique qu’apporte l’humour se retrouve en général dans mes pièces, à
l’exception de Cantate de guerre qui est sans doute ma première tragédie, mais j’ai fait
différentes expériences où je tentais d’établir par exemple de nouveaux rapports entre tragédie
et comédie. Dans Abraham Lincoln va au théâtre, par exemple, mon intention était
d’exprimer une tragédie avec les moyens d’une comédie, ce qui est plutôt pervers mais m’a
permis d’éviter la reconstitution historique au premier degré. Un événement tragique capital –
l’assassinat du Président Lincoln par un acteur alors que celui-ci assistait à une pièce de
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théâtre – recelait tous les ingrédients pour questionner l’Amérique d’aujourd’hui et sa
spectacularisation outrancière.
A.-C. G. : Finalement on est loin de la mondialisation, de la connexion au monde, dont on
parlait au tout début… puisque vous dites que ça vient résonner avec des problématiques qui
vous appartiennent intimement.
L.T. : Pour qu’il y ait résonance, il faut deux entités. La plaque sensible de l’auteur qui lui est
«donnée» par sa biographie, son vécu, entre en contact avec ce qui l’écorche, le rend
insatisfait, l’indigne, le met en péril. La résonance est une façon singulière d’être aussi dans le
monde, sinon on aboutit à une forme d’autisme.
A.-C. G. : La commémoration du 11 septembre a eu lieu à la même période que la création
de votre pièce et ces événements marquent bien sûr encore beaucoup les esprits. Pensez-vous
que les spectateurs y ont perçu un lien ?
L.T. : C’est surtout à travers la scénographie que je fais ce lien. La scénographe Anick La
Bissonnière y a probablement pensé. Les grandes poutres noires de la scéno expriment le
conflit et les ruines, des éléments reliés au monde de la guerre et de la destruction. Si on a en
tête les événements du 11 Septembre, on peut effectivement y voir aussi l’amas de débris
laissés par l’effondrement des Tours du World Trade Center.
A.-C. G. : J’ai relevé une phrase de Fabrice Melquiot, un auteur dramatique français :
« L’actualité d’un événement, on la couvre, on la surexpose, au bout du compte trop de
lumière et on n’y voit plus rien. »
Est-ce qu’écrire une pièce sur un sujet d’actualité serait une façon de lutter contre
l’aveuglement dans lequel nous plongent les médias ?
L.T. : J’ai eu une discussion intéressante avec le public, à la suite d’une représentation de la
pièce, sur la différence entre une pièce de théâtre qui parle de conflit ethnique, et les
reportages qu’on voit à la télé sur le même sujet. Ce n’est pas la même charge qu’on reçoit.
Avec Cantate de guerre, mon objectif n’était pas d’informer le public. L’information, de nos
jours, est omniprésente, disponible 24 heures sur 24 en quelques clics sur internet et s’annule
souvent elle-même ou encore fait de l’ombrage au savoir. La présence réelle des acteurs sur la
scène ne renseigne pas le spectateur, elle le provoque, le met en danger. Et je ne voulais pas,
dans ce contexte, l’amener à prendre parti pour un camp plutôt qu’un autre. Je n’ai montré du
doigt aucun uniforme, aucun conflit ethnique en particulier. Il n’y avait pas d’un côté les
bons, et de l’autre les méchants. La question n’était pas : qui est l’ennemi ? Mais plutôt de se
rendre compte que la guerre est un cul-de-sac. Surtout, je voulais mettre en évidence la
transmission de la haine. Démontrer un processus.
A.-C. G. : Avez-vous le sentiment d’écrire contre le traitement médiatique ? D’inscrire votre
pièce plutôt comme un espace d’image, de sensation, de réflexion différente, voire d’essayer
de mettre en place les « vraies » conditions d’une indignation ?
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L.T. : Oui tout à fait : offrir un nouvel espace de mots-sensations, mots-matière où la fiction
est une réflexion en action. Cependant, je n’écris pas contre le traitement médiatique, j’essaie
d’amener le spectateur à voir au-delà, à traverser l’actualité pour percevoir l’engrenage de la
guerre. Un journaliste de Radio-Canada, à qui j’ai donné récemment une entrevue, a assisté à
la pièce. Ce journaliste a couvert le Kosovo et l’Irak. Il m’a dit que ce qui l’avait le plus
bouleversé sur le terrain était le discours haineux de très jeunes enfants piégés par les conflits
ethniques. Et c’est justement cela qui l’a frappé dans la pièce, cet engrenage de la haine, cette
négation de l’autre, transmise d’une génération à l’autre, de père en fils.
A.-C. G. : Jean-Pierre Sarrazac, nous met en garde, face au danger de sidération qu’il y
aurait à vouloir s’approcher trop près d’une réalité trop violente :
« Le romancier ou le dramaturge est en grand danger artistique, qui se laisse persuader que
le monde, la dure réalité gardent en permanence les yeux braqués sur lui dans l’attente qu’il
les porte tels quels sur la scène ou entre les pages d’un livre. En fait, la contemplation directe
de ce qu’on appelle « réalité » produit sur tout écrivain un véritable effet de sidération. »
Comment comprenez-vous cet effet de sidération ?
L.T. : J’écris mes textes sans faire de recherche ou d’enquête sur des sujets qui pourraient être
reliés aux personnages et à leur situation. Je me suis aperçu très tôt qu’une surcharge
d’informations bloque le processus de création, à tel point que je m’étais forgé une maxime,
au début de ma carrière, qui résumait ma position : «si je sais, je ne crée pas». Pour l’écriture
de Cantate de guerre, à l’exception bien sûr du livre de Politkovskaïa qui a servi de
déclencheur, je n’ai fait aucune recherche particulière. Il y a toutefois une exception : pour
écrire Abraham Lincoln va au théâtre, vu que cette pièce est une variation sur un événement
historique, je n’ai pas eu d’autre choix que de me documenter sur la Guerre de Sécession et
sur les motivations de l’assassin du Président Lincoln, John Wilkes Booth. Je suggère
toujours aux participants de mes ateliers d’écriture de laisser du temps – j’appelle ça la
digestion – entre leur travail de recherche et l’écriture de leur texte. Le risque, autrement, est
de voir la recherche apparaître aussi dans le texte, l’alourdissant ou le contaminant
d’informations inutiles. Je me souviens que dans ma toute première pièce créée au Théâtre
d’Aujourd’hui, en 1992, Leçon d’anatomie, je mettais en scène une femme qui, suite à un
cancer du sein, devait subir une mammectomie. Pour écrire cet épisode, je me suis senti alors
obligé d’en savoir un peu plus sur le sujet. J’ai ouvert un livre, un livre technique en anglais,
j’ai lu un paragraphe et tout de suite j’ai eu le réflexe de refermer le livre, craignant de
dénaturer ma pièce par trop d’explications. En fait, je me suis toujours défini comme un
écrivain d’imagination. Si j’ai dit tout à l’heure «si je sais, je ne crée pas», je pourrais aussi
dire «si je n’imagine pas, je ne crée pas». Je suis d’ailleurs si déformé sur ce point que
souvent, pour écrire un texte de réflexion, je passe par la fiction. Ce qui rejoint l’idée que le
théâtre, c’est une réflexion en action. Je partage probablement l’opinion de Jean-Pierre
Sarrazac : trop collée sur la vitre du réel, la vision s’embrouille.
A.-C. G. : Dans l’appréhension du réel sur la scène, il semble y avoir deux chemins : ceux
qui se servent de matériaux bruts, ce qui n’est pas votre cas et ceux qui usent de la stratégie
du détour, ce qui me paraît être plus votre ligne, est-ce une volonté de mise à distance par
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rapport à la réalité, par la langue que vous utilisez, le fait qu’il n’y a aucun nom, peu
d’accroche sur le réel, etc.?
L.T. : Cantate de guerre est un texte où je me suis interdit toute anecdote, toute référence
repérable. Les personnages n’ont pas de nom et quand ils essaient de se nommer entre eux,
leur mémoire leur joue des tours. D’une certaine façon, cette approche installe une distance
lors de la réception spectaculaire. Personne, dans la salle, n’est en mesure de dire que la pièce
réfère directement au conflit tchétchène ou israélo-palestinien. Je n’ai pas voulu montrer une
guerre en particulier mais démontrer un processus qui aboutit à la guerre, à toutes les guerres.
IV. Traversées dramaturgiques
1. Je pense à Yu de Carole Fréchette et le moteur de
recherche Google
1.1 Temporalités démultipliées
A.-C. G. : De multiples faisceaux de convergences et d’équivalences structurent votre pièce.
Google a-t-il imprimé sa forme à votre pièce ?
Lin n’arrive pas à faire « la convergence » des temps, et se casse la tête sur la conjugaison.
Plusieurs temporalités se font écho et sont mises en équivalence : usage du carnet de bord de
Madeleine, dates des faits liés aux événements de la place Tienanmen, souvenirs de
Madeleine, de Jérémie, de Lin, projections de Lin dans le futur. Une interrogation profonde
sur le temps jalonne et traverse la pièce de part en part.
Est-ce un questionnement que vous avez particulièrement en ce moment ou s’inscrit-il dans
toutes vos pièces?
C. F. : Sur le temps ? Je ne sais pas si c’est une de mes préoccupations. En tout cas, c’est vrai
que dans cette pièce-là, il a une importance incroyable. Je pense à Yu évolue au rythme des
jours, des heures qui passent. Je n’ai jamais construit une pièce avec ce type de temporalité.
Et puis, il y a énormément de références au passé. Un grand nombre de dates jalonnent le
texte : dates reliées aux événements de Tiananmen, mais aussi dates inscrites dans les vieux
journaux intimes de Madeleine. Cette inscription précise et récurrente du temps ne se retrouve
dans aucune autre de mes pièces. Et franchement, ce n’était pas du tout délibéré. Je ne me suis
pas dit, je vais faire une pièce sur le temps. C’est trop abstrait. Je ne pense pas dans ces
termes-là. J’ai eu l’intuition d’une forme. Sans doute que la forme est influencée par la façon
dont les choses s’enchaînent quand on cherche sur Internet. On clique, puis on clique sur un
autre site, puis là on apprend un autre truc. Cette façon d’avancer progressivement dans la
recherche a dû influencer mon propre découpage de la pièce.
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Pensez-vous que ce questionnement sur le temps fait partie de nos préoccupations
contemporaines ?
C. F. : Le temps, c’est une chose à laquelle je ne réfléchis pas comme telle. C’est très abstrait,
le temps.
A.-C. G. : Une partie de mon mémoire va porter sur ce qui émerge des nouveaux repères de
l’individu contemporain. L’individu contemporain doit-il pour s’adapter, apprendre à vivre
avec toutes sortes de temporalités ? Ce n’est pas vraiment une réflexion sur le temps qui
passe, ce qu’on a fait ou pas fait, mais plutôt sur ce sentiment perturbant d’être pris dans
plusieurs temporalités à la fois, individuelles, collectives et puis avec Google, qui est entré
dans la vie de chacun, encore d’autres temporalités…
C. F. : Notre rapport au temps est en train de changer parce qu’on est dans une époque de
l’instantané. Tout à l’heure, je vous disais que je n’aurais certainement pas écrit cette pièce si
je n’avais pas pu avoir des résultats instantanés au bout des doigts. Je n’aurais pas pris le
temps d’aller à la bibliothèque, de chercher dans des archives de journaux. C’est certain que
tout cela nous transforme : le fait d’avoir accès instantanément à des informations, mais aussi
d’avoir accès à d’autres personnes, de pouvoir communiquer avec les gens instantanément. Je
sens bien comment tout cela nous façonne.
A.-C. G. : Ça modifie nos repères spatio-temporels ?
C. F. : Ah oui. Et je pense que la pièce témoigne de cela aussi. Sans que je m’en rende
compte, cela a influencé la structure même de la pièce. J’ai très vite eu l’intuition que la pièce
se déroulerait en une succession de petits temps. D’habitude, je suis très « unité de temps »,
« unité de lieu ». Cette nouvelle structure ne me ressemble pas, mais elle s’est imposée : non
seulement le découpage sur plusieurs jours, mais aussi à l’intérieur des jours, sur plusieurs
moments de la journée. Après, à cette structure déjà découpée dans le temps, se sont rajoutées
toutes les références au temps des événements en Chine et périodes de la vie de Madeleine,
avec ses journaux intimes. Le temps s’est démultiplié.
A.-C. G. : Le temps présent est toujours le même mais on a la sensation de vivre plusieurs
temporalités en même temps.
C. F. : Oui, et on est découpé aussi.
1.2 Mise en réseaux, équivalences et assemblages
A.-C. G. : Dans votre pièce, tout le monde compose et assemble dans la pièce : est-ce lié
aussi à Google, ce type de recherche sur Internet n’est pas linéaire mais constitué de « plein
de petits tiroirs », pour reprendre une expression de Jérémie, et dont les bouts éparses
s’assemblent dans nos têtes.
L’acte central, concret et fondateur de la pièce tient tout entier dans la cause de
l’enfermement de Yu Dongyue et de ses compagnons : la peinture lancée sur le portrait de
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Mao sur la place Tienanmen qui est un geste de révolte mais aussi un geste pictural et
artistique.
Tous, dans la pièce, ont une activité de type pictural : le fils de Jérémie peint, Madeleine
découpe, assemble et place les articles, les photos et le poster de Mao sur son mur (de cette
activité naît un « tableau » composé de ces diverses pièces), Jérémie assemble
minutieusement des éléments en bois quand il ne fait pas de grands assemblages de meubles.
Ce sont en tout cas des œuvres qu’on contemple.
L’atelier du peintre trouve ici une plus juste équivalence dans l’atelier de construction (de
Jérémie). L’appartement de Madeleine n’est-il pas d’ailleurs aussi un atelier de
construction ? Son appartement est également « en » construction, puisqu’elle vient
seulement d’y emménager et la matière « carton » jonche le sol.
Quant à Lin, elle fait des « compositions » en français. Sa matière de base à elle, ce sont les
mots (la même matière que celle de Madeleine, du fait de son métier de traductrice). Lin écrit
aussi des lettres à sa mère – encore des mots – geste qui est en lui-même aussi un acte
pictural, tout comme Madeleine d’ailleurs, qui écrit des lettres à Yu Dongyue (mais sans les
envoyer, car elle les détruit).
Louise aussi, (la femme qui a quitté Jérémie), étouffée dans la relation symbiotique avec son
fils malade, écrit sur les murs de sa maison : « Même pas des mots. Juste un grand « A » suivi
de petits « h », avec de la peinture blanche et des points d’exclamation. »
Lin découpe elle aussi (comme Madeleine) des légumes, à son travail au restaurant, et sa
mère (qui est restée en Chine) compose une soupe (« la meilleure de Beijing »).
Ainsi, tout se compose comme un tableau sous nos yeux dans le présent de l’action, avec des
matières visuelles et concrètes (peinture, carton, bois, mots), contrastant en cela avec
l’utilisation du monde virtuel via internet.
Autrement dit tout le monde compose, tout comme vous d’ailleurs qui composez votre pièce.
Ces diverses expressions de la composition remplissent l’espace de la représentation.
Pourquoi avoir mis l’accent sur ce côté artisanal ?
La pièce ne serait-elle pas une sorte de représentation métaphorique de l’auteure elle-même
en train de composer sa pièce ?
C. F. : Je trouve ça très juste ce que vous dites, sur la construction qui est omniprésente dans
la pièce, mais j’ai fait cela instinctivement. Par exemple, j’aimais l’idée que Jérémie soit un
manuel et qu’il vienne aider Madeleine de façon très concrète. J’ai beaucoup hésité à garder
cette idée de lui faire monter une bibliothèque. Je me disais, oh là là qu’est-ce que ça va
donner ? Qu’est-ce qu’ils vont me faire ? (rires) Après avoir vu des dizaines de productions de
mes pièces, je fais très attention aux didascalies, car je sais que certains metteurs en scène les
prennent au pied de la lettre et les résultats ne sont pas toujours heureux. Pour cette
bibliothèque, j’avais peur que cela fasse bricolage sur scène. Malgré mes craintes, j’ai décidé
de garder cette idée, car je voulais que Jérémie fasse quelque chose de concret. Maintenant,
on va voir ce que ça va donner (rires)
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A.-C. G. : Pensez-vous que le geste artistique, quel qu’il soit, n’appartient à personne en
particulier et que tout un chacun est à même d’en produire un ? Car il y a un réseau
d’équivalences, dans les gestes de chacun des personnages.
C. F. : Oui, sûrement, sûrement… Mais tout le monde n’est pas un artiste, tout le monde ne
veut pas gagner sa vie avec ça, tout le monde ne veut pas faire sa place dans la société à
travers l’art. Mais, certainement, tout le monde peut avoir accès au geste artistique. J’aimais
par exemple l’idée que le fils malade de Jérémie lance de la peinture de façon complètement
intuitive, pour le plaisir du geste, alors que pour les jeunes hommes de Tiananmen, c’était
chargé de signification politique.
A.-C. G. : À propos du fils de Jérémie, n’est-il pas une sorte de représentation de Yu en
prison, privé de son autonomie, perdant la raison, lançant de la peinture rouge, comme une
représentation de la torture qu’il subit. J’ai en tout cas l’impression que les choses se
répondent, sont associées, d’une manière intuitive.
C. F. : Je pense que plus on crée un univers qui est vivant, qui vibre de sa propre vie, plus on
met en place des choses qui se répondent, sans même qu’on s’en rende compte. Tout au long
de l’écriture, ma concentration portait sur des questions tellement terre à terre : que fait
Madeleine ? Que fait Jérémie ? Est-ce qu’il vient assembler la bibliothèque ou pas ? Le
personnage de l’enfant malade, je l’avais en tête depuis longtemps. L’idée qu’il faisait de la
peinture est venue spontanément. Je n’ai même pas vu tout de suite la correspondance avec le
geste des trois Chinois. Je n’y ai pas accordé trop d’importance mais j’ai laissé ça exister.
Puis, les choses se sont enchaînées naturellement. Jérémie apporte une gouache de son fils à
Madeleine. Madeleine le pose au mur, au milieu de son collage des événements de
Tiananmen. Et cela fait une espèce de contraste. J’aimais l’idée que son dessin soir posé sur
sa création à elle, sur son tableau au mur, qui est un tableau rationnel, qui renvoie au monde
réel. Mettre au milieu de ça une espèce de tâche rouge, juste une explosion, quelque chose
d’une intuition pure.
2. Moi, dans les ruines rouges du siècle d’Olivier Kemeid,
double-narration et sauts temporels
A.-C. G. : Comment avez-vous envisagé, construit la temporalité dans votre pièce ?
O. K. : Je crois que je suis dans une lignée un peu brechtienne, donc vraiment du théâtre
épique et presque par moment dans ce qu’Hans-Thies Lehmann a appelé le Théâtre postdramatique. C’est-à-dire que peu me chaut de faire des sauts temporels de cinq minutes ou de
huit ans. Je suis guidé uniquement par des moments précis d’une vie, ici la vie de Sasha, et
après je rabote de manière assez organique, tantôt dans l’écriture, tantôt via un changement
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d’éclairage. J’aime aussi quand les spectateurs comprennent le changement de temps après
coup.
A.-C. G. : C’est très beau le couple père-fils, car le père est aussi narrateur. Cette relation à
la fois du passé, en train de se questionner sur ce qu’ils ont vécu chacun, chacun parlant de
sa vérité.
O. K. : Voilà pourquoi il fallait que la pièce se déroule dans l’ordre chronologique, parce que
la déconstruction pour la déconstruction, ce n’est pas intéressant. Il y a des moments où je
crois que je me suis forcé à une déconstruction par peur d’être platement linéaire. Or le
spectacle n’est pas linéaire. Il y a des trous de 10 ans parfois. Il fallait y aller du début parce
que la narration ne peut pas être mensongère, c’est-à-dire que dans une narration à deux,
comme c’est le cas pour Sasha et son père, un narrateur ne peut pas flouer l’autre.
3. Recyclages, navettes temporelles et autres résonances :
3.1 La gestion des déchets domestiques dans Je pense à Yu
A.-C. G. : J’aimerais aborder le thème de la gestion des déchets domestiques qui est présent
dans votre pièce par l’intermédiaire du travail de traduction de Madeleine. C’est un thème
issu de notre réalité contemporaine car c’est il symbolise un de nos grands défis en ce début
de XXIe siècle. Mais c’est aussi une belle métaphore pour Madeleine ; comment recycler,
donner une deuxième vie à sa vie.
Cette question des déchets, vous la déclinez sur le mode de l’intime : Madeleine interroge les
déchets (les morceaux de journaux) de l’information médiatique, les dépiaute, pour leur
donner une nouvelle vie (elle les accroche sur un mur et cela forme un assemblage visuel).
Elle réinterroge aussi les déchets de sa propre vie, les résidus de situations non-réglées, de
décisions prises par le passé, autrement dit « ses souvenirs » pour leur donner une sens
nouveau.
Et que font les trois protagonistes sinon découper, ingérer des informations, les digérer,
c’est-à-dire les mélanger intimement avec leur propre histoire ? Quelle nouvelle histoire
chacun est-il en train d’écrire à partir des résidus de sa propre histoire et de celle des
autres ?
Et qu’est-ce que le métier d’auteur, sinon un recyclage permanent de ses propres pensées
dans une forme transformée, l’écriture ?
La vie elle-même ne consiste-t-elle pas en une succession de recyclages dans l’élaboration de
son propre devenir, la réinvention permanente de son propre futur ?
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Pensez-vous que la gestion des déchets domestiques est une problématique qui touche à la
fois à l’actualité (la grande Histoire) et métaphoriquement à la manière dont chacun doit se
réapproprier son histoire pour inventer, faire place au futur, qui est toujours chez vous un
futur à conjuguer individuellement et collectivement ?
C. F. : Oui, certainement, c’est toute une question (rires). En toute confidence, je n’ai jamais
pensé à tout ça quand j’ai imaginé que Madeleine traduirait un texte sur les déchets
domestiques. Ici, il y a beaucoup de gens qui font de la traduction parce que notre pays est
bilingue. Beaucoup de gens vivent de traduction de rapports gouvernementaux, etc. C’est un
travail très technique, qui peut être très emmerdant. J’aimais que Madeleine, dans sa période
de crise et de désarroi, doive s’astreindre à ce travail sec et ardu, sans implication personnelle.
Je n’ai pas du tout pensé à tout ce que vous venez de me dire, mais je trouve que ça se tient
complètement (rires). Et puis, comme par hasard, elle n’y arrive pas, à faire son travail et à
traduire ce truc sur les déchets domestiques, mais, pendant la pièce, oui, elle recycle d’une
certaine façon des morceaux de sa vie qui sont restés en suspens, des regrets.
3.2 Le traitement du chœur dans Cantate de guerre
A.-C. G. : Parlons du chœur. Est-ce pour vous une manière d’instaurer une adresse
particulière, qui interroge le rapport aux spectateurs, est-ce la revendication d’une prise en
charge collective du plateau pour réintégrer le spectateur dans la représentation, est-ce que
c’est faire du théâtre dans le rapport entre la scène et la salle ?
L.T. : Pour moi, la guerre, c’est le « nous », pas le « je ». Je devais incarner ce « nous ». C’est
pourquoi l’idée du chœur s’est présentée. Après, c’est devenu une problématique théâtrale
particulière : le chœur, au théâtre, ne relève pas de la psychologie. Ça donne au départ
beaucoup d’indications au futur metteur en scène : une adresse particulière, une façon d’être
dans l’espace, de traiter cet espace. C’est aussi une filiation avec d’autres dramaturgies
comme la dramaturgie grecque, par exemple.
A.-C. G. : Oui, justement. Avec le chœur, revient la référence à la citoyenneté, qui
évidemment est liée au modèle traditionnel du chœur antique, pour vous, est-ce quelque chose
d’important dans votre pièce ?
L.T. : Oui, cela recoupe ce que j’ai dit sur le « nous », le collectif…
A.-C. G. : Sauf que ce chœur ne vient pas relater, expliquer, commenter, prier… C’est un
chœur qui répète la parole du soldat, qui vient l’amplifier, comme un résonateur. Il ne
fonctionne pas du tout comme un chœur antique.
L.T. : J’ai voulu que le chœur amplifie la parole du père et qu’à un moment donné, il se
détache de lui et se mette à poser les questions que le fils se pose, mais subtilement. C’est un
traitement particulier que j’ai fait subir au chœur et qui ne reprend pas la fonction
traditionnelle du chœur.
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A.-C. G. : A propos du chœur, j’ai vu en DVD un autre spectacle de vous, Les Mille Grues,
spectacle de kathakali… j’ai énormément aimé, il n’y a aucun mot, mais il y a la structure du
chœur … pourquoi n’avez-vous pas repris la forme du kathakali pour Cantate de guerre ?
L.T. : S’il y avait eu utilisation du kathakali, cela aurait relevé de la mise en scène et non du
texte ; et comme je n’étais pas le metteur en scène du spectacle, la question ne se posait pas.
Mais on peut dire qu’il y avait un chœur dans Les Mille Grues, un chœur muet, gestuel, qui
représente les victimes de la bombe d’Hiroshima.
3.3 Cantate de guerre de Larry Tremblay et Anéantis de Sarah Kane,
sphères intimes et sphères privées, des constructions inversées
A.-C. G. : Sur les guerres raciales et les conflits ethniques, je pense à deux pièces : Anéantis
de Sarah Kane, sur le conflit en ex-Yougoslavie et Rwanda 94 du collectif Groupov sur le
génocide rwandais. Prenons Anéantis de Sarah Kane, qui use comme vous du détour par
l’intime pour parler d’un conflit militaire. Elle pose la question : quel est le rapport entre un
viol ordinaire commis à Leads, dans la banlieue de Londres et le viol en masse utilisé comme
arme de guerre en Bosnie. Et la réponse semblait être que le rapport était très étroit. L’unité
de lieu évoque dans la pièce l’idée d’un simple mur de papier qui séparerait la sécurité de la
civilisation de l’Angleterre tranquille, et de la violence, du chaos de la guerre civile. La pièce
de Sarah Kane bascule donc brutalement de la sphère intime au conflit armé.
Est-ce qu’on peut dire que votre pièce procède d’une construction inverse dans le passage du
monde des soldats au rapport père-fils ?
L.T. : Je dirais que oui. Je suis parti d’une voix anonyme, si je peux dire, pour ensuite
l’incarner par des personnages, donc, du collectif vers l’intime. Le père reconnaît dans le fils
de l’ennemi son propre fils, ce qui provoque chez lui une interrogation existentielle. Mon
texte recoupe alors la structure aristotélicienne de la tragédie : c’est le moment où le héros –
ici un héros négatif – reconnaît sa faute. Mon personnage, par contre, se tient sur le seuil de la
reconnaissance, il n’est pas en ce sens totalement tragique. Il représente une forme hybride de
personnage tragique. Le fils de l’ennemi, rappel de son propre fils, le sort de sa brutalité
mécanique, de sa déshumanisation. Le père, pour un instant, investit une conscience humaine
qui se pose la question du mal : pourquoi est-ce que je tue ? Pourquoi est-ce que je tue l’autre
si semblable, au fond, à moi-même ?
A.-C. G. : Y’a-t-il dans votre pièce (comme dans celle de S.K.) un point de déchirement ?
L.T. : Il y a une déchirure dans Cantate de guerre. Paradoxalement, c’est un moment de
fusion, celui que je viens de mentionner : lorsque le père retrouve son fils dans celui de
l’ennemi, lorsque l’altérité renvoie au même. La mise en scène de Martine Beaulne allait dans
le même sens. Martine et moi avons appelé cela fusion/confusion, une situation incertaine,
trouble qui provoque la réflexion, le doute, qui stoppe la mécanique de la violence.
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V.
Postures éthiques et esthético-politiques
1. Larry Tremblay ou le paradoxe de l’art
A.C. G. : Je reprends une phrase de François Régnault, philosophe :
« Dans le partage d’une expérience au sein de l’assemblée théâtrale, il n’y a pratiquement
que des mauvaises pièces, car des événements douloureux ne peuvent conduire, le plus
souvent, qu’à des pièces inutilement douloureuses, la plupart du temps, personne, ni l’auteur,
ni les acteurs ni les spectateurs n’ayant envie de se confronter réellement, ou n’ayant été
réellement confronté aux conflits représentés. »
L.T. : Il y a une part de vérité dans cette réflexion. C’est certain que je me suis moi-même
demandé ce qui me poussait à écrire une pièce sur les conflits ethniques, qu’est venue me
hanter l’idée qu’au fond mon entreprise était vouée à l’échec parce qu’elle n’aurait aucune
chance de changer quoi que ce soit aux conflits actuels. Mais j’imagine que François Régnault
n’a jamais écrit de pièce de théâtre, c’est donc plus facile pour lui d’écrire ce type d’assertion.
Comme spectateur, j’ai besoin de voir sur scène des choses qui me font mal dans ma pensée et
qui questionnent mon impuissance à changer les choses ou la façon que je les perçois. Nous
sommes dans une fuite en avant perpétuelle, emportés par la vitesse dans laquelle nous vivons
maintenant. Cette dépendance à la vitesse et à la consommation d’informations est reliée à la
peur de la mort, au fantasme d’une vie toujours plus longue et à l’absence d’un au-delà. J’ai
parlé tout à l’heure du théâtre comme d’un lieu privilégié. C’est aussi un lieu de
ralentissement, un lieu de parole où le silence scintille différemment grâce à la densité du
verbe théâtral.
A.-C. G. : Est-ce que vous faites une différence entre l’horreur et le tragique ?
L.T. : L’horreur empêche de comprendre, assomme totalement, comme si elle gelait le
cerveau et le cœur alors que le tragique, c’est une pensée structurée qui génère des réflexions
et aussi des sentiments.
A.C. G. : Dominique Simonnet a écrit dans un article paru dans l’Express d’octobre 2004 :
« On se dit que le sens du tragique, que cultivaient les sages antiques pour le domestiquer, est
redevenu une urgente nécessité »
L.T. : Ça me rappelle une discussion que Martine Beaulne et moi avons eue sur Cantate de
guerre avec le public et le philosophe Georges Leroux. Nous avons alors évoqué la tragédie
grecque. J’ai mentionné à Georges Leroux qui venait d’évoquer la catharsis que j’avais écrit
ma pièce de façon à empêcher, justement, la catharsis. C’est pourquoi il n’y a pas dans
Cantate de guerre ce genre de grandes scènes où le sentiment est poussé à l’extrême. La scène
entre le père et le fils est réduite à quelques mots, il n’y a pas d’explications entre eux.
J’aurais pu écrire cette scène pour provoquer chez le spectateur cette «purgation des
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émotions» mais j’ai préféré qu’elle se passe pratiquement dans le silence. Je voulais que la
scène nous reste à travers la gorge, qu’elle ne soit pas consommée émotionnellement. Peutêtre alors que Cantate de guerre exprime le sens du tragique sans se couler parfaitement dans
la forme de la tragédie. C’est ce sens du tragique – puisque les formes varient – dont on a
besoin pour parler du monde actuel, de sa violence et de ses contradictions.
A.-C. G. : Selon Sam Ijssling :
« La fin des grandes histoires, c’est-à-dire la faillite d’une idéologie ou d’une philosophie
qui explique et justifie tout ce qui est et se passe. Cette faillite idéologique est attribuable aux
deux Guerres mondiales et surtout à l’impossibilité de reconstruire un monde pacifique et
équitable à l’issue de la Seconde.[…]
L’époque où l’on croyait que tout est faisable, est bel et bien révolue. Autant la philosophie et
les sciences modernes étaient hermétiques au hasard, autant la philosophie et les sciences
postmodernes sont à nouveau perméables au chaotique et au fortuit, à l’inexplicable et à
l’imprévisible. Le hasard dans le sens de chance ou malchance paraît occuper à nouveau une
place importante dans l’éthique et la poétique, l’art et la science, et surtout l’art de vivre. La
porte est à nouveau ouverte au destin et donc, au tragique. »
La tragédie grecque a vu le jour dans un climat très particulier, dominé par :
 L’idée selon laquelle il est préférable de ne pas naître.
 La lutte continue de l’homme qui doit tout à tout moment se faire violence pour vaincre
ce pessimisme qui le paralyse.
 La reconnaissance du pouvoir du mot et de l’importance du théâtre pour la vie
communautaire dans la polis.
 L’acceptation de l’existence d’un destin qui a un caractère arbitraire et fortuit, mais
également irrévocable.
 La conviction selon laquelle il existe un panthéon peuplé de dieux qui ont chacun un
visage et une identité propres et qui, en raison de leurs exploits ou conflits, inspirent de
nombreux récits en tout genres.
Mis à part la référence aux dieux et à la religion, tous les éléments ne sont-ils pas réunis
aujourd’hui pour expliquer un certain retour du tragique à la scène ?
L.T. : C’est souvent tendancieux de faire ce type de parallèles historiques. D’ailleurs on
réinterprète souvent le passé en fonction du présent à moins de croire dans le retour cyclique
des choses. Il faut donc relativiser tout ça mais c’est quand même très bien articulé et j’irais
jusqu’à inclure le cinquième facteur. Lorsque l’homme se sent confronté au chaos du monde,
les figures du divin reviennent en force pour donner du sens à ce qui n’est que hasard. Mais le
chaos n’est pas nécessairement négatif ou porteur d’anxiété existentielle. On retrouve dans la
pensée indienne l’idée que le monde est un jeu, que les dieux s’amusent et qu’il n’y a pas de
plan déterminé. Cette approche ludique détruit évidemment toute forme de tragique !
A.-C. G. : Le spectacle est-il le constat d’une terrible impuissance ? Parce que même si le fils
dans Cantate de guerre rompt la spirale, le spectacle s’arrête justement à l’instant de son
sacrifice ?
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L.T. : Je rebondis sur le mot impuissance parce c’est justement mon sentiment d’impuissance
qui m’a amené à écrire la pièce. Et j’ai sans doute voulu le partager avec les spectateurs en
espérant que l’impuissance se transforme en réflexion sur l’impuissance et que celle-ci se
transforme en action. C’est clair que le théâtre a ses limites. Mais, en même temps, quand on
crée, on ne sait pas tout, heureusement d’ailleurs, et il y a des choses qui nous échappent.
L’art n’est pas utile au sens strict du terme. C’est pourquoi, d’ailleurs, il fait peur aux
politiciens. Mais il ouvre des brèches et permet de soupçonner le noir sous le blanc, de mettre
en doute les codes, quitte à mettre en péril le consensus d’une époque.
A.-C. G. : N’y a-t-il pas une sorte de perversion à faire spectacle de l’horreur, à en faire
éprouver du plaisir, ne serait-ce que par la beauté du texte et la performance des acteurs ?
C’est le cas dans votre pièce parce qu’on a du plaisir à regarder cette performance.
Comment vous positionnez-vous par rapport à cette contradiction éthique ?
L.T. : Je suis plutôt oriental dans mon approche du spectaculaire. Je m’inspire souvent de la
théorie esthétique indienne du rasa. Ce mot sanskrit signifie « saveur ». Pour faire court, on
pourrait dire qu’un spectacle – toute œuvre d’art en fait – possède plusieurs saveurs. L’horreur
en fait partie comme l’amour, le sentiment belliqueux, religieux, le chagrin… Et ces saveurs,
hé bien on les goûte. D’où le paradoxe d’assister à une scène pénible et d’en retirer du plaisir.
On goûte la beauté des mots, la performance des acteurs, sans toutefois perdre de vue la
qualité intrinsèque de la scène. Le plaisir esthétique ajoute une compréhension charnelle et
donne du poids à la réflexion du spectateur sans l’étouffer dans un processus d’identification.
Du Francis Bacon, est-ce que c’est beau ? La violence de ses toiles ? J’aime les contempler.
Ça me parle, ça me nettoie les yeux et le cœur.
L’art est paradoxal et c’est tant mieux.
2. Carole Fréchette, le théâtre comme lieu de partage autour
des valeurs d’humanité
A.-C. G. : Est-ce que l’acte d’écrire a autant de valeur révolutionnaire qu’un acte comme
celui de Yu Dongyue ?
C. F. : Je n’oserais jamais le dire comme ça, car, enfin, ça ne coûte pas la même chose. Le
prix à payer n’est pas le même. Ma pièce peut faire écho à leur action, mais elle n’est pas de
la même nature, elle n’a pas la même portée, et n’a certainement pas la même conséquence
sur ma vie. L’écriture de ma pièce est une modeste contribution. En réactualisant leur geste,
en revitalisant son sens, en le mettant en concordance ou en lien avec d’autres vies, avec des
gens qui sont dans un autre temps, une autre réalité sociale et politique, j’en prolonge peutêtre la portée. C’est ma modeste contribution. Mais, je le répète, le risque n’est pas du tout le
même.
A.-C. G. : On ne porte peut-être pas La révolution mais les germes…
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C. F. : Je n’utiliserais jamais le mot révolutionnaire pour me qualifier moi-même (rires), mais
je comprends ce que vous voulez dire ; c’est-à-dire, je crois sincèrement que le geste
artistique a une valeur.
Mon but n’est pas seulement de divertir les gens, de leur faire passer un bon moment, même si
il y a ça aussi. Je mets quelque chose en jeu. Yu Dongyue et ses deux compagnons ont mis en
jeu leur vie, moi je ne mets pas en jeu ma vie, mais je prends le risque de mettre au jour mes
questionnements, mes errances, mes défaites intimes. Je les offre en quelque sorte en écho à
l’offrande de leur vie qu’ils ont faite sur la place Tiananmen. J’affronte à ma façon les petits
dangers de l’écriture. Je marche le plus courageusement possible sur le fil tendu entre fiction
et réalité, en essayant de ne pas tomber dans les précipices du prêchi-prêcha, du ridicule, du
didactisme.
A.-C. G. : Madeleine, qui recherche des informations sur Yu Dongyue en se servant
constamment de Google tout au long de la pièce, comme vous l’avez fait vous-même sur
internet, est-ce votre double ?
C. F. : Je suis plus sympathique qu’elle (rires).
A.-C. G. : Et Lin n’est-elle pas aussi votre double ? Elle qui cherche la concordance des
temps et qui a des problèmes de traduction ? C’est dur de traduire le monde.
C. F. : (rires) Oh, oui, c’est dur ! Les trois personnages viennent de moi. Madeleine est celui
de mes personnages qui est le plus proche de moi, avec Hélène (dans Le collier d’Hélène).
Mais en même temps, ces deux femmes sont très différentes de ce que je suis. Madeleine est
plus dure que moi. Au début je voulais en faire une radicale – ce que je ne suis pas du tout.
J’ai été militante, mais en gardant toujours un pied dehors, parce que ce type de combat n’est
pas dans ma nature. Je voulais que Madeleine soit entière, toujours en quête de réponses
absolues. Je n’ai pas complètement réussi. On n’échappe pas à soi-même… C’est très difficile
pour moi d’inventer un personnage vraiment radical. Mais elle est tout de même plus
tranchante que moi. Et je me reconnais dans Jérémie, quand il dit qu’il n’aime pas les
manifestations. J’y allais, dans les manifs, parce que mon sens du devoir me disait qu’il fallait
descendre dans la rue, mais je n’avais pas du tout plaisir à faire ça. Je me sens très proche de
Jérémie, même si je n’ai jamais eu d’enfant malade et que son histoire est complètement
inventée ; cet homme, il vit en moi, très fort. Lin est le personnage avec qui il m’est le plus
difficile de m’identifier directement, mais je sais que j’ai en moi son côté déterminé et
lumineux.
A.-C. G. : Pensez-vous que le théâtre est le meilleur moyen de porter des valeurs
d’humanité ? Le théâtre amène aussi une temporalité qui est beaucoup plus lente. Cela laisse
le temps aux gens de se poser des questions, de réfléchir vraiment ?
C. F. : Je pense que oui. Et le théâtre est le langage artistique qui me convient le mieux. On
pourrait faire un film avec le sujet de Je pense à Yu. On voit bien comment le langage cinéma
pourrait servir cette histoire, avec des flashbacks, des images de Tienanmen, etc. Mais moi je
serais incapable de faire ce scénario de film. Je me sens très attachée à l’expérience théâtrale.
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Comme vous dites, le théâtre a une temporalité « lente. », et cela me convient tout à fait. Je
pense que je comprends profondément, de façon intuitive, cette expérience qui consiste à
convoquer des gens, à leur proposer d’entrer dans un monde qui se déroule en live sous leurs
yeux. Il y a quelque chose de vrai, de simple et d’artisanal dans le théâtre. C’est très difficile
à réussir, mais j’aime cette difficulté-là. Écrire un scénario de film c’est infiniment complexe,
mais je n’aime pas du tout ce genre de difficulté. Là, j’aime ce défi particulier : avoir
l’attention des gens réunis dans une même salle et trouver une façon de les convaincre de me
suivre pendant une heure et demie. Le théâtre, c’est le lieu de l’humain. L’humain qui se met
en jeu, en chair et en os, sur la scène. Au cinéma, ça se passe beaucoup dans les images, alors
qu’au théâtre il s’agit de corps, de voix, de mots, de présence.
A.-C. G. : Le théâtre est un lieu où se recentrer sur des valeurs d’humanité ?
C. F. : Oui, complètement. Ce qui nous intéresse au théâtre c’est ce qui arrive aux humains.
C’est pour ça qu’on ne peut pas faire un théâtre de genre. Le cinéma policier, ça va, le théâtre
policier, ce serait absurde. Les mécaniques au théâtre, ça n’a aucun intérêt. Le théâtre, c’est le
lieu par excellence de l’humain devant son angoisse de vivre.
A.-C. G. : La scène théâtrale est aussi l’endroit d’un partage sensible entre la scène et la
salle.
C. F. : C’est vrai que je n’ai pas écrit cette pièce pour dénoncer, mais pour partager mon
émotion et partager mes questions sur le sens de nos gestes et sur ce qu’ils nous coûtent.
A.-C. G : Vous interrogez dans ce texte la notion de sacrifice, est-ce qu’on peut dire que vous,
vous avez mis votre foi au service du théâtre ?
C. F. : Ma foi, ça, c’est une belle question …
A.-C. G. : Votre foi, elle transparaît aussi dans la pièce.
C. F. : Moi, je n’ai pas de frère, et ma mère ne nous a pas donné des prénoms bibliques
(rires). Mes parents n’étaient pas ultrareligieux, mais c’est sûr que, comme tous les Québécois
francophones, j’ai été élevée dans la religion catholique. C’est vrai que cette notion de
sacrifice, je l’aborde un peu et puis oui, c’est une vraie question pour moi. Quel sens a le
sacrifice aujourd’hui ? J’ai posé la question à Lu Decheng. Je voulais savoir s’il avait eu le
sentiment de se sacrifier. Mais je pense que cela ne s’est pas joué comme ça pour eux. C’était
plus ambigu. Ils savaient qu’ils risquaient gros, mais en même temps, dans le climat
d’insurrection qui régnait, ils pouvaient penser qu’ils allaient être les héros de la journée. Je
suis touchée par cette impétuosité, faite à la fois d’orgueil et de générosité. Je suis touchée
aussi par ce jeune tunisien qui s’est fait flamber. Est-ce qu’il faut des gestes sacrificiels
comme ceux-là pour faire craquer les scléroses du monde? Ce sont souvent des gens très
humbles qui accomplissent ces sacrifices. Ce ne sont pas des hommes politiques, des
personnalités en vue. Ils sortent de l’ombre, ils portent le cri de tout un peuple.
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A.-C. G. : C’est un rendez-vous avec l’Histoire. Et dans votre pièce, la fin est une sorte de
rédemption. Madeleine dit qu’elle ne serait pas la même s’ils n’avaient pas lancé la peinture.
Est-ce qu’on peut parler d’une valeur religieuse qui transparaît, une foi en l’humanité.
C. F. : Foi en l’humanité oui, religieuse je ne sais pas.
A.-C. G. : Mais ça dépasse l’engagement politique, là.
C. F. : Dans la pièce, Jérémie demande : qu’est-ce que ça donne de lancer la peinture sur le
portrait de Mao, si le portrait est remplacé 15 minutes après? Qu’est-ce que ça a donné
puisque personne n’a suivi leur geste? Ils sont allés croupir en prison, et la Chine est toujours
ce qu’elle est. Et qu’est-ce que ça a donné Tienanmen ? Moi, je pense profondément que ça
donne quelque chose, mais ce ne sont pas nécessairement des résultats politiques
quantifiables. Le gouvernement chinois n’est pas tombé après qu’ils aient lancé la peinture sur
Mao, bien au contraire. Mais le fait que trois jeunes hommes aient eu cette audace sacrilège,
je suis sûre que ça joue sur l’esprit, sur l’imaginaire. Quelqu’un a fait l’inimaginable. C’est
très important. Madeleine dit : « il y a des gens qui ont assisté à cela et certains ont pensé : on
peut le faire. On peut se tenir debout devant le pouvoir. » Pour moi, c’est une espèce de
chaîne ; ils ont fait ça et, vingt ans plus tard, Madeleine est transformée par leur geste.
A.-C. G. : Et Lin aussi.
C. F. : Elle ne va pas devenir révolutionnaire, elle va continuer de prendre ses cours de
français, et peut-être juste faire sa vie. Mais elle dit qu’il y a de la couleur qui pleure de ses
yeux. C’est petit, mais c’est une chose partagée. Le destin de ces hommes a traversé le sien. À
quoi ça sert de faire du théâtre ? À quoi ça sert d’être un artiste ? Simplement à mettre en
scène des destins, des consciences, qui rencontrent les consciences des spectateurs.
A.-C. G. : Madeleine Laflamme, qu’est-ce que ça représente ce nom ?
C. F. : Ici, Laflamme est un nom assez courant. Je voulais un personnage brûlant, mais dont
le feu est un peu éteint. Elle doit le raviver. Ce n’est pas une dépressive, elle est dans une
crise. Elle est à l’image de beaucoup de femmes de ma génération, qui ont voulu investir le
champ public. Ma génération a envahi l’espace public. Les femmes se sont mises à être
partout, dans toutes les sphères de la société, à prendre des responsabilités ; mais il y a eu un
prix à payer pour ça. Le prix à payer, c’est qu’on n’a pas eu de grandes familles ; beaucoup
n’ont pas eu d’enfant. Il y a eu des divorces, des couples éclatés, des familles disloquées.
C’était le prix à payer. Ça peut faire mal, quand on a cinquante ans, soixante ans. Moi je suis
très contente d’avoir ma fille, c’est une immense joie, mais il y a des moments où je me dis,
j’aurais dû faire plus d’enfants. Ma fille va surement faire les choses différemment de moi
parce que les portes sont ouvertes pour elle. On ne le dit pas assez, ça. On reproche beaucoup
aux gens de ma génération la dislocation de la famille, du couple, etc. Mais comment aurionsnous pu faire autrement ? On ne pouvait pas à la fois défoncer les portes de l’espace public et
être des gardiennes du foyer.
51
Ce qui nous ramène au sacrifice. Il y a des batailles qui coûtent quelque chose. Écrire une
pièce aussi, ça coûte quelque chose. Créer de la vie, ça coûte quelque chose ; il faut prendre
cette vie quelque part en soi, la mettre sur le papier. Il faut payer de sa personne.
3. Olivier Kemeid, l’écriture théâtrale pour mettre en scène
les chemins de l’exil
A.-C. G. : Avez-vous le sentiment que pour toucher le public, vous devez créer les conditions
d’une réflexion sur notre monde contemporain et que la grande Histoire ne peut
s’appréhender que par des parcours intimes ?
O. K. : Pas nécessairement. J’ai vu des spectacles historiques sur la Révolution Française, par
exemple, où on voit un tribunal tout au long de la pièce et ça peut marcher, toutes les voies
sont possibles, on peut faire théâtre de tout bois. Par contre, dans mon cas, c’est sûr que oui je
suis intéressé ou passionné, ou peut-être là réside ma force, ou au contraire c’est ma faiblesse
de ne pouvoir faire autrement, je ne sais pas, dans cette manière d’entremêler la petite et la
grande Histoire, aussi parce que je sens que j’en suis le fruit, on est le fruit, de toute manière,
de ce croisement-là. C’est sûr que l’exil de mes grands-parents d’Égypte, je l’ai vécu, pas de
plein fouet, mais on me l’a tellement raconté que ça fait partie de moi. Ce croisement de la
grande et de la petite histoire. Et je trouve que le théâtre encore plus que le cinéma peut
embrasser ce terrain-là. La scène est le lieu par excellence de la rencontre de l’histoire intime
et de la grande histoire, peut-être même plus que le roman. Je trouve qu’au théâtre, on a cette
possibilité de rentrer dans l’intimité d’un personnage, dans sa nudité, sa fragilité, parce qu’il
est incarné, vivant devant nous (qu’il soit fictionnel ou non, au-delà de Sasha).
A.-C. G. : Quelle sera votre prochaine création ?
O. K. : (rires) Ça s’appelle pour l’instant Furieux et Désespéré. Ça aura lieu au Théâtre
d’Aujourd’hui l’année prochaine. Le point de départ de cette pièce qui est en chantier - avec
l’Énéïde, je me suis posé la question de ce qui arrive à ceux qui partent, ceux qui quittent leur
un pays en effondrement. Cette fois-ci je pose la question de ceux qui restent. Je prends
comme point de départ mon voyage en Égypte en 2009, où je suis allé pour la première fois
de ma vie. J’étais invité là par un festival de théâtre et j’ai pu rencontrer une cousine de mon
père, donc une des rares qui est restée en 52.
A.-C. G. : Vous allez partir d’un témoignage à nouveau ?
O. K. : Non, pas directement, oui, indirectement. C’est-à-dire que ça nourrit la pièce, mais ma
cousine n’est pas un personnage sur scène, pour l’instant du moins.
A.-C. G. : Vous avez envie de continuer de creuser cette problématique, elle vous a ouvert
des chemins, des questions.
O. K. : Oui, depuis L’Énéide qui parle énormément aussi de mon père et de mon grand-père.
Parfois plus que l’œuvre même de Virgile. C’est une rencontre entre les deux.
52
A.-C. G. : Quand je vous posais la question quelles sont les résonances entre votre parcours
artistique et votre parcours politique, en fait, vous êtes une résonance politique à vous tout
seul.
O. K. : Certainement, certaines fois sans même que je m’en rende compte. Ce qui me guide le
plus - je n’ai pas à choisir heureusement entre la petite et la grande histoire - mais c’est tout
de même la petite qui prédomine.
A.-C. G. : Vous aimez faire entrer le monde dans votre écriture : Carthage, Chicago, la
Pologne, l’URSS, l’Argentine.
O. K. : Est-ce que c’est moi qui le fais rentrer ? En fait je suis sensible aux percées de
l’histoire. Je suis le réceptacle de ça. De cette jonction.
A.-C. G. : C’est pour remettre sur la scène, dans une parole publique, les conditions d’une
interrogation sur l’histoire, pour permettre aux citoyens qui sont réunis de s’interroger sur
l’Histoire ?
O. K. : Oui, cela participe de ça. Mais je vais vous dire quelque chose qui va peut-être vous
choquer, l’objectif réel je ne le sais pas et tant mieux. Le jour où je saurais exactement mon
objectif, je pose ma plume. Ou alors il faut que j’analyse mes textes, que je passe de l’autre
côté. Je ne suis pas du tout dans une espèce d’aveuglement, mais il faut que je fasse attention
à une surconscience dans l’écriture, il faut que je me laisse aller en ne sachant pas exactement
pourquoi j’écris ça et ce que je veux dire. Maintenant, au moment où on se parle, je suis en
train de comprendre ce que j’ai vraiment voulu mettre en place dans Moi, dans les ruines
rouges. Peut-être que tout ce que j’ai voulu faire, en fait, c’est de parler du destin d’un homme
qui essaye d’élever seul son fils, peut-être que c’est ça le plus important. En tout cas
intimement, c’est sans doute ce qui est le plus proche de moi, beaucoup plus que tout ce qu’on
est en train de dire par rapport à l’Histoire.
A.-C. G. : Quelque chose à voir avec la transmission alors ?
O. K. : Oui, la transmission, vraiment. Dans L’Énéïde, c’est ça le point le plus important. Le
rapport père-fils, parce que la mère est morte. Et c’est le point, c’est quand Anchise, dans les
enfers, qui donne un véritable sens à la mission d’Énée. Ce faisant, il fait tout un récapitulatif
historique des mouvements migratoires, encore le politique qui revient, mais c’est dans une
transmission père-fils. De la même manière, lorsque dans les trains, le père de Sasha, dans les
Ruines fait le récit de l’ode aux morts, le génocide mis en place par Staline sur les Ukrainiens
dans les années 30.
A.-C. G. : Qu’est-ce qui se transmet à ce moment-là?
O. K. : Il lui transmet une espèce de métaphysique historique, c’est-à-dire, voilà, il y a ton
destin, il y a ta vie, elle n’est pas toujours facile, j’en conviens, mais sache qu’avant, tes
ancêtres ont autant sinon davantage souffert. Et qu’il y a quelque chose qui nous dépasse, qui
est au dessus de nous, qui est tout ce… ce… ce tank de l’Histoire, et qui avance sur nos corps
de façon inéluctable.
53
A.-C. G. : Mais le fils lui, il s’en sort, il part, il va émigrer.
O. K. : Oui mais il se fait traverser et pas à peu près. Il quitte la Russie parce qu’il s’est fait
morcelé par ce tank, ou en tout cas parce que ce tank lui courre après. C’est dire qu’on
n’arrête pas l’Histoire.
A.-C. G. : Mais il n’est pas au final écrasé par l’Histoire. Il ne subit pas son destin, il prend
la décision de venir au Québec. Le père, lui, subit son destin, il ne peut pas s’adapter à son
temps- les loyers - , il y a un moment où ça s’arrête pour lui.
O. K. : Il meurt avec ce système-là, oui. C’est vrai que Sasha essaye de faire fléchir son
destin. Il en a la possibilité aussi, le contexte l’aide. S’il n’y avait pas eu ce contexte
d’effondrement, aurait-il pu poser tous ces gestes ? C’est une grande réflexion pour moi,
qu’est-ce qui est le plus fort, déterminisme ou libre arbitre ? Ce sont des questions qui me
passionnaient quand j’étais en sciences-po. Est-ce le contexte qui forme l’homme ou
l’homme qui forme son contexte ? Est-ce que De Gaulle aurait pu être De Gaulle sans le
contexte ? Y compris dans ma propre vie, il y a des moments où je ne sais plus si je suis le
produit de mon environnement ou si c’est moi qui ai la force de le faire fléchir. Mon éditeur
m’avait dit de L’Énéïde, que c’était une pièce sur les choix que l’on doit faire ou que l’on peut
faire. Il y a ça aussi dans Moi, dans les ruines rouges où des choix drastiques s’imposent et de
leurs conséquences, jusqu’au choix de se refaire une famille. Ce sont des questions qui sont
soulevées par la pièce que je n’ai pas nécessairement voulu soulever dès le début. Et que je
vais peut-être reprendre par la suite. Je vais reprendre des choses que je n’ai pas assez
poussées. Une pièce part souvent de l’insatisfaction d’un petit aspect de la précédente.
54
Épilogues
A.-C. G. : Quelle va être votre prochaine création ?
Carole Fréchette : C’est très différent. Ça s’appelle pour l’instant Small Talk, il n’y a pas
d’équivalent en français. Ça veut dire faire la conversation. C’est une fiction à propos d’une
jeune femme qui n’arrive pas à faire la conversation. C’est très fantaisiste pour l’instant.
_________________________
A.-C. G. : Est-ce que votre pièce Moi, dans les ruines rouges du siècle va être publiée ?
Olivier Kemeid : Oui, j’ai une pièce qui a été publiée, L’Éneïde, chez Lansman et Ruines
rouges va être publiée. Je ne me suis pas encore occupé de ça. J’ai un rapport spécial avec
l’édition, la publication. L’idée de figer l’écrit, alors que le théâtre, par essence, c’est une
écriture un peu mouvante, et dans mon cas elle est très mouvante. Dans la plupart des cas,
c’est moi qui ai fait la mise en scène, c’est toujours intimement lié avec l’écriture. La
mouvance est amplifiée, donc l’idée de tout figer me rebute. En même temps, pour moi le
théâtre est une littérature. Je finis quand même par publier.
____________________________
A.-C. G. : La citation des Bienveillantes de Jonathan Littel, qui est publiée en exergue du
texte, pouvez-vous me dire quel en est le lien avec Cantate de guerre ? Et par ailleurs
pourquoi avoir choisi finalement une forme hautement poétique pour exprimer l’horreur ?
Larry Tremblay : C’est cette idée du pouvoir de fascination de certains mots auquel
Jonathan Littel se réfère qui m'a rappelé ce que j'évoquais moi-même quand je disais qu'il y a
une logique (ou une logistique) langagière qui organise la haine.
Quant à l'utilisation de la forme poétique, elle demeure paradoxale, c'est vrai, puisque la
beauté est convoquée pour évoquer l'horreur - si je puis dire de façon lapidaire. Elle indique
aussi que l'inhumanité n'est possible que chez l'homme. Ce sont des hommes qui commettent
des génocides, pas des animaux. Le «haut langage» rappelle au spectateur que le crime est
commis par une partie de l'humanité. Personnellement, j'ai rencontré ce paradoxe du langage
pour la première fois quand j'ai lu, adolescent, l'Iliade. Les descriptions des combats guerriers
sont chez Homère d'une beauté cinglante.
______________________________
55
Bibliographie des auteurs
FRÉCHETTE, Carole,
Baby Blues, Les Herbes Rouges, Montréal, 1989.
Les quatre morts de Marie, Actes Sud- Papiers, 1998.
La peau d’Élisa, Leméac/ Actes Sud - Papiers, 1998.
Les sept jours de Simon Labrosse, Leméac /Actes-Sud Papiers, 1999.
Le collier d’Hélène, Lansman, Carnières, 2002.
Violette sur la terre, Leméac/Actes-Sud Papiers, 2002.
Jean et Béatrice, Leméac/Actes-Sud Papiers, 2002.
Route 1 (pièce courte), in Fragments d’humanité, Lansman, Carnières, 2004.
La pose (pièce courte), in La Famille, L’avant-scène/La Comédie Française (coll. Les
petites formes de la Comédie-Française), 2007.
La petite pièce en haut de l’escalier, Leméac/Actes-Sud Papiers, 2008.
Sérial Killer et autres pièces courtes, Leméac/Actes-Sud Papiers, 2008.
Je pense à Yu, suivi de Entrefilet, Leméac/Actes-Sud Papiers, 2012.
Vu du ciel, pièce courte écrite pour le Théâtre du Peuple (Bussang, France), juillet
2012.
KEMEID, Olivier,
Chroniques de l’insouciance, radio-fiction, Tapuscrit CEAD N° 7762, 2001.
Barthélémy chez le Très-Bas, 2002.
Déserteurs, avril 2002.
Nashoba, ville idéale, 2002.
Nous qui ne rêvions plus, Tapuscrit CEAD N° 7364, 2003.
L'Homme des derniers instants, en coll. avec Patrick Drolet, oct. 2003.
Tout ce qui est debout se couchera, août 2004.
Les Mains, oct. 2004.
Les Murmures, adaptation d’après Pedro Paramo de Juan Rulfo (à partir de la
traduction française de R. Lescot, Gallimard, 1959), Tapuscrit CEAD N° 7769, 2004.
Une Ardente Patience, d'après le roman d'Antonio Skarmeta, juin 2005.
Rabelais (Festin), en collab. avec Patrick Drolet et Alexis Martin, 2005.
Bacchanale, Tapuscrit N° 8286, 2007.
L’Énéide, Belgique, Lansman, 2008.
TREMBLAY, Larry,
Le Déclic du destin, Montréal, Leméac, 1989.
Leçon d'anatomie, (Lanterna Magica, 1992), Belgique, Lansman, 2003.
Le Crâne des théâtres, essais sur le corps de l'acteur, Montréal, Leméac, 1993.
The Dragonfly of Chicoutimi, Montréal, Les Herbes rouges, 1996/2005.
Le Génie de la rue Drolet, Belgique, Lansman, 1997.
Ogre, suivi de Cornemuse, Belgique, Lansman, 1997.
Éloge de la paresse, dans Les huit péchés capitaux (éloges), en coll. avec sept autres
auteurs, Montréal, Dramaturges, 1997.
56
Les Mains bleues, Belgique, Lansman, 1998.
Téléroman, Belgique, Lansman, 1999.
Le Ventriloque, Belgique, Lansman, 2001/2004.
Roller, dans Théâtre à lire et à jouer N° 4, Belgique, Lansman, 2001.
Panda Panda, Belgique, Lansman, 2004.
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Cantate de guerre, Belgique, Lansman, 2011.
57
Bibliographie Générale
I.
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1. En lien avec Cantate de guerre de Larry Tremblay :
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COUTURE, Philippe, « Violence indomptée », in Le Devoir, Montréal, 27 sept. 2011.
GAUTHIER, Pascale, « Cinq Questions à Paul Ahmarani, Horreur et beauté », in 24h Weekend, Montréal, 18 sept. 2011, p. 40.
LABRECQUE, Marie, « Un Acteur au front, Paul Ahmarani », in La ScenaXpress, Montréal,
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PEPIN, Elsa, « Étude de guerre », in Voir, Montréal, 29 sept. 2011.
VIGNEAULT, Alexandre,
« Jouer à la Guerre », in La Presse, Montréal, 17 sept. 2011, p.17.
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2. En lien avec Moi, dans les ruines rouges du siècle d’Olivier Kemeid :
BÉLAIR, Michel, « Une Russie rouge et sombre. Théâtre au pays des soviets. », in Le Devoir,
7 et 8 janv. 2012, pp. E1-E2.
BOURBONNAIS, Louise, « Courage et acharnement », « Voir sa vie défiler sur scène », in
Le Journal de Montréal, 7 janv. 2012, pp. 74-75.
CADIEUX, Alexandre, « Se construire alors que tout s’effondre », in Le Devoir, 18 janv.
2012, p. B7.
PÉPIN, Elsa, « Le Grand Théâtre russe », in Voir, 19 janv. 2012, p. 18.
ROUSSEAU, Yves, « Moi, dans les ruines rouges du siècle. Trois tristes tigres. », in Le
Quatrième, 17 janv. 2012.
VIGNEAULT, Alexandre,
« Un Roman russe », in La Presse Montréal (Arts), 7 jan. 2012, p. 10.
« Le Spectacle d’une vie », in La Presse Montréal (Arts), 17 jan. 2012, p. 5.
3. En lien avec Je pense à Yu de Carole Fréchette :
BÉLAIR, Michel, « L’Impact inattendu d’une coquille d’œuf sur la vraie vie ordinaire », in
Le Devoir, 31 mars et 1er avril 2012, pp. E1, E4.
BOURBONNAIS, Louise, « Un Geste symbolique et percutant », in Le journal de Montréal,
31 mars 2012, p.101.
GAUTHIER, Pascale, « Action et réflexion », in 24h Week-end, 30 mars et 1er avril 2012, p.
53.
LEONARDINI, Jean-Pierre, « Les Pieds au Québec, la tête et le cœur en Chine », in
L’Humanité, 13 février 2012.
PÉPIN, Elsa, « Les Échos de Tiananmen », in Voir, Montréal, 29 mars 2012, p. 15.
SAINT-PIERRE, Christian, « Une Œuvre d’art en soi, Entretien avec Marie Brassart », in
Cahiers Théâtre-Jeu N°111, pp. 104-108.
SIAG, Jean, « Le Courage de se tenir debout », in La Presse Montréal, 31 mars 2012, p. 15.
II.
PIÈCES EUROPÉENNES EN LIEN AVEC LES THÉMATIQUES DU CORPUS
BRECHT, Bertolt,
Mère Courage et ses enfants, traduit de l’allemand par Guillevic, L’Arche (1955),
1975.
58
La Résistible Ascension d’Arturio Ui, in Théâtre complet 5, L’Arche, 1959/1976.
BOND, Edward, Pièces de guerre 1 et 2, L’Arche, 1985/1991/1994.
ESCHYLE, Les Perses, dans Les tragiques Grecs, Eschyle-Sophocle-Euripide, Théâtre
complet, traduction de Victor-Henri Debidour, De Fallois, Les classiques modernes (coll.
Pochothèque), 1999.
GALEA, Claudine, Au bord, Espace 34, 2011.
HOLCROFT, Sam, Cancrelat, Théâtre Ouvert / Tapuscrit, 2011.
KANE, Sarah, Anéantis, L’Arche (coll. Scène ouverte), 1998.
LEVIN, Hanokh, Théâtre choisi III, Pièces politiques, traduit de l’hébreu par L. Sendowicz et
J. Carnaud, Théâtrales (coll. Antoine Vitez), 2004.
MARCHAIS, Stéphanie, Verticale de fureur, Quartett, 2011.
SRBLJANOVIC, Biljana, Histoires de famille, La trilogie de Belgrade, traduit du serbe par U.
Zaric, L’Arche, (1998 Berlin), 2002.
VINAVER, Michel, 11 septembre 2001, L’Arche, 2002.
III.
RÉFÉRENCES CRITIQUES ET THÉORIQUES
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DAVID, Gilbert, « L’Autre et le même : théâtre de France et théâtre québécois
contemporain », in Théâtre, Multidisciplinarité et multiculturalisme, sous la direction de
Chantal HEBERT et Irène PERELLI-CONTOS, Québec, Nuit Blanche, 1997.
GAUVIN, Lise, Langagement : l’écrivain et la langue au Québec, Montréal, Boréal, 2000.
HÉBERT, Chantale, Théâtre, multidisciplinarité et multiculturalisme, sous la direction de C.
Hébert, et I. Pirelli, Québec, Nuit Blanche, 1997.
HEMMERLÉ, Marie-Laure,
« Les Nouvelles Écritures dramatiques du Québec », in Presse Sorbonne Nouvelle
(coll. Revue d’Études Théâtrales), Registre 11/12, Hiver 2006/Printemps 2007, pp.
216-225.
« L’Autre de la langue. Pour une poétique du témoignage dans la dramaturgie
québécoise contemporaine. Le théâtre québécois d’hier à aujourd’hui. Séminaire sur le
discours du théâtre québécois », in Congrès 2011 de la Société Québécoise d’Etudes
théâtrales, juin 2011.
HUFFMAN, Shawn, « Les Nouvelles écritures théâtrales : l’intertextualité, le métissage et la
mise en scène de la fiction », in Le Théâtre québécois, 1975-1995, sous la direction de
Dominique Lafon, Québec, Saint-Laurent, 2001.
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LESAGE, Marie-Christine, « Entre la page et le plateau, Ruptures et Filiations », in Le festival
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PITSY, Chloé, Diffusion et réception du théâtre québécois en France, mémoire de Master 1,
encadré par Mr Daniel Urrutiaguer, Censier Paris III, 2007.
PRZYCHODZEN, Janusz, Vie et mort du théâtre au Québec, Paris, L'Harmattan, 2005.
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vol.26, n° 2, 1990, p. 63.
RYNGAERT, Jean-Pierre, « Le Québec comme réserve d’émotion et territoire de l’âme », in
L’Annuaire théâtral n°27, pp. 147-159.
SCHRYBURT, Sylvain, « L’Amérique du théâtre québécois », in Cahiers de théâtre-Jeu
n°114, Québec, 2005, pp. 82-93.
VAÏS, Michel et Philip Wickham, « Le Brassage des cultures, table ronde », in Cahiers de
Théâtre-Jeu n° 72, 1994, pp. 8-33.
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« Boudés au Québec, aimés en France ? », in Cahiers de Théâtre-Jeu n° 120, Québec,
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« Passion, Poésie, Politique, Pinter », in Cahiers de Théâtre-Jeu n° 120, Québec, 2006,
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WICKHAM, Philip,
Sommaire, in Cahiers de théâtre-Jeu n° 117, Québec, p. 1.
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2. Sur Larry Tremblay :
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Théâtre-Jeu, n° 127, pp. 124-128.
GODIN, Diane, « Le Dragon, l'ogre et le génie », in Cahiers de théâtre-Jeu, n° 87, pp. 159164.
JACQUES, Hélène, « Le Secret des choses. Larry Tremblay en quatre temps. », in Cahiers de
Théâtre-Jeu n° 120, p. 8 et p. 14.
JUBINVILLE, Yves, « La Vie en reste. Sur quelques cas de témoignages dans la dramaturgie
québécoise actuelle (Danis, Chaurette, Tremblay), in Le Théâtre et ses nouvelles dynamiques
narrative, La narrativité contemporaine au Québec, sous la direction de Chantal Hébert et
Irène Perrelli-Contos, Les presses de l’Université Laval, 2002, pp. 43-60.
LESAGE, Marie-Christine et Adeline GAGNON, « Récit de vie et soliloque dans Leçon
d'anatomie et The dragonfly of Chicoutimi de Larry Tremblay », in La narrativité
contemporaine au Québec – Le théâtre et ses nouvelles dynamiques narratives, 2004, pp.
171-197.
MOSS, Jane, « Larry Tremblay et la dramaturgie de la parole », in L'Annuaire Théâtral n° 21,
pp.62-83.
PAVLOVIC, Diane, « Les Mille Grues. Comme un cristal vivant », in Cahier de Théâtre-Jeu
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PRZYCHODZEN, Janusz et Vijaya RAO, « Écrire l'Inde au Québec : Mythes et réalités de
l'Ailleurs », in Revue Internationale d'Études Canadiennes n° 31, pp. 129-163.
TREMBLAY, Larry et Lynda BURGOYNE, « Les Mots…sous la surface de la peau », in
Cahiers de Théâtre-Jeu n° 65, pp. 8-12.
TREMBLAY, Larry,
« Miss Beaths et les autres », in Cahiers de Théâtre-Jeu n° 78, pp. 44-67.
« Chaque Mot possède son tambour dans la longue nuit des phrases », in Théâtre
Public n° 115, 2011.
TURP, Gilbert, « Écrire pour le corps », in L'Annuaire Théâtral n° 21, pp. 161-171.
3. Sur Carole Fréchette :
CLICHE, Denise, Andrée Mercier et Isabelle Tremblay, « Passion, parole et libération dans la
dramaturgie de Carole Fréchette », in Le Théâtre et ses nouvelles dynamiques narrative, La
narrativité contemporaine au Québec, sous la direction de Chantal Hébert et Irène PerrelliContos, Les presses de l’Université Laval, 2002, pp. 215-247.
NUTTING, Stéphanie, « Mater/modernité dans l’écriture dramatique de Carole Fréchette », in
Théâtre québécois et canadiens-français au XXe siècle, sous la direction de Hélène
Beauchamps et Gilbert David, Presses de l’Université du Québec, 2005.
4. Théâtre, réalité, réalisme :
60
BARTHES, Rolland, BERSANI Léo, HAMON, Philippe, RIFATERRE, Michael et WATT, Ian,
Littérature et réalité, Paris, Seuil (collection Points), 1982.
LUKACS, Georges, Problèmes du réalisme, traduit de l’allemand par C. Prévost et J. Guégan,
L’Arche, 1975.
PIEMME, Jean-Marie, (dir.), Usages du « document ». Les écritures théâtrales entre réel et
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SAISON, Maryvonne, Les Théâtres du réel, pratique de la représentation dans le théâtre
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WEISS, Peter, « Notes sur le théâtre documentaire, traduit de l’allemand par J. Baudrillard,
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5. Théâtre, politique, histoire, tragédie, guerre :
BARTHES, Rolland, « Brecht, Marx et l’Histoire » (1957), in Écrits sur le théâtre, Seuil,
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BIET, Christian, « Tragédie sanglante et théâtre des désastres, sidération et comparution », in
Œdipe contemporain ? Tragédie Tragique Politique, sous la direction de Christian Biet,
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DIDI-HUBERMAN, Georges, Quand les Images prennent position. L’œil de l’histoire 1,
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DORT, Bernard, « La Vocation politique » (1965), in Théâtres, Seuil (coll. Points), 1986, pp.
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V.
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http://www.theatre-des-salins.fr/
http://www.theatrecontemporain.net
http://www.celestins-lyon.org
http://www. sqet.uqam.ca
http://www.cnt.asso.fr
http://www.crilcq.org/

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