Géothermie dans le secteur tertiaire : gains d

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Géothermie dans le secteur tertiaire : gains d
Géothermie dans le secteur tertiaire : gains d’exploitation importants au RDV ! Les envolées récurrentes des prix du gaz et du mazout, sans parler de l’insécurité à long terme liée à leur approvisionnement, nous poussent indubitablement à renforcer notre indépendance énergétique et à nous tourner vers des sources d’énergies alternatives. Dans la course actuelle aux énergies propres, la filière géothermique semble pour l’instant encore trop méconnue et largement sous‐exploitée en Wallonie. Pourtant, contrairement à l’énergie solaire ou éolienne, cette source d’énergie est disponible 24/24h et 7/7j et permet de réaliser des économies juteuses ! Alors, pourquoi tant de frilosité ? S’il est vrai que le recours aux pompes à chaleur (PAC) sol‐eau pour le chauffage et l’eau chaude sanitaire (ECS) domestiques connaît un regain d’intérêt, il convient toutefois de préciser ici qu’il ne s’agit pas à proprement parler de véritable géothermie1. En réalité, le réseau d’eau glycolée enterré à très faible profondeur (souvent entre 80 cm et 1,5m) permet plutôt le captage de calories apportées par les eaux de surface et par le rayonnement solaire. Ces calories sont alors stockées dans une faible épaisseur de la croûte terrestre (environ une quinzaine de mètres comme l’illustre la figure 1). La véritable géothermie commence bien plus bas, là où le réchauffement de la croûte terrestre connaît un gradient de température relativement constant d’environ 3,3 °C par 100 m de profondeur. Figure 1 : Evolution de la T° en fonction de la profondeur (faibles profondeurs), influence du climat et de la saison (SOURCE ?) Bien qu’alléchante par son côté abondant, cette source d’énergie a cependant un gros inconvénient : son coût de mise en œuvre. Les investissements, il est vrai, restent importants et les technologies de captage à grande échelle plus complexes en fonction de la profondeur. Le projet de géothermie profonde adopté fin 2011 par le 1 La géothermie, au sens strict, est l’exploitation de l’énergie thermique souterraine provenant du noyau terrestre. Gouvernement wallon pour la gare de Mons en témoigne : on estime le coût du forage (entre 2000 et 3000m) à 3 M€. Cette installation alimentera la nouvelle gare de Mons et plusieurs bâtiments alentours via un réseau de chauffage urbain. Avant d’aborder les applications pour le secteur tertiaire, il paraît essentiel à ce stade de dresser un tableau des filières géothermiques existantes. En effet, les applications ou les débouchés énergétiques varient en fonction de la filière choisie. La première segmentation importante sépare la filière de haute enthalpie de la filière à basse enthalpie. Figure 2: Les différentes filières géothermiques (source : Terra Energy) Figure 3 : Les possibilités de la filière basse enthalpie La filière de haute enthalpie permet d’aller chercher de la vapeur d’eau à des T° > 120°C, ce qui permet bien entendu nombre d’applications industrielles mais aussi la production d’électricité. Les forages sont d’ordinaire en très grande profondeur, sauf dans des zones présentant des anomalies géothermiques permettant des captages à faible profondeur. On peut également parler de filière à moyenne enthalpie lorsque la température du captage se situe entre 60°C et 120°C. Vu le coût de ces installations, leur exploitation reste à l’heure actuelle subordonnée à l’obtention de subsides pour garantir une rentabilité financière à court ou moyen terme. Dans l’exemple de Mons, une étude du Professeur Rorive (FPMs)2 prévoit un coût équivalent du MWh gaz et du MWh géothermique en 2017 (environ 11,75 €/MWh) selon l’évolution actuelle des prix du gaz naturel et moyennant une intervention des fonds publics à hauteur de 50%. Sans intervention de subsides, ce cross‐over des prix ne se produirait, sous les mêmes hypothèses, qu’en 2029. Dans le secteur tertiaire, de tels investissements ont donc une viabilité financière à trop longue échéance, c’est pourquoi nous examinerons plus en détails les possibilités offertes par la filière de basse enthalpie. En résumé, tous les captages géothermiques à T°<60°C relèvent de la filière à basse enthalpie. Ceci implique des forages de profondeur moyenne, souvent dans une gamme de profondeur allant de 50 à 200 m mais guère davantage, surtout si l’on veut rafraîchir en été. Les débouchés énergétiques se limitent 2 Présentation donnée en 2010 par A. Rorive, slides disponibles sur le site energie.wallonie.be donc au chauffage, à la production d’eau chaude sanitaire, mais aussi, et c’est là que réside un intérêt particulier pour le secteur tertiaire, au refroidissement. En effet, si le terrain est souvent utilisé pour capter de l’énergie stockée naturellement dans les applications résidentielles avec pompe à chaleur (PAC), il est beaucoup moins fréquent d’y voir ces installations fonctionner en « natural cooling », bien que certains constructeurs commencent maintenant à proposer des solutions de type « Cooling box » en option sur leur PAC, à des prix abordables. En tertiaire, c’est précisément là que se situe l’enjeu de ces installations, nous allons voir pourquoi. La figure 1 illustre les différentes filières de la géothermie. On remarque que dans la filière hydrothermique ‐ l’eau faisant office de fluide caloporteur ‐ se distinguent les technologies ATES (Aquifer Thermal Energy Storage3) et BTES (Borehole Thermal Energy Storage4) selon que le captage se fait en nappes aquifères ou directement dans le sous‐sol. Figure 4: ATES mis en oeuvre à Utrecht aux Pays­Bas. (source : www.underground­energy.com) La différence technique majeure entre ces deux filières tient au fait que l’une, ATES, est dite en boucle ouverte tandis que l’autre, BTES, est en boucle fermée. Cela signifie qu’en ATES, on va directement puiser de l’eau à un endroit de la nappe et que l’on va rejeter cette eau à un autre endroit de la nappe, suffisamment éloignés l’un de l’autre pour éviter toute interférence thermique. Dans le cas du BTES, le fluide caloporteur circule en boucle fermée dans des sondes géothermiques enfouies dans des puits, à l’instar de ce qui se fait en géothermie verticale dans le résidentiel. La spécificité géologique de la technologie ATES, qui requiert donc une nappe phréatique accessible à faible profondeur et de capacité suffisante, contraint quelque peu son champ d’applications et requiert, outre diverses autorisations d’exploitation, une excellente connaissance du sous‐sol à l’endroit du projet. La technologie BTES semble offrir de belles perspectives dans le tertiaire, vu la faible profondeur de forage requise, sa relative compacité et son coût de plus en plus abordable. Le coût du forage 3 ATES : Stockage d’énergie thermique par les nappes phréatiques 4 BTES: Stockage d’énergie thermique via forages en sous‐sol reste l’élément déterminant et peut varier entre 40 et 90€/ml en fonction de la nature du sol. Figure 5: Fonctionnement d’un système BTES en hiver (source : www.underground­energy.com ) Figure 6: Fonctionnement d’un système BTES en été (source : www.underground­energy.com) Il est important de comprendre qu’un système BTES permet un fonctionnement hivernal, destiné à la chauffe, ainsi qu’estival, destiné au rafraichissement. Ce type de fonctionnement est particulièrement intéressant sur le plan du rendement global annuel de l’installation : en effet, en mode de fonctionnement estival (voir figure 4), on « recharge » le sous‐sol en calories évacuées du bâtiment. Ces calories seront ensuite réutilisées dans une certaine mesure lors du fonctionnement hivernal (voir figure 3), où une température de sous‐sol moins froide améliorera sensiblement le rendement (on parle de COP : coefficient de performance) de l’installation. On le comprend bien, l’analyse des besoins en chaud et froid des bâtiments et leur équilibrage pour la longévité du gisement géothermique sont des éléments fondamentaux pour s’assurer d’une exploitation économique et durable. Pour ce faire, un test de réponse thermique du terrain (TRT) s’avère essentiel, afin de connaître avec plus de précision le potentiel thermique du sous‐sol. Plus précisément, ce type d’essai fournit les données suivantes : ‐ λ, la conductivité thermique du sol ; ‐ Tρ, la température initiale du terrain ; ‐ la résistance thermique de la sonde. Ces essais doivent être réalisés sur une durée de plusieurs jours afin de limiter les effets transitoires. La bonne conduite de ces essais s’avère indispensable afin d’évaluer au mieux la profondeur du forage et le nombre de puits nécessaires à la réalisation du projet. A titre d’exemple, dans nos régions, on estime que le débit calorifique moyen d’une sonde verticale se situe aux environs de 50 W/ml, mais en réalité, ils varient entre 20 et 70 W/ml en fonction de la nature du sol. Ces essais ont aussi une justification financière très palpable : vouloir en faire l’économie et travailler sur base d’estimations simplistes mènerait vite à la catastrophe. Un surdimensionnement des capteurs géothermiques serait préjudiciable à la rentabilité financière du projet, mais un sous‐dimensionnement serait difficilement récupérable vu la complexité d’une modification du réseau de capteurs après installation (a fortiori si le système est enterré dans les fouilles). Les sondes géothermiques verticales. Figure 7 : Coupe d’une sonde géothermique verticale en double “U” Les capteurs sont souvent des capteurs en double U en PEHD de diamètre 32 mm, bien qu’on rencontre des diamètres de 25 ou 44 mm par endroit. La présence d’un bac de décantation au pied de la sonde permet d’assurer la bonne circulation du fluide. Des distances minimales sont à respecter par rapport à certains éléments tels qu’arbres ou autres ouvrages. Ces recommandations sont bien connues des spécialistes en forage. Ces spécialistes utiliseront en outre la bonne technique de forage en fonction de la nature du sous‐sol parmi l’éventail technique disponible. On le comprend donc bien, ce type de réalisations doit être confié à des professionnels du forage, incontournables pour des installations d’une certaine ampleur telles que dans le secteur tertiaire. Une fois le forage effectué, on doit procéder au « colmatage » du forage. Ce point est essentiel au bon fonctionnement de la sonde. Le colmatage est en fait un remplissage du trou par un coulis de scellement (voir figure 7). Ce remplissage a pour but : ‐ d’éviter les trous d’air : l’air agirait comme isolant thermique alors même qu’on cherche à capter la chaleur souterraine par conduction vers les tubes ; ‐ de permettre la circulation de l’eau : ce qui améliore la recharge en calories de la sonde et accélère les transferts de chaleur ; ‐ d’optimiser les échanges thermiques entre le terrain et la sonde ; ‐ d’isoler les aquifères traversés afin de perturber au minimum la structure du sous‐sol et des aquifères car ceux‐ci sont précieux pour l’environnement ; ‐ de fournir une protection des nappes contre une infiltration de surface. Cette étape doit elle aussi être confiée à des spécialistes car les ciments utilisés sont assez spécifiques et les enjeux environnementaux suffisamment importants. Ensuite, le foreur devra impérativement réaliser des tests d’étanchéité sur chaque sonde, à une pression de plusieurs bars à la surface, ceci afin d’assurer qu’il n’y ait aucune fuite de fluide caloporteur dans l’environnement souterrain. Dans le cas du BTES, il y a plusieurs puits à réaliser et il convient de respecter une distance minimale d’environ 2 à 6 m entre chaque forage. Le positionnement en matrice est peu recommandé et on lui préfèrera une disposition en quinconce afin d’optimiser l’empreinte au sol (voir figure ci‐dessous). Figure 8 : Disposition au sol optimalisée des puits de forage Dans les études techniques préalables à la réalisation de ces projets, on veillera tout particulièrement à respecter la capacité thermique du sous‐sol afin que ce dernier ne s’épuise par manque ou excès de calories souterraines à long terme. Une série de règles importantes doivent être respectées : ‐ effectuer un test de réponse thermique ; ‐ évaluer précisément les besoins en chaud et en froid ; ‐ dimensionner sur le besoin prépondérant ; ‐ veiller à respecter les normes d’écartement entre les sondes ; ‐ ne pas creuser trop profondément (250 m semble un maximum) pour assurer un bon rafraichissement5. 5 En effet, à des profondeurs plus importantes, la T° du sous‐sol ne permettrait plus un refroidissement naturel efficace. On recommande un fonctionnement aux alentours de 14°/16°C. Cas d’école en Wallonie : l’Hotel Verviers6 C’est suite à un audit énergétique et à une recommandation originale et intelligente de l’auditeur que les propriétaires de cet hôtel 4 étoiles de 100 chambres et de 8000m2 ont investi dans un projet de chauffage et de climatisation par la géothermie. A travers cet exemple concret en Wallonie, on comprend ici que l’intérêt de la technologie pour le tertiaire réside essentiellement dans la réponse aux besoins de rafraichissement. A l’heure actuelle, il existe une quinzaine de sites de référence en Belgique pour le secteur tertiaire, pour la plupart situés en Flandres, notamment pour des hôpitaux (ex. Anvers‐ St‐
Vincentius, UZ Gent ou encore KLINA Hospital à Brasschaat). Dans ce dernier exemple, pour cet hôpital de 400 lits, un système ATES couplé à une PAC permet d’économiser 76% des besoins énergétiques en refroidissement et 69% des besoins en chauffage. Le retour sur investissement (de 750 k €) est atteint en 6 ans ! Sur le plan financier, le fonctionnement optimal des ces installations se situe souvent dans un mode bivalent pour la partie chauffage/ECS. Très souvent, on adjoindra donc au système UTES7 une PAC pour produire du chaud. En effet, la faible profondeur du captage ne permet pas d’atteindre les températures nécessaires au chauffage, fût‐il basse température. Il n’en va pas de même avec le froid, car la température souterraine d’environ 14 à 16°C convient parfaitement à la technique du « natural cooling », qui n’est rien d’autre qu’un échange de chaleur sans intervention de la partie compresseur d’une PAC. Le froid est donc gratuit ici ou presque, exception faite de la consommation électrique des auxiliaires. Sur certaines installations, on prévoira également la possibilité de basculer en « active cooling » (plus prosaïquement, de la climatisation classique) si le besoin se présente. Une perspective intéressante dans la technologie BTES s’appelle la géostructure. Cette technique consiste à intégrer les capteurs thermiques aux fondations du bâtiment et particulièrement dans le cas de bâtiments sur pieux. Un exemple d’une telle réalisation se trouve au Terminal E de l’aéroport de Zurich, où pas moins de 350 pieux géothermiques moulés de 30 m ont été réalisés. Comme toujours en construction, si le système énergétique est pensé et intégré au projet dès sa phase de conception, cela permet de réaliser d’importantes économies vu que dans ces cas précis, des pieux auraient de toute façon été nécessaires. Le surcoût de l’installation énergétique se Chiffres clés du projet : ‐ 80 puits de 80 à 100m de profondeur ; ‐ deux PAC de 100 kW, COP proche de 6 ; ‐ un échangeur pour l’ECS ; ‐ un échangeur pour l’eau de la piscine ; ‐ une chaudière gaz à condensation de 250 kW pour l’ECS ; ‐ un ventilo‐convecteur par chambre. Surcoût : 250.000 € par rapport à une technologie gaz ou mazout. Gain d’exploitation sur la climatisation désormais gratuite : 25.000 €/an. Temps de retour sur investissement : 10 ans. 6 www.hotelverviers.be 7 Underground Thermal Energy Storage : réseau de stockage thermique souterrain, quel que soit son type (ATES ou GTES). retrouve donc en quelque sorte intégré pour partie dans le coût des fondations, il fallait y penser ! En conclusion, la géothermie de faible profondeur de type GTES offre des perspectives alléchantes d’économies d’énergie pour l’exploitant d’un bâtiment tertiaire en Wallonie. Les investissements initiaux liés au forage des puits géothermiques sont néanmoins importants 100% des besoins annuels de chauffage peuvent être couverts par l’entremise d’une pompe à chaleur ; de 80 à 100% des besoins en froid peuvent être fournis par du refroidissement naturel en été, ce qui permet des temps de retour sur investissement de moins de 10 ans. Quoi qu’il en soit, il apparaît clairement que de tels systèmes requièrent des études techniques sérieuses en amont, tant au niveau du dimensionnement précis des capteurs géothermiques qu’au niveau de la conception du bâtiment et du choix des technologies des installations HVAC. Les obstacles au développement de ces technologies en Wallonie sont vraisemblablement une offre limitée, la disponibilité d’un terrain pour réaliser les sondages en nombre suffisant dans le cas de rénovations ainsi que le risque financier accru par des investissements plus conséquents dans ce type de projet. Et pourtant, avec un pétrole qui ne cesse de flamber, on peut légitimement se poser la question suivante : « le vrai risque n’est‐il pas de rester dépendants à des énergies polluantes et en raréfaction ? ». Plus que jamais, il est temps de faire preuve d’ambition et d’oser le changement de paradigme. L’hôtel Verviers en est un magnifique exemple !