simmel georg (1995), le conflit, circe

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simmel georg (1995), le conflit, circe
agrégation de sciences économiques et sociales
préparations ENS 2004-2005
Les conflits sociaux
SIMMEL Georg (1995) : Le conflit
Fiche de lecture réalisée par Maxime Boutoille (CNED)
SIMMEL Georg (1995), Le conflit, Circé, 159 pages
Avertissement : Le texte de Georg Simmel, quoique relativement court, ne contient pas de subdivisions claires. J'ai
essayé de retrouver les questions et points abordés par l'auteur pour ponctuer cette fiche. Merci à Évelyne pour son
aide à la finalisation de ce travail.
Qu'y a-t-il au départ du conflit ? Peut-on se passer de conflit ?
Le trait caractéristique de G. Simmel est de considérer sociologiquement le conflit non pas comme simple
modificateur des regroupements ou comme générateur d'oppositions entre groupes, mais comme forme de
socialisation. Ceci est possible dans la mesure où l'interaction entre individus est socialisation : le conflit est une
forme d'interaction. Le conflit relie, alors que ce sont ses causes – la haine, l'envie – qui dissocient ; le conflit en ce
sens est déjà la résolution d'une tension, il fait le lien.
Généralement les conflits sont pensés comme destructeurs. Apparemment si G. Simmel s'intéresse à cet objet, c'est
qu'il ne veut pas penser un simple état – pour le dire à gros trait, nous ne sommes pas dans une approche
durkheimienne. Pour lui les contraires – rassemblés par le conflit – sont ce qui fait la vie, le mouvement. La
contradiction et le conflit sont à l'œuvre dans la vie. La perspective est dynamique. A ce titre, l'auteur utilise la
métaphore des forces d'attraction et de répulsion. Ainsi aucun groupe n'est purement centripète, tous sont aussi
animés par une force centrifuge. De plus, le conflit n'est pas simplement une interaction négative – destructrice. Il a
un rôle positif dont on peut donner deux exemples :
- le concurrence économique détruit certains protagonistes mais donne une structure à une unité qui dépasse les
simples relations conflictuelles.
- le système de castes : « le système social indien ne repose pas seulement sur la hiérarchie de castes, mais aussi
directement sur leur répulsion mutuelle ». D'ailleurs, l'antagonisme a un rôle d'intégration d'autant plus positif que la
structure est caractérisée par une hiérarchie nette : chaque caste est d'autant mieux intégrée qu'elle rejette et est rejetée
par les autres.
En mettant en évidence la fonction socialisante du conflit, Georg Simmel montre que l’objectif poursuivi par les
protagonistes est en définitive un retour à l’unité (au prix souvent de destructions) mais surtout, il procède à une
réévaluation du fonctionnement social. Ce qui est perçu comme positif peut contenir du négatif et ce qui est négatif
peut contenir du positif.
Il affirme toujours la coexistence d’un principe de combat et d’union, en ce sens le conflit constitue une forme de
synthèse. Idée que l’on retrouve dans la concurrence. Elle est destructrice et a des effets de « socialisation ». Elle
oblige l’individu en concurrence à étudier son rival « à s’y adapter ». D’où la concurrence « combat de tous contre
tous » est aussi « un combat de tous pour tous ».
Jusqu'ici, la réflexion de G. Simmel est assez philosophique puisqu'il montre la complexité de la notion de conflit.
Certes ce concept contient une idée d'antagonisme mais en même temps une forme de lien. Cela revient à dire en
quelque sorte que le conflit est une nécessité : il est toujours là et il est illusoire de vouloir s'en débarasser. Partant
de là, l'auteur s'attache à voir à quel niveau le conflit se trouve mais surtout quelles sont ses formes selon les
domaines que l'on observe.
Sur le plan du niveau, G. Simmel ne s'attache pas simplement à un aspect macrosociologique – si l'on considère les
deux exemples évoqués plus haut comme tels. Aussi, il semble que le conflit puisse avoir un rôle psychologique. Il
peut se révéler comme le »"seul moyen qui nous permette de vivre avec des personnalités véritablement
insupportables ». Il est une sorte de soupape de sécurité : la possibilité de se révolter, puisque « nous opposer nous
donne le sentiment de ne pas être complètement écrasés dans cette relation ». Pour G. Simmel, sans cela la relation
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pourrait être rompue sans que l'on puisse parler de combat – le conflit est la relation. Cette révolte peut être d'ailleurs
simplement intérieure, invisible au regard d'un tiers et pourtant elle fait durer la relation. Pour lui, la vie dans les
grandes villes est un exemple de cette intériorisation : on parle de désocialisation mais une socialisation est présente
par le conflit qui provient de l'aversion ou autres sentiments que les individus éprouvent. Cette hostilité est présente
en tous les individus, le besoin de haïr serait présent dans notre « âme » comme celui d'aimer : en ce sens, on ne peut
échapper au conflit. Il faut relever cependant que G. Simmel note deux cas limites où le conflit peut n'être que
purement destructeur. Ceci se produit en présence d'une volonté de destruction absolue où lorsque le combat est
désiré pour lui même.
Quels sont les déterminants de l'intensité du conflit ? Cette dernière peut-elle varier ?
Dans le combat, G Simmel distingue une dimension objective - la cause pour laquelle on se bat, les règles, finalement
ce qui unit - qui ne peuvent en rien faire varier l'intensité, d'une dimension subjective – des éléments personnels
pouvant se surajouter – qui peut influer sur la force du conflit.
A ce titre, il remarque que la force du conflit peut se trouver accentuée quand on trouve des points unissant les
antagonistes avant le conflit. « Parmi ces éléments communs, il y en a deux qui sont les fondements d'un
antagonisme particulièrement fort : l'existence de qualités communes1 et l'appartenance à un seul contexte sociale
commun2." (pp. 57-61)
La concurrence comme forme de conflit
La concurrence est analysée d'un manière singulière. Elle a une dimension objective et subjective mais elle est
caractérisée avant tout par le fait qu'elle se révèle bénéfique aussi pour le perdant, ou plutôt pour celui qui n'atteint
pas le but qui est d'être le plus performant et c'est pour cela qu'elle acceptée selon G. Simmel. « La concurrence a
pour effet, la plupart du temps, d'augmenter la valeur par cette combinaison sans pareille, elle présente des motifs
subjectifs comme moyens de produire des valeurs sociales objectives et du point de vue de la partie, elle utilise la
production de valeurs objectives comme un moyen d'obtenir des satisfactions subjectives. » Dans la concurrence, le
combat n'est pas l'objet, il se trouve qu'elle peut en prendre la forme dans la mesure où « le moins efficace » est
éliminé, mais c'est indirectement. De ce point de vue, pour G. Simmel, la concurrence a une valeur sociologique
accrue car elle est souvent lutte de deux parties pour un tiers : les concurrents doivent se rapprocher pour comprendre
leur technique de production et par là la demande qu'ils doivent satisfaire par exemple ; en politique, voilà pourquoi,
selon G. Simmel, on a tendance à s'adapter aux masses. A noter que l'on retrouve la triade, figure de base en analyse
de réseau : concurrence de 2 personnes – les offreurs - pour une 3ième – le demandeur.
Aussi, le caractère sociologique des groupes diffère selon la quantité et la nature des concurrences qu'ils autorisent.
Ainsi, la concurrence est absente de la famille où le conflit se tisse de personne à personne ou encore dans la religion
où l'élection divine de l'un n'empêche pas celle de l'autre.
Concurrence et socialisme : ils ne s'affrontent pas nécessairement sur la fin – par exemple le bonheur – mais plutôt
sur les moyens. Dans le socialisme, on trouve une volonté de cohérence qui exclut l'affrontement, les frictions au sein
du système : c'est la planification. Par contre dans la concurrence, les frictions ne sont pas jugées néfastes pour
atteindre l'objectif.
Au niveau psychologique, la concurrence est bien acceptée car elle évite une culpabilisation morale puisque les
critères sont objectifs.
Quel type de conflit pour quel type de groupe ? Un type de conflit ne correspondrait-il pas un type
d'organisation ?
Avant d'essayer de répondre à cette question avec G. Simmel, il faut remarquer qu'il semble considérer le conflit
comme une énergie qui doit se libérer et qui peut être canalisée. Ainsi un conflit entre groupes peut conduire à
recentrer le groupe sur lui-même, ce qui accumule les énergies, les comprime pour les décharger naturellement vers
l'extérieur. On comprend alors pourquoi l'armée est une organisation fortement centralisée.
Qu'est-ce qui est bon pour les antagonistes dans le conflit : en particulier entre patrons et ouvriers ?
L'une des parties a-t-elle réellement intérêt à ce que l'autre soit désorganisé ?
Pour G. Simmel, un conflit bien rangé avec de grosses organisations de part et d'autre permet d'éviter de petites
attaques continuelles et d'assurer la validité des accords puisque aucun individu isolé ne viendra récuser telle ou telle
chose de manière intempestive. La forme que prend le conflit pourrait déterminer le bénéfice que procure le conflit.
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Ainsi, les différences entre deux étrangers ne les surprennent pas tandis que plus un individu partage des choses
avec un autre moins les différences seront tolérées : exemple de la rupture amoureuse malgré les innombrables points
d'entente ; exemple de l'anathème jeté par une Eglise sur des dissidents et qui s'étend à tous les domaines et pas
seulement sur celui du désaccord : désaccord sur le dogme étendu aux domaines éthiques, personnels…
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Le moteur de l'intensité est ici la haine sociale et la cohésion du groupe, pas seulement la sensibilité aux différences.
L'auteur prend ici l'exemple des partis politiques qui ne luttent pas simplement contre un adversaire mais aussi pour
l'unité du groupe, si bien que l'objet de discorde peut paraître infime au regard de l'intensité du conflit
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Quel effet du conflit sur le groupe ?
Pour le groupe, la mise en danger que représente le conflit est à double tranchant : elle peut permettre un resserrement
du groupe qui dépasse les oppositions internes, au contraire elle peut aussi lui être fatal. Le conflit est une sorte
d'épreuve de vérité.
Elasticité du groupe et comportement contradictoires des membres.
Un petit groupe est peu élastique et tolère moins les écarts de ses membres : soit il niera l'écart, soit il exclura le
membre. Des groupes plus grands comme les Eglises peuvent tolérer les écarts et même les canaliser : la vie
monastique permet d'intégrer les élans mystiques pouvant être dangereux pour le groupe. Voilà aussi pourquoi de
grands groupes peuvent tolérer de petits groupes alors que l'inverse est plus difficile.
Groupe et ennemi
En cas de lutte et de victoire totale d'un groupe, le perdant peut subsister : s'il disparaît, le groupe vainqueur peut
perdre de son unité. En outre plus le groupe est grand moins les points communs sont nombreux entre ses membres.
Aussi quand un ennemi est commun, des éléments habituellement opposés peuvent s'unir en vue de le vaincre même
si ce n'est pas pour les mêmes raisons. G. Simmel cite le cas d'une alliance Ultra-whigs avec les tories pour faire
tomber un gouvernement whigs. C'est encore ce qui se passe quand deux personnes inconnues se rencontrent mais
appartiennent à un même milieu et qu'elles sont en présence d'un individu issu d'un autre milieu.
Le compromis.
Pour G. Simmel, le compromis est peut-être la plus grande invention de l'humanité. Une de ses formes est l'échange
qui permet d'éviter un conflit plus coûteux. A côté du compromis, il distingue la réconciliation qui selon lui est une
forme primaire de résolution du conflit : si elle tarde, elle est forte car les antagonistes voient mieux le manque
occasionné par la séparation.
A propos de la préface de J. Freund
Pour lui, G. Simmel a vu l'apport positif des conflits dans la vie sociale. Il faut noter qu'il s'intéresse à l'auteur et
particulièrement à ce texte car il a vécu durement la seconde guerre mondiale : il ne peut se contenter d'analyses
dépassant le conflit dans un système idéal – cf. Hegel et Marx.
Le conflit est une forme de socialisation : des philosophes peuvent appeler à la concorde, cela n'empêche pas que, par
nature, l'homme soit animé par la haine, l'instinct de lutte. Dans le conflit, il y a un jeu du pour et du contre qui
structure.
J. Freund souligne le rôle du tiers qui peut apaiser ou exacerber le conflit.
Il faut encore selon lui considérer la notion de forme qui unifie les phénomènes en les individualisant : elle a la
fonction de constituer un ensemble cohérent conceptuellement et de le diversifier en cas spéciaux selon les péripéties
de la vie.
Aucune socialisation, pas même le conflit, n'est exclusivement une forme de lutte car elle également une forme
d'unification.
Aussi paix et guerre sont appelés à se succéder. La paix se maintient au prix du compromis. Ici on retrouve la vision
cyclique qui achève Le Conflit.
A propos de la parution du Conflit
L'édition parue chez Circé est traduite de l'allemand par Sibylle Muller ; la première édition chez cet éditeur date de
1995 (date donnée par la bibliographie du concours). L'édition allemande de référence n'est pas précisée. Cependant
le conflit correspond au chapitre 4 de l'ouvrage Sociologie, Etudes sur les formes de la socialisation (novembre 1999)
traduit de l'allemand par Lilyane Deroche-Gurcel et Sybille Muller d'après l'édition allemande de 1992 (Suhrkamp,
Francfort sur le Main) elle même différente de la première et seule édition qu'ait connue G. Simmel (Dencker &
Humbolt, Leipzig, 1908). L'avant propos de Sociologie précise que le texte sur le conflit a connu plusieurs formes
mais ne précise pas l'année à laquelle se réfère l'édition allemande de 1992. Voici les différentes sources données
dans l'avant-propos :
"Soziologie der Konkurrenz", Neue Deutsche Rundschau 14, 1903, pp. 1009-1029
"Das Ende des Streits", Neue Deutsche Rundschau 16/1, 1905, pp. 746-753
"The Sociology of Conflict", The American Journal of Sociology 9, 1903-1904, pp. 490-525, 672-689, 798-811
"Der Mensch als Feind. Zwei Fragmente aus einer Soziologie", Morgen 2, 1908, pp. 55-60.
En outre l'édition PUF donne des titres ponctuant Le Conflit et donnant les grands points abordés par ce texte. Ayant
découvert cette édition après la Circé, je ne me suis pas basé précisément sur ce découpage que pourtant, je l'espère,
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on retrouve dans les questions qui me servent de fil directeur. Cependant, pour vous donner une idée plus précise du
livre, j'ajoute ici les 25 points recensés dans l'édition PUF :
La fonction socialisante du conflit - La part d'antagonisme liée à des formes d'interaction "positives" assure leur
longévité - Quelques cas limites où le conflit n'apparaît pas créateur d'unité - Exemple de pulsions formelles
d'hostilité - Coexistence du principe de combat et de celui de l'union - Le caractère absolu du combat judiciaire L'objectivité du combat le radicalise - Contre-exemples - Cas où l'appartenance à un contexte social commun aiguise
le conflit - Exemple du cas inverse - L'envie, la jalousie, le dépit - La concurrence comme lutte indirecte et forme de
synthèse sociale - Le socialisme, comme principe d'organisation du travail, est le contraire de la concurrence - La
signification du conflit pour la structure interne de chacun des partis en présence - Cas où le conflit rend avantageux
pour les deux partis leur structure interne - Cas inverses - Rôles de la tolérance dans le conflit - Le conflit comme
facteur de cohésion sociale - Cas où la fédération en partis adverses pour des raisons ad hoc ne requiert pas la même
fermeté - Rôle de la durée dans le conflit - Le conflit requiert l'engagement du plus grand nombre - La guerre et la
paix - La victoire - Le compromis - La réconciliation

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