Sujet national, juin 2014 › Document 1 › Document 2

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Sujet national, juin 2014 › Document 1 › Document 2
Sujet 1, dissertation
Sujet national, juin 2014
Les facteurs travail et capital sont-ils les seules sources de la croissance
économique ?
› Document
1
Croissance annuelle moyenne en volume, 1985-2008
en %
Maind’œuvre
Allemagne
États-Unis
Japon
France
Canada
− 0,17
0,94
− 0,35
0,04
1,18
Capital en
TIC 1
0,29
0,54
0,40
0,24
0,44
Capital hors
TIC
PGF 2
Croissance
du PIB
0,31
0,32
0,45
0,31
0,66
1,07
1,09
1,60
1,16
0,37
1,50
2,89
2,10
1,75
2,65
Source : OCDE.
› Document
2
Dépenses intérieures de recherche développement en % du PIB
Corée du Sud
Japon
États-Unis
Allemagne
France
Royaume-Uni
Finlande
Suède
UE 27
Total OCDE
2008
3,36
3,47
2,84
2,69
2,12
1,79
3,70
3,70
1,84
2,35
2009
3,56
3,36
2,90
2,82
2,21
1,86
3,93
3,60
1,92
2,40
Source : d’après note d’information, enseignement supérieur et recherche, 2012.
1. TIC : technologies de l’information et de la communication.
2. PGF : productivité globale des facteurs de production.
16
Sujet 1 | Énoncé
› Document
3
Évolution de la productivité globale des facteurs en France de 1978 à 2010
(indice base 100 en 1978)
Source : Insee, Comptes nationaux, enquêtes Emploi, 2013.
› Document
4
Article L. 611-1
Toute invention peut faire l’objet d’un titre de propriété industrielle délivré par le directeur de
l’Institut national de la propriété industrielle qui confère à son titulaire ou à ses ayants cause un
droit exclusif d’exploitation. [...]
Article L. 611-2
Les titres de propriété industrielle protégeant les inventions sont : les brevets d’invention, délivrés
pour une durée de vingt ans à compter du jour du dépôt de la demande ; les certificats d’utilité,
délivrés pour une durée de six ans à compter du jour du dépôt de la demande ; les certificats complémentaires de protection rattachés à un brevet [...] prenant effet au terme légal du brevet auquel
ils se rattachent pour une durée ne pouvant excéder sept ans à compter de ce terme et dix-sept ans
à compter de la délivrance de l’autorisation de mise sur le marché mentionnée à ce même article.
[...]
Article L. 615-14
Sont punies de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende les atteintes portées
sciemment 3 aux droits du propriétaire d’un brevet [...]. Lorsque le délit a été commis en bande
organisée ou sur un réseau de communication au public en ligne ou lorsque les faits portent sur des
marchandises dangereuses pour la santé, la sécurité de l’homme ou l’animal, les peines sont portées
à cinq ans d’emprisonnement et à 500 000 euros d’amende.
Source : Code de la propriété industrielle, Legifrance, 2013.
3. Sciemment : délibérément.
17
Sujet 1 | Énoncé
„Comprendre la question
Le sujet fait référence au débat sur l’importance relative des éléments qui produisent la
croissance. Quelle est la part du travail ? Quelle est celle du capital ? Derrière la question
posée se cache donc le fait que les économistes ne sont capables d’expliquer précisément
qu’une faible part de la croissance : celle qui s’explique par les quantités de travail et de
capital mobilisées. Il faut donc poser le problème du « reste » inexpliqué et formuler des
hypothèses.
„Mobiliser ses connaissances
Ces hypothèses doivent avoir une caution scientifique. Le corpus de connaissances pour
pouvoir traiter le sujet est donc assez conséquent. On pourra mobiliser la « théorie du résidu » de R. Solow, la théorie de l’innovation de J. Schumpeter, celle de G. Becker sur le
capital humain ou celle de D. North sur les droits de propriété. Mais une des conditions pour
aborder ce sujet est d’être capable d’interpréter le document 1 dans lequel la croissance est
« décomposée » en « points » entre les différents facteurs qui contribuent à sa réalisation.
18
Sujet 1 | Corrigé
Introduction
La question des origines de la croissance économique fait intervenir la prise en compte des facteurs qui contribuent au fonctionnement de l’appareil productif, le travail et le capital. Mais si
l’augmentation des quantités de facteurs explique, pour une part, l’augmentation de la production,
mesurable par la croissance du produit intérieur brut, on ne peut rendre compte de la croissance observée à partir de ces seuls éléments quantitatifs. Le progrès technique, incorporé dans le progrès
des connaissances et des savoir-faire et dans les innovations techniques, apporte, dans la plupart
des pays, une contribution décisive à la croissance économique. Enfin, le cadre institutionnel et légal dans lequel évoluent les appareils productifs joue également un rôle qui semble majeur, même
s’il n’est pas chiffrable avec précision.
La première partie de ce devoir s’attachera donc à décrire en quoi la croissance résulte de la mobilisation des facteurs de production, le travail et le capital, ce qui nous conduira, dans la deuxième
partie à évoquer le rôle des autres éléments qui interviennent dans le processus de croissance et
qui conditionnent son rythme.
I. La contribution à la croissance des facteurs de production
Le document 1 précise, pour quelques pays de l’OCDE, la contribution du facteur travail et du
facteur capital à la croissance économique : on constate que la part de l’accroissement annuel
moyen du PIB expliquée par les quantités de facteurs mises en œuvre varie fortement d’un pays à
l’autre.
1. Le travail est une des sources de la croissance
La combinaison productive des entreprises et des administrations utilise le facteur travail dans
des proportions variables selon les modes de production. La quantité de travail mise en œuvre
dans un pays au cours d’une année résulte en effet du volume de sa population active (lui-même
dépendant de la population totale et du taux d’emploi) et de la durée moyenne du travail. Dans
le document 1, on constate que la contribution quantitative du facteur travail à la croissance a,
par exemple, été négative en Allemagne et au Japon, et quasi nulle en France. À l’inverse, cette
contribution explique une forte part de la croissance canadienne (1,18 point sur 2,65 points de PIB
en moyenne chaque année entre 1985 et 2008).
Il faut cependant aussi prendre en compte l’évolution de la qualification de la main-d’œuvre,
qui a des effets considérables sur la productivité du travail et, à travers elle, sur la croissance
économique.
2. La formation de capital fixe contribue, elle aussi, à la croissance
Le facteur capital, que l’organisation productive combine avec le travail, est lui aussi une des
sources de l’accroissement de la production. Le stock de capital mobilisé pour la production résulte d’un double flux : d’une part, l’investissement réalisé par les entreprises, les administrations
et les ménages alimentent annuellement ce stock ; d’autre part, ce stock se voit réduit chaque année
par l’usure du capital et la mise au rebut d’une part des capacités de production (amortissement).
19
Sujet 1 | Corrigé
Notons que l’obsolescence, c’est-à-dire le vieillissement technologique lié à l’apparition de nouvelles technologies, vient s’ajouter au vieillissement physique pour déclasser des équipements.
Or, en période de progrès technique accéléré, cette dépréciation par obsolescence peut être particulièrement rapide, comme on le constate aujourd’hui avec les innovations continues dans les
technologies de l’information et de la communication (TIC). On voit le rôle majeur joué dans le
processus de croissance par l’essor des TIC aux États-Unis, au Japon et au Canada, notamment
à travers l’investissement immatériel : aux États-Unis, le recours aux TIC a contribué à un demipoint de croissance chaque année sur la période considérée (document 1).
Le capital technique est donc, encore aujourd’hui, un facteur de croissance, même s’il faut remarquer que seule une partie des équipements installés est, à l’instant t, effectivement utilisée dans le
processus de production, ce que décrit la notion de « taux d’utilisation des capacités productives. »
II. D’autres éléments sont facteurs de croissance
La croissance du PIB ne s’explique qu’en partie par l’augmentation du travail et du capital. L’intensité du progrès technique et l’environnement institutionnel semblent être également des sources
importantes des progrès de l’économie. Dans le document 1, on constate par exemple que les 2/3 de
la croissance française ou allemande ne s’expliquent pas par des facteurs quantitatifs.
1. L’explication du « résidu »
L’économiste américain R. Solow a baptisé du terme « résidu » la partie de la croissance économique qui ne peut être expliquée par l’augmentation des quantités de facteurs, travail et capital.
Aujourd’hui, on regroupe les éléments (non dissociables) de ce résidu sous l’expression « productivité globale des facteurs » (PGF). Il s’agit en réalité de tout ce qui concourt à une plus grande
efficacité de la combinaison productive, à quantités de facteurs inchangées. Globalement, cela
recouvre aussi ce qu’on désigne sous l’expression un peu vague de « progrès technique ».
Quels sont donc les « ingrédients » de ce progrès technique ? Certains renvoient à ce qui améliore l’efficacité du travail humain, à travers la formation (initiale et continue) mesurable par les
dépenses de formation et les diplômes. Mais ce « capital humain » (selon l’expression de l’économiste G. Becker) inclut aussi l’expérience accumulée ou l’état de santé physique et l’aptitude
mentale au travail de la population.
Les dépenses de recherche contribuent, pour une grande part, à la fois au progrès des connaissances
et à la mise au point de nouveaux produits ou de nouveaux procédés de production. Pour l’économiste J. Schumpeter, l’innovation est au cœur de l’explication de la croissance, parfois irrégulière,
de la production de richesses. De ce point de vue, le document 2 révèle de très grands écarts dans
les efforts consentis en faveur de la recherche : certains pays (Europe du Nord) y consacrent près
de 4 points de PIB chaque année. L’Union européenne est globalement à la traîne avec moins de
2 % du PIB, la France occupant une position moyenne (2,21 %) entre la Finlande, l’Allemagne
ou la Suède, pays à forte recherche, et le Royaume-Uni ou l’Italie, qui délaissent cet effort.
Ce sont pourtant les efforts consentis pour la recherche-développement qui sont largement à l’origine de la croissance presque continue de la productivité globale des facteurs que connaissent
nos pays. En France, la PGF s’est accrue de plus de 50 % entre 1978 et 2010, l’accident de 2009
20
Sujet 1 | Corrigé
étant le résultat du recul ponctuel du PIB lié à la crise financière (document 3). La recherche et la
croissance interagissent donc l’une sur l’autre, comme le soutient la théorie de la croissance endogène qui voit dans le progrès technique, non un facteur extérieur au champ économique, mais
un enchaînement produit par la croissance elle-même.
2. L’influence du cadre institutionnel
En dernier lieu, il faut mentionner, parmi les éléments qui favorisent la croissance, le rôle du cadre
légal et institutionnel dans lequel évoluent les acteurs de l’économie. Dans la mesure où il fixe
des « règles du jeu » visibles et prévisibles pour tous, ce cadre semble favoriser le processus de
croissance. L’historien D. North a insisté, par exemple, sur l’importance de la protection des droits
de propriété des agents économiques. La législation sur les brevets apporte ainsi aux inventeurs
la garantie de pouvoir tirer un profit matériel de leur invention et la protection par les sanctions
en cas de non-respect de ce droit de propriété. Cette législation alimente évidemment l’incitation
à l’innovation (document 4) même si se pose aussi la question de la durée au bout de laquelle
cette protection doit tomber pour que l’innovation se répande dans l’ensemble du corps social. De
même, l’existence de normes sociales et juridiques stables liées à l’État de droit contribuerait à
rendre prévisibles les conséquences à long terme des décisions économiques. Enfin, la présence
d’infrastructures publiques efficaces aurait aussi un effet positif sur la croissance.
Conclusion
Au terme de cette analyse, il faut reconnaître qu’une grande part des origines de la croissance
restent encore aujourd’hui un peu mystérieuses. Comme le confirme la situation préoccupante de
nombreux pays européens (dont la France), la croissance économique ne résulte pas d’une « recette miraculeuse » dont il suffirait de réunir les ingrédients pour la voir réapparaître. La puissance
publique a probablement plus de capacités d’action que les acteurs particuliers, mais il semble que
son action doive s’inscrire, au-delà des interventions conjoncturelles, dans une stratégie privilégiant l’effort de formation et l’effort de recherche.
21
Sujet 2, dissertation
Polynésie, juin 2013, enseignement spécifique
Dans quelle mesure les variations de la demande expliquent-elles les fluctuations économiques ?
› Document
1
Contributions à l’évolution du produit intérieur brut en France aux prix de l’année précédente,
en % du PIB
Intitulés
Dépenses de
consommation
finale
Dont :
Ménages
Administrations
publiques
ISBLSM 2
FBCF 3
Exportations
Importations
Variations de
stocks
PIB
2002
1,6 1
2003
1,4
2004
1,5
2005
1,7
2006
1,6
2007
1,7
2008
0,4
2009
0,7
2010
1,3
2011
0,2
1,0
0,4
1,0
0,4
1,0
0,5
1,4
0,3
1,2
0,3
1,3
0,4
0,1
0,3
0,1
0,6
0,8
0,4
0,1
0,0
0,2
−0,4
0,5
−0,5
−0,2
−0,1
0,4
−0,4
−0,2
−0,3
0,0
0,6
1,2
−1,5
0,7
0,0
0,8
0,7
−1,4
0,0
0,0
0,8
1,4
−1,4
0,1
0,1
1,3
0,6
−1,5
0,2
0,0
0,1
−0,1
−0,3
−0,2
0,1
−2,3
−3,3
2,8
−1,2
0,1
0,2
2,3
−2,2
0,1
0,0
0,7
1,3
−1,4
0,8
0,9
0,9
2,5
1,8
2,5
2,3
−0,1
−3,1
1,7
1,7
Source : d’après Insee, Comptes nationaux, 2012.
1. Les résultats étant arrondis, il se peut que la variation du PIB diffère légèrement de la somme des différentes
contributions.
2. ISBLSM : « Institutions sans but lucratif au service des ménages » désignent les associations.
3. FBCF : formation brute de capital fixe.
22
Sujet 2 | Énoncé
› Document
2
Taux de croissance du PIB réel (pourcentage de variation par rapport à l’année précédente)
Source : d’après Eurostat, 2012.
› Document
3
Formation brute de capital fixe en volume
(pourcentage de variation par rapport à l’année précédente)
Allemagne
Japon
ÉtatsUnis
Zone
euro
France
2002
−6,2
2003
−1,2
2004
−1,2
2005
1,0
2006
8,9
2007
5,0
2008
1,0
2009
−11,4
2010
5,2
2011
6,6
2012 4
2,0
−4,6
−2,7
0,3
3,3
0,3
6,3
0,8
5,3
1,5
2,5
0,2
−1,4
−4,4
−5,1
−10,4
−15,2
−0,1
2,0
0,5
3,7
2,3
4,4
−1,6
1,1
1,8
3,4
6,0
4,6
−1,3
−12,0
−0,7
1,5
−1,8
−1,9
2,2
3,0
4,4
4,2
6,2
0,1
−8,8
−1,4
2,9
0,6
Source : d’après OCDE, Perspectives économiques de l’OCDE, 2012.
23
Sujet 2 | Énoncé
› Document
4
Évolution du prix du brent depuis 1970 (prix du baril en dollars, 2010)
Source : d’après l’Institut français du pétrole et des énergies nouvelles, Panorama 2012.
Le nom « brent » désigne un gisement pétrolier de la mer du Nord, mais c’est également une qualité de pétrole dont le prix détermine celui d’environ 60 % des pétroles extraits dans le monde.
„Comprendre la question
Le thème de l’instabilité de la croissance économique nourrit de nombreuses analyses, parfois contradictoires, au sein de la communauté des économistes.
Il vous est demandé ici de privilégier une des approches explicatives de ces fluctuations,
l’influence des variations de la demande. Devez-vous, pour autant, ne pas prendre en compte
les autres interprétations ?
Attention à la forme de la question posée ! « Dans quelle mesure... » exige en effet une
réponse en deux temps : dans un premier temps, il faut évaluer l’importance du facteur demande dans l’irrégularité de la croissance, mais, dans un deuxième temps, il faut relativiser
cette importance en mobilisant d’autres facteurs explicatifs, puisque les variations de la demande, si elles ont des répercussions sur le rythme de l’activité économique, n’épuisent pas
les explications du phénomène des fluctuations.
4. Il s’agit de prévisions.
24
Sujet 2 | Énoncé
„Mobiliser ses connaissances
Pour alimenter l’argumentation sur la question de l’influence de la demande, il est essentiel
de maîtriser le concept de demande globale et être capable d’en décrire les quatre composantes (consommation, investissement, variation des stocks, solde des échanges extérieurs) :
celles-ci sont reprises dans le document 1, qui permet d’évaluer la liaison demande/ PIB et
le poids de chaque élément.
Les éléments les plus instables de la demande globale sont l’investissement (ce qui renvoie
au mécanisme de l’accélérateur) et le solde du commerce extérieur. On voit, en revanche,
que la consommation des ménages et celle des administrations publiques jouent plutôt un
rôle stabilisateur, voire stimulant (mécanisme du multiplicateur).
L’instabilité de l’investissement est également repérable dans le document 3 et peut être mis
en parallèle avec l’irrégularité de la croissance (document 2) pour quelques pays. La notion
de chocs de demande doit être définie et illustrée par un ou deux exemples concrets, dans
le sens positif ou négatif (par exemple l’ouverture d’un marché ou une ponction fiscale sur
le pouvoir d’achat des ménages).
Pour ce qui concerne les autres facteurs que la demande, il faut définir et illustrer la notion
de choc d’offre (tout ce qui modifie les coûts des entreprises : exemple de la hausse des
prix du pétrole dans le document 4) et de celle du cycle du crédit (alternance de périodes
d’abondance et de contraction du crédit, ayant des répercussions sur l’économie réelle).
25
Sujet 2 | Corrigé
Introduction
Les fluctuations économiques sont une donnée permanente des sociétés développées. Au long des
XIXe et XXe siècles, les différentes variables qui caractérisent la vie économique, notamment la
production, ont été caractérisées par une alternance de périodes de prospérité et d’expansion et de
périodes de récession et de crise, et le début du XIXe siècle n’échappe pas à cette instabilité. Les
tentatives d’explication de cette irrégularité de la croissance autour d’un trend de long terme ont
été le fait de nombreuses analyses théoriques, et les économistes mettent en avant des facteurs
divers, certains insistant sur l’effet de « chocs externes » sur le rythme de l’activité, d’autres
considérant que le caractère cyclique de la vie économique trouverait son explication dans des
causes internes au fonctionnement même de l’économie de marché, comme l’innovation ou le
crédit. Nous montrerons que les variations de la demande et de ses composantes peuvent, dans
une première approche, être considérées comme largement à l’origine du caractère irrégulier de
l’activité économique, mais que d’autres facteurs comme les chocs d’offre ou les perturbations du
système financier sont également à prendre en compte pour comprendre ce phénomène.
I. Les variations de la demande globale à l’origine des fluctuations
Le caractère irrégulier de la croissance du produit intérieur brut a été particulièrement repérable
dans les économies développées au cours de la dernière décennie. Il s’explique en partie par les
variations qui ont affecté telle ou telle composante de la demande globale, notamment en raison
des liens qui existent entre ces composantes.
1. L’impact des composantes de la demande globale sur la production
Le document 2 permet de constater les fortes fluctuations de la croissance du PIB entre 2002
et 2011 : avec une certaine homogénéité du profil général des courbes des quatre pays cités, on
voit en effet les mêmes mouvements de reprise de la croissance (2004-2007), puis de récession
et de dépression (2008-2009), avant de constater un effet de rebond en 2010, mais qui a laissé
place, depuis, à une croissance atone ou à la stagnation dans la plupart des grands pays développés. L’amplitude de ces fluctuations est un peu différente d’un pays à l’autre : plus marquée en
Allemagne et au Japon, plus faible en France et aux États-Unis.
Si l’on s’arrête sur le cas français (document 1), on repère une amplitude maximale des taux de
croissance du PIB de −3,1 % en 2009 à + 2,5 % en 2004 et 2006.
Ces variations fortes de la croissance de la production ont pour origine principale les évolutions qui
affectent les composantes de la demande globale. Celle-ci représente l’ensemble de la demande
exprimée, sous forme monétaire, par les agents économiques, et elle est constituée de quatre éléments : la demande de consommation (des ménages, des administrations et des ISBLSM), la formation brute de capital fixe des entreprises et des administrations, les variations de stocks des
entreprises et le solde des échanges extérieurs (exportations moins importations).
On remarque, par exemple (document 1), que l’essentiel de la croissance du PIB en 2006 (2,5 %)
est à mettre au compte de l’accroissement de la consommation des ménages (1,5 point) et, dans
une moindre mesure, de l’investissement (0,8 point). L’impact du commerce extérieur a, cette
26
Sujet 2 | Corrigé
année-là, été neutre (1,4 point pour les exportations et −1,4 point pour les importations), les restes
de la croissance provenant de la progression de la demande des administrations (0,3 point) et des
variations de stocks (0,1 point).
À l’inverse, les chiffres de l’année 2009 illustrent l’impact de ces composantes dans une situation
de recul de la production (−3,1 %) : ce sont les mauvaises performances du commerce extérieur
(recul des exportations de 3,3 points et croissance des importations de 2,8 points) mais également
le fort recul de l’investissement (−2,3 %) qui expliquent l’ampleur de la dépression qu’a connue
l’économie française. Même la consommation des ménages, élément pourtant le plus important
en volume (55 % du PIB) et relativement stable, n’a apporté qu’une contribution minime (0,1 %).
2. Chocs de demande et instabilité de la croissance
La notion de « chocs de demande » permet de rendre compte de cette liaison entre demande et
production. Cette expression désigne tout événement qui modifie significativement les conditions
de la demande. Ces chocs peuvent avoir des effets positifs ou négatifs.
Ainsi, l’ouverture d’un nouveau débouché extérieur pour les producteurs nationaux à la suite d’un
accord de libre-échange ou de la baisse des droits de douane d’un pays client engendre un supplément de demande bénéfique pour l’activité économique. Ces chocs de demande peuvent être
internes au pays et résulter d’un accroissement de la demande de consommation des ménages (à la
suite d’une baisse de leur propension à épargner, par exemple, ou d’une hausse des salaires) mais
ils peuvent aussi se manifester de manière négative : une hausse des prélèvements obligatoires ou
l’augmentation des prix de l’énergie pour les ménages a pour conséquence, à taux d’épargne inchangé, une contraction de leur pouvoir d’achat qui peut faire baisser leur demande sur les autres
postes de leur budget.
Ces chocs sur la demande de consommation ont des conséquences amplifiées sur la demande
d’investissement des entreprises : celles-ci, en présence d’une contraction (ou d’un simple ralentissement) de leur demande, réduisent leurs achats de capital fixe de manière plus que proportionnelle (mécanisme de l’accélérateur, ici dans sa phase négative). Ainsi s’explique, par exemple,
l’effondrement de la FBCF en 2009, plus marqué encore que le recul du PIB (document 3).
À l’inverse, le mécanisme du multiplicateur, mis en évidence par J.M. Keynes, explique que la
relance de l’investissement a des effets dynamiques plus que proportionnels sur le niveau de la
production. Les différentes composantes de la demande globale interagissent donc les unes sur les
autres et sont à l’origine des fluctuations économiques.
II. L’offre et le fonctionnement du système financier
Cette première série d’explications n’est cependant pas exclusive de la prise en compte d’autres
facteurs d’instabilité. Les « chocs d’offre » et les dérèglement de la sphère financière sont retenus,
par certaines analyses, comme contribuant aux fluctuations de l’activité économique.
1. Des chocs d’offre qui modifient le fonctionnement des appareils productifs
Les chocs d’offre peuvent être définis comme une modification significative des conditions de
la production pour les entreprises, par exemple une variation à la hausse ou à la baisse des coûts
27
Sujet 2 | Corrigé
des facteurs de production qu’elles utilisent (cours des matières premières, niveau des salaires,
cotisations sociales, etc.). On y range aussi l’apparition des innovations de procédé qui, en générant
des gains de productivité, entraînent une baisse des coûts unitaires de production. Dans ce dernier
cas, le choc d’offre a un effet positif puisqu’il permet de faire baisser le prix des produits, d’élargir
les débouchés et d’accroître le niveau de production. Un choc d’offre positif a donc un effet de
stimulation de la croissance économique.
À l’inverse, la hausse brutale des prix du pétrole (document 4) dans les années 1975-1980 puis à
partir de 2006, en alourdissant les coûts de production des entreprises, est en partie à l’origine des
« accidents de croissance » constatés à court terme.
Un choc d’offre peut aussi se manifester sous la forme d’une augmentation significative des salaires non compensée par des gains de productivité : l’augmentation des coûts unitaires qui en
résulte peut rendre difficile le maintien de la compétitivité-prix des entreprises.
Enfin, l’économiste J. Schumpeter a montré comment les innovations majeures, en révolutionnant
les modes de production ou de consommation, pouvaient créer les conditions d’un choc d’offre
débouchant sur un processus de « destruction créatrice », les nouveaux produits ou procédés disqualifiant progressivement les produits ou procédés traditionnels et amorçant un cycle caractérisé,
après la phase de contraction, de faillites et de chômage par une nouvelle phase d’expansion.
2. L’effet du cycle du crédit et des bulles financières
La crise financière de 2008 a remis sur le devant de la scène l’impact des dérèglements de la sphère
financière. Les crises financières, récurrentes au XIXe siècle et au début du XXe siècle, semblaient
avoir disparu dans l’après-Seconde Guerre mondiale. Elles sont pourtant redevenues fréquentes
et leur dimension désormais mondiale leur donne une importance particulière dans l’explication
des fluctuations de l’économie réelle. Elles se traduisent par un gonflement excessif (parce que
spéculatif) de la valeur des titres financiers ou immobiliers, bien au-delà de la valeur des actifs
réels dont ils sont les contreparties (entreprises, bâtiments, stocks de matières premières, etc.). La
distribution imprudente du crédit alimente les comportements spéculatifs sans souci des risques
d’endettement. « L’éclatement » de ces bulles spéculatives, par les défauts de paiement en chaîne
qu’il provoque, conduit alors à une contraction du crédit (« credit crunch ») qui prive les entreprises
des moyens de financer leurs projets d’investissement en alimentant la spirale de la récession.
Conclusion
La période que nous traversons, dans les pays développés, est caractérisée par une forte instabilité de la vie économique. Les crises, ces dernières années, se sont succédé sans qu’on entrevoit
de perspectives de retour à une croissance régulière. L’effet des désordres financiers est une des
causes majeures de cette instabilité chronique, mais les difficultés à retrouver un chemin de croissance équilibrée semblent témoigner aussi de l’influence des chocs de demande et d’offre sur
le rythme de l’activité. La relative impuissance des politiques économiques face à la récession
montre que ces facteurs ne se « pilotent » pas de l’extérieur et qu’ils obéissent à une logique
interne parfois insaisissable.
28
Sujet 3, dissertation
Inde, avril 2013, enseignement spécifique
Dans quelle mesure le recours au protectionnisme est-il souhaitable ?
› Document
1
Salaires horaires moyens dans l’industrie (charges comprises), en dollars courants
Allemagne
Autriche
Belgique
Chine
Espagne
États-Unis
Finlande
France
Grèce
Italie
Pays-Bas
Portugal
2000
23,04
21,25
24,53
0,47
13,11
19,88
20,37
22,90
10,12
17,50
20,56
7,49
2002
24,69
22,74
27,49
0,59
12,84
N/A
22,45
25,48
11,74
18,84
23,74
8,58
2004
33,42
31,46
37,64
0,76
18,34
23,12
31,48
35,36
14,52
26,57
33,83
12,67
2006
34,63
33,82
39,43
1,00
19,79
24,15
34,13
37,95
15,96
43,63
N/A
13,76
2007
38,05
37,79
44,56
1,22
22,43
24,59
38,15
42,76
18,03
61,40
N/A
15,49
Source : d’après P. Artus, J. Mistral et V. Plagnol, Conseil d’analyse économique, 2011.
› Document
2
Volume des exportations mondiales de marchandises et produit intérieur brut mondial,
2000-2009 (variation annuelle en %)
Source : d’après Organisation mondiale du commerce, Statistiques du commerce international 2010.
29
Sujet 3 | Énoncé
› Document
3
Taxes sur les importations en 2007 (en % de leur valeur)
Importateurs
Pays riches
Australie
Canada
États-Unis
Japon
Union européenne à 27
Pays en développement
Chine
Inde
Maghreb
Mexique
Turquie
Pays les moins avancés
Bangladesh
Afrique Subsaharienne
Monde
Total
2,7
3,5
3,3
1,7
2,5
2,6
8,0
6,3
17,9
10,4
6,6
4,3
10,1
10,2
9,2
4,4
Agriculture
14,6
1,5
18,1
5,5
23,8
14,6
18,3
9,2
60,5
24,4
15,5
41,1
12,6
11,2
11,3
15,9
Textile
7,8
12,3
12,4
9,8
7,0
7,0
13,3
9,2
15,1
19,0
15,7
4,4
17,7
21,2
17,9
9,2
Reste de l’industrie
1,7
3,2
1,8
1,1
0,7
1,7
7,0
5,9
14,3
9,0
5,4
1,5
9,3
9,6
8,4
3,4
Source : d’après « La protection commerciale dans le monde », La Lettre du CEPII, juillet 2012.
„Comprendre la question
La question peut paraître curieusement posée : en effet, la vision la plus fréquente en
sciences économiques est que le libre-échange est souhaitable et le protectionnisme détestable. Signe des temps, on vous propose ici de vous interroger sur le degré de légitimité
des mesures protectionnistes.
Il faut évidemment introduire immédiatement de la nuance dans ce questionnement : il ne
s’agit pas de prouver que le protectionnisme serait la solution idéale et que le libre-échange
n’aurait que des inconvénients !
La nature de l’interrogation « Dans quelle mesure... » exige donc une réponse sélective et
nuancée. Les critères de nuance peuvent être divers : selon les pays, les périodes, le degré
de développement, les situations économiques, etc. Mais il faut surtout garder à l’esprit que
le centre du sujet est le protectionnisme et non le libre-échange.
On ne peut, bien sûr, pas parler de l’un sans mentionner l’autre, et le plan devra tenir compte
de cette double facette. Mais la démonstration doit partir de la question du bien-fondé du
protectionnisme. L’adjectif « souhaitable » doit être pris ici dans le sens d’une « solution »
à des problèmes.
30
Sujet 3 | Énoncé
Il faudra donc, pour répondre, avoir identifié à quelles situations problématiques le protectionnisme peut répondre.
„Mobiliser ses connaissances
Il est indispensable de replacer la réapparition récente des appels au protectionnisme dans
le contexte de récession que connaissent notamment les pays développés, en particulier en
Europe. Les annonces de délocalisation et les déficits de balance commerciale conduisent
l’opinion et certains économistes à demander un retour des protections aux frontières. Il faut
montrer que ce mouvement va à contre-courant de l’évolution libre-échangiste depuis les
années 1950 : il faut donc évoquer les négociations du GATT et de l’Organisation mondiale
du commerce (OMC).
Il faut, par ailleurs, extraire des documents des informations pertinentes : le document 2
permet de mettre en évidence le lien fort entre la croissance mondiale et l’évolution des
échanges, en particulier lors de la crise de 2009. Le document 3 peut être mobilisé pour
montrer que si, globalement, le niveau des taxes douanières est relativement faible dans le
monde, ce n’est pas le cas pour certains secteurs spécifiques comme les produits agricoles
et textiles. On voit également que certains pays (l’Inde, par exemple) utilisent les taxes aux
importations pour protéger leur industrie nationale.
Cependant, le cœur du débat concerne les écarts de coût du travail. C’est là que se situe
l’essentiel des écarts de compétitivité-prix. On voit dans le document 1 que le problème
ne concerne pas seulement les rapports Nord-Sud : à l’intérieur de l’Europe règne une très
forte hétérogénéité des coûts salariaux qui alimente le débat sur la menace que cette situation
représente pour la préservation des systèmes sociaux les plus avancés.
Enfin, il faut évidemment bien maîtriser les connaissances théoriques sur la légitimation
du libre-échange, notamment la théorie de Ricardo sur les avantages comparatifs (selon
laquelle la division internationale du travail qui découle du libre-échange est bénéfique
pour tous) et sur les risques du repli protectionniste en matière d’innovation.
31
Sujet 3 | Corrigé
Introduction
La montée des économies émergentes dans les années 1990-2000 et la crise économique des années 2007-2009 ont relancé le traditionnel débat entre libre-échange et protectionnisme. L’ouverture quasi générale des pays à l’espace économique mondialisé est en effet analysée par certains
économistes comme une source de croissance et de développement, alors que d’autres la dénoncent
comme étant responsable du processus de désindustrialisation des pays développés engendré par
la concurrence des pays à bas salaires. L’un des signes de cette résurgence de la tentation du repli
protectionniste est l’évolution désormais ralentie du commerce mondial, voire, en 2009, sa brutale contraction. Il convient donc de s’interroger sur les raisons qui peuvent rendre souhaitable le
recours à certaines mesures protectionnistes en soulignant cependant que les pratiques protectionnistes rencontrent souvent des limites et peuvent engendrer, en retour, des effets pervers.
I. Le recours au protectionnisme, une tentation justifiable...
Les appels à la mise en place de mesures protectionnistes s’appuient, en général, sur le constat
des conséquences néfastes que la libéralisation des échanges a sur le plan agricole ou industriel en
déstabilisant les structures agricoles intérieures d’un pays ou en détruisant les sites et les emplois
industriels, notamment dans les pays développés.
1. Une logique renforcée par la crise
Le remodelage de la répartition des activités économiques à l’échelle du monde est un phénomène
historique permanent depuis la révolution industrielle mais il a connu, au milieu du XXe siècle
une forte accélération par l’abaissement des obstacles tarifaires et non tarifaires aux échanges,
dans le cadre du GATT, puis, depuis 1995, de l’Organisation mondiale du commerce. La mise en
concurrence des économies par le commerce international a pour effet, à travers le libre-échange,
d’instituer une Division internationale du travail (DIT) dans laquelle chaque économie a tendance
à se spécialiser et à développer les exportations de certains biens en délaissant d’autres productions
obtenues par les importations. Les périodes de crise économique incitent souvent les pays à rompre
avec la logique libre-échangiste pour amortir les conséquences économiques et sociales internes
du ralentissement ou de la baisse de la production. Le document 2 montre que, si l’expansion
des échanges extérieurs accompagne la croissance économique (par exemple de 2002 à 2006),
la récession conduit à une contraction du commerce international avec un effet amplificateur :
en 2009, alors que le PIB mondial a reculé d’environ 2,8 %, les exportations mondiales se sont
effondrées (− 12 %).
Si l’essentiel de ce recul est une traduction « mécanique » de la crise, une part relève cependant
de la réactivation par certains pays de mesures de protection. Au premier rang de ces mesures, les
barrières tarifaires (par l’imposition de droits de douane sur les importations) sont encore relativement importantes en ce qui concerne les productions agricoles : le taux moyen des taxes sur les
importations agricoles dans le monde est encore de l’ordre de 16 %, certains pays ayant des pratiques douanières qui isolent leur agriculture des échanges mondiaux au nom de la souveraineté et
de la sécurité alimentaires (Inde, Turquie ou même Japon, selon le document 3). De même, le sec32
Sujet 3 | Corrigé
teur du textile est particulièrement sujet à la protection des industries locales, notamment dans les
pays en développement et les pays les moins avancés : on retrouve ici l’argument, évoqué dès le
XIXe siècle par l’économiste allemand F. List, des « industries dans l’enfance » ayant besoin d’une
protection initiale pour se développer. Mais les obstacles au libre-échange peuvent aussi prendre
des formes non monétaires comme des restrictions quantitatives (quotas, contingentement) ou des
mesures fondées sur les normes de qualité et de sécurité.
2. Une conséquence de la concurrence sociale et écologique
Cependant, le principal argument avancé aujourd’hui pour justifier certaines mesures protectionnistes de la part des pays développés s’appuie sur la dénonciation du « dumping social » auquel
se livreraient les économies en développement comme la Chine, le Brésil, la Thaïlande ou les
Philippines.
Les écarts de coûts salariaux sont en effet considérables entre les pays développés, à niveau de salaires et de protection sociale élevés et, par exemple, les pays émergents. Ainsi, en 2007, l’écart de
salaire horaire moyen, charges comprises, était de l’ordre de 1 pour la Chine à 30 ou plus pour des
pays comme la France, la Belgique ou l’Allemagne. Certes, cet écart est en partie compensé par
des écarts de productivité du travail très importants. Mais le problème s’est aggravé, ces dernières
décennies, en raison d’un décalage croissant pour la Chine entre l’augmentation rapide de la productivité et la faible croissance des salaires et de la protection sociale. Même si on réduit l’analyse
au périmètre plus restreint de l’Union européenne, on constate une forte hétérogénéité des coûts
du travail : le Portugal, la Grèce et plus encore les pays d’Europe de l’Est (États baltes, Bulgarie,
Roumanie) sont encore très éloignés des niveaux de salaire et de protection sociale des pays de
l’Europe de l’Ouest et du Nord. Dans un espace économique libre-échangiste, cela leur donne un
avantage de compétitivité-prix difficilement compensable par leurs concurrents plus développés.
Sur un autre registre, on a pu aussi parler de « dumping écologique » de la part de certains pays en
développement où les conditions de production de certains biens n’intègrent pas ou peu les objectifs de soutenabilité de la croissance liés à la préservation des ressources non renouvelables ou à la
réduction des rejets polluants comme les gaz à effet de serre. Or, dans la plupart des grands pays
développés, ces contraintes écologiques imposées par les États pèsent, parfois lourdement, sur les
coûts de production des entreprises. S’instaure alors une distorsion de concurrence au détriment
des sites industriels installés dans les pays du Nord.
3. Une réponse à des stratégies monétaires
Enfin, une part non négligeable de la demande de protectionnisme concerne la « concurrence déloyale » qu’entretiendraient certains pays par le biais de la sous-évaluation du taux de change de
leur monnaie, une sorte de « dumping monétaire ». Cette stratégie entretient, de manière artificielle, un avantage de compétitivité-prix en défaveur des pays à monnaie forte. On pense évidemment au yuan chinois, dont les autorités américaines dénoncent régulièrement la sous-évaluation
par rapport au dollar, estimée de l’ordre de 20 % par rapport à sa parité normale. De même, le won
de Corée du Sud, dont la parité est maintenue à un niveau inférieur à sa « parité naturelle », procurerait aux exportations coréennes un avantage de change qui justifierait, selon certaines analyses,
des restrictions aux importations de certains produits sur le territoire américain.
33
Sujet 3 | Corrigé
II. ... qui comporte cependant des limites et des effets pervers
La justification d’un protectionnisme sélectif a été relayée ces dernières années par des économistes de renom, notamment par l’américain Paul Krugman, prix Nobel d’économie, qui y voit
un instrument acceptable et temporaire en période de récession généralisée. Cependant, l’abandon
des principes du libre-échange comporte des inconvénients et peut avoir des effets pervers.
1. Le renoncement aux avantages du libre-échange
La pensée dominante en économie s’est longtemps appuyée sur la théorie des avantages comparatifs de D. Ricardo : selon cet économiste du début du XIXe siècle, la liberté des échanges conduit
chaque pays à se spécialiser dans les productions pour lesquelles il possède un avantage comparatif en termes de productivité du travail. Selon Ricardo, la division internationale du travail qui
découle du libre-échange conduit à un optimum économique général qui profite à l’ensemble des
échangistes, notamment en raison de l’accroissement de la taille des marchés et des économies
d’échelle. Renoncer au libre-échange aboutit par exemple, pour un pays, à priver ses consommateurs des niveaux de prix plus faibles que les prix nationaux et de gammes de produits plus variées.
Par ailleurs, tenir ses industries à l’abri de la concurrence étrangère peut conduire à leur sclérose
sur le plan de l’innovation et de la compétitivité.
2. Le risque de la spirale du repli
Mais le principal risque d’un recours à des mesures de protection consiste dans les mesures de
rétorsion que les partenaires commerciaux peuvent être tentés de mettre en place. Une guerre
commerciale peut alors se déclencher, dans laquelle chaque pays frappé par une mesure discriminatoire risque de répondre en protégeant à son tour certaines de ses activités économiques. La
période de l’entre-deux-guerres a été le théâtre de cette spirale de réactions défensives qui conduit
à une contraction des échanges et accentue les risques de dépression. Aujourd’hui, les principes
qui régissent les accords de l’OMC interdisent théoriquement ces pratiques, notamment au nom
de la clause de la nation la plus favorisée « qui oblige chaque pays à étendre à tous les partenaires commerciaux les avantages accordés à l’un d’entre eux ». Mais l’actualité récente fourmille d’exemples de « conflits commerciaux » dans lesquels la menace protectionniste est brandie
comme argument de négociation et parfois mise en œuvre.
3. Une solution qui ne peut être que ponctuelle dans une économie mondialisée
Le recours au protectionnisme ne peut donc être que ponctuel et temporaire. En effet, le commerce international est désormais une des conditions majeures de la décomposition internationale
des processus productifs (DIPP) qui organise les logiques de production des grandes entreprises
transnationales. Ces modes de production éclatés sur de très nombreux sites situés dans des pays
différents ne peuvent être efficaces que si les composantes des produits complexes (par exemple
les pièces d’un modèle automobile) peuvent circuler librement et sans surcoûts de taxation aux
frontières. La limitation de cette liberté de circulation des marchandises n’est donc plus globalement concevable dans l’économie mondialisée sans remettre en cause l’ensemble de l’organisation
productive, notamment dans le secteur industriel.
34
Sujet 3 | Corrigé
Conclusion
Les graves perturbations économiques que le monde connaît depuis plusieurs décennies ont eu
pour effet d’amener la réflexion économique à nuancer le discours du libre-échangisme triomphant
tel qu’il s’est longtemps exprimé. Comme l’explique P. Krugman, le libre-échange généralisé
n’est pas toujours ni partout la solution optimale. Mais les appels au protectionnisme comportent
également des dangers. Les échanges internationaux nécessitent que des règles du jeu claires et
justes permettent de réguler des intérêts par nature divergents. C’est à ce prix qu’une concurrence
« libre et non faussée » peut devenir un instrument de progrès.
35
Sujet 4, dissertation
Inde, avril 2014, enseignement spécifique
Dans quelle mesure les classes sociales existent-elles aujourd’hui en
France ?
› Document
1
Structure de la population active en France selon le groupe socioprofessionnel
(en % de la population active totale)
Source : d’après Olivier Galland et Yannick Lemel, La Société française, un bilan sociologique des évolutions
depuis l’après-guerre, 2011.
36
Sujet 4 | Énoncé
› Document
2
Montants de patrimoine brut moyen par grandes composantes en 2010
selon la catégorie socioprofessionnelle de la personne de référence du ménage (en euros)
Catégorie socioprofessionnelle
Agriculteur
Artisan, commerçant, industriel
Profession libérale
Cadre
Profession intermédiaire
Employé
Ouvrier qualifié
Ouvrier non qualifié
Patrimoine 1 immobilier
227 000
270 000
453 400
272 600
155 800
86 200
95 400
48 500
Patrimoine financier
110 100
87 600
237 600
74 400
33 400
17 400
15 100
7 900
Source : d’après Insee, Enquête patrimoine 2009-2010, 2011.
› Document
3
Sentiment d’appartenance à une classe sociale (en %)
Catégorie socioprofessionnelle 2
Artisans et commerçants
Professions libérales et cadres supérieurs
Employés et professions intermédiaires
Ouvriers
Ensemble
Rappel 1967
55
68
69
58
59
Janvier 2013
56
59
57
53 3
56
Source : d’après sondage IFOP, 2013.
1. Le patrimoine est constitué des avoirs financiers (livret d’épargne, portefeuille d’actions...) et des avoirs non
financiers (biens immobiliers). Il s’agit ici du montant du patrimoine dont on n’a pas déduit les éventuels emprunts
en cours.
2. En 1967, les catégories « Artisans et commerçants » et « Employés et professions intermédiaires » étaient respectivement : « Industriels et commerçants » et « Employés et cadres moyens ».
3. Lecture : en janvier 2013, 53 % des ouvriers ont répondu « oui » à la question suivante : « Avez-vous le sentiment
d’appartenir à une classe sociale ? »
37
Sujet 4 | Énoncé
› Document
4
Pourcentage de bacheliers selon la génération et le milieu social
Source : d’après ministère de l’Éducation nationale, L’État de l’école, 2010.
„Comprendre la question
Il faut, pour traiter ce sujet, analyser la notion de classe sociale car c’est elle qui est au
centre de la question posée. Pour cela, il importe de distinguer la conception « réaliste »
développée par Marx (les classes sociales existent, elles sont une « réalité ») de celle de
Weber (elles ne sont qu’un outil de classement parmi d’autres). Cela revient à s’interroger
sur l’existence, aujourd’hui en France, de groupes sociaux homogènes, conscients de leurs
intérêts communs et prêts à lutter pour les défendre face à des groupes aux intérêts antagonistes. Attention donc à ne pas transformer le sujet en une simple question sur l’existence
d’inégalités sociales, ce qui appauvrirait considérablement la portée de l’interrogation.
„Mobiliser ses connaissances
Il faut bien sûr connaître la théorie marxiste, et notamment la distinction de la classe en soi
et de la classe pour soi. Mais il faut aussi faire état des analyses qui s’opposent à cette vision,
celles de Weber sur les autres hiérarchies ou celle de H. Mendras sur la moyennisation de la
société. On peut aussi mobiliser les analyses de P. Bourdieu sur la domination sous d’autres
formes qu’économiques. La lecture des documents doit permettre d’isoler quelques données
précises et de procéder à des calculs simples, sur le document 2 par exemple.
38
Sujet 4 | Corrigé
Introduction
Le paysage social de la France s’est radicalement transformé depuis le début des années 1950 :
la « classe ouvrière », pilier de notre histoire sociale, semble s’être dissoute, et le monde paysan
a pratiquement disparu. La montée des « classes moyennes », ensemble composite aux frontières
floues, semble vider de son sens le concept marxiste de classe sociale, tandis que certaines analyses lui substituent les notions de « strates » ou de « constellations ». Il est donc nécessaire, dans
un premier temps, de comprendre en quoi les transformations économiques, sociales et culturelles paraissent invalider aujourd’hui le concept de classe sociale, avant de nous interroger sur
la persistances des inégalités et sur l’apparition de nouvelles fractures dans la société française,
phénomènes qui obligent à reconsidérer la question de l’existence des classes sociales.
I. Des mutations qui semblent invalider le concept de classe sociale
1. Les classes sociales, quelle réalité ?
L’analyse de la structure sociale s’est historiquement articulée autour de l’opposition entre deux
visions du concept de classe, celle de Karl Marx et celle de Max Weber. Marx met ce concept
au centre de son analyse des sociétés, et particulièrement de la société capitaliste : il existe deux
grands groupes antagonistes, la bourgeoisie détentrice des moyens de production et le prolétariat
qui ne possède que sa force de travail. Le rapport de domination entre ces deux groupes conduit à
l’exploitation de l’un par l’autre et à la lutte des classes, d’autant plus virulente qu’émerge, pour
chaque groupe, la conscience de classe, qui transforme le groupe de « classe en soi » en « classe
pour soi ».
Max Weber refuse cette vision « réaliste » des classes sociales : pour lui, les classes ne sont que le
produit de l’analyse du sociologue, qui construit des catégories de classement à partir de données
économiques objectives (revenus, modes de consommation, etc.). Mais il existe d’autres hiérarchies, sociale ou politique, qui ne recoupent pas nécessairement la hiérarchie économique. La
vision « politique » des classes sociales de Marx est, pour Weber, une conception idéologique et
non le produit d’une observation scientifique et objective.
2. Quelles transformations pour la société française ?
La France a connu, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, des bouleversements économiques, sociaux et culturels sans précédent. La première partie de cette période (les « trente glorieuses ») s’est caractérisée par une progression générale, continue et importante des revenus et
des niveaux de vie de la quasi-totalité du corps social, sous l’effet de la croissance économique.
Le milieu des années 1970 a marqué un ralentissement de cette tendance, nettement inversée. Il
reste que, sur l’ensemble de la période, on a assisté à une indéniable uniformisation de certains éléments des modes de vie, symbolisée, en particulier, par l’accès des couches populaires au confort
du logement, à l’équipement électroménager, à la télévision et à la voiture. De même, l’accès aux
loisirs et à la culture s’est fortement démocratisé.
Dans le même temps, la massification du système d’enseignement a progressivement amené les
39
Sujet 4 | Corrigé
2/3 des générations 1983-1987 à obtenir le baccalauréat, alors que ce diplôme ne concernait que
20 % des générations de l’immédiat après-guerre (document 4). Cette élévation générale du niveau
d’instruction a conduit à une augmentation assez sensible des niveaux de qualification professionnelle, notamment dans la population féminine. Ces évolutions ont eu pour conséquence une accélération incontestable de la mobilité sociale, notamment des trajets sociaux intergénérationnels
liés aux transformations de l’appareil productif, c’est-à-dire en termes de mobilité structurelle. Le
document 1 rend compte de ces transformations de la structure sociale : la part des ouvriers dans
la population active, après avoir culminé à près de 40 % dans les années 1970 (si on y inclut les
ouvriers agricoles), ne représente plus que 23 % du total. Les employés sont devenus le groupe
numériquement dominant (28 %) et, avec les professions intermédiaires (24 %), ils constituent le
socle de ce qu’on appelle, de manière un peu imprécise, les « classes moyennes ». La catégorie des
cadres supérieurs, en forte croissance, a également été le réceptacle de cette mobilité sociale ascendante. Dans le même temps, les « indépendants » (artisans, commerçants, agriculteurs) voient
leur importance s’effondrer, à moins de 10 % de la population active.
Enfin, le sentiment d’appartenance (qui peut se rapprocher du concept marxiste de « conscience
de classe ») est en diminution depuis les années 1960. Excepté pour les artisans-commerçants, il
a régressé pour toutes les catégories socioprofessionnelles, atteignant même son plus bas niveau
chez les ouvriers, même s’il concerne encore plus de la moitié de ce groupe (document 3).
II. Un renouveau des frontières de classes ?
Il faut pourtant se garder d’oublier trop vite le concept de « classe sociale ». Si certains auteurs
comme H. Mendras le considèrent comme inadapté à la société française actuelle, d’autres analyses jugent qu’il n’a pas perdu sa pertinence.
1. Les trois formes de capital de Bourdieu
Le sociologue P. Bourdieu s’est attaché à décrire la domination culturelle et sociale qui, à côté
de la domination économique, est exercée par certaines fractions de la classe bourgeoise sur les
pratiques sociales. Distinguant le capital économique du capital culturel (diplômes et pratiques
culturelles) et du capital social (réseaux d’influence, aisance sociale), il montre que la bourgeoisie
n’est finalement pas homogène dans la détention de ces trois formes de capitaux, mais que ces
instruments de domination se transmettent à travers les générations, en maintenant une importante
reproduction sociale.
Les travaux des sociologues M. Pinçon-Charlot et M. Pinçon sur les pratiques de la haute bourgeoisie montrent que la « conscience de classe » n’a pas disparu parmi ces élites, bien au contraire.
Elle se traduit par des stratégies de « l’entre-soi », aussi bien dans le choix des lieux de résidence ou
de villégiature que dans les pratiques de mariages homogamiques ou les choix des établissements
scolaires des enfants.
2. La persistance voire l’aggravation de certaines fractures sociales
De profondes inégalités continuent de traverser la société française et infirment la thèse d’une
société en voie d’homogénéisation autour d’un groupe central indifférencié. Certaines de ces in40
Sujet 4 | Corrigé
égalités ont d’ailleurs été renforcées, au niveau des écarts de revenus et de patrimoines, par l’atonie de la croissance économique et l’explosion du chômage de masse. Ainsi, en 2010, la « fourchette » des patrimoines immobiliers entre ouvriers non qualifiés et professions libérales s’étale
de 48 500 euros à 453 400 euros (document 2), soit un écart de 1 à plus de 9. Pour le patrimoine
financier, l’écart est encore plus ouvert (de 1 à 30). Il faut d’ailleurs remarquer qu’il s’agit ici des
patrimoines bruts, qui ne prennent pas en compte le niveau d’endettement, proportionnellement
plus élevé chez les ouvriers que pour les professions libérales.
Enfin, si certains écarts ont pu se réduire, en matière de consommation quotidienne notamment,
d’autres persistent voire s’accroissent. Les dépenses de loisirs et de voyages, l’accès aux biens
culturels, le rapport au chômage et à la précarité et, plus généralement, l’accès à la santé, la maîtrise
de son destin sont loin d’être également distribués dans la société française, les frontières entre
les groupes sociaux passant aussi, aujourd’hui, par ces fractures. Même la réussite scolaire, dont
nous avons vu qu’elle avait globalement progressé dans toutes les couches sociales, doit faire
l’objet d’une approche nuancée. Le document 4 nous montre en effet que la probabilité d’accès au
baccalauréat est encore très inégale (+ de 90 % pour les enfants de cadres, contre moins de 50 %
pour les enfants d’ouvriers). De plus, il est à noter que ce même document n’indique pas la nature
du baccalauréat finalement obtenu (bac général, technologique ou professionnel) et s’il existe une
même probabilité d’accès aux différentes séries selon les catégories sociales d’origine.
Conclusion
La question de la permanence des classes sociales et de la validité du concept pour décrire la
société française d’aujourd’hui dépend donc largement du contenu que l’on donne à ce concept.
Certes, la conception marxiste de l’ouvrier prolétaire misérable, exploité par un capitaliste sans
état d’âme, si elle a jamais recouvert une réalité, correspond désormais à un stéréotype dépassé.
Pour autant, la vision d’une société homogène et sans conflit où des strates sociales coexisteraient
dans la paix sociale appartient, elle aussi, à une vision fantasmée. La conscience de classe s’est
affaiblie, mais elle s’exprime à travers d’autres traductions que le conflit social traditionnel. Le
sentiment de faire partie des « défavorisés », des « sans-grades » ou des « perdants » est partagé par
une partie de la population. Force est cependant de constater que cette « conscience » ne débouche
que rarement sur des stratégies de lutte qui annonceraient la résurgence d’une classe sociale à part
entière.
41
Sujet 5, dissertation
Liban, mai 2013, enseignement spécifique
L’école favorise-t-elle la mobilité sociale ?
› Document
1
Accès à une profession de cadre ou à une profession intermédiaire en 2010
pour les diplômés du baccalauréat, selon le sexe et le d’origine (en %)
Source : ministère de l’Éducation nationale, novembre 2011.
42
Sujet 5 | Énoncé
› Document
2
Pourcentage de bacheliers selon la catégorie socioprofessionnelle du père
et l’année de naissance
Source : ministère de l’Éducation nationale, novembre 2011.
43
Sujet 5 | Énoncé
› Document
3
Table de destinée : catégorie socioprofessionnelle du fils en fonction de celle du père* (en %)
en 1977 (données en blanc) et en 2003 (données en vert)
Source : d’après Insee, 2006.
Champ : hommes actifs ayant un emploi ou anciens actifs ayant eu un emploi, âgés de 40 à 59 ans,
en 1977 et en 2003.
› Document
4
Extrait d’entretien : Femme, 39 ans, hôtesse d’accueil, père cadre dans la fonction publique.
« Et ces études-là, ça vous plaisait ?
— C’était sur Paris, et c’était pas forcément évident. Et les conditions de vie sont pas forcément
très simples, et les conditions financières, il fallait quand même faire très attention. Je pouvais avoir
l’opportunité, à l’époque, de continuer sur une licence sur Paris, dans une fac 1 au sud de Paris, mais
1. Fac : faculté, composante de l’université.
44
Sujet 5 | Énoncé
j’ai pas forcément pris la décision de poursuivre. Donc je me suis arrêtée avec mon bac + 2, mon
DUT 2 . [...] Quand je vois qu’avec un bac + 2, quand même, bac + 2, c’est pas rien ! Je me retrouve
à faire l’hôtesse d’accueil... quand même, bac + 2 pour répondre au téléphone, c’est dingue quand
on y pense... Mon père, avec le BEPC 3 , il dirige une équipe ! »
Source : d’après Camille Peugny, La Mobilité sociale descendante. L’épreuve du déclassement, 2007.
„Comprendre la question
La question posée est assez classique et demande d’évaluer le rôle de l’école dans les processus de mobilité sociale. Il faut éviter de décentrer le sujet vers l’un ou l’autre de ces deux
pôles, tout en explorant les différentes composantes de la mobilité sociale.
La réponse au sujet exige de la nuance car la réalité est ambivalente. L’école joue un rôle
majeur dans les parcours dans l’espace social, à la fois les parcours contraints par les évolutions économiques (mobilité structurelle) mais aussi dans la fluidité sociale (mobilité nette
ou de circulation).
Elle fait face également à des facteurs de rigidité : ceux-ci peuvent lui être extérieurs (le
poids du capital social et des réseaux familiaux de relations) ou relever de son mode même
de fonctionnement (le poids du capital culturel familial dans la réussite ou l’échec des parcours scolaires).
„Mobiliser ses connaissances
Les notions qui doivent être maîtrisées pour être utilisées judicieusement dans l’argumentation concernent tout d’abord le fonctionnement de l’institution scolaire et son évolution
depuis l’après Seconde Guerre mondiale : massification, démocratisation, élévation des niveaux de diplômes, élargissement de l’éventail des parcours scolaires (les différents types
de baccalauréats généraux, technologiques et professionnels).
On pourra développer des éléments de l’analyse de R. Boudon sur les stratégies familiales
et l’investissement scolaire, la dépréciation des diplômes et le paradoxe d’Anderson. Rappelons que cette dernière notion désigne le fait que, d’une génération à la suivante, on peut
constater qu’un niveau de diplôme plus élevé ne garantit pas une mobilité ascendante des
enfants par rapport aux statuts sociaux des parents.
L’autre registre de concepts incontournables relève de l’analyse de la mobilité sociale :
mobilité structurelle (ou contrainte), mobilité nette (ou de circulation), fluidité sociale, ascension sociale, statuts sociaux, reproduction sociale, principe méritocratique, égalité des
chances, descenseur social, déclassement.
Enfin, les concepts clés de l’analyse des déterminismes sociaux telle que l’a menée P. Bourdieu pourront utilement être intégrés à l’argumentation : le poids des héritages, le capital
culturel, le capital social, l’habitus. Ce dernier terme désigne les dispositions intériorisées
qu’un individu acquiert au cours de sa première socialisation (en général dans le cadre familial) et qui « modèlent » à la fois sa perception du monde et ses attitudes sociales.
2. DUT : diplôme universitaire technologique.
3. BEPC : brevet d’études du premier cycle, équivalent du diplôme national du brevet.
45
Sujet 5 | Corrigé
Introduction
La mobilité sociale est un enjeu majeur des sociétés démocratiques qui traduit, dans les faits, l’idéal
de l’égalité des chances. L’une des fonctions assignées à l’école est de permettre à chacun d’espérer atteindre, dans l’univers social, les positions situées au sommet de la hiérarchie, en vertu du
principe méritocratique. Mais l’école a aussi pour mission de permettre la mutation des activités
économiques, qui nécessite sans cesse de nouvelles compétences et la maîtrise de nouveaux savoirs. Sur chacune de ces missions, l’efficacité de l’institution scolaire est parfois contestée. Dans
ces conditions, il est nécessaire d’expliciter en quoi l’école contribue incontestablement à une certaine mobilité sociale, pour montrer ensuite les limites qu’elle rencontre en matière d’égalité des
chances face à l’ascension sociale.
I. L’école contribue à la mobilité sociale
La massification de l’accès à l’école depuis une cinquantaine d’années a rendu possible l’évolution
des structures économiques et s’est traduite par une démocratisation des savoirs qui fluidifie les
structures sociales.
1. La massification scolaire, un instrument de la mobilité structurelle
Les structures de l’emploi ont, depuis les années 1950, été bouleversées par les mutations des
appareils productifs : la forte réduction de la part des agriculteurs dans la population active, la
montée puis le déclin des activités et de l’emploi industriels et, enfin, l’essor continu des activités
tertiaires ont remodelé en profondeur les besoins de main-d’œuvre dans nos économies.
Cette évolution a été à la fois quantitative et qualitative. Elle a, en effet, eu des conséquences sur
l’éventail des qualifications nécessaires, globalement dans le sens d’une progression des compétences attestée par l’élévation du niveau moyen des diplômes au fur et à mesure que l’économie
se tertiarise. La massification scolaire, qui a débuté dès le début des « trente glorieuses », a accompagné et rendu possible cette mobilité structurelle qui, d’une génération à l’autre, a réduit
l’importance numérique de certaines CSP (agriculteurs exploitants, ouvriers agricoles, ouvriers
industriels, artisans et petits commerçants) et, à l’inverse, gonflé les effectifs des employés, des
professions intermédiaires, des cadres et professions libérales. Cette mobilité « contrainte », liée
à l’évolution des structures de l’emploi, a été globalement un facteur d’ascension professionnelle
et sociale intergénérationnelle.
Dans la table de destinée (document 3) de 2003, on constate que, s’il existe encore des éléments de
reproduction sociale entre les pères et les fils, l’importance relative des PCS cadres et professions
intellectuelles supérieures et professions intermédiaires a nettement progressé : en 2003, 19 % des
fils occupent un emploi de cadre et 24 % une profession intermédiaire, contre, respectivement, 9 %
et 18 % vingt-six ans plus tôt. Cette circulation accrue dans l’espace social a été accompagnée par
l’élévation du niveau moyen de qualification, résultat au moins partiel de l’accès élargi et prolongé
aux études secondaires et supérieures.
46
Sujet 5 | Corrigé
2. Un modèle fondé sur la méritocratie
À côté de cet impact global d’élévation des niveaux de qualification, l’école a réaffirmé son ambition d’être aussi un instrument au service de l’égalité démocratique, que Tocqueville appelait
« l’égalité des conditions », qui pose les bases, non d’un égalitarisme indifférencié des situations
objectives, mais de l’égalité des chances et du principe méritocratique. Il s’agit ici de ce que l’on
appelle la « mobilité nette », c’est-à-dire celle qui ne découle pas des changements économiques
mais d’un accroissement de la fluidité sociale et d’un recul de la reproduction sociale.
De ce point de vue, le diplôme comme certification du niveau de qualification est censé représenter
la garantie que seule la compétence est prise en compte dans la « compétition sociale » pour l’accès
aux statuts sociaux valorisés. Le document 2 décrit cette progression au fil des générations, de la
part de chaque cohorte détentrice du baccalauréat : de 37 % pour les cohortes 1964-1968, le taux
d’accès à ce diplôme bondit à 65 % pour celles qui sont nées à partir du début des années 1980.
Si ce taux est plus élevé pour les enfants de cadres et professions intermédiaires, il n’en progresse
pas moins de manière notable pour les enfants d’ouvriers et d’employés (de 22 % à plus de 50 %).
3. Un objet d’investissement de la part des familles
Cette massification de l’accès aux études est à la fois le fruit d’une politique publique volontariste,
mise en œuvre par l’État à travers l’accroissement du budget consacré par la nation à l’éducation,
mais aussi d’un changement de perception et d’attitude de la part des familles : le rapport à l’école
s’est transformé en faisant peu à peu l’objet d’un investissement familial qui s’intègre dans une
stratégie à l’égard du futur de l’enfant. L’espoir d’une ascension sociale de la génération des enfants par rapport à la position sociale des parents alimente, en effet, à la fois des flux de dépenses
monétaires et des dépenses de temps et de vigilance accrue à l’égard des parcours scolaires et du
fonctionnement de l’institution : stratégies de choix d’établissement, accompagnement de soutien
scolaire, investissement dans les activités culturelles périscolaires traduisent cette transformation
du « métier de parent d’élève ».
II. Mais elle n’assure pas l’égalité des chances face à l’ascension sociale
Cependant, l’école est parfois contestée, voire attaquée, dans sa dimension d’instrument d’ascension sociale. Les faits montrent ainsi que la massification de l’accès aux études ne s’est pas
vraiment traduite par une démocratisation complète qui mettrait l’école au service d’une réelle
égalité des chances. Par ailleurs, la massification des diplômes peut produire un effet pervers de
dévalorisation relative qui neutralise en partie l’intérêt des poursuites d’études.
1. Une démocratisation inachevée
Aujourd’hui, l’école est encore loin d’offrir à tous les enfants les mêmes possibilités de parcours
scolaires : si le taux d’accès au baccalauréat a très fortement progressé (77,5 % d’une génération
l’a obtenu en 2012), les écarts entre catégories socioprofessionnelles sont encore considérables. Le
document 2 montre que, pour les cohortes nées en 1983-1987, subsistent 33 points d’écart entre
le taux d’accès au baccalauréat des enfants de cadres et professions intermédiaires et celui des
enfants d’ouvriers et d’employés (85 % contre 52 %). Cet écart s’est réduit avec le temps, mais il a
47
Sujet 5 | Corrigé
tendance désormais à ne plus diminuer. Un enfant d’enseignant a, en 2012, 14 fois plus de chances
d’obtenir le baccalauréat qu’un enfant d’ouvrier non qualifié. Encore faudrait-il, dans une analyse
qualitative, s’interroger sur la répartition par PCS d’origine des différents baccalauréats : bacs
généraux, technologiques ou professionnels n’ont, en effet, pas la même valeur sur le « marché des
diplômes » et n’ouvrent pas les mêmes portes d’accès à l’enseignement supérieur et à la réussite
professionnelle et sociale.
2. L’influence persistante de l’origine sociale
Les parcours scolaires sont, en effet, encore largement influencés par l’origine sociale. La réussite
scolaire dépend fortement des ressources en capital culturel dont dispose le milieu familial. Le
sociologue Pierre Bourdieu a montré, dans son ouvrage Les Héritiers, que les prédispositions
forgées, dès la petite enfance, à l’égard des exigences de l’institution scolaire sont le fait de certains
milieux sociaux, dotés en capital culturel mesurable au niveau de diplôme des parents et aux
pratiques culturelles du cercle familial. L’habitus, cet ensemble de dispositions acquises dans la
première socialisation, dans le cadre de la famille, est plus ou moins favorable à l’intégration et à
la réussite scolaires, selon qu’il correspond ou non aux attentes de l’école.
Le document 1 montre que, par ailleurs, d’autres facteurs viennent, à diplôme identique, discriminer les chances d’accès à certaines positions sociales : les bachelières deviennent moins souvent
cadres et professions intermédiaires que les bacheliers, les bacheliers enfants d’ouvrier ou d’employé le deviennent moins souvent que ceux dont le père est cadre ou de profession intermédiaire.
C’est ici l’effet du capital social, du réseau de relations mobilisables qui explique ces différences
de probabilité d’accès, et l’école est relativement impuissante à compenser ce facteur.
3. Un processus de dépréciation relative du diplôme
Enfin, la multiplication des titres scolaires, notamment des diplômes d’enseignement supérieur,
a eu un effet pervers que l’on décrit sous l’expression de « paradoxe d’Anderson ». En effet,
l’inflation de certains diplômes peut avoir pour conséquence d’aboutir à une perte relative de leur
valeur, dans la mesure notamment où la croissance des postes disponibles nécessitant ces diplômes
est moins rapide que la croissance de ces diplômes eux-mêmes. Ainsi, pour un individu donné,
détenir un diplôme de plus haut niveau que celui détenu par son père, ne garantit pas l’accès à
une position sociale supérieure ou même identique. Les espoirs d’ascension sociale par l’école se
heurtent alors à ce que des sociologues ont appelé le « descenseur social », qui s’accompagne d’un
sentiment de déclassement traduisant la baisse du « rendement social » du diplôme (document 4).
Conclusion
L’école a été, pour de nombreuses générations dans le passé, un tremplin efficace d’ascension
sociale. Elle semble aujourd’hui moins capable d’assurer cette fonction, moins à cause de ses défaillances propres qu’en raison d’un contexte économique durablement peu favorable, qui perturbe
gravement les flux d’accès à l’emploi. À titre individuel, l’école reste cependant un outil d’insertion sociale irremplaçable, mais qui ne peut à lui seul garantir une mobilité sociale conforme au
principe méritocratique.
48
Sujet 6, dissertation
Centres étrangers, juin 2014, enseignement spécifique
Les évolutions de la famille remettent-elles en cause son rôle dans l’intégration sociale ?
› Document
1
Nombre et répartition (en %) des ménages en France
Types de ménages
Personne seule
Couple sans enfant
Couple avec enfant(s)
dont avec enfant(s) de moins de 18 ans
Famille monoparentale
dont avec enfant(s) de moins de 18 ans
Ménage complexe 1
Ensemble
1990
en milliers
5 916,5
5 139,8
7 991,4
6 374,2
1 490,2
821,9
1 401,1
21 942,1
en %
27
23,4
36,4
29,1
6,8
3,7
6,4
100
2009
en milliers
9 238
7 126,9
7 467,9
6 066,1
2 263,1
1 465,9
1 437,8
27 533,5
en %
33,6
25,9
27,1
22
8,2
5,3
5,2
100
Source : Insee, 2013.
› Document
2
Près de neuf personnes sur dix ont, au cours des douze derniers mois, bénéficié d’une aide en
provenance de leur famille (ne sont comptabilisées que les aides de proches ne vivant pas dans le
même logement). 61 % ont été soutenus moralement par téléphone, 60 % ont été réconfortés par la
présence d’un proche ; 37 % ont été aidés pour du bricolage, 24 % pour une garde d’enfant, 14 %
pour des tâches ménagères, 14 % pour des démarches administratives ; 13 % ont reçu de l’argent,
12 % ont bénéficié d’un prêt, 15 % ont reçu une participation financière pour leurs achats et 5 %
ont perçu un héritage par anticipation.
La diversité et la fréquence des aides est telle que 78 % de nos concitoyens savent qu’en cas de difficultés financières, ils pourraient compter sur l’un des membres de leur famille. 76 % des personnes
séparées ou divorcées ont reçu de leur famille un soutien moral par téléphone au cours des douze
derniers mois (contre 56 % des personnes vivant en couple) ; 21 % ont bénéficié de l’aide d’un
des membres de leur famille pour effectuer des démarches bancaires, administratives ou fiscales
(contre 8 %) ; 14 % ont bénéficié d’un prêt (contre 11 %) et 43 % ont été accueillies en vacances
par leur famille (contre 28 %).
1. Un « ménage complexe », au sens du recensement, est un ménage composé de deux familles, de plusieurs personnes isolées qui ne constituent pas une famille, ou de personnes isolées et de famille(s).
49
Sujet 6 | Énoncé
En retour, les personnes séparées ou divorcées ont, plus souvent que celles vivant en couple, soutenu
moralement un de leurs proches par téléphone et elles ont plus souvent été présentes en cas de coup
dur pour un parent.
Source : R. Bigot, Consommation et modes de vie, février 2007.
› Document
3
La pauvreté en France en 2010 selon le type de ménage
Taux de pauvreté 2 (en %)
Personnes seules, dont :
– hommes seuls
– femmes seules
Familles monoparentales
Couples sans enfant
Couples avec enfant(s)
Autres types de ménages 3
Ensemble
9,8
11
9
20,2
3,2
6,5
14,8
7,8
Répartition au sein de la population
pauvre (en %)
18,7
8,8
9,9
24,8
9,8
40
6,7
100
Source : Insee, 2012.
2. Le taux de pauvreté mesure la proportion de personnes appartenant à un ménage dont le niveau de vie est inférieur
à 50 % du niveau de vie médian.
3. Ce sont, par exemple, des ménages composés de colocataires qui n’ont aucun lien familial entre eux.
50
Sujet 6 | Énoncé
› Document
4
Aide apportée aux parents en situation de dépendance
Ce que les Français se disent prêts à faire pour leurs parents si ces derniers devenaient dépendants
(en % des personnes interrogées).
Source : CREDOC (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie), 2006.
„Comprendre la question
Le sujet porte sur le rôle que joue la famille aujourd’hui dans l’intégration sociale, c’est-àdire dans l’ensemble des processus qui amènent un individu à se sentir et à se reconnaître
membre d’une société et à en partager les valeurs. Les mutations de la famille (baisse des
mariages, montée des divorces, nouvelles formes d’unions, etc.) ont-elles affaibli le rôle intégrateur de l’institution familiale ? On parle parfois de la « démission des familles » : est-ce
une réalité ou un fantasme ? Il faut confronter à cette interrogation les nouvelles formes de
solidarité que développe la famille actuelle et apporter donc à la question posée une réponse
nuancée.
„Mobiliser ses connaissances
Les notions qui doivent apparaître dans l’analyse sont celles des thèmes de la socialisation
et de l’intégration sociale : instances d’intégration, lien social, systèmes de valeurs, normes
sociales, etc. On peut évoquer É. Durkheim et son analyse de l’intégration. Les documents 2
et 3 permettent de décrire les nouvelles formes familiales et d’analyser en quoi certaines sont
économiquement plus fragiles. Les documents 1 et 4 donneront du contenu à la question
des nouvelles solidarités que la famille développe aujourd’hui.
51
Sujet 6 | Corrigé
Introduction
La famille est souvent présentée comme la cellule de base de la société, le lieu où se fabriquent
les fondements du lien social. Pourtant, l’institution familiale a considérablement évolué depuis
un siècle, et plus encore dans les cinquante dernières années. Ces transformations ont modifié
la place que la famille occupe dans la vie des individus et le rôle qu’elle joue dans l’intégration
sociale, à la fois dans sa fonction initiale de socialisation et dans son aptitude à être un lieu de
solidarité entre ses membres. Les modes de vie actuels font en partie éclater les liens familiaux et
les recomposent dans de nouvelles modalités qui redessinent le rôle intégrateur de la famille. Il est
donc nécessaire de rappeler les fondements de ce rôle intégrateur, pour les confronter aux transformations de l’institution familiale et aux difficultés qu’elle rencontre comme instance d’intégration
ce qui permettra de montrer qu’elle conserve, dans ce domaine, un rôle irremplaçable.
I. La famille est l’instance centrale de l’intégration sociale
Dans la vie d’un individu, la famille est souvent le lieu de premier contact avec le monde. Mais la
présence de la famille, même si elle est moins prégnante que dans les sociétés anciennes, continue
bien au-delà de l’enfance et de l’adolescence jusqu’aux derniers âges de la vie.
1. Un rôle majeur dans la socialisation primaire
Le cercle familial joue en effet un rôle majeur dans le processus de la socialisation primaire,
moment-clé des apprentissages de base qui vont des règles de comportement quotidien à la maîtrise
du langage, des codes de relations interpersonnelles et affectives et à la représentation symbolique
du monde. D’autre part, la famille est aussi le lieu de transmission et d’acquisition des systèmes de
valeurs propres à chaque société ou groupe social, ces grandes représentations abstraites idéalisées
par la collectivité et accompagnées de normes de comportement social attendues de tous. Ces
éléments, réunis dans le cadre familial, ont pour conséquence de forger une conscience commune
fondée sur une identité, ce qu’É. Durkheim appelait la « solidarité mécanique », et le sentiment
de partager un destin commun.
2. Un socle de sociabilité et de soutien dans la vie adulte
La famille est aussi le creuset où, au cours de leur vie d’adulte, les individus continuent à entretenir des liens de sociabilité et d’entraide qui sont, aujourd’hui, plus espacés que par le passé en
raison des transformations des modes de vie et d’habitat. Les fêtes de famille et leurs rituels, les
temps de loisirs et de vacances partagés, les différents modes de communication au sein du réseau
familial sont les signes de la permanence d’une fonction intégratrice et identitaire dont témoigne,
par exemple, l’importance prise, dans de nombreuses familles, par les recherches généalogiques.
Ce lien avec le passé et la manière dont il permet parfois de renouer les fils du présent attestent
de la permanence du sentiment communautaire et de l’attachement aux racines familiales. Cette
omniprésence discrète de la structure familiale est encore visible quand se concluent les unions
ou, en fin de vie, lors des cérémonies liées à la mort, circonstances où le lien familial se reforme
ou se renforce.
52
Sujet 6 | Corrigé
II. Des transformations qui modifient le rôle intégrateur de la famille
L’évolution des modes de vie et la transformation des systèmes de valeurs et des mœurs ont radicalement modifié les règles de fonctionnement de l’institution familiale et le rapport que les
individus entretiennent avec elle.
1. Des unions plus fragiles et renouvelables
Face au modèle familial traditionnel, caractérisé par la permanence d’une union unique au cours
d’une vie, les formes actuelles de la famille sont aujourd’hui multiples : le recul du mariage, les
progrès du concubinage et du pacs, l’émergence récente des mariages homosexuels déclinent des
modèles sociaux diversifiés. Dans le même temps, la fréquence des divorces et des remariages (ou
nouvelles unions) a conduit à l’augmentation des familles recomposées et des familles monoparentales. Ces dernières représentent aujourd’hui plus de 8 % des ménages et sont particulièrement
sujettes à la pauvreté monétaire (taux de pauvreté près de 3 fois supérieur à la moyenne, à 20,2 %),
ce qui fragilise leur intégration économique (documents 2 et 3). Dans de nombreux cas, les rapports au sein de ces nouvelles formes familiales se trouvent transformés par rapport au modèle
traditionnel : les rapports d’autorité du mari sur sa femme et des parents sur les enfants laissent
place à des relations moins rigides qui peuvent aller de la coopération confiante à l’affrontement
et au conflit.
2. Des instances de socialisation et d’intégration concurrentes
La famille se trouve donc en partie fragilisée dans sa fonction d’intégration sociale parce qu’elle
ne renvoie plus systématiquement à l’image d’une institution stable et permanente et parce que
ses membres (et notamment les enfants) peuvent être confrontés à une multiplicité de modèles et
de statuts changeants et parfois contradictoires. Par ailleurs, la socialisation et l’intégration des
individus passent aujourd’hui plus qu’avant par d’autres instances concurrentes comme l’école,
les groupes de pairs, le milieu professionnel ou associatif. Or, les systèmes de valeurs, les repères
et les normes dont ces instances sont porteuses peuvent entrer en contradiction voire en conflit
avec ceux que véhicule la famille, ce qui peut engendrer des défaillances d’intégration. Il faut
par ailleurs remarquer que cette désinstitutionnalisation de la famille s’inscrit dans un contexte
général de montée de l’individualisme qui, s’il présente des aspects positifs d’autonomisation des
personnes, comporte aussi un risque de rupture des solidarités.
II. La famille reste un lieu d’ancrage des solidarités
Il est incontestable que la famille a connu une certaine remise en cause de ses fonctions socialisatrices et intégratrices au point que certaines se sentent parfois démunies devant les difficultés
matérielles et morales qu’elles rencontrent pour maintenir leurs membres (et notamment les plus
jeunes) dans les cadres du contrat social indispensable à toute société. Pourtant, il serait excessif
de conclure à l’effacement de la famille comme refuge des solidarités et du soutien collectif.
53
Sujet 6 | Corrigé
1. Des transferts intrafamiliaux conséquents, notamment en direction des jeunes
Les transferts intergénérationnels à l’intérieur des familles sont loin d’être négligeables et ils
prennent parfois la relève des systèmes de prise en charge institutionnels de la protection sociale,
en les complétant ou en palliant leurs défaillances. Cette aide intervient notamment en faveur des
jeunes au moment souvent délicat de l’entrée dans la vie active et dans la vie de couple, et elle peut
prendre des formes très diverses (document 1) comme la garde des enfants (24 % des personnes),
l’aide financière (dons ou prêt d’argent pour 12 % et 13 % des personnes), l’aide au bricolage
(37 %), etc. Cette capacité de la famille à organiser des formes de solidarité en cas de difficultés
financières est ressentie par près des 3/4 des personnes. On constate d’ailleurs que l’intensité de
cette solidarité est d’autant plus forte que la situation familiale est perturbée : la fréquence des
aides intrafamiliales de toute nature est plus élevée à l’égard des personnes séparées ou divorcées
qu’à l’égard des personnes vivant en couple (document 1), ce qui est particulièrement vrai pour le
soutien moral ou l’accueil en vacances. On constate donc que les situations de fragilité engendrent
une remobilisation de la solidarité familiale, permettant dans de nombreux cas d’éviter les risques
de désaffiliation ou d’exclusion sociale.
2. Une prise en charge de l’isolement et de la perte d’autonomie
Enfin, l’allongement de l’espérance de vie et les risques croissants qu’il entraîne en termes de
dépendance matérielle, intellectuelle et morale redonnent aussi du sens au rôle intégrateur de la
famille. Cette prise en charge privée de l’isolement social ou de la dépendance contribue au maintien de liens de sociabilité pour les personnes très âgées, par exemple. Même s’il n’exprime que
des intentions, le document 4 indique un haut niveau d’engagement des familles à l’égard de la dépendance des parents âgés : plus d’un Français sur deux est prêt à déménager, 71 % des personnes
interrogées envisagent d’emmener le parent dépendant en vacances et le don éventuel d’argent
est énoncé par 87 % d’entre elles. Même si les formes de cet engagement sont probablement différentes en fonction des milieux sociaux et des niveaux de ressources, l’enquête témoigne de la
force que la famille conserve dans le soutien à ses membres les plus fragiles.
Conclusion
Les transformations auxquelles la famille a été confrontée au cours du dernier demi-siècle ont
pu laisser croire que sa place dans les processus qui construisent et maintiennent le lien social
allait en déclinant. Cette impression globale manque de nuances : plus que d’un affaiblissement
de l’institution familiale, il faut parler d’une recomposition de son rôle. La famille n’impose plus
(ou moins), ne dicte plus à ses membres les systèmes de valeurs et les normes de comportement
socialement acceptés. Elle doit composer avec d’autres instances qui, parfois, la contredisent. Elle
n’a plus la maîtrise complète de l’intégration sociale, mais elle reste un acteur essentiel dans les
processus qui amènent les membres d’une société à accepter les autres et à se faire accepter par
eux.
54
Sujet 7, dissertation
Nouvelle-Calédonie, septembre 2013, enseignement spécifique
Comment les pouvoirs publics peuvent-ils favoriser l’égalité ?
› Document
1
1881 : Les lois Jules Ferry instaurent l’enseignement primaire obligatoire, public et laïc, ouvert aux
filles comme aux garçons.
1907 : Les femmes mariées peuvent disposer librement de leur salaire.
1920 : Les femmes peuvent adhérer à un syndicat sans l’autorisation de leur mari.
1944 : Les femmes obtiennent le droit de vote et l’éligibilité.
1946 : Le préambule de la Constitution pose le principe de l’égalité des droits entre hommes et
femmes dans tous les domaines.
1967 : La loi Neuwirth autorise la contraception.
1972 : Loi du 22 décembre relative à l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes.
1983 : Loi du 13 juillet dite « loi Roudy » portant réforme du code du travail et du code pénal en
ce qui concerne l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.
2000 : Loi du 6 juin sur l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux
fonctions électives.
2007 : Loi du 31 janvier tendant à promouvoir l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats
électoraux et aux fonctions électives.
2011 : Loi du 27 janvier relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein
des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle.
Source : Insee, extrait de « Regards sur la parité », 2012.
› Document
2
Effets de la redistribution sur les revenus en euros des ménages
Revenus moyens par unité de consommation 0
Revenu
avant redistribution (A)
Revenu disponible
après redistribution (B)
Taux de redistribution
(B − A)/A en %
Ensemble
de la population 1
Q1
7 400
Q2
15 489
Q3
21 191
Q4
28 243
Q5
53 582
25 181
11 293
15 649
19 792
24 933
43 561
23 045
52,6
1,0
− 6,6
− 11,7
− 18,7
− 8,5
Source : Insee, 2011.
55
Sujet 7 | Énoncé
› Document
3
Évolution de la dépense d’éducation par l’État et la réussite au baccaulauréat depuis 1995
Dépenses d’éducation par l’État
en millions d’euros courants
Proportion de bacheliers dans une génération 3 (en %)
Nombre de bacheliers admis au baccalauréat
(tous baccalauréats confondus)
1990
41 116
2000
64 363
2005
69 654
2010
76 582
43,5
383 950
62,8
516 550
61,4
506 608
65,7
531 768
Source : ministère de l’Éducation nationale, « Repères et références statistiques », 2011.
„Comprendre la question
Le sujet est formulé « en miroir » de la formulation la plus fréquente (« Comment lutter
contre les inégalités ? »). Ici, la formulation est plus directe et doit inciter à s’interroger
d’abord sur le concept d’égalité qu’il faut définir dans ses différentes composantes, avant
de présenter les instruments dont disposent les pouvoirs publics dans ce domaine.
„Mobiliser ses connaissances
Le programme officiel décline l’égalité à travers trois composantes : l’égalité des droits,
l’égalité des situations, l’égalité des chances. Chacune d’entre elles doit être définie, en
s’appuyant éventuellement sur des références théoriques connues (comme A. de. Tocqueville et John Rawls), puis illustrée par un ou plusieurs moyens d’action dont disposent les
pouvoirs publics. Les trois documents fournissent une base solide d’illustration et d’argumentation sur les effets des politiques publiques : la loi (égalité des droits), la redistribution
(égalité des situations), les dépenses d’éducation (égalité des chances). On pourra introduire la notion de « discrimination positive » et illustrer les services collectifs par d’autres
activités comme les équipements culturels.
1. Revenus moyens par unité de consommation par quantile : l’ensemble des ménages a été réparti dans cinq catégories de taille égale (20 % des ménages) ordonnées selon le revenu. Q1 : 20 % des plus modestes. Q5 : 20 % des
plus riches.
2. Personnes vivant en France métropolitaine dans un ménage dont le revenu est positif ou nul et dont la personne
de référence n’est pas étudiante.
3. Proportion de bacheliers dans une génération en % : par exemple, 43,5 % des jeunes en âge de passer le baccalauréat en 1990 l’ont effectivement obtenu.
56
Sujet 7 | Corrigé
Introduction
Les sociétés démocratiques reposent toutes sur le principe fondamental de l’égalité. Ce principe
général peut se décliner selon diverses dimensions : on parle ainsi de l’égalité des droits, de l’égalité des situations ou encore de l’égalité des chances. Ces trois aspects entretiennent évidemment
des relations mais ils recouvrent cependant des éléments spécifiques qu’il convient de définir
précisément. Aussi faut-il s’interroger sur les moyens dont disposent les pouvoirs publics pour
garantir cette égalité et la promouvoir au bénéfice des citoyens. Enfin, il convient de questionner
les limites que cette recherche de l’égalité peut rencontrer, à la fois sur le plan des principes et sur
celui des réalités quotidiennes de la vie collective.
I. Les trois formes de l’égalité
Quand on parle de l’égalité entre les hommes, on peut distinguer celle qui concerne les principes
mêmes du droit, celle qui a trait aux conditions matérielles de leur vie et celle qui conditionne, au
cours de leur existence, leur parcours social.
1. Tocqueville et l’égalité des conditions
Alexis de Tocqueville, au début du XIXe siècle, a défini le principe morale qui fonde une société
démocratique comme la garantie que les citoyens jouissent tous de droits égaux en matière d’accès
aux différentes positions sociales, sans qu’existe une hiérarchie sociale préétablie qui dicterait à
chacun sa place dans la société. Cette égalité des conditions est un principe théorique qui n’est pas
contradictoire avec des inégalités concrètes dans l’accès aux richesses matérielles. Elle signifie
simplement que chacun, quelle que soit son origine, peut, par son mérite, atteindre telle ou telle
position sociale.
2. L’égalité des situations : une question plus discutée
Nos sociétés sont indéniablement caractérisées par de très nombreuses inégalités matérielles. Cet
aspect peut sembler contradictoire avec le principe de l’égalité des droits. L’autre idéal sur lequel
reposent les sociétés démocratiques est celui de la liberté individuelle, qui a pour corollaire le principe méritocratique « à chacun selon son mérite ». Ce principe fonde, par exemple, la légitimité
des écarts de revenus et de patrimoines, censés être le reflet des efforts inégaux consentis par chacun. Le principe de liberté produit donc, inéluctablement, des inégalités de situations matérielles,
la question étant de savoir jusqu’où elles sont acceptables.
3. Les enjeux de l’égalité des chances
La troisième facette du principe d’égalité concerne l’exigence d’équité, telle que la définit le philosophe John Rawls : les espérances de succès d’un individu dans la recherche d’une position
sociale ne doivent pas être liées à ses origines sociales. On rejoint ici la position de Tocqueville,
mais avec une préoccupation supplémentaire : l’égalité n’est pas seulement un droit théorique,
elle doit s’accompagner de conditions effectives d’accomplissement.
57
Sujet 7 | Corrigé
II. L’action des pouvoirs publics en faveur de l’égalité
Le pouvoir politique, dans une démocratie, doit prendre en charge l’exigence d’égalité, tout en
respectant l’impératif de liberté individuelle. Si, dans certains domaines, les instruments de l’action publique ne sont pratiquement pas contestés (sauf de manière marginale), certaines mesures peuvent faire naître des interrogations voire des réticences. Les trois grands instruments
qui s’offrent à l’action publique sont le recours à la loi, le mécanisme de la redistribution et la
fourniture de services collectifs à l’ensemble de la population.
1. L’arme de la loi
Ainsi que l’illustre le document 1 à propos de l’égalité entre les femmes et les hommes, la mise
en place d’une législation garantissant l’égalité des droits peut demander du temps : de la fin
du XIXe siècle siècle au début du XXIe , les mesures législatives se sont ainsi multipliées dans les
domaines les plus divers. Qu’ils s’agissent du droit à l’instruction, de l’indépendance économique,
du droit du travail ou des droits politiques, la revendication féministe a conduit, sur le plan de la
loi, à une situation qu’on peut considérer aujourd’hui comme de parfaite égalité entre les hommes
et les femmes. Certaines de ces étapes sont emblématiques, comme le droit de vote en 1944 ou les
lois des décennies 1960-1970 sur le droit à la contraception. Devant l’inertie des comportements
et des stéréotypes, il a fallu cependant attendre le début des années 2000 pour que les lois sur
la parité viennent rééquilibrer (au moins en théorie) les procédures de désignation du personnel
politique.
Cette intervention de la loi sur le principe d’égalité a connu d’autres terrains d’application : la lutte
contre les discriminations liées au handicap, à l’origine ethnique ou à l’orientation sexuelle. Elle a
parfois débouché sur la mise en œuvre de mesures de discrimination positive, reposant sur la prise
en compte spécifique d’un « handicap social » à l’égard de l’égalité des chances. On peut citer à cet
égard l’obligation de la parité hommes/ femmes aux élections, la création de zones d’éducation
prioritaire ou encore la création de filières réservées aux jeunes des quartiers défavorisés pour
l’accès aux grandes écoles.
2. Les instruments de la redistribution
Sur le plan économique, le moyen le plus efficace pour favoriser l’égalité (ou plus exactement
pour réduire les inégalités) consiste à redistribuer une partie des revenus primaires perçus par les
ménages. Les deux composantes d’une telle politique sont les prélèvements obligatoires et les
revenus de transfert sous forme de prestations sociales.
Une partie importante des prélèvements obligatoires (c’est-à-dire des cotisations sociales et des
impôts) sert à financer les mesures de solidarité de la protection sociale. Ainsi l’impôt sur le revenu
n’est acquitté, en France, que par la moitié environ des ménages (les plus aisés), et son barème
obéit à une logique de progressivité : le taux de prélèvement s’élève quand on monte dans l’échelle
des revenus. De même, l’impôt sur la fortune ne touche que les patrimoines les plus élevés (mais
son « rendement » pour l’État est plutôt symbolique).
Une part importante du revenu disponible des ménages est constituée des prestations sociales perçues au titre de la protection sociale. Celle-ci est le principal support de la solidarité collective et
58
Sujet 7 | Corrigé
elle se décline sur deux axes : horizontalement, elle a pour finalité d’aider certains à supporter un
« risque social » (maladie, chômage, vieillesse, charge d’enfants) et d’y faire contribuer ceux qui
n’y sont pas exposés (actifs ayant un emploi, personnes en bonne santé, jeunes, etc.). Verticalement, par contre, elle vise à resserrer les écarts de revenus et de niveaux de vie entre les « pauvres »
et les « riches ».
Ces prestations sociales prennent la forme des allocations familiales, de l’aide au logement, des
remboursements maladie, des pensions et des indemnités de chômage, ainsi que du revenu de
solidarité active (RSA). Certaines de ces prestations sont accordées sans tenir compte des niveaux
de revenus, alors que d’autres sont versées « sous conditions de ressources », ce qui accentue leur
fonction redistributive, par exemple les bourses d’études.
Le document 2 confirme globalement l’efficacité de ces mécanismes verticaux : le premier quantile (les 20 % de ménages les plus pauvres) voit son revenu disponible multiplié par 1,52 par
rapport à son revenu initial. À l’inverse, le quantile 5 (les 20 % les plus riches) voit ses revenus initiaux amputés de près de 19 %. Pour le quantile 2, le bilan est quasiment neutre (+ 1 %).
L’écart entre Q1 et Q5 était de 1 à 7 pour les revenus primaires, il n’est plus que de 1 à 3,8 après
redistribution.
On peut donc considérer que l’objectif assigné à la redistribution est globalement atteint, même
s’il faut remarquer que les classes moyennes (Q3 et Q4) n’en tirent pas d’avantage net.
3. Le rôle des services collectifs
La recherche d’une plus grande égalité entre les citoyens peut aussi passer par la mise à disposition de l’ensemble de la population de services collectifs gratuits ou à faibles coûts par les
administrations publiques. Ces services incluent des actions de protection globale comme la défense nationale ou la police, les services de secours d’urgence, l’éclairage public ou les dépenses
de voirie. Financés par l’impôt, ils ont donc a priori une fonction redistributive puisqu’ils sont
accessibles à tous les citoyens alors que la contribution fiscale, elle, est inégalement répartie et
touche globalement plus les catégories aisées que les catégories modestes. Les musées publics ou
l’Éducation nationale entrent également dans cette logique d’égalisation en matière d’accès à la
culture et à l’éducation. Le document 3 montre l’importance prise, au fil des ans, par les dépenses
d’éducation et les résultats engendrés par ces dépenses : la démocratisation des études se repère, en
particulier, à travers l’accroissement de la proportion d’une génération obtenant le baccalauréat.
Si celui-ci était, au début des « trente glorieuses » réservé à une étroite minorité de jeunes, il est
devenu un diplôme de masse, détenu aujourd’hui par les 2/3 d’une génération. La même analyse
pourrait s’appliquer à la fréquentation des équipements culturels (bibliothèques et musées publics,
par exemple).
Conclusion
Les pouvoirs publics disposent donc, à travers la loi, la redistribution et les services collectifs,
d’instruments pouvant favoriser l’égalité économique, sociale et culturelle. Pourtant, ces politiques se heurtent à des limites que confirment l’accroissement des inégalités économiques ces
dernières années et la faiblesse des progrès dans l’égalité des chances devant les parcours sco59
Sujet 7 | Corrigé
laires, par exemple. Ces limites tiennent à la fois à la timidité des moyens mis en œuvre mais aussi
aux réticences idéologiques face à ce qui apparaît, aux yeux de certains, comme une atteinte à la
liberté individuelle et au principe méritocratique. La redistribution est parfois accusée d’engendrer
une désincitation à l’effort et une accoutumance à l’assistanat. L’action des pouvoirs publics en
faveur de l’égalité doit prendre en compte ce climat de critique, d’autant plus lorsque les marges
de manœuvre financières sont réduites par une économie en panne de croissance.
60
Sujet 8, épreuve composée
Liban, juin 2014, enseignement spécifique
Mobilisation des connaissances
1 Dans le cadre de l’Union européenne, présentez deux avantages de l’union économique et
monétaire.
2 Distinguez une logique d’assurance d’une logique d’assistance en matière de protection sociale.
Pour répondre à la première question, on pourra évoquer la simplification des échanges
liée à la monnaie unique et à la disparition des monnaies nationales, mais aussi la fluidité
engendrée par l’abolition des frontières en matière d’échanges et donc, par exemple, la
suppression des droits de douane dans l’UE.
La deuxième question concerne les deux grands principes qui peuvent gouverner un système
de protection sociale. Il faut les décrire en les illustrant par quelques exemples rapides. On
pourra montrer que le système français, au départ plutôt assuranciel, intègre désormais des
prestations d’assistance. Attention à ne pas dépasser le cadre d’une question de mobilisation
de connaissances en développant exagérément les détails de chaque système.
Étude d’un document
Vous présenterez le document, puis vous décrirez les écarts de coûts salariaux entre la France et la Norvège qu’il met en évidence.
Coûts horaires de la main-d’œuvre* en indice (base 100 : France)
Belgique
Bulgarie
Irlande
Italie
Norvège
Pologne
France
2008
112
8
86
77
119
24
100
2011
115
10
80
78
129
21
100
Source : d’après Eurostat, 2012.
* Le coût horaire de la main-d’œuvre correspond à l’ensemble des coûts supportés par
les unités de production pour employer un salarié.
61
Sujet 8 | Énoncé
Attention au piège que renferme ce document : le fait que la France reste à l’indice 100 ne
signifie évidemment pas que le coût du travail n’y ait pas progressé. La France sert, pour
chaque année, de base de calcul (donc garde l’indice de base). Ce sont donc les écarts de
niveaux de coûts entre les deux dates qui peuvent être mis en évidence et l’évolution de ces
écarts. La rigueur de la formulation est donc ici essentielle.
Raisonnement s’appuyant sur un dossier documentaire
À l’aide de vos connaissances et du dossier documentaire, vous montrerez
que le rôle du travail comme instance d’intégration sociale s’est affaibli.
› Document
1
La fragilisation des individus dans le travail est fortement intériorisée, voire incorporée. Elle touche
divers types de salariés : ceux qui perçoivent la dégradation progressive de leurs compétences dans
un contexte qui se modifie, ceux qui subissent une usure physique et des atteintes à leur santé, les
victimes d’illettrisme, les salariés en CDD 1 qui craignent de perdre la main faute d’être employé
au niveau de leur qualification, les jeunes précarisés, les salariés des entreprises de sous-traitance
sur qui pèsent les plus fortes exigences en matière de conformité de qualité, de délai de livraison et
de productivité... [...]
La fragilisation du statut salarial 2 est facteur d’exclusion, non seulement quand la personne se
trouve en situation de précarité d’emploi ou d’exclusion de l’activité productive, mais aussi quand
le rapport salarial met en difficulté le salarié dans ses propres capacités à se préserver et à exercer sa
capacité d’agir. C’est pourquoi la déréglementation du marché du travail est facteur non seulement
de déstabilisation du statut salarial, mais aussi de profonds troubles de l’intégration à un collectif
de travail ; cela conduit aussi à intérioriser un sentiment d’incompétence et d’indignité à participer
aux différents champs de la vie sociale et politique.
Source : Bruno Flacher, Travail et intégration sociale, 2002.
1. CDD : contrat à durée déterminée.
2. Statut salarial : ensemble des droits associés au contrat de travail : stabilité de l’emploi, assurances sociales,
formation, etc.
62
Sujet 8 | Énoncé
› Document
2
Évolution du taux de chômage selon l’âge et la durée de 2006 à 2012 en France
Taux de chômage en % de la population
active 3
Chômeurs depuis 1 an ou plus
Ensemble
15-24 ans
25-49 ans
50 ans et plus
En milliers
En % du nombre de
chômeurs
2006
8,8
2008
7,4
2010
9,4
2012
9,8
22,2
7,9
6
1 020
42,3
19
6,6
5
785
37,9
22,9
8,4
6,3
1 070
40,4
23,9
9
6,8
1 118
39,8
Source : d’après Insee, 2013.
Parts des différentes formes d’emploi dans l’emploi total en France
Source : d’après Insee, 2013.
Champ : France métropolitaine, population des ménages, personnes de 15 ans et plus.
Il faut faire attention à ne pas déporter le sujet vers la description « en positif » du rôle du
travail dans l’intégration sociale en oubliant l’axe de la question, à savoir les dégâts que le
chômage et la précarité ou le sentiment de déqualification engendrent sur les personnes qui
3. Population active de 15 ans ou plus, vivant en France métropolitaine.
63
Sujet 8 | Énoncé
sont touchées dans leur rapport au travail. Il faut donc partir de ce que la privation (partielle
ou totale) de travail « abîme » dans le rapport que l’individu entretient à son environnement
social, en distinguant les effets économiques (consommation, rapport aux loisirs, rapport
à la constitution d’un patrimoine, etc.) et les effets psycho-sociaux et politiques (image
renvoyée aux autres et à soi-même par les situations d’exclusion de la sphère du travail,
désaffiliation politique, perte de sociabilité, etc.). On veillera à marquer des nuances entre
les différentes situations que sont la précarité, le chômage de courte durée et le chômage de
longue durée.
64
Sujet 8 | Corrigé
Mobilisation des connaissances
1 L’Union économique et monétaire, appelée aussi « zone euro », rassemble les 18 pays ayant
adopté l’euro comme monnaie unique. Elle est incluse dans l’ensemble plus vaste des 28 pays de
l’Union européenne. Entre ces pays, les échanges sont facilités, d’une part en raison de la suppression des droits de douane aux frontières (marché commun), d’autre part en raison de la baisse des
coûts de transaction engendrée par la disparition des opérations de change monétaire (zone euro).
Cette union a aussi pour avantage d’accroître le degré de concurrence entre les producteurs de la
zone, ce qui favorise la modération voire la baisse des prix, avantage important pour le consommateur. Enfin, cette ouverture des frontières permet aux consommateurs européens de voir s’élargir
les gammes de produits qui leur sont proposés et la visibilité de cette offre.
2 Un système de protection sociale peut relever de deux logiques d’organisation et de financement : l’assurance ou l’assistance. Il peut aussi reposer sur une combinaison d’éléments empruntés
à chacune des deux logiques.
La logique d’assurance conditionne le versement des prestations sociales au paiement préalable
d’une cotisation basée sur les revenus du travail. La contrepartie de cette cotisation est un ensemble
de prestations (indemnités chômage, assurance-maladie, retraites, etc.) qui couvrent le travailleur
et sa famille. Certaines prestations sont versées sous condition de ressources, d’autres de manière
générale. Ce système est parfois qualifié de « bismarckien ».
La logique d’assistance (dite « beveridgienne ») est apparue dans les pays anglo-saxons et a pour
objectif de garantir l’ensemble des citoyens, et notamment les plus démunis, contre les risques
sociaux, sans contrepartie de cotisation. Le système est financé par l’impôt.
En France, l’assurance-maladie et les retraites relèvent de la logique d’assurance, alors que le RSA
ou la CMU découlent de la logique d’assistance.
Étude d’un document
Ce tableau à double entrée, publié en 2012 par l’organisme statistique de l’Union européenne, Eurostat, présente, pour les années 2008 et 2011, les coûts horaires de main-d’œuvre, toutes charges
comprises, supportés en moyenne par les employeurs dans six pays de l’Union européenne et en
Norvège. L’indice 100 a été affecté à la France pour les deux années (ce qui ne signifie pas que le
coût du travail y soit resté identique).
On constate, si l’on s’attache aux cas de la France et de la Norvège, que pour les deux années,
une heure de travail salarié coûtait plus cher à l’employeur en Norvège qu’en France. L’écart
s’est d’ailleurs accru entre les deux dates puisqu’il était de 19 % en 2008 et qu’il est passé à 29 %
en 2011. Cela signifie que le coût horaire du travail a progressé plus rapidement en Norvège qu’en
France, évolution qui peut avoir des conséquences sur les rapports de compétitivité-prix entre les
deux pays.
65
Sujet 8 | Corrigé
Raisonnement s’appuyant sur un dossier documentaire
Le travail est une des instances qui amènent l’individu à se sentir membre à part entière d’une
société et à en partager les valeurs et les normes, autrement dit à « s’intégrer socialement ». Il est
en effet porteur d’intégration économique par les ressources qu’il procure et l’accès qu’il permet
à la consommation et à l’épargne. Mais il est aussi intégrateur sur le plan social par le statut
qu’il permet d’acquérir, le sentiment d’utilité sociale qui l’accompagne et l’ensemble des contacts
relationnels qu’il suscite, à la fois sur le plan collectif et dans la sphère privée. Cependant, la
persistance du chômage de masse et de la précarité depuis plusieurs décennies semble avoir sapé
et fragilisé cette dimension intégratrice du travail pour une partie importante de la population
active. Cette fragilisation d’un des fondements du lien social revêt plusieurs facettes et touche
certaines catégories de travailleurs selon des modalités différentes.
Le chômage, notamment le chômage de longue durée, porte directement atteinte à la dimension
économique de l’intégration : la perte d’un revenu régulier et l’obligation de s’en remettre aux
revenus de transfert (indemnités de chômage, revenu de solidarité active) déconnectent le chômeur
de la légitimité du revenu gagné par le mérite personnel et l’effort. Or notre société continue à poser
le principe méritocratique comme un des fondements de la réussite sociale. Cette dépendance à
l’égard des revenus de transfert et, souvent, à l’égard des soutiens familiaux est destructrice pour
l’image que l’individu a de lui-même et pour celle qu’il imagine que les autres se font de lui. Cette
« disqualification », comme la nomme le sociologue S. Paugam, peut être une des étapes dans le
processus de sape qu’opère l’isolement social, processus qui peut conduire, comme l’a montré
R. Castel, à la désaffiliation, la rupture des solidarités de proximité.
Bien qu’exposés à un moindre degré, les travailleurs en situation précaire, occupant des emplois
atypiques comme les contrats à durée déterminée, les emplois intérimaires ou les stages d’apprentis sont, eux aussi, soumis à la fragilité du quotidien sur le plan matériel. Cette incertitude quant
à l’avenir engendre également des failles d’intégration en termes de projection sur la vie professionnelle et la vie privée. Certes, les emplois atypiques n’occupent encore aujourd’hui que 10 %
environ du total des emplois (document 1), mais ils concernent massivement les nouveaux arrivants sur le marché du travail, les jeunes. Cette situation conduit une partie importante d’entre
eux à rester financièrement dépendants de la famille et freine donc leur intégration sociale en tant
que jeunes adultes autonomes. L’insécurité économique qui accompagne le chômage et la précarité se traduit par l’impossibilité d’accéder aux normes de consommation partagées par le reste du
corps social et affecte également la sociabilité privée des personnes, ces deux conséquences étant
évidemment porteuses d’un affaiblissement du sentiment d’intégration.
Mais, au-delà de la dimension économique de l’intégration, la privation de travail ou le rapport
incomplet qu’engendrent les emplois précaires ont également des effets sur la dimension psychologique et sociale de l’intégration. Ils dégradent le rapport que l’individu entretient à sa fonction
sociale, à son statut, c’est-à-dire à la place qu’il occupe dans la société et au sentiment qu’il a de
son utilité sociale, sentiment qu’Émile Durkheim considérait comme le fondement de la solidarité organique. Sur un autre plan, la sociabilité professionnelle au sein du collectif de travail ne
peut se développer, de même que ne peut s’exprimer le sentiment de solidarité face aux difficultés
rencontrées dans l’univers du travail et face aux luttes revendicatives. La sociabilité privée qui,
66
Sujet 8 | Corrigé
souvent, se développe entre les salariés d’une entreprise ou d’une administration est également
touchée par cet éloignement total ou partiel du collectif de travail. Enfin, comme le souligne le
document 1, cette distanciation à l’égard du travail peut conduire à un « sentiment d’incompétence et d’indignité à participer aux différents champs de la vie sociale et politique », comme en
témoigne, par exemple, la sur-représentation des chômeurs parmi les abstentionnistes aux différentes élections. Nos sociétés se sont, d’une certaine manière, résignées au chômage de masse et
ont intégré la précarité de l’emploi pour une partie de la population comme une sorte de tribut à
payer à l’exigence de flexibilité de l’appareil productif. Ce faisant, elles laissent « sur le bord de
la route » et en dehors du champ d’intégration sociale des composantes du corps social. Certes, le
système de protection sociale pallie en partie les conséquences matérielles de cette mise à l’écart,
mais les dégâts humains engendrés par cette situation n’en restent pas moins inquiétants pour la
solidité du pacte social collectif.
67
Sujet 9, épreuve composée
Inde, avril 2014, enseignement spécifique
Mobilisation des connaissances
1 En quoi l’approche en termes d’IDH complète-t-elle celle en termes de PIB ?
2 Montrez, à l’aide d’un exemple, que les conflits peuvent être un moyen de résistance au changement social.
La première question est classique. Elle nécessite de mettre en évidence le caractère plus
large de l’IDH par rapport au PIB (et surtout au PIB/ habitant) pour rendre compte du niveau
de développement d’un pays. Les trois critères de l’IDH doivent être cités, ainsi que son
mode de présentation. L’intitulé de la question n’exige pas la critique de fond du PIB.
La deuxième question exige un ou plusieurs exemples. On pourra les trouver dans des
sphères différentes de l’action collective : la sphère professionnelle et sociale mais aussi
les conflits sociétaux qui mettent en jeu les valeurs collectives.
Étude d’un document
Vous présenterez le document, puis vous caractériserez l’évolution des inégalités face au chômage qu’il met en évidence.
Taux de chômage entre 1985 et 2011
Source : d’après Insee, Tableaux de l’économie française, 2013.
68
Sujet 9 | Énoncé
L’indicateur ne pose pas de problème méthodologique particulier mais il est utile, cependant, de rappeler son mode de calcul. Il faut commencer par l’analyse de la courbe générale
en extrayant quelques données pour des points marquants du graphique (point haut et point
bas). Il faut ensuite insister sur la réduction sensible des écarts hommes-femmes du point
de vue de la vulnérabilité au chômage. Pour ce faire, on peut calculer, à différentes dates,
l’écart entre les deux taux, exprimés en points.
Raisonnement s’appuyant sur un dossier documentaire
À l’aide du dossier documentaire et de vos connaissances, vous montrerez
que l’Union économique et monétaire renforce les interdépendances entre
les politiques conjoncturelles des États membres.
› Document
1
L’Union économique et monétaire (UEM) mise en place en 1999 avec la création de l’euro vient
d’être confrontée au cas d’école qu’on pouvait redouter. Est-elle bien armée pour gérer une crise
économique majeure avec, d’un côté, une politique monétaire unique axée sur la stabilité des prix et,
de l’autre, des politiques budgétaires nationales encadrées par le Pacte de stabilité et de croissance
(PSC) ?
[...].
La Banque centrale européenne (BCE) a reçu pour mission d’assurer, en toute indépendance des
pouvoirs politiques, la stabilité des prix dans la zone euro. Les traités européens sont formels sur
la priorité de cet objectif. Pour le respecter, la BCE s’est dotée d’une stratégie qu’elle a appliquée
scrupuleusement depuis la naissance de l’euro. D’ailleurs, elle n’a eu de cesse, en régime normal,
d’insister sur la cohérence de toutes ses décisions au regard de la stabilité des prix. [...]
Le Pacte de stabilité et de croissance s’inscrit dans le cadre général de la coordination des politiques
économiques prévue par les traités depuis la création de l’euro. Il répond aux dispositions stipulant
que les États membres « évitent les déficits excessifs ». Le PSC entend imposer aux participants à
la zone euro une culture de stabilité des finances publiques. Il s’agit d’empêcher que la situation
budgétaire d’un État entraîne une fragilisation de l’ensemble de la zone monétaire en diffusant, à
travers des effets de débordement, des pressions inflationnistes, des tensions sur les taux d’intérêt
et une perte de la valeur externe de l’euro. En effet, un déficit public et l’accroissement de la dette
d’un État membre peuvent entraîner, pour l’ensemble de la zone euro, des pressions sur les prix (par
une augmentation de la demande de biens et services) et sur les taux d’intérêt (par un surcroît de
demande de financement), tout cela risquant de générer, en plus, des impacts négatifs sur la valeur
externe de la monnaie unique. De fait, le PSC vient largement en appui de la politique de stabilité
des prix pilotée par la BCE.
Source : d’après Michel Devoluy, « L’euro et le PSC dans la tourmente », Cahiers français n° 359,
novembre-décembre 2010.
69
Sujet 9 | Énoncé
› Document
2
L’adoption d’une même monnaie par différents pays supprime l’ensemble des coûts liés aux variations des taux de change 1 des monnaies entre elles. De ce fait, les échanges entre les différents
pays de la zone sont facilités par la seule suppression des taux de change. Le poids du commerce
intrazone augmente, ce qui favorise la transmission des fluctuations d’une économie à l’autre. En
effet, une accélération de la croissance dans un des pays accroît les importations en provenance
des autres pays, tirant ainsi la croissance du reste de la zone dans son sillage. Les fluctuations des
économies nationales tendent ainsi à devenir similaires, tout en se synchronisant. L’adoption d’une
monnaie unique permet ainsi une convergence des fluctuations économiques, cette convergence
permettant en retour la définition d’une seule politique monétaire pour l’ensemble des pays de la
zone.
Source : d’après Patrick Artus et Isabelle Gravet, La Crise de l’euro, 2012.
› Document
3
Déficit (−) ou excédent (+) public
dans cinq pays de l’Union économique et monétaire européenne (en % du PIB)
Allemagne
Danemark
Espagne
France
Italie
2008
− 0,1
+ 3,2
− 4,5
− 3,3
− 2,7
2009
− 3,1
− 2,7
− 11,2
− 7,5
− 5,5
2010
− 4,1
− 2,5
− 9,7
− 7,1
− 4,5
2011
− 0,8
− 1,8
− 9,4
− 5,3
− 3,8
2012
+ 0,2
− 4,0
− 10,6
− 4,8
− 3,0
Source : d’après Eurostat, 2013.
La question posée par le sujet amène nécessairement à confronter la vision théorique générale que les traités ont dessinée et prévue pour l’avenir de l’Europe et la réalité de son
fonctionnement, ces dernières années. Les deux piliers qui doivent assurer la cohérence
économique de la zone euro sont décrits dans le document 1, la BCE et le Pacte de stabilité et de croissance. Il faut revenir en détail sur les missions « supranationales » de la
BCE et sur les contraintes qu’engendrent, pour les États nationaux, les critères contenus
dans le Pacte. Le document 2 décrit plus des souhaits qu’une réalité constatée : il faut donc
l’aborder avec prudence et s’en servir pour montrer les difficultés d’une coordination des
politiques conjoncturelles. On s’appuiera sur le document 3 sur les comptes publics, mais
aussi sur des apports personnels dans d’autres domaines (chômage, solde de balance commerciale, niveau des salaires, etc.) pour montrer l’obstacle que constitue la grande diversité
des situations concrètes des États membres.
1. Taux de change d’une monnaie : prix de cette monnaie par rapport à une autre.
70
Sujet 9 | Corrigé
Mobilisation des connaissances
1 L’indice de développement humain, calculé par le PNUD, correspond à une approche élargie de
la notion de développement. Alors que le produit intérieur brut et le PIB/ habitant, indicateurs les
plus souvent utilisés, ne prennent en compte que la dimension économique du niveau de richesse
d’un pays, l’IDH fait la synthèse des trois dimensions du développement que sont : la richesse
produite (à travers le revenu national brut par habitant), la situation sanitaire du pays (à travers
l’espérance de vie à la naissance) et l’état de l’éducation (à travers les durées moyenne et attendue
de scolarisation). Ces trois indicateurs partiels sont combinés dans un indice global dont les valeurs
extrêmes vont de 0 à 1 (des niveaux de développement les plus bas aux niveaux les plus élevés). On
constate ainsi que les pays les plus « riches » (selon le PIB par habitant) ne sont pas nécessairement
les plus « développés » (selon l’IDH). Ainsi le Qatar dépasse la Norvège par le PIB par habitant
mais est largement surclassé par elle pour l’IDH.
2 Le conflit social peut avoir plusieurs facettes et plusieurs significations. S’il est souvent un élément de transformation de la société, il peut aussi parfois exprimer une résistance au changement
que certaines évolutions techniques, économiques ou culturelles provoquent. Ce changement peut
être ressenti par certaines catégories sociales comme une remise en cause de leur position sociale,
de leurs acquis ou des valeurs sur lesquelles elles fondent leur vision du monde. Au cours de la
dernière décennie, en France, on a ainsi assisté à des mouvements massifs de mobilisation contre
la réforme des retraites (âge, durée de cotisation, mode de calcul), qui est apparue comme la remise en cause d’un acquis. La résistance des intermittents du spectacle à la réforme de leur mode
d’indemnisation du chômage apparaît, elle aussi, comme un moyen de conservation d’un acquis
social. Sur un autre registre, les actions contre « le mariage pour tous » situent leur résistance sur
le terrain des valeurs éthiques.
Étude d’un document
Le graphique réalisé par l’Insee retrace l’évolution des taux de chômage en France, de 1985 à 2011,
pour l’ensemble de la population active, et par sexe, pour les femmes et pour les hommes. Rappelons que le taux de chômage rapporte l’effectif des chômeurs à la population active (× 100).
Le taux de chômage général montre, sur l’ensemble de la période décrite, une forte irrégularité,
même s’il est resté à un niveau toujours supérieur à 7 %. Le point bas se situe à 7,4 % en 2008
alors que le point le plus élevé est à 10,8 % environ en 1994, puis en 1997.
L’allure sinusoïdale de la courbe est remarquable : le niveau de chômage alterne entre des phases
de hausse et de baisse, aux rythmes de l’irrégularité de la croissance de l’activité économique d’une
part et de l’intensité des politiques d’emploi d’autre part. On constate en particulier sa remontée
rapide à partir de 2009, en liaison avec la récession de cette année-là.
Sur toute la période, les taux de chômage féminins sont supérieurs à ceux des hommes, mais cet
écart n’a cessé de se réduire au fil des années. Ainsi, en 1987, il est de l’ordre de 4 points (11,4 %
pour les femmes, 7,5 % pour les hommes), alors qu’en 2001 il est tombé à 2,7 points et qu’il n’est
plus que de 1 point en 2011. Le risque de chômage n’est donc plus, aujourd’hui, significativement
plus élevé pour les femmes que pour les hommes.
71
Sujet 9 | Corrigé
Raisonnement s’appuyant sur un dossier documentaire
L’Union européenne, au départ simple « marché commun », a connu en un peu plus d’un demisiècle un processus d’intégration qui a débouché, pour une partie des pays membres, sur la création
d’une monnaie unique, l’euro. L’Union économique et monétaire, qui compte, au début de 2014,
dix-huit pays sur les vingt-huit de l’Union européenne, est aujourd’hui encadrée à la fois par l’action de la Banque centrale européenne (BCE) et par le Pacte de stabilité et de croissance (PSC).
Dans ces conditions, l’UEM affiche l’ambition de devenir une zone intégrée et homogène allant
vers une gouvernance commune. Mais la diversité des situations particulières rend aujourd’hui
très difficile et peu probante la coordination des politiques conjoncturelles nationales.
En effet, la zone euro a vu disparaître la souveraineté monétaire de chaque État membre au profit
d’un « pilotage monétaire » assuré par la BCE, institution supranationale. Celle-ci a reçu pour
mission, en vertu du traité de Maastricht signé en 1992, de veiller à la stabilité des prix dans la
zone euro et de préserver la valeur de la monnaie unique sur le marché des changes. Cet objectif, considéré comme impératif, a eu pour corollaire l’inscription dans les traités européens de
contraintes imposées aux États sous la forme des critères de convergence du Pacte de stabilité
et de croissance. Ces critères prévoient l’harmonisation des taux d’inflation et des taux d’intérêt,
mais surtout l’engagement des États à contenir leur déficit public annuel dans la limité de 3 % du
PIB, et le volume global de la dette publique accumulée sous le plafond de 60 % de la valeur du
PIB.
Les politiques conjoncturelles nationales sont donc théoriquement « sous contraintes » puisque
les États ne peuvent user qu’avec modération de l’instrument keynésien traditionnel de l’accroissement des dépenses publiques et du déficit public dans le cadre d’une politique de relance de
l’activité économique. Les statuts de la Banque centrale européenne lui interdisent de financer
directement les déficits publics des États membres par la création monétaire, dans une pratique
qu’on baptisait autrefois de « politique de la planche à billets ».
Cependant, parmi les dix-huit pays qui composent la zone euro règne aujourd’hui une très grande
hétérogénéité de situations économiques et sociales, qu’il s’agisse des taux de chômage, des taux
d’inflation, du rythme de la croissance ou de la situation des balances commerciales. Ainsi, au
début de l’année 2014, le taux de chômage atteint les 5 % en Autriche et en Allemagne alors qu’il
dépasse les 26 % en Grèce et en Espagne. Dans le même temps, les taux d’inflation sont négatifs
en Grèce et au Portugal, mais dépassent 1,3 % au Luxembourg et en Autriche.
Enfin, le déficit public, critère majeur du Pacte de stabilité, frôle les 5 % en France et dépasse les
20 % en Grèce, alors que l’Allemagne affiche un excédent de ses comptes publics (document 3).
D’autre part, les écarts en termes de salaire minimum ou de protection sociale sont tels que l’on
ne peut raisonnablement pas parler d’une « Europe sociale ».
Contrairement aux espoirs formulés par P. Artus et I. Gravet dans le document 2, la mise en place
de la monnaie unique ne s’est donc pas traduite par une convergence « naturelle » des situations
économiques qui aurait permis de coordonner plus étroitement les décisions de politiques conjoncturelles. Les pays de l’Union européenne, et en particulier ceux de la zone euro, sont confrontés
à des chocs asymétriques, c’est-à-dire qui touchent certains pays et pas d’autres. De ce fait, il
est hasardeux d’imaginer qu’une politique monétaire commune puisse correspondre aux besoins
72
Sujet 9 | Corrigé
de l’ensemble des États membres, de même qu’il n’est, dans l’état actuel des choses, pas possible d’imaginer une véritable gouvernance économique coordonnée, d’autant que l’organe politique d’une telle gouvernance supranationale n’existe toujours pas. L’idée même d’un tel pilotage
global rencontre des résistances de la part des dirigeants politiques de certains pays et dans les
opinions publiques nationales. Ces réticences s’appuient sur l’absence d’une véritable légitimité
démocratique des instances de décision de l’Union économique et monétaire.
73
Sujet 10, épreuve composée
Liban, mai 2013, enseignement spécifique
Mobilisation des connaissances
1 Illustrez par trois exemples la diversité des conflits sociaux.
2 Montrez que les inégalités économiques et sociales peuvent se cumuler.
La première question porte sur la conflictualité sociale et la diversité de ses formes : il s’agit
donc de décrire trois types de conflits en veillant bien à les choisir dans des registres d’action et de revendication différents. On pense évidemment au conflit d’entreprise, localisé,
à propos des fermetures de sites ou des licenciements ou encore des conditions de travail
et de salaire. Un deuxième registre envisageable est la protestation à l’échelle nationale :
ici, on peut privilégier le conflit portant sur une question économique générale (réforme des
retraites, de la Sécurité sociale, de la législation du contrat de travail, etc.) ou introduire la
question des nouveaux mouvements sociaux pour lesquels l’actualité récente donne l’embarras du choix. Une référence théorique (A. Touraine ou R. Inglehart) peut constituer un
apport valorisant la réponse.
La deuxième question demande que soient mises en évidence les connexions entre les inégalités économiques (revenus, patrimoines, niveaux de vie) et les inégalités sociales (accès
à la santé, pratiques culturelles, conditions de logement, etc.). Les deux registres d’inégalités ne sont pas toujours strictement corrélés, mais les liens sont cependant fréquents. On
le voit en particulier sur la question des écarts d’accès à l’école, carrefour des inégalités
économiques et culturelles. C’est ce lien qu’il faut mettre en évidence, en évitant cependant
de tomber dans la caricature.
74
Sujet 10 | Énoncé
Étude d’un document
Vous présenterez le document, puis vous comparerez l’évolution de la rémunération du travail en France et en Allemagne.
Rémunération du travail par personne employée en France et en Allemagne
dans l’ensemble de l’économie (1992-2010)
Source : d’après Eurostat, 2011.
Attention au piège visuel que comporte ce document graphique ! Un lecteur inexpérimenté
(ce que vous n’êtes pas !) y verrait la démonstration que la rémunération moyenne du travail est désormais plus élevée en France qu’en Allemagne. C’est peut-être vrai... mais le
document ne permet pas de le dire : les deux séries statistiques ont été traduites en indices
et « égalisées » en 2000 (base 100). On ne peut donc plus rien dire sur la comparaison de
leur niveau absolu. Seule l’évolution relative au fil du temps est analysable, ce qui exige
une prudence particulière dans la formulation. Il paraît judicieux de scinder la période en
deux sous-périodes (l’an 2000 servant de pivot) et de dégager trois ou quatre valeurs significatives permettant de préciser le constat.
75
Sujet 10 | Énoncé
Raisonnement s’appuyant sur un dossier documentaire
À l’aide de vos connaissances et du dossier documentaire, vous montrerez
que la politique climatique repose sur la complémentarité de différents
instruments.
› Document
1
Émissions de CO2 par habitant liées à la consommation d’énergie (en tonnes de CO2 / habitant)
Amérique du Nord
dont : Canada
États-Unis
Amérique latine
dont : Brésil
Europe et ex-URSS
dont : Union européenne à 27
Ex-Union européenne à 15
dont : Allemagne
Espagne
France
Italie
Royaume-Uni
12 nouveaux États membres
dont : Russie
Moyen-Orient
Extrême-Orient
dont : Chine
Corée du Sud
Inde
Océanie
Monde
1990
15,5
15,6
19,5
1,7
1,3
9,4
8,6
8,4
12,0
5,3
6,1
7,0
9,6
9,1
14,8
4,5
1,6
2,0
5,3
0,7
13,8
4,0
2009
13,6
15,4
16,9
2,2
1,7
7,1
7,1
7,4
9,2
6,2
5,5
6,5
7,5
6,4
10,8
7,8
3,1
5,1
10,6
1,4
16,1
4,3
Évolution 1990-2009 (en %)
− 12,1
− 1,2
− 13,2
+ 29,3
+ 34,2
− 24,8
− 16,6
− 12,7
− 23,5
+ 16,9
− 9,3
− 7,7
− 21,4
− 29,9
− 26,8
+ 73,6
+ 89,8
+ 161,2
+ 97,7
+ 100,2
+ 16,9
+ 7,8
Source : d’après le Commissariat général au développement durable, Chiffres et Statistiques, 2011.
Le dioxyde de carbone est un gaz à « effet de serre » contribuant au réchauffement climatique.
La consommation d’énergie comprend les émissions dues à la consommation d’énergie fossile (pétrole, gaz, charbon...) pour un usage final (transport, chauffage...) ou non (production d’électricité,
raffinage de pétrole...).
76
Sujet 10 | Énoncé
› Document
2
Une taxe environnementale sur les émissions vise à introduire une incitation à réduire les atteintes
à l’environnement en leur donnant un prix. [...] L’intérêt d’utiliser un système de taxe pour tarifer
la nuisance environnementale est d’envoyer un signal prix clair aux entités économiques. [...] Les
taxes et les permis d’émission sont souvent opposés l’un à l’autre. [...] La revue des instruments
politiques qui se mettent progressivement en place dans le cadre de l’action contre le changement
climatique montre pourtant clairement qu’ils sont bien plus complémentaires que concurrents. [...]
Des États européens comme le Danemark, la Norvège, le Royaume-Uni et la Suède ont en effet
réussi à instituer une taxe carbone. [...] Dans la pratique, la difficulté pour les pouvoirs publics
est moins de choisir entre les différents instruments que de trouver la bonne combinaison entre
eux et d’en réunir les conditions d’acceptabilité. [...] L’acceptabilité de la taxe est d’autant plus
un enjeu dans le contexte d’un accord international sur le climat que l’imposition d’une taxe au
niveau international soulève des questions de souveraineté. De fait la taxe est moins acceptable
qu’un système de permis, comme on l’a vu dans le cadre du protocole de Kyoto 1 et au niveau
européen.
Source : d’après Ch. Perthuis, S. Shaw et S. Lecourt, Les Cahiers du programme de recherche en économie du
climat, juin 2010.
› Document
3
Volumes de transactions de quotas*
depuis le lancement du système d’échange de quotas dans l’Union européenne
2005
2006
2007
2008
2009
Volumes échangés
(en millions de quotas)
262
828
1 458
2 731
5 016
Valeur des transactions
(en millions d’euros courants)
5 400
14 500
25 200
61 200
65 900
Prix moyen du quota 2
(en euros courants)
20,6
17,5
17,3
22,4
13,1
Source : d’après Ch. Perthuis et A. Delbosc, Conseil économique pour le développement durable, 2010.
Le raisonnement argumentaire peut être organisé à partir des trois grandes catégories d’instruments traditionnellement évoqués en matière de politique climatique : la réglementation
plus ou moins contraignante ou incitative, l’éventail de la fiscalité écologique, le mécanisme du marché des droits à polluer. Pour chacun de ces registres, il faut insister sur les
1. En 1997, le protocole de Kyoto a fixé des quotas visant à réduire globalement les émissions de gaz à effet de
serre de 5 % entre 2008 et 2012 par rapport à la situation de 1990.
2. Un quota représente un droit d’émission d’une tonne de dioxyde de carbone, CO2 .
77
Sujet 10 | Énoncé
limites de son efficacité ou sur les résistances qu’il rencontre, ce qui renvoie à l’impossibilité de n’utiliser qu’un seul de ces registres si l’on veut atteindre une certaine efficacité.
Sans tomber dans des explications techniques complexes, il peut être valorisant de faire la
démonstration que vous connaissez assez précisément les contenus de chaque instrument.
Cela signifie, par exemple, qu’il faut illustrer le registre de la réglementation par quelques
exemples concrets liés à la vie quotidienne des ménages et des entreprises. De même, les
écotaxes peuvent prendre des formes très diverses, et en décrire une ou deux plus précisément valorisera votre démonstration. Enfin, il faut décortiquer (en restant compréhensible !) le mécanisme du marché du carbone, en montrant qu’il s’agit ici de s’appuyer sur
un mécanisme autorégulé plutôt que sur une contrainte externe. Le document 3 permet cependant d’être sceptique quant à l’efficacité de ce mécanisme. On pourra, par ailleurs, en
s’appuyant sur le document 1, faire allusion au fait qu’à l’échelle internationale les positions
sont contradictoires sur la question écologique, chaque pays ayant plus souvent le souci de
préserver ses intérêts économiques que d’œuvrer collectivement à la préservation du climat.
78
Sujet 10 | Corrigé
Mobilisation des connaissances
1 La notion de conflit social recouvre des situations très diverses. Historiquement, elle a souvent
désigné des confrontations sociales liées à la sphère du travail. Ce type de conflit est toujours présent dans nos sociétés comme en témoignent les grèves et mobilisations actuelles pour protester
contre les suppressions de postes dans certaines entreprises ou administrations (dans l’industrie automobile ou encore dans l’Éducation nationale). C’est ici la sauvegarde de l’emploi qui est l’enjeu
de l’affrontement entre salariés et employeurs, mais aussi parfois les conditions d’indemnisation
des licenciements et les procédures de reclassement.
Sur un autre registre, le conflit social peut prendre une dimension plus globale et impliquer des
groupes sociaux élargis : les manifestations contre la réforme des systèmes de retraite s’appuient
sur une mobilisation de l’opinion publique au-delà des frontières des entreprises et des administrations. Les salariés y sont impliqués, mais aussi les retraités, et « l’adversaire » est, dans ce cas,
la puissance publique et le pouvoir politique.
Enfin, les conflits sociaux peuvent concerner des enjeux non économiques comme les manifestations contre le mariage homosexuel, les luttes pour la préservation de l’environnement (Greenpeace) ou les mouvements de soutien aux sans-papiers (association Droits devant !). Ces conflits
sont motivés par des enjeux sociétaux, impulsés par des fractions du corps social qui veulent faire
reconnaître leur identité et leurs droits et accéder à une certaine visibilité. Le sociologue A. Touraine a appelé ces conflits « nouveaux mouvements sociaux », alors que le sociologue américain
R. Inglehart, en les qualifiant de « post-matérialistes », insiste sur leur dimension qualitative et
sociétale.
2 Les inégalités forment souvent un système dans lequel s’imbriquent les inégalités économiques
et les inégalités sociales. Les inégalités dans la répartition des revenus et des niveaux de vie sont
généralement les plus visibles : ainsi, en 2010, l’écart du niveau de vie des 10 % les plus riches
et des 10 % les plus pauvres était-il, en France, de l’ordre de 3,5. Ces écarts sont encore plus
importants au niveau des patrimoines : le patrimoine d’un ménage de cadres est en moyenne 7 fois
plus élevé que celui d’un ménage d’ouvriers.
Mais ces inégalités économiques se doublent souvent d’inégalités sociales et culturelles qui leur
sont en partie corrélées. L’écart d’espérance de vie à 35 ans entre un cadre et un ouvrier est aujourd’hui un peu supérieur à six ans. La dimension économique ne suffit pas à rendre compte de la
totalité de cet écart, les difficultés financières d’accès à la santé en sont en partie responsables. De
même, l’exposition à l’obésité est plus forte dans les milieux modestes que dans les ménages aisés.
Les conditions de logement, l’accès à la culture à travers les pratiques personnelles ou les visites
de lieux culturels, l’accès aux loisirs, aux voyages ou à la lecture sont d’autres domaines discriminants entre milieux sociaux. La corrélation avec les inégalités économiques, sans être toujours
pleinement explicative, est néanmoins souvent présente.
Enfin, une inégalité sociale particulière est largement influencée, plus ou moins directement, par
les facteurs économiques : il s’agit de l’inégal accès au savoir et à la réussite scolaire, et en aval
aux espoirs d’ascension sociale.
79
Sujet 10 | Corrigé
Étude d’un document
Ce document graphique, publié en 2011 par Eurostat, l’organisme de statistiques de l’Union européenne, rend compte de l’évolution comparée de la rémunération du travail par personne, en
France et en Allemagne, de 1992 à 2010. Les données sont fournies en indices, base 100 en 2000
pour les deux pays.
Ce document ne permet pas de dire dans quel pays le coût du travail est le plus élevé. Il permet
simplement de comparer les évolutions des rémunérations moyennes. On constate que, de 1992
à 2000, la progression des rémunérations a été à peu près parallèle dans les deux pays (de l’indice 82 à l’indice 100 en Allemagne, de l’indice 85 à l’indice 100 en France). En revanche, la
période suivante (2000-2010) est marquée par une progression de la rémunération moyenne en
France plus rapide qu’en Allemagne. De 2000 à 2010, la progression est de + 30 % en France,
contre + 10 % en Allemagne. On peut penser, mais il faudrait d’autres éléments pour pouvoir l’affirmer, que ces évolutions ne sont pas indépendantes de l’évolution de la compétitivité-prix de ces
deux économies.
Raisonnement s’appuyant sur un dossier documentaire
Les politiques climatiques sont essentiellement centrées sur les mesures permettant de limiter le
réchauffement de la planète. Celui-ci, selon les scientifiques du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) est largement la conséquence des activités humaines,
notamment des émissions de gaz à effet de serre (GES) comme le CO2 ou les CFC. Le protocole
de Kyoto, signé en 1997, a posé les bases d’une politique de réduction de ces émissions de GES
en laissant à chaque pays ou groupe de pays signataires le soin de mettre en œuvre les mesures
concrètes permettant d’aboutir à cette réduction.
Globalement, il existe trois grands instruments d’une politique climatique, l’instrument réglementaire, l’instrument fiscal et l’instrument du marché des droits d’émission. Chacun de ces instruments a ses avantages propres mais aussi ses limites.
La réglementation fait intervenir directement la puissance publique. Celle-ci édicte des normes
environnementales que les acteurs économiques (entreprises et administrations, ménages) sont
évidemment tenus de respecter sous peine de sanctions financières et parfois pénales. L’exemple
le plus contraignant est l’interdiction progressive des CFC (par exemple le gaz fréon utilisé en
réfrigération) ou l’obligation de leur récupération. Un autre exemple est l’incitation à réduire la
vitesse des véhicules en cas de pic de pollution, l’interdiction de la circulation automobile dans des
circonstances d’urgence, l’interdiction des ampoules électriques à filament ou encore l’imposition
de normes maximales de consommation énergétique dans la construction de logements neufs. Cet
instrument réglementaire est parfois efficace, mais il peut rencontrer des limites d’application,
notamment parce que la souveraineté politique d’un État s’arrête à ses frontières, alors que les
émissions de GES ne restent pas cantonnées à l’espace national.
Le deuxième axe que peuvent emprunter les politiques climatiques est celui de la taxation des
activités polluantes (écotaxes). Cette voie a été choisie, par exemple, par plusieurs pays d’Europe
du Nord comme la Suède, la Norvège, le Danemark ou l’Islande. Elle consiste, pour l’État, à
prélever une taxe écologique sur les combustibles fossiles consommés par les entreprises et/ ou les
80
Sujet 10 | Corrigé
ménages, en tenant compte de la teneur en carbone de chaque combustible. Le système est conçu
pour dissuader l’utilisation des produits les plus polluants (le charbon ou le fioul par exemple)
et inciter la substitution par des combustibles ou des modes de production moins émetteurs de
GES. La France a envisagé l’instauration d’une taxe carbone mais y a finalement renoncé, en
raison de l’absence d’accord au niveau européen et des menaces que cette taxe ferait peser sur la
compétitivité-prix des productions françaises. Notre pays a cependant mis en œuvre un système
de bonus-malus sur les automobiles, destiné à encourager le choix des modèles de véhicules les
moins émetteurs de carbone.
La troisième solution envisageable est celle du marché de droits d’émission, appelée parfois « marché du carbone ». Ce mécanisme, issu des négociations de Kyoto, a été mis en œuvre dans l’Union
européenne à partir de 2005 et concerne un peu plus de 10 000 installations énergétiques et industrielles. Le principe est le suivant : chaque site émetteur de GES se voit attribuer gratuitement
des quotas de droits d’émission qu’il peut revendre sur le marché des droits s’il ne les utilise pas
entièrement. À l’inverse, les entreprises qui ont épuisé leurs droits d’émission peuvent en acquérir
sur ce même marché. Cette solution s’appuie donc sur la régulation des comportements par des
signaux de prix, les comportements écologiques étant encouragés par des recettes supplémentaires
(revente de droits) alors que les comportements polluants sont censés être pénalisés (obligation
de se procurer des quotas). L’efficacité du mécanisme repose évidemment sur le volume global
de droits d’émission décidé en début de période et sur la réduction progressive de ce volume. Aujourd’hui, il semble clair que cette solution n’a pas fait ses preuves puisque le prix de la tonne
de carbone n’a pratiquement pas cessé de baisser depuis 2005, diminuant donc l’incitation à la
réduction des émissions (document 3). Début 2013, ce prix s’est même effondré puisqu’il se situe
entre 3 et 4 euros la tonne, faisant perdre au système toute crédibilité.
Les politiques climatiques, comme toute politique, sont soumises à l’action des groupes de pression et des intérêts contradictoires. Cela se vérifie au niveau international où les pays les plus
émetteurs (les États-Unis, par exemple) sont défavorables à des législations contraignantes, alors
que les pays émergents comme la Chine ou l’Inde contestent, au nom des impératifs de développement, les efforts qui leur sont demandés. À l’échelle mondiale, les émissions de CO2 continuent
de progresser (document 1). Mais ces contradictions existent aussi à l’intérieur de chaque pays
et traversent nos propres comportements. Chacun des trois instruments évoqués est, à lui seul,
incapable de permettre d’atteindre l’objectif pourtant crucial de réduction des émissions. C’est le
dosage plus ou moins contraignant de ces trois registres d’instruments qui donne la mesure de
l’engagement écologique de chaque État.
81
Sujet 11, épreuve composée
Sujet national, juin 2014
Mobilisation des connaissances
1 Comment la flexibilité du marché du travail peut-elle réduire le chômage ?
2 À quels risques économiques peuvent s’exposer les pays qui mènent une politique protectionniste ?
La question première peut paraître un peu étrange dans la mesure où la recherche de la
flexibilité n’a pas pour premier objectif de réduire le chômage. Il faut tenir compte des
effets indirects et globaux auxquels peuvent conduire un fonctionnement plus souple du
marché du travail et une utilisation plus flexible de la main-d’œuvre dans les entreprises.
On insistera sur la réduction des coûts de main-d’œuvre que permet la flexibilité et les
effets que cela peut avoir sur la compétitivité de l’entreprise et donc sur la pérennité de ses
emplois.
La deuxième question peut faire référence soit aux désavantages pour le consommateur de la
non-ouverture des frontières (en termes de diversité de l’offre et de niveau de prix), soit aux
effets négatifs que la protection vis-à-vis de la concurrence engendre pour la compétitivité
des entreprises nationales. On peut aussi évoquer les risques plus « géopolitiques » des
mesures de rétorsion mises en œuvre par les pays visés par les barrières protectionnistes.
Étude d’un document
Vous présenterez le document, puis vous comparerez la situation économique des 18-29 ans aux autres tranches d’âge.
Niveau de vie, taux de pauvreté et statut d’activité selon la tranche d’âge en France en 2011
18-29 ans 30-49 ans 50 ans
ou plus
Niveau de vie 2 médian (en euros,
18 150
en 2011)
Taux pauvreté 3 (en %)
19,4
Répartition par statut d’activité (en %)
Actifs occupés
55,4
Chômeurs
12,2
Inactifs
32,3
Ensemble
100,0
20 120
20 880
Ensemble (18 ans
ou plus) 1
20 000
13,0
10,1
12,7
82,3
6,9
10,9
100,0
31,2
2,2
66,7
100,0
53,4
5,6
41,0
100,0
Source : Insee, « Les niveaux de vie en 2011 », septembre 2013.
82
Sujet 11 | Énoncé
Ce tableau comporte quelques difficultés d’analyse et de formulation des observations.
Ainsi, on prendra garde de ne pas utiliser l’expression « taux de chômage » pour la ligne
« chômeurs » : il s’agit ici du ratio chômeurs/ population totale et non du ratio chômeurs/
population active totale. De même, dans l’analyse des niveaux de vie, on peut préciser qu’il
s’agit des revenus « par unité de consommation » selon la méthode utilisée par l’Insee.
Enfin, comme il s’agit des revenus médians (et non des revenus moyens), la formulation
adoptée devra refléter cette caractéristique de l’indicateur.
Raisonnement s’appuyant sur un dossier documentaire
À l’aide de vos connaissances et du dossier documentaire, vous démontrerez que la famille peut constituer un frein à la mobilité sociale des individus.
› Document
1
La catégorie socioprofessionnelle de l’emploi exercé n’est qu’un indicateur bien imparfait de la
reproduction. Cette dernière, en effet, est également visible dans la transmission des diplômes au
fil des générations, tout particulièrement dans le cas des titres universitaires.
En 2003 comme en 1993, les enfants nés de parents diplômés sont nettement favorisés dans l’accès
aux diplômes de l’enseignement supérieur. Mais, bien plus encore, leur avantage s’est sensiblement
accru en dix ans. En effet, en 1993, parmi les individus âgés de 30 à 39 ans, la probabilité d’être
diplômé d’un deuxième ou troisième cycle universitaire était de 5 % pour ceux dont le père ou la
mère avaient au plus un certificat d’études primaires (CEP), et de 42 % pour ceux dont au moins un
des deux parents était diplômé d’un second ou troisième cycle universitaire, soit une différence de
37 points. Une décennie plus tard, les probabilités sont respectivement de 8 % et de 58 %, soit une
différence de 52 points. Ce renforcement du poids du diplôme des parents s’observe également pour
les individus dont l’un des parents est diplômé du supérieur court : la différence avec les individus
dont les parents avaient au plus un CEP passe de 17 à 29 points.
Le rôle du capital culturel des parents est tel que son poids persiste à origine sociale équivalente,
par exemple parmi les enfants de cadres [...].
Dans une société qui fait du diplôme le passeport pour accéder aux meilleurs emplois et aux catégories sociales supérieures, la compétition pour les titres scolaires est un enjeu crucial. De ce
point de vue, ce n’est pas à une stabilité de la reproduction qu’il faut conclure, mais bien à une
intensification : en dix ans, l’avantage des enfants de parents diplômés de l’enseignement supérieur
s’est accru de manière significative. Pour le dire autrement, être issu d’une famille où les ressources
culturelles sont faibles devient de plus en plus pénalisant.
Source : C. Peugny, Le Destin au berceau. Inégalités et reproduction sociale, 2013.
1. Champ : France métropolitaine, personnes vivant dans un ménage dont le revenu déclaré au fisc est positif ou
nul et dont la personne de référence n’est pas étudiante.
2. Le niveau de vie correspond au revenu disponible du ménage en tenant compte de sa taille.
3. Au seuil de 60 % du revenu médian.
83
Sujet 11 | Énoncé
› Document
2
On peut poser que la position sociale visée pour son enfant est définie par référence à la position
actuelle de la famille, l’ambition ayant un caractère fondamentalement relatif (thèse défendue par
Boudon, 1973). Dans ce cas, des familles situées dans des positions inégales vont viser pour leur
enfant des positions inégales.
Ces visées inégales, les familles disposent de ressources inégales pour les faire aboutir. Elles sont
de plus, dans leurs décisions, inégalement sensibles au risque et au coût attachés aux diverses alternatives. Le modèle de l’acteur rationnel formalisé par Boudon (1973), qui réalise un arbitrage entre
un « bénéfice » escompté et des coûts (et des risques), s’est imposé depuis [...] pour comprendre les
choix scolaires. Dans cette perspective, le principal facteur d’inégalité est donc la différenciation,
en fonction de la position sociale, des champs de décision des acteurs.
Parmi les constats qui confortent ce modèle du stratège, il y a celui, régulièrement avéré, de l’existence, aux paliers d’orientation successifs, d’une auto-sélection socialement différenciée ; celle-ci
résulterait de la valeur, inégale selon les milieux sociaux, de paramètres tels que le rendement des
études (le niveau éducatif « suffisamment rentable » étant inégal selon les points de départ), le degré
objectif de risque (inégal, dès lors que des inégalités sociales de réussite subsistent) ou encore la
sensibilité plus ou moins grande aux coûts encourus dans les études envisagées.
Mais si, au vu des approches statistiques externes, « tout se passe comme si » les individus faisaient
des choix rationnels, cela n’exclut pas qu’interviennent, dans les prises de décision concrètes, des
différences dans le niveau d’information, les préférences, les visions du monde...
Source : M. Duru-Bellat, « Les causes sociales des inégalités à l’école », Comprendre, octobre 2003.
› Document
3
Répartition des hommes en couple selon leur groupe social et celui de leur conjointe
(en 1999, en %)
Hommes
CPIS
Hommes
ouvriers
Agriculteurs
0,5 9
ACCE 4
CPIS 5
Prof. int. 6 Employés
Ouvriers
Sans
act. 7
Total 8
3,3
19,4
33,1
32,7
4,0
7,0
100
1,6
2,9
1,3
9,3
50,6
23,3
11,1
100
Source : d’après M. Vanderschelden, « Position sociale et choix du conjoint : des différences marquées entre
hommes et femmes », Données sociales, 2006.
4. Artisans, commerçants, chefs d’entreprise.
5. Cadres et professions intellectuelles supérieures.
6. Professions intermédiaires.
7. Sans activité professionnelle.
8. Le total des lignes n’est pas toujours égal à 100 en raison d’arrondis.
9. Lecture : en France, en 1999, 0,5 % des hommes cadres ou professions intellectuelles supérieures ont une
conjointe agricultrice.
84
Sujet 11 | Énoncé
Les documents permettent de faire assez aisément le tour des arguments à mobiliser pour
expliquer le poids de la famille dans la transmission intergénérationnelle des statuts professionnels et sociaux. Le document 1, très nettement inspiré des analyses de P. Bourdieu,
insiste sur le rôle de l’héritage culturel dans l’accès aux diplômes, notamment ceux du « supérieur long » qui conduisent aux statuts les plus valorisés. On extraira quelques données
significatives, notamment les écarts en « points » de probabilités d’accès aux diplômes. Le
document 2, à l’inverse, s’attache à une analyse plus « micro-sociale », caractéristique de
l’individualisme méthodologique cher à R. Boudon. On remarquera cependant la remarque
finale de M. Duru-Bellat réintroduisant le poids des variables culturelles collectives. Enfin,
le document 3 permet de mesurer l’importance de l’homogamie. Il faut faire quelques additions simples entre catégories proches (par exemple ouvriers-employés) pour obtenir des
données pertinentes.
85
Sujet 11 | Corrigé
Mobilisation des connaissances
1 La flexibilité du travail peut revêtir diverses formes qui sont présentées, par ses partisans,
comme devant permettre un meilleur fonctionnement du marché du travail et un ajustement plus
efficace de l’offre et la demande de travail. La flexibilité désigne l’ensemble des modalités qui
permettent aux employeurs d’ajuster l’utilisation de leur main-d’œuvre aux évolutions de la production, et donc de la demande. Le développement des emplois atypiques, par exemple, permet
d’éviter les sureffectifs, et donc d’adapter strictement l’emploi aux besoins actuels ; ainsi cela réduit les coûts salariaux inutiles et préserve la compétitivité-prix des entreprises, ce qui peut les
conduire à conserver, voire à améliorer, leur part de marché et à éviter les licenciements. Le développement de la flexibilité qualitative, la polyvalence, permet à l’entreprise de conserver ses
salariés en les affectant à d’autres postes de travail nécessitant de nouvelles qualifications. Enfin, la flexibilité salariale peut contribuer à la survie financière de l’entreprise lors d’une baisse
conjoncturelle d’activité et préserve ainsi l’emploi.
2 Une politique protectionniste consiste à dresser, vis-à-vis des importations étrangères, des barrières tarifaires (droits de douane) ou non tarifaires (quotas, normes sanitaires ou administratives)
destinées à empêcher ou à freiner l’entrée des marchandises étrangères sur le territoire national, de
façon à protéger les producteurs locaux. Les effets du protectionnisme sont généralement négatifs
pour les consommateurs, qui se voient privés de l’accès à une offre plus diversifiée et ne profitent
pas de la baisse des prix que permet le plus souvent l’intensification de la concurrence. Un risque
plus global est celui d’éventuelles représailles de la part des pays pénalisés par ces mesures de protection, ceux-ci pouvant être, à leur tour, tentés par des mesures protectionnistes du même type.
Enfin, la limitation de la concurrence engendrée par une politique protectionniste peut freiner les
gains de productivité et l’innovation.
Étude d’un document
Ce tableau statistique, publié par l’Insee en septembre 2013, concerne les personnes vivant en
France métropolitaine en 2011 et présente trois indicateurs par classes d’âge ; le niveau de vie
médian d’une part, le taux de pauvreté (ici à 60 % du revenu médian) d’autre part, et enfin le
statut d’activité. L’ensemble de ces indicateurs met en relief la situation de fragilité économique
dans laquelle se trouvent globalement les jeunes aujourd’hui.
En premier lieu, on constate une part élevée d’inactifs (32,3 % de la classe d’âge), correspondant
pour l’essentiel à la poursuite désormais allongée des études. Le chômage, cependant, touche
particulièrement cette classe d’âge : 12,2 % des jeunes étant chômeurs (contre 6,9 % pour les
30-49 ans). La conséquence logique de ces deux observations est un taux d’emploi peu élevé
(55,4 %) comparé à celui des 30-49 ans (82,3 %).
Les 18-29 ans ont, par ailleurs, des niveaux de vie sensiblement inférieurs au reste de la population : 50 % d’entre eux disposent de moins de 18 150 euros annuels par unité de consommation
contre 20 000 euros de revenu médian pour l’ensemble de la population et 20 680 euros pour les
plus de 50 ans. L’effet d’âge joue donc un rôle majeur aujourd’hui dans les situations de pauvreté, ce que confirme la surreprésentation des jeunes sous le seuil de pauvreté : près de 20 % des
86
Sujet 11 | Corrigé
18-29 ans sont pauvres, contre 12,7 % de l’ensemble de la population et 10,1 % des plus de 50 ans.
L’ensemble de ces données confirme la grande insécurité économique dans laquelle vit aujourd’hui, en France, une fraction importante des jeunes générations.
Raisonnement s’appuyant sur un dossier documentaire
La mobilité sociale intergénérationnelle se définit comme la possibilité, pour un individu, d’atteindre dans la hiérarchie des statuts sociaux une position différente de celle qu’occupaient ses
parents, le statut du père étant généralement retenu comme élément de référence. Or l’observation des faits et l’analyse des mécanismes de la reproduction sociale des statuts semblent montrer
que la famille peut être un frein à la mobilité sociale, essentiellement par le rôle des « capitaux »
qu’elle transmet et par les stratégies qu’elle développe.
Un premier point remarquable est la « transmission sociale des diplômes » comme support principal de la reproduction sociale : les études montrent en effet que l’impact du capital culturel détenu
par les parents (pour simplifier, leur niveau de diplôme) a une énorme influence sur le niveau de
diplôme obtenu par les enfants. Le document 1 confirme que les écarts de probabilité d’accès à un
diplôme de 2e ou 3e cycle universitaire sont considérables selon le niveau scolaire des parents :
en 2003, probabilité de 6 % pour les enfants de parents sans diplôme, contre 58 % pour les enfants
d’au moins un diplômé du « supérieur long ». Ces écarts se sont d’ailleurs accrus, de 37 points
à 52 points, entre 1993 et 2003. La reproduction scolaire est donc persistante, d’autant que le diplôme d’études supérieures joue aujourd’hui un rôle accru de « sésame » vers les emplois qualifiés
à haut prestige social. Aux deux extrêmes de l’échelle sociale, et malgré la massification des titres
scolaires, le poids du capital culturel n’a rien perdu de son importance.
Cependant, il faut s’interroger sur les mécanismes producteurs de cette persistance de la rigidité sociale des carrières et des statuts sociaux. Pour l’école de l’individualisme méthodologique,
évoquée par le document 2, l’explication doit être recherchée dans les logiques des stratégies
familiales face aux choix d’orientation scolaire : les familles, selon le sociologue R. Boudon,
se comportent en acteurs rationnels, en comparant les avantages attendus d’un parcours scolaire
(« rendement » du diplôme obtenu) avec les risques et les coûts de ce parcours. Or, cette structure
de décision se joue de manière différenciée selon la position sociale des familles. Les familles
aisées sous-estiment les coûts et les risques et surestiment les avantages, donc orientent leurs enfants vers les parcours les plus ambitieux, alors que les familles des classes populaires, à l’inverse,
privilégient les études courtes, plus immédiatement « rentables » et moins risquées. Notons cependant que la sociologue M. Duru-Bellat conclut que cette explication, confirmée par certaines
observations, n’exclut pas la prise en compte des héritages économique et culturel que l’analyse
de P. Bourdieu a développée.
Enfin, il faut aussi évoquer, dans l’inertie intergénérationnelle des positions sociales, l’influence
de l’homogamie sociale et des pesanteurs qu’elle entraîne. Ainsi, on constate (document 3) que
74 % environ des ouvriers en 1999 avaient une conjointe ouvrière ou employée, et que la « mésalliance » avec une conjointe CPIS ne concernait que 1,3 % d’entre eux. À l’inverse, les alliances
conjugales des hommes cadres et professions intellectuelles supérieures se concluent, pour plus
de la moitié (52,5 %), avec des conjointes elles-mêmes CPIS ou professions intermédiaires. On
87
Sujet 11 | Corrigé
peut raisonnablement penser que cette absence de « brassage matrimonial » conduit à des modes
de socialisation des enfants tendant à reproduire les systèmes de valeurs et les normes plutôt qu’à
les faire évoluer.
Au final, la faible mobilité sociale que connaissent nos sociétés, notamment la société française,
peut en partie s’expliquer par le rôle des familles, même si d’autres facteurs doivent évidemment
être pris en compte pour comprendre la persistance de ce phénomène.
88
Sujet 12, épreuve composée
Amérique du Nord, mai 2013, enseignement spécifique
Mobilisation des connaissances
1 Présentez les trois types d’instruments d’une politique climatique.
2 Montrez que le paradoxe d’Anderson peut mettre en évidence une forme de déclassement.
La première question est très classique et appelle à une description ordonnée de la panoplie
des moyens de mise en œuvre des politiques climatiques. Il faut donc reprendre les trois
grands axes (réglementation, fiscalité, marché des quotas), en expliquant brièvement, pour
chacun d’entre eux, à quelle logique l’instrument obéit. L’intitulé de la question ne demande
pas de porter un jugement sur chacun de ces instruments. On peut, en revanche, citer un ou
deux exemples concrets pour les illustrer.
La deuxième question porte sur une notion importante du thème de la mobilité sociale.
L’étude d’Anderson remonte à 1961, mais ses conclusions restent d’actualité. Il faut mettre
en évidence le paradoxe et justifier le choix de ce terme en soulignant que la réussite scolaire n’est plus aujourd’hui un passeport pour l’ascension sociale. La conclusion d’Anderson peut être confrontée à l’analyse qu’a faite R. Boudon des contradictions apparentes du
fonctionnement de l’école. Le terme de « déclassement » est plus récent dans la réflexion
sociologique sur la mobilité et peut être défini comme un sentiment de désillusion à l’égard
des attentes dont le diplôme scolaire est porteur.
Étude d’un document
Vous présenterez le document, puis identifierez les sources de la croissance
économique selon les pays sur la période 1985-2010.
Taux de croissance annuels moyens, 1985-2010 (en %)
France
Irlande
États-Unis
Italie
Belgique
Corée du Sud
PIB
1,8
4,4
2,6
1,4
2,3
6,1
Facteur capital
0,7
0,9
0,9
0,8
0,7
1,7
Facteur travail
0,2
0,9
0,7
0,2
0,2
0,6
PGF 1
1,0
2,7
1,1
0,4
1,3
3,8
Source : d’après OCDE, 2012.
1. PGF : productivité globale des facteurs.
89
Sujet 12 | Énoncé
Le tableau statistique décompose les taux de croissance du PIB obtenus par six pays sur la
période étudiée : il s’agit d’identifier et de mesurer les différentes sources de la croissance
économique. Montrez que l’augmentation du PIB n’obéit pas aux mêmes « ressorts » selon
les pays. On peut, à propos des États-Unis et de l’Italie, mobiliser la notion de croissance
extensive (assise sur l’accroissement des quantités de travail et de capital) et, pour les autres
pays, celle de croissance intensive, issue du progrès technique. La productivité globale des
facteurs mesure l’effet de l’amélioration qualitative de la combinaison de production.
Raisonnement s’appuyant sur un dossier documentaire
À l’aide de vos connaissances et du dossier documentaire, vous montrerez
que les conflits sociaux peuvent favoriser la cohésion sociale.
› Document
1
[Certains] engagements ne sont pas guidés par la poursuite d’un intérêt individuel, mais par une
forme d’altruisme 2 [...] Les mouvements sociaux offrent aux individus qui les rejoignent non seulement la confirmation qu’ils agissent conformément à leurs normes et valeurs morales, mais ils leur
offrent l’occasion de le faire dans et par la rencontre avec d’autres qui partagent ces mêmes normes
et valeurs. L’engagement militant, comme le vote, apparaît comme une manière d’affirmer son
identification à un groupe par la revendication et la mise en œuvre de son code moral. [...]
Le réconfort de ne pas être seul mais d’appartenir à un groupe qui partage les mêmes valeurs que
soi, le sentiment valorisant d’avoir raison contre les autres, le plaisir retiré de l’activité militante...
sont des dimensions souvent sous-estimées, mais pourtant décisives, de l’engagement, au-delà et
parfois avant même l’obtention des revendications exprimées.
Source : Lilian Mathieu, Comment lutter ? Sociologie et mouvements sociaux, 2004.
› Document
2
Sur des questions comme celles de l’environnement, des rapports entre sexes, des solidarités NordSud, les mouvements sociaux ont joué un rôle pionnier pour introduire dans les débats publics des
questions nouvelles, pousser les représentants élus à prendre la mesure d’enjeux collectifs. [...]
Les mouvements sociaux suggèrent [...] la montée d’une exigence de fonctionnement en continu
des mécanismes démocratiques. Ils sont porteurs d’une intervention permanente des citoyens sur
les enjeux que ceux-ci considèrent comme ayant un impact sensible sur leur vie quotidienne. Parce
qu’ils expriment des préoccupations directement vécues, parce qu’ils supposent une forme d’engagement personnel et concret sur un enjeu, les mouvements sociaux participent de façon au moins
aussi significative à ce mouvement de refus d’une démocratie exclusivement ramenée à l’échéance
électorale.
Source : Érik Neveu, Les Mutations de la société française, 2007.
2. Altruisme : capacité à se tourner vers les autres.
90
Sujet 12 | Énoncé
› Document
3
Négociations collectives et grèves dans les entreprises de 10 salariés ou plus en 2009
par branches professionnelles* en France
Branches professionnelles 3
Secteur sous statut 4
Banques, établissements
financiers et assurances
Métallurgie et sidérurgie
Secteur sanitaire et social
Agroalimentaire
Ensemble
Proportion d’entreprises
ayant connu une grève
en 2009 (en %)
32,3
8,4
Proportion d’entreprises
ayant engagé une
négociation en 2009 (en %)
71,3
34,7
5,0 5
3,9
1,8
2,2
26,3
19,2
15,3
15,8
Source : DARES, 2011.
Le sujet est à contre-courant de la vision du conflit social comme pathologie du lien social. Il
ne faut donc pas développer la vision durkheimienne du conflit anomique fragilisant l’ordre
social, mais cette vision peut servir de référence rapide pour souligner, par contraste, les
conceptions alternatives du conflit social qui le considèrent comme normal et comme participant à la cohésion sociale. Les différents arguments à développer pour justifier ce point
de vue doivent mettre en évidence la fonction pacificatrice du conflit social en soulignant le
paradoxe que cela constitue. Il peut être judicieux de distinguer les effets « macro-sociaux »
et « micro-sociaux » des conflits : d’une part, sur la vie sociale globale, à travers les procédures de négociation et l’institutionnalisation des modalités de règlements des mouvements
sociaux et, d’autre part, sur le fonctionnement interne des petits groupes sociaux impliqués
dans une situation conflictuelle ainsi que sur les individus qui y sont engagés (socialisation,
sociabilité, renforcement des solidarités, etc.). Le document 1 développe cette dimension
individuelle de l’impact moral du conflit, alors que le document 3 montre les liens entre le
recours à la grève et la fréquence des négociations sociales. Le document 2 revient sur la dimension « politique » des conflits sociaux, instruments de conscientisation et d’engagement
du citoyen dans une démocratie.
3. Une branche professionnelle regroupe des entreprises ou des fractions d’entreprise produisant le même type de
produits.
4. Les secteurs sous statut regroupent des entreprises dont une majorité de salariés voient leur situation salariale
encadrée par des statuts propres à leur entreprise et liée à un passé d’établissement public.
5. Lecture : 5 % des entreprises de 10 salariés ou plus de la branche professionnelle « métallurgie et sidérurgie »
ont connu une grève en 2009 ; par ailleurs 26,3 % des entreprises de 10 salariés ou plus de cette branche ont engagé
une négociation collective en 2009.
91
Sujet 12 | Corrigé
Mobilisation des connaissances
1 Une politique climatique peut s’organiser autour de trois grandes catégories d’instruments : la
réglementation, la fiscalité, le marché des droits à polluer. Le plus souvent, les États combinent
ces trois types d’instruments dans des proportions variables.
La réglementation consiste à édicter des normes environnementales qui peuvent aller de l’interdiction pure et simple d’un produit ou d’un mode de production à la fixation de limites aux émissions
de gaz à effet de serre (GES) : interdiction du gaz fréon, obligation des pots catalytiques sur les
voitures ou encore limitation de la vitesse automobile en cas de pic de pollution.
Les écotaxes ont pour objectif de modifier les comportements de production et de consommation
à partir d’un signal-prix envoyé aux acteurs économiques. Elles s’appuient sur le principe du
pollueur-payeur en internalisant les externalités négatives de certaines pratiques : la taxe est alors
supposée compenser le « coût social » de la pollution. La taxe carbone ou le bonus-malus pour les
voitures appartiennent à cette catégorie d’instruments.
Le marché des quotas d’émission de GES consiste à attribuer à chaque site industriel important des
quotas de droits d’émission, calculés à partir d’un volume global de pollution acceptable. Chaque
site peut alors revendre ou acheter des droits selon qu’il ne les utilise pas entièrement ou qu’il
a épuisé les siens. Le prix est, ici aussi, censé avoir un effet sur les comportements puisque les
entreprises « vertueuses » encaissent des recettes supplémentaires en revendant leurs droits, alors
que les entreprises polluantes sont pénalisées en étant contraintes d’en acheter.
2 Le sociologue américain C. Anderson a mis en évidence le fait que, pour une personne, obtenir
un diplôme de niveau supérieur à celui obtenu par ses parents ne garantit pas l’accès à un statut
professionnel et social plus élevé. Une autre manière de formuler ce paradoxe consiste à dire que,
d’une génération à la suivante, l’accès à une même position sociale exige souvent l’obtention d’un
niveau de diplôme plus élevé. Ce paradoxe s’expliquerait, selon le sociologue français R. Boudon,
par le fait que « l’inflation » des diplômes entre les deux générations leur fait perdre leur valeur
relative et diminue donc le « rendement social » du diplôme. Cette réalité alimente, pour une partie
des générations montantes, un sentiment de déclassement social et de désillusion par rapport au
statut familial d’origine. Selon C. Peugny, ce déclassement toucherait aujourd’hui environ un quart
de la génération des 30-40 ans.
Étude d’un document
Ce tableau statistique, publié en 2012 par l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), met en parallèle, pour six pays, la performance économique annuelle moyenne
entre 1985 et 2010 (sous la forme du taux de croissance annuel moyen du PIB) et le taux de croissance annuel moyen des différents facteurs qui ont contribué à ce résultat, l’accroissement des
quantités de facteurs (capital et travail) mises en œuvre et la productivité globale des facteurs.
Ce dernier élément recouvre ce qu’on appelle communément le « progrès technique », c’est-àdire l’amélioration qualitative de la combinaison productive, à travers les innovations en capital
technique et l’élévation de l’efficacité de la main-d’œuvre.
Dans quatre des pays cités (France, Irlande, Belgique et Corée du Sud), plus de la moitié de la crois92
Sujet 12 | Corrigé
sance économique observée provient de facteurs qualitatifs, de la progression de la productivité
globale des facteurs. Seuls les États-Unis et l’Italie connaissent une croissance majoritairement
issue de l’accroissement des quantités de facteurs mis en œuvre, une croissance plus extensive.
On remarque que la Corée du Sud est à la fois le pays où la croissance est significativement la plus
forte sur cette période (6,1 % par an en moyenne) et celui où elle est la plus intensive (le progrès
technique y explique plus des 2/3 de la croissance). À l’inverse, l’Italie cumule la croissance la
plus faible et la moins intensive.
Raisonnement s’appuyant sur un dossier documentaire
Le conflit social peut, dans une première approche, apparaître comme le signe d’un défaut de la
cohésion sociale et un risque de rupture de la solidarité qui soude le corps social. Mais il peut aussi
être analysé comme un élément nécessaire de la vie collective, porteur d’un renforcement de la
cohésion sociale.
Une première fonction du conflit social consiste dans la mise au jour des tensions latentes qui
peuvent opposer certains groupes sociaux entre eux : le conflit a alors un premier effet d’identification, par chacun des protagonistes, des groupes auxquels il se confronte et de leurs stratégies.
Ainsi, dans un conflit du travail portant, par exemple, sur des réductions d’effectifs, la logique des
salariés menacés vient se confronter à la logique des managers et des actionnaires. Le conflit agit
alors comme un révélateur des antagonismes de points de vue, ce qu’A. Touraine résume par la
formule : « Le conflit fait surgir l’adversaire. » Cette première étape de reconnaissance mutuelle
est nécessaire à l’ouverture de procédures de compromis et à une résolution des tensions.
Dans un deuxième temps, le conflit peut jouer son rôle de régulateur social, en fonction du rapport des forces en présence. La plupart des conflits sociaux donnent lieu, après la phase de la
confrontation, à des procédures de négociation, de recherche de compromis au travers d’instances
d’arbitrage (négociations syndicales, médiation des pouvoirs publics ou d’autres pouvoirs institutionnels). Ce processus « d’apprivoisement » conduit souvent à un « donnant-donnant » dans
lequel s’échangent une reconnaissance et une participation au débat contre un encadrement des
revendications. En cela, le conflit peut déboucher sur un apaisement au moins partiel des tensions.
Cette fonction d’incitation à la négociation est mise en évidence par le document 3 : on constate
en effet un parallélisme marqué entre la fréquence des grèves dans les branches professionnelles
et l’ouverture de négociations collectives.
Plus globalement, cette imbrication du conflit et de la négociation a conduit, historiquement, à
une institutionnalisation des mouvements sociaux et à l’émergence d’instances reconnues et officielles d’arbitrage et de négociation, fonctionnant selon des règles peu à peu admises par tous
les protagonistes. En cela, le conflit peut avoir une fonction régulatrice qui peut conduire à une
certaine pacification des relations sociales.
Enfin, le conflit social a, à l’échelle micro-sociale, une fonction de socialisation extrêmement importante : le sociologue G. Simmel a particulièrement insisté sur les transformations que le conflit
engendre chez ceux qui y participent. Il renforce la cohésion interne des groupes en lutte en y développant des liens de solidarité. Le document 3 reprend cette dimension morale du conflit : il permet
la rencontre et le partage de normes sociales communes, l’identification de chacun au groupe à
93
Sujet 12 | Corrigé
travers le renforcement du sentiment d’appartenance, et il est l’occasion de faire apparaître, entre
les membres du groupe, de nouvelles formes de sociabilité.
Contrairement à la vision assez pessimiste qu’en avait É. Durkheim, le conflit n’est donc pas
nécessairement le signe d’une désagrégation du lien social. S’il est parfois le révélateur d’une
fracture culturelle (mai 1968 ou l’opposition récente au mariage homosexuel), il agit aussi comme
une « soupape de sécurité » qui permet la régulation des tensions latentes. Il est alors souvent
le déclencheur de transformations sociétales et du changement social, et il est indissociable du
quotidien d’une société démocratique.
94
Sujet 13, épreuve composée
Inde, avril 2013, enseignement spécifique
Mobilisation des connaissances
1 Montrez que le PIB ne permet pas d’évaluer la soutenabilité de la croissance.
2 En quoi les conflits sociaux peuvent-ils être considérés comme une forme de pathologie ?
La première question concerne la partie du programme consacrée aux effets de la croissance
sur le caractère durable (ou soutenable) du développement économique. Il faut évidemment
bien connaître cette notion importante et l’expliciter. Il s’agit de rappeler que le mode de
calcul du principal indicateur de l’activité économique, le PIB, est l’objet de critiques parce
qu’il ne prend pas en compte l’impact négatif de la production des richesses sur le stock
de capital naturel disponible : il y a essentiellement deux atteintes à mettre en évidence,
l’épuisement des ressources naturelles et les effets de la pollution.
Sur la deuxième question, il faut centrer la réponse sur la notion de pathologie sociale, de
dysfonctionnement grave des relations sociales, alors que le programme, bien que ne négligeant pas cette approche, privilégie souvent la fonction « régulatrice » du conflit. La
référence au concept durkheimien d’anomie (« perte de repères normatifs ») est ici adaptée. On pourra illustrer cette analyse du conflit par des exemples pertinents puisés dans
l’actualité récente.
Étude d’un document
Après avoir présenté le document, vous comparerez les évolutions de l’activité économique dans les différentes zones géographiques.
Croissance annuelle du PIB en volume entre 1999 et 2012 (en %)
Monde
États-Unis
Zone euro
Japon
Moyenne annuelle 1999-2008
3,8
2,5
2,1
1,2
2009
− 1,2
− 3,5
− 4,2
− 6,3
2010
5,0
3,0
1,8
4,1
2011
3,8
1,7
1,6
− 0,3
2012 (prévisions)
3,4
2,0
0,2
2,0
Source : Perspectives économiques de l’OCDE, n° 90, 2011.
Le tableau statistique proposé ne présente pas de difficultés particulières, mais il importe
de préciser, dans sa présentation initiale, le sens de l’expression « en volume » (c’est-à-dire
« après élimination de l’effet des variations de prix »). Par ailleurs, il faut faire attention aux
valeurs de la colonne 1999-2008 : ce sont des taux de variation annuels moyens pour cette
période, alors que les colonnes suivantes donnent les taux annuels effectivement observés,
95
Sujet 13 | Énoncé
année par année. L’idée générale est, d’une part, de confronter la croissance de ces trois
zones développées à la croissance mondiale et de mettre en évidence le retard pris par ces
trois zones, d’autre part, de différencier l’évolution de chacun de ces trois sous-ensembles,
notamment face à la crise financière de 2007-2008.
Raisonnement s’appuyant sur un dossier documentaire
À l’aide de vos connaissances et du dossier documentaire, vous montrerez
par quels moyens les pouvoirs publics mettent en œuvre la redistribution.
› Document
1
Montants moyens des prélèvements et des prestations en 2010 (en euros)
Revenu avant redistribution (A)
PRÉLÈVEMENTS
Financement de la protection sociale
dont :
Cotisations sociales
Impôts directs 1
dont :
Impôts sur le revenu et prime pour l’emploi 2
PRESTATIONS
dont :
Prestations familiales
Aides au logement
Minima sociaux
Revenu disponible (revenu après
redistribution) (B)
Taux de redistribution (B − A)/A en %
Revenus moyens par unité de consommation 0
Q1
Q2
Q3
Q4
Q5
7 400
15 489
21 191
28 243
53 582
− 440 − 1 258 − 2 466 − 4 129 − 10 621
− 521
− 1 204 − 2 021 − 2 989 − 5 803
− 366
81
− 846
− 54
− 1 429
− 446
− 2 158
− 1 140
− 3 979
− 4 817
136
4 332
131
1 418
− 153
1 067
− 764
819
− 4 273
600
1 522
1 284
1 237
11 293
851
269
175
15 649
834
102
73
19 792
705
42
46
24 933
543
20
25
43 561
52,6
1,0
− 6,6
− 11,7
− 18,7
Source : d’après Insee, « France Portrait social 2011 ».
1. Revenus moyens par unité de consommation par quantile : l’ensemble des ménages a été réparti dans cinq catégories de taille égale (20 % des ménages) ordonnées selon le revenu. Q1 : 20 % des plus modestes. Q5 : 20 % des
plus riches.
2. Impôts directs : impôts payés directement par le contribuable.
3. Les ménages à bas revenu ne payant pas d’impôts sur le revenu peuvent bénéficier de versements au titre de
« crédits d’impôts » et de la « prime pour l’emploi » versée aux actifs occupés ayant perçu des revenus professionnels
en dessous d’un certain seuil de revenu.
96
Sujet 13 | Énoncé
› Document
2
L’enseignement est le domaine le mieux documenté pour évaluer les effets redistributifs de la fourniture de biens [collectifs] financés par l’impôt. Nous connaissons en effet la scolarisation au sein
des familles, et les dépenses d’éducation sont facilement identifiables au sein des administrations
publiques. Qu’observe-t-on ?
Les dépenses d’éducation opèrent évidemment une redistribution horizontale, des ménages sans
enfants vers les ménages avec enfants, à niveau de revenu équivalent.
Mais elles opèrent également une redistribution verticale entre les familles, selon le niveau de revenu. En effet, le nombre moyen d’enfant par famille, et la durée moyenne de scolarisation diffèrent
singulièrement selon le niveau de revenu. Si l’on découpe les ménages par niveau de revenu, on
trouve plus de familles avec enfants en bas âge dans les déciles inférieurs. Les raisons sont multiples.
Les revenus d’activité sont généralement croissants avec l’âge ainsi que les revenus du patrimoine.
Les hauts déciles comportent ainsi davantage de ménages plus âgés. Par ailleurs, notamment pour
les retraités, les enfants ne sont plus à charge. [...]
Il s’y ajoute le fait qu’à même niveau de revenu initial, les familles avec enfants seront, mécaniquement, placées plus bas en termes de revenu par équivalent adulte. La scolarisation étant obligatoire,
et les dépenses d’éducation étant relativement fortes en France dans le primaire et le secondaire, il
apparaît que les dépenses d’éducation liées à la scolarisation jusqu’à 16 ans sont plutôt redistributives. [...]
Par le même jeu d’effets de structure, [...] il apparaît à l’inverse que les dépenses d’éducation post-obligatoire 4 , et en particulier les dépenses d’enseignement supérieur, sont plutôt antiredistributives, les enfants de ménages pauvres ayant un accès à l’enseignement supérieur beaucoup
plus faible que ceux des ménages riches. Les dépenses prises dans leur ensemble, enseignements
primaire, secondaire et supérieur, sont néanmoins, en définitive, plutôt redistributives.
Source : C. Landais, « Comment fonctionne vraiment la grande machine à redistribuer ? », Regards croisés sur
l’économie, 2007.
Le sujet concerne le thème « Justice sociale et inégalités » et porte sur les moyens par
lesquels les pouvoirs publics peuvent agir sur les inégalités par les mécanismes de la redistribution. Les documents explorent les deux principales facettes de ces mécanismes :
la redistribution monétaire (les prélèvements et les prestations) et la redistribution sous la
forme des services publics.
Le premier document dresse un bilan de la redistribution monétaire en comparant ses effets
sur les cinq quantiles (un quantile rassemble ici 20 % des ménages), des plus modestes aux
plus aisés. On voit nettement l’efficacité globale de cette redistribution, notamment à partir
des deux dernières lignes du tableau, montrant, pour chaque quantile, s’il est « gagnant »
(les deux premiers) ou « perdant » (les trois suivants).
Le document 2 focalise l’analyse sur un service public particulier, l’enseignement : profite-til à toutes les catégories sociales ? La conclusion de l’auteur est différenciée selon le niveau
d’enseignement (obligatoire ou post-obligatoire).
4. Éducation post-obligatoire : formation au-delà de l’âge de scolarisation obligatoire (16 ans).
97
Sujet 13 | Énoncé
Il faut, dans l’organisation de la réponse, marquer la différence entre les deux mécanismes
de redistribution (monétaire et non monétaire) et faire référence aux deux axes de la redistribution : l’axe horizontal (des bien-portants vers les malades, des actifs occupés vers
les chômeurs, des jeunes vers les personnes âgées, etc.) et l’axe vertical (des ménages aisés vers les ménages modestes). Pour la facette « services publics », on pourra approfondir
l’exemple de l’enseignement en s’appuyant sur le document 2, mais il faut d’abord présenter globalement la redistribution par les biens collectifs en variant les exemples (hôpitaux
publics, services de police, bibliothèques publiques, etc.). Enfin, il ne faut pas oublier de
synthétiser la présentation par une ou deux phrases de bilan.
98
Sujet 13 | Corrigé
Mobilisation des connaissances
1 Le produit intérieur brut (PIB), principal indicateur de l’activité économique d’un pays, est
souvent critiqué pour son inadaptation à rendre compte du caractère soutenable de la croissance,
c’est-à-dire de la préservation des capacités des générations futures à faire face à leurs propres
besoins. Le PIB se définit comme la somme des valeurs ajoutées réalisées par les agents économiques résidents dans un pays (PIB marchand), somme à laquelle s’additionne la valeur des
services non marchands produits par les administrations et les institutions sans but lucratif au service des ménages. Mais la soutenabilité de la croissance suppose que la satisfaction des besoins
des générations futures ne soient pas limitée par les atteintes à l’environnement occasionnées par
la croissance elle-même : les dommages au « capital naturel » disponible pour l’humanité ne
sont pas prises en compte dans le calcul de la richesse créée. L’exploitation des ressources non
renouvelables (comme les hydrocarbures ou les minerais), la surexploitation des ressources renouvelables (forêts, ressources halieutiques), la production de déchets toxiques, la pollution de l’air,
les émissions de gaz à effet de serre ne font pas, dans le calcul du PIB, l’objet d’une soustraction
correspondant à la perte de valeur qu’elles engendrent. Ainsi, notre modèle de croissance n’est pas
soutenable à long terme puisqu’il prélève des ressources de manière irréversible. Certaines de ces
ressources peuvent être remplacées par du capital technique produit par l’homme, mais d’autres
sont en voie d’épuisement et de disparition définitive.
2 Les conflits sociaux mettent en opposition des acteurs sociaux se mobilisant pour la défense de
leurs intérêts. Ces intérêts peuvent être matériels (rémunérations, conditions de travail, etc.) et/ ou
statutaires (niveau de considération, pouvoir, reconnaissance sociale, prestige, etc.). Si certaines
analyses mettent l’accent sur leur caractère « d’avertisseur » et de « régulateur » des tensions
sociales, voire le moteur des transformations sociétales, on peut aussi se demander s’ils ne sont
pas parfois les manifestations d’une « pathologie sociale » au sens d’une désintégration partielle
du lien social et de divergences fortes de la part de telle ou telle partie du corps social sur les
valeurs qui conditionnent le « vivre-ensemble ». É. Durkheim a décelé, dans certaines formes
anomiques de la division du travail, les germes d’une conflictualité qui peut porter atteinte à la
cohésion sociale, en marginalisant certains éléments du corps social qui ne se reconnaissent plus
dans les valeurs des sociétés modernes. Ces personnes ou ces groupes ne se sentent plus « partie
prenante » dans la solidarité organique qui, selon Durkheim, assure la solidité des relations sociales. Pour illustrer cette perte de repères, on peut mobiliser les exemples de conflits du travail
récents débouchant sur des actes « désespérés » de la part des salariés en lutte, actes qui ont une
signification de protestation ultime plus que de stratégie de négociation (séquestration de cadres
dirigeants, destruction de l’outil de travail, menaces d’actes violents médiatisés, etc.).
Sur un autre registre, les violentes controverses et les affrontements à l’occasion du vote de la
loi sur le « mariage pour tous » témoignent d’une rupture profonde d’une partie de l’opinion à
l’égard du système de valeurs majoritairement admis en France. Cette fracture idéologique n’est
pas superficielle et révèle des dissensions qu’on peut considérer comme pathologiques pour la
société toute entière.
99
Sujet 13 | Corrigé
Étude d’un document
Ce document publié par l’Organisation de coopération et de développement économique compare
la croissance du produit intérieur brut dans trois régions du monde appartenant toutes aux économies développées, d’une part sur la période 1999-2008 en moyenne annuelle, d’autre part année
par année entre 2009 et 2012. Ces statistiques portent sur la croissance du PIB « en volume »,
c’est-à-dire « déduction faite de la hausse des prix ».
Pour la période 1999-2008, on constate que la croissance annuelle moyenne du PIB a été plus
faible dans les trois zones (États-Unis, Japon, zone euro) que la croissance mondiale. Le bilan est
particulièrement médiocre pour le Japon, qui, durant cette période, n’a connu qu’une croissance
ralentie (taux annuel moyen de 1,2 %). La croissance de l’économie américaine, bien qu’inférieure à la croissance mondiale, a été légèrement supérieure à celle de la zone euro (2,5 % par an,
contre 2,1 %).
Mais, par la suite, la crise financière des années 2007-2008 a eu, pour ces trois régions, des répercussions très négatives sur l’économie réelle : dans un monde globalement en stagnation en
2009, la récession a été très sévère au Japon et dans la zone euro (recul du PIB de plus de 6 % au
Japon, de plus de 4 % en zone euro). En 2010, à partir d’une situation dégradée, on a constaté un
certain rebond de la croissance, rebond qui est en fait essentiellement une récupération partielle
de la récession antérieure.
L’économie américaine, bien que touchée elle aussi par la récession de 2009, se rétablit ensuite de
manière plus dynamique, alors que la zone euro, en croissance faible en 2010 et 2011 (+ 1,8 % puis
+ 1,6 %) s’achemine vers la stagnation économique en 2012 (situation qui se prolonge d’ailleurs
en 2013). Les premiers signes d’un redémarrage des économies américaine et japonaise sont cependant perceptibles en 2012.
Le bilan d’ensemble sur cette période fait apparaître que ces trois zones majeures de l’économie
mondiale perdent du terrain par rapport à la croissance mondiale, en particulier vis-à-vis des pays
émergents.
Raisonnement s’appuyant sur un dossier documentaire
Les sociétés démocratiques ont inscrit au rang de priorité sociale la nécessité d’opérer, au sein
de leur population, une certaine redistribution des richesses. L’intensité de cette redistribution est
cependant très variable d’un pays à un autre, traditionnellement moins forte aux États-Unis ou au
Japon, plus importante en Europe, en particulier dans les pays d’Europe du Nord. Ces mécanismes
de redistribution s’inspirent de l’objectif de réduction des inégalités économiques et sociales et
s’appuient sur deux grands instruments, l’un monétaire, par le biais des prélèvements obligatoires
et des prestations sociales, l’autre « en nature », par la fourniture de biens collectifs dans le cadre
des services publics.
La redistribution monétaire a des effets horizontaux. Par exemple, les cotisations d’assurancemaladie versées par les actifs et retraités servent à rembourser les soins aux malades, les cotisations retraite des actifs à payer les pensions, les cotisations chômage à indemniser ceux qui ont
perdu leur emploi. Il s’agit donc ici de pallier, par la solidarité collective, les conséquences d’un
« risque social » supporté par certaines personnes.
100
Sujet 13 | Corrigé
Mais la redistribution monétaire a aussi une dimension « verticale » : le système consiste à instituer des prélèvements progressifs en fonction du revenu et à attribuer des prestations de manière
dégressive. Ainsi, le quantile 1 (les 20 % de ménages les plus modestes) subit un taux de prélèvement d’environ 6 % du revenu par unité de consommation (UC), alors que le taux du quantile 5
(les 20 % de ménages les plus aisés) est de l’ordre de 20 %. Dans l’autre sens, les prestations
sont nettement dégressives par rapport au niveau de revenu, le premier quantile étant le principal
bénéficiaire avec 4 332 euros en moyenne par UC, alors que ces prestations chutent à 1 418 euros
dès le deuxième quantile et ne représentent plus que 600 euros par UC pour le quantile le plus
riche : il faut voir ici, notamment, l’effet des minima sociaux (revenu de solidarité active [RSA]
et ASPA [allocation de solidarité aux personnes âgées, ancien « minimum vieillesse »]), ainsi que
des aides différenciées au logement. Pour le quantile 1, ces prestations représentent un supplément
de revenu de plus de 50 % par rapport au revenu initial, alors que pour le quantile 5, ces prestations
ne représentent que 1 % du revenu initial.
Si l’on fait un bilan global des deux facettes de la redistribution monétaire, on constate qu’elles
fonctionnent essentiellement au profit des 20 % de ménages les plus modestes, en multipliant le
revenu initial par plus de 1,5 (+ 52 % de taux de redistribution). Le 2e quantile n’est que faiblement
bénéficiaire de ces mécanismes en y gagnant 1 % de revenu supplémentaire. Pour les trois autres
quantiles, le bilan de la redistribution est négatif, et il l’est d’autant plus qu’on appartient à une
catégorie de ménages aisés.
Mais il existe un autre « canal » de redistribution entre les citoyens d’un pays : le canal des biens
collectifs produits par la puissance publique et mis à la disposition de la population à titre gratuit ou
à un coût inférieur au coût de production, par le biais des services publics. La liste de ces services
dans les pays développés est impressionnante : de l’hôpital public aux services de police, de la
construction et l’entretien du réseau routier gratuit à la justice, de l’enseignement aux services de
lutte contre l’incendie, des musées publics à l’entretien des espaces verts ou à l’éclairage public,
ces biens collectifs sont théoriquement accessibles également à toute la population, gratuitement
ou à coût réduit. Or leur financement par l’impôt (lui-même en partie progressif) conduit à une
forme de redistribution souvent moins identifiée par la population mais qui se révèle importante.
La réalité de la redistribution entre catégories sociales ne fait aucun doute lorsqu’il s’agit de la protection contre l’incendie ou de la défense nationale assurée par l’armée. Cependant, pour certains
de ces « biens », l’analyse de l’effet redistributif mérite plus de nuances : s’ils sont globalement
financés par des prélèvements fiscaux progressifs, les musées publics, par exemple, ne « profitent » pas également à toutes les strates de la population. Les clivages culturels en font des biens
relativement discriminants sur le plan social, même s’il faut admettre la réalité d’une certaine démocratisation de l’usage de ces équipements publics. La question est particulièrement sensible en
ce qui concerne l’enseignement : le document 2 opère sur ce point une distinction entre la scolarisation obligatoire et la scolarisation au-delà de 16 ans. La première semble engendrer des effets
de redistribution sociale puisque les dépenses sont financées (à travers l’impôt) surtout par les
ménages les plus aisés et/ou les moins chargées de famille, alors que le service d’enseignement
scolarise en principe l’ensemble des enfants. Mais le phénomène s’inverse dans l’enseignement
supérieur car les poursuites d’études y sont statistiquement beaucoup plus fréquentes pour les enfants issus de milieux aisés que pour les enfants de milieux pauvres. L’auteur conclut cependant
101
Sujet 13 | Corrigé
sur un effet redistributif global des dépenses d’enseignement.
Les mécanismes de la redistribution ont donc globalement des effets plutôt positifs sur la réduction des inégalités économiques et sociales. Selon les pays, cette efficacité est variable et dépend
assez largement de l’état de l’opinion publique quant à la nécessité de cette redistribution et à la
traduction concrète que l’action politique donne de cet état d’esprit.
102
Sujet 14, épreuve composée
Amérique du Nord, mai 2014, enseignement spécifique
Mobilisation des connaissances
1 Présentez deux avantages du commerce international pour le consommateur.
2 Illustrez par un exemple le caractère cumulatif des inégalités économiques et sociales.
Pour répondre à la première question, il faut distinguer les effets sur les prix et les effets sur
la gamme d’offre.
La deuxièùme question nécessite de commencer par décrire les inégalités économiques,
puis à mettre en relief la manière dont les inégalités sociales, culturelles, voire politiques
créent des effets de renforcement.
Étude d’un document
Vous présenterez le document, puis vous décrirez les évolutions qu’il met
en évidence.
Évolution de la dépense intérieure d’éducation (DIE) en milliards d’euros
et de sa part en pourcentage dans le PIB (1980-2012) en France
Source : ministère de l’Éducation nationale, 2013.
La dépense intérieure d’éducation représente toutes les dépenses effectuées par l’ensemble des
agents économiques, administrations publiques centrales et locales, entreprises et ménages, pour
les activités d’éducation.
103
Sujet 14 | Énoncé
Le document comporte une double échelle, et il faut donc ne pas les confondre. Comme les
valeurs sont exprimées en euros 2012 (donc constants), il est légitime d’effectuer un petit
calcul mental sur l’ensemble de la période pour la DIE en milliards d’euros (ce qui donne
pratiquement un doublement). On isolera les périodes de forte progression et les périodes
de stagnation. Pour ce qui concerne l’évolution de la part en % de la DIE dans le PIB, on
prendra garde à l’effet du rythme de la croissance économique sur le ratio. De ce point
de vue, on pourra faire remarquer que l’effort que la nation consent pour l’éducation n’a
finalement pas significativement augmenté en termes relatifs et qu’il retrouve aujourd’hui
son niveau de la décennie 1980.
Raisonnement s’appuyant sur un dossier documentaire
À l’aide de vos connaissances et du dossier documentaire, vous présenterez les effets des asymétries d’information et de la segmentation du marché du travail sur le fonctionnement de ce marché.
› Document
1
Salaires mensuels médians des salariés à temps plein en 2009 en fonction de l’âge et du diplôme
(en euros)
Hommes
Supérieur long
Supérieur court
Bachelier
CAP/ BEP 2
Brevet 3
Certificat d’études 4
Aucun diplôme
Femmes
Supérieur long
Supérieur court
Bachelier
CAP/ BEP
Brevet
Certificat d’études
Aucun diplôme
15-24 ans
1 470
1 400
1 230
1 200
900
/
1 010
25-34 ans
2 150
1 770
1 560
1 485
1 450
/
1 380
35-44 ans
2 870
2 230
1 900
1 615
1 710
/
1 450
45-54 ans
3 500 1
2 640
2 340
1 780
1 900
1 520
1 500
55-64 ans
3 700
2 920
2 470
1 760
/
1 620
1 500
1 420
1 330
1 110
1 100
/
/
/
1 815
1 550
1 350
1 260
1 280
/
1 190
2 200
1 880
1 550
1 350
1 360
/
1 210
2 500
2 200
1 800
1 450
1 490
1 300
1 250
2 730
2 300
2 040
1 560
1 675
1 300
1 280
Source : ministère de l’Éducation nationale, novembre 2010.
104
Sujet 14 | Énoncé
› Document
2
Le marché du travail est particulièrement affecté par les problèmes d’asymétrie d’information [...].
Par exemple, pour expliquer pourquoi l’effort peut dépendre du salaire alors qu’un contrat de travail
pourrait le déterminer par écrit, il faut faire appel aux asymétries d’information, ici dans le cadre
des modèles d’aléa moral. L’aléa moral [...] est la situation qui découle du comportement opportuniste d’un agent quand son action n’est pas observée par son [supérieur hiérarchique] ou n’est pas
vérifiable par une tierce partie 5 . L’autre aspect des asymétries d’information, l’anti-sélection, se
retrouve quand les caractéristiques des travailleurs ne sont pas observables. Les salariés connaissent
leurs compétences, mais les employeurs les ignorent avant l’embauche. Les compétences des travailleurs sont hétérogènes pour des raisons liées à des caractéristiques inobservées chez les individus, goût pour l’effort, adaptabilité, etc. L’objectif du département du personnel est de sélectionner
les personnes les plus adaptées pour chaque poste compte tenu du salaire offert. L’anti-sélection
jouera donc un rôle également important dans l’analyse du marché du travail. En général, les asymétries d’information impliqueront que les entreprises doivent offrir des salaires supérieurs au salaire [...] qui équilibre l’offre et la demande. Ce salaire plus élevé résout partiellement à la fois le
problème du recrutement et celui des incitations. Si le salaire est plus élevé que celui offert par
les autres entreprises, l’entreprise peut attirer un plus grand nombre de salariés et les sélectionner
en fonction de ses exigences de recrutement. Par exemple, les entreprises leaders sur un marché
par rapport à leurs concurrentes ont comme stratégie d’offrir des salaires d’entrée plus élevés afin
d’attirer les meilleurs, et ainsi rester leaders.
Source : É. Wasmer, Principes de microéconomie, 2010.
› Document
3
Au début des années 1970, Doeringer et Piore 6 (1971) développent la théorie du « dualisme du
marché du travail » et opposent ainsi deux segments qui différencient deux types d’entreprises.
Sur le segment primaire, les salaires sont élevés, les emplois stables et les perspectives de carrière
importantes. Ce secteur est surtout formé de grandes entreprises, qui ont constitué un marché interne
du travail : la promotion des individus, leur carrière et leur rémunération sont déterminées en grande
partie par leur évolution au sein de ce marché interne. [...]
1. Lecture : la moitié des hommes âgés de 45 à 54 ans et diplômés de l’enseignement supérieur long déclare en 2009
percevoir un salaire mensuel net d’au moins 3 500 ¤ (primes mensuelles incluses) et la moitié des femmes âgées
de 45 à 54 ans et diplômées de l’enseignement supérieur long déclare en 2009 percevoir un salaire mensuel net
d’au moins 2 500 ¤ (primes mensuelles incluses).
2. CAP/ BEP : le certificat d’aptitude professionnelle (CAP), le brevet d’études professionnelles (BEP).
3. Brevet : le brevet d’études du premier cycle du second degré a été remplacé par le diplôme national du brevet
(DNB) en 1998.
4. Certificat d’études primaires : le certificat d’études primaires (CEP) était un diplôme sanctionnant la fin de
l’enseignement primaire élémentaire en France. Il a été officiellement supprimé en 1989.
5. Tierce partie : autre personne.
6. Doeringer et Piore : économistes américains.
105
Sujet 14 | Énoncé
Le segment secondaire possède les caractéristiques opposées ; les salaires y sont faibles, les emplois précaires et la rotation importante, et les salariés ne disposent pas, en général, de perspectives
de carrière au sein de l’entreprise. Les entreprises du marché secondaire sont plutôt de petite taille.
Il s’agit donc autant, voire plus, d’une partition 7 entre types d’entreprises qu’entre types d’emploi
puisque ce sont les règles que se donne l’entreprise qui définissent le marché primaire. [...] Un peu
plus tard, les auteurs à l’origine de la théorie du dualisme ainsi que d’autres ont évolué vers une
représentation du marché du travail qui comporte un plus grand nombre de segments et/ ou de types
de marché du travail.
Source : A. Valette-Wursthen, Problèmes économiques, 2013.
Ce sujet est un peu délicat car il exige de bien maîtriser, d’une part, le concept d’asymétrie
de l’information, d’autre part, le concept de segmentation du marché du travail, et d’être
capable de les relier à la théorie de la concurrence pure et parfaite, dont ils constituent
des limites. Sur le concept d’asymétrie d’information, il faut décrire le défaut de transparence qu’il recouvre et, si l’on maîtrise ces mécanismes, faire allusion au processus d’antisélection (ou « sélection adverse ») et à l’aléa moral que les asymétries peuvent générer.
Le texte du document 2, sur ces deux points, reste assez flou. Les deux autres documents
portent sur la segmentation : il faut énoncer les critères sur lesquels elle peut reposer (âge,
sexe, qualification, etc.) et en illustrer au moins un, à l’aide du document 1, en effectuant
quelques calculs simples. Attention aux formulations sur ce document 1 : il s’agit de salaires
médians (la moitié du groupe gagne au moins ce salaire) et non de salaires moyens.
7. Partition : division, séparation.
106
Sujet 14 | Corrigé
Mobilisation des connaissances
1 Les échanges de biens et services ont connu, ces dernières décennies, une croissance exceptionnelle en raison de l’ouverture générale des frontières. Cette évolution présente, pour le consommateur, deux principaux avantages. Le premier avantage est l’élargissement de la gamme de produits
proposés, d’une part, avec les produits non disponibles sur le territoire national, d’autre part, avec
un choix plus large que la seule offre nationale. Cet avantage se remarque, par exemple, sur le
marché automobile.
L’autre effet d’un commerce international plus ouvert est un effet prix : la mise en concurrence des
différents producteurs à l’échelle internationale conduit à une pression sur les coûts de production
et, par rebond, sur les prix de vente, en raison de la recherche de compétitivité-prix. Le consommateur peut donc espérer, en situation de concurrence, bénéficier de prix plus bas que s’il n’avait
que l’offre nationale à sa disposition. On peut ajouter que cette concurrence accrue amène aussi
les producteurs à améliorer la compétitivité-qualité des produits en ayant recours à l’innovation.
2 Les inégalités économiques et sociales font souvent système, c’est-à-dire qu’elles cumulent
leurs effets et se renforcent les unes les autres dans une sorte de spirale. Les écarts de revenus
entre PCS (ou ceux mesurés par la méthode des déciles) témoignent de fortes inégalités dans la
répartition des richesses. On sait par exemple que le salaire moyen d’un ouvrier non qualifié est
environ trois fois inférieur au salaire moyen d’un cadre supérieur. Les écarts de patrimoine sont,
quant à eux, encore plus importants. Ces inégalités engendrent un inégal accès à la consommation,
aux loisirs et à la santé, ce qui se traduit, par exemple, par de fortes inégalités d’espérance de
vie. Mais elles se doublent aussi d’inégalités culturelles : la fréquence de lecture de livres, de
fréquentation du cinéma, du théâtre ou de visite de musées marque de très importants clivages
entre catégories sociales. Enfin, les inégalités devant l’école et l’accès au diplôme recoupent en
partie la logique des inégalités économiques. Le cumul des trois formes de capital (économique,
culturel et social) ou, au contraire, leur faible détention continuent à produire des processus de
reproduction sociale qui contredisent le principe d’égalité des chances.
Étude d’un document
Ce graphique, paru en 2013 et réalisé d’après les données du ministère de l’Éducation nationale,
retrace l’évolution sur trente-deux ans (1980-2012) de la dépense intérieure d’éducation (DIE)
de la France, exprimée d’une part en milliards d’euros constants (euros de 2012) sur l’axe de
droite, d’autre part en % du produit intérieur brut sur l’axe de gauche. On constate que la dépense
intérieure d’éducation, en volume, n’a cessé de progresser sur l’ensemble de la période, si l’on
excepte un léger recul en 2011. Elle est passée de 75 milliards d’euros environ en 1980 à 140 milliards d’euros en 2012. Il y a donc eu, entre ces deux dates, un quasi-doublement des dépenses
consacrées à l’éducation par l’ensemble des agents économiques. La période d’accroissement le
plus rapide a été 1986-1992, la pente de la courbe indiquant ensuite un ralentissement de cette
progression, jusqu’à la stagnation des années 2010-2012.
Le rapport de la DIE au PIB, en %, est évidemment influencé à la fois par l’évolution des dépenses
d’éducation et par la croissance du PIB. Cette part fait l’objet, sur les trente-deux années, d’une
107
Sujet 14 | Corrigé
évolution irrégulière, les périodes de baisse (1986-1989 ou 1998-2006), alternant avec des phases
de hausse (1980-1985 ou 1990-1993). Entre le point le plus haut (7,6 %) et le point le plus bas
(6,5 %), on enregistre une amplitude d’un point de PIB environ.
Raisonnement s’appuyant sur un dossier documentaire
Le fonctionnement du marché du travail a souvent été présenté, notamment par les auteurs néoclassiques, comme relevant des mêmes principes de concurrence pure et parfaite que les marchés
des biens, des services ou des capitaux. Pourtant, certaines des conditions de la concurrence pure
et parfaite ne sont manifestement pas réunies sur le marché du travail, comme l’hypothèse de
transparence de l’information et celle de l’homogénéité du « produit » échangé.
L’hypothèse de transparence suppose que tous les acteurs qui opèrent sur un marché, offreurs
comme demandeurs, disposent au même moment des mêmes informations, autrement dit qu’aucun
d’entre eux ne détienne des informations non connues des autres, ce qui assurerait à leur éventuel
détenteur un avantage important dans la prise de décision.
Or, le marché du travail recèle de telles asymétries d’information : le salarié qui aspire à une embauche détient plus d’informations que l’employeur sur son niveau réel de compétence, sur ses
motivations au travail et sur sa productivité potentielle. Cela peut conduire à un risque d’antisélection (de « choix erroné »), contre lequel l’employeur peut tenter de se prémunir en offrant
un salaire supérieur à celui qui résulterait, pour un niveau de qualification donné, de l’équilibre
de l’offre et de la demande de travail (document 2). Ce « salaire d’efficience » est censé attirer de
meilleurs candidats et permettre une sélection plus fine et plus efficace par rapport aux exigences
du poste de travail. Ce que l’employeur supporte comme surcoût en salaire est alors compensé par
une productivité plus élevée.
Mais cette asymétrie d’information place également le salarié en situation d’aléa moral : en cas
d’absence de possibilité de contrôle sur la productivité individuelle, le salarié peut avoir la tentation de mal faire le travail, de « tirer au flanc ». Un salaire plus élevé que le salaire « normal »
d’équilibre permet de dissuader de tels comportements car, s’il est découvert et licencié, le salarié
« tire-au-flanc » a peu de chances de retrouver un tel niveau de salaire.
L’autre hypothèse qui se révèle non vérifiée sur le marché du travail est celle de l’homogénéité
du facteur travail. Loin d’être des éléments interchangeables, les salariés évoluent en effet sur
un marché segmenté par de nombreux critères qui contredisent l’hypothèse d’homogénéité. La
distinction entre marché primaire et marché secondaire (document 3), dégagée par Doeringer et
Piore, est aujourd’hui démultipliée en très nombreux segments : l’âge, la qualification mesurée par
le niveau de diplôme et le sexe contribuent à fragmenter l’offre de travail et à la confronter à une
demande de travail de la part des employeurs qui n’est pas non plus homogène. Ainsi, ce dualisme
du marché du travail organise des « segments » dans lesquels les conditions d’embauche (CDI,
CDD ou intérim), les niveaux de salaire, les modalités de recrutement (en interne ou en externe),
les niveaux de protection sociale et les perspectives de carrière diffèrent profondément entre eux.
Le document 1 décrit, par exemple, les différences salariales importantes liées à l’âge, au sexe et
au niveau de diplôme. À niveau de diplôme équivalent (supérieur long), les hommes de 55-64 ans
ont un salaire médian 2,5 fois supérieur à celui des hommes de 15-24 ans, et de 1,35 fois plus
108
Sujet 14 | Corrigé
élevé que celui des femmes de 55-64 ans. Les écarts de qualification engendrent également une
hiérarchie salariale ouverte (de 1 à 2,5 pour les salaires médians des sans-diplômes par rapport
aux diplômés du supérieur long chez les hommes de 55-64 ans). Le cumul de ces critères dessine
donc une « mosaïque » du marché du travail très éloignée de l’hypothèse théorique de l’unicité et
de l’homogénéité.
Le marché du travail ne fonctionne donc pas selon la logique de la concurrence pure et parfaite,
parce que le travail n’est, à l’évidence, pas une « marchandise comme les autres ». Les règles qui
régulent le rapport salarial recouvrent d’autres dimensions que la simple dimension d’un échange
économique.
109
Sujet 15, épreuve composée
Antilles, septembre 2013, enseignement spécifique
Mobilisation des connaissances
1 En quoi la délocalisation améliore-t-elle la compétitivité des entreprises ?
2 Comment le travail contribue-t-il à l’intégration sociale ?
L’essentiel de la réponse à la première question doit porter sur la compétitivité-prix puisque
l’objectif principal de la plupart des délocalisations est de diminuer les coûts de production,
notamment les coûts salariaux. Ce serait cependant une erreur de ne pas évoquer l’autre
dimension de la compétitivité, la compétitivité hors-prix, prenant en compte la qualité du
produit et son adaptation aux exigences de la demande.
La deuxième question porte sur la dimension intégratrice du travail. Il s’agit ici d’en énoncer
la facette économique et la facette sociale, en distinguant les trois aspects que sont : l’accès à
un statut, le développement de la sociabilité privée que permet le travail, enfin la dimension
de solidarité collective.
Étude d’un document
Vous présenterez le document, puis vous préciserez les principales caractéristiques de la croissance française qu’il met en évidence.
Croissance économique de la France entre 1950 et 2010
Source : d’après Insee, 2012.
110
Sujet 15 | Énoncé
On peut scinder la période en deux sous-périodes d’égale durée pour pouvoir comparer les
performances de l’économie française sur ces deux sous-périodes à partir de la courbe du
PIB en indices : il suffit de lire les indices et de calculer mentalement un coefficient multiplicateur. L’analyse peut être complétée par l’autre courbe en mettant en relief l’instabilité
de la croissance, surtout à partir du milieu des années 1970.
Raisonnement s’appuyant sur un dossier documentaire
Montrez que le salaire ne dépend pas que du marché du travail.
› Document
1
1791 : Décret d’Allarde, qui supprime les corportations 1 et proclame la liberté du travail.
1791 : Loi Le Chapelier, qui interdit les coalitions 2 de métiers et les grèves.
1804 : L’article 1781 du code civil stipule qu’en cas de litige sur un salaire, la parole du maître
l’emporte sur celle de l’ouvrier devant le tribunal.
1864 : Reconnaissance du droit de grève.
1884 : Loi Waldeck-Rousseau, qui reconnaît la liberté syndicale.
1906 : Loi sur le repos hebdomadaire et création du ministère du Travail.
1910 : Loi instituant le code du travail (ensemble des lois, décrets et règlements régissant les relations de travail).
1919 : Loi sur les conventions collectives dans le travail, journée de travail fixée à 8 heures et durée
hebdomadaire fixée à 48 heures.
1936 : Accords de Matignon sous le Front populaire (semaine de 40 heures, congés payés, assurances sociales).
1945 : Création de la Sécurité sociale et des comités d’entreprise.
1950 : Instauration du SMIG (salaire minimum interprofessionnel garanti).
1956 : Mise en place de la troisième semaine de congés payés.
1958 : Création de l’assurance chômage.
1968 : Accords de Grenelle (augmentation du SMIG, quatrième semaine de congés payés, création
de la section syndicale et du délégué syndical dans les entreprises).
1970 : Le SMIC (salaire minimum interprofessionnel de croissance) remplace le SMIG.
1973 : Loi sur le licenciement (obligation de notification, de préavis et motivation de la décision).
1982 : Ordonnances sur la retraire à 60 ans, la cinquième semaine de congés payés, passage au
travail hebdomadaire de 40 à 39 heures.
Lois Auroux (par exemple, obligation de négociation collective annuelle).
1988-2000 : Lois sur les 35 heures.
2007 : Loi TEPA (« travail, emploi, pouvoir d’achat ») autorisant la défiscalisation des heures
supplémentaires et les exonérations de cotisations patronales sur les heures supplémentaires.
2012 : Abrogation de la défiscalisation des heures supplémentaires.
Source : d’après www.vie-publique.fr et www.travail-emploi.gouv.fr.
1. Corporation : organisme qui regroupait, sous l’Ancien Régime, tous les membres d’un même métier, de la base
au sommet.
2. Coalition : regroupement temporaire de personnes.
111
Sujet 15 | Énoncé
› Document
2
Négociations collectives et grèves dans les entreprises en 2008 par branches professionnelles
Branches
professionnelles
Proportion de
salariés dans les
entreprises de
10 salariés ou plus
Proportion d’entreprises ayant engagé une négociation
Ensemble
Ensemble
Métallurgie et
sidérurgie
Bâtiments et
travaux publics
Habillement, cuir
et textile
Culture et
communication
Commerce,
principalement
alimentaire
Hôtellerie,
restauration et
tourisme
Transports
Banques,
établissements
financiers et
assurances
76,0
94,0
16,8
26,9
Dans les entreprises
où il y a un délégué
syndical
80,7
87,0
66,0
9,9
60,7
62,0
20,9
84,0
77,0
17,4
60,0
93,0
17,7
79,8
58,0
7,3
93,7
88,0
80,0
17,0
51,1
86,8
95,0
112
Sujet 15 | Énoncé
Branches
professionnelles*
Proportion de
salariés dans les
entreprises de
10 salariés ou plus
Proportion d’entreprises ayant connu une grève
Ensemble
Ensemble
Métallurgie et
sidérurgie
Bâtiments et
travaux publics
Habillement, cuir
et textile
Culture et
communication
Commerce,
principalement
alimentaire
Hôtellerie,
restauration et
tourisme
Transports
Banques,
établissements
financiers et
assurances
76,0
94,0
2,4
5,2
Entreprises de
200 salariés ou plus
24,1
39,2
66,0
< 0,5
8,7
62,0
2,6
12,0
77,0
4,8
28,9
93,0
2,3
19,1
58,0
< 0,5
10,5
88,0
80,0
2,3
7,3
21,3
35,2
Source : DARES, Enquête activité et conditions d’emploi de la main-d’œuvre, « Négociation et représentation des
salariés », 2010.
*Champ : entreprise de 10 salariés ou plus (secteur marchand non agricole).
› Document
3
Au XVIIIe siècle, au moment même où le travail est en train d’être conçu comme la source de toute
richesse, se développe la prise de conscience qu’un nombre grandissant de personnes ne disposent
que de leur travail pour vivre, que la misère se développe et qu’une des solutions à celle-ci est de
rendre l’accès au travail plus facile et de promouvoir la liberté du travail. [...] Le code civil achève
l’œuvre libérale de la Révolution française [...] : la société est fondée sur des relations libres entre
des individus libres, égaux, responsables. Ces relations sont réglées dans un cadre contractuel qui
est censé concilier les intérêts de chacun [...]. Le travail est désormais une marchandise vendue sur
un marché qui obéit à la loi de l’offre et de la demande [...].
Très rapidement néanmoins, un certain nombre de phénonèmes vont converger pour mettre en évidence que le travail « libre » n’est pas une solution définitive. Le [principal] est le développement
du paupérisme. [...] Insécurité et dépendance contribuent ainsi à remettre en cause les principes
de l’organisation libérale du travail. [...] Le droit du travail consacre dès lors les grandes libertés
113
Sujet 15 | Énoncé
collectives [...] [et] s’est développé pour répondre à l’inégalité de fait de la relation salariale. Il ne
pouvait à lui seul répondre à l’insécurité qui est, au départ, le propre de la classe ouvrière. Vivre
de son travail, c’est en effet dépendre absolument de la continuité de celui-ci : toute interruption
du travail, pour cause de maladie, d’accident, de vieillesse ou de chômage, fait en effet sombrer
l’ouvrier et sa famille dans la pauvreté, sa seule source de revenu disparaissant en même temps
[...]. Il faut désormais trouver, pour ceux qui ne disposent que de leur force de travail pour vivre, un
moyen [...] pour assurer leur sécurité. [...] « Un nouveau rapport salarial s’est constitué, à travers
lequel le salaire cesse d’être la rétribution ponctuelle d’une tâche. Il assure des droits, donne accès
à des prestations hors travail [...] » De 1930 à 1975 se met en place la « société salariale » [...].
On a coutume de dater du milieu des années 1970 et du premier choc pétrolier le début de « la crise »
[...] des économies européennes. Les systèmes sociaux eux-mêmes sont entrés en concurrence,
l’insertion de nouveaux pays dans le cadre de la concurrence mondiale se faisant souvent grâce à
leurs faibles coûts de main-d’œuvre et donc par le travail, désormais souvent considéré comme une
variable d’ajustement.
Source : D. Méda, Le Travail, 2011.
La question demande presque obligatoirement de partir de l’analyse néo-classique de la
détermination du taux de salaire, considérée comme fondatrice en économie. Il faut donc
expliquer succinctement les déterminants de l’offre et de la demande de travail pour déboucher sur la notion de salaire d’équilibre en situation de concurrence. La critique de cette
vision mécaniste du salaire doit faire intervenir à la fois des arguments économiques (salaire
d’efficience, asymétrie d’information, segmentation du marché) mais aussi des arguments
psychosociologiques sur la dimension symbolique du travail et sur les effets de cette dimension sur la légitimation de la hiérarchie des salaires. Le document 1 incite, d’autre part,
à rappeler la dimension historique de l’émergence de la société salariale et des transformations progressives que la relation salariale a connues, notamment sous l’influence des luttes
sociales et de l’intervention de l’État.
114
Sujet 15 | Corrigé
Mobilisation des connaissances
1 La délocalisation d’un site de production s’inscrit le plus souvent, pour une firme transnationale, dans sa stratégie de recherche d’une amélioration de sa compétitivité-prix mais peut aussi
concerner sa compétitivité hors-prix, dite aussi « structurelle ». En effet, la délocalisation peut être,
pour l’entreprise, le moyen de diminuer ses coûts de production (et en aval, ses prix de vente) :
soit en émigrant vers des pays à bas salaires et à faible protection sociale (coûts du travail), soit
en se rapprochant des sources de matières premières (coûts du capital circulant), ou encore des
marchés (coûts de transport et évitement des taxes à l’importation). Plus rarement, la délocalisation peut s’expliquer par la recherche de la compétitivité-qualité (savoir-faire d’une main-d’œuvre
ou meilleure maîtrise technologique d’un processus productif). La décomposition internationale
des processus productifs mise en œuvre par les groupes transnationaux revient à démultiplier les
délocalisations par segments du produit, le plus souvent pour des raisons de coûts.
2 Dans le long processus qui amène un individu à s’intégrer à la société, c’est-à-dire à y participer
en pleine conscience, le travail prend une place particulière. Il est en effet un vecteur d’intégration
à plusieurs titres. Il permet l’accès à un revenu, reconnaissance matérialisée d’une utilité sociale,
mais aussi instrument de consommation permettant de se conformer aux normes sociales environnantes. D’autre part, le lieu de travail est un lieu de socialisation où s’apprennent des rôles
sociaux, où l’on acquiert, aux yeux des autres, une identité et un statut social et où se tissent des
liens de solidarité collective et souvent de sociabilité privée. Enfin, la participation à l’activité
productive, à travers le statut professionnel, la mobilisation militante et le paiement de cotisations
sociales, ouvre des droits collectifs et individuels de protection sociale contre les risques, élément
capital de l’intégration de l’individu à la société. De manière inversée, R. Castel voit dans la perte
prolongée de l’emploi une des causes de la désaffiliation sociale.
Étude d’un document
Le document graphique, publié par l’Insee en 2012, juxtapose deux manières de rendre compte
de la croissance française sur la période 1950-2010 (soit soixante ans) : d’une part, sur l’axe de
gauche, il retrace en indices (base 100 en 1950) l’évolution du PIB en volume (c’est-à-dire en
éliminant l’effet de la hausse des prix), d’autre part, sur l’axe de droite, il indique les taux de
croissance annuels effectifs du PIB, toujours en volume. Dans cette progression de l’économie
française, on peut graphiquement distinguer deux sous-périodes : entre 1950 et 1980 (soit la moitié de la période), le PIB français a été multiplié par 4 (de l’indice 100 à l’indice 400). Cette
sous-période inclut l’essentiel des fameuses « trente glorieuses » décrites par J. Fourastié, et on
peut vérifier sur l’autre courbe que les taux de croissance annuels du PIB y étaient compris, le
plus souvent, entre 4,5 % et 6,5 % (en moyenne, autour de 5 %), et que cette croissance était, au
final, relativement régulière. La deuxième sous-période de trente ans (de 1980 à 2010) présente, en
revanche, un profil très différent : d’une part, la performance globale de l’économie française est
beaucoup plus modeste puisque le PIB n’est multiplié que par 1,7 (de l’indice 400 à l’indice 675
environ), d’autre part la croissance est beaucoup plus irrégulière, l’amplitude extrême des taux de
croissance du PIB allant de 4,7 % en 1988 à − 2,9 % en 2009. Le profil de la courbe des taux
115
Sujet 15 | Corrigé
annuels marque donc des « dents de scie » accentuées pour cette sous-période.
Sur l’ensemble de la période, on remarque trois moments de recul du volume des richesses produites en un an par la France : 1975, 1993 et 2008-2009.
Raisonnement s’appuyant sur un dossier documentaire
La question des salaires est un des enjeux au centre des rapports entre les employeurs et les salariés.
Elle occupe, de ce fait, une place importante dans les négociations, mais elle fait l’objet d’analyses
divergentes entre les courants théoriques. Les auteurs néo-classiques l’envisagent exclusivement
sous l’angle du prix de la marchandise-travail, alors que les néo-keynésiens et les sociologues
incluent la question salariale dans un mécanisme plus large et en font un enjeu social et politique.
Pour l’école néo-classique, le salaire est le résultat de la confrontation entre l’offre et la demande
de travail. L’offre, émanant de la population active, est déterminée, à l’échelle individuelle, par
l’arbitrage que chacun opère entre l’utilité du travail (le salaire et le niveau de vie qu’il procure) et
sa désutilité (renoncement à l’oisiveté et au loisir). La demande de travail, quant à elle, émane des
entreprises et obéit à la règle de l’utilité marginale : l’employeur embauche des salariés jusqu’à ce
que le dernier embauché lui coûte autant qu’il lui rapporte. L’offre de travail est donc une fonction
directe du salaire, la demande, une fonction inverse.
Comme sur le marché de n’importe quel bien, le point de rencontre entre la courbe d’offre et
la courbe de demande détermine le « prix d’équilibre », ici le salaire d’équilibre et la quantité
d’équilibre, le niveau effectif de l’emploi, qui assure à la fois l’absence de chômage et de pénurie
de main-d’œuvre.
Ce schéma a été vivement contesté, d’une part à partir d’arguments économiques, d’autre part
à partir d’une critique de nature sociologique mettant en évidence les limites de la vision néoclassique du salaire. Des auteurs comme Piore et Doeringer ont montré que l’hypothèse d’homogénéité du marché du travail était irréaliste. Le marché du travail est segmenté, par exemple par les
différents niveaux de qualification et par la coupure entre les emplois stables (marché primaire)
et les emplois précaires (marché secondaire).
De même, la rigidité des salaires à la baisse vient contredire le mécanisme autorégulateur qui, selon
les néo-classiques, devrait permettre la résorption du chômage. Les employeurs fixent souvent le
salaire au-dessus du salaire d’équilibre (salaire d’efficience permettant de fidéliser les salariés
et d’obtenir d’eux une forte productivité). Cet écart entre le salaire effectif et le salaire théorique
d’équilibre peut aussi s’expliquer par l’asymétrie d’information (étudiée notamment par J. Stiglitz)
entre l’employeur et le salarié, celui-ci détenant plus d’informations sur sa motivation au travail,
ses compétences réelles et son niveau de productivité.
Enfin, l’analyse néo-classique néglige de prendre en compte la dimension institutionnelle de la
relation salariale : celle-ci s’inscrit dans une réalité sociale et dans une histoire. Le document 1,
par exemple, montre comment la puissance publique est intervenue en France pour codifier et
réguler le rapport salarial. L’institution d’un salaire minimum , en 1950 puis en 1970, ne résulte pas
d’un mécanisme économique mais d’une décision « politique ». De même, l’instauration de droits
annexes accrochés à la relation salariale (congés payés, protection sociale, droit à la formation,
etc.) renvoie à la conception du salaire comme « régulateur social » (documents 1 et 3).
116
Sujet 15 | Corrigé
La hiérarchie des salaires, dans une société, est de ce fait un « construit social » qui n’a que de
lointains rapports avec les variables économiques. Elle dépend du regard qu’une société porte sur
l’échelle des statuts sociaux. Contre toute rationalité économique, les métiers les plus pénibles et
les moins attractifs sont les plus mal payés. Par ailleurs, les rapports de force entre employeurs
et salariés, à travers les négociations et les conflits sociaux, entrent en jeu dans la fixation des
salaires, et on constate une grande hétérogénéité de situations d’une branche ou d’une entreprise
à l’autre (document 2).
Loin de n’être que la traduction d’un rapport marchand de rareté, comme sur le marché des légumes
ou des automobiles, le salaire a d’autres dimensions que la seule dimension économique. Certes, il
s’achète et se vend, mais les règles de cet échange sont complexes, encadrées et institutionnalisées,
parce qu’elles sont la traduction de la dimension symbolique du travail.
117
Sujet 16, paragraphe argumenté
Liban, juin 2014, spé. économie approfondie
Comment la dynamique démographique agit-elle sur le montant de
l’épargne en France ?
› Document
1
Taux d’épargne des ménages avant et après transferts privés
selon l’âge de la personne de référence en France en 2003
Source : Insee, Comptes nationaux 2003, Revenus fiscaux 2003.
Le taux d’épargne correspond à la part de l’épargne dans le revenu des ménages.
Les transferts privés sont des transferts monétaires entre ménages.
› Document
2
L’évolution de la structure de la population modifie le taux d’épargne, dans la mesure où l’effort
d’épargne se répartit inégalement tout au long de l’existence [...]. Le vieillissement de la population,
dans les pays développés devrait donc s’accompagner d’une évolution du taux d’épargne, cependant
les vérifications empiriques de l’hypothèse du cycle de vie montrent qu’en réalité l’augmentation du
patrimoine se poursuit généralement bien au-delà de la retraite. Plus largement, il faut souligner que
l’impact de la démographie sur le taux d’épargne dépend pour une large part de facteurs politiques et
institutionnels : l’évolution de l’offre d’actifs financiers ou les choix de financement de la protection
sociale ont une influence déterminante. Les débats contemporains sur l’épargne retraite le montrent
bien. [...] Cette évolution résulte en partie des craintes concernant l’avenir du système de retraite
pour des raisons démographiques, mais elle est aussi le résultat de la progression importante des
placements financiers depuis 20 ans, qui a des effets incitatifs sur l’épargne des ménages, et de la
politique fiscale de l’État, favorable à l’épargne financière.
Source : Alain Beitone, Emmanuel Buisson et Christine Dollo, Économie, 2011.
134
Sujet 16 | Énoncé
Le sujet est clairement référencé à la situation française, et la dynamique démographique
évoquée par l’énoncé est celle du vieillissement « par le haut de la pyramide des âges »
qui caractérise notre pays. Il semble judicieux de partir de la théorie du « cycle de vie »
(F. Modigliani) et d’en décrire les limites en s’appuyant sur le document 1. Le document 2
énonce quelques pistes argumentaires permettant de nuancer cette théorie et de faire intervenir d’autres facteurs explicatifs (régime fiscal, palette des produits de placement, anticipations des épargnants, etc.).
135
Sujet 16 | Corrigé
Introduction
La question de l’effet du vieillissement de la population sur le comportement d’épargne des ménages fait l’objet d’analyses en partie contradictoires. La relation entre l’âge et le taux d’épargne
a notamment été étudiée par l’économiste F. Modigliani dans sa « théorie du cycle de vie ». Mais
l’observation des faits, dans de nombreux pays, ne confirme pas en tous points le modèle théorique que cet économiste a proposé. D’autres variables doivent donc être prises en compte pour
expliquer l’effet de la démographie sur l’épargne.
I. Le modèle théorique du cycle de vie de l’épargne
Dans son analyse du comportement d’épargne des individus au cours de leur vie, F. Modigliani
distingue trois grandes périodes au sein desquelles la propension à épargner (épargne/ revenu) ne
reste pas stable. La première période, celle de la jeunesse, connaît une épargne négative, c’est-àdire que la consommation est supérieure au revenu, la différence se comblant par l’endettement
(ou par des transferts privés provenant d’autres générations). Le document 1 confirme cette observation pour les moins de 30 ans, ceux-ci ne parvenant à une faible épargne positive qu’après
les transferts privés.
La deuxième période, celle de l’activité, amène les ménages à dégager une épargne nette de plus
en plus importante, et à procéder à la constitution d’un patrimoine en croissance pendant toute
la période d’activité. Cette forte propension à l’épargne n’est cependant pas contradictoire avec
l’amélioration des conditions de vie, mais elle découle d’une progression du revenu plus rapide
que celle de la consommation. Le document 1 confirme cette analyse. Entre 30 et 59 ans, on
observe bien une forte croissance du taux d’épargne, qui passe de 8 % pour les 30-39 ans à 17 %
pour les 40-49 ans puis à 25 % pour les 50-59 ans.
Enfin, dans le schéma de F. Modigliani, la troisième période, celle de la cessation d’activité,
marque une diminution forte du taux d’épargne, la baisse des revenus liée au passage en retraite
amenant les personnes âgées à désépargner et à se défaire d’une partie de leur patrimoine pour
protéger leur niveau de consommation. Si cette conclusion semble à peu près vérifiée pour les
« jeunes retraités » (les 60-69 ans voient leur taux d’épargne avant transferts tomber à 20 %),
elle ne peut être retenue pour la tranche d’âge des 70 ans et plus : celle-ci se signale par un taux
d’épargne record de 26 % avant transferts privés.
Il est donc nécessaire de prendre en compte d’autres éléments explicatifs du comportement
d’épargne.
II. D’autres déterminants dans le comportement d’épargne
Les motivations qui conduisent les ménages à s’abstenir de consommer une partie de leurs revenus
et à accumuler un patrimoine sont complexes et ne peuvent se réduire à une relation mécanique
entre l’âge et la propension à épargner. On constate en effet (document 1) que l’effort de consolidation du patrimoine se poursuit après la cessation d’activité. Les motivations de ce comportement
peuvent relever, notamment, d’une adaptation spontanée à l’allongement de l’espérance de vie,
de manière à pouvoir consommer plus longtemps et en prévision de l’accroissement éventuel des
136
Sujet 16 | Corrigé
dépenses de santé et de prise en charge lié au grand âge et à la dépendance.
Une autre explication avancée par certaines analyses met au cœur de la persistance de ce comportement d’épargne aux âges élevés la volonté de transmission d’un patrimoine aux enfants ou
aux autres héritiers. Notons, sur ce point, que la situation familiale influe sur le comportement
d’épargne : la charge financière que représente l’éducation des enfants (surtout s’ils sont nombreux) entrave en partie la capacité d’épargne pendant la période d’activité, et cela peut se traduire
par un effort supplémentaire d’accumulation aux âges plus élevés, lorsque cette charge s’atténue
ou disparaît.
De même, les conditions de l’environnement économique et institutionnel influencent également
l’épargne : l’offre de nouveaux supports innovants en matière de placements financiers ou l’encouragement à l’épargne longue sous la forme d’incitations fiscales favorables de la part des pouvoirs
publics peuvent dynamiser l’effort d’épargne, comme en témoigne le boom de l’assurance-vie en
France.
Enfin, les anticipations que les individus réalisent sur leur propre situation financière peuvent avoir
des effets importants. Sur ce point, les craintes récurrentes sur le financement futur de la protection
sociale, en particulier sur les régimes de retraite par répartition, modifient les comportements
d’épargne.
Conclusion
Le modèle du cycle de vie montre donc ses limites. S’il est vrai que la perception du « calendrier
personnel » de vie que chacun se représente est un des facteurs explicatifs des variations de la
propension à épargner et à se constituer un patrimoine, ce modèle peut être perturbé par des variables multiples, à la fois micro et macro-économiques, qui interdisent de considérer le cycle de
vie comme un déterminant mécanique de l’épargne.
137
Sujet 17, paragraphe argumenté
Inde, avril 2013, spé. économie approfondie
À quelles difficultés est confrontée la protection sociale en France aujourd’hui ? On pourra privilégier l’exemple de la santé.
› Document
1
L’objectif d’un système de soins est de préserver la santé d’une population et des individus qui
la composent. Les politiques de santé, les comportements individuels et le système de soins
concourent ainsi à l’amélioration de l’état de santé. [...]
Les imperfections du marché constituent, elles, une raison plus spécifique à l’instauration de mécanismes publics de couverture du risque. Elles sont de deux ordres : hasard moral 1 et sélection
adverse. Il y a un risque moral (ou hasard moral) d’assurance lorsque l’assuré n’est pas incité à
un comportement de prévention : assuré et donc protégé, il n’a pas d’incitation directe à se prémunir contre le risque. En matière de maladie, ce risque moral se matérialise ainsi : le niveau de
couverture maladie a tendance à augmenter les volumes mais pas le prix unitaire des actes. Ainsi,
l’intervention publique doit mettre en place des mécanismes de responsabilisation.
Plus important est le problème de la sélection. En assurance-maladie, la concurrence pousse les
compagnies d’assurance à pratiquer des stratégies de sélection du risque. L’assureur bénéficie d’une
certaine quantité d’informations sur les risques encourus et peut donc faire varier les primes d’assurance selon les caractéristiques des individus.
Source : d’après J. Oudin, « Projet de loi portant sur la création d’une couverture maladie universelle », Rapport
d’information du Sénat, 1998-1999.
› Document
2
Indicateurs socio-économiques en France
Dépense courante de santé (en milliards d’euros courants)
Solde branche maladie 2 (en milliards d’euros courants)
Part des personnes de 60 ans et plus dans la population totale (en %)
2000
151,6
− 1,6
20,4
2005
195,7
−8
20,6
2010
234,3
− 11,6
22,6
Source : d’après Insee, Direction de la Sécurité sociale, 2011.
Le thème de la protection sociale couvre un périmètre particulièrement large et, comme
le suggère l’énoncé, il paraît prudent de se limiter à un des risques couverts par la solidarité collective. Comme les deux documents traitent très clairement du risque santé, nous
1. Hasard moral : aléa moral.
2. La branche maladie de la Sécurité sociale assure la prise en charge des dépenses de santé des assurés qui recouvrent les risques maladie, maternité, invalidité et décès.
138
Sujet 17 | Énoncé
vous recommandons de suivre cette suggestion. On pourrait imaginer une réponse sur le
système des retraites, mais il faut disposer d’informations personnelles précises sur le sujet. Les raisons qui fragilisent aujourd’hui la protection sociale en matière de santé sont
nombreuses, mais il faut, d’une part, n’en retenir que les principales et, d’autre part, trouver une logique de classement pour que votre réponse apparaisse ordonnée et cohérente.
Assez spontanément, on peut penser au clivage facteurs collectifs/ facteurs individuels, ou
encore conditions externes/ conditions internes au système de protection. Le vieillissement
démographique est évidemment le facteur externe majeur et il faut exposer l’ampleur de
son impact sur le financement du système de santé. Mais il faut, dans un deuxième temps,
montrer que la logique de la prise en charge collective peut conduire à des stratégies individuelles (de la part des patients comme des professionnels de santé) qui renforcent la dérive
financière. Les notions d’asymétrie d’information et d’aléa moral doivent être mobilisées
pour rendre compte de ces stratégies. Attention à respecter les « bornes » du sujet : celuici ne vous demande pas d’exposer les solutions éventuelles pour résoudre les difficultés
recensées.
139
Sujet 17 | Corrigé
Introduction
La protection sociale en France est à un tournant de son histoire. Instaurée progressivement au
cours du XXe siècle, mais surtout après la Seconde Guerre mondiale, elle s’est peu à peu étoffée
en couvrant un large éventail de « risques », de la santé au chômage et du handicap à la famille ou
la vieillesse. Aujourd’hui, la situation financière de la quasi-totalité de ces branches de protection
est gravement déficitaire, et la conjonction de la situation économique et du vieillissement démographique assombrit les perspectives d’avenir. Le secteur de la santé, par exemple, est confronté à
des difficultés structurelles de long terme auxquelles viennent s’ajouter des comportements individuels générés par le mode de fonctionnement même du système, ce qui met en péril sa pérennité
financière.
I. Une évolution structurelle qui pose problème
La France, comme la plupart des grands pays développés, est confrontée au problème de son
vieillissement démographique. Cette évolution, engendrée à la fois par la baisse de la fécondité
et par l’allongement de l’espérance de vie, a des conséquences lourdes sur le financement des
dépenses de santé : celles-ci ont tendance à augmenter de manière mécanique puisque les dépenses
de santé d’un individu croissent avec l’âge.
Ainsi, alors que la part des plus de 60 ans est passée de 20,4 % à 22,6 % entre 2000 et 2010, la
progression de la dépense courante de santé a été, sur cette période, de + 55 %, et le déficit de
branche maladie été multipliée par 7. La France est plutôt moins touchée par cette évolution que
l’Allemagne ou l’Italie, mais cette tendance se poursuivra dans le futur. Du point de vue financier, cette augmentation du ratio de dépendance démographique (population des 60 ans et plus/
population des 20-59 ans) semble conduire le système de santé à une impasse en l’absence d’une
régulation plus rigoureuse. Il faut cependant signaler que la progression des dépenses de santé est
aussi largement liée à l’évolution des innovations thérapeutiques et aux progrès des techniques
médicales, souvent de plus en plus performantes mais surtout de plus en plus coûteuses.
II. Une logique interne qui conduit à des dysfonctionnements
Ces difficultés trouvent cependant une partie de leur origine dans les conditions mêmes de fonctionnement du système de soins et dans les comportements que ce fonctionnement induit, à la
fois de la part des utilisateurs du système (les patients) et des prestataires de santé (médecins,
hôpitaux, laboratoires...). En effet, l’assurance collective que représente la Sécurité sociale cohabite avec des mécanismes marchands, et cela conduit à des « imperfections de marché » et à des
asymétries d’information.
Du côté des patients, la certitude de la prise en charge des dépenses par la solidarité collective
peut conduire à un aléa moral qui se traduit par une moindre vigilance à l’égard des conduites à
risques et à une surconsommation médicale qui n’aura pas de conséquences financières pour celui
qui s’y adonne. Au total, cette absence ou ce relâchement des comportements prudentiels vis-à-vis
de la santé (liés par exemple à la consommation de tabac ou d’alcool et à la négligence en matière
alimentaire) engendre des coûts collectifs plus élevés.
140
Sujet 17 | Corrigé
Ce risque peut aussi avoir pour origine l’asymétrie d’information entre les patients et les professionnels de santé en ce qui concerne les enjeux réels d’un acte médical : le patient n’a généralement
pas les éléments de connaissance suffisants pour juger de l’opportunité d’un traitement ou d’une
intervention chirurgicale. La demande est ici, en quelque sorte, largement induite par l’offre. Il
s’agit ici d’un aléa moral du côté des prescripteurs : l’intensité de la demande détermine en effet le revenu des praticiens. Or, cette demande est peu élastique par rapport au prix puisque le
patient, in fine, ne supporte qu’une faible partie des dépenses effectivement engagées. Pour les
professionnels de santé, l’assurance-maladie peut fonctionner comme une sorte de « garantie de
revenu » et installe le système de soins dans une protection « hors-marché ». Dans un tel système,
les prescripteurs ne sont pas incités à privilégier les parcours de soins les moins coûteux. Toute
innovation thérapeutique est d’emblée considérée comme supérieure aux procédures précédentes
sans qu’un bilan entre le surcoût engendré par cette thérapie et l’avantage marginal qu’elle procure
soit véritablement l’arbitre du choix.
Conclusion
À travers l’exemple de la santé, nous avons mis en évidence certains facteurs de fragilité de la
protection sociale en France. Le caractère hybride du système, entre solidarité collective et mécanismes de marché, le rend difficile à réguler. Il est cependant aujourd’hui indispensable de trouver
des modes de régulation qui responsabilisent l’ensemble des partenaires et assurent la pérennité
financière de cette conquête sociale irremplaçable.
141
Sujet 18, paragraphe argumenté
Nouvelle-Calédonie, septembre 2013, spé. économie approfondie
Comment les variables démographiques affectent-elles le financement de
la protection sociale ?
› Document
1
Les modèles explicatifs de l’évolution de la dépense de santé mettent généralement en avant trois ou
quatre facteurs principaux : la démographie — et le vieillissement de la population —, la richesse
économique, le progrès des techniques médicales, l’organisation du système de soins.
La démographie a un double effet sur les dépenses de santé. Le premier est l’effet mécanique de la
taille de la population sur la dépense : il est assez naturel de penser que, toutes choses égales par
ailleurs, une variation de la population totale entraîne une variation proportionnelle de la dépense
de santé. [...]
Le second effet de la démographie sur le niveau des dépenses est lié à la déformation de la structure par âge de la population. [...] Dans les années 1960, c’est la croissance de la population qui
expliquait l’essentiel de cette hausse ; aujourd’hui le vieillissement en expliquerait la moitié.
Source : d’après G. Cornilleau, « Crise et dépenses de santé, financement et politiques à court-moyen terme », Les
Notes de l’OFCE, 2012.
› Document
2
Estimations de l’évolution des ratios de dépendance en France
Plus de 60 ans/ 20-60 ans
Moins de 20 ans et plus de 60 ans/ 20-60 ans
Population inoccupée 1 / population occupée
2005
0,40
0,86
1,47
2010
0,43
0,91
1,40
2020
0,53
1,00
1,52
2030
0,64
1,12
1,64
2040
0,71
1,19
1,73
Source : d’après J.-P. Plancade, « Les conséquences macroéconomiques du vieillissement démographique »,
Rapport d’information du Sénat, 2000.
La question concerne essentiellement le problème du vieillissement démographique et les
conséquences qu’il a sur les dépenses de santé et les régimes de retraites. Sur ce point, il faut
évoquer la logique du système français, mais il n’est pas nécessaire d’approfondir l’autre
système de financement, la capitalisation. Pour les dépenses de santé, il faut distinguer l’effet quantitatif de l’accroissement du nombre des personnes âgées et l’effet qualitatif du
progrès des techniques médicales (qui ne concerne pas seulement les personnes âgées). Un
plan en trois parties paraît donc judicieux, avec une première partie plus courte de rappel
des données du vieillissement. La question des retraites n’est pas ouvertement traitée dans
les documents, elle est suggérée par le document 2.
1. Population inoccupée : y compris chômeurs.
142
Sujet 18 | Corrigé
Introduction
Le système de protection sociale français fait partie de ceux qu’on considère comme les plus
performants et les plus complets au monde. Pour son financement, il absorbe à lui seul un tiers du
PIB de la France. Sa situation financière est cependant problématique puisqu’il affiche un lourd
déficit (au total de l’ordre de 15 milliards d’euros), et une partie importante de ces difficultés,
notamment en ce qui concerne les dépenses de santé et les retraites, est imputable à l’évolution
démographique de la France.
I. Le vieillissement démographique, résultat d’une double évolution
Le vieillissement de la population française est le résultat d’une double évolution : l’augmentation
de l’espérance de vie d’une part, la chute de la fécondité d’autre part. Les progrès de l’espérance
de vie résultent de nombreuses variables, économiques, sanitaires et culturelles. La hausse du
niveau de vie et l’amélioration des conditions de vie ainsi que les progrès médicaux expliquent
que l’espérance de vie à la naissance atteigne, en 2013, 78,7 ans pour les hommes et 85 ans pour
les femmes. À 60 ans, un homme peut encore espérer vivre 22,7 ans et une femme 27,3 ans.
La chute de la fécondité, même si elle est relativement limitée en France, est le résultat d’une
évolution sociologique et culturelle profonde qui a redéfini la place des femmes et de l’enfant dans
notre société. Le résultat de cette double évolution se lit sur la structure par âges de la population :
les plus de 60 ans représentent, en 2012, 23,5 % de la population, alors que la part des moins de
20 ans n’atteint plus que 24,5 %.
II. Un impact majeur sur les dépenses de santé
La première conséquence de cette évolution sur le financement de la protection sociale concerne
les dépenses de santé. Celles-ci ont vu leur volume s’accroître dans des proportions considérables
en raison de l’effet « mécanique » de la croissance démographique mais surtout de l’augmentation
de la part des personnes âgées dans la population (document 1). Par ailleurs, l’évolution des coûts
et des prix des services et produits de santé a accentué cette explosion des dépenses.
On sait, en effet, que l’essentiel des dépenses de santé d’un individu se réalise dans les dernières
années de sa vie. L’allongement de la longévité a renforcé ce lien entre montant des dépenses et
avancée en âge, la dépense moyenne annuelle de santé étant de l’ordre de 6 000 euros pour un
octogénaire, contre 2 000 euros pour un quinquagénaire, avec une part croissante avec l’âge des
dépenses hospitalières. De plus, cet « effet vieillissement » a été renforcé par l’augmentation du
coût des soins, liée à la sophistication accrue des techniques médicales.
Dans le même temps, l’augmentation de la dépendance d’une part croissante des personnes âgées
contribue (et contribuera encore plus dans le futur) à l’alourdissement du « budget santé » de
la nation. Au final, les comptes de l’assurance-maladie accusent, année après année, de lourds
déficits (6 milliards prévus en 2014).
143
Sujet 18 | Corrigé
III. L’épineuse question des retraites
L’autre domaine où les variables démographiques ont un impact sur le financement de la protection
sociale est celui des régimes de retraite. L’allongement de la longévité a pour effet d’allonger le
temps moyen de retraite pour des générations nombreuses issues des années du « baby-boom »
d’après-guerre. Or la France a historiquement construit ses régimes de retraite sur le principe de
la répartition : les actifs du moment financent (par leurs cotisations) le paiement des pensions
pour les retraités du moment, acquérant par là un « droit » à être pris en charge plus tard selon
la même logique de solidarité intergénérationnelle, contrairement au principe individualiste de la
capitalisation.
Ce système a été généralisé, en France, au cours d’une période de dynamisme démographique
et de prospérité économique. La charge par actif ou le ratio de dépendance y étaient peu élevés,
rendant le financement relativement indolore et permettant l’instauration de conditions de retraite
« généreuses » en termes d’âge, de durée de cotisations et de montant des pensions. L’alourdissement progressif du ratio de dépendance, repérable dans le document 2, a déséquilibré les modalités
de financement du système, aujourd’hui déficitaire et partiellement financé par l’endettement.
Les perspectives pour le futur sont préoccupantes : le ratio de dépendance (plus de 60 ans/
20-60 ans) devrait passer de 0,43 à 0,71 entre 2010 et 2040. Cette dérive du financement a rendu
nécessaires plusieurs réformes du système, dans le sens d’une restriction des avantages acquis (recul de l’âge de départ, allongement du temps de cotisations, calcul moins favorable des pensions).
Conclusion
Comme tous les pays d’Europe, la France voit sa population vieillir. Contrairement à la plupart
de ses voisins, comme l’Italie ou l’Allemagne, elle conserve une fécondité relativement élevée,
ce qui ralentit un peu la déformation de sa pyramide des âges et l’alourdissement des contraintes
financières que cette évolution fait peser sur les systèmes de protection sociale. Mais le pays ne
pourra faire l’économie d’une réflexion en profondeur sur les modes de financement et le degré
de couverture d’un système qui reste un élément fondamental du pacte social.
144
Sujet 19, paragraphe argumenté
Sujet national, juin 2014, spé. économie approfondie
Les barrières à l’entrée résultent-elles toujours de stratégies d’entreprises ?
› Document
1
Le premier obstacle à l’entrée dans une activité est le niveau des investissements requis. Si le « ticket
d’entrée » est particulièrement onéreux, il élève une barrière majeure à l’entrée pour ses acteurs à
faible surface financière. Par exemple, les investissements dans les unités de fabrication d’écrans
plats sont très élevés (environ 2 milliards de dollars pour une usine), ce qui constitue une barrière
d’entrée importante [...].
Dans le domaine bancaire, le capital d’une banque est la seule protection contre les pertes et les
défauts de paiement susceptibles de survenir. Les autorités de tutelle 1 définissent donc un niveau
minimal de capital à respecter pour opérer dans l’industrie bancaire. Ce seuil est défini selon des
normes simples et universelles. [...]
Ce raisonnement laisse supposer que l’entrée dans une industrie donnée sera plus aisée pour un
grand groupe que pour une start-up. Ceci est vrai pour une activité déjà existante et fortement
structurée.
Source : L. Lehman-Ortega, F. Leroy, B. Garette, P. Dussauge, R. Durand, Strategor, 2013.
1. Autorités de tutelle : administrations nationales et internationales qui encadrent l’activité des banques commerciales.
145
Sujet 19 | Énoncé
› Document
2
Demandes de brevets auprès de l’Office européen des brevets selon le domaine technique
et évolution par rapport à 2011
Domaine technique
Nombre de
demandes de
brevets en 2012
Variation du nombre
de brevets de 2011
à 2012 (en %)
10 412
Nombre moyen de
demandes de brevets
par demandeur
en 2012
3,05
Technologies
médicales
Machines, appareils
et énergies
électriques
Communication
numérique
Technologies
informatiques
Transport
Mesure
Chimie organique
fine
Moteurs, pompes,
turbines
Produits
pharmaceutiques
Biotechnologies
9 799
4,39
11,4 %
9 592
11,90
20,4 %
8 288
4,58
3,3 %
6 633
6 428
6 002
4,07
3,03
4,32
7,2 %
1,9 %
− 6,9 %
5 668
4,67
20,0 %
5 364
2,42
− 0,2 %
5 309
2,84
− 4,3 %
1,6 %
Source : d’après l’Office européen des brevets, 2013.
Il faut rappeler, en préambule, que les barrières à l’entrée sont en contradiction avec un
des principes de la concurrence pure et parfaite. Il faut ensuite bien distinguer, en faisant la
structure de la réponse, la différence entre ce qui est voulu par les entreprises (pour écarter
des concurrents) et ce qui relève spontanément des conditions mêmes de tel ou tel secteur
d’activité. Enfin, on n’oubliera pas le cas particulier dans lequel c’est la puissance publique
qui fixe les règles du jeu en limitant, par la loi, le nombre d’opérateurs. Pour chaque circonstance, un exemple illustratif est évidemment le bienvenu.
146
Sujet 19 | Corrigé
Introduction
Il est dans l’intérêt des entreprises d’éviter la situation de concurrence, notamment de concurrence
pure et parfaite (CPP), cela leur permet d’acquérir un pouvoir de marché et, si possible, de maintenir leur marché en situation oligopolistique voire monopolistique. Or, les barrières à l’entrée,
c’est-à-dire les obstacles à l’intrusion de nouvelles entreprises sur un marché, constituent une défaillance de l’hypothèse de « libre entrée sur le marché » énoncée par le modèle théorique de la
CPP. Ces barrières à l’entrée peuvent être le fruit des stratégies des entreprises en place (barrières
stratégiques), mais elles peuvent aussi résulter spontanément des structures mêmes du marché
(barrières structurelles).
I. Les barrières stratégiques
Pour bloquer l’entrée de nouveaux concurrents et conserver une position monopolistique de « faiseur de prix », une entreprise peut tout d’abord mettre en place une stratégie tarifaire dissuasive :
en fixant des « prix prédateurs », c’est-à-dire situés en dessous des coûts de production, l’entreprise dissuade l’installation de nouveaux concurrents potentiels, qui ne peuvent espérer, à ce prix
de vente, amortir leurs coûts de production, notamment les coûts fixes. Cette stratégie préventive
peut d’ailleurs aussi servir contre un concurrent « installé » qui peut être contraint de « sortir » du
marché.
Une autre situation constitue également une barrière à l’entrée manipulable par l’entreprise, celle
de la détention majoritaire voire exclusive d’une ressource rare : l’exemple actuel de la politique
restrictive de la Chine à l’égard de ses exportations de terres rares, ces métaux spécifiques utilisés notamment dans les nouvelles technologies, illustre bien cette situation. La détention de ces
ressources et le contrôle de leurs réseaux d’approvisionnement peuvent empêcher les concurrents
potentiels d’y avoir accès et leur interdit donc l’entrée sur ce créneau productif.
Les stratégies commerciales à grande échelle, utilisant des moyens de promotion publicitaire et
des réseaux de distribution exclusifs, peuvent aussi être dissuasives à l’entrée de nouveaux prétendants. On pense ici à Apple et au « matraquage » de communication auquel donne lieu la sortie
de nouveaux matériels. Réussir à concurrencer cette présence médiatique massive exige des coûts
qui, de facto, constituent une barrière à l’entrée.
Enfin, la barrière légale que constitue le dépôt de brevets est aussi, pour l’entreprise, le moyen de
s’assurer le monopole de l’exploitation d’une innovation, avec une protection légale qui, dans le
régime commun, s’étend sur vingt ans. Le document 2 illustre l’importance des dépôts de brevets
pour un grand nombre d’entreprises de l’Union européenne, notamment dans les secteurs à évolution technologique accélérée. On le constate pour les technologies médicales, au sein desquelles
on recense le plus grand nombre global de brevets (10 412 en 2012), ou dans le secteur relativement concentré de la communication numérique où le nombre de dépôts par demandeur atteint des
valeurs très au-dessus de la moyenne (près de 12 brevets en 2012 par demandeur), avec un taux
de croissance annuel de ces dépôts supérieur à 20 %, preuve d’une intense course à l’innovation.
Remarquons cependant que la barrière constituée par le brevet est imparfaite puisqu’elle peut être
contournée par la fabrication clandestine ou par le copiage.
147
Sujet 19 | Corrigé
II. Les barrières structurelles
Il existe cependant des situations de marché dans lesquelles les barrières à l’entrée ne résultent
pas des stratégies de protection des entreprises qui y sont présentes mais de la nature même de
l’activité exercée ou des cadres réglementaires découlant des exigences de la puissance publique.
Certaines activités économiques nécessitent, par nature, des coûts d’investissement gigantesques,
avant même que puisse démarrer la production. Ces investissements peuvent concerner des dépenses de recherche-développement, des dépenses d’infrastructures ou encore des équipements
technologiques particulièrement coûteux. La lourdeur de ces coûts préalables rend, de fait, le marché inaccessible à de nouveaux opérateurs, et la mise en concurrence y est donc limitée voire impossible. Le document 1 cite l’exemple du développement de la technologie des écrans plats qui
a nécessité une mise de fonds (« un ticket d’entrée ») que seuls des investisseurs de grande taille
sont capables de supporter et d’amortir.
Un autre exemple de ce type de situation est celui du percement puis de l’exploitation du tunnel
sous la Manche : le caractère unique de l’ouvrage et les investissements colossaux sur une longue
période constituaient, là encore, une barrière à l’entrée infranchissable. De même, toutes les activités de réseaux (chemin de fer, distribution d’eau ou d’énergie, technologies numériques, etc.)
exigent de telles infrastructures que le nombre d’opérateurs soit nécessairement limité.
Enfin, la barrière à l’entrée peut relever d’une exigence prudentielle de la part des pouvoirs publics,
lorsque l’activité concernée peut avoir un impact sur le fonctionnement global de l’économie et sur
l’intérêt général : l’exemple fourni par le document 1 concerne le domaine des activités bancaires
dans lequel les opérateurs doivent avoir une taille minimale (capital initial) leur permettant de
faire face aux accidents et aux risque inhérents à la fonction bancaire.
Conclusion
La protection que constitue, pour certaines entreprises, l’existence de barrières à l’entrée résulte,
le plus souvent, d’une mise en place volontaire et assumée d’obstacles à l’intrusion de nouveaux
concurrents. Elle peut aussi découler de certaines caractéristiques spécifiques des activités économiques qui rendent nécessaires de limiter aux seuls opérateurs fiables l’accès au marché.
148
Sujet 20, paragraphe argumenté
Amérique du Nord, mai 2013, spé. économie approfondie
Comment les entreprises peuvent-elles exercer un pouvoir de marché ?
› Document
En France, le secteur de l’après-vente automobile totalise un chiffre d’affaires de 30 milliards d’euros hors taxes par an. [...]
Le fonctionnement concurrentiel de ce secteur est très spécifique, notamment en comparaison de
celui de la vente de véhicules. En effet, alors que le marché « primaire » de la vente de véhicules fait
l’objet d’une forte concurrence entre constructeurs automobiles, sur le marché « secondaire » de
l’après-vente, c’est-à-dire une fois le véhicule acheté, les constructeurs ne sont plus en concurrence
directe. [...]
Plusieurs facteurs sont a priori susceptibles de limiter la concurrence [...]. Du fait de leur qualité
d’assembleur, les constructeurs sont les seuls à détenir de façon complète et actualisée l’ensemble
des « informations techniques » sur les véhicules. Or la part accrue de l’électronique embarquée
complexifie de plus en plus les véhicules et rend d’autant plus stratégique l’accès aux informations
techniques liées à la réparation et à l’entretien des véhicules. Les informations techniques servent
par exemple à faire un diagnostic de la défectuosité constatée, à identifier les pièces de rechange à
remplacer, à connaître les temps de montage ou encore à lire les schémas électriques. [...]
En France, les pièces visibles présentes sur les véhicules (pièces de carrosserie, vitrages, feux, rétroviseurs, etc.) peuvent être protégées au titre du droit des dessins et modèles ou du droit d’auteur.
Ces droits de propriété intellectuelle, appliqués aux pièces de rechange, empêchent que soient fabriquées et/ou commercialisées sur le territoire français des pièces concurrentes de celles vendues
par le constructeur. Ils confèrent donc au constructeur un monopole de droit effectivement appliqué sur environ 70 % du marché des pièces visibles [...], sur un marché estimé en 2010 entre 1,8 et
2,6 milliards d’euros hors taxes.
Source : d’après l’Autorité de la concurrence, 2012.
Cette question du pouvoir de marché est assez technique et il ne faut s’y lancer que si l’on
maîtrise bien les mécanismes de fonctionnement des différents types de marchés. Elle exige
en particulier que soient mobilisées les notions de « monopole », « oligopole », « marché
concurrentiel » mais aussi de « preneur » ou « faiseur de prix », de « barrière à l’entrée » et de
« discrimination tarifaire ». Le « comment » de l’énoncé doit s’analyser, d’une part, comme
« dans quelles circonstances », d’autre part, comme « au travers de quels instruments ».
Cette distinction permet de structurer la réponse avec une première partie qui décrit les
situations engendrant un pouvoir de marché et une deuxième partie plus centrée sur les
objectifs poursuivis par les entreprises pour se doter d’un pouvoir de marché. On veillera,
dans la seconde partie de la réponse, à montrer que ce pouvoir n’est pas sans limites.
149
Sujet 20 | Corrigé
Introduction
Un grand nombre de marchés ne répondent pas aux règles du marché concurrentiel et comporte des
imperfections de concurrence. Certaines entreprises disposent en effet d’un pouvoir de marché.
« Exercer un pouvoir de marché » signifie être capable d’influencer la fixation du prix des biens
ou des services proposés sur le marché. Cette situation peut résulter de circonstances diverses,
mais, dans tous les cas, elle procure à l’entreprise un avantage spécifique qui la libère, au moins
en partie, des contraintes de la concurrence en matière de prix.
I. Concurrence imparfaite et pouvoir de marché
Un pouvoir de marché résulte d’une situation asymétrique entre l’offre et la demande dans laquelle
les offreurs se retrouvent, de manière plus ou moins affirmée, « faiseurs de prix », contrairement à
la situation d’un marché concurrentiel sur lequel chaque offreur est « preneur de prix », c’est-à-dire
se voit imposer son prix de vente par le marché.
Parmi les diverses situations qui engendrent un pouvoir de marché, la plus évidente est celle du
monopole. L’unique offreur, à l’abri de tout concurrent, peut librement (ou presque) fixer son prix
et les quantités qu’il souhaite produire. Cette situation peut résulter, par exemple, d’un monopole
naturel (transport ferroviaire) dans lequel le montant des investissements est considérable et où
les économies d’échelle sont très fortes (baisse importante des coûts unitaires quand la production
s’accroît).
Mais les entreprises opérant sur un marché oligopolistique peuvent disposer, elles aussi, d’un
pouvoir de marché. Ainsi, les entreprises automobiles (cf. document), par la diversification des
modèles et des conditions du service après-vente, peuvent « emprisonner » leurs clients dans une
contrainte liée à la maîtrise exclusive des informations techniques permettant l’entretien des véhicules, ou encore par la détention de brevets ou de droits de dessins qui interdisent la production
de pièces détachées par des producteurs concurrents.
Cette situation crée une « barrière à l’entrée » qui limite la concurrence. De ce point de vue, le
renouvellement technologique accéléré auquel se livrent certaines entreprises (Intel, Microsoft,
Apple, etc.), protégées en permanence par des brevets (même si ceux-ci n’ont qu’une validité
temporaire), constitue une des barrières à l’entrée les plus puissantes.
Ces barrières sont légales. D’autres le sont moins : la pratique de « prix prédateurs » (c’est-à-dire
en dessous du coût moyen de production) est souvent utilisée pour dissuader des entrants potentiels
sur le marché en laminant à court terme les perspectives de marges de profit.
II. Avantages et limites d’un pouvoir de marché
Exercer un pouvoir de marché permet à l’entreprise d’engranger un surprofit, « une rente », par
rapport au profit qui s’établirait en situation de concurrence parfaite. Qu’il s’agisse d’un monopole
ou d’un marché de concurrence oligopolistique, l’entreprise « fait » le marché, dans des proportions qui dépendent de l’importance de son pouvoir de marché. Celui-ci se mesure à la différence
entre le prix fixé par l’entreprise et celui qui devrait être le prix concurrentiel, c’est-à-dire le coût
marginal des biens produits. Un pouvoir de marché se traduit donc, dans des proportions variables,
150
Sujet 20 | Corrigé
par une ponction supplémentaire opérée sur les acheteurs par l’intermédiaire du prix.
En réalité, ce pouvoir de marché comporte des limites. Un monopole n’a pas la complète maîtrise
de la fixation du prix au niveau le plus élevé car celui-ci ne correspond pas nécessairement au profit
le plus élevé : pour toucher une plus large fraction de la demande potentielle, le monopole ou les
entreprises d’un oligopole peuvent avoir intérêt à pratiquer un prix moins élevé. Tout dépend, dans
ce cas, de l’élasticité-prix de la demande et de l’évolution des coûts. Si, en abaissant le prix de
20 %, la demande s’accroît de 50 % et que le coût unitaire diminue, le profit global augmente.
Une des stratégies privilégiées pour rendre compatibles des profits élevés et une demande élargie
consiste à pratiquer « la discrimination tarifaire », c’est-à-dire à faire payer des prix différents
selon les strates de clients : les clients les plus riches payent plus cher, les autres par tranches
successives paient moins cher. Il faut évidemment créer le sentiment qu’il y a plusieurs marchés
séparés (selon les services différenciés, selon la date d’achat, selon les jours disponibles, etc.). Le
transport aérien ou la SNCF en France pratiquent ce type de tarification, qui maximise le profit
global.
Une autre limite au pouvoir de marché est l’existence de « marchés contestables », c’est-à-dire
de marchés sur lesquels existe une menace d’entrée de concurrents potentiels, attirés par les hauts
taux de profit de la branche. Ici encore, les entreprises en place ont intérêt à limiter l’usage de leur
pouvoir sur le prix pour éviter l’entrée de ces concurrents.
Conclusion
Les demandeurs, notamment les ménages, sont confrontés chaque jour à l’existence de pouvoirs
de marché qui ont pour conséquence la pratique de prix ne résultant pas d’une confrontation équilibrée entre l’offre et la demande. Dans la plupart des pays, des autorités chargées de la régulation
de la concurrence veillent à rétablir des conditions de marché concurrentielles, soit de manière
préventive en empêchant l’apparition de ces situations, soit en les sanctionnant, souvent par des
amendes, lorsqu’elles deviennent décelables et qu’il est possible de prouver leur existence.
151
Sujet 21, paragraphe argumenté
Sujet national, juin 2013, spé. économie approfondie
Comment peut-on expliquer la mise en place de la politique de la concurrence ?
› Document
Partout où un pouvoir de monopole fait apparaître des rentes 1 , il se produit une grosse distorsion 2
dans l’économie. Les prix sont trop élevés, et les acheteurs passent du produit monopolisé à d’autres
biens. Il est à noter que, bien que les États-Unis prétendent être une économie très concurrentielle,
certains secteurs continuent manifestement à moissonner des surprofits 3 . [...]
Quand la concurrence est très restreinte, son effet réel est souvent le gaspillage, car les concurrents
luttent pour être celui qui pourra exploiter le consommateur. [...] Nous voyons des preuves de recherche de rente dans les dépenses massives de recrutement de clients pour les cartes de crédit ou
les téléphones mobiles. L’objectif ici devient d’exploiter les clients le plus possible et aussi vite que
l’on pourra, par des commissions et des facturations qui ne sont ni compréhensibles ni prévisibles.
Les compagnies font de gros efforts pour rendre difficile toute comparaison des coûts d’utilisation
entre deux cartes de crédit, car, si cette opération était possible, elle stimulerait la concurrence, et
la concurrence érode 4 les profits. Les entreprises américaines, elles aussi, doivent payer beaucoup
plus aux compagnies de cartes de crédit que les firmes d’autres pays qui ont su freiner certaines
de ces pratiques anti-concurrentielles – et les coûts plus élevés que subissent nos entreprises sont
transférés aux consommateurs américains, ce qui diminue leur niveau de vie.
Il en va de même pour les téléphones mobiles : les Américains paient des tarifs plus élevés et sont
moins bien servis que les habitants de pays qui ont réussi à créer un marché plus authentiquement
concurrentiel.
Source : Joseph E. Stiglitz, Le Prix de l’inégalité, 2012.
Cette question de la concurrence et des mesures par lesquelles les autorités de régulation
peuvent en assurer le respect fait l’objet, dans l’Union européenne, de discussions voire de
controverses. Le sujet demande que soit expliquée la logique qui conduit à cette exigence
de transparence et d’équilibre dans le fonctionnement des marchés, autrement dit que soient
décrits les avantages que la politique de la concurrence procure et les inconvénients qu’elle
permet d’éviter. Il faut ensuite lister, en fournissant quelques exemples pertinents d’applications, les catégories de mesures qui relèvent de cette politique. La conclusion pourra signaler
que le postulat de l’excellence concurrentielle est contesté par certaines analyses, notamment en ce qui concerne certaines activités ayant un caractère spécifique qui peut justifier
un traitement exceptionnel (services publics ou biens culturels).
1. Rente de monopole : bénéfice durable obtenu par une entreprise en situation de monopole.
2. Distorsion : déformation, déséquilibre.
3. Surprofits : profits supplémentaires dus à un pouvoir de marché.
4. Éroder : ici, réduire.
152
Sujet 21 | Corrigé
Introduction
Dans tous les grands pays développés existe une instance chargée du respect des règles de la
concurrence. Dans l’Union européenne, cette compétence particulière a été confiée, au sein de
la Commission, à la Direction générale de la concurrence. Cette politique se donne pour objectif
ultime de permettre un fonctionnement concurrentiel des marchés, situation qui est considérée
comme juste pour les entreprises et optimale pour les consommateurs.
I. Une mise en place légitimée par les imperfections de la concurrence
Le point sur lequel toute politique de la concurrence est construite est la préoccupation d’interdire
aux entreprises d’exercer un « pouvoir de marché » : on définit un pouvoir de marché comme la
capacité que détient une entreprise de peser sur la détermination du prix de marché. Cette situation
peut résulter de plusieurs circonstances différentes qui sont cependant toutes la conséquence d’une
imperfection de la concurrence. Le cas le plus extrême est la situation de monopole dans laquelle
le prix est fixé de manière unilatérale par l’offreur, qui réalise alors un surprofit, une « rente »
(cf. document), en raison d’un prix supérieur à celui qui s’établirait en situation de concurrence.
Mais les situations d’oligopoles, plus fréquentes, aboutissent également à une concurrence restreinte puisqu’elles rassemblent un nombre limité d’offreurs, ce qui leur donne la possibilité, par
des ententes sur les prix, la fixation de quotas de production ou la répartition des parts de marchés,
de réaliser un surprofit, au détriment du consommateur.
Les exemples cités par J. Stiglitz (cf. document) dans le domaine des cartes de crédit ou de la
téléphonie mobile se retrouvent également en Europe et peuvent être complétés par ceux des microprocesseurs (Intel) ou des systèmes d’exploitation informatique (Microsoft).
Ces situations s’expliquent souvent par l’existence de « barrières à l’entrée » qui empêchent l’arrivée sur le marché de nouveaux concurrents, soit en raison d’une exclusivité technologique (brevets) ou de la lourdeur des investissements nécessaires. Cette dissymétrie entre offreurs et demandeurs peut aussi résulter de processus de concentration dans certaines activités (compagnies
aériennes sur certaines destinations, par exemple) qui aboutissent à des abus de position dominante
liés à une situation de quasi-monopole.
Enfin, ces distorsions de concurrence peuvent aussi résulter de l’intervention de la puissance publique sous la forme de subventions ou d’exonérations fiscales ou sociales aux entreprises nationales au détriment des entreprises étrangères opérant sur les mêmes marchés.
II. La nécessité d’interventions régulatrices ou correctrices
La législation qui s’est développée sur cette question a pour principe général d’interdire les entraves à la concurrence et les abus de position dominante. Elle vise à placer les entreprises d’un
secteur sur un même pied d’égalité, de façon à rétablir la situation dans laquelle l’entreprise est
« preneuse de prix », c’est-à-dire n’a pas d’influence sur le prix. Le bénéficiaire présumé de cette
politique de la concurrence est le consommateur, qui profitera d’un prix de concurrence juste et
équitable. Pour parvenir à ce résultat, les organes de régulation disposent de trois catégories d’instruments : les sanctions, la surveillance et les interdictions.
153
Sujet 21 | Corrigé
Les sanctions sont des mesures prises a posteriori lorsqu’un comportement anticoncurrentiel a été
découvert et peut être prouvé. Il peut s’agir, par exemple, d’amendes infligées aux membres d’un
cartel comme celui de la téléphonie mobile en France ou encore pour abus de position dominante
(Microsoft, condamné en 2006 à 280 millions d’euros d’amende pour vente forcée de son lecteur
multimédia avec son système d’exploitation Windows).
Les mesures de surveillance sont destinées à vérifier que les concentrations envisagées par les
firmes n’aboutiront pas à des positions dominantes. Le projet doit être communiqué aux autorités
de la concurrence qui vérifient de manière préventive qu’il est conforme au droit. Ainsi, Ryanair
et Aer Lingus ont dû annuler leur projet de fusion sur injonction de la Commission européenne.
Enfin, les États sont régulièrement rappelés à l’ordre, au nom du principe de concurrence, lorsque
des mesures de soutien à un secteur économique menacé viennent donner un avantage jugé anticoncurrentiel aux entreprises nationales. Cette pratique est en effet interdite par les traités européens et par les règles de l’Organisation mondiale du commerce.
Conclusion
La politique de la concurrence vise donc à garantir le fonctionnement fluide et transparent des marchés. Elle repose sur le postulat que la situation concurrentielle produit, pour l’ensemble des acteurs économiques, les résultats optimaux, ce que contestent certaines analyses en ce qui concerne
l’incitation à l’innovation, certains services collectifs assumés par l’État ou encore les biens culturels, susceptibles de faire l’objet d’une « exception ».
154
Sujet 22, paragraphe argumenté
Inde, avril 2013, spé. économie approfondie
Vous présenterez les caractéristiques du processus de globalisation financière.
› Document
1
Évolution de la part (en %) du total des actions du CAC 40
détenues par des agents économiques non-résidents
Source : d’après J. Le Roux, Bulletin de la Banque de France, 2e trimestre 2011.
› Document
2
Depuis la fin des années 1970 et tout au long des années 1980 et 1990, au rythme des innovations
financières et du progrès technologique, les marchés de capitaux ont connu un formidable essor.
L’introduction de nouveaux titres 1 , la création de nouveaux marchés ou de nouveaux segments
de marchés ont assurément promu les financements par émission de titres. À cette expansion des
financements de marché a parfois été associée l’idée de désintermédiation 2 comme si cet essor avait
pu se nourrir exclusivement de l’épargne de petits porteurs 3 accédant directement aux marchés,
comme si le développement des marchés avait pu s’opérer au détriment des intermédiaires bancaires
1. Titres : actifs financiers.
2. Désintermédiation : moindre recours aux crédits bancaires pour se financer.
3. Petits porteurs : agents économiques détenant peu d’actifs financiers.
155
Sujet 22 | Énoncé
et financiers. [...] Les banques ont su s’adapter. D’une part, en étendant leur activité à celles des
intermédiaires financiers dont elles auraient sinon continué de subir la concurrence (bancassurance,
gestion de fonds, etc.). D’autre part, en collectant sur les marchés des ressources leur permettant de
compenser la baisse relative des dépôts de leurs clientèles et en y destinant également l’emploi de
leurs ressources par l’accroissement de l’activité d’investissement en titres. Comme l’ensemble des
intermédiaires financiers, les banques ont ainsi nourri de leurs investissements l’essor des marchés
de capitaux.
Source : d’après G. Capelle-Blancard et J. Couppey-Soubeyran, « Le financement des agents non financiers en
Europe », Économie et Statistique, 2003.
Le sujet porte sur un thème classique du programme et demande une présentation descriptive de la globalisation financière. Il faut maîtriser correctement les contenus pour alimenter
la réponse : quelques repères historiques (début du processus à la fin des années 1970) et
statistiques (multiplication par 6 environ des transactions sur les devises et des investissements directs à l’étranger), connaissance des nouveaux opérateurs (fonds de pensions, fonds
d’investissement, fonds souverains, etc.) et des nouveaux produits financiers (titrisation des
créances, produits dérivés...). Il est aussi judicieux de faire référence aux fameux « 3D »
(désintermédiation, déréglementation et décloisonnement) en les décrivant succinctement.
Le document 2 permet d’ailleurs de nuancer l’ampleur de la désintermédiation bancaire
puisqu’il montre que les banques n’ont pas vraiment été mises « hors circuit » comme on
l’affirme parfois. Enfin, l’énoncé du sujet ne comporte pas d’incitation à la critique de la
globalisation. On pourra cependant, dans la conclusion, faire allusion à la répétition des
crises financières, suggérant ainsi que la globalisation n’y est peut-être pas étrangère.
156
Sujet 22 | Corrigé
Introduction
La globalisation financière est une des dimensions de la mondialisation et elle concerne les mouvements internationaux de capitaux. De même que la mondialisation des échanges de biens crée
les conditions d’une interpénétration des processus de production, la globalisation financière se
traduit par l’intégration, à l’échelle de la planète, des institutions et des instruments permettant la
circulation des capitaux.
I. Les fondements de la globalisation financière
Le mouvement de globalisation de la circulation des capitaux s’est accéléré à partir des années
1980 et s’est traduit par une triple évolution : le gonflement quantitatif des flux, la multinationalisation des acteurs et de leurs stratégies, et l’émergence de nouveaux opérateurs et instruments.
Les flux de capitaux à travers le monde ont connu une expansion considérable, quels qu’en soient
les motifs : ainsi, sur le marché des changes, où s’échangent les devises, le volume quotidien
des transactions a été multiplié par 6 sur la période 1989-2010. Les investissements directs à
l’étranger (IDE) réalisés par les entreprises sont aujourd’hui de l’ordre de 1 500 milliards de dollars
par an, contre 200 milliards de dollars en 1990, et des évolutions similaires sont perceptibles sur
les marchés d’actions. On constate d’ailleurs, sur ces marchés, une présence plus fréquente des
investisseurs non résidents (en 2010, 43 % de la capitalisation du CAC 40 est détenue par des
non-résidents, contre 35 % en 1998).
Un autre aspect de cette globalisation est que les opérateurs financiers ne sont plus cantonnés aux
espaces nationaux. Leurs opérations se déploient à l’échelle de la planète, sur des places financières désormais interconnectées. Le résultat de cette multinationalisation est que les marchés de
capitaux fonctionnent de manière ininterrompue, 24 heures sur 24, et avec des temps de réaction
devenus quasiment nuls. Les arbitrages se déroulent donc « en temps réel », et les coûts de transactions ont considérablement diminué. Dans ces conditions, ces marchés échappent pratiquement à
toute régulation publique de la part des États.
Enfin, cette globalisation a modifié en profondeur les structures financières en amenant les
banques à remodeler le périmètre de leurs activités et en faisant naître de nouveaux acteurs. Les
banques ont élargi leurs territoires d’activités en intervenant plus fréquemment sur les marchés
financiers : à côté de leurs fonctions traditionnelles de collecte de l’épargne et de financement
de la vie économique, elles interviennent désormais dans le conseil de placement et la vente de
nouveaux produits financiers (titrisation des créances immobilières, création de produits dérivés,
financement de la dette des États, etc.). Parallèlement, de nouveaux acteurs sont apparus, comme
les fonds de pensions, les fonds d’investissement ou les fonds spéculatifs sur les produits à risques
(hedge funds). Certains États eux-mêmes sont devenus des acteurs financiers, à travers les fonds
souverains (par exemple chinois ou qataris) qui placent les excédents détenus par ces États, par
exemple, dans le financement des dettes publiques d’autres États.
157
Sujet 22 | Corrigé
II. Les modalités de la globalisation financière
Cette libéralisation des flux internationaux de capitaux s’est faite à travers trois axes que l’on
désigne souvent par les « 3D » : la désintermédiation bancaire, la déréglementation et le décloisonnement des marchés.
L’expression « désintermédiation bancaire » désigne le fait que le financement de l’économie
réelle se ferait désormais de plus en plus par appel direct des agents à besoin de financement (les
entreprises qui investissent, par exemple) au marché des capitaux plutôt qu’en ayant recours au
financement bancaire. Lorsqu’une entreprise a besoin de capitaux pour financer son développement, elle émet des actions ou des obligations en direction des épargnants en court-circuitant ainsi
le système bancaire. Le document 2 relativise l’impact de cette désintermédiation en montrant
que les banques, en raison de la diversification de leurs activités, restent au cœur des marchés de
capitaux.
La déréglementation recouvre l’assouplissement progressif des législations encadrant les activités
financières. Elle a débuté dans les années 1970-1980 aux États-Unis et en Grande-Bretagne puis
s’est élargie à la plupart des pays. Caractérisée au départ par l’abandon du contrôle des changes
(échanges de devises), elle s’est traduite par l’assouplissement ou la suppression des règles prudentielles qui organisaient les opérations boursières (autorisation pour les banques de dépôts d’effectuer des opérations de marché, possibilités de créer de nouveaux produits financiers, etc.).
Le décloisonnement des marchés participe d’ailleurs à cette déréglementation : il a d’abord une
dimension géographique puisque les marchés ne sont plus réduits aux espaces nationaux et les excédents d’épargne à un endroit du monde peuvent s’investir dans n’importe quel autre pays. Mais
il a aussi une dimension organisationnelle, puisque les banques commerciales se livrent désormais
à des activités de banques d’affaires ou de compagnies d’assurances et que des investissements
de long terme peuvent être financés par de l’épargne à court terme.
Conclusion
Le paysage financier mondial, à l’image des activités de production, s’est profondément transformé en l’espace de trois décennies. L’allocation de l’épargne mondiale devrait, selon les défenseurs de la globalisation financière, devenir optimale et permettre de combler les déséquilibres
de développement. La répétition des crises financières doit cependant conduire à modérer cette
vision optimiste.
158
Sujet 23, paragraphe argumenté
Inde, avril 2014, spé. économie approfondie
Comment peut-on réguler le système financier ?
› Document
La crise financière a conduit les pouvoirs publics à mettre en place de nouvelles règlementations
financières. [...]
Les nouvelles réglementations concernent en premier lieu le contrôle micro-prudentiel 1 des
banques par des ratios comptables et financiers que les banques doivent respecter. Jusqu’en 2012,
l’activité des banques était régie par les accords de Bâle 2 : pour l’essentiel, des ratios de solvabilité 2 les contraignaient de conserver [...] une partie de leurs actifs, afin de pouvoir faire face à des
crises de liquidité 3 ou de solvabilité de leurs emprunteurs. Les accords de Bâle 3, publiés le 16 décembre 2010, revoient à la hausse ces ratios prudentiels, et en établissent de nouveaux destinés à
prendre en compte le risque de liquidité [...].
Les nouvelles réglementations concernent également les transactions financières et la protection
des investisseurs particuliers. En Europe, la directive relative aux marchés d’instruments financiers
(MIF), publiée en avril 2004, avait pour objectif, d’une part, d’améliorer la concurrence entre les
places financières européennes et l’offre de services d’investissement ; et, d’autre part, d’améliorer la protection des investisseurs particuliers en les informant davantage et en adaptant l’offre de
produits financiers à leur niveau de compétence. Le projet de réforme de cette directive, dans le
cadre des propositions de MIF 2 publiées fin 2011 par la Commission européenne, consiste en une
directive et un règlement qui visent à rendre les marchés financiers plus transparents, et à renforcer
la protection des investisseurs.
Source : C. Célérier, B. Vallée, « Les nouvelles réglementations risquent-elles de freiner l’innovation financière ? »,
Cahiers français, juillet-août 2013.
Le sujet demande un certain niveau de connaissances en matière de techniques financières.
Le document fourni indique des pistes, mais de manière assez vague et sans couvrir l’ensemble des instruments de régulation envisageables. Il semble nécessaire de passer par une
phase d’explication des mécanismes qui ont produit la crise financière, pour pouvoir expliciter ensuite comment chaque mesure évoquée pourrait être efficace. Il faut cependant éviter
de décrire en détail tel ou tel mécanisme, ce qui ferait perdre le fil des attentes globales du
sujet.
1. Le contrôle micro-prudentiel se situe au niveau de la banque et vise à limiter le risque de faillite.
2. Ratios de solvabilité : rapports entre les fonds propres d’une banque (c’est-à-dire ce qu’elle possède effectivement, ses actifs) et ses engagements. Ces ratios sont destinés à limiter les risques d’une crise bancaire.
3. Liquidité : cela désigne l’ensemble des actifs détenus par les banques qui peuvent servir aux règlements entre la
banque et l’extérieur.
159
Sujet 23 | Corrigé
Introduction
Les crises financières trouvent leur origine dans les conditions mêmes de fonctionnement des marchés financiers. La nature spéculative de certains instruments financiers, l’opacité du fonctionnement de la sphère financière et l’enchaînement aveugle des comportements mimétiques sont au
cœur du déclenchement de ces déséquilibres qui, régulièrement, secouent l’économie mondiale
désormais globalisée. Décrire les instruments susceptibles de réguler le système financier nécessite au préalable de comprendre l’origine de ses dérives
I. La genèse des crises financières
La crise financière des années 2007-2008 a fait apparaître un risque systémique d’une extrême
gravité, à travers la contagion que le défaut de quelques opérateurs a rapidement transmis à l’ensemble des acteurs financiers. Cette incapacité à faire face à ses engagements, de la part d’une
banque locale, d’un fonds de placement ou d’un organisme de crédit, s’est en effet répercutée de
proche en proche dans la chaîne des acteurs concernés, engagés à leur tour par les créances qu’ils
détenaient sur ces premiers acteurs défaillants. Le risque systémique n’est alors plus confiné à
quelques acteurs imprudents ou malhonnêtes, mais peut se propager à l’ensemble des structures
financières, comme on l’a vu lors de la crise des subprimes, ces prêts immobiliers à risque accordés, aux États-Unis, à des ménages insolvables.
Cette situation est en partie la conséquence du mouvement de déréglementation et de dérégulation
inauguré dans les années 1970-1980. En effet, la libéralisation des transferts capitaux à l’échelle
de la planète a conduit à une disparition de la tutelle que les États exerçaient sur la sphère financière. Les innovations financières comme les produits dérivés, la titrisation des dettes ou la
dilution des titres toxiques dans des produits « présentables » ont accru l’opacité des transactions
financières, notamment en ce qui concerne les investisseurs particuliers. Enfin, le développement
des technologies numériques autorise des échanges instantanés, 24 heures sur 24 et à coûts de
transaction quasi-nuls (trading haute fréquence). Il permet, dans le même temps, que les comportements mimétiques et l’appât du gain spéculatif conduisent le système financier au bord du
gouffre.
II. Quels instruments pour réguler le système financier ?
La gravité de ces dérives a amené les autorités publiques, dans la plupart des pays, à intervenir
directement pour « éteindre l’incendie » en urgence, par des interventions massives des États et
des banques centrales, « prêteurs en dernier ressort », pour assurer la liquidité globale du système,
même si certains acteurs ont payé leur imprudence de leur disparition (Lehman Brothers).
Dans un deuxième temps, des interventions « en amont » ont été décidées pour encadrer l’activité
des opérateurs financiers. Certaines de ces interventions, inspirées d’une vision libérale, visent
à accroître simplement la transparence de l’information à l’égard des « produits à risque », sans
les interdire, de manière que diminue l’asymétrie d’information entre l’offreur de ces supports
et leurs éventuels acquéreurs. On peut cependant s’interroger sur la capacité des investisseurs
privés à « démasquer » la toxicité réelle de certains titres qui, par montages successifs, diluent les
160
Sujet 23 | Corrigé
créances douteuses jusqu’à les rendre invisibles.
Une autre mesure consiste à freiner l’ardeur des banques à s’engager dans des opérations spéculatives : le système bancaire est, en effet, en situation d’aléa moral, qui l’incite à ne pas respecter
les règles prudentielles en comptant sur le « filet de sécurité » que représente la garantie de l’État.
Il s’agit donc d’obliger les banques à séparer plus nettement leurs opérations spéculatives de leurs
opérations commerciales. Les accords de Bâle 3, en 2010 ont, par exemple, prévu un relèvement
des ratios prudentiels de solvabilité en augmentant la part des fonds propres dans les dépôts de
garantie auprès des banques centrales. Des « tests de résistance à la crise » sont désormais régulièrement prévus pour vérifier la capacité du système bancaire à éviter le retour d’une crise
systémique.
Des propositions ont également été formulées en ce qui concerne la surveillance (voire le ralentissement) du trading haute fréquence et l’imposition d’une taxe sur les transactions financières pour
rendre moins profitables certains flux spéculatifs. Enfin, des mesures encore timides (et semblet-il en partie contournables) ont été engagées contre les paradis fiscaux qui, en accueillant généreusement les opérations douteuses, constituent un véritable danger pour la stabilité du système
financier.
Conclusion
La dernière crise financière a révélé l’importance démesurée que la sphère financière a prise face
à la sphère de l’économie réelle. Plus de 80 % des flux de capitaux dans le monde correspondent à
des transactions financières déconnectées des activités productives. La dérégulation ultralibérale
des années 1970-1990 a produit une crise dont l’économie réelle peine à se remettre. La prise
de conscience de la nécessité d’une nouvelle régulation plus stricte semble cependant timide au
regard des dégâts économiques et sociaux qu’une nouvelle crise ferait courir au monde.
161
Sujet 24, paragraphe argumenté
Sujet national, juin 2014, spé. sciences politiques
En quoi les groupes d’intérêt influent-ils sur le fonctionnement de la démocratie ?
› Document
Au début de ce siècle, la politique agricole française se caractérise d’abord par une volonté politique
de présence dans les campagnes, comme l’atteste la création, en 1881, du ministère de l’Agriculture. Dès lors que, dans le modèle de développement adopté par la France, l’agriculture n’était pas
considérée comme un débouché industriel ou un réservoir de main-d’œuvre, une politique visant à
maintenir les équilibres ruraux s’imposait [...]. Cette politique agricole est celle de la France jusqu’en 1940. En effet, à la Libération, le rôle économique et social de l’agriculture doit changer :
elle devient un secteur productif intégré à l’économie nationale dont on attend qu’il soit à la fois un
débouché de l’industrie et un réservoir de main-d’œuvre susceptible d’alimenter l’industrialisation.
[...] C’est le changement de régime de 1958, avec l’arrivée du général de Gaulle, qui va constituer
la « fenêtre politique » décisive [...]. C’est alors qu’intervient la « découverte » par le gouvernement
des thèses du CNJA 1 , une organisation dont la légitimité dans le milieu paysan n’est pas contestable et qui propose une vision de l’agriculture exactement conforme à ce dont le Premier ministre a
besoin : priorité à la modernisation et à l’agrandissement foncier, encouragement au départ des agriculteurs en « surnombre », des thèmes qui s’intègrent parfaitement dans les perspectives générales
définies par le gouvernement [...]. Dès lors, les choses peuvent aller très vite. Au printemps 1960,
une série de réunions confidentielles réunissent les représentants du gouvernement et l’état-major
du CNJA [...]. De ces réunions va naître un projet de loi d’orientation qui, adopté par le Parlement
le 5 août 1980, modifie de fond en comble les données de la politique agricole française [...]. La
politique de modernisation est donc mise en œuvre à travers un dispositif original faisant une place
importante aux organisations agricoles, notamment pour ce qui concerne la politique des structures
au niveau départemental [...]. C’est à partir de cette époque que, pour une quinzaine d’années, se met
en place un système de cogestion corporatiste de la politique agricole fondé sur une collaboration
étroite entre le pouvoir politique et les organisations professionnelles.
Source : P. Muller, « La politique agricole française :
l’État et les organisations professionnelles », Économie rurale, 2000.
Il faut clairement définir l’expression « groupes d’intérêt » et l’illustrer par quelques
exemples précis. Il faut ensuite développer les différentes stratégies qu’un groupe d’intérêt
peut être amené à mettre en œuvre : pour cela, il est indispensable d’adopter un classement
efficace qui servira d’articulation au raisonnement argumenté. On distinguera la contestation, l’influence et la coopération, en ayant soin d’expliciter sur quels moyens repose chaque
stratégie en illustrant chacune par des exemples pris dans l’actualité. L’exemple décrit dans
le document est pertinent pour rendre compte d’une forme d’action peu fréquente en France.
1. CNJA : Centre national des jeunes agriculteurs (syndicat agricole).
174
Sujet 24 | Corrigé
Introduction
Dans les régimes démocratiques, le rôle des institutions officielles s’insère dans une vie politique
dans laquelle interviennent également, outre les partis politiques, toutes les organisations qui représentent la société civile organisée, les différents « groupes d’intérêt » que sont les associations,
les syndicats, les groupes de pression et, dans un sens plus large, les entreprises. Ces organisations, contrairement aux partis politiques, dont l’objectif principal est la conquête du pouvoir,
participent au contrôle du pouvoir politique « de l’extérieur » en développant trois grands types
de stratégies : la contestation, l’influence et la coopération. De manière plus ou moins visible, ces
groupes d’intérêt sont en permanence au cœur des processus de la décision politique.
I. Les stratégies de contestation
Certains groupes d’intérêt, pour défendre les revendications des acteurs économiques ou sociaux
qu’ils représentent, choisissent de mener des actions visant à contester, a priori ou a posteriori,
certaines décisions politiques. Ces actions peuvent prendre des formes extrêmement diverses, de
la simple pétition au recours à la violence, en passant par les manifestations, les pressions sur les
organes législatifs, la désobéissance civile, les sit-in ou les campagnes d’affichage. Ces dernières
années, on a ainsi vu des associations d’usagers bloquer la circulation des trains pour protester
contre les hausses de tarifs, ou le mouvement No-Tav en Italie tentant d’empêcher, par des actions
violentes, le projet de liaison à grande vitesse Lyon-Turin, ou encore le réseau Éducation sans
frontières s’opposer aux mesures d’expulsion d’enfants sans papiers. Plus récemment, on a vu les
syndicats mener des actions de blocage chez les intermittents du spectacle ou contre le projet de
réforme du statut de la SNCF.
Dans toutes ces actions, c’est le pouvoir politique qui est visé, l’objectif étant d’obtenir le retrait
ou la modification des mesures envisagées ou déjà prises.
II. Les stratégies du lobbying et de l’influence
Une autre voie pour parvenir à la prise en compte, par les pouvoirs politiques, des revendications
d’un groupe d’intérêt et pour peser sur la décision politique est de chercher à influencer par des
stratégies d’approche plus ou moins ouvertes. À l’image des cabinets de lobbying (groupes de
pression) utilisés par les entreprises ou les associations dans les pays anglo-saxons, ces actions
d’influence peuvent privilégier une approche interne, visant à développer, dans la continuité, un
climat de relations stables et de confiance avec les organes politiques, permettant d’être informés
des intentions de ces derniers et de leur exposer les points de vue des groupes d’intérêt. Ainsi, les
Parlements dans les pays démocratiques sont amenés à auditionner régulièrement les représentants des grands groupes d’intérêt. De même, au niveau européen, un nombre impressionnant de
lobbies ayant pignon sur rue sont consultés par la Commission européenne et cherchent à orienter
les décisions en faveur des intérêts qu’ils représentent. Mais le lobbying peut aussi s’exercer de
l’extérieur, par la pression externe, pour contraindre la décision en agissant parfois aux limites
(voire au-delà des limites) de la légalité.
175
Sujet 24 | Corrigé
III. Les stratégies de coopération
Le document fourni expose un cas particulier de stratégie des groupes d’intérêt à l’égard du pouvoir politique, celle de la coopération, de la collaboration voire de la cogestion entre les organes de
décision politiques et certains groupes. La collaboration est ici officielle et assumée par les deux
partenaires : l’exemple de la mise en place, à partir des années 1960, d’une nouvelle orientation
de la politique agricole de la France décrit la manière dont les objectifs politiques et les intérêts de
la profession agricole ont convergé en adoptant, dans une large proportion, les mesures souhaitées
par la fraction la plus progressiste du syndicalisme agricole, le Centre national des jeunes agriculteurs. Cette coopération, qu’on peut qualifier de néo-corporatiste, a permis au pouvoir politique
de faire accepter au monde agricole de cette époque, encore spontanément conservateur, des mutations structurelles de grande ampleur en s’appuyant sur l’aile la plus dynamique des dirigeants
de la profession. Ce modèle néo-corporatiste appartient cependant plus à la culture politique de
l’Europe de Nord qu’à celle du Sud.
Conclusion
La palette des moyens que peuvent mobiliser les groupes d’intérêt pour intervenir dans l’espace
public est donc d’une grande diversité. Il est tout à fait légitime que des fractions du corps social
fassent entendre leur voix dans les grands débats collectifs et qu’elles empruntent, pour le faire,
l’ensemble des stratégies mobilisables dans un pays démocratique où règnent la liberté d’expression et le droit de revendication. Il faut simplement souhaiter que ces stratégies se développent
dans la transparence et le respect des lois.
176
Sujet 25, paragraphe argumenté
Antilles, septembre 2013, spé. sciences sociales et politiques
Quelles sont les caractéristiques d’un régime politique présidentiel ?
› Document
Dirigeant la première puissance du monde, le président des États-Unis est souvent présenté comme
l’homme le plus puissant de la planète. S’il est vrai qu’il cumule les fonctions de chef de l’État et
chef du gouvernement (la Constitution de 1787 dispose en son article 2 que « le pouvoir exécutif est confié à un président »), l’examen de son statut et des compétences qu’il exerce témoigne
d’une puissance bridée : le président est potentiellement le pouvoir investi des compétences les plus
importantes dans l’État et sur la scène internationale, mais il ne peut les exercer sans l’accord du
Congrès. John F. Kennedy affirmait en ce sens : « Le président est un homme disposant de pouvoirs exceptionnels qu’il exerce dans d’exceptionnelles limitations » [...] Le système américain est
souvent présenté comme l’archétype du régime de séparation stricte des pouvoirs : « Chacun paraît
enfermé dans sa fonction et isolé dans un rôle » (Jean Gicquel). Le président exerce sa mission
constitutionnelle 1 en toute indépendance n’étant pas, comme dans un régime parlementaire, responsable de sa politique devant le Congrès. Autrement dit, le principe de la responsabilité politique
proprement dite de l’exécutif devant le Parlement n’existe pas aux États-Unis. [...] L’expression
« Congrès » désigne le Parlement fédéral qui personnifie les États-Unis (dans ses décisions la Cour
suprême utilise l’expression United States pour parler du Congrès). Il exerce des missions constitutionnelles de première importance, notamment dans l’exercice du pouvoir législatif 2 . Le résultat
des élections législatives de 2006 rappelle l’importance du Congrès dans le régime présidentiel :
le succès du camp démocrate au Congrès et à la Chambre des représentants atténue notablement la
puissance du président républicain. Ce dernier désormais est tenu de collaborer avec les parlementaires dans les domaines de la politique intérieure et des relations internationales.
Source : Ph. Blacher, Droit constitutionnel, 2012.
Le sujet porte sur les mécanismes de pouvoir dans un régime présidentiel. Concrètement,
cela revient à analyser le régime politique des États-Unis puisqu’on considère souvent qu’il
est le seul de ce type dans les démocraties. Il faut insister sur le principe de stricte séparation
des trois pouvoirs et sur l’irresponsabilité politique du président devant le pouvoir législatif.
Les situations de blocage éventuel, en raison d’une majorité parlementaire opposée au président, pourront être illustrées par l’exemple des difficultés rencontrées par B. Obama sur
son projet de réforme de l’assurance-santé. On montrera que les stratégies de négociation
et de compromis permettent de trouver une issue à ces situations. On peut organiser l’argumentation en deux temps : les principes institutionnels d’une part, la réalité des rapports
politiques entre les pouvoirs d’autre part.
1. Mission constitutionnelle : c’est le fait pour le président de respecter la Constitution.
2. Pouvoir législatif : composé d’au moins une assemblée, dite « Chambre », son attribution est de voter les lois.
177
Sujet 25 | Corrigé
Introduction
Les analyses de science politique distinguent traditionnellement, parmi les démocraties, les
régimes parlementaires des régimes présidentiels. Ces derniers, le plus souvent illustrés par
l’exemple des États-Unis d’Amérique, se caractérisent par une stricte séparation des pouvoirs :
le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire étant, en théorie, totalement indépendants les uns des autres. Un examen attentif du fonctionnement concret du régime présidentiel
américain montre cependant que cette indépendance peut déboucher, dans certaines circonstances,
sur une interdépendance entre les trois pouvoirs.
I. Une stricte séparation théorique des domaines de compétences politiques
Le président des États-Unis est, à lui seul, le pouvoir exécutif tout entier. Il tire sa légitimité de
l’élection présidentielle au suffrage universel. Mais cette caractéristique n’est pas, par elle-même,
porteuse d’un tel pouvoir : dans de nombreuses démocraties comme l’Autriche, l’Irlande ou la
Finlande, le président élu par le peuple n’a que peu de pouvoirs effectifs, car il cohabite avec un
chef de gouvernement qui est la véritable tête de l’exécutif. C’est donc la Constitution américaine
qui attribue au président la totalité du pouvoir exécutif. Il nomme les secrétaires d’État. Ceux-ci
ne sont que des collaborateurs qui travaillent sous ses ordres
Le président américain n’est pas responsable devant les deux organes qui composent le Congrès
(le Sénat et la Chambre des représentants). Il ne peut donc (sauf procédure exceptionnelle de
l’impeachment) être démis de ses fonctions. À l’inverse, le Congrès détient l’intégralité du pouvoir
législatif et les deux assemblées ne peuvent être dissoutes par le président. Celui-ci ne dispose donc
d’aucun pouvoir de contrainte à l’égard du Congrès, si l’on excepte le droit de veto qu’il peut
opposer aux projets de loi dans certaines conditions. Il ne peut d’ailleurs pénétrer dans l’enceinte
du Capitole que si le Congrès l’y autorise, ce qui intervient une fois par an pour le « Discours sur
l’état de l’Union ».
Enfin, le troisième pouvoir, le pouvoir judiciaire, est lui aussi indépendant des deux autres, en particulier l’échelon le plus élevé, la Cour suprême, appelée à juger de la constitutionnalité des actes
des pouvoirs publics. Si ses membres sont désignés par les présidents successifs des États-Unis,
ils sont nommés à vie, donc inamovibles et insensibles aux pressions.
II. La pratique des institutions : une nécessaire coopération
Cette stricte séparation des pouvoirs peut, dans certains cas, déboucher sur un blocage des institutions lorsque le président ne dispose pas, au Congrès, d’une majorité soutenant son programme
d’action. L’existence, aux États-Unis, de deux grands partis, les Républicains et les Démocrates,
peut en effet conduire à des résultats contraires à l’élection présidentielle et aux élections au
Congrès. Ainsi, le président B. Obama doit affronter cette situation au cours de son second mandat,
puisqu’il a perdu, en 2013, la majorité démocrate qui le soutenait à la Chambre des représentants.
Le document fourni confirme donc que les pouvoirs, loin d’être concentrés entre les mains du
président, sont plus partagés qu’il n’y paraît au premier abord. La légitimité du Congrès est un des
fondements de la Constitution américaine, et il représente lui aussi les États-Unis, au moins autant
178
Sujet 25 | Corrigé
que le président. Les pouvoirs présidentiels ne sont donc pas sans limites, ils sont exceptionnels
mais ne peuvent s’exercer qu’exceptionnellement : le verrou budgétaire (le vote des impôts), en
particulier, est entre les mains du Congrès, qui peut bloquer les projets présidentiels en refusant
de voter les crédits que ces projets impliquent ou en les limitant. Le président est alors contraint
à une stratégie de coopération et de persuasion à l’égard du pouvoir législatif, ce qui débouche le
plus souvent sur des compromis.
On a parfois prétendu que le système politique américain est le seul régime démocratique au monde
à être véritablement présidentiel car il est le seul où un exécutif puissant n’est pas « responsable »,
d’une manière ou d’une autre, de ses décisions politiques devant le pouvoir législatif. Il n’en reste
pas moins que ce pouvoir présidentiel est borné par les autres instances de pouvoir, et que les
conflits éventuels sont soumis, par l’intermédiaire d’élections relativement rapprochées, à l’arbitrage du peuple américain ou à celui de ses représentants au travers des commissions d’enquête
parlementaires. La procédure d’impeachment déclenchée, en 1974, contre Richard Nixon au moment de l’affaire du Watergate illustre bien l’importance des garde-fous qui encadrent le « président le plus puissant du monde ».
179
Sujet 26
Inde, avril 2014, spé. sciences sociales et politiques
Quels sont les obstacles à la parité hommes-femmes dans la compétition
politique ?
› Document
1
Proportion des femmes élues à des postes de représentation politique en France (en %)
Conseillers municipaux
Maires
Conseillers généraux
Présidents de conseils
généraux
Conseillers régionaux
Présidents de conseils
régionaux
Députés
Sénateurs
Parlementaires européens
Scrutin
antérieur
2001
2001
2008
2008
Part des
femmes
33,0
10,9
12,3
6,1
Dernier
scrutin
2008
2008
2011
2011
Part des
femmes
35,0
13,8
13,9
5,0
2004
N/A
47,6
N/A
2010
2010
48,0
7,7
2007
2008
2004
18,5
21,8
43,6
2012
2011
2009
26,9
22,1
44,4
Source : d’après l’Observatoire de la parité, 2012.
› Document
2
La privation de mandats électifs que subissent les femmes dans notre pays s’inscrit dans une très
longue tradition. [...] La raison majeure pour rendre compte des difficultés des femmes à obtenir
des mandats électifs tient à la mauvaise volonté de nombre de partis politiques qui, à l’exception de
la gauche et des Verts dans la période récente, sont des cénacles 1 masculins fonctionnant en circuit
fermé, se reproduisant à l’identique, et n’étant pas prêts à retirer une place à un homme pour la
donner à une femme. À quoi il faut ajouter les difficultés tenant au fait que les femmes sont encore
largement en charge de la vie familiale, y compris lorsqu’elles ont une activité professionnelle. En
France, dans 60 % des ménages, les hommes n’accomplissent aucune tâche domestique. Cela ne
crée pas les meilleures conditions pour que les femmes puissent exercer, en plus de tout le reste,
des responsabilités politiques.
Source : J. Mossuz-Lavau, Travail, genre et sociétés, 2002.
1. Cénacles : cercles, clubs fermés.
180
Sujet 26 | Énoncé
La question tourne autour de la sous-représentation des femmes dans la vie politique. Il
s’agit donc d’en faire le constat en cherchant à dégager les causes de cette situation. Certaines sont « institutionnelles », c’est-à-dire liées au mode de scrutin dans certaines élections. D’autres sont l’héritage de comportements traditionnels et du conservatisme à l’égard
du partage des rôles sociaux entre hommes et femmes. On pourra souligner que ces deux
axes d’explication ne sont pas indépendants et entrent en interaction. Des remarques sur
le fait que cette situation ne touche pas tous les pays (exemple des pays nordiques ou de
l’Allemagne) permettent d’éclairer la dimension culturelle du problème.
181
Sujet 26 | Corrigé
Introduction
La sphère de la compétition politique est aujourd’hui encore, en France, largement « confisquée »
par les hommes. Dans l’Assemblée nationale élue en 2012, les femmes n’occupent que 27 % des
sièges, et au Sénat 22 %, bien qu’elles représentent un peu plus de la moitié du corps électoral.
Alors que dans de nombreux domaines de la vie économique et sociale, on a vu, ces dernières
décennies, la parité hommes-femmes progresser, le monde politique semble relativement hermétique à ces changements, qui ne se produisent que très lentement, à la fois à cause d’obstacles
institutionnels mais aussi en raison de la persistance des stéréotypes sur la division sexuelle des
rôles sociaux.
I. Des obstacles liés aux règles du jeu électoral
Le document 1 montre très clairement que le mode de scrutin aux différentes élections a un effet
direct sur la représentation des femmes dans le personnel politique. Les scrutins de liste à la proportionnelle, en France, doivent désormais obligatoirement comporter des candidatures féminines
et masculines à parité. Ainsi, dans les élections municipales, régionales ou européennes, la validité
juridique de la liste est soumise à cette contrainte. En revanche, dans les élections se déroulant au
scrutin uninominal (par exemple, les élections législatives par circonscription), l’obligation de la
parité hommes-femmes n’est pas impérative. Seules des sanctions financières sont prévues, sous
la forme d’une diminution des aides publiques aux partis politiques.
L’efficacité des différentes lois sur la parité qui se sont succédé depuis 1999 se lit dans les résultats
électoraux au fil des années : la part des femmes parmi les élus a fortement progressé pour les
élections régionales (part de 48 % en 2010) et pour les élections européennes (45 % en 2009).
Mais les sièges de députés sont encore, pour une très large part (73 %), détenus par les hommes
(86 % pour les conseillers généraux).
Ces tendances sont encore accentuées par la pratique du cumul des mandats qui conduit certains
hommes politiques à monopoliser les pouvoirs en freinant l’accès à d’autres prétendants ou prétendantes. Le fonctionnement des partis, par ailleurs, favorise la reconduction des « professionnels
de la politique » qui sont souvent des hommes.
L’obligation d’une stricte alternance (un homme-une femme, ou l’inverse) qui a progressivement
atteint tous les scrutins de liste et l’aggravation des sanctions financières votées récemment pour
les scrutins uninominaux devraient permettre de nouveaux progrès dans l’accès des femmes aux
fonctions politiques, de même que les lois sur le non-cumul des mandats votées début 2014.
II. Une résistance socioculturelle persistante
Il faut cependant relativiser l’impact de ces obstacles institutionnels. Certes, les règles du jeu
électoral ont longtemps laissé le champ libre à la « domination masculine », mais celle-ci s’inscrit
plus dans la culture politique dominante, en France. Les partis politiques sont encore aujourd’hui
des univers majoritairement masculins où règne la vision plus générale de la division des rôles
sociaux selon les sexes. Dans notre culture collective, le modèle de la « femme politique » n’est
pas valorisé. Il est même parfois l’objet d’une forme de dérision voire de mépris, parce que les
182
Sujet 26 | Corrigé
femmes ne sont pas spontanément associées à l’univers du pouvoir. Les affrontements parfois
violents de la compétition politique ne renvoient pas aux valeurs féminines mais plutôt aux valeurs
« viriles » du « combat dans l’arène ».
D’autre part, dans un monde où le partage des rôles sociaux fait reposer sur les femmes l’essentiel
des charges domestiques et familiales (document 2), les disponibilités objectives des femmes pour
la participation aux mandats électoraux sont singulièrement handicapées en termes de temps. On
trouve la trace de cet inégal accès aux postes de décision dans d’autres domaines que la sphère
politique, mais le document 1 le confirme : même dans les instances où elles représentent pratiquement la moitié des élus (comme les conseils régionaux), les femmes n’accèdent que très rarement
à la fonction de présidence. Le même constat s’applique aux fonctions de maire (à peine 14 %
d’entre eux sont des femmes) ou de présidents de conseils généraux. Il a fallu la personnalité
exceptionnelle de Simone Veil pour qu’une femme occupe le poste de présidente du Parlement
européen.
Conclusion
La France n’est pas la seule démocratie où les femmes sont encore, de facto, marginalisées dans
l’exercice du pouvoir politique. Pas plus qu’en France, aucune femme n’a encore occupé la fonction exécutive suprême en Italie, aux États-Unis, en Espagne ou au Japon. Le poste de Premier
ministre, en France, n’a été confié à une femme, Mme Édith Cresson, que pendant une brève période de dix mois. Les pays scandinaves, l’Allemagne ou la Grande-Bretagne ont, de ce point
de vue, fait leur révolution. Les mentalités et les pratiques y ont évolué plus rapidement qu’en
France, où la résistance au changement et le conservatisme bloquent les évolutions sur cet aspect
fondamental de l’égalité entre les citoyens.
183
Sujet 27, paragraphe argumenté
Liban, mai 2013, spé. sciences sociales et politiques
Comment les organisations politiques participent-elles au fonctionnement
de la démocratie ?
› Document
1
On peut dire que les partis restent les principaux animateurs du débat politique. Ils contribuent
à structurer l’opinion publique et à éduquer le citoyen. Ils analysent en permanence la situation
du pays, ils l’évaluent en fonction de leurs valeurs de référence, ils proposent des solutions aux
problèmes ou disent ce qu’ils pensent de celles que le gouvernement élabore. Cette action partisane
passe par le lancement de campagnes d’opinion — notamment en période électorale — mais surtout
par les déclarations quotidiennes des différents leaders en fonction de chaque thème d’actualité. À
travers toutes leurs actions de communication, les partis et responsables politiques contribuent à
faire réfléchir, à faire en sorte que les citoyens s’intéressent à la chose publique ; même lorsqu’ils
déclenchent les réactions négatives de l’opinion publique, ils continuent d’une certaine manière à
exercer cette fonction d’aide à la prise de conscience politique. Bien sûr, les partis ne sont pas les
seuls à exercer cette fonction, ils sont même aujourd’hui davantage concurrencés en la matière par
les médias et par de multiples groupes de pression ou relais d’opinion qui s’expriment sur les débats
de société.
Source : P. Brechon, Les Partis politiques français, 2005.
› Document
2
Adhésion à des organisations (en % de la population concernée)
Syndicats
Partis
Églises, organisations religieuses
Organisations humanitaires
Organisations environnementales
ou pacifistes
Allemagne
France
Suède
14
3
19
6
6
9
2
5
6
5
56
8
15
14
7
Union européenne
à 25
17,7
3,7
12,9
5,8
6,8
Source : E. Grossman, « Les groupes d’intérêt en France », La Politique en France et en Europe, 2007.
184
Sujet 27 | Énoncé
Le sujet exige une vision large du rôle joué par les organisations politiques dans la vie démocratique. Certes, la fonction qui marque le plus l’opinion publique est la fonction « électorale » par laquelle elles organisent l’émergence et la sélection des leaders ainsi que leur
légitimation par le suffrage universel. En effet, ces processus donnent lieu à de nombreuses
péripéties médiatiques. Mais il serait très insuffisant de polariser le devoir sur ce seul aspect. Le document 1 peut servir de conducteur à la première partie du devoir qui décrit les
fonctions de socialisation que remplissent les partis. On peut choisir de développer un peu
plus profondément l’une de ses fonctions, par exemple la formation au militantisme politique pour une partie des jeunes. Il faut évidemment se garder d’entonner les remarques
démagogiques qui fleurissent souvent sur les partis politiques, ce qui n’empêche pas de
souligner la distance parfois très grande qui persiste ou s’accentue entre ces organisations
et les citoyens, ce que confirme, pour la France et l’Allemagne, le document 2.
185
Sujet 27 | Corrigé
Introduction
La Constitution de la République française de 1958 affirme, dans son article 4, que les partis
politiques « concourent à l’expression du suffrage ». Par cette formule, le texte constitutionnel
légitime l’existence et le rôle des organisations politiques dans le fonctionnement de la démocratie. Les partis politiques ont, en effet, des fonctions de socialisation des citoyens à la question
politique et de structuration du débat public. Mais ce sont aussi, plus concrètement et lisiblement,
des machines à sélectionner le personnel politique et à conquérir le pouvoir.
I. Les partis politiques participent à la structuration du débat public
La première fonction des partis politiques est de faire vivre le débat démocratique. Leurs interventions dans l’espace public, à travers les réunions politiques, les interviews de leurs dirigeants, les
débats dans les médias, leurs publications diverses et, désormais, leurs sites Internet ont pour effet
de construire le débat politique en faisant émerger les questions collectives. Par ces canaux, les
partis politiques accomplissent à la fois une fonction d’information et d’éducation des citoyens.
Ils constituent des laboratoire d’idées qui alimentent le débat public et permettent de construire
des programmes d’action politique.
Ces propositions de programmes contribuent à la formation de l’opinion et permettent aux citoyens
de se positionner sur l’axe de la proximité partisane, en différenciant les visions du monde et les
références idéologiques de chaque organisation.
En quelque sorte, les partis sont donc une des instances de socialisation politique du citoyen. La
plupart des formations politiques intègrent d’ailleurs, dans leurs structures, des organisations tournées vers les générations les plus jeunes. Cela leur permet de sélectionner et de former les futurs
cadres dont elles auront besoin et d’assurer le renouvellement des militants. Cet encadrement idéologique est l’occasion de former les militants à la prise de parole, au débat contradictoire et à la
stratégie électorale. On remarque d’ailleurs, dans le document 2, que le rapport au militantisme
politique est très inégal entre les pays du nord de l’Europe, comme la Suède, où les taux d’adhésion atteignent 8 % de la population, et la France ou l’Allemagne, où ils ne concernent que 2 %
à 3 % de la population. Pour la France, cette réticence à la participation au débat public à travers des structures organisées s’étend à d’autres organisations que les organisations politiques, les
syndicats en particulier.
II. Les partis politiques sont aussi des instruments de conquête du pouvoir
Cependant, la fonction des partis politiques qui reste la plus visible pour les citoyens est d’être
l’instrument privilégié de la conquête du pouvoir. Les partis sont, en effet, le lieu où sont sélectionnées les élites politiques par le biais des candidatures aux différentes élections. Parmi ceux
qui militent, très peu, au final, atteindront un mandat électif, et ce seront notamment ceux qui se
situent au sommet de la pyramide du prestige électif.
Cette fonction de « machine à trier » les compétences et à les répartir vers les différents mandats électoraux est devenue essentielle dans les démocraties modernes. Les processus de sélection
varient selon les pays et d’une organisation à une autre : les deux grands partis américains, ré186
Sujet 27 | Corrigé
publicain et démocrate, avant de s’affronter directement, organisent, dans un premier temps, une
confrontation interne entre les prétendants aux différents mandats en faisant choisir, de manière
publique, les militants et les sympathisants (Conventions des primaires). Plusieurs partis en France
ont expérimenté, ces dernières années, ce type de sélection (Parti socialiste, UMP, etc.). Ailleurs,
ce sont les cadres du parti qui désignent, de manière plus discrète, celui ou ceux qui porteront leurs
couleurs.
Lorsque le ou les « champions » sont désignés dans chaque camp, le parti devient alors une machine électorale qui, au-delà de la mobilisation pour le programme, prend en charge l’organisation matérielle de la campagne (meetings, débats, tracts, animation des sites Internet, etc.). Cette
occupation de l’espace public en période électorale se combine avec l’action d’autres instances
d’animation du débat public comme les médias, les relais d’opinion (intellectuels ou personnalités
de la vie économique ou du spectacle, etc.).
Conclusion
Les partis politiques sont indispensables au fonctionnement de la démocratie car l’utopie d’une
démocratie directe, sans intermédiaires dans le débat public, est une illusion. Mais leur mode
de fonctionnement parfois opaque entretient une forte désaffection et une méfiance à leur égard
dans de nombreux pays, favorisant la montée d’un populisme inquiétant. Ces tendances révèlent
la rupture d’une part importante de la population avec la prise en charge citoyenne des enjeux
collectifs mais aussi la relative incapacité des partis à lutter contre cet éloignement.
187
Sujet 28, paragraphe argumenté
Amérique du Nord, mai 2013, spé. sciences sociales et politiques
Montrez comment la socialisation politique influence les comportements
politiques.
› Document
En France, les travaux d’Annick Percheron fondent l’étude de la socialisation politique primaire.
Elle s’intéresse à l’acquisition d’un « outillage politique » au cours du processus de socialisation familiale, ainsi qu’aux composantes explicitement politiques de l’identité sociale de l’enfant
construite au cours de cette socialisation, l’identité nationale et l’identification à une famille politique. Anne Muxel poursuit ces travaux en s’intéressant aux jeunes et soutient que la famille, et
donc la classe sociale d’origine, restent les « creusets 1 de l’identité politique ». [...]
Les évolutions récentes de la sociologie du militantisme invitent à un double élargissement du
regard, vers d’autres pratiques de participation politique que le vote et vers d’autres instances de
socialisation politique que la famille.
La socialisation militante est une composante de la socialisation politique. Les instances de socialisation politique primaire, la famille, des expériences de représentation (délégués de classe) ou de
vie communautaire (scouts et/ ou activités religieuses) sont assurément des lieux de transmission
de dispositions au militantisme. S’interroger sur la socialisation à l’engagement implique de s’intéresser à l’hétérogénéité des cadres de socialisation que rencontrent les individus au cours de leur
vie. [...]
Élise Cruzel montre, pour des militants d’Attac 2 , que la transmission des valeurs politiques de familles de droite ou apolitiques a été mise à l’épreuve par des expériences de ruptures biographiques
(un événement ou une crise politique, un éloignement géographique), ou par une socialisation professionnelle (au « travail social »), qui a mis ces militants en contact direct avec d’autres univers
sociaux et politiques.
Source : L. Bargel, « Socialisation politique », Dictionnaire des mouvements sociaux, sous la direction d’O.
Fillieule, L. Mathieu et C. Pechu, 2009.
La question porte notamment sur les influences que chacun de nous a reçues dans l’enfance et l’adolescence dans le cadre familial en matière de culture et d’attitudes politiques.
Dans quelle mesure cette socialisation politique primaire dicte-t-elle nos comportements
politiques ultérieurs (positionnement sur l’axe idéologique droite/ gauche, vote ou abstention, militantisme, participation protestataire, etc.) ? Quelles sont les autres influences qui
peuvent renforcer ou au contraire contrecarrer ces apprentissages ? Le document du sujet
fournit un certain nombre d’éléments qui permettent de faire référence à la diversité des
travaux sur cette question : les plus nombreux montrent que la continuité politique entre
1. Creusets : ici, fondements.
2. Attac : Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne, organisation altermondialiste créée en France en 1998.
188
Sujet 28 | Énoncé
générations est la situation la plus fréquente. Mais d’autres décrivent l’influence d’autres
instances socialisatrices sur le plan politique et les logiques qui peuvent mener à la contestation de la socialisation familiale, à la rupture idéologique et à une certaine autonomisation
dans la construction de l’identité politique d’un individu. L’organisation du devoir découle
logiquement de la prise en compte de la dualité des influences en matière de comportements
politiques.
189
Sujet 28 | Corrigé
Introduction
La manière dont une personne se positionne, dans sa vie de citoyen, à l’égard des enjeux politiques
qui l’environnent tient à sa culture et à son identité politiques. Celles-ci recouvrent les valeurs et
les croyances auxquelles chacun se réfère, ainsi que le sentiment d’appartenance qui peut en découler. Ces éléments se forgent, dès l’enfance, dans le cadre socialisateur familial, et l’influence de
cette socialisation politique primaire semble suivre l’individu au long de sa vie. Pourtant, d’autres
influences interviennent dans le processus de formation et d’évolution des opinions et des attitudes
politiques, et ces éléments peuvent renforcer, ou à l’inverse modifier profondément, les comportements politiques individuels.
I. La socialisation familiale, creuset de la culture et de l’identité politiques de l’individu
La socialisation dans le cadre de la famille concerne l’assimilation, par l’enfant, des valeurs, des
croyances et des attitudes sociales qui caractérisent le groupe social auquel il appartient. Ce processus large englobe également les représentations, les attitudes et les opinions qui constituent la
culture politique du cercle familial. La transmission et l’incorporation par l’enfant de cet « outillage politique » (selon l’expression d’A. Percheron) contribuent à construire l’identité politique
du futur adulte et influence fortement ses comportements politiques ultérieurs.
Cette trace intergénérationnelle est attestée par de nombreuses études qui établissent un lien entre
les repères et préférences politiques des parents (notamment de la mère) et ceux de leurs enfants
devenus adultes. Les travaux d’A. Muxel sur le poids de la filiation politique amènent cette politiste à conclure que les deux tiers des Français peuvent être qualifiés « d’affiliés », en ce sens
qu’ils reconnaissent leur « continuité politique » avec leurs propres parents. Cette filiation se manifeste d’ailleurs sur plusieurs facettes du comportement politique, le vote, bien sûr, mais aussi la
tendance à la protestation et à l’engagement militant.
Les cas de « désaffiliation » concernent d’ailleurs surtout les personnes dont les parents n’avaient
pas de choix politiques homogènes ou clairement affichés. Mais d’autres travaux (E. Cruzel) ont
montré que ces cas de rupture politique au sein du groupe familial pouvaient être la conséquence
de circonstances diverses, depuis les fractures affectives personnelles jusqu’à certains événements
politiques ou sociaux amenant l’individu à s’autonomiser par rapport au cadre de sa socialisation
politique primaire.
II. Les comportements politiques, au carrefour des influences et de l’autonomisation
On ne peut, en effet, réduire les déterminants du comportement politique aux apprentissages à
l’intérieur du groupe familial. D’autres instances de socialisation interviennent, simultanément ou
postérieurement, et peuvent avoir des effets variés sur la nature des choix et des parcours dans
le répertoire de l’action politique. Ainsi, pour les générations les plus jeunes, on remarque une
influence non négligeable des groupes de pairs, notamment dans le cadre de l’école, en concordance ou en réaction par rapport à ce que l’école elle-même apporte à la socialisation politique
(instruction civique, cours d’histoire, engagement dans la représentation collective des délégués
de classe, discussions spontanées, etc.).
190
Sujet 28 | Corrigé
De même, la participation à une association ou à des lieux de vie communautaires est un des facteurs de renforcement de la socialisation à l’engagement politique. Certes, celui-ci peut prendre à
contre-pied le bagage politique initial hérité de la socialisation familiale, dans une attitude contestatrice en quête d’autonomie. Cependant, elle agit le plus souvent comme une sorte de validation
complémentaire qui renforce les effets de la socialisation primaire. Celle-ci semble, au final, avoir
un rôle primordial en ce qui concerne les attitudes et les orientations idéologiques fondamentales,
mais les autres instances semblent intervenir plutôt au niveau des comportements et des formes
concrètes de la participation politique.
Conclusion
Les comportements politiques d’une personne oscillent donc entre les déterminants liés à sa socialisation initiale, les agents de socialisation politique qu’elle a ensuite rencontrés et le parcours
d’autonomisation et de réappropriation du sentiment politique qu’elle a elle-même accompli. Dans
cet ensemble d’influences, il semble que la continuité politique intergénérationnelle ait une part
importante, qui n’exclut cependant pas les altérations éventuelles des dispositions acquises dans
l’enfance et l’adolescence.
191
Sujet 29, paragraphe argumenté
Inde, avril 2014, spé. sciences sociales et politiques
Comment les répertoires d’action politique ont-ils évolué ?
› Document
1
Un élément semble inéluctable : dans le phénomène d’engagement, nous ne sommes plus face à un
collectif préétabli, qui porte une action, mais face à un individu qui décide à un moment donné de
s’engager pour une cause qui lui fait sens. [...]
Le groupement n’est plus un enjeu crucial pour l’action. « En cela, l’engagement ne saurait être
compris comme la confirmation d’un ancrage communautaire déjà présent ou comme la manifestation de l’appartenance à une identité collective qui existerait à l’état latent ». Comme le note Jacques
Ion, s’engager, c’est « répondre de soi » : l’individu ne veut plus se cacher derrière une institution
et se fondre dans un collectif, il souhaite montrer son engagement au grand jour.
L’individu qui s’engage le fait souvent parce qu’il est touché personnellement : le sans-papier,
l’homosexuel, l’handicapé... La personne souhaite témoigner de son expérience personnelle sur la
scène publique.
Source : M. Verjus, La Question de l’engagement : d’hier à aujourd’hui. Essai d’une typologie, Cesep, 2008.
› Document
2
« Voici un certain nombre de moyens que les gens utilisent parfois pour faire connaître leurs opinions ou leurs revendications. Pouvez-vous me dire pour chacun d’eux si vous l’approuveriez ou
pas, au moins dans certaines circonstances ? »
L’approbation des modes d’action protestataire (en %)
Provoquer des dégâts matériels
Peindre des slogans sur les murs
Refuser de payer les impôts
Occuper un bâtiment administratif
Participer à des manifestations de rues
Faire grève
1988
1
6
23
28
49
66 1
1995
2
6
37
42
62
74
2002
2
5
32
43
77
79
2007
Nd
Nd
Nd
42
72
80
Source : N. Mayer, Sociologie des comportements politiques, 2012.
1. Lecture : en 1988, en France, 66 % des personnes interrogées approuvent la grève comme moyen pour faire
entendre ses opinions ou revendications, au moins dans certaines circonstances.
192
Sujet 29 | Énoncé
Les modes d’action politique traditionnels comme le militantisme dans un parti ou la participation au processus électoral semblent aujourd’hui susciter une réticence croissante dans
le corps social. De nouvelles formes d’expression et d’action politique, parfois violentes,
apparaissent ou renaissent. Il faut donc décrire ces formes et s’interroger sur les raisons
qui les amènent à concurrencer la procédure traditionnelle du vote comme moyen d’action
citoyenne. On pourra retenir trois grands axes d’explication : la désillusion à l’égard de
l’efficacité du vote, la préférence pour des engagements plus individuels et l’émergence de
nouveaux moyens d’accès du citoyen à l’espace public.
193
Sujet 29 | Corrigé
Introduction
Parmi les moyens qui permettent aux citoyens, à titre individuel ou collectif, de faire entendre leur
voix, d’exprimer leurs revendications à l’égard des pouvoirs publics et d’agir dans la sphère publique, le droit de vote a représenté, historiquement, une conquête précieuse, qui est au fondement
même de la démocratie représentative. Cependant, le vote ne résume pas la diversité du répertoire
d’action politique. Celui-ci s’est enrichi et s’est transformé au fil du temps, en partie en raison
des mutations techniques qui ont révolutionné les moyens de la prise de parole et de l’expression
dans l’espace public, mais aussi à cause de changements profonds dans le rapport que le citoyen
entretient à cet espace public et à la participation politique. Le mode d’expression traditionnel que
représente le vote connaît aujourd’hui une certaine désaffection voire une méfiance qui conduisent
l’action politique à emprunter d’autres chemins et d’autres logiques.
I. Une distanciation à l’égard des formes classiques de l’action politique
Le fondement de la participation du citoyen au fonctionnement de la démocratie est et reste le
vote, par lequel sont choisis directement ou indirectement ceux à qui le corps social délègue le
devoir et la responsabilité de le représenter dans les instances du pouvoir politique. Cet élément
majeur de l’architecture politique de la démocratie constitue à la fois un instrument de sélection du
personnel politique et une légitimation (ou un désaveu) par la souveraineté populaire des choix que
ce personnel politique est amené à faire dans la gestion des affaires publiques. Le vote cumule donc
une fonction pratique et une fonction symbolique dont il tire sa « sacralisation », particulièrement
visible lorsque, sous la forme des référendums, on demande directement au peuple de « faire la
loi ».
Dans beaucoup de démocraties actuelles, cependant, on constate à l’égard du processus électoral
des comportements de distanciation qui se manifestent notamment par une montée de l’abstention
ou par des votes « aux extrêmes », mais aussi, dans les sondages d’opinion, par une méfiance
croissante à l’égard des professionnels de la politique. Ces comportements de retrait vis-à-vis des
enjeux collectifs ont été analysés, au XIXe siècle, par A. de Tocqueville, qui y voyait la traduction
d’un repli des citoyens sur la sphère de leurs affaires privées et d’un abandon au personnel politique
de la gestion des enjeux collectifs. Aujourd’hui, cependant, certains analystes considèrent que
cette « apathie » électorale peut correspondre, pour une part, à une attitude de sanction de l’offre
politique. L’ensemble des formes d’action liées de près ou de loin au processus électoral semblent
aujourd’hui souffrir de la même désaffection, qu’il s’agisse de l’adhésion et du militantisme dans
les partis, de la participation active aux campagnes électorales ou de l’assistance aux débats ou
meetings.
Mais faut-il pour autant conclure à une « dépolitisation » générale du corps social. Les enquêtes
d’opinion montrent que les jugements sur l’extrême importance des enjeux politiques restent largement majoritaires, alors même que s’accroît le sentiment de défiance vis-à-vis des hommes
politiques.
194
Sujet 29 | Corrigé
II. Un élargissement des répertoires de l’action politique
Lorsqu’on interroge les Français sur leur degré d’approbation des différents modes d’action protestataire, on constate que l’hypothèse d’une apathie politique croissante ne tient pas. Le document 2 indique en effet que si certaines formes d’action restent massivement réprouvées (dégâts
matériels ou expressions murales), d’autres formes d’action sont de plus en plus légitimées par
le corps social. La désobéissance civile que constitue le non-paiement des impôts recueille l’approbation d’un tiers des sondés. Les occupations de bâtiments publics (42 % en 2007) ou les
manifestations de rues (72 %) voient leur taux d’approbation monter, tandis que le recours à la
grève atteint 80 % d’approbation. La réalité récente des mouvements de protestation politique rejoint d’ailleurs les sondages, qu’il s’agisse des manifestations (des deux bords) à l’occasion du
vote de la loi sur le mariage pour tous ou de la mobilisation sur les réformes scolaires.
On peut s’interroger sur les raisons de cette contradiction entre l’intérêt faiblissant pour la participation politique conventionnelle et le développement de nouvelles formes d’engagement protestataire. Une des voies d’explication semble être le mouvement d’individualisation des rapports
du citoyen à l’engagement politique : comme le décrit le document 1, cet engagement s’inscrit de
moins en moins dans le cadre d’une prise en charge par un appareil collectif pré-établi comme un
parti ou une association militante mais de plus en plus sous la forme d’une mobilisation spontanée
dans laquelle l’individu a le sentiment d’être un acteur direct de sa protestation et où il recherche
une forme de visibilité personnelle qu’il ne trouve pas dans des organisations collectives vécues
comme bureaucratiques.
Mais pour expliquer ces mutations de l’engagement citoyen, on peut aussi mettre en avant le
développement fulgurant, au cours de ces dernières décennies, des moyens technologiques d’accès
direct à l’espace public. Les réseaux sociaux permettant parfois une mobilisation en temps réel
sur des actions « coup de poing », les forums et les blogs sur Internet ou l’accès plus facile aux
medias radio et télé donnent ainsi au citoyen le sentiment (et peut-être l’illusion) d’un accès direct
à l’espace public qui lui permet de se sentir acteur d’un mouvement collectif.
Conclusion
La démocratie, pour être vivante, a besoin d’une implication des citoyens dans le débat public, qui
apparaît aujourd’hui trop souvent confisqué par les professionnels de la politique. Si les hommes
politiques sont en partie responsables de cette coupure avec les préoccupations concrètes de la
population, les citoyens peuvent se réapproprier l’espace public en investissant d’autres formes
du répertoire de l’action politique. S’exprimer sur les enjeux collectifs par la manifestation, la
pétition, le forum de discussion ou la grève n’est pas antithétique du vote mais en constitue un
salutaire complément.
195
Sujet 30, paragraphe argumenté
Amérique du Nord, mai 2014, spé. sciences sociales et politiques
Comment expliquer l’abstention électorale ?
› Document
1
Les abstentionnistes constants, qui boudent systématiquement les urnes sont minoritaires [...]. La
proportion d’abstentionnistes constants tourne autour de 10 % des inscrits si la séquence comprend l’élection présidentielle, la plus importante aux yeux de l’électoral, et du quart quand il s’agit
d’élections faiblement mobilisatrices comme les régionales et surtout les européennes. [...]
Cette propension 1 intermittente à s’abstenir ne s’explique donc pas uniquement par les caractéristiques de l’électorat, elle dépend aussi de l’élection considérée, elle répond à une logique politique.
Le cadre institutionnel, en particulier le mode de scrutin, le type de consultation et leur fréquence,
le système partisan et la configuration de l’offre peuvent favoriser ou contrarier la participation.
Électeurs et électrices se mobilisent plus si l’élection est jugée importante, si la compétition est
serrée, donnant le sentiment que leur vote peut peser dans la balance.
Source : N. Mayer, Sociologie des comportements politiques, 2010.
1. Propension : tendance.
196
Sujet 30 | Énoncé
› Document
2
Part des votants et des abstentionnistes au second tour de l’élection présidentielle de 2012
Ensemble 2
Âge
18-24 ans
25-34 ans
35-44 ans
45-59 ans
60 ans et plus
Profession de l’interviewé
Artisan, commerçant, chef d’entreprise
Profession libérate, cadre
Profession intermédiaire
Employé
Ouvrier
Retraité
Statut de l’interviewé
Salarié
À son compte
Au chômage
Niveau de diplôme
Pas de diplôme
BEPC/ BEP/ CAP/ CEP 3
Baccalauréat
Bac + 2
Au moins bac + 3
Religion
Catholique
Autre religion
Sans religion
Votants %
80,3
Abstentionnistes %
19,7
72
76
76
83
87
28
24
24
17
13
80
84
80
78
71
88
20
16
20
22
29
12
78
85
76
22
15
24
75
80
77
81
84
25
20
23
19
16
83
65
79
17
35
21
Source : sondage IPSOS/ Logica Business Consulting, Comprendre le vote des Français, second tour de la
présidentielle 2012.
2. Champ : sondage effectué du 3 au 5 mai 2012, auprès de 3 123 personnes inscrites sur les listes électorales (18 ans
ou plus), représentatives de la population française.
3. BEPC : le brevet d’études du premier cycle du second degré, qui a été remplacé par le diplôme national du brevet
(DNB) en 1998. CAP ou BEP, le certificat d’aptitude professionnelle (CAP) et le brevet d’études professionnelles
(BEP) sont des diplômes de la formation professionnelle en France. Certificat d’études primaires (CEP) : diplôme
qui sanctionnait la fin de l’enseignement primaire élémentaire en France. II a été officiellement supprimé en 1989.
197
Sujet 30 | Énoncé
Les modèles explicatifs de l’abstention s’orientent d’une part vers la prise en compte des
caractéristiques sociales et culturelles des abstentionnistes, d’autre part vers l’analyse de
la perception par l’électorat des enjeux des différents scrutins. Il faut donc reprendre cette
double dimension en montrant que l’abstention peut être une manifestation d’indifférence
et d’incompétence intériorisée, mais qu’elle peut aussi s’interpréter, pour d’autres profils
d’électeurs, comme un acte politique visant à sanctionner une offre politique jugée non
satisfaisante. On peut appuyer la réponse sur des éléments tirés des derniers scrutins en
France, notamment ceux fournis par le document 2 sur la dernière élection présidentielle.
198
Sujet 30 | Corrigé
Introduction
L’abstention, c’est-à-dire le fait, pour une personne inscrite sur les listes électorales, de ne pas participer à un scrutin, est en hausse relativement importante sur l’ensemble des dernières décennies.
Cependant, cette évolution n’est pas linéaire et ne concerne pas de manière identique tous les types
de scrutins : les taux d’abstention ont parfois atteint des « pics » exceptionnels, par exemple de
28 % en 2002, au premier tour de l’élection présidentielle, traditionnellement plus mobilisatrice,
ou encore de 59 % aux élections européennes de 2009. L’élection présidentielle de 2012, relativement plus mobilisatrice, a connu un taux d’abstention de 19,7 %. Comprendre l’acte d’abstention
suppose de s’interroger d’une part sur les caractéristiques des abstentionnistes, d’autre part de
prendre en compte le poids de l’enjeu électoral spécifique que représente chaque type de scrutin.
I. Un ensemble relativement hétérogène
L’analyse du comportement d’abstention amène la plupart des politologues à considérer que
les abstentionnistes ne forment pas un ensemble homogène. Certaines analyses distinguent, par
exemple, les abstentionnistes « hors jeu » de ceux qui sont « dans le jeu ». Les premiers seraient
l’objet d’une sorte « d’auto-exclusion » du jeu politique, de l’intériorisation d’une « incompétence » liée à un défaut de politisation découlant soit d’une faible socialisation politique antérieure,
soit d’une situation d’intégration sociale et économique défaillante. Ce type d’abstentionnistes,
assimilables à ceux que N. Mayer appelle « abstentionnistes constants » (document 1), se retrouveraient notamment chez les chômeurs, les salariés précaires et les faibles diplômés. Ainsi, 24 %
des chômeurs et 25 % des non-diplômés n’ont pas voté à l’élection présidentielle de 2012, contre
17,9 % pour l’ensemble du corps électoral (document 2).
Mais l’extrême variété des taux d’abstention d’un scrutin à un autre conduit à s’interroger sur
l’autre univers que représentent les abstentionnistes « dans le jeu », c’est-à-dire qui sont socialement intégrés, politiquement « compétents » (capables d’analyser les enjeux des choix proposés)
et qui, à l’occasion de tel ou tel scrutin, choisissent l’abstention comme forme d’expression d’une
insatisfaction face à l’offre politique. Leur comportement n’est pas un abandon passif du droit
de vote mais l’utilisation d’un instrument d’expression politique. Cette attitude peut parfaitement
ne concerner que certains scrutins, ceux dont les enjeux ne sont pas perçus comme pertinents
ou déterminants (la réduction du mandat présidentiel en 2000 ou les élections européennes) ou
ceux pour lesquels l’offre politique est perçue comme inadaptée (pas de candidat d’immédiate
proximité partisane, par exemple). De scrutin en scrutin, cette frange mouvante de citoyens peut
donc se retrouver parmi les votants ou les abstentionnistes. Une analyse de la diversité des enjeux
électoraux se révèle donc nécessaire.
II. Des enjeux électoraux diversement mobilisateurs
Les écarts de mobilisation de l’électorat sont, en effet, considérables selon les types d’élections et
les modes de scrutin. Certains enjeux, très personnalisés, comme la désignation du président de
la République, engendrent spontanément une forte participation au vote, et donc un niveau d’abstention relativement faible. Ainsi, l’élection présidentielle n’enregistre, sauf cas exceptionnels,
199
Sujet 30 | Corrigé
que des taux d’abstention de second tour situés entre 15 % et 20 %. Aux élections cantonales, en
revanche, où la visibilité des candidats et la perception des enjeux sont perçues de manière floue
par les électeurs, le taux d’abstention peut monter à plus de 50 % malgré un scrutin uninominal.
Le même phénomène se vérifie aux élections européennes, scrutin de liste à la proportionnelle, au
cours desquelles les abstentionnistes sont souvent plus nombreux que les votants (56,4 % d’abstention en 2014).
Enfin, les élections municipales présentent un profil un peu particulier : la proximité et la notoriété des élus, et notamment du maire, font que, globalement, les taux d’abstention sont faibles.
Cependant, les derniers scrutins municipaux (2008 et 2014) n’échappent pas à la montée générale
de l’abstention, révélatrice d’un état de crise de la conscience politique.
Conclusion
L’abstention, dans une société démocratique, peut sembler une aberration quand on la confronte
à l’impossibilité de se prononcer librement sur les choix collectifs qui caractérise les millions
d’êtres humains vivant dans des régimes politiques non démocratiques. Elle doit cependant être
analysée avec prudence car, si elle peut être le signe d’une indifférence au politique, elle revêt
aussi des significations plus profondes de protestation et d’insatisfaction à l’égard des modes de
fonctionnement du champ politique.
200
Sujet 31, paragraphe argumenté
Inde, avril 2013, spé. sciences sociales et politiques
Quel est l’impact de la construction européenne sur l’action publique des
États membres de l’Union européenne ?
› Document
Après des décennies d’incertitudes, le TUE 1 clarifie quelque peu la répartition et l’exercice de
compétences entre l’UE 2 et ses États membres. L’article 5 dispose :
« 1/ Le principe d’attribution régit la délimitation des compétences de l’Union. Les principes de
subsidiarité et de proportionnalité régissent l’exercice de ces compétences.
2/ En vertu du principe d’attribution, l’Union n’agit que dans les limites des compétences que les
États membres lui ont attribuées dans les traités pour atteindre les objectifs que ces traités établissent. Toute compétence non attribuée à l’Union dans les traités appartient aux États membres.
3/ En vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence
exclusive, l’Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l’action envisagée
ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central
qu’au niveau régional et local, mais peuvent l’être mieux en raison des dimensions ou des effets de
l’action envisagée, au niveau de l’Union [...].
4/ En vertu du principe de proportionnalité, le contenu et la forme de l’action de l’Union n’excède
pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs des traités. »
L’Union dispose d’une compétence exclusive dans les domaines suivants : l’union douanière 3 ;
l’établissement des règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur ; la politique monétaire pour les États membres dont la monnaie est l’euro ; la conservation des ressources
biologiques de la mer dans le cadre de la politique commune de la pêche ; la politique commerciale
commune et la conclusion de certains accords. Les compétences partagées entre l’Union et les États
membres s’appliquent aux principaux domaines suivants : le marché intérieur ; la politique sociale,
pour les aspects définis dans le traité ; la cohésion économique, sociale et territoriale ; l’agriculture
et la pêche, à l’exclusion de la conservation des ressources biologiques de la mer ; l’environnement ; la protection des consommateurs ; les transports ; les réseaux transeuropéens ; l’énergie ; la
recherche, le développement technologique et l’espace ; la coopération au développement et l’aide
humanitaire.
Source : J.-L. Mathieu, L’Union européenne, 2008.
La question concerne le partage des pouvoirs de décision en matière d’action publique entre
les instances politiques de l’Union européenne (Commission, Conseil des chefs d’État et de
gouvernement, Conseil des ministres européen et Parlement) et les États nationaux. Il faut
éviter la facilité qui consisterait à « réciter » la liste des instances communautaires et leurs
1. TUE : Traité sur l’Union européenne.
2. UE : Union européenne.
3. Union douanière : adoption d’une politique commerciale unique vis-à-vis du reste du monde.
201
Sujet 31 | Énoncé
prérogatives respectives, car la question porte plus sur ce qui reste de pouvoir aux États
nationaux que sur le détail du fonctionnement de l’Union. Il faut donc dégager ce qui fait
l’essentiel des rapports entre les deux instances de souveraineté : le fait que certaines compétences ne relèvent plus désormais des États (compétences exclusives de l’Union), que
certaines compétences sont partagées, enfin que les États conservent des domaines dans
lesquels leur souveraineté reste entière (même si l’Union peut renforcer l’action des États :
compétences d’appui). Le point-clé à clarifier est celui du domaine partagé, régi théoriquement par le principe de subsidiarité, qui donne la priorité d’action aux États tout en
privilégiant la gouvernance multiniveaux, c’est-à-dire imbriquant les différentes instances
de décision. Le document permet de préciser le sens de ces différents principes de gouvernance.
202
Sujet 31 | Corrigé
Introduction
La construction de l’Europe a progressivement fait émerger un appareil institutionnel européen
complexe qui se distingue des instances étatiques nationales et qui est désormais détenteur de
sa propre légitimité politique. Cette dualité entre les institutions supranationales et les structures
politiques nationales pose la question du partage des domaines de compétences et de pouvoir entre
l’Union européenne et les États membres, de l’articulation de ces différents niveaux de pouvoir et
des tensions qui peuvent éventuellement en résulter.
I. L’action publique nationale, limitée par la logique supranationale
Le cadre qui régit aujourd’hui les rapports entre l’Union européenne et les États qui la composent
est défini par un ensemble de traités, en particulier par le Traité sur l’Union européenne (TUE).
L’élément central de ce traité concerne la répartition des compétences entre l’instance supranationale et les entités nationales : un certain nombre de domaines de compétence ont ainsi été attribués
à l’Union en matière de politique publique, soit sous la forme de « compétences exclusives », soit
sous la forme de « compétences partagées », soit encore sous la forme de « compétences d’appui ».
Les compétences exclusives concernent, par exemple, la politique douanière de l’Union à l’égard
du reste du monde, la préservation des ressources de la mer ou encore les règles de concurrence sur
le marché intérieur de l’Union. Cela signifie, en clair, que dans ces domaines les États ont accepté
des abandons de souveraineté au profit des entités supranationales que constituent la Commission
européenne, le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen, et qu’il ne peut donc plus
y avoir de politique nationale autonome sur ces questions. À l’inverse, les domaines non listés
parmi ces compétences exclusives continuent à relever du périmètre des politiques nationales.
Ces compétences exclusives sont soumises au principe de proportionnalité, qui vise à empêcher le
pouvoir décisionnaire de mettre en œuvre des moyens excessifs par rapport au but poursuivi (par
exemple une législation plus contraignante que nécessaire) ou d’étendre le périmètre des objectifs
de manière exagérée.
Les compétences partagées sont celles qui relèvent conjointement du pouvoir supranational européen et des pouvoirs nationaux comme la cohésion sociale, l’environnement ou la recherche,
alors que les compétences d’appui ne relèvent que du pouvoir national (par exemple le droit de
la nationalité), l’Union ne pouvant, sur cette dernière catégorie, qu’apporter son soutien sans interférer dans les décisions des États. La question cruciale est évidemment de savoir comment, sur
les compétences partagées, rendre compatibles et efficaces les deux ordres de souveraineté.
II. L’articulation entre les deux ordres de souveraineté
Le principe de base qui régit cette délicate question de l’articulation des compétences est « le
principe de subsidiarité ». On peut l’énoncer de la manière suivante : la compétence concernée
doit être exercée en priorité par le niveau d’action publique le plus pertinent, le plus proche du
problème à résoudre. Concrètement, cela signifie que les États ont une priorité d’action et que
l’Union européenne n’a de légitimité à intervenir que si l’action envisagée ne peut pas être réalisée de manière satisfaisante au niveau des États membres. On postule alors que l’intervention de
203
Sujet 31 | Corrigé
l’Union serait plus efficace que l’action nationale.
Le principe de subsidiarité peut d’ailleurs se décliner à son tour à l’intérieur d’un État en donnant
la priorité de la prise de décision à l’échelon local ou régional plutôt qu’au niveau national, si
la nature de la question à régler le permet. Il s’agit donc, en quelque sorte, « d’emboîter » les
compétences, du niveau le plus étroit au niveau le plus large, et de ne faire intervenir l’échelon
supérieur que si son efficacité apparaît plus forte. Cette règle pose évidemment la question du
critère de jugement de cette efficacité. Il faut noter que, dans l’Union européenne, les Parlements
nationaux conservent un droit de recours s’ils estiment que ce principe de subsidiarité n’a pas été
respecté par l’échelon européen. Ce principe s’applique par exemple aujourd’hui à l’organisation
de l’éducation (qui reste « nationale »), à l’organisation du scrutin européen ou encore au statut des
langues régionales. Par ailleurs, on peut remarquer que des instances régionales transfrontalières
(Espace Mont-Blanc, Catalogne, etc.) sont désormais bénéficiaires de ce principe de subsidiarité.
Cette imbrication des instances d’action publique s’insère dans le principe de la « gouvernance
multiniveaux », qui permet de rompre avec les structures pyramidales qui, traditionnellement,
organisent dans de nombreux pays la prise de décision en matière d’action publique.
Conclusion
La vision classique de la gouvernance publique par l’État national est en partie bousculée par
les règles de fonctionnement de l’Union européenne. Les États ont dû accepter que des pans entiers de leur souveraineté leur échappent et que, dans de nombreux domaines, la prise de décision
soit partagée avec les institutions supranationales. Le rejet par plusieurs pays, en 2005, du projet
de Constitution européenne montre que les opinions publiques restent réticentes à ce partage du
pouvoir et que le sentiment d’appartenance à une Europe politique est encore à construire.
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