Collecte de mémoire orale - Les mines d`uranium
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Collecte de mémoire orale - Les mines d`uranium
u!3121!.!Nbjof.fu.Mpjsf LOIRE ATLANTIQUE (44) MAINE ET LOIRE (49) SAUMUR SAINT NAZAIRE NANTES Clisson Saint-Macaire-en-Mauges CHOLET Mortagne Les Herbiers VENDÉE (85) MB!DPMMFDUF! EF!MB!NNPJSF!PSBMF! LA ROCHE SUR YON NIORT DEUX SEVRES (79) Droits réservés : Lapie ÈMft!njoft!eÖvsbojvn 2:63.2::3-! vof!bwfouvsf!ivnbjofÊÉ Sites d’extraction d’uranium BEAUPRÉAU 0 5 km 2,5 NANTES Tillières e nguèz La Sa La Renaudière POURQUOI COLLECTER ? Saint-Germainsur-Moine Saint-Andréde-la-Marche MontfauconMontigné La Roussay Sèv La Moine re CHOLET Torfou Le Longeron N MONTAIGU LA ROCHE-SUR-YON Observatoire de Pays - PMD - septembre 2008 Témoignages oraux en Moine et Sèvre Saint-Crespinsur-Moine ANGERS Saint-Macaire -en-Mauges Dans nos communes rurales de Moine et Sèvre, l’arrivée et le développement des activités industrielles ont fortement marqué la culture locale (textile, chaussure, agro-alimentaire, minéraux...). C’est pourquoi, la prise en compte du patrimoine industriel constitue un élément incontournable de l’identité du territoire et permet de répondre à un devoir de mémoire. Puits de l’Écarpière, Gétigné (44), 1956 © E. Contardo S’intéresser au patrimoine industriel revient à prendre en compte aussi bien le patrimoine bâti, le patrimoine mobilier (machines, objets) que le patrimoine immatériel. En effet, conformément à «la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel», signée par les États membres de l’UNESCO en 2003, les témoignages oraux présentent un intérêt historique et ethnologique incontournable. Sans être exhaustive, cette présentation se donne pour objectif, en s’appuyant sur les témoignages oraux recueillis, de faire connaître le passé minier (40 ans d’extraction minière), et de montrer comment l’exploitation minière a eu des retentissements sur la vie sociale, économique et politique, notamment en terme de déplacement et d’intégration de populations nouvelles, de développement des infrastructures… Cette plaquette s’appuie sur un recueil de points de vue parfois différents, voire contraires, parce que tous les hommes et les femmes qui ont «fait l’histoire» ont leur propre vécu, source de richesse de la collecte des récits de vie. Il s’agit d’une invitation à prendre connaissance de cette activité, à travers différentes approches : - le paysage ; - l’exploitation de la mine ; - le mineur ; - la cité ouvrière ; - les répercussions économiques et sociales. 2 Bonne découverte. Jacky Quesnel Président de la Communauté de Communes Moine et Sèvre Écarpière, Gétigné (44), 1956 © AREVA LA COLLECTE DES TÉMOIGNAGES ORAUX : CONNAISSANCE., MÉTHODOLOGIE ET ENJEUX S Entrée de la galerie de la mine souterraine, l’Écarpière, Gétigné (44), s.d. © E. Drosnet 4-5 ❚ Un paysage façonné par l’homme 6-7 ❚ La mine : 40 ans d’exploitation 8-9 ❚ Le mineur 10-11 ❚ L’habitat : la naissance d’une cité ouvrière 12-13 ❚ Les répercussions économiques et sociales 14 ❚ La démarche des collecteurs : la collecte de la mémoire orale et de documentation 15 ❚ Conclusion et perspectives 16 ❚ Remerciements Zone de la division minière de Vendée de la COGEMA Le site de l’Écarpière s’inscrit dans un paysage industriel d’extraction de l’uranium, aujourd’hui abandonnée, assez vaste et qui s’étend sur 4 départements (source : IRSN). LOIRE ATLANTIQUE (44) MAINE ET LOIRE (49) SAUMUR SAINT NAZAIRE NANTES Clisson Saint-Macaire-en-Mauges CHOLET Mortagne Les Herbiers VENDÉE (85) LA ROCHE SUR YON NIORT DEUX SEVRES (79) Anjougerie – Roussay (49), 1993 © AREVA ource complémentaire pour l’Histoire, la collecte des témoignages oraux apporte la réalité du vécu des témoins, un supplément d’âme, que ne possèdent pas les autres documents d’archives. Dans ce document oral, le chercheur perçoit l’humanité du témoin et prend conscience que des hommes et des femmes ont vraiment vécu les événements ou l’expérience qu’ils racontent. Même si la mémoire peut être défaillante et appelle à croiser les données recueillies, la richesse d’un récit de vie, émaillé de souvenirs plus ou moins heureux, d’anecdotes, d’informations sur le fonctionnement d’une organisation, d’un outil, des relations entre collègues ou avec la hiérarchie, ne peut qu’être soulignée. Le témoignage oral apporte des connaissances, parfois essentielles, pour combler les lacunes des archives traditionnelles et mieux comprendre le passé. Si l’importance des témoignages oraux est indéniable dans le savoir qu’ils apportent, il est cependant nécessaire de les recueillir avec soin. Du point de vue technique, plus le son collecté est de bonne qualité, mieux il se conservera dans le temps. Du point de vue de la méthode, différentes étapes sont nécessaires. 1°/ Préparer l’enquête : recherche bibliographique et documentaire sur l’histoire locale ; définition du thème de l’étude ; réalisation d’un guide d’entretien pour aider le témoin à se remémorer les événements ; réflexion sur la finalité des témoignages (contenu et support), la question des droits d’auteur et la protection de la vie privée des témoins. 2°/ Recueillir les témoignages : se présenter et exposer le projet au témoin ; mener l’entretien de façon semi-directive ; écouter le témoignage après l’enquête et recenser les informations recueillies ; réaliser un instrument de recherche pour retrouver facilement les informations identifiées ; tenir un journal de terrain qui explique la démarche suivie, les difficultés rencontrées… 3°/ Sécuriser et valoriser les témoignages : établir une copie de sauvegarde ; penser à la façon dont les témoignages seront mis à la disposition du public : livre, exposition, CD, lecture… Collecter des témoignages, c’est aussi prendre conscience qu’ils font partie de notre mémoire, de notre patrimoine et qu’ils sont un des éléments constitutifs de notre Histoire. Marie-Hélène Chevalier Responsable des fonds sonores, témoignages oraux et audiovisuels Archives départementales de Maine-et-Loire * Un ouvrage de référence : Florence Descamps, L’historien, l’archiviste et le magnétophone. De la constitution de la source orale à son exploitation, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2001. 3 U N PAY S A G E FA C Ç O N N É PA R L’ H O M M E L e paysage a connu de nombreuses évolutions : la colline bocagère de l’Écarpière (Gétigné) est devenue une colline minière à partir de 1952 jusqu’en 1992, date à partir de laquelle la nature a commencé à reprendre ses droits. Elle deviendra en 2011 une colline «photovoltaïque». De même, les sites de l’Anjougerie, l’Anjougerie-Couraillère, la Baconnière, la BaconnièreBastille, la Basse-Boissière (Roussay, Torfou, MontfauconMontigné), présentent un paysage artificiel façonné par l’homme. ◗ Avant 1952 : le coteau de l’Écarpière (Gétigné) et le bocage de Roussay Depuis le bourg de SaintCrespin-sur-Moine, on pouvait voir sur la colline de l’Écarpière une route pentue et sinueuse, permettant d’accéder aux hameaux des Forges (8 maisons), de l’Écarpière Village de l’Écarpière, (4 maisons), et des FerGétigné (44), s.d. © E. Contardo landières (1 maison). Pour faciliter l’activité minière, ces villages ont disparu et les habitants ont été relogés. À Roussay, des terres agricoles ont été affectées à l’exploitation minière. «Oui, ça a fait beaucoup de changements dans le paysage. Le coteau a beaucoup évolué en 50 ans. Il a été complètement transformé.» TÉMOIN ANONYME «Avant y’avait des beaux rochers.» ÉMILE CHUPIN «Nous les enfants, nous courions les coteaux à la recherche des digitales et des genêts pour fleurir les rues de la fête Dieu.» MARIE-JOSÉ DELÉPINE ◗ 1952 à 1992 : le paysage minier Qu’il s’agisse de mines souterraines ou de mines à ciel ouvert, les différentes étapes du cycle minier, combinées à l’évolution des méthodes d’exploitation de la mine, ont considérablement modifié le paysage. Ainsi, la mine à ciel ouvert de «la Moine», réalisée entre 1985 et 1987, a entraîné la déviation de la rivière de la Moine à trois endroits. Colline de l’Écarpière, Gétigné (44), 2009 © M. Egonneau 4 Oedicnème criard, 2000 © D.Drouet «Tout ce que l’homme abandonne au temps, offre au paysage une chance d’être à la fois marqué par lui et affranchi de lui.» Gilles Clément Réhabilitation du site de l’Écarpière, Gétigné (44), 1995 © AREVA LA COLLECTE DE LA MÉMOIRE ORALE «Les mines d’uranium 1952 -1992, une aventure humaine…» ◗ Après l’extraction Conformément à la loi de 1976 sur le réaménagement des sites, et au décret de mars 1990, fixant les normes radiologiques auxquelles devaient satisfaire les terrains après réaménagement, des travaux ont été engagés. Une enquête radiologique des sites a été effectuée par l’Institut national de physique nucléaire du CNRS. L’analyse qualitative a permis de démontrer qu’aucune substance, autre que les résidus de traitements miniers, n’a été enfouie à l’insu de la population. L’impact sur l’environnement proche peut être qualifié de faible. Actuellement, les sites restent sous surveillance (eau, air, sol). L’Écarpière, Gétigné (44), 1994 © AREVA Des espèces ont été observées sur la butte artificielle de l’Écarpière par Dominique Chagneau et Willy Maillard, naturalistes*, et sur le site minier de Roussay par Benjamin Même-Lafond et Hugues Berjon, naturalistes, qui soulignent le grand intérêt biologique des sites. Ainsi, la nature a repris ses droits avec plus de 141 espèces végétales répertoriées : Orchidée, 2000 © D.Drouet - la famille des orchidées : Orchis bouffon (Orchis morio), Orchis à fleurs lâches (Orchis laxiflora), Sérapias à petites fleurs (Serapias parviflora) ; - la famille des trèfles : Anthyllide vulnéraire (Anthyllis vulneraria), le Sainfoin (Onobrychis savita) ; - et notamment le pourpier d’eau du Dniepr (Lythrum borystenicum), protégé en Pays-de-la-Loire... La faune n’est pas en reste : - les oiseaux, avec la reproduction de l’œdicnème criard (Burtinus œdicnemuo) dans les cuvettes des bassins de décantation, probablement celle du busard (Circus cyaneus) Saint-Martin et l’hivernage de la bécassine des Marais (Gallinato gallinago), ainsi que la rare, mais régulière bécassine sourde (Lymnocryptes minimus) ; Le paysage minier, un patrimoine ? Le patrimoine, vient du latin patrimonium et signifie ce que lègue le père, ce que l’on transmet aux générations futures. On peut considérer que le paysage minier, à différents niveaux, constitue un élément de patrimoine. En effet, lorsque le site est en activité avec ses chevalements, ses infrastructures visibles ou bien lorsqu’il est à l’état de friche, il constitue un témoin d’une activité. C’est alors que la question de la conservation se pose. Déviation de la Moine, Saint-Crespin-sur-Moine (49), [ca 1985-1987] © AREVA La Baconnière, Roussay (49), 1996 © AREVA De même, le paysage reconstitué après la cessation de l’extraction minière est un élément de patrimoine. Et c’est le cas ici, à l’Écarpière où le site a été réhabilité. Si l’on observe la colline, rien ne semble visible, ou presque rien : les caractéristiques du paysage minier ont disparu. Pourtant, l’observation interroge : l’absence de végétation, un paysage différent du reste de la vallée de la Moine… laissent supposer qu’il s’est passé quelque chose. C’est pourquoi, pour faciliter la compréhension du site la médiation s’avère nécessaire. Ouvertes progressivement à partir des années 1950, les mines d’uranium de la division minière de Vendée de la COGEMA ont fermé au début des années 1990 après 40 ans d’exploitation. D’abord souterraines, avec des exploitations par puits et galeries, ces mines furent ensuite exploitées à ciel ouvert et par descenderies. Les premières buttes de stériles miniers puis les exploitations à ciel ouvert ont notablement modifiées les paysages d’origine. Commencés dès la fermeture, les travaux réglementaires de réhabilitation des sites ont désormais gommé pour l’essentiel l’importance de l’exploitation uranifère dans la région : un paysage qui pourrait paraître naturel s’il n’était véritablement artefact, composé qu’il est à partir des exploitations elles-mêmes ; une lande ou des prairies peut-être, mais surveillées plus particulièrement du fait de la nature de l’extraction ancienne. Comment imaginer en effet, un comblement si parfait, qu’il ferait oublier ces saignées si importantes, qui dépassent parfois pour les mines récentes le kilomètre en longueur, et bien souvent la centaine de mètres en profondeur, y compris sur des exploitations anciennes ? Jean-Louis Kérouanton Enseignant Chercheur – Université de Nantes - les amphibiens : rainette verte (Hyla arborea) ; - les insectes… *Bulletin de botanique armoricaine ÉRICA (Échos du Réseau pour l’Inventaire de la Cartographie Armoricaine), n°22, Revue du Conservatoire botanique national de Brest) Rainette verte, 2000 © D.Drouet Déviation de la Moine, Saint-Crespin-sur-Moine (49), [ca 1985-1987] © AREVA 5 L E S M I N E S : 4 0 A N S D ’ E X P L O I TAT I O N U ne fois la prospection aboutissant à la découverte de gisements réalisée, après l’obtention des titres miniers autorisant l’exploitation et la mise en place des infrastructures, l’exploitation minière démarrait. Les minerais extraits de l’ensemble des mines de la division minière de Vendée étaient traités à l’usine SIMO (Société Industrielle des Minerais de l’Ouest) de l’Écarpière. ◗ Les débuts de la mine Les débuts de l’activité minière, avec l’arrivée des premiers sondeurs, des engins… ont suscité des réactions et entraîné des changements qui restent bien présents dans les mémoires. Comment avez-vous appris l’ouverture de la mine ? «Eh bien, c’est lorsqu’on s’est aperçu de la présence d’hommes dans les coteaux. Parfois en blouses blanches. On s’disait «mais qu’est c’qui s’passe ?» TÉMOIN ANONYME Mine à ciel ouvert BaconnièreBastille, Roussay (49), 1984 © AREVA «Là-haut, à l’Écarpière, y’avait une p‘tite fontaine. Les prospecteurs ont mis les compteurs Geiger, c’était en 52. Oui, j’me souviens très bien… Puis… les premiers travaux ont commencé à flanc d’coteau.» TÉMOIN ANONYME Quelles ont été les premières réactions, à l’annonce de l’ouverture de la mine ? «“Ça s’rait trop beau !” Les gens n’y croyaient pas tellement. Les journaux en parlaient beaucoup : “L’Eldorado !” Ça faisait des convoitises.» GEORGES SAUZEREAU «Quand ils ont su qu’il y’avait de l’uranium, certains ont eu peur de la radioactivité. Même si leurs parents, leurs grands-parents avaient toujours vécu là. Vous savez à l’état naturel ça n’est pas grave.» TÉMOIN ANONYME ◗ Évolutions techniques : mine souterraine et mine à ciel ouvert Puits de l’Écarpière, Gétigné (44), 1958 © AREVA Extrait du journ Extrait du journal Ouest-France, 22 décembre 1955 6 al Ouest-Franc e, 9 février 19 90 Les méthodes d’exploitation ont évolué : dans les mines souterraines, par sous-niveaux (1957-1964), par tranches montantes remblayées (à partir de 1964), par tranches descendantes bétonnées (à partir de 1985), et à ciel ouvert. Ainsi, l’activité supposait différents savoir-faire depuis la foration, le tir, le soutènement, le remblayage, le scrapage, la coulée des dalles de béton, la ventilation, la radioprotection… le transport jusqu’au traitement. ◗ La SIMO : une usine de traitement En janvier 1955, le C.E.A. (Commissariat à l’Énergie Atomique) confie à la Société Kuhlmann les essais de traitement des minerais par voie chimique. Au printemps de la même année est créée la SIMO (10% C.E.A., 50 % Kulhmann et 40 % caisse des dépôts.) L’usine SIMO de l’Écarpière démarre en mars 1957 et cesse son activité en mars 1991. Dans les usines de traitement chimique comme celle de l’Écarpière, le minerai d’uranium (en moyenne à 2 ou 3 g d’U/tonne) est traité pour obtenir un produit commercial (uranate de magnésie jusqu’en 1974 puis diuranate d’ammonium) nommé «yellow cake». Ce concentré contient 700 à 750 kg d’U/tonne, il est ensuite expédié vers les usines de raffinage et de conversion de la société COMHUREX situées à Malvési (Aude), et à Pierrelatte (Drôme), puis d’EURODIF du Tricastin (Drôme), pour enrichissement et transformation en combustible nécessaire aux réacteurs nucléaires. Bassin d’exhaure, Gétigné (44), 1996 (évacuation des eaux drainées depuis les différents travaux de la mine) © AREVA LA COLLECTE DE LA MÉMOIRE ORALE «Les mines d’uranium 1952 -1992, une aventure humaine…» «À la SIMO, ils étaient bien équipés. En 57 pour vous dire… tout tournait automatiquement. Incroyable ! J’m’en rappelle on avait visité y’avait… on voyait toutes les machines. Et en 57, on n’avait pas la télé dans la région et toute l’usine, elle tournait avec la télévision à l’intérieur. C’était incroyable, à c’t’ époque-là ! Alors, ils contrôlaient toutes les machines. Alors ils appuyaient sur le bouton, ils surveillaient.» TÉMOIN ANONYME Qu’est ce que l’uranium ? L’uranium est un métal de couleur gris-acier, de densité 18.9 g/cm3. Il fond à 1130° C. et bout à 3800° C. L’uranium naturel est constitué de deux isotopes (même nombre de protons, 92) : - l’uranium 238 (146 neutrons) à 99.3 % ; - et l’uranium 235 (143 neutrons) à 0.7 %. SIMO, Écarpière, Gétigné (44), s.d. © E. Drosnet ◗ Les désagréments liés à la mine L’exploitation minière a eu quelques incidences sur l’environnement proche. «Y’avait un ronflement permanent. Au début on entendait les ventilateurs de la mine «rrrrooooooonnnnnn» mais on finit par s’y habituer !.» LOUIS LE GAUDU «Ils avaient coupé les sources ; du jour où ils ont rebouché, les sources sont revenues.» ÉMILE ET HENRI CHUPIN «À deux ou trois reprises, bah on a eu « l’ siroco ». Oui ! Les stériles de la mine ressortaient tellement broyés fins qu’un jour de tempête… tout Saint-Crespin a été recouvert d’une pellicule de… sable. Oh, puis alors, comme nuisance, qui n’a jamais été prise en considération, c’est que le traitement de l’uranium se faisait avec des acides.» TÉMOIN ANONYME «Il arriva qu’un rejet accidentel de l’usine de traitement pollua la Moine.» MARIE-JOSÉ DELÉPINE ◗ La fermeture Lapie L’exploitation des mines cesse en 1989. La fermeture est perçue pour la plupart de la population locale comme assez inattendue, d’autant plus que la Moine vient d’être détournée. Néanmoins, en raison du contexte économique et énergétique mondial, lié aux effets à retardement de la crise énergétique de 1974, les sites de Vendée, pas suffisamment rentables sont fermés. (La fermeture est planifiée par la COGEMA dès 1985). Les sites sont alors aménagés et placés sous surveillance. Cela engendre le déplacement d’un certain nombre de familles vers d’autres sites d’exploitation. «La fermeture a été une surprise car la mine marchait bien avec tout le matériel et la SIMO, alors que quand Roussay a fermé les chantiers commençaient à décliner. Ça surtout été dur pour les jeunes car ils ont dû trouver du travail ailleurs… L’extraction d’uranium coûte moins cher au Niger.» TÉMOIN ANONYME Droits réservés : Intérieur d’une galerie, Écarpière, Gétigné (44), s.d. © J. Pichaud Seul l’uranium 235 est fissile. Il peut être fragmenté en dégageant de l’énergie. C’est l’énergie nucléaire. L’uranium existe dans la croûte terrestre à une teneur moyenne de quelques grammes par tonne de roche et à quelques milligrammes par m3 dans l’eau de mer. Certains phénomènes de l’écorce terrestre ont favorisé des concentrations naturelles de l’uranium dans des zones privilégiées. Ce sont des gisements. C’est ainsi que des gisements de 1 à 3 kg par tonne de roche se sont formés dans le granite de Mortagne. Le massif de granite de Mortagne, de forme elliptique, s’étend de Nantes à Mauléon. Il couvre une surface de 650 km2. Il est âgé de 300 millions d’années (Carbonifère). Lors de mouvements géologiques mettant en jeu des circulations de fluides, des concentrations se sont formées dans des zones privilégiées, comme cassures, filons, contacts entre des roches différentes. C’est un granite leucocrate, c’est-à-dire de couleur claire, à deux micas, à muscovite généralement dominante. Il est plus riche en uranium (10 à 15g/T) que les granites à biotite seule (3 à 4 g /T). Jacques Dumas, ancien chef géologue de la COGEMA et Pierre Leblanc, ancien contrôleur géologique de la COGEMA. À quoi sert l’uranium ? L’élément uranium est découvert en 1789 par M.H. Klaproth (chimiste minéralogiste allemand), l’uranium métal est isolé par le chimiste français Eugène Peligot en 1841. Dès le milieu du XIXe siècle, on utilise les «sels d’uran» comme colorant pour les verres et l’émail (couleur jaune verdâtre). En 1896, Henri Becquerel découvre la radioactivité à partir des minerais d’uranium, et en 1898, Marie Curie s’aperçoit que l’uranium est associé à d’autres éléments encore plus radioactifs que l’uranium lui-même, et découvre le polonium et le radium et son fort pouvoir émetteur. Il faut 3 tonnes d’uranium pour obtenir 1 gramme de radium. Dès 1901, le radium est alors utilisé en «curiethérapie» pour traiter les «tumeurs malignes» (1/3 de la production) ; le reste est utilisé pour la fabrication de cadrans et d’aiguilles luminescents mais aussi de produits pharmaceutiques et même de produits de beauté. Jusqu’en 1939, l’uranium présente peu d’intérêt. Mais la découverte de la fissilité de l’uranium 235 puis le phénomène de réaction en chaîne découvert par Frédéric Joliot-Curie et Lew Kowarski va donner à l’uranium toute sa valeur énergétique utilisable à des fins civiles (production d’électricité) ou des fins militaires (bombe atomique). Pierre-Christian Guiollard, Archiviste d’AREVA SIMO, Écarpière, Gétigné (44), 1969 7 LE MINEUR L es mineurs, provenant de différents horizons, travaillaient dans des conditions assez difficiles, mais la solidarité et les avantages fournis par la COGEMA encourageaient le mineur à la tâche. ◗ La provenance des mineurs L’extraction minière a permis d’employer d’anciens ouvriers de la chaussure, des ouvriers agricoles habitant dans les environs. Elle a aussi engendré des migrations de population, notamment celles d’anciens mineurs provenant de Faymoreau en Vendée (mine de charbon), de la Sarthe (mine de charbon), de l’Orne (mine de fer), ainsi que celles d’étrangers, essentiellement des Italiens et des Polonais. Des étudiants ingénieurs provenant du Maroc et du Niger ont également séjourné à Saint-Crespin-sur-Moine. ◗ Pour aller travailler : les navettes en car puis l’utilisation des voitures personnelles Pour faciliter l’arrivée sur le lieu de travail, des transports en car étaient organisés par la COGEMA. Ainsi, plusieurs tournées s’effectuaient chaque jour avec différents autocaristes : Hervouët, Davy, Brisseau et Lumineau. Un car de la Société Davy réalisait le circuit depuis Gesté, en passant par Villedieu, Saint-Macaire-en-Mauges, Tillières, Saint-Germain-sur-Moine, Montfaucon-Montigné, Roussay, Saint-Crespin-sur-Moine, jusqu’à l’Écarpière à Gétigné. Mineurs JM. Poison et G. Durand, Écarpière, Gétigné (44), s.d. © D. Scatoli Car Hervouët s.d. © C. Gautron 8 1956 © M. Sc Carte d’un mineur, atoli «Ah... la date du départ ? J’peux vous la donner exactement… Ça oui ! C’était un vendredi, le 11 janvier 57 ! Ça, je m’en souviens comme d’hier, oui ! C’était important pour nous […] de démarrer une nouvelle activité… C’est nous qui les avions contactés. Parc’ que bon, on avait su qu’il y en avait déjà d’autres qui travaillaient pour la COGEMA : Hervouët, Brisseau… Lumineau… Ça a duré, comme aurait dit Fernand Raynaud, un certain temps… Ça a dû s’arrêter aux alentours, disons, de 75, ils avaient accordé une prime au personnel pour se déplacer eux-mêmes.» HUGUES DAVY ◗ Les premiers jours à la mine : l’apprentissage du travail Boutefeux, Écarpière, Gétigné (44), s.d. © E. Drosnet Pendant toute une période, le travail était organisé avec trois équipes qui tournaient toutes les trois semaines : 6h-14h, 14h-22h et 22h-6h. Bien souvent, les mineurs apprenaient le travail «sur le tas». «J’ai posé ma candidature et j’ai été pratiquement recruté tout de suite, puisqu’à l’époque, ils embauchaient. J’ai donc commencé par faire de la recherche […]. Après, j’ai fait des commandes… sur les filons pour découvrir comment ça se passait un p’tit peu plus bas.» EUGÈNE POUPELIN LA COLLECTE DE LA MÉMOIRE ORALE «Les mines d’uranium 1952 -1992, une aventure humaine…» ◗ Les conditions de travail «La première fois, le lundi 1er juillet [1957], on est descendu au niveau 115. Et là comme on était les jeunes, on s’est mis à nettoyer les wagons. Ce n’était pas le plus intéressant ! Quels matériels utilisions-nous ? Une pelle et une pioche.» JEAN ORIEUX Pour veiller à la sécurité des mineurs, des dispositions et des précautions étaient prises par rapport au radon, à la dynamite, à l’humidité, à l’obscurité… «C’était un métier dur… un métier qu’on a aimé après. On disait : bah, c’est pas mal vous savez... Au début, j’ai trouvé ça dur de descendre au fond. Des fois, j’écrivais à ma femme, elle n’est pas v’nue tout d’ suite. Je lui écrivais des lettres, j’ lui disais comme ça : “Tu sais, il faut avoir tué son père et sa mère pour travailler là-dedans.” Ah oui ! C’était dur hein. Parc’ qu’on avait toujours peur d’un accident. Au début, c’était des p’tites barriques qu’on mettait… On chargeait ça, allez hop, ça s’en allait mais des fois ça s’ renversait… Et toujours cette eau qui vous tombait sur la tête. On était toujours mouillé... C’était comme ça.» TÉMOIN ◗ L’équipement du mineur Avant de descendre au fond, le mineur passait par la salle des pendus et la lampisterie prendre son équipement. «La première fois, j’ai eu un casque rouge, en plastique ! Que j’ai gardé ! Et une lampe… avec une p’tite batterie en aluminium, un ceinturon, une combinaison... Ils nous donnaient une combinaison kaki, comme à l’armée parc’que c’était le C.E.A. Y’avait la ch’mise kaki… les bottes noires, et Lampisterie, Écarpière, puis… ils nous donnaient… Gétigné (44), s.d. un ciré jaune. On étouffait © Chemins Crespinois là-dedans ! Les gants. Puis après… suite à la COGEMA, on a eu des tenues bleues, on a changé les casques. Ça s’est modernisé, disons que les lampes étaient beaucoup plus performantes. On a eu… des bottes qui s’voyaient, c’était des bottes jaunes. Oh ça f’sait un peu canard mais enfin… Et ensuite on a eu des combinaisons orange.» JEAN-NOËL MEUNIER ANONYME Casse-Croute au fond de la mine, Écarpière, Gétigné (44), s.d. © D. Scatoli «Au départ, on utilisait la pelle à main, les marteaux perforateurs. Et comme outils encore… comme ça s’est mécanisé alors donc on a eu des p’tites chargeuses surbaissées bien sûr parce qu’on n’avait pas de grandes sections et puis… avant les chargeuses on avait ce qu’on appelle des scrapeurs.» EUGÈNE POUPELIN ◗ La camaraderie – la solidarité Si le travail était difficile, l’esprit de camaraderie et la solidarité étaient de mise. «Les vrais mineurs étaient solidaires, parc’ que quand ils descendaient au fond, ils étaient tous frères. Quand y’en avait un qu’était en difficulté, on le soutenait et pis c’est tout.» TÉMOIN ANONYME Train Documen ts de serv ice du min eur, 1954 atoli 4), s.d. © D. Sc ère, Gétigné (4 mine, Écarpi du fond de la © M. Scato li 9 L’ H A B I TAT : L A N A I S S A N C E D E L A C I T É S i les premiers mineurs ont été logés, dès leur arrivée, chez les habitants des bourgs aux alentours, avec le développement de l’activité, le besoin en logements s’est rapidement manifesté, d’où la construction d’une cité ouvrière à Saint-Crespin-sur-Moine. «Au départ, si j’vous disais, avant qu’la cité se construise, ils avaient tellement besoin de main-d’œuvre qu’il y a des mineurs qui venaient… en célibataire : seul. Parc’qu’on ne pouvait pas loger les familles. Eh bien, à Saint-Crespin, les gens ont tous proposé de loger, de donner une chambre, de les accueillir, vous voyez. C’est comme ça qu’ ça s’est très bien entendu au départ. En attendant qu’ la cité s’construise.» TÉMOIN ANONYME «A c’moment-là, c’est vrai que les gens de Saint-Crespin se seraient battus pour avoir quelqu’un à coucher. Ça faisait un p’tit revenu quoi !» FRANÇOISE HERQUELOT ET SIMONE LITOU «Oh bah, on a été logé… C’était une dame qu’avait une cave, qu’avait des barriques là-dedans, elle a nettoyé ça et pis on était quatre après à coucher là-dedans. Elle a mis deux lits avec… d’ la paillasse. Alors, on dormait deux par lit.» TÉMOIN ANONYME ◗ Pourquoi à Saint-Crespin-sur-Moine ? «Parc’que… le… directeur de la mine voulait monter une cité ouvrière. Oui mais il s’est adressé à Clisson… Ça été non. Ils n’envisageaient pas de prendre ce genre de population ouvrière. Ensuite, ils se sont adressés à Gétigné. Ça a été également non. Et puis, ils ont vu ce coteau en face, ensoleillé. Ils se sont dit : “Nos mineurs, leur cité ça serait très bien là”. Alors, c’est comme ça qu’ils sont v’nus trouver le maire, c’était Antoine du Doré à l’époque, et lui, il a dit : “Réflexion faite, c’est vrai ils seraient tous près de leur travail, pourquoi pas !”» TÉMOIN ANONYME Cité ouvrière, Saint-Crespin-sur-Moine, (49), s.d. © M.T. Mérand ◗ Les nouveaux logements Construction de la cité ouvrière, Saint-Crespin-sur-Moine (49), 1956 © C. Priou 10 Vue aérienne de Saint-Crespin-sur-Moine, (49), s.d. © Droits réservés CIM Pour répondre aux besoins des nouveaux arrivants, 120 logements ont été construits : - deux logements collectifs (et un logement accueillant les mineurs seuls : le célibatorium) ; - six maisons de type semi-métallique Fillod, habitées par les porions, les chefs mineurs (1954) ; - trente maisons en parpaings à deux ou trois entrées. «Ça s’est fait progressivement mais vite. Vite, vite, vite. Moi, j’me souviens quand cette cité s’est construite : si vous aviez vu le dimanche, les rues d’ Saint-Crespin. Les voitures affluaient de partout pour voir “Qu’est c’que c’est qu’cette mine qui s’ouvre et cette cité ?”» TÉMOIN ANONYME LA COLLECTE DE LA MÉMOIRE ORALE «Les mines d’uranium 1952 -1992, une aventure humaine…» OUVRIÈRE ◗ Le confort de la «cité Beausoleil» ? Les nouveaux logements contrastent avec l’habitat traditionnel, et se caractérisent par un confort inconnu jusqu’alors : eau courante, chauffage, douche, baignoire, WC… Plusieurs pièces : séjour, chambre, cuisine… Même si quelques inconvénients sont relevés : défaut d’isolation sonore dans les blocs, d’humidité dans certains appartements. «Quand les maisons ont été construites… on était logé comme c’était dans les campagnes en 1957, sans aucun confort, sans rien du tout et, comme la mine avait fait construire des logements pour les mineurs donc, automatiquement on a fait une demande et comme j’attendais mon 4e enfant donc on a été logé par la mine […]. Là, c’était magnifique parce que par le fait, on avait une maison qui était neuve, même si y’avait un ou deux ans qu’elles étaient construites on avait les waters, on avait la douche, choses que l’on avait pas du tout dans les campagnes, ça a été quelque chose de miraculeux, de fabuleux pour nous, parce que c’était le confort qu’on n’avait jamais eu !» MICHELINE SCATOLI «La cité… les parpaings avaient même pas l’temps d’sécher. Après, y’avait plein d’humidité dans les… appartements. Y’avait pas de bouches d’air. Les gens faisaient qu’ se plaindre qu’il y’avait des gouttières, c’était pas des gouttières ! C’était la condensation. Parc’ que les plafonds étaient faits avec des hourdis en béton. C’était trop étanche» TÉMOIN ANONYME ◗ Les jardins Ceux qui le souhaitaient avaient «un p’tit bout d’jardin. Oui, enfin, ils faisaient un peu d’pelouse ou alors bah dame celui qui voulait faire quelques salades… C’est-à-dire qu’ils travaillaient en 3/8 c’està-dire, oui, trois factions à c’ moment-là, après y’a eu deux factions en 2/8 mais au départ ils faisaient les 3/8 avec la nuit, alors, ceux qui faisaient la nuit… ils avaient toujours une demi-journée de libre.» TÉMOIN ANONYME ◗ Les maisons de porions «Ça a été construit euh… oh, c’est en 53-54, par la société… d’Arbois dans l’Jura. Et, le soubassement a été fait par… une entreprise de maçonnerie de Gétigné : Pierre Florence, qu’était entrepreneur de maçonnerie, qu’a fait l’sous-sol […] jusqu’au plancher en béton quoi. Et puis après, l’entreprise... d’Arbois est v’nue avec des camions et a apporté des panneaux pour monter ces maisons-là quoi… en préfabriqué.» TÉMOIN ANONYME ◗ Les maisons à deux ou trois entrées «Les maisons étaient faites… d’une grande pièce comme ça à peu près, d’une petite cuisine indépendante, et dans la pièce, y’avait un escalier qui montait en haut. Y’avait deuxtrois petites chambres». TÉMOIN ANONYME ◗ Les appartements «En 1967, j’habitais un F1 dans le premier bloc. Un couloir desservait la chambre, les WC, la salle d’eau équipée d’une baignoire sabot. Au bout du couloir, un séjour exposé plein sud communiquait avec une cuisine fermée qui elle-même donnait dans un séchoir ventilé clos par des croisillons de bois». MARIE-JOSÉ DELÉPINE Architecture Fillod : une architecture contrastant avec l’architecture traditionnelle des Mauges Répondant à la crise du logement de l’Entre-deux-guerres, Ferdinand Fillod (Jura) imagine d’utiliser l’acier afin de standardiser et d’industrialiser la fabrication d’une habitation dont le montage doit être suffisamment simple pour être réalisé par son acquéreur (dépôt du brevet le 21 novembre 1928). Il invente le système du panneau acier. Maison du Mineur et des Énergies, ancienne maison de porion (chef mineur) Saint-Crespin-sur-Moine, 2007 © M. Egonneau A Saint-Crespin-sur-Moine, six maisons semi-métalliques constituées de façades de panneaux préfabriqués à parement extérieur métallique, d’une charpente par fermette bois, et d’une couverture en tuiles de terre cuite ont été installées sur des fondations sur rocher dur en béton, en 1954. Elles ont été construites par le C.E.A. à destination du personnel de maîtrise. Sources : catalogue d’exposition, Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et d’Environnement de Moselle L’industrialisation selon Ferdinand Fillod, s.d., & Archives d’AREVA Extraits de journaux locaux, cité ouvrière, Saint-Crespin-sur-Moine, 1958 11 LES RÉPERCUSSIONS ÉCONOMIQUES ET L e développement de l’activité minière et l’arrivée de la main d’œuvre nécessaire ont eu des répercussions sur la vie sociale, économique et politique des communes situées à proximité des sites d’extraction d’uranium, et plus particulièrement à Saint-Crespin-sur-Moine. «On a découvert qu’il y avait quelque chose dans l’ sol. Tout l’ monde vivait là-dessus, […] tout l’ monde vivait bien là, on n’en savait rien… Y’allait avoir un bouleversement... Ça pouvait aussi arriver chez nous… dans notre petit coin.» GENEVIÈVE NAUD ◗ Le développement des services : l’école, la mairie, la poste et les services médicaux Extrait de la lettre du sous-préfet de Cholet au préfet de Maine-et-Loire : 28 mai 1957 «L’augmentation massive de la population oblige à penser l’équipement de la commune […] groupe scolaire, terrain de sport, assainissement, marché, voirie […]». «C’est bien simple, avant l’arrivée des mineurs à SaintCrespin, y’avait 920-930 habitants. […] On est monté aux environs de 1200 avec la mine.» HENRI CHUPIN «Avant, à l’école publique, y’avait que trois élèves. Alors, elle n’était pas… en état pour recevoir beaucoup d’élèves. Il a fallu tout… remettre à neuf. Y compris le logement de l’instituteur.» TÉMOIN ANONYME Famille Herquelot devant le café, Saint-Crespin-sur-Moine, (49), s.d. © F. Herquelot e 1957 nce de l’Ouest, 12 octobr Extrait du journal Résista 12 12 «Mais, quand la mine s’est implantée, il est venu des ouvriers d’un peu partout, eh ben, les gens ont voulu mettre leurs enfants à l’école publique. Et à ce moment-là, ça a changé un peu la face des choses.» TÉMOIN ANONYME «La mairie existait dans les chambres de l’école publique... Alors dès… 65 : achat d’la mairie, il a fallu tout transformer et… j’pense qu’on est rentré dedans en 1968... C’était assez moderne pour l’époque... Et… qu’est c’ qui a suivi ? La poste… la pharmacie… le médecin, un cabinet dentaire aussi. C’est… c’était quand même d’avantgarde dans les années 68-70.» TÉMOIN ANONYME ◗ Le développement du commerce L’activité de la mine a entrainé un développement des commerces et des services. Les agriculteurs (lait, beurre, œufs, viande) et les viticulteurs locaux approvisionnaient aussi les mineurs et leurs familles. «On vendait tout notre lait comme ça ! Ils venaient l’chercher… le beurre, les œufs .On n’était pas en peine de vendre. Et puis, ils étaient aimables.» ÉMILE CHUPIN Ainsi, à Saint-Crespin-sur-Moine, «ça s’est développé à c’moment-là… Y’avait deux boulangeries, la boucherie et tout ça, y’avait plusieurs épiceries…, mais des p’tites…. Y en avait une qui t’nait quincaillerie…“C’est chez nous qu’ c’est le P’tit Paris !” On trouvait de tout ! De tout ! Une casserole, un berger pour mettre dans la crèche ! De tout ! […] C’est curieux quand on repense tout ça ! Oui, c’était l’euphorie, à Saint-Crespin !» TÉMOIN ANONYME «Y’avait trois cafés, y’avait Herquelot, y’avait Doucet et puis y’avait Blouin… Et les trois cafés marchaient bien.» TÉMOIN ANONYME LA COLLECTE DE LA MÉMOIRE ORALE «Les mines d’uranium 1952 -1992, une aventure humaine…» SOCIALES Intérieur du café Herquelot, Saint-Crespin-sur-Moine, (49) s.d. © F. Herquelot «Si vous aviez entendu le soir, l’ambiance dans les cafés ! Les anciens SaintCrespin… ça allait jouer aux cartes… tout c’que vous voulez, ça s’entendait très bien.» TÉMOIN ANONYME ◗ L’évolution des mentalités : une ouverture d’esprit L’arrivée de populations provenant d’origines diverses a favorisé l’évolution des mentalités. «Moi, j’ disais toujours : “y’a trois Saint-Crespin” : le bourg, la cité et les villages. Voilà c’ que je ressentais. Et c’était des mentalités différentes… On ne réagissait pas d’ la même façon qu’on était des villages ou de la cité… La cité était très accueillante, bon y’avait des hauts et des bas bien sûr ! Mais ces gens, qui arrivaient d’ailleurs avaient d’autres cultures et ils ont fait évoluer Saint-Crespin, j’ dirais. On ne va pas dire qu’on était plus en retard que d’autres mais c’est quand même les gens qui nous ont apporté plein d’ choses.» TÉMOIN ANONYME «Vous savez les enfants, quand ils sont en groupe, ils s’intègrent très bien. Ils jouaient entre eux ici dans la cité, les autres jouaient ailleurs […]. Mais les femmes… les familles se mélangeaient que très peu.» LOUIS LE GAUDU Char de kermesse, Saint-Crespin-sur-Moine, (49), s.d. © E. Contardo «Mais alors, la chose la plus marquante, ça a été l’ foot... Il est venu des gars qu’étaient… des supers cracks ! Et alors, les équipes sont montées […]. C’était la fête, la joie complète !… et puis, il y avait des gens de la mine qui s’occupaient du foot, ce qui… ça a fait sortir SaintCrespin de son p’tit monde rural. Ils avaient une autre vue… Elle était beaucoup plus ouverte que nous, faut dire c’ qui est quoi […]. On partait en car, y’avait deux équipes qui jouaient de rang. On s’en allait, les femmes, les hommes.» TÉMOIN ANONYME Équipe de football de Saint-Crespin-sur-Moine, (49), s.d. © S. Rineau «Pour les jeunes, ça nous faisait une ouverture ! Ça chantait, on les entendait chanter ! Ça donnait de l’animation, c’était vraiment bien !» SOLANGE CONTARDO «Peut-être que niveau politique, religieux, politique des fois bon, politique ça a peut-être amené des gens à penser différemment.» TÉMOIN ANONYME «Et c’était cousins, cousines, les habitants de Saint-Crespinsur-Moine… et tout… tout… r’groupés comme ça hein. Enfin,… c’était renfermé… Moi, j’ai trouvé ça dur au début.» TÉMOIN ANONYME ◗ Les fêtes et les loisirs : une bonne intégration ? Jeux de cartes, football, palet, création d’un comité des fêtes, la fête du 1er Mai dans la cité, le cinéma du patronage, les fêtes organisées par le CEA comme les rallyes en voiture, la fête de la Sainte-Barbe (patronne des mineurs), kermesses… L’arrivée des mineurs a permis à la vie locale de se développer favorisant une ambiance festive… «C’était des gens gais, ils avaient un travail difficile, mais c’était quand même des gens qu’aimaient la fête…» TÉMOIN ANONYME Lettre du Sous-Pr éfet de Cholet, 19 57 «Les gens d’ Saint-Crespin on a fait une équipe là. C’était le loisir et pis on s’entendait bien ! On se déplaçait en car et puis tout l’monde était là, qu’ils soient catholiques ou qu’ils soient n’importe qui, n’importe quoi. On était bien, on s’amusait.» TÉMOIN ANONYME oine (49) int-Crespin-sur-M Registre 1955-19 85 de primaire, Sa s élèves de l’école 13 DÉMARCHE DES COLLECTEURS : COLLECTE DE LA MÉMOIRE ORALE ET DE DOCUMENTATION D ébut 2006, une bénévole de l’association les Chemins Crespinois a suivi une formation proposée par les Archives départementales sur la technique de l’entretien. Cette formation a permis la mise en place d’une équipe de trois bénévoles qui s’est faite «glaneuse de mémoire» collectant et retranscrivant une dizaine d’interviews. rquelot, nt le café He . rveuses deva oine, (49), s.d r-M Mineurs et se su insp re Saint-C © F. Herquelot Cette collecte est l’un des fondements du projet de restructuration de la Maison du Mineur et des Énergies. Celle-ci est destinée à alimenter un «creuset de mémoires vivantes» où nous puisons déjà la substance des animations culturelles actuelles et où s’affinent celles de demain. Au dernier trimestre 2009, notre équipe est devenue «médiatrice de mémoire». Elle a facilité le travail des chargées de mission de la Communauté de Communes Moine et Sèvre, Roselyne Landais-Lebreton (chargée du recueil de témoignages - 2009/2010) et Maryline Egonneau (chargée de mission culture) : fé Herquelot, Cuisines du ca e, (49), s.d. oin r-M su Saint-Crespin© F. Herquelot - en donnant accès à nos archives associatives inventoriées et classées ; - en facilitant l’accueil près des témoins avec comme sésame, à la fois l’image de l’association des Chemins Crespinois et le tissu relationnel de certains de ses membres. Quelle démarche fut adoptée par notre équipe ? Deux guides d’entretien existaient déjà, l’un sur «le travail du mineur» et l’autre sur «l’arrivée de l’électricité». Ils avaient été expérimentés en 2006 et 2007 par les bénévoles. Ils furent repris en 2009 et un troisième guide fut élaboré en collaboration avec les professionnelles portant sur la perception de l’ouverture de la mine par la population locale, et le changement de la vie communale. Ensuite, ensemble, nous avons élaboré une liste de personnes venues d’horizons différents, colorées et animées d’expériences de vie très diversifiées. Notre choix s’est porté vers ceux et celles qui ne présentaient pas forcément le profil habituel d’interviewés. Nous souhaitions obtenir des témoignages inédits, d’une mémoire peut-être un peu moins «officielle». 14 Puis vint le temps des contacts auprès des personnes pressenties ; pour nous, une mission de mise en confiance, un préalable indispensable pour l’entretien à venir avec la chargée de mission. Notre rôle fut d’expliquer la finalité de la collecte à des interlocuteurs souvent surpris et incrédules de l’intérêt et de l’importance accordés à leurs souvenirs. Nous les avons vivement encouragés à fouiller non seulement leur mémoire, mais aussi leurs archives personnelles, à la recherche de documents photographiques, audio… r-Moine, int-Crespin-su le publique, Sa Courillaud Elèves de l’éco (49), 1959 © C. Ce fut pour nous, bénévoles, un temps enrichissant, car lors de ces échanges, que nous qualifierons de «pré-enquêtes», nous avons découvert la multitude de facettes d’une même histoire et un temps de partage et parfois d’émotion suscitée par des retrouvailles d’anciennes connaissances et le plaisir ressenti à l’évocation de souvenirs communs. Au final, ce fut un bel exemple de partenariat entre une équipe associative et les professionnelles de la Communauté de Communes Moine et Sèvre. Tout au long de ces six mois, de part et d’autre, chacun s’est appliqué au cours de l’année 2009 et 2010 à coopérer, à entretenir des relations étroites et constantes pour assurer le bon déroulement de la mission. Les membres de la commission collecte de la "Maison du Mineur et des Énergies" : Jean Pierre Bretaudeau, Roger Charraud, Marie-José Delépine, Roselyne Richard. , s.d. © sur-Moine (49) , Saint-CrespinCafé Herquelot F. Herquelot Conclusion & Perspectives Au terme de cette étude, je me réjouis du partenariat entre associations, bénévoles et professionnels qui voit son aboutissement, à travers cette plaquette vivante et illustrée. Cela grâce, d’une part, au recueil de la mémoire orale auprès des témoins que je remercie chaleureusement. En acceptant d’ouvrir et de partager leur mémoire, ils nous amènent à mieux saisir l’ampleur de l’aventure qu’a été l’exploitation minière pendant 40 ans et comment elle a transformé la structure d’un bourg, les mentalités, l’habitat… au niveau d’un territoire. Purge de la mine, Écarpière, Gétigné, (49) s.d. © E. Drosnet Et grâce, d’autre part, à la collecte de photographies, de cartes postales, et de documents d’archives fournis gracieusement par AREVA et les différents témoins, sources de connaissances complémentaires et incontournables. Ainsi, cette étude montre tout l’intérêt que présente le «passé minier», aussi bien sur le plan technique, sociologique, architectural que sur le plan paysager. Décrypter cette mémoire donne donc un sens à notre présent. Cette aventure peut aller encore plus loin ; d’autres études et/ou actions peuvent d’ores et déjà être préconisées : - la restructuration du site d’interprétation de la Maison du Mineur et des Énergies valorisant le passé minier et proposant une sensibilisation aux économies d’énergie ; - une opération d’inventaire des sites industriels les plus pertinents (documentation historique, analyse architecturale, recensement des machines de production…) en partenariat avec les services de la Région des Pays-de-la-Loire et du département de Maine-et-Loire ; - un programme de sauvegarde des archives industrielles, documents «sources» permettant la connaissance d’une industrie. Cette opération serait à conduire en partenariat avec les Archives départementales de Maine-et-Loire ; - un programme de collecte de témoignages sur d’autres thématiques (telle que la chaussure…) pour poursuivre la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de la Communauté de Communes Moine et Sèvre ; - la conception de panneaux d’interprétation ; - la constitution d’une base de données photographiques… Ainsi, s’approprier son territoire, c’est mettre en valeur ses particularités. En Moine et Sèvre, nous avons cette chance d’hériter d’un fort potentiel en patrimoine industriel, inséré dans un monde rural vivant. Je m’emploierai, accompagnée des élus qui opèrent dans ce domaine, et en partenariat avec les habitants du territoire à faire fructifier cette richesse. Le patrimoine devient alors une ressource à utiliser pour favoriser le développement de notre territoire. Marie-Claire Starel Présidente de la Commission Culture de la Communauté de Communes Moine et Sèvre 15 REMERCIEMENTS La Communauté de Communes Moine et Sèvre tient à remercier : ◗ Tous les témoins pour leur précieuse mémoire : Mesdames et Messieurs : Léopold Bacle, Odile Bertin, André Blouin, Marie-Thérèse Bondu, Anne Brandicourt, Christiane Courilleau, Bernard Charles, Émile Chupin, Henri Chupin, François Collardeau, Solange Contardo, Ermès Contardo, Hugues Davy, Marie-José Delépine, Marguerite Doucet, Jeanne Drouet, Pierre Drouet, Gisèle Fonteneau, Louis Fonteneau, Jeanne Gaillard, Sandrine Gerfauet, Jacqueline Guédon, Marie-Thérèse Guimbretière, Charles Guimbretière, Françoise Herquelot, François Laczka, Léocadie Laczka, Pierre Leblanc, Louis Le Gaudu, Simone Litou, Roger Loizeau, Jean Orieux, Paul Marchand, Marie-Louise Martin, Jean-Noël Meunier, Clément Mérand, Josephine Musset, Geneviève Naud, Gilles Naud, Marguerite Naud, René Nerrière, Jean-Claude Raimbaud, René Poiron, Marie-Josèphe Poisson, Marguerite Pohu, Eugène Poupelin, Claude Priou, Louise Priou, Suzanne Rineau, Michelle Rineau, Alain Sauzereau, Emilia Sauzereau, Alain Sauzereau, Georges Sauzereau, et Micheline Scatoli. ◗ Les collecteurs qui se sont activement impliqués dans ce travail : La Communauté de Communes Moine et Sèvre souhaitant poursuivre le travail de collecte serait heureuse de recueillir d’autres documents. Elle vous remercie de la confiance que vous lui accorderez. Maryline EGONNEAU Communauté de Communes Moine et Sèvre Hôtel de Communauté – 4, Square d’Italie 49230 SAINT-GERMAIN-SUR-MOINE Tél : 02 41 64 76 33 - 06 77 49 68 82 [email protected] Marie-Hélène CHEVALIER Archives départementales de Maine-et-Loire 106 rue de Frémur BP. 80744 - 49007 ANGERS CEDEX 01 Tél : 02 41 80 80 00 [email protected] ◗ Ainsi que les personnes qui ont contribué à la mise en œuvre de la collecte et à la réalisation de la plaquette : Mesdames et Messieurs : Andrée André, Christian André, Marie-Jo Bretaudeau, Jean-Pierre Bretaudeau, Pierrette Charraud, Roger Charraud, Marie-Thérèse Mérand, Guy Prieuret, Sylvain Rineau, Jeannette Suteau de l’association les Chemins Crespinois ; Georges Chapot et Pierre Leblanc ainsi que les membres du bureau de l’amicale des anciens de la COGEMA ; Laurent Blaszczyk d’AREVA, Bernard Covez, Pierre-Christian Guiollard ; Émile Drosnet, Isabelle Guitet, Jean Pichaud, Olivier Rahard. Elisabeth Verry, directeur des Archives départementales de Maine-et-Loire, Marie-Hélène Chevalier ; Gaëlle Caudal, François Corbineau, Joël Guilloizeau, service patrimoine, Région des Pays-de-la-Loire ; Françoise Fillon de la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) Pays-de-la-Loire ; Jean-Louis Kérouanton, enseignant chercheur IHT (Institut de l’Homme et des Techniques) - Université de Nantes ; Olivier Durand, Emmanuel Douillard, Dominique Drouet, Olivier Gabory, du CPIE (Centre Permanent d’Initiatives pour l’environnement) Loire-et-Mauges ; Gabrielle Michaux, directrice du Musée de la Vigne et du Vin d’Anjou - Saint-Lambert-du-Lattay ; Le personnel soignant de la MAFPA (Maison d’Accueil Familiale des Personnes Agées) de Saint-Crespin-sur-Moine ; Marie-Claire Fièvre, secrétaire à la Mairie de Saint-Crespin-sur-Moine ; Philippe Davy des transports Davy à Gesté ; Christine Gautron de la société Hervouët, Saint-Georges-de-Montaigu ; Anne Pithon, directrice, François Vinet, chargé de mission communication et Maryline Egonneau, chargée de mission culture de la Communauté de Communes Moine et Sèvre, pour le suivi du projet, pour la conception de la plaquette et le relais auprès des différents partenaires. 06101772 - Conception M. Egonneau CCMS CONTACTS Mesdames : Anne-Marie Auger, Nadia Bretaudeau, Marie-Josée Delépine, Marie-Eve Gravel (pour l’aide à la transcription des interviews) et Roselyne Richard ; Roselyne Landais-Lebreton, chargée de mission à la Communauté de Communes Moine et Sèvre, pour la collecte et la retranscription des témoignages complémentaires.