mixed martial arts, une légitimation par la vidéo

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mixed martial arts, une légitimation par la vidéo
MIXED MARTIAL ARTS, UNE LÉGITIMATION PAR LA VIDÉO !
Médéric CHAPITAUX, Professeur de sport, en disponibilité
S’il est une pratique sportive que le profane qualifie d’extrême, c’est bien le Mixed Martial Arts ou
MMA. L’évocation de cette abréviation suscite immédiatement un débat passionné et, le plus
souvent, déraisonnable au sein de la société. Véritable phénomène de foire pour certains,
légitimation de la violence gratuite pour d’autres ou optimisation des performances des meilleurs
combattants de la planète pour les fans, les positions les plus diverses s’engagent pour défendre leur
vérité. Pourquoi et comment cette pratique sportive suscite-t-elle autant d’interrogations et de
passions dans la société tout en dépassant très largement le microcosme sportif ?
∴
I . MIXED MARTIAL ARTS, UN SPORT EXTRÊME À LA MODE
OU UNE MODÉLISATION D’UNE PRATIQUE EXTRÊME ?
Le poids sociétal du sport est souvent mesuré par l’enthousiasme qu’il suscite auprès du public,
c’est ce qui en fait sa force et sa reconnaissance. Du simple phénomène de mode, une pratique
sportive peut muer en sport si cette forme d’adoubement par le public se pérennise dans le temps.
Au cours de cette temporalité, les instances dirigeantes se chargent de modéliser cette pratique, de
l’encadrer et de la réglementer pour qu’elle devienne un sport.
Le MMA est actuellement dans sa phase de modélisation que l’on pourrait comparer avec
les différentes boxes pieds-poings (BPP) apparues sur notre territoire dans la fin des années 1970
comme le kickboxing et le muaythai. Ces pratiques très critiquées, et dont les détracteurs
expliquaient en leur temps qu’il s’agissait d’une violence extrême qui émanait de voyous, ont peu à
peu évolué par un travail de régulation pour être reconnues comme des sports au sens noble, défini
par des instances internationales. Ce long processus a pris 25 ans !
Comme le MMA, ces activités pugilistiques ont débuté leur développement sur le sportspectacle avec l’organisation de galas qui accueillaient du public et où les combattants étaient
directement opposés sur le mode ”professionnel”. Le succès rencontré auprès des foules a été à la
hauteur des blocages orchestrés par les instances en charge du sport sur le territoire, lesquelles ne
comprenaient pas cette pratique dite ’’commerciale” et ”extrême”.
Le MMA est né au États-Unis au début des années 1990, et la première compétition a été
organisée par l’Ultimate Fighting Championship (UFC) dans le Colorado en 1993. Jusqu’en 2001,
date de rachat de la marque UFC par l’entreprise Zuffa LLC, le MMA ne comporte aucune
catégorie de poids et des règles minimalistes issues du ”Pankration” en vigueur lors des Jeux
olympiques antiques, ce qui induit inévitablement les connotations d’inégalité dans les combats et
d’extrême violence qui collent encore aujourd’hui à l’image de ce sport.
Sport, le MMA l’est devenu en 2001 quand les nouveaux patrons de la marque encadrent la
pratique en introduisant des catégories de poids et des règles dans une logique de sécurisation et
d’attractivité télévisuelle. De plus, cette réglementation permet la reconnaissance de la discipline
sportive par la commission athlétique du Nevada (NSAC) et donc l’organisation d’événements aux
États-Unis diffusés dans le monde entier.
Cette modélisation réussie conduit à la reconnaissance du MMA comme un sport dans son
pays d’origine, mais qu’en est-il de son avènement en Europe ?
II . QUAND LES PÉRÉGRINATIONS DU MMA TOURNENT À
L’ABSURDITÉ ADMINISTRATIVE ET SPORTIVE EUROPÉENE
Le Vieux Continent a vu ”débarquer” le combat libre au milieu des années 1990 et le ministère en
charge des sports français s'est très rapidement penché sur la définition de cette pratique émergente
en tentant de modéliser la réflexion administrative, comme en témoigne le document de travail cidessous.
Tableau 1 : Classification des pratiques (ministère des Sports 1995)
La modélisation de la réflexion des fonctionnaires du ministère des Sports est relativement
pertinente sur les fondements techniques du combat libre. On peut d'ailleurs s'interroger sur
l'absence de décision administrative dans la continuité de ce travail de recherche, puisqu'au même
moment la reconnaissance institutionnelle des BPP est en ordre de marche. La solution aux
réflexions françaises va venir de l'Union européenne à la fin des années 1990.
La recommandation N°R99-11 du Comité des ministres aux États membres sur
l’interdiction des combats libres, comme la lutte en cage du 22 avril 1999, est le socle sur lequel
sont prises toutes les postures bloquantes du développement du MMA par celles et ceux qui ne
voient pas d’un bon œil sa légitimation sur le Vieux Continent, et plus particulièrement dans
l’hexagone.
Si les arguments avancés par ce Conseil européen étaient légitimes à la date de la
recommandation, il est surprenant que ce texte n’ait pas été amendé en fonction des évolutions
réglementaires opérées au début des années 2000. Ce qui, une fois n’est pas coutume en Europe, a
conduit à une différenciation de la pratique du MMA entre les différents États, pourtant signataires
de cette même recommandation.
En France, alors qu’il n’existe aucune loi visant à l’interdiction du MMA sur le territoire et
que les préfets reconnaissent les associations qui se créent pour en assurer la promotion et le
développement, le Conseil supérieur de l’Audiovisuel (CSA) interdit la diffusion des événements de
MMA au motif que les préfets n'autorisent pas la pratique et la compétition dans leur département,
sans fondement juridique au demeurant.
À l’heure de l’Internet et de la TNT, les fans visionnent sans aucune difficulté les
événements proposés par les chaines de télévision basées dans les pays d’Europe qui n’appliquent
plus, depuis bien longtemps, cette recommandation. L'extrême incohérence administrative française
est mise en exergue à travers le pragmatisme des flux transnationaux qui diffusent les vidéos de
combats de MMA.
L’interdiction de diffusion d’événements sur notre territoire par les chaînes françaises est
une utopie au regard des nombreux mensuels qui relatent les exploits sportifs de ces combattants
ultimes rassemblant toutes les couches de la société dans cette passion dérangeante.
Alors qu’en France, la création d’associations et d’entreprises proposant du MMA se
développe quotidiennement sans pour autant être interdite par les pouvoirs publics, on constate une
absence décisionnelle sur le plan administratif qui laisse dubitatifs de nombreux observateurs. Les
produits dérivés et, notamment, les jeux vidéos permettent de convertir les adolescents à cette forme
de combat du XXIe siècle tout en les éloignant du secteur de l’olympisme et des valeurs ainsi
véhiculées.
Pour autant, ce marketing offensif a le mérite de la transparence car la recherche du profit à
travers le ”show” est omniprésente dans les campagnes orchestrées autour du MMA. Le pouvoir
initié par l’image est un vecteur de réussite sportive et commerciale dont les dirigeants du MMA
maîtrisent parfaitement les rouages.
Par pragmatisme, on autorise la pratique du combat libre, les jeux vidéos dédiés, le
visionnage sur Internet, la lecture de la presse écrite, mais on en ”interdit” la diffusion sur nos
chaînes de télévision sans pour autant interdire la compétition de MMA. Une extrême ambiguïté
pour un sport extrême!
III . LE DÉVELOPPEMENT PAR L’IMAGE ET LA VIDÉO : LE
CHOIX GAGNANT DU MMA
Traditionnellement, la promotion et le développement d'un sport sont axés sur les valeurs de
l'olympisme et le puissant réseau qui le sert.
Un sport ”en développement”, qui s'appuie sur le réseau olympique et reconnu par celui-ci,
bénéficie de la puissance marketing et financière pour assurer sa promotion à travers le monde.
L'articulation savante des compétitions internationales sur les différents continents permet aux
nombreux sponsors de l'olympisme et des fédérations internationales d’orienter, par leur
financement, le développement des disciplines olympiques.
Mais lorsque la pratique sportive n'entre pas dans le prisme olympique, les dirigeants des
structures porteuses doivent faire des choix pour pérenniser le développement de la discipline. La
stratégie duale ”sport-business” se transforme en ”business-sport”, et les mécanismes de
développement sont basés prioritairement sur les concepts commerciaux. La promotion par l'image
devient le levier incontournable de la stratégie de développement.
Historiquement, on remarque que le sport-spectacle permet d'avoir une évaluation rapide de
l'intérêt porté par le public sur la discipline proposée. Les propriétaires de l'UFC ont donc effectué
le choix du sport-spectacle, et celui-ci s'est avéré payant.
Malgré l'instauration de réglementation technique en 2001, le MMA proposé par l'UFC est
en perte de vitesse au milieu des années 2000, et les pertes financières s’enchaînent, mais là encore
c'est la vidéo qui vient relever ce sport en difficulté. La société Zuffa, propriétaire de l'UFC,
s'associe à la chaîne SPIKE TV pour diffuser un programme de téléréalités The Ultimate Fighter et
le succès est colossal.
Le choix de diffuser ce programme en clair, sans pay-per-view, a permis de toucher le grand
public et de sortir le MMA des débats stériles dans lesquels le microcosme sportif l’enfermait. Cette
émission, qui avait vocation à suivre plusieurs athlètes candidats au combat à l’UFC, a suscité
l'intérêt de la population et l'identification au parcours du combattant dans sa quête de réussite. Une
alchimie gagnante pour l'UFC et ses dirigeants puisque les saisons de l'émission se sont enchaînées
et la démocratisation du MMA par l'image a conduit l'UFC à tutoyer les étoiles en pénétrant les
foyers américains.
Stigmatisé par les uns, encensé par les autres, le MMA, comme tous les sports de combat,
ne laisse pas indifférent. Le choix de la diffusion par l’image, par les retransmissions télévisuelles
des événements, le développement du pay-per-view, les vidéos et les jeux vidéos pour adolescents,
a permis à l’UFC de générer, via 200 événements organisés à travers le monde, plus de 450 millions
de dollars de recettes annuelles.
La stratégie de développement par l’image et l’événementiel s’est avérée judicieuse au
regard des indicateurs médiatiques, financiers et humains sur lesquels on peut baser une analyse.
Pour exemple, le prochain événement organisé par l’UFC se déroulera à Glasgow en Écosse le 18
juillet 2015. Les 15 000 places se sont arrachées en quelques heures, alors que le prix d’une place
varie entre 50 et 1 500 euros, ce qui démontre l’engouement populaire que suscite un tel événement.
À cela, il convient d’y ajouter le pay-per-view et les autres modes de retransmission (Internet) afin
de pouvoir mondialiser la pratique du MMA par l’image.
L’extrême popularité de ce sport planétaire est concomitante au poids de l’image dans notre
société. L'hyperconnectivité actuelle laisse présager un bel avenir au MMA dans son modèle
économique et sportif puisqu'il surfe sur les différents médias pour accroître sa popularité et son
essor à travers le monde. Sa vitesse de développement, telle une stratégie d'entreprise, est
confrontée à l'inertie des institutions démocratiques qui, par essence, aiment prendre le temps de la
réflexion. Deux mondes s'opposent, en essayant pourtant de se comprendre mutuellement, mais les
intérêts divergents ne peuvent s'accorder. Pourtant, dans cette époque mondialisée, le poids
économique véhiculé par le MMA peut s'avérer un atout indéniable dans les négociations avec les
États réticents. Ce modèle est-il transférable aux disciplines sportives dépendantes financièrement
des institutions comme c'est le cas de nombreuses fédérations en France ?
Le fait de marginaliser cette discipline par les institutions renforce sa capacité de
développement par les canaux incontrôlables que représentent Internet et les réseaux sociaux. Le
phénomène MMA est particulièrement intéressant à suivre dans sa maturation sociologique,
sportive et commerciale car il s’est structuré en marge des standards habituels, en particulier sur
notre territoire national.
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La vidéo et l'accès facilitateur d'internet ont permis au MMA de se développer en marge des
concepts éprouvés en matière de structuration sportive. Si de nombreux observateurs avaient parié
sur un phénomène de mode et donc un engouement éphémère, on constate aisément aujourd'hui que
le MMA s'inscrit dans le paysage sportif international sur la base d'un modèle innovant basé sur
l'image.
Le particularisme lié aux ”sports extrêmes” réside généralement dans la confidentialité de la
pratique, mais le phénomène ”MMA” démontre depuis une décennie, sa capacité d’intégration dans
un champ suffisamment large pour développer une économie sportive et financière. La
pérennisation est à ce prix.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
PELLAUD Anne (2009), Mixed Martial Arts. Au coeur de l’expérience Ultime, Université de
Lausanne, Faculté des sciences sociales et politiques.
TAYAR Jérémy (2014), Le Mixed Martial Arts a-t-il une place à se faire sur les antennes du
groupe Canal plus ? Paris, ESG Management School, MBA Management du sport.

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