La France en quête d`une coalition contre l`EI
Transcription
La France en quête d`une coalition contre l`EI
Mardi 24 novembre 2015 71e année No 22038 2,20 € France métropolitaine www.lemonde.fr ― Fondateur : Hubert BeuveMéry Directeur : Jérôme Fenoglio La France en quête d’une coalition contre l’EI ▶ Lundi, François Hollande et ▶ Marathon diplomatique. Cette ▶ Les EtatsUnis, comme les pays ▶ Le porteavions « Charles David Cameron se sont recueillis devant le Bataclan, avant une réu nion à l’Elysée. Le premier minis tre britannique espère convaincre Westminster d’intervenir en Syrie semaine, le président doit aussi rencontrer Obama, Merkel et Pou tine. Objectif : établir une straté gie avec des partenaires qui ne partagent pas les mêmes objectifs du Golfe, ne sont pas prêts, au nom de la lutte contre l’EI, à accepter le maintien au pouvoir de Bachar AlAssad, soutenu à bout de bras par la Russie et l’Iran de Gaulle », arrivé au large de la Syrie, est « opérationnel » depuis ce lundi, a déclaré le ministre de la défense, JeanYves Le Drian → LIR E PAGE S 2 À 4 MÉMORIAL DU 13 NOVEMBRE Bruxelles en état de siège Ils et elles sont les victimes des attentats du 13 novembre. « Le Monde » commence la publication de leurs portraits, afin de conserver la mémoire de ces vies fauchées. Que ces hommes et ces femmes puissent ainsi demeurer dans le souvenir collectif. UK price £ 1,90 → LIR E ▶ La capitale belge reste en alerte maximale face au risque terroriste ▶ Le métro, les écoles, les crèches et les universités sont fermés, les militaires et les policiers sont omniprésents ▶ Salah Abdeslam, le suspect en fuite des attentats de Paris, ne figure pas parmi les seize personnes arrêtées ce weekend PAGES 1 4 - 1 5 Nick Alexander, Stéphane Albertini, Jean-Jacques Amiot, Anne-Laure Arruebo, Thomas Ayad, Chloé Boissinot, Maxime Bouffard, Quentin Boulenger, Ludovic Boumbas, Elodie Breuil, Ciprian Calci, Claire Camax, Nicolas Catinat, Baptiste Chevreau, Nicolas Classeau, Precilia Correia, Cécile Coudon Peccadeau de L’isle, Marie-Aimée Dalloz, Aurélie de Peretti , Matthieu de Rorthais, Guillaume B. Decherf, Alban Denuit, Elsa Veronique Deplace San Martin, Nicolas Degenhardt, Vincent Detoc, Asta Diakité, Manuel Dias, Romain Didier, Lucie Dietrich, Elif Dogan, Fabrice Dubois, Romain Dunet, Thomas Duperron, Mathias Dymarski, Salah Emad El-Gebaly, Germain Ferey, Romain Feuillade, Grégory Fosse, Christophe Foultier, Antoine Mary, Julien Galisson, Suzon Garrigues, Mayeul Gaubert, Véronique Geoffroy de Bourgies, Michelle Gil Jaimes, Matthieu Giroud, Cédric Gomet, Nohemi Gonzalez, Juan Alberto Gonzalez Garrido, Pierre-Yves Guyomard, Anne Guyomard, Stéphane Hache, Thierry Hardouin, Olivier Hauducoeur, Frédéric Henninot, Pierre-Antoine Henry, Raphaël Hilz, Mathieu Hoche, Djamila Houd, Amine Ibnolmobarak, Pierre Innocenti, Nathalie Jardin, Marion Jouanneau, Milko Jozic, JeanJacques Kirchheim, Hyacinthe Koma, Marie Lausch, Guillaume Le Dramp, Renaud Le Guen, Gilles Leclerc, Christophe Lellouche, Cédric Mauduit, Charlotte Meaud, Emilie Meaud, Isabelle Merlin, Fanny Minot, Yannick Minvielle, Cécile Misse, Lamia Mondeguer, Marie Mosser, Justine Moulin, Natalia Moureva-Loren, Quentin Mourier, Victor Muñoz, Christophe Mutez, Hélène Muyal, Bertrand Navarret, Christopher Neuet-Shalter, Lola, David Perchirin, Manu Perez, Anna Pétard-Lieffrig, Marion PétardLieffrig, Franck Pitiot, Lacramioara Pop, Caroline Prenat, François-Xavier Prévost, Sébastien Proisy, Armelle Pumir Anticevic, Richard Rammant, Valentin Ribet, Estelle Rouat, Thibault Rousse Lacordaire, Raphaël Ruiz, Hodda Saadi, Halima Saadi, Madeleine Sadin, Kheireddine Sahbi, Lola Salines, Patricia San Martín Núñez, Hugo Sarrade, Maud Serrault, Sven Alejandro Silva Perugini, Valeria Solesin, Fabian Stech, Claire Tapprest, Ariane Theiller, Eric Thomé, Olivier Vernadal, Stella Verry, Luis Felipe Zschoche Valle (Certains noms ont été enlevés à la demande des familles) → LIR E PAGE S 5 E T 6 Devant la gare de Bruxelles-Central, dimanche 22 novembre. EMMANUEL DUNAND/AFP ÉTAT D’URGENCE POURQUOI LA NOUVELLE LOI FAIT SI PEU DÉBAT → LIR E PAGE S 8 - 9 PORTRAIT LA BELGIQUE, UNE NATION SANS ÉTAT ? → LI R E P A G E 27 BRAHIM ET SALAH ABDESLAM, FRÈRES DE SANG → LIR E PAGE S 1 2 - 1 3 LE REGARD DE PLANTU Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 2,20 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF, Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,20 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 10,50 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA 2 | les attaques terroristes à paris 0123 MARDI 24 NOVEMBRE 2015 Hollande en quête d’une grande coalition Le président de la République va multiplier les rencontres diplomatiques au sommet cette semaine washington - correspondant D ix jours après les attentats de Paris, le président François Hollande se lance dans une mobilisation tous azimuts pour tenter de renforcer la riposte internationale contre l’Etat islamique (EI). Cette offensive diplomatique, qui coïncide avec l’arrivée du porte-avions Charles-deGaulle et ses 26 avions de chasse au large de la Syrie, a débuté, lundi 23 novembre, dans la matinée, par l’accueil à l’Elysée du premier ministre britannique, David Cameron, favorable à une extension des frappes aériennes en Syrie mais qui doit surmonter les réticences du Parlement de Westminster. Il sera suivi, quelques heures plus tard, par le président du Conseil européen, Donald Tusk, afin d’examiner « comment les pays européens peuvent contribuer, chacun à leur façon, à la lutte contre la menace terroriste », dit-on dans l’entourage du chef de l’Etat. François Hollande est ensuite attendu, mardi, à Washington, pour une rencontre avec le président Barack Obama. De retour à Paris, mercredi, il recevra à dîner la chancelière allemande, Angela Merkel, avant de se rendre, jeudi, à Moscou pour s’entretenir avec le président Vladimir Poutine. Le lendemain, il doit participer au sommet des pays du Commonwealth, à Malte, et il achèvera ce marathon en recevant, dimanche, à Paris, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, ainsi que le nouveau premier ministre canadien, Justin Trudeau, et le président chinois, Xi Jinping, à la veille de l’ouverture de la COP21. Cette semaine hors norme vise, dit-on à l’Elysée, à « activer et à renforcer tous les leviers – diplomatiques, militaires et politiques – dans la lutte contre l’EI ». Cette accélération des consultations intervient dans la foulée de l’adoption, le 20 novembre, d’une résolution présentée par la France au Conseil de sécurité des Nations unies qui permet de « prendre toutes les mesures nécessaires » pour combattre l’organisation djihadiste. C’était un préalable indispensable à une mobilisation in- Un rapprochement avec Moscou a d’ores et déjà été esquissé par le chef de l’Etat lors de son discours devant le Congrès ternationale, même si le texte n’autorise pas explicitement le recours à la force et évite de se prononcer sur le sort du président syrien, Bachar Al-Assad. « Coalition unique » La difficulté pour François Hollande consiste désormais à établir une stratégie commune avec des partenaires qui sont loin de partager les mêmes objectifs. Même si la France est le seul pays européen à mener des frappes aériennes en Syrie et en Irak, elle ne peut pas agir seule contre l’EI et dépend, de facto, d’un renforcement des actions conduites par les Etats-Unis et la Russie, qui poursuivent des visées opposées en Syrie, notamment concernant le sort de Bachar Al-Assad. Un rapprochement avec Moscou a d’ores et déjà été esquissé par le président Hollande, qui a infléchi la position française sur la Syrie, lors de son discours devant le Congrès, réuni à Versailles, le 16 novembre, en appelant à une « coalition unique » contre l’EI car, a-t-il souligné, la « priorité, c’est la lutte contre Daech ». Autrement dit, l’éviction de Bachar Al-Assad, soutenu envers et contre tout par la Russie et l’Iran, n’est plus considérée comme un préalable incontournable. Longtemps, Paris a considéré que son éviction était le seul moyen de mobiliser la rébellion sunnite syrienne contre l’EI. Pour préparer la visite du président Hollande en Russie, le coordinateur du renseignement français, Didier Le Bret, a fait un déplacement remarqué, vendredi, à Moscou pour y rencontrer le chef du conseil de sécurité russe, Nikolaï Patrouchev. A ce stade, l’Elysée demeure évasif sur les demandes qui seront formulées par M. Hollande, évoquant une discussion sur « la coordination des efforts ». Toutefois, celle-ci s’annonce délicate car même si la Russie a récemment intensifié ses frappes contre les fiefs de l’EI en Syrie, notamment à Rakka, elle continue surtout à viser les autres forces de l’opposition, dont certaines sont soutenues par les pays occidentaux. Au-delà de la stratégie militaire, ce sont surtout les contours poli- Aux Etats-Unis, la partie s’annonce délicate pour M. Hollande tiques d’une éventuelle « coalition unique » qui posent problème. Même si la France accepte de placer au second plan la question de Bachar Al-Assad pour renforcer sa coopération avec la Russie, il paraît peu probable que cette option soit acceptée par les M. Le Drian: «L’objectif, c’est d’anéantir l’Etat islamique globalement » Pour le ministre de la défense, « la reconstitution d’une solution politique en Irak et en Syrie passe par l’éradication » de l’EI ENTRETIEN L e ministre de la défense était l’invité du « Grand Rendez-vous Europe 1 i-Télé - Le Monde », dimanche 22 novembre. La guerre générale contre le terrorisme est-elle la troisième guerre mondiale ? Il faut garder le sens des proportions, et remettre un peu tout cela en perspective. C’est la première fois que nous sommes confrontés à un ennemi hybride, à deux têtes, parce que l’Etat islamique (EI), c’est un ennemi à deux têtes. Il y a d’une part cet Etat en constitution, Etat terroriste, Etat apocalyptique, Etat un peu messianique qui veut reconstituer le territoire du califat et qui s’organise avec une armée, avec des ressources propres, avec une administration qui perçoit l’impôt, et qui veut étendre son territoire. Et, de l’autre côté, ce mouvement terroriste international, émanation aussi de l’EI et qui a pour objectif de frapper en particulier le monde occidental, de mettre en péril les démocraties. Ce sont deux dimensions d’un même Etat terroriste, et donc deux guerres différentes dans une seule guerre. Il y a la guerre de l’ombre : traquer les terroristes qui essaient de frapper la démocratie comme on a pu le vivre de manière tragique les jours derniers et, souvent lorsque ces terroristes apparaissent, c’est déjà presque trop tard. Et il faut en même temps frapper au cœur, dans le champ de bataille, au Levant, pour tuer, anéantir l’Etat islamique. C’est une guerre hybride mondiale. « C’est la première fois que nous sommes confrontés à un ennemi hybride, à deux têtes » Le « Charles-de-Gaulle » arrive au large de la Syrie. Quand ses Rafale vont-ils bombarder ? Le groupe aéronaval, c’est à la fois le porte-avions et plusieurs bâtiments d’accompagnement, sera opérationnel dès lundi, et il sera en mesure, avec les avions de chasse qui sont à bord, d’agir à partir de demain. L’affaiblir ou l’anéantir ? Ce n’est pas l’affaiblir, c’est l’anéantir. Il faut aboutir à la reconstitution d’une solution politique en Irak et en Syrie, ça passe par l’éradication de l’Etat islamique. Tout le monde a besoin de tout le monde. Donc il faut trouver les formes de coordination, c’est ce qui va être le sujet de la semaine, avec des déplacements du président à Washington et à Moscou. Le but est-il de neutraliser, d’assassiner Al-Baghdadi, le chef de l’EI, comme on a tué Ben Laden ? Non, l’objectif c’est d’anéantir l’Etat islamique globalement. Que les Américains font-ils de nouveau ? La nouveauté par rapport aux Etats-Unis, c’est qu’il y a eu une accélération de la transparence dans le renseignement militaire, qui fait qu’aujourd’hui on peut considérer que l’action commune est extrêmement performante. J’ai reçu lundi 16 novembre le coordinateur du renseignement américain, nous nous sommes mis d’accord sur la bonne manière d’agir et aujourd’hui il y a une vraie efficacité. Cela veut dire que, pendant longtemps, ils ont joué les cachottiers ? On n’avait pas toutes les informations ? Chacun avait son autonomie. Le renseignement, c’est aussi un outil de souveraineté. Mais là, dans la situation dramatique et exceptionnelle dans laquelle nous sommes, nous sommes à livre ouvert sur l’Irak et la Syrie. Les Russes servent-ils d’intermédiaires pour savoir ce qu’il se passe ? La position des Russes a bougé. A mon avis, pour trois raisons. La première, c’est qu’ils ont été victimes de l’action de Daech [acronyme arabe de l’EI], parce que l’attentat de l’avion russe est mainte- nant très clairement identifié d’origine de l’EI, plus de 200 morts, plus de morts qu’à Paris, mais on ne fait pas une comptabilité macabre des victimes d’attentat. Deuxième point, les Russes s’aperçoivent que dans les combattants étrangers, il y a beaucoup de russophones, dont les objectifs sont vraisemblablement d’agir en Russie. Et, troisièmement, ils voulaient préserver leurs propres intérêts grâce à leur proximité avec Bachar Al-Assad, mais ils se sont rendu compte que l’armée syrienne de Bachar Al-Assad était devenue très faible. Désormais la Russie frappe les zones de Daech de manière très significative. Jusqu’où va-t-elle ? Il faudra le vérifier avec M. Poutine. qu’il y ait au sol des acteurs qui reconquièrent les territoires perdus, oui. Il faudra aller jusqu’à l’envoi de troupes au sol. Par exemple, celles de pays arabes ? Une victoire, une destruction de Daech passera, à un moment donné, par une présence au sol. Etes-vous encore candidat aux élections régionales en Bretagne ? Je suis totalement concentré sur la mission que m’ont confiée le président de la République et le premier ministre, sur la défense de notre pays. Mais je suis candidat à la présidence de la région Bretagne. C’est d’abord une obligation juridique, mes listes sont déposées, mais c’est aussi une obligation morale, je me suis engagé à l’égard des Bretonnes et des Bretons, donc je tiendrai mon rôle. Si je suis élu, je serai président de la région Bretagne. Mais je ne ferai pas campagne, mes colistiers le font. Pour que les choses soient claires : je resterai ministre de la défense tant que le président de la République considérera que c’est nécessaire. p Vous excluez celle des Français ? Cette hypothèse n’est pas envisagée aujourd’hui. En revanche, propos recueillis par michaël darmon, jean-pierre elkabbach et arnaud leparmentier les attaques terroristes à paris | 3 0123 MARDI 24 NOVEMBRE 2015 David Cameron veut que le Royaume-Uni participe aux frappes en Syrie avant Noël A Paris, le premier ministre britannique affiche sa solidarité avec le président français londres - correspondant D avid Cameron et François Hollande n’ont guère d’atomes crochus, mais l’« entente cordiale » est de rigueur depuis les attentats de Paris qui ont profondément ému les Britanniques et déclenché un étonnant déferlement de francophilie. En visite à Paris, le premier ministre britannique se recueilli avec le président français devant le Bataclan, lundi 23 novembre. L’entretien qui a suivi à l’Elysée marque une étape importante dans la stratégie de M. Hollande de coordonner la lutte contre l’organisation Etat islamique (EI) et dans la volonté de David Cameron de convaincre l’opinion et les députés britanniques de la nécessité d’étendre à la Syrie des frappes contre l’EI jusqu’à présent limitées à l’Irak. Echaudé par la cinglante rebuffade du Parlement en août 2013, le premier ministre répète qu’il ne solliciterait un nouveau vote à Westminster que s’il avait la certitude d’obtenir une majorité. Début novembre, l’avis négatif de la commission des affaires étrangères des Communes s’ajoutant à l’élection du pacifiste Jeremy Corbyn à la tête du Labour avait semblé sceller le renoncement de M. Cameron. Les attentats parisiens du 13 novembre ont diamétralement changé la donne. Le premier ministre fait assaut de solidarité avec la France et pousse les feux pour que les Tornado de la Royal Air Force participent avant Noël François Hollande et David Cameron au palais de l’Elysée, à Paris, lundi 23 novembre. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE FRENCH-POLITICS POUR « LE MONDE » pays du Golfe, principaux bailleurs de fonds des groupes rebelles en Syrie. Sans une indica tion claire sur le départ pro grammé du dictateur syrien, les monarchies sunnites du Golfe, ainsi que la Turquie, ont peu de chances de se rallier à la grande alliance prônée par la France. « Nous les éliminerons » Aux Etats-Unis, la partie s’annonce également délicate pour François Hollande. Vivement critiqué pour l’absence de résultats de la stratégie mise en place depuis septembre 2014, M. Obama a souhaité se montrer plus offensif lors de la dernière étape d’une tournée en Asie. « Détruire [l’EI] n’est pas seulement un objectif réaliste, c’est une tâche que nous allons mener au bout, a-t-il déclaré à Kuala Lumpur, en Malaisie. Nous reprendrons les terres où ils sont, nous supprimerons leurs financements, nous traquerons leurs dirigeants, nous démantèlerons leurs réseaux, leurs lignes de ravitaillement, et nous les éliminerons. » Mais les Etats-Unis ne sont pas prêts à toutes les concessions, ni à une grande coalition avec la Russie et surtout avec son allié iranien. Notant qu’ils ont déjà fédéré derrière eux plus de cinquante pays alors que la Russie reste pour l’instant isolée, M. Obama a réaffirmé que le sort du président syrien et la stabilisation de la Syrie ne pouvaient être considérés comme un objectif de second plan par rapport à la lutte contre l’EI. « Même si je me montrais assez cynique pour dire que ma priorité est [l’Etat islamique] et non l’éviction d’Assad en dépit de ce qu’il a fait à son peuple, les Etats-Unis ne seraient pas en mesure d’empêcher ceux qui sont opposés à Assad de se battre », a expliqué Barack Obama. « C’est une question pratique, pas seulement un problème de conscience, et je crois qu’un grand nombre de membres de cette coalition, y compris le président Hollande, sont d’accord avec moi sur ce point », a-t-il conclu, limitant sérieusement la marge de manœuvre de François Hollande. p gilles paris et yves-michel riols (à paris) Laurent Fabius : « Ce sont des monstres, mais ils sont 30 000 » Les membres de l’organisation djihadiste Etat islamique (EI), qui a revendiqué les attentats de Paris du 13 novembre, « sont des monstres, mais ils sont 30 000 », a déclaré dimanche 22 novembre le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius. « Il faut lutter implacablement contre Daech [acronyme arabe de l’EI] », a-t-il dit dans un entretien à l’AFP, estimant « inconcevable qu’un front de nations incluant la France, les Etats-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Russie, la Turquie et d’autres pays ne parvienne pas à les neutraliser ». « Mais parallèlement, a souligné M. Fabius, il faut aussi trouver une solution politique à cette guerre [en Syrie] qui a fait 300 000 morts, des millions de réfugiés, et qui a des conséquences dans toute la région et, on le voit, dans le monde entier. » Le plan en vue d’une transition politique en Syrie, adopté à Vienne le 14 novembre, représente « une première lueur » d’espoir. LES DATES LUNDI 23 NOVEMBRE Rencontre à Paris avec le premier ministre britannique, David Cameron, et avec Donald Tusk, le président du Conseil européen. MARDI Rencontre à Washington avec le président américain, Barack Obama. MERCREDI Rencontre à Paris avec la chancelière allemande, Angela Merkel. JEUDI Rencontre à Moscou avec le président russe, Vladimir Poutine. VENDREDI Participation à Malte au sommet des pays du Commonwealth. DIMANCHE François Hollande reçoit à Paris le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, le nouveau premier ministre canadien, Justin Trudeau, ainsi que le président chinois, Xi Jinping, pour l a COP21. Le Royaume-Uni doit se comporter « comme Churchill et non comme Chamberlain », selon M. Cameron aux frappes contre l’EI en Syrie. Le Royaume-Uni doit se comporter « comme Churchill, et non comme Chamberlain », tel est le message que M. Cameron entend désormais faire passer. « Nous ne pouvons laisser à d’autres la charge et les risques de protéger notre pays », écrit-il, lundi, dans le Telegraph. Dès jeudi 26 novembre, il s’adressera aux Communes en réplique à la commission des affaires étrangères. M. Cameron mettra en avant à la fois la précision des armes britanniques et la nécessité pour Londres de se tenir aux côtés de Paris et de Washington pour être pris au sérieux. « La Grande-Bretagne n’a jamais été un pays qui reste sur la touche », a appuyé George Osborne, dimanche à la BBC. Le numéro deux du gouvernement a mis en garde les députés : un vote négatif serait « un coup de publicité » pour l’EI et adresserait « un terrible message sur le rôle de la Grande-Bretagne dans le monde ». Vendredi 20 novembre, une semaine après les attentats, David Cameron avait été prompt à se féliciter du vote de l’ONU, à l’initiative de la France, en faveur d’une résolution autorisant « toutes les mesures nécessaires » pour lutter contre l’EI. Ce vote, auquel s’est jointe la Russie, « montre incontestablement l’ampleur du soutien international pour faire davantage en Syrie », avait-il commenté. Diviser l’opposition M. Cameron, outre la volonté de « tenir son rang » et de répondre à l’angoisse générée par la tuerie parisienne, devait annoncer lundi l’augmentation des dépenses militaires de 12 milliards de livres (16,5 milliards d’euros). Le Royaume-Uni sera « la seule grande puissance à dépenser 2 % de son PIB pour la défense », se targue-t-il dans le Telegraph. L’annonce de l’envoi par la France du porte-avions Charles-de-Gaulle a souligné le fait que le Royaume-Uni ne possède plus, pour le moment, un tel vaisseau. Les événements parisiens nourrissent aussi une polémique sur la réduction des effectifs de police induite par la politique d’austérité. Mais l’affaire syrienne est aussi une occasion pour M. Cameron de diviser l’opposition et d’ébranler un peu plus son leader, Jeremy Corbyn, qu’il compare à Chamberlain, le premier ministre qui a plié devant Hitler. Une vingtaine de députés conservateurs sont réputés hostiles à des frappes en Syrie et le premier ministre a besoin du renfort d’au moins autant d’élus tra- vaillistes. Or, au sein de ces derniers, la rébellion fait rage contre les positions de Jeremy Corbyn, au point que le vote sur la Syrie menace son autorité. Longtemps président de la plate-forme Stop the War, M. Corbyn a mis en garde samedi contre une « intervention extérieure » en Syrie. « L’expérience de l’Afghanistan, de l’Irak et de la Libye a convaincu beaucoup de nos concitoyens que l’enthousiasme de l’élite pour des interventions militaires sans fin n’a fait que multiplier les menaces contre nous, tout en semant la mort et la déstabilisation », a-t-il déclaré, faisant allusion au traumatisme causé par les mensonges de Tony Blair pour justifier l’intervention en Irak en 2003. Les maladresses de M. Corbyn, qui a notamment critiqué le poids médiatique accordé aux attentats de Paris par rapport à ceux de Beyrouth, ont semé le trouble dans son propre entourage. Lui qui a voté 500 fois contre les positions de son parti depuis 1997 répète que la discipline du parti doit jouer lors du vote sur la Syrie. Dimanche, sous la pression des députés partisans d’une intervention, son plus fidèle allié, John McDonnell, a tourné casaque et s’est prononcé pour la liberté de vote. Ce repositionnement ne peut qu’encourager M. Cameron à solliciter un vote avant la suspension de la session parlementaire, le 17 décembre. Dans les heures suivantes, les Tornado pourraient décoller vers la Syrie. p philippe bernard 4 | les attaques terroristes à paris 0123 MARDI 24 NOVEMBRE 2015 L’envoi de troupes au sol contre l’EI divise les Américains Le terrorisme est devenu la première préoccupation de l’opinion bable » ou « très probable » une attaque causant un « nombre élevé de morts » sur le sol américain. C’est dix points de plus que dans une étude comparable effectuée avant les attentats, à la fin du mois d’octobre. Cette vision sombre de l’avenir a produit au cours des derniers mois une conséquence assez inattendue : la fin de la « fatigue » des Américains par rapport aux guerres engagées depuis 2001, en Afghanistan puis en Irak. Les études précédentes d’ABC et du Washington Post font apparaître assez nettement le point de bascule de l’opinion : il coïncide avec l’été 2014, marqué notamment par les exécutions sanguinaires d’otages américains par l’organisation Etat islamique (EI). En juin 2014, une majorité relative est hostile à des frappes aériennes américaines (46 % contre 45 %) contre « l’insurrection sunnite en Irak ». Deux mois plus tard, avec les premiers bombardements américains consécutifs à une poussée djihadiste en Irak, les avis s’inversent (39 % contre 53 %). En septembre, après les assassinats de James Foley et de Steven Sotloff, le renversement est complet : 71 % des personnes interrogées soutiennent les frappes contre seulement 23 % qui sont d’un avis contraire. washington - correspondant A u terme d’une tournée diplomatique en Asie, dimanche 22 novem bre, Barack Obama a lancé un appel aux Américains. « L’outil le plus puissant dont nous disposons pour combattre est de dire que nous n’avons pas peur », a lancé le président des EtatsUnis. A juste titre, car la menace terro riste constitue désormais le deuxième sujet de préoccupation de l’opinion publique. Le constat avait été dressé par une étude du Public Religion Research Institute, effectuée avant les attentats de Paris et présentée le 16 novembre au think tank la Brookings Institution. Elle montrait que le terrorisme devançait les préoccupations liées à l’emploi, au crime et aux inégalités sociales. Il a été confirmé par un sondage réalisé pour la chaîne de télévision ABC et pour le quotidien Washington Post et rendu public dimanche. Dans ce sondage, effectué après les attentats du 13 novembre à Paris, la crainte d’attaques terroristes devance la question de l’immigration ou celle de la sécurité sociale pourtant largement débattues ces derniers mois. Ce sentiment se double de pessimisme : 83 % des personnes interrogées jugent « pro- R USSI E 14 combattants « liés à l’EI » tués dans le Caucase Les autorités russes ont annoncé avoir tué 14 membres d’un « gang armé » qu’elles assurent lié à l’organisation djihadiste Etat islamique, lors de deux opérations des forces de l’ordre en KabardinoBalkarie, dans l’instable Caucase russe. Barack Obama, à Kuala Lumpur, le 22 novembre. JONATHAN ERNST/REUTERS Les mois qui suivent voient s’opérer une autre évolution marquante de l’opinion américaine. En octobre 2014, selon le Pew Research Center, une nette majorité (53 %, contre 39 % d’un avis opposé) refuse l’envoi de « troupes au sol ». Six mois plus tard, en février, les Américains apparaissent désormais divisés : 49 % y sont toujours opposés contre 47 % qui soutiennent cette hypothèse pourtant exclue par le président Barack Obama. L’étude d’ABC et du Washington Post montre que le mouvement de bascule est désormais effectué puisque 60 % des personnes interrogées soutiennent désormais une « augmentation » des troupes américaines « au sol », alors que 37 % y restent opposés. Pour l’instant, les 3 500 soldats américains déployés en Irak ont pour mission de protéger les installations diplomatiques américaines et de former l’armée irakienne. La seule réserve, dans la même étude, renvoie au rôle des Etats-Unis dans ce qui est considéré comme une « guerre » contre « l’islam radical » : 69 % conçoivent un rôle de soutien, et seulement 31 % celui de conduire l’offensive. Réintroduire le « waterboarding » M. Obama peut cependant camper sur son opposition à l’envoi de troupes au sol, à l’exception de forces spéciales pour lesquelles on ne dispose pas d’effectifs connus (sauf pour le petit groupe d’une cinquantaine d’hommes déployés pour des tâches d’encadrement dans la partie nord-est de la Syrie qui échappe à la fois au contrôle du régime syrien et de l’EI). Le soutien aux troupes au sol fait l’objet d’un net clivage entre démocrates et républicains. Ces derniers y sont en effet très majoritairement favorables (57 % en octobre, 67 % en février), alors que 60 % des personnes interrogées soutiennent une « augmentation » des troupes « au sol » les démocrates y restent opposés, même si l’opposition venue de leurs rangs diminue dans l’étude du Pew Research Center. Les trois candidats à l’investiture démocrate pour la présidentielle de 2016 défendent cette même ligne. Les candidats républicains, en dépit de ces résultats, restent majoritairement silencieux sur ce sujet, tout en demandant une intensification de l’effort de guerre américain contre les djihadistes. Enfin, la primauté accordée à la traque aux Etats-Unis contre les éventuelles menaces terroristes (73 %) sur le respect de la vie privée (25 %) retrouve les sommets depuis 2010 et une tentative d’attentat dans un avion de ligne le 25 décembre 2009, selon les résultats de l’enquête ABC-Washington Post. Le candidat républicain Donald Trump, qui a été le premier à s’opposer à l’arrivée de réfugiés syriens aux Etats-Unis pour des raisons de sécurité, contrairement aux vœux de M. Obama, n’a pas manqué de tirer profit de cet état d’esprit américain d’anxiété. Le 22 novembre, s’exprimant sur la chaîne de télévision ABC, il a ainsi proposé de réintroduire le simulacre de noyade (« waterboarding ») dans les techniques d’interrogatoire américaines. « Une broutille, a-t-il argué, comparé à ce que les djihadistes font subir à leurs otages. » p gilles paris Matteo Renzi en chef de file rassurant d’une Italie qui « rejette la guerre » Le premier ministre reste prudent mais rehausse le niveau d’alerte et renforce les contrôles Fauteuils & Canapés Club Haut de Gamme vembre o n 7 1 u a Du 1 ème 2 e l r u s er - 50 % L’indémodable fauteuil CLUB , plus de 80 ans et toujours plus de succès ! Cuir mouton ciré, patiné, vieilli, suspension et ressorts. Plus de 30 modèles en exposition. 80, rue Claude-Bernard - 75005 PARIS Tél. : 01.45.35.08.69 www.decoractuel.com rome - correspondant L e contraste est saisissant. La semaine dernière, alors que Manuel Valls, à Paris, avertissait les Français d’un risque d’attaques chimiques ou bactériologiques, à Rome, Matteo Renzi faisait la morale, par le biais des réseaux sociaux, à certains de ses compatriotes qui trouvent amusant de lancer de fausses alertes terroristes. « Nous ne nous laisserons pas déborder par la peur et l’hystérie », a averti le président du conseil italien. Excès de dramatisation d’un côté des Alpes ? Volonté de rassurer à tout prix de l’autre ? Il est vrai que même si M. Renzi reconnaît que « le risque zéro n’existe pas », ses propos, depuis le 13 novembre, sont empreints d’une modération inhabituelle. Aussi, tout en rehaussant le niveau d’alerte dans la Péninsule et en renforçant les contrôles aux frontières et dans les aéroports, M. Renzi se refuse-t-il d’employer le mot de « guerre » contre l’organisation Etat islamique (EI). De la même façon, son ministre des affaires étrangères ramène la demande d’aide exprimée par Paris à l’Union européenne à un « soutien politique ». « L’Italie rejette la guerre », prévoit expressément la Constitution dans son article 11. Au nom de ce principe, les Italiens sont majoritairement opposés à toute forme de conflit. Un sondage réalisé quelques jours après les attentats de Paris par l’institut Demos révèle que seuls 10 % d’entre eux sont favorables à une intervention militaire contre l’EI en Syrie. Un pourcentage qui monte à 30 % s’agissant d’une participation à une coalition. Les pacifistes représentent 60 % des sympathisants du Parti démocrate (centre gauche) et 81 % du Mouvement cinq étoiles, son principal adversaire. « Pas de Libye bis » Toutefois, l’article 11 n’a pas toujours été suivi à la lettre. En 2003, le gouvernement dirigé par Silvio Berlusconi a engagé résolument l’Italie dans la coalition qui combattait en Irak aux côtés des Américains, provoquant de nombreuses manifestations d’hostilité. En 2011, le même Berlusconi, bien qu’opposé à une intervention en Libye – une ancienne colonie avec laquelle Rome avait renoué des liens économiques en exprimant ses excuses et sa contrition –, n’a pu s’opposer à ce que la base aérienne de Sigonella, en Sicile, soit mise au service de l’aviation française et britannique. Plus près de nous, Rome prend en charge l’entraînement de 7 000 combattants kurdes en Irak. Matteo Renzi considère, à l’instar de nombreux responsables italiens, que les opérations militaires en Libye ont provoqué le Selon un sondage, seuls 10 % des Italiens sont favorables à une intervention militaire contre l’EI en Syrie chaos dont se nourrit l’EI : « Nous ne voulons pas d’une Libye bis », at-il redit en plusieurs occasions depuis une semaine, mettant en avant la nécessité de définir un « projet » et des « objectifs » avant d’envisager une participation de l’Italie à des actions concrètes. De plus, ayant retrouvé une part de sa crédibilité politique, économique et diplomatique après le désastre des années Berlusconi, Rome espère peser dans la recherche de solutions en faisant valoir, le moment venu, sa triple fidélité aux Etats-Unis, à la Russie et à l’Europe. C’est ce que M. Renzi appelle le « soft power » de la Péninsule. Mais une autre raison, beaucoup plus terre à terre, explique la prudence du président du conseil. Les attentats du 13 novembre constituent bel et bien une alerte pour l’Italie, qui s’apprête à abriter, à Rome, à partir du 8 décembre, le Jubilée de la miséricorde. Cet événement – que le Vatican n’a pas songé une seconde à déplacer – devrait attirer d’ici au 26 novembre 2016 des millions de pèlerins dans la Ville éternelle. Afin de garantir leur sécurité, 3 000 policiers supplémentaires vont être déployés dans la capitale, dont le survol sera interdit. Profitant de l’annonce du pacte de sécurité par François Hollande et des bonnes dispositions de Bruxelles, M. Renzi devrait annoncer de nouvelles créations de postes dans la police et l’armée, quitte à creuser le déficit. « Les événements de Paris ont rapproché la menace, explique un diplomate. L’Italie est maintenant en première ligne. » M. Renzi le sait, mais cherche à rassurer d’abord ses compatriotes, quitte à minimiser le risque. Rome, « capitale des croisés », a été plusieurs fois désignée comme une cible par l’EI. La semaine dernière, à la fureur de M. Renzi, le FBI a mis en garde contre des risques d’attentats dans la capitale et à Milan. Sans le dire, le président du conseil redoute qu’une tension accrue sur l’Italie ruine les plans qu’il a construits pour la Péninsule – succès populaire du Jubilée, reprise économique, éventuelle désignation de Rome comme hôte des Jeux olympiques de 2024 – et vienne compliquer ses espoirs de réélection en 2018. p philippe ridet les attaques terroristes à paris | 5 0123 MARDI 24 NOVEMBRE 2015 Bruxelles en état d’alerte face aux risques d’attentat Le suspect des attaques de Paris Salah Abdeslam échappe à la traque organisée par les autorités belges bruxelles - correspondant D es attaques coordon nées, similaires à celles qui ont endeuillé Paris le 13 novembre : c’est ce que craignent les autorités belges. Et ce qui a motivé une très vaste opération de police, dimanche 22 novembre, ainsi que des mesures exceptionnelles dans la région de Bruxelles-Capitale depuis samedi : fermeture du métro, de centres commerciaux, de nombreux magasins, de cinémas, de salles de spectacle, de musées, etc. Des militaires en treillis et des policiers étaient présents à tous les endroits-clés de la capitale, des blindés de l’armée étaient positionnés sur la Grand-Place, devant la Bourse ou aux abords des institutions européennes. Les rues étaient désertes, les cafés et restaurants à peu près vides, n’accueillant souvent que quelques touristes un peu désemparés. Entrées en vigueur samedi, ces mesures devaient être prolongées lundi, a indiqué le premier ministre Charles Michel au cours d’une brève conférence de presse tenue dimanche soir, à l’issue d’une réunion du Conseil national de sécurité, qui rassemblait les représentants des différents services de sécurité, en présence des présidents des régions. M. Michel annonçait que toutes les écoles, crèches et universités seraient également fermées lundi, avant une nouvelle évaluation de la menace pesant sur la ville-région. Depuis samedi matin, le niveau de celle-ci est au maximum (4 sur une échelle de 4). Plusieurs entreprises ont invité leur personnel à ne pas se présenter à leur travail, lundi. Peu de temps après l’annonce du premier ministre, une vaste opération, impliquant des centaines de Le ministre de l’intérieur veut faire contrôler chaque adresse, maison par maison, de Molenbeek policiers, membres des forces spéciales et militaires étaient lancées dans six municipalités bruxelloises – dont Molenbeek – et à Charleroi. Vingt-deux perquisitions au total ont été menées. Elles ont permis l’arrestation de 16 personnes dont l’identité n’a pas été révélée par le parquet fédéral. Les magistrats ont toutefois précisé que Salah Abdeslam, le suspect en fuite des attentats de Paris, ne figurait pas parmi les personnes arrêtées. Une information, non confirmée par le parquet fédéral, a évoqué la présence d’Abdeslam à Liège où, poursuivi par la police, il aurait fui en voiture vers l’Allemagne. Aucune arme et aucun explosif n’auraient été saisis, ce qui laisse entendre que la menace sur Bruxelles n’est pas écartée. Tout au long du week-end, diverses informations évoquaient la traque de deux à dix suspects, porteurs d’armes et, peut-être, d’explosifs. L’avocate d’Hamza Attou, arrêté après qu’il a ramené Salah Abdeslam de Paris, dans la nuit du 13 au 14 novembre, a évoqué la possibilité que le terroriste soit porteur d’une ceinture d’explosifs. Selon d’autres sources, le jeune homme en cavale aurait tenté de joindre des amis pour leur expliquer qu’il était à Bruxelles et craignait des représailles de l’organisation Etat islamique (EI) pour ne Les Belges inondent Twitter de chats Dimanche 22 novembre, quand les autorités belges ont demandé à la population de ne pas parler sur les réseaux sociaux du coup de filet en cours dans le pays, pour ne pas donner d’indications aux suspects, les Belges se sont exécutés, mais à leur manière. Ils ont inondé le mot-clé #BrusselsLockdown de photos et de minividéos de chats. Parmi les plus drôles, des partages de dessins du dessinateur belge Geluck (« le kamikaze belge étonnant de lucidité : je vais me faire sauter, une fois »), des chats transformés en avions F-16 grâce à une boîte à chaussures ou ce photomontage : « Ce soir sur Twitter, suivez le match », avec deux packs de lessive, « Le Chat » contre « Dash »… En pleine nuit, le parquet fédéral a remercié « les médias et les Belges d’avoir tenu compte des recommandations ». Des soldats belges patrouillent devant la Bourse de Bruxelles, dimanche 22 novembre. GEERT VANDEN WIJNGAERT/AP pas avoir mené le projet d’attentat qui lui avait été confié – une explosion dans le 18e arrondissement. Un policier expliquait dimanche que cette « fuite » dans la presse visait sans doute à égarer les forces de l’ordre vers une fausse piste. Mohamed Abdeslam, deuxième frère du fuyard (l’autre, Brahim, était le kamikaze du boulevard Voltaire), a fait la tournée des plateaux de télévision belges, dimanche. Il a dit sa conviction que Salah n’avait tué personne à Paris. Il aurait, selon lui, fait demi-tour, découvrant « quelque chose qui n’était pas ce à quoi il s’attendait ». Il a invité son frère à se rendre pour « apporter les réponses attendues ». Il se confirme, en tout cas, que Molenbeek a été la base du groupe djihadiste. Une perquisition menée à la fin de la semaine dernière dans la commune a permis la découverte d’une cache d’armes chez Abraimi Lazez, un Marocain proche de Brahim et Salah Abdeslam. Lazez était, par ailleurs, un proche d’Abdelhamid Abaaoud, le Molenbeekois devenu un cadre de l’EI et, peut-être, le « cerveau » des attentats de Paris et de la cellule de Verviers, démantelée par la police belge en janvier. Abaaoud a été tué lors de l’assaut du RAID à Saint-Denis. Menace « imminente » D’autres opérations de la police belge ont visé, à la fin de la semaine dernière, l’entourage de Bilal Hafdi, le kamikaze bruxellois du Stade de France. Ces descentes ont apparemment convaincu les responsables qu’une menace « sérieuse et imminente » d’attentat pesait sur la capitale belge. Les cibles auraient été des lieux de rassemblement ou de forte affluence. Visiblement irrité par le fait que les informations sur ce vaste réseau ont échappé à ses services, le ministre de l’intérieur, Jan Jambon, compte répliquer avec vigueur. Il veut désormais faire contrôler chaque adresse, maison par maison, de Molenbeek, jugeant « inacceptable » que les autorités ignorent qui se trouve sur le territoire de cette municipalité. Le ministre suggère également un « kit complet » pour la commune, incluant l’éducation et « la mission sociétale » de donner un avenir aux plus jeunes. Actuellement, quelque 40 % des jeunes de Molenbeek sont sans emploi. Et 85 partis combattre en Syrie y sont revenus, affirme le ministre. Le projet de M. Jambon a entraîné les premiers craquements dans l’unité nationale apparue au Parlement, après une récente intervention du premier ministre qui a annoncé le renforcement des moyens financiers et techniques des services de sécurité, ainsi qu’un contrôle plus strict sur les moquées et les imams. Il conviendrait d’expliquer pourquoi les services de M. Jambon et ceux de ses collègues sont passés à côté d’un réseau opérant à partir de la Belgique, interroge un membre de l’opposition, le député PS Ahmed Laaouej. « Qu’ont-ils fait depuis Charlie Hebdo ? » demandait-il dans La Dernière Heure, « convaincu » que M. Jambon veut « faire diversion » en transformant Molenbeek en « épouvantail ». Les services de M. Jambon ont un autre souci : ils n’avaient pas signalé à la Turquie le nom d’Ahmed Dahmani, arrêté vendredi soir à Antalya, où il devait être rejoint par deux passeurs syriens, eux aussi appréhendés. Ce Bruxellois de 26 ans est un proche de Salah Abdeslam et est soupçonné d’avoir participé à la préparation des attentats de Paris. Il est arrivé à Istanbul depuis d’Amsterdam, le 14 novembre. « Si les autorités belges nous avaient prévenus, Dahmani aurait pu être appréhendé dès l’aéroport », a déclaré un responsable turc à l’AFP. Dahmani a voyagé avec Abdeslam entre la Grèce et Bari (Italie) en août, ont déterminé les services de renseignement italiens. Ils auraient rencontré Abdelhamid Abaaoud en Grèce pour y fomenter les attentats de Paris, écrivait lundi le journal Le Soir. p jean-pierre stroobants La frontière franco-belge sous contrôle, mais « pas hermétique » En une semaine, des milliers de véhicules ont été arrêtés par la police aux frontières, qui concentre ses opérations sur les grands axes REPORTAGE lille - correspondance F usil à pompe entre les mains, cagoule noire sur la tête, casquette siglée du mot « police » en lettres capitales, un CRS inspecte l’intérieur d’une camionnette blanche. Le vieux Peugeot Expert aux portes cabossées intrigue les forces de police. Il est midi, vendredi 20 novembre, sur ce poste-frontière francobelge de Rekkem. Deux bouchons d’une dizaine de kilomètres se sont formés des deux côtés de la frontière. L’habituelle autoroute A22 est réduite à une file de voitures qui passent, une par une, sous le regard des officiers. « Vous venez d’où et vous allez où ? », demande le policier au conducteur de la camionnette immatriculée en France. « J’habite à Roubaix, je rentre chez moi », répond Mohamed Malek. Régularisé depuis quelques semaines, cet Algérien de 56 ans, installé depuis quatre ans dans le Nord, redémarre son véhicule tranquillement. Comme la plupart des personnes arrêtées, il explique : « Ça ne me dérange pas d’être contrôlé, au contraire. C’est pour le bien de tout le monde et ça rassure les gens. » Un policier de la police aux frontières (PAF) confirme : « Les gens sont coopératifs. Ils ont pris conscience de l’état d’urgence. » Mais à cet ancien poste douanier, axe le plus important pour relier la région Nord-Pas-de-Calais à la Belgique, difficile de croire que ces embouteillages permanents seront tolérés dans le temps. « Aujourd’hui, on a le soutien des gens, poursuit l’agent. On verra dans trois mois comment ils réagiront… » Le directeur de la PAF de la zone Nord-Pas-de-Calais, Patricio Martin, tempère : « Juridiquement, on est là pour un mois car on contrôle dans le cadre de la COP21. Le ministre de l’intérieur avait annoncé le rétablissement des frontières du 13 novembre au 13 décembre, le temps de la COP21. » Avec les attentats, il a fallu mettre en place très rapidement des points de con- « La situation est tendue, car l’axe Paris-Bruxelles est une zone sensible » PATRICIO MARTIN police aux frontières de la zone Nord-Pas-de-Calais trôle fixes et aléatoires. Notamment autour des trois axes principaux : l’A2 à Saint-Aybert, l’A27 à Baisieux et l’A22 à Rekkem. Mais impossible d’être en permanence aux 230 points de contrôle de cette frontière franco-belge. Les hommes de Patricio Martin ont pourtant joué le jeu. « Dès le samedi, ils se sont portés volontaires. On a annulé des congés, des repos. Et on a appelé des réservistes », explique le patron de la PAF. Aidés des CRS, des douaniers, de gendarmes et aussi de leurs collègues belges, les 120 fonctionnaires de la PAF contrôlent, 24 heures sur 24, 17 points. En une semaine, des dizaines de milliers de véhicules ont été arrêtés. « La situation est tendue car l’axe Paris-Bruxelles est une zone sensible », précise Patricio Martin. En trente-neuf ans de métier, ce commissaire vit pour la deuxième fois l’état d’urgence. La pression est forte. Son téléphone ne cesse de sonner. En quelques jours, la PAF a déjà procédé à huit interpellations dont certaines classées « fiches S ». Sur le terrain, la PAF cherche des véhicules occupés par des personnes suspectes. Les bus font aussi l’objet d’une attention particulière, comme ce car de touristes malaisiens, hilares après avoir été arrêtés sur la bande d’arrêt d’urgence quelques minutes. Marie-Paule Lesage, elle, rit jaune. Employée du café-snack de Rekkem, elle se désole de voir la salle du restaurant si vide. C’est l’heure du coup de feu en cuisine, mais les frites belges n’ont pas trouvé preneur. « On n’a plus personne à cause des contrôles. Un client routier m’a raconté ce matin qu’il est resté bloqué trois heures sur la route. » Les poids lourds sont très nombreux sur cet axe autoroutier situé non loin du port de Zeebruges. « Mais ils se demandent à quoi ça sert, ajoute Mathilde, appuyée sur une tireuse à bière. Ils nous disent que, de toute façon, la police ne peut pas voir ce qu’il se passe dans leurs cabines. » Aberration « Il suffit de faire quelques centaines de mètres pour traverser la frontière les doigts dans le nez », soupire Mathilde. Rue du Dronckaert, entre Neuville-en-Ferrain et Rekkem, une bande de jeunes chargent le coffre de leur voiture de pots de tabac tout juste achetés dans un night-shop flamand. Ils repartent tranquillement en France, sans croiser aucun policier. Une aberration que refusent de commenter les policiers frigorifiés en faction sur l’A22. Ils appliquent les ordres. Le directeur zonal de la PAF accepte de répondre : « Non, la frontière n’est pas une passoire, mais ce n’est pas totalement hermétique. » Près de Maubeuge, à Jeumont, le jeune maire socialiste a cherché à colmater ces brèches. Il a contacté son homologue belge, le bourgmestre d’Erquelinnes, pour tenter de remédier à cette situation. « Comme les moyens sont limités dans nos deux pays, on a simplifié un peu le travail de la police en réduisant le nombre de points de passage », explique David Lavaux. Frontalière de cinq communes françaises, Erquelinnes a fermé 11 de ses 27 points de passage à l’aide de gros blocs de béton. « Il reste quelques chemins de campagne où il y a des contrôles plus aléatoires », précise David Lavaux. D’autres villes pourraient-elles aussi fermer une partie de leurs routes ? Dans le journal local Nord Eclair Belgique, le bourgmestre de Mouscron a pour sa part refusé. Car quoi qu’il arrive, il restera toujours des routes non contrôlées. « Ce serait comme si on fermait une porte en laissant les fenêtres ouvertes, a justifié Alfred Gadenne. On aurait l’air comique. » p laurie moniez 6 | les attaques terroristes à paris 0123 MARDI 24 NOVEMBRE 2015 Un soldat patrouille dans la gare centrale de Bruxelles, le dimanche 22 novembre. JOHN THYS/AFP Sur la route du djihad, entre Anvers et Bruxelles Les 50 kilomètres entre la ville flamande et la capitale belge sont devenus un axe majeur de recrutement malines, vilvorde, anvers (belgique) envoyée spéciale C’ est une verticale, simple comme la ligne de chemin de fer qui relie Anvers, au nord, à Bruxelles, au sud, en passant par Malines et Vilvorde. Un trajet d’une heure, grand maximum. Rapide et pratique en diable. Depuis plusieurs années, ce trait de 50 kilomètres de long est l’un des axes majeurs du recrutement de djihadistes en Belgique. Les services de la sûreté de l’Etat en ont l’intime conviction. Dès la mi-2012, des combattants belges, pour la plupart d’origine marocaine, commencent à rallier la Syrie. La vague part de la commune bruxelloise de Molenbeek, où Bassam Ayachi, le cheikh franco-syrien à la barbe blanche et aux yeux bleus, a tissé depuis les années 1990 un solide réseau fondamentaliste. Anvers n’est pas en reste. L’un des premiers jeunes de la ville flamande qui rejoint le Proche-Orient pour combattre sera un certain Nabil Kasmi, 21 ans. Des dizaines d’autres suivront, comme Ilyass Boughalab, technicien sous-traitant à la centrale nucléaire de Doel, en Flandre. La Flandre et Bruxelles deviennent au fil des mois les principaux pourvoyeurs de volontaires au départ pour l’Irak et la Syrie : 85 % des quelque 500 djihadistes déjà partis de Belgique, selon un document confidentiel de source policière. Loi islamique Une ligne de chemin de fer comme une traînée de poudre. A cinq minutes de la gare centrale d’Anvers, au cœur du quartier marocain, le 115-117 Dambruggestraat : un immeuble fatigué de briques orange, doté d’une porte blindée grise. C’est là que Fouad Belkacem, le chef d’un groupuscule salafiste créé en mars 2010, Sharia4Belgium, dissous deux ans et demi plus tard, réunissait discrètement ses troupes. Le prédicateur, aujourd’hui âgé de 33 ans, jugé au début de l’année 2015 et emprisonné pour avoir « recruté des jeunes pour la lutte armée et organisé leur départ vers la Syrie », prônait l’instauration de la loi islamique en Belgique et la conversion – ou le bannissement – des non-musulmans. Cet ancien vendeur de voitures d’occasion, délinquant multirécidiviste qui avait acquis la nationalité belge en 1997, recommandait la lapidation des hommes et des femmes adultères et appelait à l’exécution des homosexuels : les yeux bandés, pieds et mains liés, ils devaient être jetés du haut d’une tour, puis achevés d’une balle et crucifiés. A la Dambruggestraat, les jeunes disciples de Fouad Belkacem apprennent les arts martiaux et regardent les vidéos des prêches d’Omar Bakri et d’Anjem Choudary, les fondateurs du groupe radical Islam4UK. Le meneur anversois est en contact avec eux et les rencontre à Londres pour structurer la filière belge. Il se déplace beaucoup. Destination Malines, Vilvorde et Molenbeek, où Sharia4Belgium « évangélise » dans la rue, dans les centres de jeunesse, dans les mosquées et défend violemment les femmes qui portent le niqab, voile intégral interdit en Belgique. A Vilvorde, ce sont vingt-huit jeunes, dont plusieurs mineurs, qui ont quitté le pays entre fin 2012 et mai 2014, pour aller se battre en Syrie. Six ou sept d’entre eux sont morts là-bas. Huit sont revenus, selon Hans Bonte, bourgmestre socialiste de l’ex-petite ville industrielle de 42 000 habitants, largement sinistrée depuis la fermeture de l’usine Renault, en 1997. Une poudrière sociale. L’un a eu un accident mortel de moto, un autre blessé au combat est gravement handicapé, trois sont en prison, trois en liberté surveillée. « Sauf que l’un d’entre eux n’est plus sur nos écrans radar », admet Hans Bonte, en fonctions depuis « Comme le parti nazi en son temps, ces prédicateurs jouent de la haine et de la frustration de jeunes discriminés, au chômage, en quête d’une identité… » BART SOMERS bourgmestre de Malines le 1er janvier 2013. « Fin 2014, il est venu me voir. Il m’a montré le bracelet électronique qu’il portait à la cheville et m’a dit : “Dès qu’on m’enlève ce truc, je vais à Bruxelles car toi, tu vas pas me lâcher…” C’est ce qu’il a réussi à faire. VilvordeBruxelles, c’est 11 kilomètres, autant dire un centimètre, avec les bus ou les trains. Mais il est peutêtre à Anvers, à 40 km d’ici à peine… » A proximité de l’hôtel de ville de Vilvorde, une école technique, Campus de Brug, d’où beaucoup de jeunes sont partis pour le djihad. Des adolescents, presque des hommes, en échec scolaire, en majorité des Belges d’origine marocaine. Fouad Belkacem y est passé. Tout comme à la mosquée, qui se trouve à quinze minutes à pied. « Il n’a pas été bien accueilli, se souvient Ahmitti Mimoun, un croyant de 70 ans, père de huit enfants dont aucun ne manque à l’appel. Ceux qui prennent nos fils et nos filles n’ont rien à voir avec nous. Ce sont des fous », estime l’homme qui, ce mercredi 18 novembre, vient assister comme une dizaine d’autres personnes à la prière de 12 h 30. « Des fous… » C’est exactement ce qu’ont pensé les gens, au début, à Malines, quand ils ont croisé dans la rue des hommes habillés en kamis, la longue tunique traditionnelle, et entendu leurs diatribes liberticides, confirme Bart Somers, le bourgmestre libéral de la petite ville flamande où la Dyle coule paisiblement. « Personne au début ne les a pris au sérieux, pas même les autorités fédérales, explique l’élu. Comme le parti nazi en son temps, ces prédicateurs jouent de la haine et de la frustration de jeunes discriminés, au chômage, en quête d’une identité, et flattés qu’on puisse leur dire qu’ils vont devenir des héros… » Dix villes à hauts risques Mais quand l’information concernant les premiers départs pour la Syrie commence à circuler, le ton change. Après l’attentat du Musée juif de Bruxelles, le 24 mai 2014, Malines est placée sous haute surveillance. La commune de 83 000 habitants abrite la caserne Dossin où, entre 1942 et 1944, 25 482 Juifs et 352 Tziganes ont été rassemblés avant d’être déportés à Auschwitz-Birkenau. Seulement 5 % reviendront vivants. Le site, devenu un mémorial sur la Shoah, est très sensible. Début 2013, les bourgmestres d’Anvers, de Malines et de Vilvorde, alertés par leurs réseaux d’éducateurs sociaux, de travailleurs de rue, de directeurs d’école, des dangers encourus, contactent les autorités fédérales qui établissent peu après une liste de dix villes à hauts risques. Le gouvernement fédéral leur accorde des aides financières spécifiques « dans le cadre de la prévention de la radicalisation violente ». Aux trois communes flamandes vient s’ajouter Maaseik, petite cité du Limbourg proche des frontières hollandaise et allemande, où deux départs pour le djihad ont eu lieu. Liège et Verviers suivront, en région wallonne, puis la Ville de Bruxelles et trois communes bruxelloises : Schaerbeek, Anderlecht et Molenbeek-Saint-Jean. « C’était un peu la panique, confie un haut fonctionnaire. Nous ne comprenions pas ce qu’il se passait. Molenbeek, pourtant un foyer majeur du salafisme le plus radical et considéré comme une base arrière pour les terroristes français, ne s’était pas encore manifesté vis-à-vis de ces appels au djihad. » « Je n’ai découvert cette problématique qu’en 2013 lors de mon élection, confirme Françoise Schepmans, bourgmestre de Molenbeek, membre du Mouvement réformateur, le parti libéral francophone. Mon prédécesseur n’en parlait jamais, pour lui, ce n’était pas visible. » Bruxelles, Vilvorde, Malines, Anvers… Au final, une grosse agglomération de 2 millions d’habitants où la barrière linguistique ne joue pas, selon l’islamologue Michael Privot, converti à l’âge de 19 ans et l’une des figures de proue de la communauté musulmane de Belgique – entre 600 000 et 700 000 personnes, dont près de 500 000 d’origine marocaine. « La première génération d’immigrés marocains arrivée au début des années 1960 est venue de régions homogènes. Elle est connectée par des liens tribaux et familiaux. Tout le monde échange son carnet d’adresses. Voilà pourquoi la relation de “frère à frère” est si importante. Si l’un part en sucette, l’autre suivra… » Depuis 2013, le Forum belge pour la prévention et la sécurité urbaine, un réseau de villes fondé en 1995 et qui en rassemble aujourd’hui une centaine, a créé pour les dix communes les plus exposées à la radicalisation une plate-forme de concertation où police locale, police fédérale, sûreté de l’Etat, bourgmestres, experts de terrain et membres de l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace se parlent. « Enfin ! », dit sous couvert d’anonymat l’un des acteurs conviés. Objectif ? D’abord, partager l’information. Rien de simple vu le millefeuille administratif et policier qu’est la Belgique avec ses rivalités politiques et régionales. Cette coopération a permis d’en savoir plus sur le profil des 500 Belges engagés sur le terrain. De jeunes délinquants, certes, mais aussi des personnes édu- quées. En tout cas, souvent, une structure familiale en difficulté, avec un père absent ou violent. Le recrutement se fait de plus en plus discrètement, il est même caché. Et puis, surtout, les déménagements sont fréquents. Un jour à Anvers, le lendemain à Molenbeek ou à Vilvorde. Ces allers et venues représentent un vrai casse-tête à Anvers qui compte 515 000 habitants, dont un sur cinq est de religion musulmane. Avec ses 2 700 policiers locaux, la ville gérée depuis 2013 par Bart de Wever de la N-VA (Alliance néoflamande), le parti nationaliste flamand qui a siphonné une partie des voix de l’extrême droite, dispose du contingent d’uniformes le plus important du pays. Quatre-vingt-un jeunes Anversois sont partis en Syrie, pour la plupart entre 2012 et 2013. « La police fédérale nous a transmis une autre liste de quelques centaines de noms. Mais quels sont les critères retenus ? La barbe ? Le fait de ne pas serrer la main aux femmes ? Il faut d’abord cibler juste », avance Johan Vermant, le porte-parole du bourgmestre. « Quand vous voyez une Mercedes noire s’arrêter devant un bar à chicha, et que deux jeunes montent dedans, est-ce du trafic de drogue ou du recrutement terroriste ? », demande-t-il. Cette année, plusieurs tentatives de départ de jeunes de la ville ont été stoppées à l’aéroport de Düsseldorf, hub important et bon marché pour la Turquie. « Rien n’est jamais fini » Mais il n’y a pas que les départs, dont le flot ne tarit pas, qui inquiètent. Les retours sur le territoire de jeunes formés à la guerre sont autant de menaces. Selon des chiffres de la sûreté, 54 anciens combattants belges étaient rentrés en mars 2014. Ils seraient près de 140 aujourd’hui. A Vilvorde, plus aucun jeune n’est parti depuis dix-neuf mois, mais « rien n’est jamais fini. J’ai peur que d’autres ne franchissent le pas, s’inquiète Hans Bonte. Dans certaines familles fragilisées, les tensions montent. Une mère craint que le fils d’une autre ait mauvaise influence sur son enfant… Le climat est malsain ». Audessus de son bureau, l’ancien éducateur social, qui a travaillé pendant quelques années à Molenbeek, a accroché un tableau de Jean-François Portaels (18181895), un peintre orientaliste né à Vilvorde, grand prix de Rome. L’œuvre, Le Fumeur syrien, était entreposée dans les collections de la commune. Il a demandé qu’elle regagne l’hôtel de ville pour ne pas oublier un seul instant le combat qui est désormais le sien. p marie-béatrice baudet les attaques terroristes à paris | 7 0123 MARDI 24 NOVEMBRE 2015 Régionales : la sécurité écrase la campagne A moins de deux semaines du scrutin, les candidats donnent un tour de vis sécuritaire à leur programme E clairées crûment dans la pénombre, les tentures bleu-blanc-rouge donnent à l’Agora d’Aubagne (Bouches-du-Rhône) une ambiance de chapelle ardente. Ce samedi 21 novembre, Christian Estrosi, candidat Les Républicains (LR) aux régionales en ProvenceAlpes-Côte d’Azur, tient son troisième meeting depuis les attentats du 13 novembre. Jusqu’au public clairsemé, tout rappelle le choc national vécu une semaine plus tôt. Et les propos reflètent l’aspect sécuritaire qu’a pris la campagne des élections régionales. La veille, à Marseille, il a présenté le nouveau cœur de son programme : un « bouclier de sécurité » de 250 millions d’euros sur six ans qui « permettront d’armer les polices municipales, d’aider à l’installation de caméras de vidéoprotection… » « Le futur président de la région devra prendre toute sa part dans la protection des Français », assume le maire de Nice, qui se persuade que « la droite républicaine est depuis toujours celle qui inspire le plus de confiance en matière de sécurité ». Plus tôt, le candidat avait fait son entrée sur son nouveau clip de campagne. Dans cet enchaînement d’extraits de BFM-TV ou d’ITélé, on le voit prévenir la France de la présence d’une cinquième colonne islamiste, encaisser les sarcasmes de ses adversaires sur son idée d’installer des portails de sécurité dans chaque gare ou refuser de marier un Niçois « en voie de radicalisation ». « On m’a dit “vous faites de la surenchère”… J’aurais tellement voulu ne pas avoir raison », conclut-il. En ce week-end de reprise de la campagne, le candidat LR en PACA n’a pas été le seul à développer les thèmes sécuritaires. Lors d’un point presse, samedi, à Lyon, Laurent Wauquiez, candidat LR en Auvergne-Rhône-Alpes, a proposé de consacrer annuellement 45 millions d’euros du budget de la région à la protection des lycées, des gares ou encore des sites industriels classés Seveso. Lors d’un meeting à Drancy (Seine-Saint-Denis), le même jour, Valérie Pécresse a fait directement référence à l’un des terroristes du 13 novembre, Abdelhamid Abaaoud, filmé en train de frauder dans le métro parisien. « La sécurité passe par un changement de modèle : dès qu’on commence à franchir les portillons « Le FN est un parti laxiste (…) qui a peur de la surveillance de l’Etat » GÉRALD DARMANIN directeur de campagne de Xavier Bertrand (LR) Meeting de Christian Estrosi, à Grasse (AlpesMaritimes) jeudi 19 novembre. LAURENT CARRE POUR « LE MONDE » dans le métro, à taguer, ça veut dire qu’on peut tout se permettre », a déclaré la candidate LR en Ile-deFrance citée par Libération. Contre-offensive Pour convaincre une opinion marquée par les attentats, la droite a décidé de donner un tour de vis sécuritaire à sa campagne. Face à un exécutif à la manœuvre, Nicolas Sarkozy a lancé la contre-offensive trois jours après les attentats. Mardi 17 novembre, il a mis en place un observatoire de suivi des mesures annoncées par le gouvernement pour la sécurité des Français. Cette instance, présidée par Eric Woerth, devait être présentée, lundi 23 novembre. Les responsables LR veulent mettre l’Etat sous surveillance. « Il y a des trous immenses dans la raquette, uniquement pour des raisons administratives. Avant de créer des nouvelles lois, faisons appliquer les lois qui existent », a estimé, dimanche 22 novembre, Thierry Solère, tête de liste dans les Hauts-de-Seine, sur l’antenne de Sud radio. A moins de deux semaines du premier tour des régionales, dimanche 6 décembre, l’objectif de la droite est double : ne pas se retrouver confinée à un rôle de spectateur face à l’exécutif en action, mais aussi se montrer plus protecteur que le FN. Les dirigeants LR craignent que l’extrême droite capte la peur et la colère. Les premiers sondages semblent confirmer cette appréhension. Selon une enquête Ipsos pour France Télévisions et Radio France publiée dimanche 22 novembre, Marion Maréchal-Le Pen obtiendrait en PACA 40 % des voix dès le premier tour, trois points de mieux que lors du sondage précédent. Pour lutter contre ce danger électoral, les dirigeants de la droite dénoncent un FN ferme dans les mots mais irresponsable dans les faits. Au cours de son entretien au Monde daté du 19 novembre, M. Sarkozy a rappelé que les élus de Marine Le Pen avaient refusé de voter le PNR (« Passenger Name Record ») au Parlement européen. « Le FN est un parti laxiste, dénonce Gérald Darmanin, maire (LR) de Tourcoing et directeur de campagne de Xavier Bertrand, opposé à Marine Le Pen en Nord-Pas-de-Calais-Picardie. Dans mon conseil municipal, les élus frontistes sont La droite accuse Hidalgo d’« angélisme » depuis les attentats du 13 novembre, la majorité et l’opposition parisiennes avaient réussi à taire leurs dissensions. Ainsi le « plan protection » pour les victimes et leurs proches présenté par Anne Hidalgo devait-il être adopté à l’unanimité lors du Conseil de Paris, lundi 23 novembre. Celui-ci prévoit notamment le maintien des cellules de soutien psychologique dans les écoles « le temps qu’il faudra » et une aide de la Ville de 560 000 euros aux commerçants victimes de dommages. La maire de Paris souhaite aussi parer aux critiques des élus de droite en matière de sûreté : « Sur la sécurité, nous prenons clairement nos responsabilités. » Cela devrait se traduire par l’installation plus rapide que prévu de visiophones dans les écoles, les collèges, les crèches… De même, la mise en service de 165 caméras de vidéoprotection sera réalisée dès 2016, alors qu’elle devait s’échelonner sur deux ans. Mme Hidalgo devait aussi annoncer l’embauche de 30 agents chargés de la sécurité et de la surveillance à la Ville, en plus des 650 actuels. Mais ces mesures ne devraient pas suffire à apaiser la droite parisienne. « Il faut un changement culturel en matière de sécurité, déclare au Monde sa chef de file, Nathalie Kosciusko-Morizet. La question n’est plus depuis longtemps une priorité pour la Mairie de Paris sans doute à cause des divisions de la majorité sur cette question. » NKM suggère notamment « un programme d’investissement, pour protéger les Parisiens, de 75 millions d’euros », somme équivalant au budget participatif de la Ville en 2015. Pour le directeur général du parti Les Républicains (LR), Frédéric Péchenard, la gauche parisienne « fait preuve d’angélisme et de naïveté ». « La maire de Paris est à la traîne en matière de vidéoprotection », affirme l’élu du 17e arrondissement. « Nous devons changer de braquet. Mille caméras de vidéosurveillance supplémentaires sont nécessaires », assène de son côté Philippe Goujon, maire (LR) du 15e. Bien que le maintien de l’ordre relève du préfet de police à Paris, la droite réclame aussi une « police municipale armée ». « Elle permettrait d’avoir des îlotiers sur le terrain qui relayent des informations à la police nationale », renchérit NKM. « Je ne laisserai personne dire que je ne me soucie pas assez de la sécurité des Parisiens, riposte Mme Hidalgo. [Depuis les attentats,] je travaille main dans la main avec le ministère de l’intérieur et le préfet de police, et je suis intervenue auprès du gouverneur militaire de Paris pour que les patrouilles en renfort soient mobiles et adaptent leur ronde en fonction des rythmes des écoles ». Concernant la police municipale, elle assure ne pas avoir changé d’avis : « Je n’y suis pas favorable. Et puis, c’est hors sujet. La lutte contre le terrorisme relève d’abord de la police nationale et des services renseignement. » Aux élus sarkozystes qui voudraient la prendre en défaut, Mme Hidalgo rappelle que la baisse des effectifs de police à Paris et en France « date de 2009 et s’est amplifiée jusqu’en 2012 ». « Depuis, on essaie de réparer les dégâts », déplore-t-elle. Dans l’hémicycle du Conseil de Paris, la trêve politique n’aura guère duré. p béatrice jérôme les seuls à voter contre les heures supplémentaires aux policiers municipaux. Le FN reste un mouvement d’extrême droite qui a peur de la surveillance de l’Etat. » De son côté, le Parti socialiste ne veut pas laisser la question de la protection à la droite. Dans une lettre écrite aux candidats, JeanChristophe Cambadélis, le premier secrétaire du parti, appelle à défendre « un triptyque commun » : « La guerre totale contre Daech, la sécurité maximale pour les Français et la concorde nationale. » Localement, les candidats vont défendre le rôle de la région dans le maintien de l’ordre. Les socialistes misent sur le fait que le discours de François Hollande et sa gestion après les attaques de Paris ont été globalement appréciés. « Il n’y a aucun angélisme de notre part, la région va contribuer au pacte de sécurité du président de la République », explique Jean-Jack Queyranne, président socialiste sortant de RhôneAlpes. Pas question cependant de ne rester que sur cette thématique. Pour le candidat PS, qui dénonce une « surenchère sécuritaire » de son adversaire Laurent Wauquiez, les électeurs ont aussi envie d’entendre parler d’autres sujets : « Après ce qu’il s’est passé, il manque dans le discours de la droite un mot majeur, celui d’éducation. » Il reste moins de deux semaines pour faire émerger d’autres sujets de campagne… p nicolas chapuis, matthieu goar et gilles rof (à marseille) 8 | les attaques terroristes à paris 0123 MARDI 24 NOVEMBRE 2015 Dans le Val-d’Oise, récit d’une perquisition musclée Depuis les attentats et l’instauration de l’état d’urgence, 1 072 lieux ont été visités par les policiers C’ est une soirée calme au Pepper-Grill, un restaurant de Saint-Ouen-l’Aumône, dans le Val-d’Oise. Samedi 21 novembre, une semaine après les attentats du 13 novembre à Paris et Saint-Denis, la clientèle reprend doucement ses habitudes : des familles avec des enfants en bas âge, des couples, un groupe de copines… A 20 h 31, un homme tente péniblement d’ouvrir la porte intérieure du sas d’entrée. Elle se bloque sur le tapis de sol, il tire, finit par se glisser maladroitement dans l’embrasure, un peu encombré par son équipement : casque, gilet pare-balles, bouclier antiémeute. A sa suite, c’est la déferlante. Sous le regard ébahi des clients, des dizaines de policiers en tenue d’intervention déboulent dans la grande salle du restaurant. Une perquisition administrative commence, en plein service, sous l’œil des caméras de surveillance du restaurant, dont Le Monde a pu consulter les images. Lundi 23 novembre, la police avait procédé à 1 072 perquisitions en application de l’article 11 de la loi de 1955 sur l’état d’urgence. Elles ont donné lieu à 139 interpel- lations, qui ont débouché sur 117 gardes à vue. Ce qui signifie que, dans environ 90 % des cas, les policiers ont fait chou blanc. Comme au Pepper-Grill. Il est 20 h 32. L’unité d’intervention a investi le restaurant. Une cliente, paniquée, fait mine de prendre son manteau pour sortir. « Mains sur les tables ! », crient les policiers. Les clients se figent. Les fonctionnaires ordonnent à la dizaine de salariés présents en salle de se rassembler autour d’une table. « Ordre du préfet ! », répondent-ils lorsqu’on les interroge. « Taper large » Un groupe descend au sous-sol, où se trouvent les cuisines, les pièces de stockage et les vestiaires. Ils tombent sur un employé en train de réparer une cloison endommagée lors du service. Il est braqué avec un fusil, aligné contre le mur avec l’un de ses collègues. Puis les policiers tentent d’ouvrir les portes avec un bélier. Ils en défoncent une première. Elle donne sur les cuisines, par ailleurs accessibles par une porte battante : il suffisait de s’avancer de quelques mètres dans le couloir. Pendant la discussion avec le propriétaire, un policier jette des dossiers à terre sans même examiner leur contenu Ils partent ensuite à l’assaut d’une deuxième porte, celle-là bien fermée. Le propriétaire du restaurant leur propose de l’ouvrir avec sa clé. Pas de réponse, la porte est cassée. Derrière, les policiers découvrent le local destiné au matériel neuf : vaisselle, chemises des serveurs, etc. Ils poursuivent leur chemin. Une dernière porte est attaquée. Un coup, deux coups, puis le policier qui tient le bélier se rend compte qu’il suffisait en fait de tourner la poignée. Derrière, une salle de douche. Le propriétaire, Ivan Agac, 28 ans, est ensuite escorté dans son bureau. L’officier de police judiciaire – dont la présence est obligatoire – lui montre alors pour la première fois l’ordre de perquisition, signé du préfet du Val-d’Oise, Yannick Blanc. M. Agac découvre qu’« il existe des raisons sérieuses de penser que se trouvent des personnes, armes ou objets liés à des activités à caractère terroriste » dans le restaurant qu’il a lancé il y a deux ans. Il est estomaqué. Pendant la discussion, un policier en uniforme farfouille sans conviction dans les armoires, jetant les dossiers à terre sans même faire mine d’en examiner le contenu. « Vous avez de la chance, on n’a rien trouvé, vous n’allez pas partir en garde à vue », conclut l’officier. Puis la troupe s’en va. Il est 21 h 01. Les policiers n’ont découvert ni « armes » ni « objets liés à des activités à caractère terroriste ». Quant aux « personnes », en trente minutes de perquisition, ils n’ont pas procédé à un seul contrôle d’identité, ni d’employés, ni de clients, donc ils ne risquaient pas d’en trouver... Pour le propriétaire, c’est un coup dur. Cet entrepreneur est installé à SaintOuen-l’Aumône depuis huit ans. Il a dé- buté par une pizzeria, puis un restaurant de sushis, et enfin le Pepper-Grill, un vaste restaurant de burgers et de grillades texmex installé dans un ancien garage reconverti : plus de cent couverts, 22 salariés, une décoration soignée et une clientèle diverse, à l’image de l’agglomération de Cergy-Pontoise dont fait partie la ville. « Mon restaurant est halal parce que je suis musulman, mais ce n’est même pas notifié sur la façade. On accueille tout le monde, mes employés sont de toutes les religions », se sent obligé de justifier M. Agac. Pourquoi, alors ? Le maire PS, Alain Richard, ancien ministre de la défense de Lionel Jospin (1997-2002), ne souhaite pas commenter une perquisition « qui pourrait avoir des suites judiciaires ». Une source policière explique qu’une « salle de prière clandestine » était recherchée. Sauf qu’une salle de prière, il y en a bien une, mais elle n’est pas particulièrement clandestine, il s’agit d’une petite pièce indiquée par un pictogramme, située à côté du bureau de M. Agac, et destinée aux clients qui le souhaitent. « On ne fait pas mouche à tous les coups, Ce que contient la loi sur l’état d’urgence Restriction de la liberté de mouvement, assignations à résidence, perquisitions… Le dispositif est prolongé jusqu’au 26 février 2016 L a loi du 20 novembre prolonge pour trois mois l’état d’urgence, décrété le 14 novembre en conseil des ministres. L’état d’exception prendra fin le 26 février 2016, il est éventuellement renouvelable, ou peut être interrompu avant son terme. Il a été proclamé six fois depuis 1955, en pleine guerre d’Algérie. La loi, qui vise selon son étude d’impact « à renforcer les pouvoirs des autorités administratives et restreindre les libertés publiques », comporte deux dispositions essentielles : les assignations à résidence des suspects et les perquisitions sans l’autorisation d’un juge. La liberté d’aller et venirrestreinte Les préfets peuvent interdire « la circulation des personnes ou des véhicules » dans des lieux et à des heures fixés par arrêté ; instituer « des zones de protection » où le séjour est réglementé ; interdire de séjour « toute personne cher- chant à entraver l’action des pouvoirs publics ». Une assignation à résidence renforcée La loi de 1955 s’appliquait à toute personne « dont l’activité s’avère dangereuse », elle s’applique désormais plus largement à toute personne lorsqu’il existe « des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace » – les suspects donc, qui ont par exemple des fréquentations ou des propos douteux. L’assignation à résidence est prononcée par le ministre de l’intérieur, dans un lieu qui n’est pas forcément le domicile, le suspect y est conduit manu militari. Il doit y demeurer douze heures sur vingt-quatre (et non huit heures, comme le souhaitait le gouvernement). Bernard Cazeneuve a rappelé que « l’assignation à résidence n’est pas la prison ». L’assigné, à qui on a retiré ses papiers, doit se présenter à la police ou à la gendarmerie trois fois par jour. Il lui est interdit d’entrer en contact avec certaines personnes, mais il peut garder téléphone et ordinateur, qui seront surveillés – l’accès à Internet est une liberté constitutionnelle. Les armes, même légales, peuvent être saisies et restituées après l’état d’urgence. Un bracelet électronique peut être imposé à une personne assignée à résidence si elle a déjà été condamnée pour terrorisme et si elle a purgé sa peine depuis moins de huit ans. Le condamné doit donner son accord écrit, et n’est en échange pas astreint à pointer trois fois par jour ni à résider dans un lieu choisi par l’Intérieur. Les perquisitions De jour comme de nuit, les perquisitions sont autorisées lorsqu’il existe « des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace », « sauf dans un lieu affecté à l’exercice d’un mandat parlementaire ou à l’activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes » – elles restent possibles à leur domicile. Le procureur est informé de la perquisition, qui doit se dérouler en présence de l’habitant et d’un officier de police judiciaire. Les perquisitions administratives deviennent judiciaires dès lors qu’apparaît un indice qui laisse supposer une infraction, ou que la personne peut fournir des informations utiles à l’enquête. Les données des ordinateurs et des téléphones peuvent être copiées par la police. Il n’est pas prévu qu’elles soient détruites si elles ne révèlent pas d’infractions. La dissolution d’associations Le texte prévoit une grande marge d’appréciation pour dissoudre les associations ou groupements « qui participent à la commission d’actes portant une atteinte grave à l’ordre public ou dont les activités facilitent cette commission ou y incitent ». La dissolution de ces associations (qui gèrent par exemple des mosquées) est définitive. Denys Robiliard (PS, Loir-et-Cher) a fait observer que cette dissolution était déjà autorisée par le code de la sécurité intérieure. Le premier ministre, Manuel Valls, a répondu qu’il fallait « bâtir des dispositifs rapides et efficaces. Alors, pas de juridisme ! » La censure de la presse La loi de 1955 autorisait les préfets « à prendre toutes mesures pour assurer le contrôle de la presse, ainsi que celui des émissions radiophoniques, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales ». Le gouvernement a abrogé ces dispositions, qu’ont voulu rétablir en commission Sandrine Mazetier (PS, Paris) et 20 députés socialistes, avant d’y renoncer. En revanche, le ministre de l’intérieur peut faire interrompre « tout service de com- munication au public en ligne provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie ». Il pouvait déjà bloquer des sites Internet sous quarante-huit heures. Alourdissement des peines Les violations de l’interdiction de circulation, de séjour ou de la fermeture d’un lieu public sont punies d’une peine de six mois de prison et 7 500 euros d’amende – contre huit jours à deux mois en 1955, accompagnés d’amendes de 11 euros à 3 750 euros. La violation de l’assignation à résidence est punie de trois ans de prison et 45 000 euros d’amende. Le nonrespect de l’astreinte à demeurer en résidence, le défaut de pointage au commissariat ou la violation de l’interdiction d’entrer en contact avec d’autres personnes sont punis d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende. p franck johannès les attaques terroristes à paris | 9 0123 MARDI 24 NOVEMBRE 2015 Sécurité et liberté, le débat escamoté Après le vote à la quasi-unanimité de la loi prolongeant l’état d’urgence, politiques, juristes et historiens analysent les raisons pour lesquelles la restriction des libertés est si peu contestée ANALYSE B Perquisition au PepperGrill à Saint-Ouenl’Aumône (Val-d’Oise), samedi 21 novembre. DR loin de là. Le principe de ces perquisitions, c’est de taper large, justifie le préfet, Yannick Blanc. La liste des objectifs est établie lors de réunions avec tous les services : gendarmerie, sécurité publique, police judiciaire, renseignement territorial, sécurité intérieure. Cela nous a déjà permis de saisir une dizaine d’armes, du cannabis, et d’obtenir des renseignements précieux. » Au niveau national, le ministère de l’intérieur affiche la saisie de 201 armes. Dans 77 cas, de la drogue a été découverte. « C’est de la communication » Dans la région lyonnaise, les responsables policiers évoquent ainsi un bilan des saisies « plutôt positif » : lance-roquettes, fusil d’assaut AK47, fusil-mitrailleur MAT49, 1 kg d’héroïne, 1,2 kg de cannabis… « On a bénéficié d’un effet de surprise, ces perquisitions nous ont donné une liberté d’action efficace, estime le patron d’un service d’enquête spécialisé. Nous avons ciblé des gens que nous n’avions pas réussi à accrocher dans nos investigations, nous en entendions parler en marge de nos enquêtes sans avoir de billes, notre intuition était bonne ! » Cela n’empêche pas un nombre croissant de policiers de douter de l’utilité de ces opérations très consommatrices en temps et en effectifs. « C’est de la communication », commente un haut responsable policier à Paris. Et le risque de dommages collatéraux n’est jamais très loin. A Nice, vendredi 20 novembre, une fillette de 6 ans a été légèrement blessée lors d’une perquisition administrative menée dans le centre. Victime de « plaies multiples superficielles au cou et à l’oreille gauche », elle a été hospitalisée quelques heures. Les policiers, qui sont intervenus peu avant 5 heures du matin, avaient enfoncé la mauvaise porte. p laurent borredon avec paul barelli (à nice) et richard schittly (à lyon) L’interdiction de manifester bravée La préfecture de police de Paris a annoncé, lundi 23 novembre, avoir transmis au parquet, « pour application des suites judiciaires prévues par la loi », les identités de 58 personnes ayant bravé la veille l’interdiction de manifester. La trentaine de membres des forces de l’ordre déployée pour empêcher la manifestation des pro-migrants, dimanche, n’a pas réussi à stopper les 600 marcheurs qui ont passé outre l’interdiction de défiler imposée par l’état d’urgence. L’appel initial avait été lancé par 46 organisations (Droit au logement, NPA, Sud…) signataires d’un texte intitulé « Migrants bienvenus ». Même si nombre d’entre elles ont retiré leur appel, les militants sont venus. Les gendarmes n’ont pas été en capacité de bloquer la tête du cortège, qui scandait : « Etat d’urgence, Etat policier ! On ne nous enlèvera pas le droit de manifester. » Les marcheurs espèrent braver les interdits de la même manière pour la COP21 qui débute le 30 novembre. ien sûr, il y a le choc. Bien sûr, il y a l’émotion. Bien sûr, il y a la peur. Mais cela suffit-il à tout expliquer ? Que l’effroi suscité par les attentats du 13 novembre ait conduit le gouvernement à prendre des mesures visant à renforcer la sécurité des Français, personne, évidemment, ne le conteste. Mais que de telles mesures ne soulèvent pratiquement aucun débat, en dépit de ce qu’elles impliquent en termes de restriction des libertés publiques, voilà qui peut étonner. Et tout au moins mérite d’être interrogé. Le 19 novembre, l’écologiste Sergio Coronado est l’un des six députés à avoir voté contre le projet de loi prolongeant l’état d’urgence. S’il dit avoir été « choqué » par la facilité avec laquelle le texte a été voté, il ne se montre pourtant guère surpris par cette quasi-unanimité. « Il y a d’abord, c’est l’évidence, l’effet de sidération provoqué par les attentats et qui touche les parlementaires comme le reste des Français, explique le député. Mais il ne faut pas être naïf : quand j’entends certains de mes collègues socialistes se réjouir de trouver une occasion de piéger la droite et l’extrême droite en leur piquant leurs idées, cela montre qu’il y a aussi beaucoup de calcul politique dans ce vote. » Des « arrière-pensées politiciennes », la sénatrice écologiste Esther Benbassa en décèle aussi dans ce qu’elle appelle la « surenchère sécuritaire du gouvernement ». Mais, peut-être parce qu’elle reste historienne avant tout, cette universitaire, entrée en politique il y a seulement quelques années, refuse d’y voir le simple fruit des circonstances. « Ce vote est celui d’une société qui, depuis une quinzaine d’années, est abreuvée de discours sécuritaires et où la parole s’est libérée, y compris à gauche », explique Mme Benbassa qui, vendredi, s’est abstenue lors du vote du projet de loi au Sénat. « Droit fondamental » Cette analyse est partagée. Notamment par Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel et codirecteur de l’école de droit de la Sorbonne. S’il refuse d’assimiler la « demande de sécurité » des Français à une « demande sécuritaire », lui aussi reconnaît que la réponse du gouvernement socialiste aux attentats du 13 novembre n’est pas une surprise. Car cette réponse, explique-t-il, s’inscrit dans un cadre idéologique bien précis. Celui défini en 1997 par Lionel Jospin qui, dès sa déclaration de politique générale, voulut en finir avec les procès en laxisme intentés par la droite, en affirmant notamment que « la sécurité, garante de la liberté, est un droit fondamental de la personne humaine ». Pour Dominique Rousseau, le tournant de 1997 est fondateur. « C’est à partir de ce moment-là que la gauche s’est acclimatée à l’idée, jusqu’alors brandie par la droite, selon laquelle la sécurité serait la première des libertés ». Dix-huit ans plus tard, l’expression n’est plus taboue à gauche. « La sécurité est la première des libertés », affirmait ainsi le premier ministre lors de la présentation du projet de loi sur le renseignement à l’Assemblée nationale, le 13 avril. Si le souvenir des années Jospin est essentiel pour comprendre le peu de débats que suscite à gauche la politique du gouvernement en « La France s’est construite comme un Etat de police » ANTOINE GARAPON Institut des hautes études sur la justice matière de sécurité, ce n’est pas seulement parce que les deux principaux artisans de cette politique, François Hollande et Manuel Valls, sont les héritiers directs de cet aggiornamento idéologique qu’ils vécurent aux premières loges, l’un comme premier secrétaire du Parti socialiste, l’autre comme conseiller de Lionel Jospin à Matignon. Car ce qui se joue aujourd’hui peut aussi se lire comme l’énième répétition d’une même histoire. Celle d’une gauche française qui, confrontée au défi du maintien de l’ordre lors de son passage au pouvoir, s’est évertuée à faire preuve d’une extrême fermeté, comme si celle-ci était la preuve de sa capacité à gouverner. « Absolutisme » « Quand elle accède au pouvoir la gauche veut toujours montrer qu’elle n’a aucune leçon à recevoir en matière de sécurité, observe Dominique Rousseau. Mais le risque est pour elle de se laisser entraîner dans une spirale car, quoi qu’elle fasse, elle ne sera jamais considérée comme aussi performante que la droite dans ce domaine. » De ce point de vue, la situation actuelle en rappelle d’autres : celle de Georges Clemenceau qui envoya la troupe face aux mineurs en 1906, celle de Jules Moch qui mit tout en œuvre pour étouffer les grèves organisées par la CGT et soutenues par le Parti communiste, celle de Guy Mollet qui, en mars 1956, pendant la guerre d’Algérie, n’eut aucun mal à convaincre la majorité de gauche de lui confier les pleins « La gauche veut toujours montrer qu’elle n’a aucune leçon à recevoir en matière de sécurité » DOMINIQUE ROUSSEAU professeur de droit constitutionnel pouvoirs « pour prendre toutes les mesures exceptionnelles commandées par les circonstances en vue du rétablissement de l’ordre, de la protection des personnes et des biens, et de la sauvegarde du territoire ». Reste, pour expliquer le peu de débats soulevé par la politique sécuritaire du gouvernement, une autre explication, moins circonstancielle et plus structurelle. Plusieurs observateurs en sont convaincus : si la prolongation de l’état d’urgence est acceptée si facilement, c’est peut-être qu’il y a là quelque chose qui résonne de façon profonde avec l’histoire du pays. « La France, depuis l’absolutisme, s’est construite comme un Etat de police. Nous vivons dans un pays où l’on considère naturellement que c’est à l’Etat de protéger nos vies et que c’est à lui de s’autolimiter pour assurer l’Etat de droit », explique le magistrat Antoine Garapon, secrétaire général de l’Institut des hautes études sur la justice. Une analyse que partage Dominique Rousseau : « Nous avons en France une conception de l’Etat hé- ritée du philosophe Thomas Hobbes. Nous acceptons d’abandonner nos libertés à l’Etat en échange de la sécurité que l’Etat nous garantit. Voilà sans doute pourquoi les Français considèrent comme légitime que l’Etat, dans certaines occasions, décide de restreindre l’exercice de certaines libertés. » Comme ses collègues juristes, l’historien Pascal Ory fait le constat du peu d’opposition que rencontre le gouvernement. Mais lui non plus ne se montre guère étonné. D’abord parce que ces attentats, par leur caractère coordonné, la diversité de leurs victimes et ce qu’ils disent de la volonté des tueurs d’atteindre le pays dans ce qui fait le cœur de sa culture, ne pouvaient que susciter une réaction aussi ferme. Mais surtout parce qu’ils frappent, selon lui, une société française qui « se rapproche de plus en plus d’une culture protestante » pour ne pas dire à l’américaine. « Dans le modèle protestant, la société considère que c’est à elle de s’autoréguler, que c’est à elle qu’il revient d’assurer l’ordre, par exemple en surveillant son voisin », explique Pascal Ory. L’hypothèse est originale mais convaincante. Elle permet de comprendre pourquoi, dans une société dont les membres intègrent de plus en plus l’idée que l’ordre est aussi l’affaire de chacun, « l’adhésion aux mesures de sécurité proposées par l’Etat suscite si peu de méfiance ». Au risque, peut-être, d’émousser l’esprit de résistance. p thomas wieder 10 | les attaques terroristes à paris POLI T I QU E Emmanuel Macron met en cause « la fermeture » de la société française Lors d’une intervention, samedi 21 novembre, en conclusion de l’université du groupe social-démocrate Les Gracques, le ministre de l’économie Emmanuel Macron a affirmé que « le terreau sur lequel les terroristes ont réussi à nourrir la violence, à détourner quelques individus, c’est celui de la défiance ». « Je pense que ce sont des fermetures dans notre économie, dans notre société, les pertes d’opportunité, les plafonds de verre qui sont mis, les corporatismes qui se sont construits qui à la fois nourrissent de la frustration sur le plan individuel et créent de l’inefficacité sur le plan économique », a-t-il plaidé. – (AFP.) Julien Dray demande des prêches en français dans les mosquées Julien Dray, vice-président (PS) de la région Ile-deFrance, a demandé lundi 23 novembre que les prêches des imams soient faits en français, estimant qu’« un débat théologique » devait également « être mené », l’islam ne s’étant, selon lui, « pas modernisé ». « Il faut être très vigilant sur les prêches des imams, je dis bien les prêches – que les prières soient en arabe, cela peut se comprendre – mais les prêches, qu’ils soient faits en français, c’est important », a suggéré M. Dray, interrogé sur RTL. ÉCON OMI E 20 % de fréquentation en moins depuis les attentats pour les magasins d’habillement La fréquentation des magasins d’habillement de centreville a chuté de 20 % à 30 % en France depuis les attentats du 13 novembre, a indiqué, dimanche 22 novembre sur RTL, Bernard Morvan, président de la Fédération nationale de l’habillement. Selon l’indice d’activité publié lundi 23 novembre par le cabinet Markit, la croissance de l’ensemble de l’activité du secteur privé a ralenti en novembre en France, un certain nombre de prestataires de services évoquant notamment « l’impact des attaques terroristes à Paris ». – (AFP.) 0123 MARDI 24 NOVEMBRE 2015 Des djihadistes surveillés et fichés en vain Plusieurs alertes sur la dangerosité des membres du commando avaient été données A mesure que l’enquête sur les attentats du vendredi 13 novembre à Paris et à Saint-Denis progresse, les failles dans la surveillance des milieux islamistes radicaux par les services de renseignement français et européens se précisent. Si la menace est diffuse, polymorphe, et que les auteurs des attentats ont tout fait pour déjouer l’attention de services débordés, plusieurs alertes sur la dangerosité des membres du commando étaient apparues. Abdelhamid Abaaoud, tué mercredi 18 novembre lors de l’assaut d’un appartement à Saint-Denis, est celui dont le parcours avant les attentats reste le plus mystérieux. Et une question se pose avec insistance. Comment le djihadiste francophone le plus connu, soupçonné d’avoir un rôle dans quatre des six attaques « déjouées » en France en 2015, a-t-il pu se rendre à Paris pour participer à l’attentat le plus meurtrier jamais commis sur le sol français ? Allers-retours avec la Syrie Parti en Syrie au début de 2013, il serait rentré en Belgique à la fin de cette même année en passant par la Grèce pour repartir ensuite sans être inquiété par les autorités belges. Le signalement de sa présence sur un vol pour Istanbul parti d’Allemagne n’aura pas suffi à l’interpeller. Il aurait échappé à plusieurs coups de filets, en Belgique en janvier lors du démantèlement de la cellule dite de Verviers, mais aussi en Grèce où sa présence avait été établie. En février , Abdelhamid Abaaoud s’était vanté dans le magazine de l’Etat islamique Dabiq de ses multiples allers-retours entre la Syrie et la Belgique, alors même qu’il était visé. Salah Abdeslam, 26 ans, soupçonné d’avoir convoyé les trois kamikazes du Stade de France, était connu des services de police belges, qui l’avaient bien inscrit au Système d’information Schengen (SIS), le fichier dans lequel chaque pays européen peut inscrire des personnes recherchées ou sous surveillance. Jusqu’ici, tout va bien. Sauf que Salah Abdeslam était inscrit pour des faits de droit commun, et pas pour un risque terroriste. Conséquence : ce Français résidant en Belgique a The Amazing Keystone Big Band présente Investigations dans l’appartement de Saint-Denis, jeudi 19 novembre. CHRISTOPHE ENA / AP pu circuler tranquillement en Europe, avant et après les attentats. Salah Abdeslam, proche d’Abdelhamid Abaaoud, a même très probablement effectué un aller-retour en Syrie, en 2015, sans déclencher d’alerte. Le 4 août, il a été contrôlé en Grèce lors de son embarquement dans un ferry à destination de l’Italie. A son côté, Ahmad Dahmani, un Belge de 26 ans, dont le profil est jugé « intéressant » par les enquêteurs. Dahmani a été arrêté le 16 novembre à Antalya (Turquie) par la police turque dans le cadre d’une enquête sur une filière de migrants. Enfin, quelques heures après les attentats, Salah Abdeslam a pu retourner en Belgique sans être inquiété : les gendarmes français qui le contrôlent repèrent bien sa fiche au SIS, mais comme elle ne concerne pas le terrorisme, il n’est pas interpellé. Côté français, Ismaël Omar Mostefaï, 29 ans, l’un des trois assaillants du Bataclan, avait été condamné huit fois pour des délits de droits communs entre 2004 et 2010. Fiché par les services de renseignement pour son appartenance à la mouvance islamiste radicale, il réapparaît dans les radars des services de renseignement à Chartres au début de l’année 2014 où il fréquente un groupe salafiste. Trois personnes, dont le leader, sont placés sous surveillance entre avril 2014 et septembre 2015. Ismaël Omar Mostefaï ne fait pas partie de ceux-là. « Ce n’était pas justifié », explique-t-on place Beauvau. Son complice du Bataclan, Samy Amimour, 28 ans, qui comme lui a péri pendant l’assaut, était connu de la justice, mais cette fois directement pour des faits en lien avec le terrorisme. Placé sous contrôle judiciaire en 2012 pour avoir tenté en Abdelhamid Abaaoud est celui dont le parcours avant les attentats reste le plus mystérieux vain de se rendre au Yémen, il avait admis lors de ses auditions être favorable au djihad armé et avoir le projet de se rendre au Yémen ou au Pakistan. Il avait finalement indiqué avoir renoncé, estimant qu’il n’était pas prêt à prendre part aux combats et à mourir en martyr. Il a ensuite quitté la France sans encombre avant de franchir la frontière turque vers la Syrie le même jour qu’Ismaël Omar Mostefaï. Ses papiers lui avaient été retirés dans le cadre de son contrôle judiciaire, mais il est parvenu à en obtenir de nouveaux en en déclarant la perte au commissariat. La question de l’efficacité de certains contrôles judiciaires s’était déjà posée dans le cas d’un projet d’attentat visant des militaires de la marine nationale à Toulon, révélé fin octobre. Mustapha Mokeddem, dont les services de renseignement supposent qu’il aurait donné des consignes à Hakim Marnissi pour commettre cet attentat, était déjà connu des services de l’antiterrorisme. Arrêté en 2012, il avait été condamné pour avoir proféré des menaces contre Charlie Hebdo. Sorti de prison en avril 2013, il avait pourtant pu rejoindre la Syrie, en décembre 2014, sans problème. Son contrôle judiciaire n’était pas assorti de la saisie de son passeport. p laurent borredon et simon piel Les cartes prépayées seront plus encadrées Le code monétaire et financier permet aujourd’hui leur utilisation sans vérification d’identité F Un CD et un livre-CD complètement jazz à découvrir en famille ! Raconté avec panache par Édouard Baer Imaginé avec humour par Taï-Marc Le Thanh Joyeusement illustré par Rose Poupelain Orchestré avec talent par The Amazing Keystone Big Band www.keystonebigband.com rapper les terroristes au portefeuille avant qu’ils ne passent à l’action, en rendant compliqué le règlement d’armes, de matériels, de notes d’hôtel ou de « caches » : tel est l’objectif très précis des nouvelles mesures annoncées lundi 23 novembre par le ministre des finances, Michel Sapin, en coordination avec la cellule antiblanchiment de Bercy, Tracfin, et la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED). Au premier rang de ces mesures, figure l’encadrement des cartes de paiement prépayées, dont l’enquête sur les attentats du 13 novembre à Paris a confirmé qu’elles étaient prisées des réseaux criminels, pour leur anonymat. Ces cartes auraient ainsi été saisies, en même temps que du matériel téléphonique, lors de perquisitions. Aujourd’hui, en France, le code monétaire et financier permet l’utilisation de cartes prépayées, sans aucune vérification d’identité, pour les cartes non-rechargeables de moins de 250 euros, et, pour les cartes rechargeables, jusqu’à 2 500 euros sur un an. Un dé- L’UE entend surveiller plus étroitement les monnaies virtuelles et les paiements en ligne anonymes cret sera transmis au Conseil d’Etat avant la fin du premier trimestre 2016, et des dispositions introduites dans le projet de loi sur la transparence de la vie économique, présenté officiellement en juillet et bientôt discuté, afin de renforcer les contrôles et d’abaisser les seuils. Cette démarche sera menée en étroite coordination avec les autres Etats membres de l’Union européenne (UE), pour qui le sujet est tout aussi prégnant. Pour lutter contre le financement du terrorisme, l’UE entend en effet surveiller plus étroitement les monnaies virtuelles et les paiements anonymes effectués sur Internet et par le biais de cartes prépayées. La Commission européenne a donc été saisie du problème et devrait proposer de renforcer les contrôles des méthodes de paiement non bancaires. De fait, ces cartes prépayées anonymes, dont les montants peuvent s’élever à plusieurs dizaines de milliers d’euros dans des pays situés hors de l’Union européenne, peuvent être ensuite utilisées partout ailleurs. Selon les experts financiers spécialisés dans l’antiterrorisme, elles sont susceptibles d’être utilisées pour des transferts d’or ou de métaux précieux… L’Etat islamique est évidemment dans le viseur. Un autre point-clé du nouveau plan Sapin contre le financement du terrorisme porte sur l’extension aux biens immobiliers et mobiliers (voitures…) des mesures de gel des avoirs appartenant à des personnes physiques ou morales qui commettent, ou tentent de commettre, des actes de terrorisme. Ces dispositions seront elles aussi intégrées au projet de loi sur la transparence de la vie économique. Actuellement, la réglementation antiterroriste européenne permet de geler en théorie toutes les catégories d’avoirs. Dans les faits, ces mesures s’appliquent aux comptes bancaires. Le gouvernement réfléchit à la possibilité d’empêcher certains versements de prestations en provenance d’organismes publics. Accès aux fichiers En marge de ces mesures, Bercy a annoncé, lundi, plusieurs dispositions destinées à améliorer le renseignement financier, acteur clé de l’antiterrorisme, dont le pouvoir sera renforcé. Ainsi, placé au cœur des enquêtes, Tracfin, où travaillent désormais des officiers de liaison de la DNRED, pourra exiger de la part des banques des mesures de vigilance complémentaires ou renforcées, sur certaines situations ou certains individus. La cellule antiblanchiment de Bercy se verra, dans ce but, ouvrir, par décret, l’accès aux fichiers de police et de justice (le fichier des personnes recherchées et le traitement d’antécédents judiciaires). p anne michel les attaques terroristes à paris | 11 0123 MARDI 24 NOVEMBRE 2015 A Saint-Denis, l’attente des familles délogées par l’assaut Les habitants refusent de quitter le gymnase sans proposition pérenne. Une réunion à la préfecture est prévue lundi L a scène ressemble à celles des lendemains de catastrophe. Dans le gymnase Maurice-Baquet de SaintDenis (Seine-Saint-Denis), des lits de camp vert kaki ont été poussés contre les murs. Les couvertures de survie dorées sont roulées en boule avec quelques duvets. Sur la cage de gardien de but, des serviettes ont été accrochées pour sécher. Au milieu du terrain de basket, un grand tapis de gymnastique a été installé avec des jouets d’enfants et des feuilles de coloriage. Samedi 21 novembre, le froid est sensible malgré les deux énormes chauffages soufflants ronflant à l’extérieur de cet immense bâtiment de béton et de tôle bleue. Sur la grande table, des restes de petitdéjeuner traînent encore. Un peu partout, les familles se serrent dans leurs frusques emportées en catastrophe. Il y a quelques jours encore, Michaela Stetiu habitait son deuxpièces coquet, au 1er étage du bâtiment C du 48, rue de la République, où elle logeait avec son compagnon, sa belle-fille et son petitfils. Elle n’a plus rien. Deux étages sous le squat qui abritait les terroristes présumés, tout est parti en poussière sous un déluge de balles lors de l’assaut des forces de l’ordre, mercredi 18 novembre. Cela fait plusieurs nuits qu’elle passe à attendre une solution de relogement. « On a pensé qu’ils allaient tous nous tuer, vous savez !, souffle- « Je veux sortir d’ici pour un vrai logement, pas pour aller à l’hôtel » CHAFIA ABEK habitante de l’immeuble t-elle. Depuis, on dort mal. La nuit, on a l’impression d’entendre encore les balles et on a froid. Ils nous ont proposé d’aller à l’hôtel jusqu’à mardi. Mais après ? », s’interroge cette quinquagénaire roumaine, toute frêle dans son pull jacquard. Chafia Abek, logée dans le même bâtiment, se dit encore « trop stressée ». Cette mère de trois enfants doit se rendre une nouvelle fois au commissariat pour témoigner. « Je veux sortir d’ici pour un vrai logement, pas pour aller à l’hôtel », murmure-t-elle. Comme la presque totalité des occupants évacués, elle a refusé la solution transitoire proposée par la préfecture : trois nuits d’hôtel, un séjour en centre d’hébergement d’urgence et une promesse de relogement. Depuis le lendemain de l’évacuation, alors que les familles avaient été mises à l’abri dans un centre de santé, le bras de fer est engagé entre la Ville et la préfecture. Considérant que l’intervention policière était une décision de l’Etat dans le cadre d’une opération de défense L’HISTOIRE DU JOUR Bassem Braiki, le blogueur aux deux visages B assem Braiki n’est pas bien réveillé, assis sur son lit, vendredi 20 novembre à 10 heures, lorsqu’un SMS lui apprend que le prestigieux New York Times parle de lui. Dans sa petite chambre de Vénissieux (Rhône), il a du mal à réaliser qu’il est devenu mondialement célèbre. « Je pensais que ça allait rester dans les cercles que je partageais. Le buzz, ça ne me fait ni chaud ni froid », assure le gaillard à voix rauque, sans avouer qu’il est complètement dépassé par l’ampleur planétaire de la vidéo qu’il a postée sur sa page Facebook, mercredi 18 novembre. En deux minutes et cinquante-quatre secondes, Bassem Braiki réagit aux attentats de Paris à sa façon, brutale. « Je m’adresse à tous les muslims. Allons traquer ces imposteurs », déclare-t-il à propos des terroristes, « pétons leurs mâchoires ». Assis dans une voiture, il tient son smartphone à bout de bras. Il lance un cri de rage aux mots âpres. Il évoque à la fois la peine des musulmans : EN QUELQUES « L’amalgame, il sera fait. » Et une prise de conscience, bien différente HEURES, SA VIDÉO, de l’apathie des banlieues observée après les attentats de janvier. « La soEN RÉACTION AUX lution, elle peut venir que de nous à ATTENTATS, DÉPASSE l’intérieur », précise-t-il en appelant à la dénonciation des islamistes qu’il LE MILLION DE VUES nomme « djihadistes de mes c… » Dans l’émotion générale, l’écho est considérable. En quelques heures, le film dépasse le million de vues et des centaines de milliers de partages, comme si, sous son pseudonyme de « Chronic 2 Bass », Bassem incarnait à lui seul la révolte des musulmans que la société française attendait. La romance est moins simple. Contrairement à ce que rapportaient les premiers articles sur lui, il n’attendait pas ses enfants à la sortie de l’école quand l’idée lui a pris de se filmer. Il cherchait « un collègue », « quelque part dans Lyon », pour un motif qu’il ne tient pas à indiquer. Sur son métier, il parle « d’intérim », sans autre précision. Célibataire, sans enfant, Bassem, 35 ans, vit encore chez ses parents. Dans sa chambre meublée d’une cafetière à capsules et d’un cendrier bien plein, un écran plat côtoie un verset du Coran. Il parle très peu de son père, électricien, arrivé de Tunisie en 1967 et ne dit rien de ses cinq sœurs et frères, dont un est conseiller municipal, adjoint à la culture à la mairie communiste de Vénissieux. Sa mère, derrière la porte, s’inquiète du téléphone qui n’arrête pas de sonner. « J’ai parlé comme quelqu’un qui a la haine de tout ce qui s’est passé », fait valoir celui qui tient curieusement à s’excuser auprès « du paysage audiovisuel français ». Comme s’il savait qu’une facette moins reluisante allait se révéler. Vendredi soir, le site de Metronews dévoile un autre profil Facebook, Chronique De Bass, fermé depuis. Le même Bassem Braiki s’en prend à des jeunes femmes dans des termes qui frisent la correctionnelle. Il brode sur les « beurettes » et les « blacks » en termes délirants et insultants. Injoignable au téléphone, il s’est fendu dimanche d’une longue vidéo pour tenter de rattraper ces propos. Il parle de « clash de gamins », sous-entendu de joutes verbales en cercles fermés. « En aucun cas je suis un guide », assure-t-il, comme s’il fallait l’oublier. p richard schittly (lyon, correspondant) nationale, la municipalité réclame que les 70 personnes, dont 28 enfants, soient entièrement prises en charge par l’Etat. Le préfet délégué pour l’égalité des chances, chargé du dossier, ne l’entendait pas ainsi : « Dans ce type de situation, comme lors d’un incendie, le relogement est de la compétence communale. La solidarité doit s’exercer à ce niveau », expliquait, vendredi, Didier Leschi, réclamant que la Ville « assume ses responsabilités ». « Aucune empathie » Après une réunion d’urgence à la préfecture, vendredi en début d’après-midi, devant l’absence de solution pérenne, le maire PCF Didier Paillard a écrit au premier ministre : « Les circonstances extraordinaires qui ont conduit à l’intervention policière appellent des mesures exceptionnelles pour les personnes impactées », plaidait-il. L’appel a semblé être entendu. Quelques heures plus tard, le maire recevait un appel de Manuel Valls lui assurant que l’Etat prendrait en charge les familles. Dans la foulée, le préfet de région s’engageait, à son tour, à les reloger sur le contingent préfectoral. En début de soirée, M. Leschi s’est rendu au gymnase auprès des occupants du « 48 ». « Les services de l’Etat font leur possible pour vous proposer des solutions de relogement dans les meilleurs délais », promettait-il dans un courrier remis aux familles. Pas suffisant, ont-elles fait savoir en refusant de quitter le gymnase. Toutes ont trop peur d’être oubliées une fois celui-ci évacué. « On ne peut pas faire confiance aux autorités et les politiques de la mairie nous disent qu’ils se battent pour nous mais c’est du bla-bla », lance Michaela Stetiu. « On veut une preuve avec un tampon officiel », ajoute Chafia Abek. La mairie reste elle aussi circonspecte. Une nouvelle réunion devait se tenir lundi matin à la pré- L’immeuble est désormais inhabitable L’immeuble où l’assaut policier s’est déroulé, mercredi 18 novembre avant l’aube, est devenu inhabitable pour les 70 personnes qui y habitaient. Quelque 5 000 balles ont été tirées par les forces de l’ordre. Plafonds effondrés, encadrements des fenêtres explosés, escalier partiellement détruit et murs porteurs ébranlés… Le bâtiment C où logeaient les présumés terroristes est particulièrement atteint. Très dégradé, l’immeuble, qui donnait sur deux rues (la rue de la République et la rue du Corbillon), abritait une dizaine de squats sur les 28 logements qu’il comptait. fecture et la Ville entend exiger un engagement nominatif pour chaque famille. « Sinon, on demandera un rendez-vous à Valls », assure Stéphane Peu, adjoint à l’urbanisme. Le feuilleton laisse les élus comme les bénévoles amers. « On n’a senti aucune empathie des autorités », glisse un secouriste. « L’Etat est absent : pas une visite ministérielle ou du préfet alors que pour n’importe quelle inondation dans le Var ou l’Hérault, il y aurait eu un ministre sur place. Les Dyonisiens qui viennent apporter un peu de chaleur et de solidarité sont scandalisés par cette absence de considération », tempête M. Peu. A l’entrée, un gros tas de vêtements a été empilé. Ce sont les dons des parents d’élèves des écoles alentour. Des voisins passent et regardent d’un air désolé les enfants scotchés devant une télévision. « Il ne faut pas les abandonner », lâche une mère d’élèves de la rue du Corbillon. p sylvia zappi 12 | les attaques terroristes à paris 0123 MARDI 24 NOVEMBRE 2015 Les Abdeslam, frères de sang L’aîné, Brahim, s’est fait exploser devant le Comptoir Voltaire, vendredi 13 novembre, à Paris. Salah, son cadet, a aussi participé à l’opération meurtrière, avant de prendre la fuite. Deux frères de Molenbeek qui semblent s’être « radicalisés » en quelques mois, sans fréquenter les mosquées youssef ait akdim, ariane chemin et elise vincent U ne lumière chaude derrière les voilages. Un balcon ouvragé comme de la dentelle. 30, place Communale, à Molenbeek : c’est l’adresse de la famille Abdeslam. Un solide immeuble de pierre, tout en frises et pilastres, au cœur de la ville ; un immeuble bourgeois, avec vue sur la mairie. Mercredi 18 novembre, c’est d’ailleurs sur le parvis pavé que s’est réunie cette commune populaire de l’ouest de Bruxelles pour rendre hommage aux 130 victimes mortes cinq jours plus tôt dans les attentats de Paris. Quelques mètres plus haut, en surplomb, Mohamed, l’un des cinq enfants Abdeslam, allume une martingale de bougies aux fenêtres, laissant aux photographes le temps d’immortaliser sa fine silhouette de « frère de ». Mohamed a 29 ans mais habite chez ses parents, comme ses deux frères, comme sa sœur. Seul l’aîné, Yazid, s’est marié et a quitté la maison. Génération de la crise, culture cocon. Cinq jours plus tôt, c’est dans l’appartement familial que la télé a appris aux Abdeslam, vers 22 heures, les folles fusillades qui ont ensanglanté la capitale française. Mohamed a pris la funeste soirée sanglante en marche : il supervisait avec un associé les travaux de son futur lounge bar, à Liège. Dans le séjour des Abdeslam, ce 13 novembre, manquent Brahim et Salah, 31 et 26 ans, absents depuis quelques jours. Partis en vacances, « à la montagne grâce à une promotion gagnée sur Internet », ont-ils expliqué à leurs parents – c’est du moins ce que Mohamed a raconté à son avocate Me Nathalie Gallant. Personne n’a trop osé s’interroger sur cette drôle d’escapade « au ski », alors que le temps est si doux. Ce soir-là, alors que Paris commence à compter ses morts, les chaînes tout-info ignorent encore que tous deux ont participé à l’expédition terroriste la plus meurtrière qu’ait connue la France. C’est par Me Gallant, lundi 16 novembre, à l’issue de sa garde à vue, que Mohamed a ainsi appris que son frère Brahim s’était fait sauter avec une ceinture d’explosifs devant le Comptoir Voltaire, un restaurant du 11e arrondissement de Paris, ne causant miraculeusement d’autre mort que la sienne. Un infirmier qui dînait là a tenté de le ranimer, avant de découvrir qu’il portait sous son blouson et son teeshirt des fils noir, blanc, orange et rouge, ceux du détonateur. Mohamed a aussi su, ce jour-là, que Salah faisait l’objet d’un mandat d’arrêt international : d’abord soupçonné d’avoir tiré à la kalachnikov sur les terrasses bondées des 10e et 11e arrondissements de Paris, il aurait servi de chauffeur aux trois kamikazes du Stade de France. « Ce sont mes frères et je les aime », a lâché Mohamed sur CNN, avec son accent belge des quartiers. Abdeslam, Kouachi, Clain… Comme les voyous corses ou marseillais naguère, les archives antiterroristes regorgent d’histoires de fratries djihadistes : l’assurance d’une solidarité et d’une confidentialité sans faille. Un recrutement-clé pour l’organisation Etat islamique (EI), qui a utilisé les deux frères Abdeslam pour mener à bien les attentats du 13 novembre, d’une violence rarement égalée en Europe depuis la seconde guerre mondiale. C’est d’ailleurs sans rien savoir des actes dont étaient accusés ses deux frères que Mohamed a été entendu par la justice belge dans les heures qui ont suivi les attentats. Comme pour l’entourage des auteurs des tueries de Charlie Hebdo, Montrouge et l’Hyper Cacher, en janvier, son audition a été menée « à l’aveugle », pour mieux le sonder sans trop l’ébranler. GLANDOUILLE ET MINI-LARCINS Brahim, Salah, Mohamed. Trois garçons de Molenbeek nés et ayant grandis ensemble, collés les uns aux autres et jamais loin des parents, comme s’ils ne voulaient pas quitter l’adolescence. Les nuits passées avec les filles, c’est toujours chez elles, chez les copains, à l’hôtel. Trois frères qui aimaient dire qu’ils étaient « français » : Abderrahmane Abdeslam, le père de cette famille nombreuse, est né à Oran avant l’indépendance, en 1949, et a gardé sa nationalité française en rejoignant le Maroc, comme sa femme Mina. Leur ville d’origine, c’est Bouyafar, dans le nord-est du pays. Comme toute une génération de « travailleurs » du Rif, encouragés par une convention bilatérale de 1964 à fournir la main-d’œuvre dont manquait alors la Belgique, ils quittent le Maroc. A Bruxelles, on dit souvent que le métro est « marocain ». Deux heures trois quarts d’avion (jusqu’à Nador) puis une demi-heure de route : l’été, c’est dans ce bourg de 15 000 habitants que se retrouve la famille Abdeslam. Leur maison, moderne, au centre du douar, se gagne après dix minutes de piste rocailleuse. La terrasse aménagée laisse imaginer les belles soirées d’été en famille, avec leur cousin Boumedienne. Chaque rentrée des classes, la famille retrouve Molenbeek et reprend ses marques belges. Des habitudes qui ont peu à voir avec la religion, même si le père prie chaque ven- SALAH, JOLI CŒUR, VIF ET ROUBLARD, EST PLUS RUSÉ ET PLUS FOU – « DÉGLINGO », RAILLENT SES AMIS EN RIANT dredi et si les enfants sont élevés dans la tradition. Leurs repères, c’est plutôt le service public. Abderrahmane Abdeslam est un « stibien », comme on dit à Bruxelles, conducteur de tram à la STIB, Société des transports intercommunaux de la ville. A l’âge de 20 ans, Salah y travaille à son tour pendant deux ans, en 2009, comme technicien de maintenance au dépôt d’Ixelles, une autre des dix-neuf communes de Bruxelles-Capitale. La mairie aussi est un bon employeur. Mohamed y entre en 2006, passant par divers services, dont celui de la « démographie », comme on dit en Belgique. Salah y avait postulé, sans succès. En 1998, la famille obtient aussi son logement communal du bourgmestre (socialiste), Philippe Moureaux ; une figure emblématique de Molenbeek, aujourd’hui accusée par certains politiques d’avoir pendant vingt ans favorisé laxisme et clientélisme, pris régulièrement la parole dans les mosquées, distribué parfois trop généreusement les logements sociaux. Lors de l’arrivée de la nouvelle bourgmestre, en 2012, on s’aperçoit que les revenus de la famille Abdeslam dépassent les 100 000 euros, qui d’ordinaire mettent fin à ce privilège. L’autre repère, ce sont les copains. Pour les frères Abdelsam, il y a la famille Bazarouj, ou encore un certain Abdelhamid Abaaoud (commanditaire présumé des attentats et tué lors de l’assaut de Saint-Denis le 18 novembre), qui a passé son secondaire à l’Athénée Royal Serge Creuz, comme Salah. Un élève et un garçon agité, cet Abaaoud, mais tout sauf un fou de religion. Les études terminées, comme souvent le travail se fait désirer, on se retrouve au cinéma, au bar, le samedi soir au Carré, la boîte de Willebroek, avec son dancefloor à étages, ou bien à Etangs noirs et le long du canal (Molenbeek, en flamand, veux dire « les moulins de la rivière ») pour mâchouiller des bâtons de siwak, boire des canettes et fumer des joints. « Des garçons comme tout le monde », dit-on à Molenbeek en parlant des frères Abdeslam. « Des gamins de leur âge », plaide Me Nathalie Gallant. « Des délinquants classiques », préfère l’échevine à la jeunesse de Molenbeek, Sarah Turine. Une vie entre glandouille et mini-larcins. Yazid, Brahim et Salah : au moins trois des frères ont eu maille à partir avec la justice pour divers petits délits. Les deux premiers se retrouvent même ensemble, en 2003, dans une histoire de vol et de trafic de faux papiers pour étrangers. Un délit presque banal à Molenbeek, plaide Me Gallant, mais qui relève déjà de la délinquance administrative astucieuse. Salah préfère, lui, tenter de braquer un garage de la province du Brabant wallon avec son pote Abaaoud. Une autre affaire, plus grave, de trafic d’armes, concerne Brahim en 2005. Mais la justice belge se montre relativement clémente. L’accusé a des remords, et le jugement – que Le Monde a pu consulter – veut croire qu’il s’agit d’un égarement : « Attendu que (…) mal- les attaques terroristes à paris | 13 0123 MARDI 24 NOVEMBRE 2015 BRAHIM EST INDOLENT, PARLE SANS SE PRESSER AVEC DES ACCENTS À LA SYLVESTER STALLONE, ET A TOUJOURS L’AIR DE SORTIR DU LIT, CE QU’IL FAIT TARD DANS LA JOURNÉE ANNE-GAËLLE AMIOT Hebdo, où l’aîné Saïd souffrait de lacunes intellectuelles et d’un gros problème de vision, c’est le cadet qui mène la danse. Sans pour autant réussir, comme il en rêve, à s’acheter des belles voitures et gagner sa vie facilement. Début 2011, Salah Abdeslam est licencié de la STIB pour « absence prolongée sans justification ». Il est en réalité en prison, pour une affaire de cambriolages. Une manie : RTL-Télévision a diffusé, cette semaine, l’image de son arrestation en flagrant délit, en mai 2015, lors du cambriolage d’un bar-tabac belge, pour quelques malheureuses centaines d’euros. Les deux frères ont pourtant repris depuis 2013 une affaire au 9, rue des Béguines, la rue des « religieuses ». Un café d’angle, au rez-dechaussée d’une de ces maisons de briques rouges à deux étages qui s’alignent dans la partie haute et calme de Molenbeek, lui donnant un air de petit Manchester. Dans ce vieux bar, on joue aux cartes, autour d’une Jupiler ou d’un verre de vin. Les Béguines sont aussi l’autre adresse des frères Abdeslam, loin de l’œil et des oreilles des parents. Un repaire où s’arrêtent beaucoup de voitures, jusque tard dans la nuit, et où on ne trafique pas seulement des pièces automobiles et de carrosserie. Brahim était toujours là, devant ou derrière le comptoir, pour « fournir » des joints, qu’on écrase dans les cendriers sans se cacher. Il y a aussi un PC dans le bar, où on ne consigne pas seulement les commandes de bière et autres « limonades ». « Je crois qu’Internet a beaucoup joué dans tout ça », a lâché Mohamed devant la caméra de CNN. « A chaque fois qu’on rentrait dans ce café, il y avait des discours de l’Etat islamique, c’est-à-dire des appels à la guerre, a confié un habitué à “Envoyé spécial”, jeudi 19 novembre. Des gens cagoulés qui disaient aux Européens de se joindre à eux », et que « regardait sur sa chaise le patron » Brahim, comme on regarde un film de guerre. DES ALLERS-RETOURS MYSTÉRIEUX gré la gravité des faits reprochés (…) le prévenu semble avoir pris conscience du caractère totalement inadéquat de son comportement passé, qu’il paraît s’être rangé et a entamé une activité de professionnel indépendant dans la restauration, il apparaît au tribunal qu’il y a lieu à donner à M. Brahim Abdeslam une dernière chance. » Brahim est condamné à vingt mois de prison avec sursis et trentecinq heures de travaux d’intérêts généraux. La famille Abdeslam fait front. Les parents rendent visite à leurs fils au parloir de la prison, payant sans rechigner leur avocat, se souvient le pénaliste Me Olivier Martins, défenseur de Brahim jusqu’en 2010. En 2000, quand celui-ci avait comparu libre devant le tribunal correctionnel pour trafic de stupéfiants, Salah et Mohamed étaient aussi à ses côtés. On est très famille chez les Abdeslam, comme souvent dans ce Molenbeek qui compte 40 % de chômage et où on se plaint, à cause de son nom ou de son adresse, de trouver plus difficilement du travail que les autres. « JOINTS, BIÈRE ET VODKA » Les trois frères sont pourtant différents. Brahim, l’aîné, est indolent, parle sans se presser avec des accents à la Sylvester Stallone, et a toujours l’air de sortir du lit, ce qu’il fait tard dans la journée. « Quand je l’ai rencontré, il n’avait pas de boulot et il ne donnait pas l’impression de vouloir en trouver un rapidement, a raconté à la presse belge Naïma, que Brahim a présenté en 2004 à sa famille avant de l’épouser. Il fumait beaucoup de joints, trois à quatre par jour. Il buvait régulièrement de l’alcool, surtout de la bière et de la vodka. » Un homme immature et « paresseux », selon son ex-femme – ils se sont séparés après deux ans de mariage – et qui venait de nouveau d’échouer avec une fille de Bouyafar : la mariée rêvait de le rejoindre en Belgique, tandis que lui voulait s’installer au bled. Brahim est l’aîné, mais pas le leader. Il est de loin le moins doué des trois frères – Me Olivier Martins parle même d’une forme de « retard mental ». En 1998, il n’avait que 14 ans quand il a mis le feu à la maison familiale. Un garçon « fragile et influençable », dit de lui l’avocat, le « faible » de la fratrie. « Quand j’ai vu qu’il s’était fait exploser sans faire de victime, je me suis même dit que ça lui ressemblait. C’est quelqu’un qui a des remords. Mon hypothèse c’est que soit il n’a pas osé aller au bout, soit on lui a dit de faire ça là où il était, et il n’a pas réfléchi », ajoute le pénaliste. Salah, joli cœur vif et roublard, est plus rusé et plus fou – « déglingo », raillent ses amis en riant. « Né le 15 septembre à Bruxelles, 1,75 m, yeux marron », comme le dit l’avis de recherche désormais placardé dans toute l’Europe, cheveux gominés et blouson de cuir, quand il ne porte pas un costume pour sortir, sapé « comme un collégien anglais », disent ses copains. « Brahim ne se sentait pas à la hauteur des autres », se souvient Me Martins. Comme chez les frères Kouachi, les tueurs de Charlie Sur l’ordinateur, les frères ne voient pas seulement des djihadistes anonymes. Abaaoud, le copain d’enfance, est devenu une star de l’EI. Son nom est cité dans les JT et les magazines d’investigation lorsqu’on évoque les tentatives d’attentats déjouées depuis le début de l’année : Villejuif, en avril, le Thalys en août, un projet d’attaque contre une salle de concerts… Il aurait aussi été en contact avec Mehdi Nemmouche, principal suspect de la tuerie, le 24 mai 2014, du Musée juif de Belgique. Abaaoud ne craint pas non plus d’apparaître à visage découvert dans les vidéos de propagande de l’organisation terroriste, au volant d’un pick-up, traînant derrière lui des cadavres. Un vrai « djihadiste 2.0 » que traquent en vain toutes les polices européennes et dont il se moque avec le même sourire éclatant qu’une affiche publicitaire. D’autres copains des Abdeslam sont partis en Syrie. Tout Molenbeek a entendu dire que la sœur de Mohamed Bazarouj, le copain des Abdeslam, avait emmené ses fils là-bas. 2015 sera l’année des voyages, décident Salah et Brahim. Leurs allers-retours restent encore mystérieux. En août, Salah est contrôlé en Grèce dans un ferry à destination de Bari, en Italie, avec un autre ressortissant belge. En janvier, Brahim avait, lui aussi, tenté sa chance. Mais il avait été arrêté en Turquie. « Il y a beaucoup de mosquées dans la commune, mais dès 11 ans, les jeunes n’y vont plus, ils vont dans des clubs de sport ou dans la rue », prévenait en janvier Jamal Habbachich, le président du Conseil des mosquées de Molenbeek, sur la RTBF, mettant en garde contre les recrutements de trottoir des « Syriens », comme on appelle désormais dans la commune, ces anciens combattants prêts à don- ner beaucoup d’argent pour convaincre les jeunes de partir à leur tour. Depuis le ramadan, en juin 2015, Salah Abdeslam s’est laissé pousser une courte barbe. Il a aussi arrêté de fumer et de boire. A Bouyafar, durant l’été, Brahim confie à plusieurs reprises à son cousin Boumedienne, un pêcheur de 47 ans, son désir de « rentrer dans le dîn » – la « voie » qui mène à Dieu, selon la religion musulmane. Mais tout le monde veut croire que les fils Abdeslam s’assagissent enfin. « Pour le taquiner, je lui disais que les joints ne faisaient pas bon ménage avec la mosquée ; il souriait, raconte avec gouaille et son débit saccadé le cousin. Une fois, devant la télévision, Brahim, d’ordinaire calme, a paru s’énerver. Il évoquait pêle-mêle l’Etat islamique et le “calife” Baghdadi, la guerre en Syrie et les frappes des coalitions successives contre le terrorisme en Irak et au Yémen, l’occupation israélienne… Je l’ai laissé parler puis je l’ai mis en garde. Je lui lisais le Coran en démontant le discours de Daech. Il m’écoutait car il ne maîtrisait pas l’arabe, seulement le français et l’amazighe » – comme tous les « Rifains ». BOXE THAÏE ET KRAV MAGA A Molenbeek, certains ont l’œil plus affûté qu’à Bouyafar. Question d’habitude peutêtre : c’est ici que Mehdi Nemmouche, il y a un peu plus d’un an et demi, louait une planque. Là encore qu’Ayoub El-Khazzani, l’attaquant du Thalys vers Paris, en août, avait séjourné auparavant chez sa sœur. La commune a fourni 150 « départs » bruxellois en Syrie ces dernières années. Au « Belgistan » ou au « Molenbeekistan », comme certains surnomment la commune, on a surtout remarqué que les deux frères avaient aussi commencé à « se préparer à » et à « s’entraîner » : full-contact, boxe thaïe, krav maga – la technique de combat israélienne, a raconté un ami des Abdeslam à « Envoyé spécial ». Des joints retrouvés fumants dans les cendriers, mi-août, après une descente de police, avaient conduit à la fermeture du café, le 4 novembre, « pour consommation de substances hallucinogènes prohibées », dit l’arrêté encore placardé sur la façade – ironie minuscule, quand on connaît la suite. Dans la foulée, les frères avaient décidé de vendre. Le 30 septembre, la famille Abdeslam s’était retrouvée pour modifier le capital de l’établissement. Lorsqu’il avait démarré ses activités, Brahim possédait 96 % de 10 000 euros, le reste étant partagé entre son frère et sa sœur. Ce jour-là, indique le Moniteur belge, Salah, qui préside l’assemblée générale, démissionne. Et Brahim cède ses parts. Les Béguines fermé, on ne les a vus ni s’activer à leurs préparatifs ni partir. Brahim et Salah réservent l’un ou l’autre, avec leurs cartes banquaires, voitures de location, appart-hôtel à Alfortville, pavillon à Bobigny – dans ce « 9-3 » français où tout part et tout revient régulièrement dès qu’il s’agit de djihadistes, comme pour Molenbeek. Avaient-ils vraiment prévu de mourir ? Ou avaient-ils déjà imaginé, après leur équipée monstrueuse, de s’enfuir ? « J’avais eu Brahim au téléphone en octobre. Il m’avait annoncé qu’il viendrait au Maroc en décembre, raconte le cousin Boumedienne. Quelqu’un qui veut se faire tuer ne peut pas tromper sa famille à ce point. Il avait pris des dispositions pour clôturer son divorce. Il voulait monter ici un atelier de réparation et de vente d’outils. » Jeudi soir 12 novembre, selon un témoin cité par France 2, les deux frères se seraient vivement disputés. « Moi, sans pognon, je bouge pas. Si y a pas de pognon, j’y vais pas ! » Mohamed, lui, jure que dans l’appartement de la place Communale, ses frères ne lui ont dit « ni adieu ni au revoir ». p 14 | les attaques terroristes à paris I ls aimaient le rock, ils aimaient le théâtre, ils aimaient étudier et voyager. Ils aimaient, à la fin d’une semaine de travail, se retrouver entre copains à la terrasse des bistrots du quartier. Ils aimaient Paris ; ils aimaient vivre. Vendredi 13 novembre 2015, par une soirée étonnamment douce pour la saison, leurs 130 vies ont été fauchées. Brutalement arrachées à ceux qui les côtoyaient chaque jour, ces 130 personnes font aujourd’hui partie de notre univers, à tous. Elles ne nous quittent plus. Nous refusant à les réduire à un chiffre, 130, et à un statut, celui de « victimes », nous avons voulu leur donner un visage, raconter qui elles étaient, leur rendre leur vie, à travers ceux qui les connaissaient et les aimaient. Les installer, aussi, dans notre souvenir, tous, sans exception. Les journalistes du Monde se sont donc rassemblés pour écrire ce mémorial du 13 novembre. Systématiquement, ils ont pris contact avec leurs proches, membres de leur famille lorsque cela a été possible, amis ou collègues, pour les aider à dresser ces portraits de gens qu’ils n’avaient jamais vus. Pour chacun, nous leur avons aussi demandé de nous prêter une photo, l’image du visage qu’ils voulaient que l’on conserve dans ce souvenir collectif. En enquêtant sur ces jeunes vies volées, nous avons compris deux choses. D’abord, pourquoi les terroristes avaient choisi de frapper là, à ces endroits précis de Paris. Le Bataclan, bien sûr, temple mythique de la musique et du rock. Mais surtout ces restaurants et ces cafés du 10e et du 11e arrondissement, des lieux d’habitués. Des cafés un peu en retrait des grandes avenues, où l’on connaissait le patron et les serveurs, où l’on avait une chance de retrouver des visages familiers. Des endroits où l’on se mélangeait, juifs, chrétiens, musulmans ou athées, hommes ou femmes. Des endroits où l’on savait vivre ensemble. La Belle Equipe, où 19 personnes ont été tuées, c’était exactement cela : le soir du 13 novembre, deux groupes d’amis y fêtaient deux anniversaires ; deux groupes d’amis mélangés, à l’image de Paris. Le Stade de France, où un désastre plus grand encore semble avoir été évité, c’était aussi cela. La deuxième chose que nous révèlent ces portraits, c’est à quel point les terroristes visaient, à travers leurs cibles ce soir-là, la jeunesse, l’intelligence, la culture, l’éducation et la tolérance. L’histoire de ces 130 vies se lit comme celle de la fine fleur d’une société confiante dans la réussite que peuvent lui donner le savoir, la science et l’ouverture d’esprit. Français ou étrangers venus en France précisément pour cela, ils étaient ce 13 novembre le symbole du Paris des Lumières, au XXIe siècle. Ce mémorial ne répond qu’à un seul vœu : qu’ils le demeurent. p sylvie kauffmann et aline leclerc (Nous publierons quotidiennement une page avec les portraits des 130 personnes tuées le 13 novembre). Un vrai charmeur Christophe Lellouche Ces dernières semaines, la musique était revenue au cœur de sa vie, se faisant une place entre l’Olympique de Marseille et les apéritifs entre amis. Après les Eagles of Death Metal, vendredi au Bataclan, Christophe Lellouche devait assister, lundi 16 novembre, au concert des Foo Fighters et mardi à celui de Chilly Gonzales. Il s’agissait aussi de célébrer la libération d’un boulot qui l’ennuyait, chargé de la communication digitale de Peugeot dans une agence. Son contrat s’achevait le 18 novembre. « Il avait peur que son CDD ne soit pas reconduit, mais il était hypersoulagé qu’il ne le soit pas », se souvient d’une voix douce Sandra Benayer, une amie. Ce beau brun aux yeux bleus natif des Yvelines, « esprit vif et altruiste », venait de réécrire son CV. A 33 ans, il était résolu à renouer avec la radio, dont il avait appris l’exercice au Studec. Faute de parler au micro, il avait sorti, en 2014, un EP (Extended Play) plein de vie avec son groupe d’indie rock, Øliver, depuis laissé de côté. « Chris » caressait le projet de remonter un groupe, de métal peut-être, mais le temps filait vite entre ses engagements associatifs – il œuvrait à la réinsertion des sans-abri – et amicaux. Des potes, plein de potes, avec qui il fallait boire des coups, plein de coups. « Il faut le dire, il aimait la bière », sourit Sandra. « C’était un vrai charmeur, il séduisait rapidement les gens, également parce qu’il était très à l’écoute », complète Florian Giraud, avec qui il avait descendu la semaine précédant le drame quelques pintes au Petit Pressour, bar PMU de la rue Saint-Maur (11e). Dans son appartement des Lilas, avec ses deux chats, il passait aussi beaucoup de temps sur Twitter. Sous de multiples identités, la plus connue étant@MokeComputer, il distillait « blagues graveleuses » et commentaires féroces des matchs de l’OM, comme sur le site satirique HorsJeu.net. « Tout l’énervait dans cette équipe, cette saison », s’amuse Sandra Benayer, mais il n’en manquait pas un match. Son père, jeune retraité marseillais, avait transmis à son fils unique la passion du Vélodrome. « Il était très proche de ses parents. On voyait que c’était un enfant élevé dans l’amour. » p clément guillou 0123 MARDI 24 NOVEMBRE 2015 Curieux de tout Généreuse et engagée Epris de liberté Mathieu Hoche Véronique Geoffroy de Bourgies Hugo Sarrade Il aimait les images, la musique et les voyages. Mathieu Hoche, 37 ans, a perdu la vie lors de l’attaque terroriste contre le Bataclan, vendredi 13 novembre. Ce n’était pas un passionné de métal, plutôt un garçon éclectique, qui aimait sortir écouter de la musique, voir un film ou prendre un verre. « Mathieu voulait connaître le monde et était curieux de tout », raconte Naima Di Piero, une collègue brésilienne qui le croisait à Issy-les-Moulineaux (Hauts-deSeine), au siège de France 24. Cadreur intermittent, Mathieu Hoche assurait régulièrement les prises de vues pour les journaux de la chaîne d’information internationale, comme il le faisait aussi à i-Télé. « Il avait un regard, un sens de l’image, qu’il utilisait dans son travail comme pour faire de très belles photos », ajoute sa collègue. Son mur Facebook en témoigne. On y découvre d’abord son visage, saisi lors d’une randonnée sac au dos en pleine nature, le regard clair derrière de grandes lunettes carrées. D’autres photos campent des paysages pâles, des soleils bas, des lumières d’hiver ou d’autres scènes de marche, en Martinique ou en Corse. Le carnet de route d’un contemplatif, dont les proches soulignent la « douceur », l’aversion du conflit ou encore « son humour et son ouverture d’esprit ». Ces images alternent avec des références à des concerts, aux groupes Pixies ou Sonic Youth, ou à des fêtes avec ses amis, autant de signes de « la vie qu’il avait en lui », formule Naima. D’esprit cosmopolite, il avait choisi de s’implanter dans le quartier de la Croix-de-Chavaux, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), une ville bigarrée aux portes de Paris. C’est là qu’il retrouvait son fils, âgé de 9 ans. « Il aimait parler de son fils, le prendre en photo, aller le chercher à la sortie de l’école », raconte encore sa collègue. Samedi 14 novembre, Mathieu Hoche était attendu à Siouville-Hague (Manche), sa ville d’origine, pour participer à l’anniversaire du club de tennis qu’il fréquentait enfant et où il avait conservé des amis. La fête a été annulée. p alexis delcambre C’était une solaire, une tonique, une magnifique. Longue, mince, déliée, des yeux noisette sous un casque de cheveux bruns, un sourire aux dents du bonheur… Véronique Geoffroy de Bourgies, 54 ans, abattue dans le restaurant La Belle Equipe, vendredi 13 novembre, incarnait pour ses amis une certaine idée de la Parisienne chic et décontractée, drôle et volontaire, hyperactive et maman poule, généreuse et très engagée. Oui, tout ça, ils insistent. Et les mots se bousculent chez ses proches, qui ne savent comment résumer la force de vie d’une femme qui avait commencé sa vie professionnelle dans le journalisme (Le Figaro, Le Figaro Madame, Femme actuelle, Vogue Hommes…) avant de créer son propre blog consacré à l’art du bien-être (elle y signait des billets « feel good »), cédé il y a un an pour se consacrer entièrement à sa vraie passion : Madagascar. C’est là qu’elle avait adopté, avec son mari, le photographe Stéphane de Bourgies, deux enfants ; Mélissa, 15 ans, et Diego, 12 ans et demi. C’est là que, frappée par la misère des orphelinats, des écoles, des familles, elle n’avait pu se résoudre à ne sauver « que deux enfants » et avait créé l’association Zazakely Sambatra (« Enfants qui deviennent heureux »), l’œuvre de sa vie. Dès lors, toute sa force et son entregent furent mis au service d’une organisation qui, partie de rien, déplaça des montagnes. Elle fit d’abord construire un puits, puis une salle pour que les élèves puissent s’abriter des pluies, puis d’autres puits, puis une école, une cantine, un dispensaire. Récemment, c’est même un lycée qu’elle faisait sortir de terre, décidée à ce que des petits Malgaches, de la maternelle à la terminale, puissent avoir une bonne éducation et trouver chez eux un métier. Son enthousiasme et sa force de conviction entraînaient ses « zazamis » dans la ronde, elle enrôlait des parrains pour des petits qu’elle connaissait personnellement et auxquels elle rendait visite plusieurs fois par an, y compris avec Mélissa et Diego. Elle apprenait le malgache à l’Institut national des langues et civilisations orientales et pressait, bousculait, exigeait, se transformant alternativement en leveuse de fonds puis en chef de chantier. A Noël, il arrivait que toute la famille fasse le voyage à « Mada », Stéphane déguisé en Père Noël pour distribuer des cadeaux aux enfants. Ou alors Véronique décorait l’immense baobab en métal qui ornait le salon de leur appartement du 11e, couvert de toiles malgaches, et improvisait de grandes tablées. Tous veulent que son association, si frondeuse et constructive, continue à vivre. p C’était leur code, depuis des années. Quelques mots du fils pour désarmer les remontrances du père lorsqu’il s’inquiétait pour son ado qui sortait trop, pour l’étudiant qui préférait gratter sa guitare électrique plutôt que ses cours, courir les salles de concert plutôt que s’asseoir sur les bancs de la fac de Montpellier, où il était inscrit en master d’intelligence artificielle après une licence d’informatique. Une réplique piquée à Batman, que le père et le fils avaient regardé si souvent ensemble. « Pourquoi tombonsnous, monsieur ? C’est pour mieux apprendre à nous relever. » Hugo avait vacillé quelques fois dans sa jeune vie. Il s’était toujours relevé. Jusqu’à ce vendredi 13 novembre, au Bataclan. Il avait été Charlie dans les rues de sa ville, lors du grand rassemblement du 11 janvier. Il aimait la musique, était fan des Prodigy, raffolait des mangas, qu’il collectionnait par centaines, et des films américains. Il n’avait pas le permis – « A quoi bon quand on vit en centre-ville ? », disait-il comme bien des garçons de son âge – et il était la troisième génération de la famille à inscrire son nom dans les registres de cette université de Montpellier où son grand-père maternel avait dirigé le laboratoire de biologie. Surtout, depuis plusieurs mois, il était amoureux de Lise, une brunette aux yeux sombres, qui poursuit ses études d’ingénieur à SupAgro Montpellier. Vendredi après-midi, Hugo a pris le train de Montpellier, où il vivait chez sa mère, assistante maternelle, et prévenu son père, directeur de recherche au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) à Saclay (Essonne), qu’il passerait le week-end avec lui et son jeune demifrère, après avoir assisté au concert des Eagles of Death Metal. La dernière fois que Stéphane Sarrade a vu son fils, c’était il y a trois semaines. Hugo rentrait de vacances au Japon, où il avait emmené deux copains. Adolescent, il y avait déjà accompagné son père. Lors de ce voyage, il lui avait montré deux kanjis japonais en lui disant : « Le jour où j’irai vraiment bien, je me les ferai tatouer. » « Il faut que je te montre quelque chose », a dit Hugo à son père à son retour de Tokyo. Il a écarté l’encolure de son teeshirt. En haut, à droite sur sa poitrine, les deux kanjis s’y trouvaient. Ils signifient « liberté ». p pascale robert-diard annick cojean Mémorial du 13 novembre Les portraits de disparus, vus par leurs proches les attaques terroristes à paris | 15 0123 MARDI 24 NOVEMBRE 2015 Un rayon de soleil Un fou riant Un grand enfant Un roi de la fête Un fiévreux du rock Caroline Prénat Yannick Minvielle Fabrice Dubois Raphaël Ruiz A 24 ans, Caroline Prénat avait les mêmes espoirs que la plupart des jeunes de sa génération. « Graphiste en recherche d’un CDI-CDD-Freelance », indique son profil LinkedIn. Nul doute qu’elle aurait fini par décrocher ce dont elle rêvait si elle n’avait pas été fauchée par les balles des terroristes au Bataclan, où elle s’était rendue avec son petit ami Hugo, qui, lui, a survécu et reste trop bouleversé pour prendre la parole. Ils venaient de s’installer ensemble à Paris. Elle était au bar de la salle de concert pendant qu’il était resté dans la salle. « Dès que j’ai vu combien elle était souriante et accueillante avec le public, j’ai immédiatement demandé qu’on la passe d’un contrat de 24 heures à 35 heures », raconte Arnaud Surel, le directeur du cinéma Pathé Beaugrenelle, dans le 15e arrondissement de Paris, où elle avait un « boulot alimentaire » depuis septembre. « On l’appelait “les beaux yeux” et notre “rayon de soleil”. » Il venait de lui proposer un CDI et attendait sa réponse. Depuis l’annonce de sa mort, l’équipe du cinéma, très jeune et très soudée, est ravagée. Son beau visage s’affiche désormais au début de chaque séance. « Rayon de soleil », c’est aussi une des expressions qui vient spontanément à Maëlle Demange, une de ses meilleures amies : « Caro était toute fine, mais son amour des gens dépassait la taille des plus gros monuments imaginables en rêves. » Une autre amie, Angélina, abonde : « Elle était l’amie que tout le monde aurait voulu avoir. Elle était tellement souriante, gentille et belle. » Toutes les trois s’étaient rencontrées à l’école Bellecour, une école d’art lyonnaise, où Caroline a étudié de 2008 à 2011. Quand les événements de la vie les ont séparées géographiquement, elles ont monté un collectif créatif baptisé les « Trip-ettes » pour afficher notamment de drôles d’avis de recherche dans leurs villes respectives. Après Lyon, Caroline était partie continuer ses études à Paris. Comme une suite logique pour cette fille d’une famille recomposée, née dans le Lot-etGaronne, et ayant suivi sa mère à Nantes, puis Avignon, avant de revenir à Lyon, berceau familial de la famille Prénat, ancienne dynastie industrielle basée à Givors. « Elle était récemment retournée à Paris parce qu’elle vivait le grand amour et pour nous démontrer qu’elle était courageuse, alors qu’elle aurait pu trouver du travail sans difficulté à Lyon », raconte son père, Yves Prénat. Grande voyageuse, Caroline multipliait les voyages avec ses amis. « Le prochain qu’on avait prévu était à Amsterdam pour y fêter ses 25 ans », écrit Angélina. « Je veux garder l’image du sourire de ma fille, qui était un petit être sensible et généreux, toujours prêt à protéger tout le monde », explique M. Prénat. p « Le plus grand déconneur de la Terre. » Pierre Viallaneix résume d’un trait enthousiaste son ami Yannick Minvielle, tué au Bataclan le 13 novembre, à quelques jours de ses 40 ans. Les deux hommes travaillent en tandem depuis quinze ans dans la publicité, « créatifs-en-chef » de l’agence RED-Publicis depuis 2011. Né à Saint-Rémy, en Saône-et-Loire, en 1976, Yannick était monté à Paris à 20 ans, tel un Rastignac… de la rigolade. « Restez assis ! », lançait en entrant dans une pièce celui qui signait tous ses mails « Maître de l’univers et de ses environs », s’amuse encore son ami et collègue, se rappelant comment « Yannick embarquait tout le monde dans sa folie ». « Cinq minutes avant ce drame, je suis sûr qu’il était en train de rigoler avec d’autres spectateurs au Bataclan… », dit un autre ami, Olivier Kreis. « Il est parti heureux, aimé et aimant », pour Servane, meilleure amie de Lucie, la petite amie de Yannick, présente à ses côtés et dont « il était fou amoureux ». Touche-à-tout sans complexe, Yannick Minvielle a trouvé dans la publicité la voie royale pour épancher son besoin de créer – et de se marrer, tout le temps. Ainsi, lorsqu’il dessina le logo de la Quinzaine des réalisateurs pour les 40 ans de l’événement cannois en 2008, où travaillait alors la mère de son fils, Misha. Ou lorsqu’il baptisa son groupe de rock They Make Money so Why Don’t We ?… Mais la passion affleurait toujours sous la rigolade, souligne l’ami Pierrot : « On était tous branchés metal, on écumait les festivals. » Pour Eagles of Death Metal au Bataclan, « il avait eu les places trois mois avant le concert », dès leur mise en vente. Ses parents, Nelly et Jean-Michel, voudraient que ce drame du 13 novembre permette de faire passer certains messages à « l’Etat responsable ». Olivier Kreis comprend : « La disparition de Yannick, aussi violente que révoltante, les interroge sur les limites de notre protection contre un terrorisme qui peut s’avérer durable. » Tous pensent à Misha, 7 ans, ce fils adoré avec qui il aimait « partir camper aux quatre coins de France ». « Des fois, les rôles s’inversaient, c’était moi qui jouait les grandes sœurs, soupire Betty, la sœur cadette de Yannick. Mais il était toujours là, disponible, sympa, à l’écoute. » Pratiquant – entre mille autres choses – la sculpture, à l’occasion de ses retours en Bourgogne, l’artiste Minvielle laisse une énigme : la signature de ses œuvres, NMDDR. Un acronyme mystérieux dont personne ne semble connaître la signification. Ultime pied de nez du « plus grand déconneur de la Terre ». p Grand. C’est l’adjectif qui revient sur toutes les lèvres de ses proches. Grand par la taille, près de 2 mètres. « Il en imposait tout de suite quand il entrait quelque part… », dit Valérie Hénaff, la présidente de Publicis Conseil, où travaillait Fabrice Dubois, 46 ans, depuis douze ans. Grand par la personnalité. La disponibilité. La gentillesse. « Le mec le plus sympa de la Terre » ; « toujours prêt à rigoler » ; « on s’est bien marrés » ; « je ne l’ai jamais vu faire la gueule » ; « quand on le croisait dans le couloir, on se disait : ah ! Il est là, c’est cool… », résument ses collègues en quelques mots. Ces derniers temps, confie l’un d’eux, « son truc, quand il arrivait au bureau, c’était le running gag “Salut mec !” avec la voix d’Eddie Murphy… » « Un vrai publicitaire, dit sa sœur aînée Nathalie, ancienne journaliste installée à Los Angeles. Comme tous les mecs de la pub, il adorait les gadgets, les T-shirts, les séries américaines, les BD, les dessins animés… Pas un hasard s’ils ont utilisé les Simpsons dans la pub Renault… » Fabrice, un « gentil géant », résume-t-elle. Comme un clin d’œil à Gentle Giant, ce groupe de rock progressif des années 1970… La musique, une passion qu’il vivait sans emphase. Mais avec constance. Vendredi, il avait juste dit aux copains de l’agence qu’il ne partirait pas tard car il allait à un concert au Bataclan. Avait-il découvert Eagles of Death Metal à Los Angeles, où il aimait rendre visite à sa grande sœur ? « Apparemment, il connaissait ce groupe depuis longtemps, mais il ne m’en avait jamais parlé, ditelle. Et je n’en avais jamais entendu parler, alors que je vis aux Etats-Unis ! Mais vendredi, quand j’ai entendu parler du Bataclan, j’ai eu un pressentiment… » Côté vie privée, « quand on a un papa publicitaire, qui collectionne les jouets, ça doit être assez fun, tente de sourire sa sœur. C’était un grand enfant, mais très proche et attentif, très mûr avec ses deux enfants de 11 et 13 ans. » Grand, enfin, par le talent, celui du rédacteur concepteur qui fut à l’origine, en tandem avec son amie Pascale Gayraud, de campagnes de publicité mémorables. Leur dernière création, le dessin animé pour la nouvelle Twingo, vient tout juste de décrocher le prix Epica, à Berlin. Des créations tous azimuts… parfois plus azimutées les unes que les autres. Mais porteuses, de-ci de-là, d’un vrai message à faire passer, par-delà le message commercial… Ainsi de la campagne pour la Licra – prix du public au Grand Prix de l’affichage en 2010 – montrant dans leur couveuse des bébés typés déjà prédestinés à ce qui les attend : éboueur, agent d’entretien, ouvrier du bâtiment… « Notre couleur de peau ne doit plus déterminer notre avenir », disait le slogan. Fabrice Dubois, lui, était blanc, grand, blond, rigolard, bon vivant. C’est celui-là que gardent dans leur cœur ceux qui l’ont connu. « What else ? » p Jean-Jacques Kirchheim jean-baptiste chastand pascal galinier p. ga. Jean-Jacques Kirchheim, c’était d’abord « une bonne grosse voix et une dégaine », pleure son collègue et ami Lhassan Jallaf. Un grand brun de 44 ans qui aimait Faustine, sa compagne depuis six ans, ses potes Bertrand et Ludo, le rock et le punk, la Guadeloupe dont venait sa mère, mais aussi Saint-Maur-des-Fossés, où il avait grandi avant de gagner Paris. Depuis douze ans, il travaillait chez Free ; il coordonnait l’extension du réseau Internet de l’opérateur téléphonique en France. « Il avait parcouru la boîte dans tous les sens, tout le monde le connaissait et il calmait tout le monde », raconte Lhasssan Jallaf. « C’était un diplomate au milieu des sauvages que nous sommes », ajoute Xaviel Niel, son patron. Jean-Jacques adorait les voyages, et notamment les grands espaces du Colorado ; il rêvait aussi d’une expédition en Alaska. Mais, dès qu’il le pouvait, c’était concert avec Faustine et sa bande de copains. « On était tout le temps fourrés au Bataclan, au Trianon, à l’Olympia, raconte sa compagne. Dimanche 15, on devait aussi aller écouter Motörhead au Zénith avec nos potes. » Eagles of Death Metal, le couple les connaissait par cœur. « On suivait déjà Josh Homme, le leader de Queens of the Stone Age, on avait pris nos places depuis des mois, raconte Faustine. On les avait d’ailleurs déjà vus au Bataclan. » JeanJacques disait souvent : « Je suis spécialiste en rien, mais je connais beaucoup de choses. » Question rock et stoners, il touchait pas mal sa bille. Jean-Jacques était le roi de la fête et s’assombrissait rarement, sauf quand il parlait des attentats de janvier à Charlie Hebdo. « Il avait été très très marqué par ça, il en parlait encore il y a quelques semaines. C’est un journal qu’il lisait. » Au Bataclan, il n’aurait pas imaginé se trouver ailleurs que dans la fosse, au plus près du spectacle. « Jean-Jacques n’était pas là par hasard, comme on peut par exemple se trouver dans un restaurant par hasard, insiste sa chère sœur Fabienne. C’était ce qu’il aimait. » Vendredi 13 décembre, ils étaient quatre : JeanJacques, Bertrand, Ludo et Faustine, qui a été blessée par plusieurs tirs. Elle n’oubliera jamais que c’était au Bataclan que Jean-Jacques l’avait embrassée pour la première fois. p ariane chemin « Il nous a quittés comme il a vécu, en assouvissant son amour de la musique. » Raphaël Ruiz, tué au Bataclan à l’âge de 37 ans, était un mélomane passionné. Un vrai, capable d’enchaîner une trentaine de concerts et de festivals par an. Cette semaine-là, il avait pris des places pour U2 mardi et mercredi, Eagles of Death Metal vendredi et de nouveau U2 dimanche. « Pour comparer les solos de guitare. C’était son groupe fétiche », sourit l’une de ses amies, Marine. Cette fièvre pour le rock et la pop, « Raph », comme l’appelaient ses proches, la partageait d’abord avec son frère, son aîné de quatre ans. Christophe devait l’accompagner au Bataclan, vendredi 13 novembre. Il a finalement annulé. « J’aurais dû mourir avec lui. Mais maintenant, je me dois de vivre pour lui », souffle-t-il. Ce grand frère, dont il était si proche, Raphaël n’a cessé de le suivre depuis leur enfance à Romans-sur-Isère (Drôme). D’abord à Grenoble, où il est entré à l’Institut d’études politiques en 1995, puis à Lyon, lorsqu’il a commencé à travailler. Seule parenthèse : six mois en Irlande, la patrie de Bono, pour finir sa thèse sur le rôle des médias dans le conflit nord-irlandais. Finalement, Raphaël avait déménagé à Paris, en 2005, après son embauche comme rédacteur dans une société d’événementiel, Ubiqus. « L’avantage, c’est qu’il pouvait faire tous les concerts », glisse Christophe. La musique soudait aussi son cercle d’amis. Marine, donc, Anne, Orianne, Nadège, Damien, Bertrand, Fred et Alex, un groupe de « neuf inséparables » qui se sont rencontrés sur les bancs de Sciences Po, il y a maintenant vingt ans. Et qui n’ont cessé de se revoir depuis, pour des concerts, forcément, mais aussi des anniversaires, des mariages, des déménagements, des vacances. A chacune de ces retrouvailles, « on lui demandait toujours de prendre sa guitare, et on reprenait ensemble nos trois chansons emblématiques : One de U2, Wonderwall d’Oasis et Immortality de Pearl Jam », racontent Alex et Orianne. Car Raphaël était guitariste depuis l’âge de 14 ans. Il avait intégré un groupe à Paris, les Présidents du vice. « Souvent introverti, il aimait pourtant le frisson de la scène quand il avait sa guitare à la main », dit Anne. Aux chansons d’Anna Calvi, de Nirvana ou de Radiohead, « Raph » ajoutait d’autres passions : la lecture, celle des polars et des comics de préférence, les films, depuis ceux de Ken Loach jusqu’au dernier James Bond, et les sketchs des Nuls, dont il connaissait les moindres répliques. « Il était très curieux, intelligent et cultivé, à l’humour très fin, en plus d’être foncièrement généreux, attachant et sensible », disent Christophe, Marine et Nadège. Célibataire, Raphaël adorait les enfants. « Il aurait fait un père génial, si le destin lui en avait laissé le temps. » p audrey garric 16 | international 0123 MARDI 24 NOVEMBRE 2015 Une patrouille de l’armée malienne à Bamako, le 22 novembre. SAMUEL GRATACAP POUR « LE MONDE » Mali : incertitudes sur les auteurs de l’attaque Derrière la prise d’otages du Radisson plane l’ombre du djihadiste Iyad Ag Ghali, cible prioritaire des Français bamako - envoyé spécial L a vie n’a pas tardé à reprendre ses droits à Bamako, mais il y a toujours des corps et des esprits en souffrance. Depuis son lit d’hôpital, Ali Yazbeck, le cou et le dos percé par deux balles, livre ses pensées d’une voix blanche : « Dans ma tête, je ne fais que voir les blessés. Dieu soit loué, je suis vivant. » Ce pâtissier de l’Hôtel Radisson Blu, un établissement luxueux, fréquenté par des hommes d’affaires, des diplomates, des équipages de compagnie aérienne et la bourgeoisie locale, est un miraculé. Alors que le petit commando djihadiste venait de pénétrer aux environs de 7 heures du matin dans le hall d’entrée en mitraillant clients et employés, il a tout d’abord tenté de mettre à l’abri ceux qui étaient venus prendre leur petit déjeuner au premier étage. « On a traversé la cuisine pour aller au niveau de l’ascenseur pour descendre au sous-sol, raconte-t-il. Un terroriste nous a trouvés là. Il m’a d’abord tiré dessus, puis il a visé des Blancs, des Chinois, des Arabes avant de partir. » Ce n’était qu’un répit. « Blessé, j’ai été me réfugier avec deux serveuses dans le bureau. Le terroriste nous a retrouvés. J’ai fait comme si j’étais mort, mais Sarah a paniqué. Elle a pris deux balles, mais n’est pas morte. Awa, elle, a été tuée. Il n’a jamais rien dit. Il a seulement tiré. » Puis, Ali Yazbeck décrit une scène stupéfiante où le tireur, « noir et très mince », s’est dirigé vers la cuisine pour se faire griller un morceau de viande, le manger avant d’ouvrir le gaz des cuisinières et repartir poursuivre son massacre. D’après le dernier bilan officiel, vingt-deux personnes – quatorze étrangers, six Maliens et deux assaillants non encore identifiés lundi matin – ont trouvé la mort à la suite de l’attaque menée vendredi 20 novembre. Selon les témoignages recueillis auprès des survivants, les exécutants de l’opération semblent n’avoir jamais été dans une logique de prise d’otages. Leur objectif était de faire le maximum de morts, et la plupart des victimes ont été abattues entre le hall d’entrée et le premier étage, où se trouve le restaurant. Cette version contredit la revendication faite par le groupe djihadiste Al-Mourabitoune, dirigé par Mokhtar Belmokhtar – maintes fois annoncé mort, mais dont le ministre français de la défense a confirmé, dimanche sur Europe 1, qu’il avait échappé en juin à un bombardement de l’armée américaine en Libye. Rivalité régionale avec l’EI Des interrogations demeurent. Combien de djihadistes ont participé à l’attaque ? Officiellement, les « deux terroristes », qui n’avaient pas 20 ans, ont été tués dans l’assaut mené conjointement par les forces de l’ordre maliennes, la force de réaction rapide de la Mission de l’ONU au Mali (Minusma), quatre gendarmes et policiers français, des forces spéciales américaines et une cinquantaine de soldats des forces spéciales françaises dépêchés en urgence depuis Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso. Des témoins qui se trouvaient autour du Radisson Blu au moment de l’arrivée des djihadistes affirment pour leur part avoir vu au moins quatre hommes en arme. Parlaient-ils anglais comme le disent plusieurs clients reclus dans leur chambre ou bien dans la tourmente ceux-ci ont-ils confondu des instructions données par des forces de l’ordre venues les libérer ? Il est avéré, en revanche, que lorsque le nord du Mali était sous contrôle djihadiste, avant le déclenchement de l’opération française « Serval » en janvier 2013, des Nigérians ont rejoint les rangs des combattants islamistes. D’après l’ex-chef des services de renseignement maliens Soumeylou Boubèye Maïga, « il y a déjà quelques années, un axe Kidal (dans le nord du Mali)-KanoKaduna-Katsina (dans le nord du Nigeria) avait été mis en évidence ». Selon lui, l’étanchéité entre les différents groupes concurrents au sein d’Al-Qaida s’efface dans la bande sahélo-saharienne. Une information corroborée par d’autres sources bien informées sur les questions de lutte antiterroriste. La rivalité régionale avec l’Etat islamique peut être l’un des moteurs de cette évolution. « Les coups qu’ils ont reçus dans le nord du Mali les ont désorganisés, alors ils doivent montrer qu’ils sont encore capables de frapper. D’autant qu’ils ont les mêmes cibles : le gouvernement, les Occidentaux, les musulmans qu’ils considèrent comme mécréants et l’accord de paix signé à Alger [entre les autorités et les groupes armés du Nord regroupés au sein de la Coordination des mouvements de l’Azawad] », analyse par ailleurs M. Maïga. Une source officielle française considère que la revendication d’Al-Mourabitoune, le groupe dirigé par Mokthar Belmokhtar, af- « [Les djihadistes] doivent montrer qu’ils sont encore capables de frapper » SOUMEYLOU BOUBÈYE MAÏGA ex-chef des services de renseignement maliens firmant avoir perpétré cet attentat « en coordination avec nos frères au sein d’AQMI », Al-Qaida au Maghreb islamique, « peut être lu comme un signe de rapprochement avec Iyad Ag Ghali [le leader d’Ansar Eddine, affilié à AQMI]. Avec le nombre d’hommes qu’on leur a tué, c’est logique, car leurs ressources sont en attrition ». Dimanche soir, le dernier né des mouvements djihadistes au Mali, le Front de libération du Macina (FLM), dont les bases se situent dans le centre du pays, a ajouté sa revendication en transmettant à RFI et l’AFP un communiqué affirmant qu’il avait agi « avec la colla- boration d’Ansar Eddine » et que trois de ses combattants sont « sortis sains et saufs » de l’attaque. Quelques heures plus tôt, AlMourabitoune avait transmis à Al-Jazira un second communiqué affirmant pour sa part que « seules deux personnes ont mené l’opération (…), Abdel Hakim Al-Ançari et Moâdh Al-Ançari », des surnoms qui suggéreraient que les deux hommes sont maliens. Insaisissable Au-delà de ces divergences qui pourraient être un moyen de brouiller les pistes, ces deux communiqués viennent confirmer le rôle majeur que continue de jouer Iyad Ag Ghali dans le combat djihadiste au Mali. Figure centrale des rébellions dans le nord du pays depuis vingt-cinq ans, ce notable du clan des Ifoghas, l’aristocratie touareg, connu pour être un amateur de whisky avant de verser dans l’islamisme radical, demeure aussi insaisissable qu’influent. Opposé au processus de paix signé à Alger, son ombre plane sur le FLM, qui a mené une série d’attaques ces derniers mois dans le centre mais aussi le sud du pays, démontrant que les opérations djihadistes sont désormais en mesure de frapper l’ensemble du territoire malien. Leur leader, Amadou Koufa, est l’un de ses proches et les soldats français déployés désormais dans le cadre de l’opération régionale « Barkhane » ont arrêté à plusieurs reprises ces derniers temps des petites mains d’Ansar Eddine chargées d’apporter des fonds au FLM. Officieusement, la France a fait d’Iyad Ag Ghali sa cible prioritaire à abattre, l’essentiel de ses lieutenants ont été éliminés, mais lui continue de circuler discrètement entre sa région natale de l’Adrar des Ifoghas et le sud de l’Algérie, où il a installé sa famille dans la ville de Tinzaouatène. Selon plusieurs sources, les services de renseignement algériens continuent de le protéger, estimant que le chef d’Ansar Eddine demeure un acteur incontournable pour une paix durable au Mali. p cyril bensimon Alger vante le processus de paix, « instrument » de l’antiterrorisme principale médiatrice du processus de paix au Mali, l’Algérie comptait sept ressortissants, qui s’en sont sortis sains et saufs, à l’intérieur de l’hôtel Radisson Blu de Bamako, lorsque l’attaque contre l’établissement a débuté vendredi 20 novembre. Six d’entre eux étaient là pour animer une nouvelle réunion du comité de suivi de l’accord d’Alger dans la capitale malienne. « Des réunions internationales auxquelles participent les parties signataires mais aussi celles qui œuvrent à la médiation », a rappelé le ministre algérien des affaires étrangères, Ramtane Lamamra, samedi matin. Signé le 20 juin, après des mois de négociations, l’accord de paix dit d’« Alger » réunit le pouvoir central malien (et ses alliés) et les groupes armés du Nord réunis au sein de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) autour d’une série de mesures qui doivent permettre d’en finir avec la crise dans le nord du Mali. Celle-ci avait éclaté en 2012 et permis à des groupes djihadistes de s’implanter dans la zone. « Capacité de nuisance » L’attaque contre le Radisson Blu a été d’abord revendiquée par le groupe djihadiste Al-Mourabitoune, le même qui avait mené la prise d’otages sanglante contre le site gazier d’In Amenas en janvier 2013 sur le sol algérien, « avec la participation » d’AlQaida au Maghreb islamique. Interrogé sur cette revendication, M. Lamamra reste prudent. « Des noms [de groupes] sont avancés mais ils recouvrent des réalités très mouvantes, volatiles. Ça dépend des moyens. Certains groupes ont l’argent, la logistique, ils peuvent recruter dans une autre ethnie, une autre localisation pour une opération donnée. » L’attaque peut ainsi être le fait « d’autres en liaison avec Al-Mourabitoune ». Le Front de libération du Macina a également revendiqué l’attaque, dimanche. Pour le diplomate, l’objectif était « de montrer leur capacité de nuisance ». « Ce type d’attaque leur sert à prendre une place dans la configuration de la nébuleuse terroriste internationale. » Au moment où l’Etat islamique fait parler de lui, « ils se rappellent au bon souvenir de la communauté internationale ». Pour le ministre, l’attaque de Bamako ne remet pas en cause le processus de paix. « Si on arrive à mettre en place les dispositifs de défense et de sécurité de l’accord, l’Etat aura les moyens d’affirmer son autorité dans les régions du Nord » où se déploient les groupes terroristes et l’économie criminelle. Le processus est, au contraire, un « instrument de la lutte antiterroriste ». p charlotte bozonnet (alger, envoyée spéciale) international | 17 0123 MARDI 24 NOVEMBRE 2015 Mauricio Macri, président argentin de centre droit Le maire de Buenos Aires a été élu, dimanche, contre le dauphin de la présidente sortante, Cristina Kirchner buenos aires - correspondante C hangement de cap en Argentine, où Mauricio Macri a remporté l’élection présidentielle, à l’issue du second tour de scrutin, dimanche 22 novembre. A la tête d’une coalition de centre droit qui se présente comme le changement, M. Macri a été élu avec 51,4 % des suffrages contre 48,6 % pour le péroniste Daniel Scioli, dauphin de la présidente Cristina Kirchner. C’est le crépuscule de douze ans d’un pouvoir absolu des Kirchner, mais aussi une brèche dans l’hégémonie du péronisme depuis soixante-dix ans. Le nouveau président prendra ses fonctions le 10 décembre. Sous des pluies de ballons multicolores, M. Macri, col de chemise ouvert, a fêté « un jour historique, un changement d’époque », dansant sur fond de cumbia. Il a promis « une pauvreté zéro, la guerre contre le narcotrafic et l’union de tous les Argentins ». M. Scioli a rapidement reconnu sa défaite et félicité son rival, avec lequel il avait des relations amicales depuis leur enfance. A 56 ans, Mauricio Macri rompt avec la tradition des anciens présidents argentins, tous avocats de formation, qui se sont succédé depuis le retour de la démocratie en 1983. Il est ingénieur. Il connaît le monde des affaires et a travaillé avec son père, Franco Macri, l’un des plus riches industriels argentins. Il a été le président du club de football Boca Juniors, le plus populaire du pays (1995-2008). Il s’est ensuite lancé dans la politique en fondant en 2005, son parti, Proposition républicaine (PRO, droite). En 2007, il a été élu maire de Buenos Aires. Il était toutefois considéré comme un outsider peu charismatique, avec une gestion controversée de la capitale. « Homme des fonds vautours » M. Macri a fait campagne dans les provinces pauvres et les bidonvilles, cherchant à rompre avec son image de fils à papa. Il a réussi à construire une coalition allant de sa formation PRO à l’Union civique radicale (UCR, centre gauche), le parti le plus ancien d’Argentine, en passant par la Coalition civique d’Elisa Carrio, une dissidence de l’UCR. Un des principaux atouts de Mauricio Macri a été la victoire surprise du PRO dans la province de Buenos Aires, fief historique du péronisme, qui rassemble près de 40 % des 42 millions d’Argentins, où Maria Eugenia Vidal l’a emporté sur le candidat officiel au premier tour, le 25 octobre. Pour la première fois dans l’histoire, les Argentins se sont rendus aux urnes pour un second tour. Ce scrutin avait été précédé par un autre événement inédit, le 15 novembre, le débat télévisé entre les deux candidats à la présidence (le péroniste avait refusé le débat du premier tour). Pendant la campagne, M. Scioli a présenté M. Macri comme « un libéral, homme du Fonds monétaire international et des fonds vautours, l’homme qui [allait] ramener l’Argentine au passé, à l’austérité en supprimant les subventions et les aides sociales en faveur des plus démunis ». « Cette campagne de la peur a échoué », estime le politologue Rosendo Fraga, qui explique en grande partie le résultat de cette élection par « un rejet » du style « autoritaire » de la présidence de Cristina Kirchner. « Il y a un sentiment de soulagement pour le « Il y a un sentiment de soulagement pour le changement attendu » ALEJANDRO KATZ analyste changement attendu », ajoute l’analyste Alejandro Katz. M. Macri hérite toutefois d’une situation difficile. L’économie tourne au ralenti depuis cinq ans, les caisses de la banque centrale sont presque vides, les réserves s’élèvent à 26,2 milliards de dollars contre 52 milliards en 2011. L’inflation dépasse les 25 % par an. Au Congrès, il ne disposera pas de majorité présidentielle. Des centaines de membres de la Campora, le mouvement de jeu- nes militants fondé par Maximo Kirchner, le fils de la présidente, se sont rassemblés dimanche soir sur l’emblématique place de Mai, face au palais présidentiel. « Nous sommes déjà dans la résistance », a prévenu le député Andrés Larroque, chef de la Campora. Jusqu’au dernier moment, Mme Kirchner a multiplié les nominations de militants dans les ministères. Fin du kirchnérisme ? Reste à savoir si l’élection de M. Macri signifie la fin du kirchnérisme, voire du péronisme. Mme Kirchner n’a pratiquement pas fait campagne en faveur de M. Scioli, qu’elle avait désigné pour lui succéder, mais qui n’appartient pas à son entourage. A tel point que certains analystes l’ont soupçonnée d’avoir misé sur une victoire de M. Macri, afin de s’affirmer comme la chef de l’opposition, avec la présidentielle de 2019 en Attaque en Turquie contre M. Demirtas Le leader kurde croit, malgré tout, à la reprise du processus de paix entre Ankara et le PKK istanbul - correspondante S elahattin Demirtas, le coprésident du Parti de la démocratie des peuples (HDP, gauche, pro kurde), a été visé par un tir alors qu’il circulait en voiture, dimanche 22 novembre à Diyarbakir, la principale ville kurde au sud-est de la Turquie. La balle a touché la vitre arrière de la voiture blindée sans l’atteindre. C’est en sortant de sa voiture que le politicien et ses gardes du corps ont vu l’impact. Le véhicule a aussitôt été confié à la police pour les besoins de l’enquête. La police criminelle a constaté l’impact, mais a estimé qu’il ne s’agissait pas du résultat d’un tir. Les militants du HDP ont récemment été ciblés par trois attentats kamikazes – à Diyarbakir le 5 juin (4 morts), à Suruç le 20 juillet (34 morts), à Ankara le 10 octobre (102 morts). Les trois attentats ont été attribués à l’organisation Etat islamique (EI), sans qu’aucune revendication n’ait jamais été formulée. Mais M. Dermirtas considère que les fondamentalistes islamistes ne sont pas ses seuls ennemis. « Nous recevons régulièrement des menaces d’assassinat de la part des services [de renseignement turcs] qui espèrent ainsi nous déstabiliser, nous décourager. Je vis cela depuis vingt-cinq ans. Plusieurs de mes amis ont perdu la vie, mais je n’ai pas peur ni d’être tué ni d’être attaqué », avait confié au Monde le leader kurde le 10 novembre à Diyarbakir. Inconnu du large public il y a encore peu, M. Demirtas, 42 ans, est devenu l’un des politiciens les plus en vue de la scène politique turque depuis les élections du 7 juin 2015. Pour la première fois, le HDP avait réussi à franchir le seuil des 10 % et à faire entrer 80 députés au Parlement turc. Le président islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan s’était empressé de réclamer « une répétition » du scrutin. Le HDP a réitéré un bon score (10,8 %, 59 députés) lors des législatives du 1er novembre, même si un million de Kurdes ont alors choisi de donner leur voix au Parti de la justice et du développement (AKP), au pouvoir depuis 2002. Le jeune politicien, joueur de saz (instrument traditionnel à cordes) à ses heures, a su transformer son parti, ancienne vitrine de la guérilla du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), en un parti de type européen, qui promeut la parité femmes-hommes et défend les droits des minorités, notamment sexuelles. « C’est une question de principe », insiste-t-il. « Reprise des pourparlers » L’avocat porte haut les espoirs d’un règlement pacifique de la question kurde. Pourtant, les pourparlers, entamés en 2012, ont été interrompus en juillet et la guerre a repris entre les rebelles kurdes du PKK et l’Etat turc. M. Demirtas veut croire « à la reprise des pourparlers. Nous y sommes favorables, à trois conditions : l’arrêt des hostilités des deux côtés ; la reprise du processus de négociations ; la désignation d’une tierce partie, qui fera office de médiatrice et de garante du processus de paix ». Le combat des Kurdes de Turquie (15 % de la population) pour la reconnaissance de leurs droits l’a marqué dès sa jeunesse : « A l’époque, le Parti populaire du travail défendait les intérêts des Kurdes. Le représentant du parti à Diyarbakir, Vedat Aydin, a été enlevé par la contre-guérilla. Trous jours plus tard, le 7 juillet 1991, son corps horriblement mutilé a été retrouvé dans un champ. Ses obsèques ont eu lieu pas loin de chez nous à Diyarbakir. J’y suis allé et je me suis retrouvé au beau milieu du cortège. Et voilà que nous essuyons des tirs. Je regarde : autour de moi je vois des dizaines de morts, des centaines de blessés et les gens qui continuent à marcher. Depuis ce jour, je continue à marcher. » p marie jégo dondusang.net ligne de mire. Mme Kirchner ne pouvait briguer un troisième mandat consécutif, mais sera éligible dans quatre ans. Le futur politique de Cristina Kirchner dépendra du rôle que pourrait jouer la justice. La famille Kirchner et plusieurs de ses collaborateurs sont impliqués dans des scandales de corruption. Des juges ont commencé à rouvrir des dossiers brûlants, notamment une affaire de blanchiment d’argent à travers une chaîne d’hôtels de luxe en Patagonie, appartenant aux Kirchner. « Le kirchnérisme a été une maladie passagère », affirme Julio Barbaro, dirigeant historique du péronisme. Ancien haut fonctionnaire des Kirchner avant de rompre avec eux, M. Barbaro se réjouit « d’un retour à la démocratie ». A son avis, « le péronisme va se réorganiser avec de nouveaux leaders », en dépit de la saveur amère de la défaite. p christine legrand 18 | planète 0123 MARDI 24 NOVEMBRE 2015 Climat : la France cherche l’appui des émergents A une semaine de la COP21, Laurent Fabius essaye de lever l’opposition historique entre Nord et Sud PARIS CLIMAT 2015 sao paulo, new delhi correspondants Inde, Afrique du Sud, Brésil. A une semaine de l’ouverture de la conférence des Nations unies sur le climat (COP21), Laurent Fabius a effectué, du 20 au 22 novembre, un ultime tour du monde pour tenter de sécuriser les négociations climatiques. Ces trois pays émergents sont l’une des clés des débats présidés cette année par la France. L’Inde est le troisième pollueur mondial. « L’Afrique du Sud est un acteur majeur de la COP21, à la fois par son importance propre, par sa position au sein de l’Union africaine et aussi parce qu’elle est à la tête du G77 », a expliqué, samedi 21 novembre à Pretoria, le ministre français des affaires étrangères. Le groupe dit « G77 + Chine », qui réunit à lui seul 133 pays en développement et la Chine, exerce un pouvoir d’influence décisif dans les négociations sur le climat. Quant au Brésil, il est le premier responsable de la déforestation, qui participe au réchauffement, les surfaces boisées constituant d’indispensables puits de carbone. Avec la Chine, où le chef de la diplomatie française s’est rendu en compagnie du chef de l’Etat début novembre, c’est l’ensemble des BASIC qui a reçu la visite de M. Fabius. Une série de visites programmées avec « l’idée de multiplier les déplacements, en plus des réunions multilatérales, et Isabelle CARRÉ d’aider au dialogue entre les acteurs », précise-t-on dans l’entourage du ministre. Au sommet du G20, les 15 et 16 novembre à Antalya (Turquie), le dialogue avait été tendu entre les 20 pays les plus riches sur le dossier climatique. Il avait fait resurgir l’opposition frontale entre pays développés et pays émergents qui minent les négociations depuis la première COP, à Berlin en 1995. Au nom de la responsabilité historique des pays du Nord dans les émissions de gaz à effet de serre et du droit au développement des pays du Sud, il incombe aux premiers de porter la plus grande part du fardeau dans l’action contre le réchauffement. Le G20 s’est achevé par une déclaration a minima, ne reprenant l’objectif de limiter le réchauffement à 2 °C qu’après des discussions acharnées, notamment avec l’Arabie saoudite et l’Inde. « Des principes contraignants » Samedi 21 novembre, en quittant New Delhi, Laurent Fabius a affirmé que le premier ministre indien, Narendra Modi, s’engageait « sans ambiguïté » sur cet objectif. Les deux pays divergent cependant sur son aspect contraignant. La France a rappelé que l’accord « comportera des principes contraignants ». L’Inde est plus sceptique. « Insister pour qu’un accord soit contraignant, c’est pousser les Etats à revoir à la baisse leurs ambitions puisqu’ils voudront minimiser les risques », estime Chandrashekhar Dasgupta, membre Karin VIARD Au sommet du G20, le dialogue avait été tendu entre les 20 pays les plus riches du Conseil sur le changement climatique auprès du premier ministre indien. Autre point de crispation, le financement de la lutte contre le réchauffement. M. Modi réclame un transfert de technologie et une aide financière des pays du Nord. Dans sa contribution publiée le 1er octobre, New Delhi a rappelé que l’adaptation au dérèglement climatique lui coûterait 2 300 milliards de dollars au cours des quinze prochaines années. « La technologie peut changer le climat pour le meilleur, nous devons la rendre disponible dans les pays en développement. La coopération technologique et sa disponibilité à un prix abordable sont des enjeux principaux », a récemment expliqué le ministre de l’environnement, Prakash Javadekar, au quotidien indien Business Standard. « L’Inde comme l’Afrique du Sud ont réaffirmé qu’elles souhaitaient un succès de la conférence de Paris, se rassure l’entourage de Laurent Fabius. Ces pays ne veulent pas être ceux qui ont dit non [à un accord universel sur le climat]. » « J’ai dit au président Zuma qu’il y avait deux grands défis au XXIe siècle, le André DUSSOLLIER terrorisme et le changement climatique, a précisé depuis Pretoria le ministre français des affaires étrangères. Je vois un signe extrêmement fort dans le fait qu’aucun des 140 chefs d’Etat qui devaient venir ne s’est désisté et, au contraire, certains qui ne nous avaient pas encore répondu nous ont dit qu’ils allaient venir car il ne faut pas céder devant le terrorisme. » « Un acteur historique » Parmi ces 140 dirigeants attendus le 30 novembre pour l’ouverture de la COP21 figure la présidente brésilienne, Dilma Rousseff. Paris entend s’appuyer sur le géant d’Amérique latine pour convaincre les pays émergents d’accentuer leurs efforts. « La voix du Brésil est très écoutée », explique une source diplomatique française à Brasilia. Le Brésil, a rappelé M. Fabius lors d’une conférence de presse, est « un acteur historique des négociations climatiques », mentionnant le succès du Sommet de la Terre à Rio en 1992. Le pays s’est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 37 % d’ici à 2025 et de 43 % d’ici à 2030 par rapport au niveau de 2005 en promettant d’éradiquer la déforestation illégale avant les quinze prochaines années. Un objectif jugé irréaliste par certaines ONG comme Greenpeace. A une semaine du coup d’envoi de la COP21, 170 des 195 Etats de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), représentant plus de 90 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, ont officialisé leurs engagements. « C’est un signal politique important », souligne-t-on dans l’équipe française de négociations, qui scrute aussi l’agenda présidentiel. Vendredi 27, après un hommage aux victimes des attentats du 13 novembre aux Invalides, François Hollande se rendra au sommet du Commonwealth à Malte, où il devrait discuter avec le nouveau premier ministre du Canada, Justin Trudeau, qu’il retrouvera à déjeuner à l’Elysée dimanche. Le 29 au soir, c’est le président chinois, Xi Jinping, qui viendra s’asseoir à la table du chef de l’Etat. Laurent Fabius se tiendra par ailleurs informé des réunions de coordination des groupes de négociations qui doivent se succéder à l’Unesco, à Paris, à partir du lundi 23 novembre. Samedi, une réunion de tous les chefs de délégation devrait se tenir autour du futur président de la COP afin de préciser la méthode de travail suivie pendant la conférence. Maintenir la COP21 est une « nécessité absolue », car « si nous n’arrivons pas à régler la question du changement climatique, la vie sur la planète sera invivable », a jugé ce dernier. « Ce sera aussi une conférence pour la coopération et pour la paix, insiste une source diplomatique. Elle se tiendra dans un contexte particulier, c’est tout de même la première fois qu’une COP est organisée dans un pays soumis à l’état d’urgence. » p VERBATIM « Je crois qu’il est absolument vital que chaque pays, chaque dirigeant, envoie le message selon lequel la sauvagerie d’une poignée de tueurs n’empêchera pas le monde de s’atteler à des questions vitales » « En plus de pourchasser les terroristes, en plus de renseignements efficaces, en plus des frappes de missiles, en plus de tarir les sources de financement, (…) l’outil le plus puissant dont nous disposons pour combattre le “groupe Etat islamique [EI]” est de dire que nous n’avons pas peur. » Barack Obama, le président américain, assistait dimanche 22 novembre, à Kuala Lumpur à un sommet des dix pays membres de l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (Asean). Il a confirmé qu’il serait à Paris pour l’ouverture de la COP21, lundi 30 novembre, et a appelé les dirigeants de tous les pays à l’imiter pour montrer que le monde n’a pas peur des « terroristes ». claire gatinois, julien bouissou et simon roger (à paris) L‘Inde, acteur-clé des négociations, ne renoncera pas à son développement Troisième émetteur de gaz à effet de serre de la planète, le pays mise sur le solaire et compte sur l’aide financière des pays industrialisés new delhi - correspondance P Un film de Arnaud et Jean-Marie LARRIEU Les plaisirs sont faits pour être partagés. LE 25 NOVEMBRE our soutenir sa croissance, qui a déjà dépassé celle de la Chine cette année, l’Inde va connaître la plus forte hausse de consommation d’énergie dans le monde au cours des prochaines décennies. Si, comme l’a déclaré Prakash Javadekar, le ministre indien de l’environnement, « l’Inde ne fait pas partie du problème », elle pourrait bientôt le devenir. Elle est déjà le troisième émetteur de gaz à effet de serre de la planète, alors que 363 millions d’habitants vivent sous le seuil de pauvreté et que 240 millions n’ont pas accès à l’électricité. Les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de 67 % entre 1990 et 2012 et, si rien n’est fait, elles devraient presque doubler d’ici à 2030. « Justice climatique » Comment concilier développement et lutte contre le changement climatique ? L’Inde mise sur l’essor des énergies propres, tout en réclamant une aide financière et technologique des pays développés. Dans sa contribution, rendue le 1er octobre en vue de la COP21, New Delhi détaille les moyens à mettre en œuvre pour lutter contre le réchauffement, notamment augmenter la part des sources d’énergies non fossiles à hauteur de 40 % de sa production d’électricité d’ici à 2030. Les efforts se concentrent sur le solaire, avec comme objectif de parvenir à une production de 100 GW d’ici à 2022, soit 25 fois sa capacité actuelle. L’Inde détient quelques atouts, comme un tarif électrique déjà élevé, notamment pour les industries, qui rend l’énergie solaire compétitive, et un mar- « Le réchauffement climatique complique les efforts pour lutter contre la pauvreté » LA BANQUE MONDIALE ché potentiel considérable grâce à son ensoleillement. « Les objectifs sont très élevés mais le gouvernement a voulu envoyer un signal en direction des investisseurs sur le potentiel du marché », estime Arunabha Ghosh, le directeur du Conseil sur l’énergie, l’environnement et l’eau (CEEW), un think tank basé à New Delhi. Le premier ministre indien Narendra Modi a d’ailleurs annoncé, lors du sommet Inde-Afrique qui s’est tenu dans la capitale indienne fin octobre, la création d’une grande alliance solaire regroupant plus de 100 pays, d’où la ville compte bien émerger comme la capitale mondiale des énergies renouvelables. En affichant de fortes ambitions et les solutions pour y parvenir, l’Inde entend démontrer sa sincérité dans son combat contre le changement climatique. Encore faut-il les financer. C’est sur ce point que New Delhi en appelle à la responsabilité des pays développés. Pour mettre les pays riches en face de leurs responsabilités, M. Modi redéfinit la nature de la menace. « On doit passer d’un discours sur le changement climatique à celui sur la justice climatique », a-t-il déclaré début septem- bre. Si les pays développés ont une responsabilité historique dans la situation actuelle, comme le rappellent sans cesse les négociateurs indiens, les pays les moins riches sont parmi les plus vulnérables, à l’instar de l’Inde. Avec la hausse des températures, les précipitations pendant la mousson seront plus abondantes et de courte durée, mettant en danger la production agricole du pays, la fonte des glaciers de l’Himalaya aggravera les risques de crue dans la plaine du Gange, et les cyclones seront plus nombreux à balayer la côte est du pays. Les pauvres en subiront les conséquences les plus dramatiques, parce qu’ils n’ont pas les ressources suffisantes pour s’adapter ou reconstruire après une catastrophe naturelle et qu’ils vivent sur les terres les moins chères et les plus exposées. « Le réchauffement climatique complique les efforts pour lutter contre la pauvreté », a reconnu en février la Banque mondiale. Les coûts du réchauffement seront sociaux, économiques et environnementaux. L’Inde évalue ces pertes à 1,8 % de son PIB annuel jusqu’en 2050. Malgré ses ambitions dans les énergies renouvelables, l’Inde n’est pas prête à sacrifier sa consommation de charbon, l’une des sources de production d’électricité les plus économiques, qui devrait doubler d’ici à 2035. Tout juste promet-elle d’utiliser des technologies propres dans ses centrales à charbon. Comme l’a reconnu Ashok Lavasa, l’un des négociateurs indiens sur le climat, dans le quotidien indien Business Standard, le 4 novembre : « La priorité de l’Inde est celle du développement. » p j. bo. france | 19 0123 MARDI 24 NOVEMBRE 2015 La torpille était chargée de cocaïne Sept hommes comparaissent devant le tribunal correctionnel de Marseille pour trafic de drogue marseille – correspondant L es narcotrafiquants rivalisent d’imagination pour importer la cocaïne en Europe. Le procès de l’affaire « Torpille », qui se tient du lundi 23 novembre au 30 novembre devant le tribunal correctionnel de Marseille, illustre cette ingéniosité. En avril 2013, l’équipe de délinquants chevronnés s’apprêtait à récupérer dans le port de Rotterdam un long tube d’acier contenant 101 kg de cocaïne. La « torpille » était soudée, sous la ligne de flottaison, à l’arrière de la coque du Laguna-D, un chimiquier néerlandais en provenance du Venezuela, via l’île de Curaçao. Marc Armando, tête pensante de l’opération, Lofti Bengadim et Samir Laribi avaient été arrêtés à proximité du navire. Ils étaient en possession d’un impressionnant matériel de plongée professionnelle, dont deux propulseurs pour se déplacer sous l’eau et deux parachutes de levage, chacun permettant la remontée d’une charge d’une centaine de kilos. Suffisant pour ramener à la surface ce tube d’acier de trois mètres de long et trente centimètres de diamètre contenant 79 paquets de drogue. D’autres interpellations avaient eu lieu en Corse et dans les Alpes-Maritimes. Depuis une dizaine de mois, cette bande de Corses et de Niçois ne quittait pas les radars des magistrats de la juridiction interrégionale spécialisée de Marseille. Le 17 juin 2012, à 3 heures du matin, des gendarmes maritimes étaient intervenus, en pleine « séance de répétition générale ». Les militaires avaient été alertés après le sauvetage d’un plongeur en perdition dans les remous d’un pétrolier accostant dans la darse sud du port de Fos-sur-Mer. « Partie de pêche entre amis » L’analyse de son passé judiciaire et de celui des trois hommes qui l’accompagnaient dans ce qu’ils présentaient comme « une partie de pêche entre amis » mettait la puce à l’oreille. Tous avaient déjà été condamnés, dont l’un dans l’affaire du braquage de la fonderie d’or Metalor, en Suisse, en janvier 2004, perpétré par une équipe corse. Les 668 kg d’or dérobés n’ont jamais été retrouvés et, dans un premier temps, les enquêteurs ont imaginé que cette « partie de pêche » avait un lien avec un possible transport du butin depuis ou vers l’île de Beauté. L’analyse des deux propulseurs utilisés par les plongeurs – saisis par les gendarmes maritimes dans le cadre d’une procédure pour braconnage – permettait alors de remonter jusqu’à Marc Armando, le cerveau du casse de la Banque de France de Toulon en 1992. Considéré comme le chef d’orchestre de l’opération « Torpille », Marc Ar- L’HISTOIRE DU JOUR Le Sénat vote la suppression de la « taxe tampon » P our les sénateurs, les tampons sont des produits de première nécessité. Contre l’avis du gouvernement mais pour le plus grand soulagement de plusieurs associations féministes, le Sénat – majoritairement à droite – a voté samedi 21 novembre la baisse de la TVA sur les protections périodiques de 20 % à 5,5 %. Depuis des mois, des groupes comme Georgette Sand ou Fières réclamaient cette baisse. Des amendements avaient déjà été déposés en ce sens lors de l’examen en première lecture du projet de loi de finances (PLF) 2016 à l’Assemblée nationale, en octobre. Mais le secrétaire d’Etat au budget, Christian Eckert, s’était opposé à la mesure, préjugeant mal de la portée symbolique de sa position, alors que le gouvernement se veut actif en matière de défense des droits des femmes. Depuis, les associations féministes ont redoublé d’efforts dans leur lobbying contre la « taxe tampon », n’hésitant pas à envoyer une centaine de culottes maculées de (faux) sang à l’Elysée, ainsi qu’à des ministres et à de nombreux élus. Elles ont trouvé un écho favorable à la Chambre basse où sept amendements ont été déposés par des élus de tous bords. Samedi LA BAISSE DE LA TVA 21 novembre, lors de l’examen du PLF, le Sénat a ainsi entériné la supREPRÉSENTERAIT pression de la « taxe tampon ». Le budget doit cependant repasser deUN MANQUE vant l’Assemblée nationale pour une À GAGNER D’ENVIRON seconde lecture. La baisse de la TVA sur les protec50 MILLIONS D’EUROS tions périodiques représenterait un manque à gagner d’environ 50 milPOUR L’ÉTAT lions d’euros pour les caisses de l’Etat. « L’argument budgétaire est assez indigne, considère Chantal Jouanno (UDI), présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat. On parle de sommes qui ne sont pas considérables, d’autant que, dans le même PLF, on acte l’abandon du projet d’écotaxe pour lequel on va devoir indemniser l’entreprise Ecomouv’ à hauteur de 900 millions d’euros. » Pendant l’examen au Sénat, André Gattolin (EELV) a estimé qu’il y a un risque d’infection pour les femmes « les plus pauvres » avec une TVA à 20 % sur ces produits, les poussant à « en utiliser moins, ou [à] les garder plus longtemps ». Selon Evelyne Yonnet (PS), chaque femme dépense entre 1 500 et 2 000 euros dans une vie en protections hygiéniques : « Si la TVA baissait, elles gagneraient 60 centimes par boîte. » p julia pascual La torpille chargée de 79 sachets de cocaïne récupérée en avril 2013 dans le port de Rotterdam. DR mando s’est suicidé à son arrivée à la prison des Baumettes, quelques heures après sa mise en examen, le 3 mai 2013. « Je préfère garder le silence, le temps de me remettre un peu », avait-il simplement déclaré au juge d’instruction lors de son interrogatoire. Le volet hollandais de l’enquête et l’audition du commandant du navire néerlandais transportant des produits chimiques entre les ports européens et les Caraïbes semble établir que la torpille avait été accrochée à la coque le 26 mars 2013, à Punta Camacho, un port vénézuélien. « La soudure d’une pièce de ce genre nécessite énormément de courant, qui ne peut provenir que du navire ou d’un câble à partir du quai », selon le capitaine. L’opération s’était déroulée à l’insu de l’équipage. Suivie sur Internet par Marc Armando, l’arrivée du Laguna-D à Rotterdam était aussi attendue par les représentants des cartels de la drogue. Le juge d’instruction a lancé un mandat d’arrêt international contre Rafael Blanco Florez, un Colombien aperçu à Rotterdam, en contact avec les Français. Installé en Colombie à la demande de Marc Armando, François-Marie Bérard, un Corse de 56 ans surnommé Kumpa, a reconnu son rôle d’intermédiaire avec des Colombiens, dont un énigmatique « El Loco » (le fou). Il espérait une commission de 40 000 à 50 000 euros : « Ça m’aurait per- mis de démarrer quelque chose de légal au village. Chez nous, en Corse, c’est la misère. Mais ça ne m’a rapporté que des maux de tête », s’est-il confié. La mort de Marc Armando a permis aux prévenus de se présenter comme des « petites mains ». « L’opération était cloisonnée. Nous, on est que des petites truelles », a ainsi déclaré Lofti Bengadim, à la tête d’une entreprise de carrelage à Biot (Alpes-Maritimes). Considéré comme la cheville ouvrière de l’opération, il s’apprêtait à plonger à Rotterdam après avoir acquis les deux propulseurs quatre ans plus tôt et repris l’entraînement. Dans ce « commando », seul Marc Armando justifiait d’un bon niveau de plongée. Après la répétition générale dans le port pétrolier de Fos-surMer, qui avait provoqué la frousse de sa vie – « un bateau est passé à côté de moi, j’ai été projeté par sa turbine et j’ai fait comme la machine à laver » –, François Lackner, alias Robby, s’était, lui, défilé. Il compte cependant parmi les sept hommes jugés à Marseille. p luc leroux J UST I C E Aymeric Chauprade visé par un mandat d’arrêt international La justice dominicaine a émis un mandat d’arrêt international contre trois Français : Aymeric Chauprade, député européen, Christophe Naudin, spécialiste de la sûreté aérienne, et Pierre Malinowski, assistant parlementaire à Strasbourg de Jean-Marie Le Pen. Ils doivent être jugés pour leur participation à l’évasion de République dominicaine de deux pilotes français condamnés à la prison dans l’affaire « Air cocaïne », a annoncé dimanche 22 novembre le ministère public. – (AFP.) Mediator : le procès s’éloigne encore Les arrêts rendus par la chambre de l’instruction vendredi 20 novembre dans l’affaire du Mediator éloignent l’espoir de la tenue rapide d’un procès pour les victimes de ce médicament coupe-faim. La chambre a rejeté toutes les demandes d’actes des avocats, et a demandé au juge de renotifier la fin de l’enquête, achevée en avril 2014. Mais, des scellés ayant été consultés en juillet 2014, « l’avis d’information du 30 avril 2014 est devenu caduc ». Conséquence de cette décision, la renotification de la fin de l’instruction ouvre un nouveau délai de trois mois au cours duquel les avocats pourront déposer des recours. Si le juge s’oppose à leurs demandes, les conseils pourront faire appel. Chaque arrêt peut par ailleurs être frappé d’un pourvoi en cassation. Le procès pourrait ne pas se tenir avant 2017. – (AFP.) « EN TOUT POINT SUPERBE ! » STUDIO CINÉ LIVE !!!! Un film de Arnaud et Jean-Marie LARRIEU LE 25 NOVEMBRE 20 | débats 0123 MARDI 24 NOVEMBRE 2015 L’écologie contre la terreur planétaire Le réchauffement climatique provoque des désordres géopolitiques, à l’image du chaos syrien. Paris, victime du terrorisme, doit faire de la COP21 une occasion de décarboner et de pacifier la planète par naomi klein et jason box P eu de temps après les horribles attaques terroristes qui ont frappé Paris le 13 novembre, nos téléphones étaient saturés de messages d’amis et de collègues. Chacun exprimait sa tristesse, mais certains avaient encore d’autres préoccupations : « Ils vont sûrement annuler la conférence sur le climat » ; « Les tambours de guerre se font entendre. Le changement climatique va passer à l’arrière-plan. » Tout cela est plausible, en effet. Si de nombreux responsables politiques font mine de s’intéresser à l’urgence existentielle de la crise climatique, il suffit qu’une autre crise plus immédiate apparaisse – une guerre, un choc sur les marchés financiers, une épidémie – pour que la question du climat soit oubliée. Au lendemain des attaques, le gouvernement français a déclaré que la COP21 se tiendrait bien à Paris, comme prévu, fin novembre. Et pourtant la police vient tout juste d’interdire les grandes marches et manifestations qui devaient être organisées, réduisant de fait au silence les voix de ceux qui sont directement affectés par ces pourparlers en haut lieu. La montée du niveau de la mer et l’extension des terres arides ont peu de chance de rivaliser avec l’intensification des opérations militaires et les appels à la fermeture des frontières. Tout cela est parfaitement compréhensible. Quand notre sécurité se trouve menacée, il est difficile de penser à autre chose. D’autres chocs de plus grande ampleur que les attaques qui ont eu lieu à Paris ont été d’affreusement bons moyens de changer de sujet. Pourquoi ne pas en décider autrement ? Plutôt que de changer de sujet, pourquoi ne pas approfondir le débat sur les transformations climatiques et élargir la gamme des solutions, qui sont fondamentales pour notre sécurité à tous ? Plutôt que d’être mis de côté au nom de la guerre, pourquoi ne pas mettre notre action pour le climat au-devant de la scène, comme le meilleur espoir de paix sur la planète ? TRANSITION ÉNERGÉTIQUE AUDACIEUSE Le lien qui existe entre le réchauffement climatique et le cycle de violences en Syrie est désormais indéniable. Comme le secrétaire d’Etat américain John Kerry l’a récemment affirmé en Virginie : « Ce n’est pas un hasard si, juste avant la guerre civile, la Syrie a connu la pire vague de sécheresse jamais enregistrée. Près d’un million et demi de personnes ont quitté les zones rurales pour les villes, ajoutant à l’instabilité politique qui venait à peine de secouer et d’embraser la région. » Comme Kerry l’a cependant fait remarquer, plusieurs facteurs ont contribué à l’instabilité de la Syrie. Parmi eux les grandes sécheresses, mais aussi les pratiques répressives d’un dictateur brutal et l’essor d’une forme particulière d’extrémisme religieux. L’invasion de l’Irak, dix ans auparavant, est un autre facteur crucial. Dans la mesure où cette guerre – et tant d’autres par le passé – était inextricablement liée à la soif occidentale de pétrole irakien (peu importe le réchauffement), cette décision fatale est devenue en retour inséparable du changement climatique. L’Etat islamique, qui a revendiqué les attentats de Paris, a trouvé un terrain fertile dans ce contexte fragile. Si l’on admet que l’instabilité du MoyenOrient s’inscrit aussi dans ce contexte, alors il n’y a aucune raison que les attaques de Paris servent à réduire encore nos engagements climatiques déjà peu adéquats. Au contraire, cette tragédie devrait susciter la réaction inverse : pousser de toute urgence à la réduction des émissions le plus rapidement et le plus drastiquement possible, en- FANNY MICHAËLIS ¶ Naomi Klein est journaliste, essayiste et militante écologique canadienne. Elle a notamment publié Tout peut changer (Actes Sud/ Lux, 540 p., 24,80 €) et La Stratégie du choc, La Montée d’un capitalisme du désastre (Actes Sud/ Leméac, 2008). ¶ Jason Box est climatologue et géographe. ex-professeur de la glaciologie à la Commission géologique du Danemark. Grand connaisseur du Groenland où il a fait plus de 20 expéditions, il est spécialiste des conséquences du réchauffement climatique sur la montée des mers courager fortement les pays en développement à faire le saut vers les énergies renouvelables et créer ainsi des emplois. Cette transition énergétique audacieuse est le seul espoir que nous ayons d’empêcher que de vastes aires du Proche-Orient ne connaissent, d’ici la fin du siècle, comme le prévoit un récent article paru dans la revue Nature Climate Change, « des températures si élevées qu’elles seront intolérables pour les êtres humains ». Mais cela encore n’est pas suffisant. Les plus importantes réductions d’émissions peuvent seulement ralentir le changement climatique. Elles ne peuvent pas effacer le réchauffement qui s’est déjà produit ni arrêter celui qui résulte des combustibles fossiles que nous avons déjà brûlés. Il manque donc à notre conversion climatique un élément critique : le besoin de diminuer rapidement les taux de CO2 dans l’atmosphère des 400 ppm (parties par million) actuels à 350 ppm – limite planétaire au-dessus de laquelle ce niveau d’émission est considéré comme dangereux. Si nous échouons à ramener les émissions de carbone à des niveaux plus sûrs, il n’est pas seulement à craindre que s’intensifient les catastrophes comme la sécheresse historique en Syrie. La dernière fois que le CO2 atmosphérique a fortement augmenté, le niveau global des océans s’est élevé d’au moins 6 mètres. Nous sommes confrontés à la désintégration de la calotte glaciaire, qu’il est déjà impossible, dans certaines zones, de stopper. Dans l’atmosphère actuellement surchargée de CO2, ce n’est qu’une question de temps avant que des centaines de millions de gens ne soient déplacés des régions côtières, quand leurs terres agricoles et les eaux souterraines seront détruites par l’infiltration d’eau salée due à la montée du niveau de la mer. Parmi les zones les plus vulnérables : de vastes portions de l’Asie du Sud et du Sud-Est – comprenant certaines des plus grandes villes du monde, de Shanghaï à Djakarta – ainsi que de nombreux pays côtiers de l’Afrique et de l’Amérique du Sud comme le Nigeria, le Brésil et l’Egypte. Un sommet sur le climat qui s’inscrirait dans ce contexte de violence et de migrations alimentées par le changement climatique ne peut qu’aller dans la bonne direction si son objectif central est la création des conditions d’une paix durable. Il faudrait pour cela s’engager de manière juridiquement contraignante à laisser la grande majorité des réserves d’énergies fossiles sous terre. Il faudrait également débloquer de véritables moyens financiers pour que les pays en voie de développement puissent faire face aux effets du changement climatique et reconnaître pleinement les droits des migrants climatiques à rejoindre des territoires plus sûrs. Un accord de paix climatique fort doit aussi présenter un programme visant à planter de nombreuses espèces d’arbres indigènes au Proche-Orient et en Méditerranée, pour faire baisser le taux de CO2 dans l’atmosphère, pour ralentir la désertification et favoriser des climats plus frais et plus humides. Planter des arbres ne suffit pas en soi à ramener le taux de CO2 à des niveaux plus sûrs, mais cela pourrait aider les gens à rester sur leurs terres et à protéger des moyens d’existence durable. VICTOIRES TANGIBLES Nous savons pertinemment que la conférence sur le climat de Paris ne permettra pas de mettre tout cela en œuvre. Mais, il y a encore quelques jours, des actions collectives audacieuses relatives au climat semblaient à notre portée : le mouvement climatique s’accélérait, remportant des victoires tangibles contre les pipelines et les forages dans l’Arctique ; les gouvernements renforçaient leurs objectifs, et certains commençaient même à tenir tête aux compagnies de combustibles fossiles. La pression était, apparemment, suffisamment forte pour permettre la réalisa- UNE RÉACTION RÉSOLUE FACE À LA CRISE CLIMATIQUE AURAIT PU CRÉER SUFFISAMMENT D’EMPLOIS POUR DISCRÉDITER LES POLITIQUES D’AUSTÉRITÉ tion des principaux objectifs de la conférence : un traité international applicable et ayant force obligatoire pour faire baisser les émissions de carbone une fois pour toutes. Mais le mouvement a cru qu’il était essentiel de continuer d’exercer des pressions durant le sommet. Cela est devenu beaucoup plus difficile. La dernière fois que l’on a assisté à un tel élan favorable à la question climatique, c’était en 2008, quand l’Europe menait une révolution des énergies renouvelables et que Barack Obama s’engageait, au moment où il obtint l’investiture du Parti démocrate, à faire de son élection « le moment où la montée du niveau des océans commencera à diminuer et notre planète à guérir ». Puis se firent ressentir les répercussions de la crise financière. Quand le monde entier s’est retrouvé à la conférence de Copenhague sur le climat fin 2009, l’attention globale s’était déjà détournée du climat vers le sauvetage des banques, et l’accord passé fut considéré à l’unanimité comme un désastre. Au cours des années qui ont suivi, le soutien aux énergies renouvelables a décliné de manière drastique dans l’Europe méridionale, les ambitions ont diminué et les engagements financiers envers les pays en voie de développement ont pratiquement disparu. Il importait peu qu’une réaction résolue face à la crise climatique, fondée sur de gros investissements dans les énergies renouvelables, l’efficacité et les transports collectifs, aurait pu créer suffisamment d’emplois pour discréditer les politiques d’austérité. Nous ne pouvons pas nous permettre que cette histoire se répète parce que, cette fois, la terreur nous aura forcés à changer de sujet. Au contraire, comme l’expert en énergie Michael T. Klare l’a déclaré quelques semaines avant les attaques, Paris « ne doit pas être simplement considéré comme un sommet sur le climat mais comme une conférence sur la paix – peut-être la plus importante convocation à la paix qu’ait connue l’histoire ». Nous n’y parviendrons toutefois qu’à la condition que l’accord obtenu établisse assez rapidement une économie décarbonée pour améliorer concrètement les conditions de vie ici et maintenant. Nous commençons enfin à admettre que le changement climatique cause la guerre et la ruine économique. Il est temps de reconnaître qu’une politique climatique intelligente est fondamentale pour assurer une paix durable et la justice économique. p disparitions & carnet | 21 0123 MARDI 24 NOVEMBRE 2015 HansMommsen Historien allemand Ng Ectpgv Xqu itcpfu fixfipgogpvu Pckuucpegu. dcrv‒ogu. hkcp›cknngu. octkcigu. cppkxgtucktgu fg pckuucpeg Cxku fg ffieflu. tgogtekgogpvu. oguugu. eqpfqnficpegu. jqoocigu. cppkxgtucktgu fg ffieflu. uqwxgpktu Eqnnqswgu. eqphfitgpegu. ufiokpcktgu. vcdngu/tqpfgu. rqtvgu/qwxgtvgu. hqtwou. lqwtpfigu fÔfivwfgu. eqpitflu. pqokpcvkqpu. cuugodnfigu ifipfitcngu Uqwvgpcpegu fg ofioqktg. vjflugu. JFT. fkuvkpevkqpu. hfinkekvcvkqpu Gzrqukvkqpu. xgtpkuucigu. ukipcvwtgu. ngevwtgu. eqoowpkecvkqpu fkxgtugu Rqwt vqwvg kphqtocvkqp < 23 79 4: 4: 4: 23 79 4: 43 58 ectpgvBorwdnkekvg0ht En 2002. IMAGO/STUDIOX AU CARNET DU «MONDE» Décès U n des principaux historiens allemands, Hans Mommsen, spécialiste du nazisme, est mort le 5 novembre, le jour même de ses 85 ans. Peu connu en France – seul un recueil de ses articles y a été publié, par la Maison des sciences de l’homme –, Hans Mommsen jouissait d’une notoriété considérable en Allemagne, où il n’hésitait pas à intervenir dans le débat public. Descendant d’une grande famille d’historiens, ce membre du Parti social-démocrate (SPD) était passionné par le mouvement ouvrier, auquel il a consacré plusieurs ouvrages. L’attribution en 1968 d’un poste à la faculté de Bochum, au cœur de la Ruhr industrielle, lui convenait donc parfaitement. Mais ce sont ses travaux sur le nazisme qui ont connu le plus grand retentissement. Auteur d’une thèse sur la fonction publique allemande sous le nazisme, il a développé une lecture « fonctionnaliste » du nazisme. En 1971, ce jeune intellectuel a même qualifié Hitler de « dictateur faible », une formule volontairement provocatrice qui a été abondamment commentée, à défaut d’être toujours approuvée. « Contrairement à un certain nombre d’historiens qui rendaient Hitler et son entourage immédiat responsables de toutes les exactions commises sous le nazisme, Hans Mommsen était convaincu que c’était le système qui était meurtrier et qui s’est radicalisé. A ses yeux, tout ne découle pas de l’application de Mein Kampf », résume l’historien Peter Schöttler, qui fut un de ses premiers doctorants. Pour Hans Mommsen, Hitler n’avait donc pas planifié l’extermination des juifs dès son arrivée au pouvoir. « Si cette thèse a été contestée, elle n’est pas fausse à 100 %. Hitler ne s’occupait pas de tout. De nombreuses décisions sur la Shoah ont été prises au niveau régional et local. Et il n’y aurait pas eu de Shoah par balles sur le front de l’est sans l’engagement des SS et de l’armée », note Peter Schöttler. Evidemment, la thèse de Mommsen était dérangeante puisqu’elle ne permettait pas à la société allemande de s’exonérer de ses responsabilités. Néanmoins, 5 NOVEMBRE 1930 Naissance à Marbourg (Hesse) 1968-1996 Enseigne à l’université de Bochum 5 NOVEMBRE 2015 Mort à Tutzing (Haute-Bavière) Georges Fridenson, Patrick, Janine et Eric Fridenson, Jomi et Dora Frydenzon Et leur famille, ont la tristesse de faire part du décès de Denise BARTFELD, professeur de Lettres classiques, certains lui ont reproché une lecture par trop structuraliste et donc, peut-être, un peu trop complaisante à l’égard de personnalités qui avaient joué un rôle considérable dans la Shoah et étaient encore en vie à l’époque. Au milieu des années 1980, Hans Mommsen fait partie des historiens qui se rangent résolument aux côtés de son ami, le philosophe Jürgen Habermas, contre l’historien Ernst Nolte, pour qui l’Holocauste était une réaction aux crimes bolcheviks. Une querelle qui, trente ans plus tard, continue de marquer le paysage intellectuel allemand. Esprit libre Hans Mommsen avait également beaucoup travaillé sur les nationalités dans l’empire austro-hongrois. Son épouse, Margareta Mommsen, auteur d’une biographie de Vladimir Poutine, est autrichienne et, dans les années 1970, le chancelier autrichien Bruno Kreisky était l’un de ses proches. Mais, profondément social-démocrate, Hans Mommsen restait un esprit libre. Il s’était ainsi publiquement opposé à la décision prise en 1972 par le chancelier Willy Brandt (SPD) d’interdire aux communistes d’exercer dans la fonction publique. D’un caractère peu commode, Hans Mommsen n’a pas vraiment formé une école de pensée même s’il a dirigé de nombreux doctorants. Arrière-petit-fils de Theodor Mommsen, un historien qui a obtenu le prix Nobel de littérature en 1912 pour ses travaux sur la Rome antique, Hans Mommsen est le fils de Wilhelm Mommsen, un historien spécialiste des mouvements politiques et sociaux au XIXe siècle et le frère jumeau de Wolfgang Mommsen, un historien spécialisé dans le XIXe siècle, mort en 2004. p frédéric lemaître survenu le 17 novembre 2015, à l’âge de soixante-douze ans. 16, rue Cassini, 75014 Paris. M Nguyen Thien Hélène, son épouse Et toute la famille, me ont la tristesse de faire part de l’envol de M. Nguyen Thien DAO, survenu le 20 novembre 2015, à Paris. Un dernier hommage lui sera rendu le vendredi 27 novembre, à 9 h 30, au crématorium du cimetière du PèreLachaise, Paris 20e. Jean-Paul Jourdan, président de l’université Bordeaux Montaigne, L’ensemble du personnel Et des étudiants, ont la grande tristesse d’annoncer le décès de M. Alban DENUIT, docteur de l’université, chargé de cours en Arts, survenu au Bataclan, le 13 novembre 2015, à l’âge de trente-deux ans. Toujours souriant, d’un abord facile, portant en bannière sa gentillesse et son optimisme, son amour de la vie et des arts, Alban Denuit était un artiste talentueux, passionné, une belle personnalité. Ses obsèques ont lieu ce lundi 23 novembre, à Marmande. Mme Jacqueline Freyburger, son épouse Et toute sa famille, ont la douleur de faire part du décès de Marc FREYBURGER, professeur honoraire de Littérature comparée, Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). Le docteur Roselyne Gamby-Abbe, son épouse, Denys et Henriette Gamby, Thierry et Marc-Karim Gamby, Bruno GAMBY, Les Unes du Monde e.fr - N˚19904 - 1,30 ¤ France métropolitaine L’investiture de Barack Nouvelle édition Tome 2-Histoire --- Jeudi 22 janvier Uniquement 2009 Fondateur Premières mesures Le nouveau président américain a demandé la suspension : Hubert Beuve-Méry En plus du « en France - Directeur Monde » métropolitaine : Eric Fottorino Obama des audiences à Guantanam o Barack et Michelle Obama, à pied sur Pennsylvania WASHINGTON Avenue, mardi 20 janvier, CORRESPONDANTE se dirigent montré. Une vers la Maison evant la foule nouvelle génération Blanche. DOUG tallée à la tête s’est insqui ait jamais la plus considérable MILLS/POOL/REUTERS a Les carnets transformationde l’Amérique. Une ère d’une chanteuse. national de été réunie sur le Mall de Angélique a Washington, Des rives du commencé. Kidjo, née au Obama a prononcé, a Le grand Barack lantique, Pacifique à jour. Les cérémonies celles de l’At- aux Etats-Unis pendant Bénin, a chanté discours d’investituremardi 20 janvier, toute l’Amérique la liesse ; les la campagne de Barack Obama ; ambitions d’un presque modeste.un sur le moment s’est arrêtée a Feuille force d’invoquer en 2008, la première rassembleur qu’elle était pendant les A vivre : décision de ; n’est jamaisde route. « La grandeur Abraham en train de festivités de et de nouveau administration: Martin Luther l’accession la nouvelle Lincoln, un l’investiture, au poste du 18 au dant en chef Avec espoir et dû. Elle doit se mériter. avait lui même King ou John Kennedy, pendant cent la suspension des armées, de comman- raconte 20 janvier. Pour Le Monde, (…) vertu, il placé la barre responsable vingt : les cérémonies, elle de plus les courants bravons une fois discours ne très haut. Le l’arme nucléaire, d’un de Guantanamo. jours des audiences passera probablement les rencontres jeune sénateur de – elle a croisé l’actrice glacials et endurons cain-américain Pages 6-7 les tempêtes à postérité, mais afri- le chanteur page 2 et l’éditorial Lauren de 47 ans. venir. » Traduction il fera date pour pas à la Harry Belafonte… Bacall, du discours ce qu’il a inaugural du e intégrale miste Alan Greenspan. Lire la suite et l’écono- a It’s the economy... des Etats-Unis. 44 président page 6 la Il faudra à la velle équipe taraude : qu’est-ce Une question nou- a Bourbier Page 18 beaucoup d’imagination Corine Lesnes pour sortir de que cet événement va changer pour irakien. Barack a promis de l’Afrique ? Page Obama et économiquela tourmente financière retirer toutes 3 qui secoue la de combat américaines les troupes Breakingviews planète. page 13 d’Irak d’ici à mai 2010. Trop rapide, estiment les hauts gradés de l’armée. X 67, ENA 1972-1974, ancien président-directeur général des Chantiers de l’Atlantique (Alstom), D Education UK price £ 1,40 RETROUVEZ L’INTÉGRALITÉ DES « UNES » DU MONDE ET RECEVEZ CELLE DE VOTRE CHOIX ENCADRÉE Encyclopéd ie Universalis www.lemond 65 e Année L’avenir de Xavier Darcos Ruines, pleurs et deuil : dans Gaza dévastée « Mission terminée »: le ministre de REPORTAGE ne cache pas l’éducation considérera qu’il se GAZA bientôt en ENVOYÉ SPÉCIAL disponibilité pour ans les rues tâches. L’historien d’autres de Jabaliya, les enfants ont de l’éducation trouvé veau divertissement.un nouClaude Lelièvre explique lectionnent les éclats d’obusIls colmissiles. Ils comment la et de déterrent du rupture s’est sable des morceaux d’une faite entre les enseignants qui s’enflamment fibre compacte et Xavier Darcos. immédiatement au contact de Page 10 l’air Bonus Les banquiers ont cédé Enquête page Nicolas Sarkozy des dirigeants a obtenu françaises qu’ilsdes banques renoncent à la « part variable de leur rémunération ». En contrepartie, les banques pourront bénéficier d’une D et qu’ils tentent aide difficilement de l’Etat de d’éteindre avec 10,5 pieds. « C’est d’euros. Montantmilliards du phosphore. leurs dez comme ça Regarbrûle. équivalent à Surles mursde » celle accordée cetterue,des fin 2008. Page cesnoirâtres tra- boutique. 14 sont bes ont projeté visibles.Les bom- victime, Le père de la septième âgée de 16 ans, chimique qui partout ce produit re ne décolèa incendié une pas. « Dites fabrique de bien aux dirigeants Au bord de papier. « C’est petite des nations occidentales la mière foisque que ces sept je voiscela après la pre- innocents sont il y a quelquesfaillite huit ans d’occupation trentemorts pour semaines, rien. l’Américain israélienne », Qu’ici, il n’y a jamais s’exclame Mohammed eu de tirs de Chrysler roquettes. Que Abed négocie l’entrée bo. Dans son c’est costume trois Rab- nel. Que les Israéliensun acte crimidu cette figure constructeur nous en don- La parution du quartier pièces, nent la preuve, italien Fiat deuil. Six membres porte le puisqu’ils sur- de deux dans son capital, textes inédits de sa famille veillent tout depuis le ciel ont été fauchés », enrage de Roland Rehbi Hussein de 35 %. L’Italie à hauteur devant par Barthes, Heid. un magasin, une bombe mains, de cette bonne se réjouit il tient une Entre ses mort en 1980, le 10 janvier. Ils étaient venus enflamme feuille de le s’approvisionner papier avec tous cercle de ses pour l’économienouvelle pendant noms des nationale. décrétéesles trois heures de trêve morts et des blessés,les Le demi-frère disciples. Chrysler, de par Israël pour âge, qu’il énumère ainsi que leur son côté, aura tre aux Gazaouis permet- reprises, l’écrivain, qui de à accès à une comme pour plusieurs en a autorisé technologie Le cratère de de souffler. se persua- la publication, der qu’ils sont plus innovante. la bombe est jours là. Des bien morts. essuie touPage 12 éclats les foudres Michel Bôle-Richard mur et le rideau ont constellé le de l’ancien Algérie 80 DA, métallique de éditeur de Barthes, Allemagne 2,00 Lire la suite ¤, Antilles-Guyane la 2,00 ¤, Autriche page 19 27000profs partirontcha quean àlaretraite,d ’icià2012. née survenu le 19 novembre 2015. Automobile Fiat : objectif Chrysler Edition Barthes, la polémique et Débats page 5 17 François Wahl. L elivre-en q u êtein co n to u rn ab lep o u ralim en terled su rl’aven éb at ird el’éco le. 2,00 ¤, Belgique 1,40 ¤, Cameroun Maroc 10 DH, 1 500 Norvège 25 KRN, Pays-Bas F CFA, Canada 3,95 $, Côte 2,00 ¤, Portugal d’Ivoire 1 500 F CFA, Croatie cont. 2,00 ¤, u né 18,50 Kn, Danemark Réunion 2,00 d ite u rd ¤, Sénégal 1 e rriè 500 F CFA, Slovénie 25 KRD, Espagne 2,00 rel’é c ra ¤, Finlande n>w 2,20 ¤, Suède 2,50 ¤, Gabon w w 28 KRS, Suisse .a rte b o 2,90 FS, Tunisie 1 500 F CFA, Grande-Bretagne u tiq u e .c 1,9 DT, Turquie o m 1,40 £, Grèce 2,20 ¤, USA 2,20 ¤, Hongrie 3,95 $, Afrique 650 HUF, Irlande CFA autres 2,00 ¤, Italie 1 500 F CFA, 2,00 ¤, Luxembourg 1,40 ¤, Malte 2,50 ¤, Page 20 RENDEZ-VOUS SUR www.lemonde.fr/boutique ont la tristesse de faire part du décès de Michel GIRAUD, ingénieur général honoraire du Génie rural des eaux et des forêts, survenu le 20 novembre 2015, dans sa quatre-vingt-dixième année. La cérémonie religieuse sera célébrée, le mercredi 25 novembre, à 15 heures, en l’église Saint-Martin-de-Parcé-surSarthe (Sarthe). Pierre Marzin, Ses enfants, Ses petits-enfants Et ses arrière-petits-enfants, Famille Gamby, Parc Mozart, Le Debussy 3, 210, allée des Musiciens, 13100 Aix-en-Provence. Conférence Conférences citoyennes « Santé en questions » organisées par l’Inserm, Universcience. Conférence conquête spatiale et santé jeudi 26 novembre 2015, de 19 heures à 20 h 30, gratuit pour tout public, en duplex de la Cité des sciences et de l’industrie à Paris et du Museum de Toulouse. Pour en savoir plus : www.inserm.fr Table-ronde ont la tristesse d’annoncer le décès de Simone MARZIN, née RAIMBAUD, survenu le 19 novembre 2015. Les obsèques seront célébrées ce lundi 23 novembre, à 14 h 30, en l’Église de Lalbenque (Lot). Les Lilas. Plougastel-Daoulas. Nouméa. Plouzané. Gouesnou. Saint-Jean de Linières. Angers. Claire Peltier, sa compagne, Siloé et Niels, ses enfants adorés, Maryvonne et Christian Perchirin, ses parents, Marc Perchirin, son frère et Mélanie, sa compagne, Jacques et Monique Percherin, Jeanne Uguen, ses grands-parents, Maryse Peltier et Pierre Beaudouin, ses beaux-parents, Ses oncles et tantes, Ses cousins et cousines, Ses beaux-frères et belles-sœurs, Ses neveux et nièces, Les familles Percherin, Uguen, Peltier, Ses amis, Ses collègues Et voisins, ont la douleur de faire part du décès de David PERCHIRIN, à l’âge de quarante et un ans, mort au Bataclan, le 13 novembre 2015, victime d’un odieux attentat. Un hommage sera célébré le mercredi 25 novembre, à 11 h 30, en la salle de la Coupole, au crématorium du cimetière du Père-Lachaise, 71, rue des Rondeaux, Paris 20e. Fleurs blanches ou dons (les fonds collectés seront versés aux coopératives des écoles où David enseignait). La famille remercie toutes les personnes qui s’associent à son deuil et à celui des proches de Cédric Mauduit. Axel, Richard, Agnès, Alexandre et Charlotte Sinding Ainsi que Bertrand Clech, son compagnon, ont la tristesse de faire part du décès de Brigitte SINDING, « Mizitte », survenu le 18 novembre 2015. L’inhumation aura lieu dans le caveau familial, le mercredi 25 novembre, à 11 heures 30, au cimetière du PèreLachaise, 82e division, 71, rue des Rondeaux, Paris 20e. survenu le 19 novembre 2015, à Mérignac (Gironde). ont la douleur de faire part du décès de 0123 Mme Bruno Pichon, M. et Mme Jean-Louis Devin, M. et Mme Dominique Bon, M. et Mme Daniel Giraud, Mme Laurence Giraud, ses enfants, Ses petits-enfants, Ses arrière-petits-enfants, Souvenir Le 24 novembre 2013, Jacques LARRUE, ancien élève de l’Ecole nationale de la France d’Outre-Mer, sous-préfet honoraire, oficier de la Légion d’honneur, nous laissait son message de foi, de force et de vie : « La vie est ainsi faite qu’elle nous quitte un jour et que toutes ces petites étoiles que nous avons un moment allumées n’auront plus qu’à rester dans notre souvenir ain qu’elles puissent quand même réchauffer le cœur de tous ceux qui viendront après nous. » Pour lui, aujourd’hui et avec lui, une prière, une pensée, un sourire. « Jésus, que ma joie demeure. » « Ethnoscénologie : 20 ans » mercredi 25 novembre 2015, à 18 heures : Maison des Cultures du Monde, Paris, jeudi 26 novembre 2015, de 9 heures à 19 heures : Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis. Contact: [email protected] Cours Rencontre de la Société des lecteurs « Le retour de l’Iran » Si la Perse éternelle nous faire rêver, l’Iran contemporain a connu bien des soubresauts depuis la chute de la monarchie Pahlavi, et continue de vivre aujourd’hui, depuis trente-six ans sous le régime de la Révolution islamique voulue en 1979 par l’ayatollah Khomeyni. Nos invités : • Yves Bomati, historien, et co-auteur avec Houchang Nahavandi de plusieurs ouvrages sur l’Iran. • Fariba Adelkhah, anthropologue sociale et politique de l’Iran post-révolutionnaire, directeur de recherches au CERI à Sciences Po. • Christophe Ayad, chef du Service international du Monde. • Et la présence exceptionnelle de Houchang Nahavandi, ancien ministre, ancien recteur des Universités de Chiraz et de Téhéran, lauréat de l’Académie française et auteur de nombreux ouvrages. Croisant leurs regards, ils partageront leurs analyses sur ce pays fascinant, autant par ses richesses millénaires que par le rôle majeur qu’il joue dans le monde moyen-oriental actuel. Le débat sera animé par Hélène Renard et Myriam Lemaire. Le mardi 24 novembre 2015, à 18 h 30, Auditorium du journal Le Monde, 80, boulevard Auguste-Blanqui, Paris 13e. Réservation obligatoire par mail uniquement et dans la limite des places disponibles à [email protected] Prép’art Paris - Rentrée 2016 Inscriptions ouvertes en décembre 2015 Admission sur entretien pédagogique Prendre rendez-vous au 01 47 00 06 56 Portes ouvertes samedi 5 et dimanche 6 décembre 2015 de 10 heures à 18 heures Stages d’orientation et de découverte Artistique Une semaine pendant les vacances scolaires Prochain stage en février 2016 www.prepart.fr L’Espace culturel et universitaire juif d’Europe : hommage à Raphaël Draï (Zal), mercredi 25 novembre 2015, à 19 heures, présidé par Sandrine Szwarc, professeur à l’Institut Elie Wiesel, ilms, témoignages avec Yaël Draï, Paul-Laurent Assoun, professeur à l’université Paris 7, Marc Zerbib, professeur, Franklin Rausky, directeur des études de l’Institut Elie Wiesel, Christian Bruschi, historien du droit, professeur émérite à Aix-Marseille université, Rémy Scialom, maître de conférences, docteur en droit, Roger-Pol Droit, philosophe, Daniel Dahan, grand rabbin d’Aix-en-Provence. [email protected] 119, rue La Fayette, Paris 10e. Communications diverses Résidence critique Séminaire La ville marchande Le libre-service dans la ville, mardi 24 novembre 2015, à 18 h 30, Emmanuelle Lallement, ethnologue, en résidence à la Cité de l’architecture, Franck Cochoy, sociologue, Sophie Chevalier, professeur d’anthropologie à l’université de Picardie Jules Verne, Pascal Madry, directeur de la Fédération pour l’urbanisme et le développement du commerce spécialisé (Procos). Pause - Philo Jeudi 26 novembre 2015, à 20 h 30, Jean-François Balaudé La sagesse des Anciens, Stoïcisme et Epicurisme. Jeudi 3 décembre, à 20 h 30, Robert Misrahi Le bonheur chez Spinoza. Jeudi 10 décembre, à 20 h 30, Pierre-Henri Tavoillot La morale de Kant. Espace Landowski, 28, avenue André-Morizet, à Boulogne-Billancourt. www.forumuniversitaire.com La boutique et le luxe, jeudi 10 décembre, à 18 h 30. Entrée libre, inscription citechaillot.fr Cité de l’architecture & du patrimoine, Palais de Chaillot - Auditorium (métro Iéna ou Trocadéro). L’Espace culturel et universitaire juif d’Europe : mardi 24 novembre 2015, à 19 h 30, rencontre « L’Ecologie du judaïsme : protéger la terre, la vie, et les hommes », animée par Jean-François Strouf avec Isabelle Autissier, présidente WWF-France, Corinne Lepage, fondatrice du parti écologiste Cap21, Liliane Vana, spécialiste en droit hébraïque talmudiste et philologue, Bruno Fiszon, grand rabbin. [email protected] 119, rue La Fayette, Paris 10e. Ecole de Psychanalyse des Forums du Champ lacanien Journées nationales « Le psychanalyste dans le monde d’aujourd’hui. Pour une relecture du Malaise dans la civilisation. » les 28 et 29 novembre 2015. 28, rue Saint Dominique, 75007 Paris. Renseignements et inscriptions : 01 56 24 22 56 www.champlacanienfrance.net # # $ !# $ # #$ $# &. + *1.+ #$ $ #$ $ $# $ # *'$ %&# & #$ # . *&%%* # $ !# ! #! *%& + &/& #$ %# # # " $ #$ ! #! # %&!- &(). % * ** %%#&%. * % # %* # * .* # # ** &.*-& + # % *&% 1#/ .$%% *%. (*$%- * # $ $ %%- &- # (( &.* # 2"&0+" # $# *%" &%%+ # .** % #$ $ $ %# $ $ ##+ m% &- #$ $ %# $ $ .# % *&&.*#$ % !# # #! %%- * # * +- % ++&# #$ #!#$ * + (-&&*&. # &#+ $%2 * 2 #$ *%" &. # $ $ -* %  # # * +- % ! !$ % ** * (*+ %- +- % *% & / (*+ %- 22 | culture 0123 MARDI 24 NOVEMBRE 2015 De la musique avant toute chose Après l’attaque contre le Bataclan le 13 novembre, compositeurs et interprètes issus de tous les genres reviennent sur le rôle de leur art dans nos vies V endredi 13 novembre, des tireurs armés ont pris des vies et dévasté une part intime et nécessaire du fonctionnement social : la musique. Les musiciens ne sont pas de grands parleurs, leur mode d’expression est autre. Mais nous avons voulu leur demander en quoi la musique était essentielle, sans préjuger des genres. Certains artistes, après l’attentat du Bataclan, ont préféré le silence, ou la sidération, tel D’de Kabal, habitant de Bobigny, rappeur, slameur, metteur en scène de théâtre : « La musique est toute ma vie, je n’ai aucun recul sur la question. » D’autres tentent d’analyser ce qui leur arrive, ce qui nous arrive. « Le fait que la musique soit en ligne de mire n’est pas un phénomène exclusif de l’islam radical, nous dit le joueur de viole de gambe et chef d’orchestre catalan Jordi Savall. Il concerne ou a concerné au cours des siècles tous les fanatismes religieux qui pratiquent l’endoctrinement et veulent priver les fidèles de leur libre arbitre. La musique est liée aux sens. Elle a le pouvoir de mettre l’homme en dehors des conditions ordinaires de la vie, de lui donner de la joie, du plaisir. Mais elle lui permet aussi de se libérer de la peur, sans doute sa plus grande “perversion” aux yeux de ceux qui la combattent ! » Sur le site de Freedom of Musical Expression (Freemuse), organisation non gouvernementale qui défend la cause des musiciens emprisonnés, tués, battus, empêchés de diffusion, le journaliste danois Ole Reitov a écrit : « La liberté d’expression artistique inclut le droit pour le public à accéder aux événements musicaux sans avoir peur. » Freemuse, équivalent d’un Reporters sans frontières pour les journalistes ou d’un Pen Club pour les écrivains, a été créé par Ole Reitov en 1998, au moment où les talibans, maîtres de l’Afghanistan, imposent un ordre religieux strict, brûlant les instruments de musique et les cassettes, emprisonnant ou battant des musiciens, même s’ils se produisent dans des fêtes privées. Face à ces actions, la communauté internationale ne dit rien, ou en dit peu, sortant de sa torpeur en 2001 seulement, quand sont détruits à la dynamite les bouddhas de Bamiyan, vieux d’environ quinze siècles. Au plus politique des musiciens, on a reconnu le statut de héros : le chanteur communiste Victor Jara, assassiné en 1973 par le gouvernement Pinochet au Chili. Mais combien d’artistes ont été des martyrs ? LE PARTAGE, LA COMMUNION Ce qui a été attaqué, pour le musicien Michel Portal, c’est le partage, la communion qu’autorisent les concerts. « La musique, pour moi, c’est tout, dit-il. Classique, rock, jazz, rap ou ce que l’on veut… dans l’attentat contre le Bataclan, ce n’était pas la musique qui était visée, c’était le lieu, la boîte, le club, la salle, l’endroit où les gens sont serrés, piégés, bien coincés. Il suffit de défourailler. En Algérie, où j’ai été mobilisé comme tous ceux de mon âge pendant vingt-sept mois, ça m’avait frappé. C’était les dancings qui étaient attaqués à la fin du bal. Il suffit d’entrer, d’arroser et de filer par le côté. Je me souviens du petit “bando” juif du dancing, à Alger, un formidable bandonéoniste : “Ça ne me plaît plus, Michel, de jouer ici, Michel, j’ai peur.” Un soir, il s’est fait John Coltrane : « Le privilège de rendre les autres heureux par la musique » Enregistrée en 1964, A Love Supreme du saxophoniste John Coltrane (1926-1967) est une rencontre intense entre jazz et spiritualité. Sur la pochette du disque, un poème et un texte d’explication de l’auteur : « Pendant l’année 1957, j’ai fait l’expérience, par la grâce de Dieu, d’un éveil spirituel qui m’a conduit à une vie plus riche, mieux remplie, plus productive. A cette époque, en signe de reconnaissance, j’ai humblement demandé qu’il me soit donné les moyens et le privilège de rendre les autres heureux par la musique. » abonnez-vous ! Compagnie XY 18.11 27.12.2015 Il n’est pas encore minuit… handspring puppet Co. & william kentridge 24.11 Ubu and the Truth Commission mourad merzouki 3 12.12.2015 4.12.2015 Répertoire #1 avec le Centre Chorégraphik pôle pik dv8 phYsiCal theatre 9 19.12.2015 John en partenariat avec le théâtre de la ville et le Festival d’automne à paris lavillette.com • #LaVillette tuer. C’est de ça qu’ont peur les musiciens. » L’Algérie, si proche de nous, a payé un lourd tribut. Pendant la guerre d’Indépendance, c’est l’assassinat en juin 1961 de Cheikh Raymond Leyris, beau-père d’Enrico Macias et grande figure de la musique arabo-andalouse dans laquelle jouaient, côte à côte, juifs et Arabes, qui provoque l’exode des pieds-noirs de Constantine, puis d’Algérie. Plus tard, dans les années 1990, ce sera le raï, genre qui organise la circulation des rythmes entre Oran, Montreuil et Barbès-Rochechouart, qui sera durement touché : assassinat de producteurs (Rachid Baba Ahmed, en 1995), d’artistes (Cheb Hasni en 1994, Cheb Aziz en 1996)… Les Kabyles aussi passeront au filtre de la haine : en 1998, le chanteur Matoub Lounès, militant de la cause berbère, personnalité laïque et démocrate, est assassiné sans qu’on n’ait jamais su qui, du mouvement islamiste du GIA ou du pouvoir militaire algérien, a appuyé sur la détente. « A l’époque, dit Chaba Fadela, chanteuse de raï menacée par le GIA et réfugiée en France en 1995 avec ses enfants, ils ont visé les artistes, les symboles. Aujourd’hui, les mêmes mafieux tuent une culture. » Vendredi 13, elle a pleuré. Quatre jours plus tard, celle qui porta le raï des Etats-Unis à Dubaï, était à l’Institut du monde arabe (IMA) de Paris pour annoncer un grand concert anniversaire des 30 ans du raï prévu au Zénith de Paris le 19 janvier – le premier concert de raï en France avait eu lieu à Bobigny en 1986. Co-initiateur de l’événement, Pascal Nègre, PDG d’Universal Music, n’est pas là : trois de ses salariés sont morts au Bataclan. Le président de l’IMA, Jack Lang, fait un discours : « Avec cette musique, on voulait soulever des montagnes, réunir, entremêler, créer dans une France arc-en-ciel. » Et cela fonctionna, avant l’effondrement dans les années 2000, où le raï redevient communautaire. « LE REFLET DE LA SOCIÉTÉ » Cheb Hasni avait débuté avec la sulfureuse Cheikha Zahouania, fin 1986, en reprenant un thème licencieux, El Baraka (La cuite donne des idées/Nous sommes bourrés et tombons par terre/ Amenez une bagnole pour nous ramasser/Il n’y a de Dieu que Dieu/Mais la passion l’emporte toujours/… Nous avons fait l’amour à l’intérieur d’une cabane pourrie). Autant d’invites à se délivrer des carcans imposés par la religion, le chômage et l’absence d’avenir dans l’Algérie d’alors. Selon le chef d’orchestre israéloargentin Daniel Barenboim, la musique « est un mégaphone culturel ». La musique éduque, rassemble. « Elle m’a fait évoluer, réfléchir, m’a instruit et ouvert à d’autres mondes, d’autres pensées », note Erik Truffaz, trompettiste de jazz. Il poursuit : « La musique a toujours été le reflet de la société et a évolué avec. Le be-bop, le rock’n’roll, le punk, etc., ont exprimé, quand ils sont arrivés, une notion de liberté. Si on veut briser la liberté de la société, on brise aussi la musique en tant que telle, sans distinction de style, qu’elle soit instrumentale ou qu’il y ait des textes de chansons visés. » La chanteuse malienne Fatoumata Diawara, 33 ans, confirme que « c’est seulement à travers la musi- que qu’[elle] peut dire ce qu’[elle a] envie de dire par rapport à [sa] société, [sa] tradition, [sa] culture. Alors qu’avec de simples mots [elle] blesserai[t] et [se] ferai[t] beaucoup d’ennemis au pays ». La musicienne, qui a participé à la création de la bande originale du film Timbuktu, d’Abderrahmane Sissako, était en concert à la Philharmonie de Paris au côté du pianiste cubain Roberto Fonseca quand se déroulaient les attentats. « Je parlais de paix, d’harmonie, j’évoquais Tombouctou, ces gens qui avaient voulu interdire la musique chez nous, au Mali. Et, à la fin du concert ils ont annoncé dans la salle ce qui venait de se passer. Ce fut un choc terrible… » Elle ajoute : « Ces gens-là ont peur de la liberté de la musique. Personnellement, la musique m’a sauvée. Elle m’a permis d’être une femme épanouie, libre. En chantant, je parviens à me faire écouter en tant que femme jeune. Cette liberté fait peur même à des personnes de ma famille, quand j’aborde des thèmes qui, en général, sont tabous dans mon pays, donc à plus forte raison chez les extrémistes qui pensent que la liberté, c’est le diable. » « LA VIE, LA DISTRACTION… » En frappant le Bataclan, les tireurs froids ont mis à mal la cohésion sociale. Madeleine Leclair, responsable du département d’ethnomusicologie du Musée d’ethnographie de Genève (MEG), en a traqué les ressorts à travers le monde. « La musique est essentielle, en ce sens qu’elle est l’un des moyens forts de construire l’identité de ceux qui la pratiquent ou l’écoutent. » Momentanément, en allant au même concert tous ensemble, « sans préjuger de l’identité personnelle des individus ». Durablement, en choisissant d’aller écouter du rock ou des musiques sacrées, montrant ainsi qu’on appartient « à un groupe bien défini, qui partage un même type de musique. Ce “groupe d’appartenance” peut aussi, bien entendu, être une classe d’âge. Et, parce qu’elle crée de l’émotion, la musique peut donner le sentiment de liens de solidarité et d’une profonde intimité entre ceux qui la partagent ». Or, pour diviser, générer le chaos tant attendu, il faut rompre toute possibilité de com- « Le be-bop, le rock’n’roll, le punk, etc., ont exprimé, quand ils sont arrivés, une notion de liberté » ÉRIK TRUFFAZ trompettiste de jazz munauté autre que la sienne, restreinte. Que l’on soit violoniste classique ou rappeur, la musique « c’est la vie, c’est la distraction, c’est la luminosité. C’est un art premier, c’est une pulsation divine ». Les mots sont d’Akhenaton, cofondateur du groupe de rap marseillais IAM. « On l’écoute dans des lieux où on se rassemble et où on partage. Et ce sont tout sauf des lieux de perdition. Comme le sport d’ailleurs, trop souvent étouffé par les affaires d’argent alors qu’il est extrêmement sain et véhicule de belles valeurs. La musique vivante, c’est essentiel. Ecouter un CD dans sa voiture, c’est une chose, la partager avec 3 000 personnes, ça n’a rien à voir. C’est une réelle communion. On le voit dans nos concerts. Chanter sur scène, voir le visage des gens, ça te rebooste pour un mois. » Jordi Savall poursuit : « Les pratiques musicales, mais aussi les musiques dans lesquelles on se reconnaît, sont un moyen de dialogue privilégié qui, dans bien des cas, exalte les sentiments, rapproche les gens. La musique accompagne l’histoire des peuples et en raconte autant les événements que les mentalités. Avec la musique, on peut redonner de la mémoire à l’histoire. Et cela nous ramène à notre humanité. Rappelons que, pour les esclaves, la musique était le seul espace de liberté, c’est pourquoi la plupart de leurs musiques étaient joyeuses. » DU PLAISIR, DE L’ÉMOTION La musique est quotidienne, elle accompagne la vie courante, les grandes occasions, les rencontres et les croyances. En Iran, pays d’une richesse musicale ancestrale, au Pakistan, en Egypte, la situation n’est pas la meilleure, et pire encore pour les artistes femmes, contraintes au mutisme. Keyvan Chemirani, qui appartient au Trio Chemirani (trois percussionnistes, lui, son père Djamchid et son frère Bijan), souligne qu’il y a un paradoxe pour un musulman à s’attaquer à la musique : « Dans la religion musulmane, l’appel à la prière est un chant. Un chant d’une beauté très émouvante, dans le mode bayat tork [mode de la musique persane]. Les muezzins chantent les sourates, et c’est d’une beauté bouleversante. Même quand on n’est pas croyant, on accède à une transcendance par le chant. D’ailleurs qu’est-ce que c’est la croyance, sinon se sentir en connexion avec la vie, les éléments ? » Vincent Ségal, violoncelliste et compositeur français, collabore du 25 novembre au 11 décembre 2015 Un fils de notre temps d’apRès le Roman de Ödön von Horváth mise en scène Jean Bellorini Réservations : 01 48 13 70 00 www.theatregerardphilipe.com Dans les villes – illustration Serge Bloch MUSIQUE culture | 23 0123 MARDI 24 NOVEMBRE 2015 « Le plus bel acte de résistance est de toucher le cœur des gens » Jack Lang, président de l’Institut du monde arabe (IMA), et le groupe Fanfaraï, le 18 novembre, lors du lancement des festivités pour les 30 ans du raï, à l’IMA, à Paris. BRUNO LEVY/DIVERGENCE POUR « LE MONDE » Damon Albarn, le chanteur de Blur, bouleversé par les attaques de Paris et de Bamako, rappelle que la musique est souvent prise pour cible ENTRETIEN ma vie. Selon mon humeur, je me joue des morceaux. Je suis assez mélancolique en ce moment, mais j’ai choisi aujourd’hui un morceau plutôt heureux. » Le matin même, il a passé six fois Thankfull for What I Got, de l’AfroAméricaine de Detroit Barbara Lewis, star des années 1960. « Dans le morceau, elle remercie la vie du peu qu’elle a. » L’ÉDUCATION, LE VIVRE-ENSEMBLE notamment avec des musiciens d’Afrique, un continent où la musique est une valeur centrale. « La musique, c’est se rapprocher des oiseaux, du vent, du mystère de la vie, de la vibration de la planète. Quand Ballaké [Sissoko] joue de la kora, il exprime la force de la vie. Malik [le flûtiste Magic Malik] racontait tout à l’heure à ses étudiants à La Courneuve que, lui, il fait de la musique avant tout pour progresser intérieurement. Je le pense également, et c’est une progression sans fin. Il y a quelques mois, à Lyon, je demandais à un chauffeur de taxi ce qu’il écoutait comme musique. Il m’a répondu “Je n’écoute pas de musique, ça m’éloigne de Dieu”. Je lui ai répondu qu’il y avait d’immenses musiciens, compositeurs et poètes (Messiaen, Bach, Hafez…) qui, au contraire, disaient se rapprocher de Dieu à travers la musique ou la poésie. » Ce qui coince, c’est le rapport au corps, à la sensualité, au divertissement, à la jouissance, poursuit Keyvan Chemirani. Car la musique, c’est du plaisir et de l’émotion. La chanteuse française Blondino, 29 ans, dont le premier album sortira en janvier 2016, cite Nietzsche : « Sans la musique, la vie serait une erreur, une besogne éreintante, un exil. » Akhenaton témoigne : « Quand j’écoute la chanson d’Erykah Badu Love of My Life, j’ai l’impression que le morceau s’adresse à moi. La musique, c’est ça pour moi, l’amour de La musique est centrale, la musique est fragile. La diversité des styles et des formes, sa transversalité fait la force de cet art majeur, mais elles la segmentent. L’attentat du Bataclan a aussi cherché à scinder. La communauté rap ne décolère pas après les propos tenus sur France Inter, lundi 15 au matin, par le député socialiste Malek Boutih, ex-président de SOS Racisme : « Je suis devenu républicain parce qu’en bas de chez moi, j’avais une bibliothèque, pas une salle de rap. » Akhenaton réagit, étonné. « Quand je regarde tout ce que le rap m’a apporté, c’est le chemin inverse. Pour moi, heureusement qu’il y a eu des salles de rap, je m’y suis fait mes premiers amis, j’y ai connu mes premières amours d’adolescent. Et ce qui s’est passé vendredi 13, cette situation, on l’explique depuis vingt ans dans nos textes. » En vain ? Le rap ne dirait rien sur la « Dans la religion musulmane, l’appel à la prière est un chant d’une beauté très émouvante… » KEYVAN CHEMINARI percussionniste société ? « Je ne suis même plus en colère, je ressens beaucoup de tristesse. » L’éducation, le vivre-ensemble passent par la musique, qui peut agir comme un ciment et un moteur. « La musique a disparu de la cité, regrette Vincent Ségal, alors qu’elle devrait être présente dans la vie de tous les jours, pas seulement enfermée dans les salles de concerts. Elle devrait s’exprimer partout, dans la rue, le métro, à l’hôpital, à l’école. » Le musicien et compositeur Titi Robin, spécialiste du monde méditerranéen né dans le Maine-et-Loire, va plus loin : « Au-delà de l’idéologie qui manipule ces gens-là, je pense que ceux qui sont convaincus et passent à la violence sont des individus qui n’ont pas les moyens d’exprimer ce qu’ils ressentent. Ils sont comme dans une prison. Ce sont des gens coupés de la musique, du chant, de la danse, de la parole, hermétiques au partage. Cet isolement est un poison qui peut déboucher sur la folie, la violence barbare. » Laissons la conclusion à Jordi Savall : « Je ne crois pas pour autant que la riposte passe par les armes. En utilisant les mêmes méthodes, nous entraînons le cercle de la violence. Il faut, au contraire, nous désarmer culturellement. Je ne suis pas un combattant. Je suis pour le dialogue, l’amour. Je suis pour la beauté. Nous n’avons pas réussi à faire aimer notre pays. Il faut désormais aider ces enfants, ces jeunes à aimer la culture qui les a accueillis. La question de l’éducation et de la culture, dont la place reste très insuffisante, est aujourd’hui plus que jamais urgente et primordiale. » p stéphanie binet, stéphane davet, patrick labesse, francis marmande, véronique mortaigne, marieaude roux, sylvain siclier P ersonnage majeur de la scène pop anglaise depuis vingt ans, au sein de groupes comme Blur ou Gorillaz, Damon Albarn avait accepté de réagir aux attentats parisiens du vendredi 13 novembre. Mais lorsqu’il nous répond au téléphone depuis Londres, vendredi 20 novembre, l’hôtel Radisson à Bamako est victime d’une attaque terroriste. Ce Londonien a tissé depuis longtemps des liens forts avec des musiciens africains, en particulier maliens, à travers des projets comme Mali Music ou Africa Express. Après Paris, c’est Bamako, que vous connaissez bien, qui connaît une attaque terroriste… J’ai été bouleversé par ce qui s’est passé au Bataclan. Un de mes amis très proches a quitté la salle dix minutes avant l’attaque. Je ne peux pas croire que cela arrive de nouveau à Bamako. Paris se relèvera de cette épreuve, en sortira encore plus forte, mais l’économie est si fragile à Bamako que ce genre d’événement peut avoir de graves conséquences sur la vie des gens. Je vais retourner en janvier donner des concerts à Bamako avec Africa Express. Le monde de la musique peut faire beaucoup pour le Mali. Je ne suis rien tout seul, mais je fais partie d’une très grande famille. Notre réseau s’étend dans toutes les villes, tous les villages. La résistance est là, ils ne pourront jamais nous rayer de la carte. Vous sentez-vous particulièrement ému par le fait que la musique et les amoureux de musique ont été visés à Paris ? Quand Bono [le chanteur du groupe U2] dit que c’est la première fois qu’on attaque la musique, il dit des conneries. La musique est une cible privilégiée de cette secte de l’islam. Un de nos grands problèmes est de ne ressentir vraiment les choses que quand elles arrivent chez nous. Mais la vérité est que les attaques terroristes comme celles qui ont frappé Paris sont le quotidien de Tripoli, de Damas, de Beyrouth ou de Bagdad. Ces événements vous font-ils d’autant plus prendre conscience de la valeur de la musique ? Je ne crois pas en la vengeance. Je supplie tous ceux tentés par un esprit de revanche d’y renoncer. Ce ne sont pas de nouveaux bombardements qui guériront cette maladie mentale qu’est le terrorisme. Il faut réfléchir plus profondément à la raison pour laquelle de jeunes gens se laissent laver le cerveau pour devenir des kamikazes, réfléchir à leur vide, à leur colère. Comment en arrivent-ils à penser qu’un acte pareil est justifiable ? J’ai tellement de pitié pour eux. Mais, quelles que soient l’absurdité et l’atrocité de leur comportement, la réponse ne peut pas être une surenchère de violence. Je me suis senti beaucoup d’affinités avec les Français en 2003, quand vous avez refusé de participer à la guerre en Irak. Mais, aujourd’hui, Hollande commence à se comporter comme Bush. On ne peut pas éliminer ce genre de problème par la force. Cette violence finira par se retourner contre nous, peut-être pas demain, pas dans un an, mais dans dix ans. Quel rôle les musiciens peuventils jouer ? Notre responsabilité est d’essayer de soigner cela à notre façon. La musique ne prêche pas la violence, elle ne hait personne. Elle est méditation. La musique est une religion que tout le monde peut partager. Une réponse, plus juste que les balles, à ceux qui pensent que leur culture et la nôtre ne peuvent coexister. Pour un musicien, le plus bel acte de résistance est de toucher le cœur des gens. Pas de leur tirer dessus. Même sur des terroristes. p propos recueillis par s. d. 24 | culture 0123 MARDI 24 NOVEMBRE 2015 Joe Hill renaît au cinéma Le beau film de Bo Widerberg, portrait composite de cette figure de la lutte ouvrière aux Etats-unis, ressort en salles CINÉMA S ur une scène de Woodstock, en 1969, Joan Baez chantait : « J’ai rêvé que je voyais Joe Hill la nuit dernière/Vivant comme vous et moi./ Je lui dis “Mais Joe, tu es mort il y a dix ans”/Il me dit “Je ne suis jamais mort”. » Cela faisait en réalité plus de cinquante ans que Joe Hill était mort. Le poète-chanteur-vagabond suédois, devenu l’une des plus belles voix de la lutte ouvrière aux Etats-Unis, avait été fusillé dans l’Utah en 1915, au terme d’un procès pour meurtre peu soucieux de justice. Mais il n’est pas étonnant qu’en rêve, Joan Baez, engagée bouillonnante, ait vu son frère d’armes Joe Hill plus proche dans le temps. Elle n’était pas la seule. A quelques semaines de là, le réalisateur suédois Bo Widerberg arrivait à New York sur les traces de son compatriote pour lui consacrer son premier film américain. Jouissant d’une visibilité internationale depuis 1967 et le prix d’interprétation féminine cannois de Pia Degermark pour Elvira Madigan, le cinéaste n’avait cependant pas attendu l’invitation de la Paramount pour s’intéresser aux revendications ouvrières. Avant Joe Hill il y avait eu Le Quartier du Corbeau (1963) et son portrait douxamer d’une jeunesse entravée dans une ville portuaire misérable, puis Ådalen’31 (1969), fiction lyrique et pleine de rage inspirée par une grève de dockers réprimée dans le sang. Pourtant, il fallait que Joe Hill ait en effet la vie dure pour que ce Les Parisiens sont retournés au cinéma Samedi 21 et dimanche 22 novembre, les salles de cinéma de Paris et de sa périphérie ont retrouvé une fréquentation presque normale. Le week-end précédent avait été marqué par l’effondrement du nombre de spectateurs. Ils étaient à peine 71 000 au lendemain des attentats, alors que les grands circuits avaient décidé de fermer leurs salles de Paris intra-muros, 112 000 le dimanche. Le samedi suivant, ils ont été trois fois plus nombreux : il s’est vendu 217 000 places le 21 novembre, et 215 000 le lendemain. Deux grosses productions à capitaux hollywoodiens ont dominé le marché : Spectre, qui, en deuxième semaine d’exploitation, a attiré plus de 191 000 spectateurs, et le dernier volet de la série Hunger Games, avec 182 000 entrées, selon les données réunies par Ciné-chiffres. Parmi les nouveautés, le premier film français est L’Hermine, avec 66 000 entrées. projet si évident puisse aboutir. Cofondatrice de la belle maison d’édition Malavida, Anne-Laure Brénéol, qui connaît son Widerberg sur le bout des ongles, raconte le tournage de Joe Hill comme un parcours du combattant. Arrivant à New York, tout à la joie de reconstituer l’Amérique du début du siècle (Joe Hill débarque à Ellis Island en 1902), Widerberg se heurte à l’hostilité ou plutôt à l’opportunisme des habitants qui, pour tirer profit de la situation (la crise du crédit gangrène l’activité économique depuis 1966), s’appliquent à baisser leurs stores vénitiens dans les rues transformées pour le tournage, jusqu’à ce que quelques billets opportunément tendus ne libèrent le décor de ces anachronismes. Vagabondage Perdant un temps précieux à courir après les caméras volées et les apprentis maîtres-chanteurs qui brandissent des miroirs pour en- L’interprétation passionnée mais naturelle de Thommy Berggren n’a pas pris une ride voyer le soleil se refléter sur l’objectif, l’équipe de Widerberg, mal soutenue par la Paramount, prend du retard. Le studio bat en retraite, Widerberg également, et le cinéaste rentre en Suède avec des rushes insuffisants et la conviction que l’histoire s’arrêtera là. Séduit presque malgré lui par la beauté des images douloureusement glanées en Amérique, il reprend pourtant le tournage en Suède et l’achève. Le film sort et remporte le prix spécial du jury à Cannes en 1971, mais Widerberg, que Joe Hill semble avoir vidé de sa sève, ne tournera plus que cinq films dans les vingt années qui suivront. Joe Hill nous revient en cet automne 2015 où l’on célébrait, le 19 novembre dernier, les cent ans de son exécution. A le voir aujourd’hui, on croirait en effet que Joe est mort il y a dix ans, que le film est tout jeune. Sa vie itinérante n’a pas laissé grand-chose aux historiens qui se sont penchés dessus. Dans son méticuleux et précieux ouvrage Joe Hill, Bread, Roses and Songs, Franklin Rosemont, spécialiste de la culture ouvrière américaine, tente, à défaut de combler les vides, de faire la part du mythe et de la réalité : c’est l’histoire du mouvement qui peint Joe Hill, plutôt que Joe Hill qui chante le mouvement. Widerberg fait l’inverse : à son héros vagabond, il offre le vagabondage fait film. Non que Joe Hill s’affranchisse de précision historique : toujours rigoureux sur ce point, Widerberg met en scène le peu que l’on sait, mais sans vraiment chercher à combler les manques. Son film est une surimpression de différents visages : faussement insouciant dans une séquence quasi burlesque de « pêche à la poule », où il évoque plutôt le « chanteur vagabond » de Charles Trenet dans Je chante que le fantôme bravache de Joan Baez, héros tragique, artiste engagé, roi aux pieds nus, c’est un personnage extraordinaire que le film dessine, et l’interprétation passionnée mais naturelle de Thommy Berggren n’a pas pris une ride. Le cinéma de Widerberg non plus. Les blancs dans l’Histoire lui inspirent un film à la gloire de l’ellipse, d’une beauté intemporelle : c’est le cinéma libre au service de la liberté d’un homme, la forme, légère mais jamais lâche, au service d’un art de vivre envers et contre tout, heureux. Bienvenue, Joe Hill, en cet automne 2015. « Il faut plus que des balles pour tuer un homme », chante encore Joan Baez : nous avons rarement eu autant besoin de l’entendre et de le voir. p noémie luciani L’HISTOIRE DU JOUR A Strasbourg, au lycée, la violence monte sur scène I ls sont une cinquantaine, des filles et des garçons de 17 et 18 ans, assis dans un amphithéâtre où Louis Pasteur a mené ses premières expériences. Mais, ce jeudi 19 novembre, ils ne suivent pas un cours. Ils assistent à une pièce de théâtre, Déter, de Baptiste Amann, donnée dans le lycée professionnel Oberlin, à Strasbourg. Des professeurs et le proviseur sont également dans la salle, où un bureau tient lieu de décor. C’est celui de la directrice d’une école maternelle, qui a convoqué les parents d’un élève. Elle est tendue, elle a peu d’expérience et ne sait pas comment s’y prendre pour annoncer la nouvelle : le fils du couple, âgé de 5 ans, a planté un crayon dans l’abdomen d’un de ses camarades, qui a dû être hospitalisé. Acte de violence, ou accident ? Comment comprendre, réagir ? Entre la directrice et les parents, très vite, le ton monte… Mais ça veut dire quoi, « déter » ? « C’est quand on veut absolument parler. On dit qu’on est “déter” », explique une jeune fille après la représentation, d’excellente tenue, qui ouvre un débat entre le metteur en scène (Rémy Barché), les comédiens (Natalie Beder, Séphora Pondi, Samuel Réhault), les élèves et LE VIVRE-ENSEMles représentants du Théâtre national de Strasbourg, qui ont organisé l’opéBLE QUI EST AU CŒUR ration avec le Théâtre national de la à Paris, et la Comédie de DE « DÉTER », LA PIÈCE Colline, Reims. Les trois théâtres ont comDE BAPTISTE AMANN, mandé la pièce, et demandé à Rémy Barché de la présenter dans des lycées, RENVOIE LES ÉLÈVES souvent professionnels ou classés en ZEP (zones d’éducation prioritaires) À LEUR QUOTIDIEN de leurs trois villes, où ils mènent un travail avec les élèves. Déterminisme social, préjugés, violence Selon les endroits, les réactions diffèrent. A Paris, où Déter a été jouée avant Reims et Strasbourg, c’est le déterminisme social qui était mis en avant par les lycéens dans les débats. A Strasbourg, ce sont les préjugés et la violence. Un élève parle du racisme : dans la pièce, la directrice fait remarquer que l’enfant incriminé est « mat ». Une autre élève évoque un fait divers datant de quelques jours : dans le Haut-Rhin, un adolescent a tué un de ses camarades, dans un bus scolaire, avec une arme prise à son père. Le vivre-ensemble qui est au cœur de la pièce, subtile, de Baptiste Amann, renvoie les élèves à leur quotidien. Mais ce n’est pas d’eux qu’ils parlent, par pudeur sans doute : ils préfèrent en rester aux personnages de Déter. Pour la plupart, les filles présentes se préparent au service à la personne, en plein développement, et les garçons, à la vente. Ils sont issus de différentes nationalités, ils vivent à Strasbourg ou dans la banlieue. Le théâtre leur offre un espace de réflexion et de parole bienvenu. Ils ont hâte, d’ailleurs, de connaître la suite de Déter, que l’auteur envisage d’écrire, et qui mettra en scène les parents de l’enfant incriminé, face à un psychologue. p brigitte salino styles | 25 0123 MARDI 24 NOVEMBRE 2015 hervé van der straeten, le temps du raffinement Dans son atelier de Bagnolet, entouré de parcheminiers et de bronziers, le designer français crée des objets sculpturaux, ciselés et surprenants DESIGN A u Pavillon des arts et du design, à Londres, mi-octobre, on l’avait trouvé lisse, nerveux, sophistiqué. Le voici chaleureux, décontracté, presque bavard, un mois plus tard, chez lui, dans son atelier de Bagnolet (Seine-Saint-Denis) – labellisé depuis 2007 « Entreprise du patrimoine vivant » pour l’excellence de ses savoir-faire artisanaux. Le designer Hervé Van der Straeten est, comme ses œuvres, subtilement changeant, selon l’angle sous lequel on le découvre. A 50 ans – dont trente ans de création –, il a ainsi trouvé le moyen de ne jamais lasser. Depuis 1985, ce designer de bijoux et de meubles dessine d’un trait des objets élégants, sculpturaux, quoique dotés d’un « twist » particulier. Le flacon du célèbre parfum J’adore de Dior ? C’est une amphore née d’un seul coup de crayon, avec ce long cou qui interroge, surprend et séduit (mais où se cache donc le vaporisateur ?). Ses gracieux miroirs ronds ou elliptiques finissent hérissés de pliages, de formes en 3D au travers desquelles joue la lumière. L’une de ses consoles les plus célèbres, posée sur des pièces en équilibre, semble tenir par magie. Tout est décalé, en léger porte-à-faux. Sans compter le mariage inédit de la Hervé Van der Straeten est assis sur sa banquette Jet Lag. Derrière lui, le miroir Tumulte. JO MAGREAN géométrie et des courbes, du velouté d’un daim et du lisse d’un laiton, de teintes sourdes et de traits de couleur brute (du bleu Klein cette saison), qui interviennent « comme un filet de vinaigre pour relever une recette », précise l’homme, également cuistot hors pair. « Un logiciel 3D dans la tête » « Mes maîtres sont l’ébéniste du roi Louis XIV, André-Charles Boulle, les figures de l’Art déco – Armand-Albert Rateau, Jacques-Emile Ruhlmann, Eileen Gray… – et l’art contemporain, dans lequel je puise la liberté de penser et de concevoir », résume Hervé Van der Straeten, à quelques jours de sa dixième exposition personnelle, baptisée « Emergence ». Cette fois encore, il veut surprendre. D’ordinaire, il dessine les objets sous toutes les coutures – « C’est comme si j’avais un logiciel 3D dans la tête » –, puis recherche les matières qui les magnifient. « Je suis parti des matériaux bruts – parchemin poilu, pierres amalgamées et sédimentées ensemble, bois veinés ou loupes – et j’ai inventé les formes qui subliment l’œuvre de la nature en même temps que le savoir-faire en bronze et ébénisterie de mes ateliers », dit-il. A Bagnolet, à quelques jours du vernissage, tout ce petit monde s’agite. Sous un préau, quatre artisans accrochent des pampilles à un « JE DESSINE À LA MAIN, SANS CALCULETTE POSÉE À CÔTÉ DE MOI. JE NE PENSE PAS À UN PROFIL DE CLIENT, MAIS À MOI, ASSEZ ÉGOÏSTEMENT » lustre de bronze géant. A l’intérieur de l’atelier, un bronzier applique au pinceau une patine à chaud, un parcheminier fixe des peaux aux différents tons de craie sur un meuble, tandis qu’un ébéniste cire délicatement une armoire insensée en marqueterie de loupe, de bois de violette, d’olivier, d’ébène ou de palissandre des Indes. Chaque essence a été découpée en tranches, puis reportée sur le meuble en placage, selon un savant dessin rose, orangé, vert… Hervé Van der Straeten, marié à Bruno Frisoni, le directeur artistique de la griffe Roger Vivier, vit dans un monde raffiné qu’il s’est choisi. Ses miroirs et consoles trônent dans les boutiques du chausseur et maroquinier de luxe, rue du Faubourg-Saint-Honoré, à Paris, Londres ou Hongkong. D’autres de ses créations ont pris place dans la galerie new-yorkaise Ralph Pucci International, ou dans les intérieurs léchés d’esthètes de tous pays. Sept ou huit pièces sont même entrées dans les collections du Mobilier national, qui fournit les meubles et objets décoratifs de l’Etat français depuis le XVIIe siècle. Quête de perfection Dès l’adolescence, soutenu par « une vision très claire », le jeune homme sait qu’il veut vivre dans la Ville Lumière – il est né à Brétignysur-Orge (Essonne) – et créer du mobilier. Après un bac de dessin industriel, il s’oriente vers les BeauxArts, à Paris. Quelques bijoux plus tard – de ces formes simples, graphiques, à l’impact visuel si fort qu’ils rencontrent un succès immédiat auprès des étudiantes –, il arrête ses études pour s’installer à son compte. En 1985, il possède déjà sa petite fabrique de métal, tandis que ses bijoux défilent sur les podiums de Christian Lacroix ou Martine Sitbon. En 1990, ses créations prennent de l’ampleur, enflent… jusqu’à devenir miroirs – façon camées – ou lustres – façon pendentifs XXL. Deux ans plus tard, Liberty Gallery expose son travail à Londres. En 1999, il ouvre sa propre galerie dans le Marais et réalise ses premières pièces de mobilier. Au départ, ses amis le pensaient farfelu. « A qui vas-tu vendre ces lustres de 2 mètres de hauteur, ces finitions trop poussées, ces armoires ouvragées jusque dans leur dos que l’on ne voit pas ? », lui disait-t-on devant sa quête de perfection, frôlant une préciosité qui n’était plus de mode. Aujourd’hui, alors que le baroque est redevenu fréquentable, on loue ses choix de designer excentrique chic. Hervé Van der Straeten a mis deux ans et quelques mois pour élaborer sa paire d’armoires en marqueterie de différentes essences. Son travail, presque devenu anachronique, est donc follement recherché à une époque où le temps est devenu l’ultime luxe. « Je dessine à la main, sans calculette posée à côté de moi. Je ne pense pas à un profil de client, mais à moi, assez égoïstement. Je suis dans une dynamique de plaisir, et je suis persuadé que les amoureux des pièces très bien faites ressentent ce plaisir que l’on a eu à les créer », lâche le designer. Aujourd’hui, Hervé Van der Straeten rêve de bâtir une maison de A à Z. On l’imagine déjà… graphique et décorative, comme ses meubles bijoux. p véronique lorelle Emergence, galerie Van der Straeten, 11, rue Ferdinand-Duval, 75004 Paris. Jusqu’au 19 avril 2016. L’utopie intérieure de Chandigarh La cité indienne fut le projet phare de Le Corbusier mais… c’est Pierre Jeanneret qui en dessina les meubles. Des pièces en vente chez Artcurial M ardi 1er décembre, à Paris, la maison de vente aux enchères Artcurial dispersera 18 pièces de mobilier provenant de Chandigarh, la ville indienne bâtie par Le Corbusier dans les années 1950 – et son seul projet urbain de grande ampleur. Ces meubles, de plus en plus rares, sont les témoins d’une des dernières utopies du XXe siècle. Chandigarh est sortie de terre au milieu des plaines du Pendjab, sur une décision du premier ministre Nehru (1889-1964) d’en faire « le symbole de la libération de l’Inde et l’expression de sa conviction pour le futur ». Le Corbusier va s’y employer, en appliquant à l’échelle XXL ses idées visionnaires combinant architecture, environnement et décoration intérieure. Il trace les routes, dessine éclairages publics et plaques d’égout, construit palais de justice, université, Parlement, et prévoit même un Musée de la connaissance ! Pour prolonger l’architecture Bauhaus de sa cité, on fabrique du mobilier sur place. Le 7 octobre 1953, la ville est inaugurée : Le Corbusier coupe le ruban rouge auprès de Nehru. « C’est l’ingratitude de l’histoire : on le connaît peu, mais c’est Pierre Jeanneret, le cousin de Le Corbusier, qui a supervisé la construction de Chandigarh pendant quinze ans et a conçu tout le mobilier », s’enflamme Fabien Naudan, vice-président de la maison Artcurial. « C’est lui qui reçoit les dessins et directives par courrier de Le Corbusier, rentré très tôt à Paris. Il est l’homme de l’ombre, des concessions, celui qui fait vraiment exister le projet, nonobstant le climat, le manque de matériaux… », précise-t-il. Pierre Jeanneret Pierre Jeanneret, table de lecture éclairante, 1963/1964, en teck, acier et verre dépoli. ARTCURIAL s’éteindra en France deux ans après son retour, à l’âge de 71 ans, en 1967. Un mobilier « hiérarchique » Le mobilier qu’il a dessiné raconte cette immersion sur le terrain, en Inde. C’est la fusion de l’avantgarde moderniste européenne, de la tradition hindoue et de l’héritage colonial britannique. « Pierre Jeanneret a su adapter l’esthétique moderniste : il use de bois exotiques tels le teck ou le wengé, et, à défaut de poignées en métal, il perce les tiroirs de fentes en biais où il glisse une simple plaque en aluminium. Il respecte les codes du pays, chaque hiérarchie dans l’administration se voyant attribuer son meuble : dossier de 1,20 m pour le fauteuil du juge, 0,70 m pour l’avocat. Jusqu’à la table pour “assistant junior” dont les dimensions reflètent le statut de débutant », souligne Fabien Naudan, qui a déjà contribué à la reconnaissance de l’œuvre de Pierre Jeanneret dans la ville indienne, par trois ventes entièrement consacrées à ses créations, chez Artcurial, entre 2006 et 2010. Il n’est pas le seul à vouloir réhabiliter le cousin et plus proche collaborateur de Le Corbusier. « Nous souhaitons redonner à Pierre Jeanneret la place et le rôle de concepteur qui fut la sienne dans la construction de cette ville », précise la Cité de l’architecture et du patrimoine, qui expose jusqu’au 29 février 2016, à Paris, « Chandigarh, 50 ans après Le Corbusier ». Le public est invité à s’asseoir dans sept chauffeuses basses dites « Kangourou » et sept lits banquettes « Sharpei », dessinés par Jeanneret. Assis sur ces copies à l’identique fabriquées en Inde, les visiteurs regardent des vidéos sur la cité filmée aujourd’hui. Une des villes les plus agréables à vivre du pays. p v.l. Artcurial, exposition du vendredi 27 au lundi 30 novembre. Vente 1er décembre. Paris 8e. « Chandigarh, 50 ans après Le Corbusier », Cité de l’architecture et du patrimoine, Paris 16e. 5 €. 26 | télévisions 0123 MARDI 24 NOVEMBRE 2015 Une Libération au goût amer VOTRE SOIRÉE TÉLÉ La seconde partie de la sixième saison d’« Un village français » nous plonge au cœur d’une période qui reste trouble M AR D I 24 N OVE M B R E FRANCE 3 MARDI 24 – 20 H 50 SÉRIE A près les bombardements, c’est au tour des rancunes d’exploser. Des résistants sont encore abattus par les Allemands ou leurs substituts en France, mais en cette fin d’année 1944, à Villeneuve, le village fictif du Jura dans lequel France 3 nous a transportés depuis quelques années, les Américains sont en place. Reste bien un petit groupe de miliciens pas malins qui retiennent des otages dans l’école et menacent de tout faire sauter, mais eux-mêmes savent que leur fin est proche. Haine contre haine Un comité départemental de Libération (CDL) réunit les résistants prêts à gérer les affaires civiles courantes (le manque criant de ravitaillement, de logements et de structures sanitaires), et l’ancien directeur de l’école, Jules Bériot, passé par Lyon, Londres et Alger, vient d’arriver, nommé préfet par le gouvernement provisoire de la République française (GPRF) du général de Gaulle. Tout est à recréer, refonder, rétablir, à commencer par un Etat de droit… alors que miliciens et résistants se retrouvent, haine contre haine, au cœur du village, et que Audrey Fleurot (Hortense Larcher) et Robin Renucci (Daniel Larcher). LAURENT DENIS/TMF/TERENGO/FTV 2014 peu de gens savent faire la part entre leur désir de justice et leur soif de vengeance. Fin 2014, les six premiers épisodes de cette saison 6, qui couvre 1944, avaient été diffusés. La résistante Marie Germain était morte ; la femme du médecin, Hortense Larcher, et son amant SS, Heinrich Müller, venaient d’échapper à une exécution… Avec les six épisodes que France 3 diffuse pour clore cette saison, la Libération se vit pour certains dans l’amertume. Même pour un personnage comme le docteur Larcher (Robin Renucci), qui va petit à petit se voir traiter de « collaborateur », notamment pour avoir pris des responsabilités en soutien à ses concitoyens pendant l’Occupation, accepté le poste de maire et négocié avec l’ennemi afin de sauver des vies. Quant au ciment antinazi qui, les derniers temps, tenait les mouvements de résistants entre eux, il va s’effriter, sous le coup des « nécessités » du pragmatisme, du réalisme politique ou de l’opportunisme. A ce titre est exemplaire l’évolution du personnage de l’ancien et discret directeur d’école, Bé- riot. Devenu préfet et représentant le général de Gaulle à Villeneuve, il va promettre puis se dédire plus d’une fois, manœuvrer pour décrédibiliser toute candidature communiste à venir au poste de maire et se positionner comme candidat « naturel », lorsque le temps des élections sera venu. En dépit de retrouvailles scénaristiques très opportunes, voire peu crédibles, entre personnages ou couples que la guerre avait séparés, « Un village français » reste le modèle de série du service public qu’elle a su être dès ses débuts. Une dernière saison est en cours de préparation, autour de l’épuration. Couvrant la période de novembre à Noël 1945, elle devrait permettre, grâce à des retours en arrière, de voir ressurgir des personnages décédés, ou d’en découvrir d’autres dans le contexte de l’avant-guerre, et ainsi mieux cerner leur personnalité et leurs choix en temps de crise. Telle la rencontre entre le médecin Daniel Larcher et sa femme Hortense… p martine delahaye « Un village français », saison 6, série de Frédéric Krivine, Philippe Triboit et Emmanuel Daucé. Avec François Loriquet, Robin Renucci, Audrey Fleurot, Thierry Godard, Emmanuelle Bach, Marie Kremer (France, 2015, 6 x 52 minutes). Un documentaire sur le long et difficile parcours intime et judiciaire des victimes de violences conjugales P our Me Tomasini et Bonaggiunta, le déclic eut lieu le 9 juillet 2010, lorsque fut adoptée la loi visant à prévenir les violences faites aux femmes au sein de leur couple et à protéger les victimes. Quelques mois plus tard, les deux avocates, jusqu’alors versées dans le droit des affaires, ouvraient un cabinet spécialisé dans la défense de femmes victimes de violences conjugales. Après avoir médiatisé leur combat lors de l’affaire Alexandra Lange (du nom de cette jeune femme qui, à la suite de maltraitances, tua son mari avant d’être acquittée), afin d’aider une fois encore d’autres femmes à sortir du silence, les deux avocates recommencent aujourd’hui devant la caméra de Xavier Deleu. Durant six mois, elles ont ouvert les portes de leur cabinet au réalisateur qui les a suivies dans leur quotidien et celui de cinq de leurs clientes dont les procédures sont en cours. Grâce à quoi, entremêlant par- cours intime et judiciaire, Xavier Deleu met en évidence, après leur sortie de l’enfer, les différents combats qu’elles doivent encore mener. Que ce soit pour se faire entendre parfois non sans mal de la police ; pour conserver la garde de leurs enfants, à l’image de cette secrétaire médicale accusée de mauvais traitement pas son ex-compagnon ; pour supporter (ce n’est qui n’est dit que trop rarement) le coût financier de procédure longue et d’autant plus douloureuse qu’elles ravivent la peur, les blessures et le cauchemar ; et, bien sûr, pour France 2 20.55 Les Sentinelles du climat Documentaire de Pierre-François Glaymann (Fr., 2015, 90 min). 22.25 On commence quand ? Documentaire d’Emmanuel Réau (Fr., 2015, 85 min). France 3 20.50 Un village français Série créée Frédéric Krivine, Philippe Triboit et Emmanuel Daucé (Fr., S6, ép. 7 et 8/12). 23.20 Résistants/collabos, une lutte à mort Documentaire de Franck Mazuet et Christophe Weber (Fr., 2014, 70 min). Canal+ 20.55 The Search Drame de Michel Hazanavicius. Avec Bérénice Bejo (Fr.-Géorg., 2014, 130 min). 23.05 Terrain de chasse Documentaire de Kirby Dick (EU, 2015, 105 min). France 5 20.40 « Au nom des femmes » Soirée spéciale sur les violences conjugales. (120 mn). 22.40 C dans l’air Magazine animé par Yves Calvi. Femmes battues, la vie après les coups FRANCE 5 MARDI 24 – 20 H 40 DOCUMENTAIRE TF1 20.55 Mentalist Série créée par Bruno Heller. Avec Simon Baker, Robin Tunney, Aubrey Deeker (EU, S7, ép. 13/13 ; S6, ép. 6, 7 et 8/22). 0.25 Les Experts : Miami Série créée par Ann Donahue, Anthony E. Zuiker et Carol Mendelsohn (EU, S10, ép. 9, 11/19 ; S7, ép. 4/25). qu’enfin justice leur soit rendue. Avant qu’à bout, elles ne la rendent elle-même, ainsi que le confie Stéphanie, seule à témoigner ici à visage couvert. Et pour cause. Après avoir vécu pendant sept ans auprès d’un délinquant multirécidiviste, en 2012, la jeune femme s’enfuit de chez elle avec ses deux enfants. Malgré les plaintes, Stéphanie vit toujours, trois ans plus tard, sous la menace quotidienne de son ex-compagnon qui, bien qu’en détention provisoire, continue de lui adresser par téléphone des messages de mort. Cinq ans après la mise en place d’un arsenal juridique conséquent, l’application de la loi de 2010, reste problématique ainsi que le démontre ce film aussi édifiant que glaçant. Outre ce documentaire suivi d’un débat, France 5 mobilisera toute la journée son antenne sur le sujet et ouvre une plateforme de témoignages sur Francetv.fr/violencesconjugales. p christine rousseau Arte 20.55 Climat, pour quelques de degrés de moins Documentaire d’Alexis Barbier-Bouvier, Thierry Robert et Elena Sender (Fr., 2015, 90 min). 22.40 Nos chers paradis Documentaire de Blandine Grosjean et Emmanuel Roy (Fr., 2015, 55 min). M6 20.55 La France a un incroyable talent Divertissement présenté par Alex Goude. Violences conjugales, au nom des femmes, de Xavier Deleu (Fr., 2015, 60 min). 0123 est édité par la Société éditrice HORIZONTALEMENT GRILLE N° 15 - 277 PAR PHILIPPE DUPUIS 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 I II III IV V VI VII I. Beaucoup d’éclats et de bruit souvent pour rien. II. Sans la moindre connaissance. Grande assemblée de cardinaux. III. Belle in pour un homard. Enrichi pour faire le plein d’énergie. IV. Venus du Liban, de Syrie et d’Israël. Faciles à franchir d’un pas. V. Met le feu aux organes. Interpelle discrètement. Mou mais précieux. VI. Démonstratif. Belle et grande de Normandie. Cercle poétique. VII. Pleins d’ardeur dans l’efort. A trouvé un siège. VIII. Passas le temps. Souverain disparu. Fait tomber les têtes sur le tapis. IX. Vit au large. Opposition brutale. X. Portées en tête par de belles dames. du « Monde » SA Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 94.610.348,70 ¤. Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS). Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00 Abonnements par téléphone : de France 3289 (Service 0,30 e/min + prix appel) ; de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ; par courrier électronique : [email protected]. Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤ Courrier des lecteurs blog : http://mediateur.blog.lemonde.fr/ ; Par courrier électronique : [email protected] Médiateur : [email protected] Internet : site d’information : www.lemonde.fr ; Finances : http://inance.lemonde.fr ; Emploi : www.talents.fr/ Immobilier : http://immo.lemonde.fr Documentation : http ://archives.lemonde.fr Collection : Le Monde sur CD-ROM : CEDROM-SNI 01-44-82-66-40 Le Monde sur microilms : 03-88-04-28-60 SUDOKU N°15-277 VERTICALEMENT VIII IX X SOLUTION DE LA GRILLE N° 15 - 276 HORIZONTALEMENT I. Scaphandrier. II. Carrelée. Nue. III. Urgentiste. IV. Rigaudon. V. Punaiserai. VI. Titi. Tum. Thé. VII. Resalées. VIII. Ivrée. ENA. Rt. IX. Cierge. Loi. X. Enseignement. VERTICALEMENT 1. Sculptrice. 2. Car. Ui. Vin. 3. Argentures. 4. Pré. Ai. Ere. 5. Henri. Régi. 6. Altiste. Eg. 7. Neigeuse. 8. Désarmante. 9. Tua. La. 10. Inédite. Le. 11. Eu. Héron. 12. Réinvestit. 1. A toujours un compte à régler. 2. Que l’on aura beaucoup de mal à saisir. 3. Fait des dégâts bombe en main. Exécrer. 4. S’aichent au kiosque. Faire entrer avec diiculté. 5. Chez les Grecs. Ferme la porte. Tout un spectacle à Tokyo. 6. Troublassent les cœurs sensibles. 7. Liaisons franciliennes. La Reine morte. 8. Noble à coups de poings. Corrompu. 9. Indication à suivre par le chef. Ecole publique. 10. Maman d’Horus. Sur la portée. En travers. 11. Se bat pour maintenir la paix. Au couvent mais pas dans les ordres. 12. En grandes quantités. La reproduction de tout article est interdite sans l’accord de l’administration. Commission paritaire des publications et agences de presse n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037 IE HORS-SÉR VRE S, UNE ŒU UN HÉRO ASTÉRIX L’IRRÉDUCTIBLE Un hors-série du « Monde » Astérixtible L’irréduc fix élix et Idé sont nés Ob comment c Uderzo : exclusif ave Entretien 124 pages - 7,90 € chez votre marchand de journaux et sur Lemonde.fr/boutique Présidente : Corinne Mrejen PRINTED IN FRANCE 80, bd Auguste-Blanqui, 75707 PARIS CEDEX 13 Tél : 01-57-28-39-00 Fax : 01-57-28-39-26 L’Imprimerie, 79 rue de Roissy, 93290 Tremblay-en-France Toulouse (Occitane Imprimerie) Montpellier (« Midi Libre ») 0123 | 27 0123 MARDI 24 NOVEMBRE 2015 Climat d’insécurité C’ était bien évidemment la question piège. Samedi 14 novembre, sur la chaîne de télévision CBS, l’animateur du débat entre les prétendants à l’investiture démocrate pour l’élection présidentielle américaine a demandé à Bernie Sanders s’il pensait toujours que le changement climatique était « la menace la plus importante pour la sécurité des Etats-Unis », comme il l’avait déclaré quelques semaines auparavant. La question est presque rhétorique. La veille, Paris était ensanglantée par des attaques terroristes d’une brutalité inédite en France. L’« urgence climatique » semble reléguée, depuis, à une question vaguement subsidiaire. M. Sanders a pourtant répondu qu’il maintenait « absolument » son opinion. « En fait, le changement climatique est directement lié à l’augmentation de la menace terroriste (…), a-t-il expliqué. Si nous n’écoutons pas ce que les scientifiques nous disent, nous allons voir des pays tout autour du monde – c’est ce que dit la CIA – se battre pour l’accès à l’eau, pour l’accès aux terres arables, et nous verrons surgir toutes sortes de conflits. » Certitude incommodante Tirer un lien entre sécurité et changement climatique en fait sourire certains. Ce lien est pourtant une certitude, et une certitude suffisamment incommodante pour être systématiquement oubliée et régulièrement redécouverte. En mars 2008, le haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité transmettait aux Etats membres un rapport sans ambiguïté sur le sujet. Sept ans après sa rédaction, force est de constater son caractère prémonitoire. Le texte estimait que le réchauffement agit comme un « multiplicateur de menaces » dans des zones déjà traversées par des tensions sociales, politiques, religieuses ou ethniques. « Les changements climatiques risquent d’avoir, à l’avenir, des incidences sur la stabilité sociale et politique au Proche-Orient et en Afrique du Nord », détaillait le rapport, qui pointait « les tensions liées à la gestion des ressources hydriques de la vallée du Jourdain et du bassin du Tigre et de l’Euphrate, qui se raréfient » et l’aggravation de ces tensions par l’augmentation des températures. Il mettait aussi l’accent sur « une augmentation sensible de la population du Maghreb et du Sahel » au cours des prochaines années qui, combinée au changement climatique et à la diminution des surfaces agricoles, pourrait entraîner une « déstabilisation politique » et « accroître les pressions migratoires ». Même alerte sur le Yémen. De manière troublante, presque toutes les zones identifiées en 2008 comme les plus sensibles au réchauffement – de la Mésopotamie au Levant en passant par le Yémen, le Sahel et l’Afrique du Nord – ont basculé sept ans plus tard dans l’instabilité ou le chaos, chaos dont les attentats de Paris sont le monstrueux rejeton. Le cas syrien, en particulier, a fait l’objet de plusieurs travaux, cherchant la part prise par le climat dans la situation actuelle. Fran- QUAND LA QUANTITÉ DE PLANCTON BAISSE DE 10 %, LE NOMBRE D’ACTES DE PIRATERIE AUGMENTE D’AUTANT LE RÉCHAUFFEMENT AGIT COMME UN « MULTIPLICATEUR DE MENACES » DANS DES ZONES DÉJÀ TRAVERSÉES PAR DES TENSIONS POLITIQUES, SOCIALES, ETHNIQUES OU RELIGIEUSES cesca de Châtel (université Radboud de Nimègue, aux Pays-Bas), spécialiste des questions de gestion de l’eau au Proche-Orient, en a livré une chronique saisissante, publiée en janvier 2014 dans la revue Middle Eastern Studies. Le scénario combine un cauchemar environnemental à une incurie à peu près totale du gouvernement syrien dans la gestion de ses conséquences. Entre 2007 et 2010, favorisée par le réchauffement en cours, une sécheresse d’une sévérité jamais vue depuis le début des relevés météorologiques s’installe sur la région. Les Nations unies estiment que 1,3 million de Syriens en sont affectés. En 2008, pour la première fois de son histoire, la Syrie doit importer du blé. L’année suivante, plus de 300 000 agriculteurs désertent le nord-est du pays faute de pouvoir poursuivre leur activité. Car non seulement il ne pleut pas, mais un grand nombre de nappes phréatiques, surexploitées depuis les années 1980, sont à sec… En 2010, 17 % de la population syrienne est en situation d’insécurité alimentaire. Bien sûr, les déterminants envi ronnementaux n’invalident nulle ment les autres – religieux, politi ques, ethniques, etc. –, habituelle ment mis en avant. Mais leur rôle est clair : comment penser que la destruction partielle de la production primaire d’un pays puisse être sans effet aucun sur sa stabilité et la sécurité de ses voisins ? Grilles de lecture Dans une étude publiée en mai dans Journal of Development Economics, Matthias Flückiger et Markus Ludwig, de l’université de Bâle, en Suisse, donnent une illustration extraordinaire de ce lien entre environnement et sécurité. Les deux économistes ont analysé les données relatives aux actes de piraterie au large d’une centaine de pays, et à l’abondance de plancton dans les mêmes eaux. Selon leurs calculs, lorsque la quantité de plancton baisse de 10 %, le nombre d’actes de piraterie augmente d’autant… Parce qu’elle est étrangère à nos grilles de lecture habituelles, cette corrélation peut surprendre, mais elle n’est pas si étonnante. Le plancton – affecté par le réchauffement – forme le socle de la chaîne alimentaire marine : lorsqu’il vient à manquer, ce sont les pêcheries qui trinquent. Les pêcheurs se retrouvent alors avec des bateaux qui ne peuvent plus servir à pêcher. Il faut donc trouver une autre activité permettant de les amortir, et la piraterie en est une. En frappant Paris, l’organisation Etat islamique (EI) a remis le court terme au centre de l’agenda politique. La conférence décisive sur le climat, qui doit s’ouvrir le 30 novembre dans la capitale française, est passée au second plan. Pour la lutte contre le réchauffement, c’est une mauvaise nouvelle. On aura compris que, pour l’EI et tous ceux qui prospèrent sur le désespoir des plus pauvres, c’est une formidable victoire. p [email protected] Tirage du Monde daté dimanche 22 - lundi 23 novembre : 326 754 exemplaires LA BELGIQUE, UNE NATION SANS ÉTAT ? L es Belges sont nos amis, nos frères. On aime leur humour, lorsque, ville morte et métros fermés pour cause d’alerte terroriste maximale à Bruxelles, leur dessinateur Geluck écrit : « Le kamikaze belge étonnant de lucidité : je vais me faire sauter, une fois. » En bon jacobin, on s’étonne de la vacance régulière du pouvoir et de leurs sept Chambres parlementaires. Et l’on admire, dans leur capitale chaotique, leur engagement européen indéfectible. Pourtant, alors que la traque des auteurs des attentats de Paris se poursuit, il faut se rendre à l’évidence : au cœur de l’Europe, la sympathique Belgique est devenue une plaque tournante du djihadisme. Une bonne partie des terroristes de Paris et le coordinateur présumé des attentats, Abdelhamid Abaaoud, venaient de Belgique. L’auteur de la tuerie du Musée juif de Bruxelles, l’an dernier, le tireur désarmé du Thalys cet été, ou, naguère, certains auteurs des attentats de Madrid (2004), sans oublier les assassins en Afghanistan du commandant Massoud en 2001 : tous ont vécu ou sont passés par le royaume, échappant le plus souvent au radar de ses services de renseignement. Base logistique du terrorisme international, la Belgique est aussi devenue un centre d’endoctrinement et de recrutement. Rapporté à sa population, le pays fournit le plus gros contingent des combattants européens en Syrie. Des groupes y ont profité de la trop grande tolérance d’autorités municipales, régionales ou fédérales surtout soucieuses de ne pas troubler la paix civile. L’islam y est financé par des puissances étrangères, en particulier l’Arabie saoudite. Des mosquées et des imams, bien identifiés mais rarement inquiétés, ont pu y tenir des propos hostiles, tandis que des apprentis djihadistes se fondaient dans l’anonymat de quartiers échappant de fait au contrôle des autorités. Ces rappels ne doivent pas faire oublier que, depuis quinze ans, les services belges de l’antiterrorisme ont démantelé des réseaux, empêché des attentats et permis des dizaines de procès. C’est en arguant de ces résultats que les autorités du pays ont rejeté les critiques du gouvernement français, qui soulignait les lacunes de la Belgique. Certes. Mais, même s’ils n’ont pas été les seuls, les services belges ont échoué à déjouer des attentats fomentés en partie à Bruxelles. Une sorte d’union nationale, assez rare, s’est formée pour ne pas mettre en cause la responsabilité de tel ou tel. Et pour cause : le système des coalitions fait que, depuis l’émergence du terrorisme islamiste, à peu près toutes les formations démocratiques ont participé au pouvoir et pourraient en être jugées coresponsables. Loin d’isoler la Belgique, il faut l’aider à se protéger et c’est ce que font les services français. Mais le pays doit se ressaisir. Il aura fallu qu’il connaisse la terrible affaire Dutroux, dans les années 1990, pour qu’il réforme enfin sa police et sa justice. L’épreuve du terrorisme doit le conduire à renforcer sa sécurité, qui est celle de tous les Européens, et à s’interroger – comme la France – sur ses défaillances en matière de prévention et d’intégration. Le pays a beau avoir retrouvé une certaine stabilité, il reste prisonnier d’un débat institutionnel que l’on a pu trouver pittoresque mais qui tourne au tragique et qui lui a fait perdre de vue l’importance de ses missions régaliennes. Confondant régionalisation et efficacité, cet Etat sans nation prend le risque de devenir progressivement une nation sans Etat. p BOURDIN DIRECT LA MATINALE !!!! ©Photo : Pascal Potier - Visual Press Agency par sté p hane fo ucart DeBonneville-Orlandini PLANÈTE | CHRONIQUE JEAN-JACQUES BOURDIN Médiamétrie 126 000 radio – RMC - SO15 – LàV –AC 6h/10h – 13 ans et + / Médiamétrie Médiamat – 4+ - LàV – RMC DECOUVERTE : 6h/8h30 le 11/11/2015 – BFMTV : 8h30/9h période : rentrée 2015-2016 au 13/11/2015 – TCE / Twitter : compte @JJBourdin_RMC - Vigiglobe