La France en quête d`une coalition contre l`EI

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La France en quête d`une coalition contre l`EI
Mardi 24 novembre 2015 ­ 71e année ­ No 22038 ­ 2,20 € ­ France métropolitaine ­ www.lemonde.fr ―
Fondateur : Hubert Beuve­Méry ­ Directeur : Jérôme Fenoglio
La France en quête d’une coalition contre l’EI
▶ Lundi, François Hollande et
▶ Marathon diplomatique. Cette
▶ Les Etats­Unis, comme les pays
▶ Le porte­avions « Charles­
David Cameron se sont recueillis
devant le Bataclan, avant une réu­
nion à l’Elysée. Le premier minis­
tre britannique espère convaincre
Westminster d’intervenir en Syrie
semaine, le président doit aussi
rencontrer Obama, Merkel et Pou­
tine. Objectif : établir une straté­
gie avec des partenaires qui ne
partagent pas les mêmes objectifs
du Golfe, ne sont pas prêts,
au nom de la lutte contre l’EI,
à accepter le maintien au pouvoir
de Bachar Al­Assad, soutenu à
bout de bras par la Russie et l’Iran
de­ Gaulle », arrivé au large de la
Syrie, est « opérationnel » depuis
ce lundi, a déclaré le ministre
de la défense, Jean­Yves Le Drian
→ LIR E
PAGE S 2 À 4
MÉMORIAL DU
13 NOVEMBRE
Bruxelles
en état de siège
Ils et elles sont les victimes
des attentats du 13 novembre.
« Le Monde » commence la
publication de leurs portraits,
afin de conserver la mémoire
de ces vies fauchées.
Que ces hommes et ces femmes
puissent ainsi demeurer
dans le souvenir collectif.
UK price £ 1,90
→ LIR E
▶ La capitale belge reste
en alerte maximale
face au risque terroriste
▶ Le métro, les écoles,
les crèches et
les universités sont
fermés, les militaires
et les policiers
sont omniprésents
▶ Salah Abdeslam,
le suspect en fuite
des attentats
de Paris, ne figure
pas parmi les seize
personnes arrêtées
ce week­end
PAGES 1 4 - 1 5
Nick Alexander, Stéphane Albertini,
Jean-Jacques Amiot, Anne-Laure
Arruebo, Thomas Ayad, Chloé
Boissinot, Maxime Bouffard, Quentin
Boulenger, Ludovic Boumbas,
Elodie Breuil, Ciprian Calci, Claire
Camax, Nicolas Catinat, Baptiste
Chevreau, Nicolas Classeau, Precilia
Correia, Cécile Coudon Peccadeau
de L’isle, Marie-Aimée Dalloz, Aurélie
de Peretti , Matthieu de Rorthais,
Guillaume B. Decherf, Alban Denuit,
Elsa Veronique Deplace San Martin,
Nicolas Degenhardt, Vincent Detoc,
Asta Diakité, Manuel Dias, Romain
Didier, Lucie Dietrich, Elif Dogan,
Fabrice Dubois, Romain Dunet,
Thomas Duperron, Mathias
Dymarski, Salah Emad El-Gebaly,
Germain Ferey, Romain Feuillade,
Grégory Fosse, Christophe Foultier,
Antoine Mary, Julien Galisson,
Suzon Garrigues, Mayeul Gaubert,
Véronique Geoffroy de Bourgies,
Michelle Gil Jaimes, Matthieu Giroud,
Cédric Gomet, Nohemi Gonzalez,
Juan Alberto Gonzalez Garrido,
Pierre-Yves Guyomard, Anne
Guyomard, Stéphane Hache,
Thierry Hardouin, Olivier
Hauducoeur, Frédéric Henninot,
Pierre-Antoine Henry, Raphaël Hilz,
Mathieu Hoche, Djamila Houd,
Amine Ibnolmobarak, Pierre
Innocenti, Nathalie Jardin, Marion
Jouanneau, Milko Jozic, JeanJacques Kirchheim, Hyacinthe Koma,
Marie Lausch, Guillaume Le Dramp,
Renaud Le Guen, Gilles Leclerc,
Christophe Lellouche, Cédric Mauduit, Charlotte Meaud, Emilie Meaud,
Isabelle Merlin, Fanny Minot, Yannick
Minvielle, Cécile Misse, Lamia
Mondeguer, Marie Mosser, Justine
Moulin, Natalia Moureva-Loren,
Quentin Mourier, Victor Muñoz,
Christophe Mutez, Hélène Muyal,
Bertrand Navarret, Christopher
Neuet-Shalter, Lola,
David Perchirin, Manu Perez, Anna
Pétard-Lieffrig, Marion PétardLieffrig, Franck Pitiot, Lacramioara
Pop, Caroline Prenat, François-Xavier
Prévost, Sébastien Proisy, Armelle
Pumir Anticevic, Richard Rammant,
Valentin Ribet, Estelle Rouat,
Thibault Rousse Lacordaire, Raphaël
Ruiz, Hodda Saadi, Halima Saadi,
Madeleine Sadin, Kheireddine Sahbi,
Lola Salines, Patricia San Martín
Núñez, Hugo Sarrade, Maud Serrault,
Sven Alejandro Silva Perugini, Valeria
Solesin, Fabian Stech, Claire
Tapprest, Ariane Theiller, Eric Thomé,
Olivier Vernadal, Stella Verry,
Luis Felipe Zschoche Valle
(Certains noms ont été enlevés
à la demande des familles)
→ LIR E
PAGE S 5 E T 6
Devant la gare
de Bruxelles-Central,
dimanche 22 novembre.
EMMANUEL DUNAND/AFP
ÉTAT D’URGENCE
POURQUOI
LA NOUVELLE LOI
FAIT SI PEU DÉBAT
→ LIR E
PAGE S 8 - 9
PORTRAIT
LA BELGIQUE,
UNE NATION
SANS ÉTAT ?
→ LI R E P A G E 27
BRAHIM ET SALAH
ABDESLAM,
FRÈRES DE SANG
→ LIR E
PAGE S 1 2 - 1 3
LE REGARD DE PLANTU
Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 2,20 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF,
Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,20 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 10,50 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA
2 | les attaques terroristes à paris
0123
MARDI 24 NOVEMBRE 2015
Hollande en quête d’une grande coalition
Le président de la République va multiplier les rencontres diplomatiques au sommet cette semaine
washington - correspondant
D
ix jours après les attentats de Paris, le président François Hollande se lance dans
une mobilisation tous azimuts
pour tenter de renforcer la riposte
internationale contre l’Etat islamique (EI). Cette offensive diplomatique, qui coïncide avec l’arrivée du porte-avions Charles-deGaulle et ses 26 avions de chasse
au large de la Syrie, a débuté, lundi
23 novembre, dans la matinée, par
l’accueil à l’Elysée du premier ministre britannique, David Cameron, favorable à une extension des
frappes aériennes en Syrie mais
qui doit surmonter les réticences
du Parlement de Westminster.
Il sera suivi, quelques heures
plus tard, par le président du
Conseil européen, Donald Tusk,
afin d’examiner « comment les
pays européens peuvent contribuer, chacun à leur façon, à la lutte
contre la menace terroriste »,
dit-on dans l’entourage du chef
de l’Etat.
François Hollande est ensuite
attendu, mardi, à Washington,
pour une rencontre avec le président Barack Obama. De retour à
Paris, mercredi, il recevra à dîner
la chancelière allemande, Angela
Merkel, avant de se rendre, jeudi, à
Moscou pour s’entretenir avec le
président Vladimir Poutine. Le
lendemain, il doit participer au
sommet des pays du Commonwealth, à Malte, et il achèvera
ce marathon en recevant, dimanche, à Paris, le secrétaire général
de l’ONU, Ban Ki-moon, ainsi que
le nouveau premier ministre
canadien, Justin Trudeau, et le
président chinois, Xi Jinping, à la
veille de l’ouverture de la COP21.
Cette semaine hors norme vise,
dit-on à l’Elysée, à « activer et à
renforcer tous les leviers – diplomatiques, militaires et politiques –
dans la lutte contre l’EI ». Cette accélération des consultations intervient dans la foulée de l’adoption, le 20 novembre, d’une résolution présentée par la France au
Conseil de sécurité des Nations
unies qui permet de « prendre toutes les mesures nécessaires » pour
combattre l’organisation djihadiste. C’était un préalable indispensable à une mobilisation in-
Un
rapprochement
avec Moscou
a d’ores et déjà
été esquissé
par le chef
de l’Etat lors
de son discours
devant le Congrès
ternationale, même si le texte
n’autorise pas explicitement le recours à la force et évite de se prononcer sur le sort du président syrien, Bachar Al-Assad.
« Coalition unique »
La difficulté pour François Hollande consiste désormais à établir
une stratégie commune avec des
partenaires qui sont loin de partager les mêmes objectifs. Même si
la France est le seul pays européen
à mener des frappes aériennes en
Syrie et en Irak, elle ne peut pas
agir seule contre l’EI et dépend, de
facto, d’un renforcement des actions conduites par les Etats-Unis
et la Russie, qui poursuivent des
visées opposées en Syrie, notamment concernant le sort de
Bachar Al-Assad.
Un rapprochement avec Moscou a d’ores et déjà été esquissé
par le président Hollande, qui a
infléchi la position française sur
la Syrie, lors de son discours devant le Congrès, réuni à Versailles,
le 16 novembre, en appelant à une
« coalition unique » contre l’EI car,
a-t-il souligné, la « priorité, c’est la
lutte contre Daech ».
Autrement dit, l’éviction de
Bachar Al-Assad, soutenu envers
et contre tout par la Russie et
l’Iran, n’est plus considérée
comme un préalable incontournable. Longtemps, Paris a considéré que son éviction était le seul
moyen de mobiliser la rébellion
sunnite syrienne contre l’EI.
Pour préparer la visite du président Hollande en Russie, le coordinateur du renseignement français, Didier Le Bret, a fait un déplacement remarqué, vendredi, à
Moscou pour y rencontrer le chef
du conseil de sécurité russe,
Nikolaï Patrouchev. A ce stade,
l’Elysée demeure évasif sur les
demandes qui seront formulées
par M. Hollande, évoquant une
discussion sur « la coordination
des efforts ». Toutefois, celle-ci
s’annonce délicate car même si la
Russie a récemment intensifié
ses frappes contre les fiefs de l’EI
en Syrie, notamment à Rakka, elle
continue surtout à viser les
autres forces de l’opposition,
dont certaines sont soutenues
par les pays occidentaux.
Au-delà de la stratégie militaire,
ce sont surtout les contours poli-
Aux Etats-Unis,
la partie
s’annonce
délicate pour
M. Hollande
tiques d’une éventuelle « coalition unique » qui posent problème. Même si la France accepte
de placer au second plan la question de Bachar Al-Assad pour
renforcer sa coopération avec la
Russie, il paraît peu probable que
cette option soit acceptée par les
M. Le Drian: «L’objectif, c’est d’anéantir l’Etat islamique globalement »
Pour le ministre de la défense, « la reconstitution d’une solution politique en Irak et en Syrie passe par l’éradication » de l’EI
ENTRETIEN
L
e ministre de la défense
était l’invité du « Grand
Rendez-vous Europe 1 i-Télé - Le Monde », dimanche
22 novembre.
La guerre générale contre le
terrorisme est-elle la troisième
guerre mondiale ?
Il faut garder le sens des proportions, et remettre un peu tout cela
en perspective. C’est la première
fois que nous sommes confrontés
à un ennemi hybride, à deux têtes,
parce que l’Etat islamique (EI), c’est
un ennemi à deux têtes. Il y a
d’une part cet Etat en constitution,
Etat terroriste, Etat apocalyptique,
Etat un peu messianique qui veut
reconstituer le territoire du califat
et qui s’organise avec une armée,
avec des ressources propres, avec
une administration qui perçoit
l’impôt, et qui veut étendre son
territoire. Et, de l’autre côté, ce
mouvement terroriste international, émanation aussi de l’EI et qui a
pour objectif de frapper en particulier le monde occidental, de
mettre en péril les démocraties. Ce
sont deux dimensions d’un
même Etat terroriste, et donc
deux guerres différentes dans une
seule guerre. Il y a la guerre de
l’ombre : traquer les terroristes qui
essaient de frapper la démocratie
comme on a pu le vivre de manière tragique les jours derniers et,
souvent lorsque ces terroristes apparaissent, c’est déjà presque trop
tard. Et il faut en même temps
frapper au cœur, dans le champ de
bataille, au Levant, pour tuer,
anéantir l’Etat islamique. C’est une
guerre hybride mondiale.
« C’est
la première fois
que nous
sommes
confrontés
à un ennemi
hybride,
à deux têtes »
Le « Charles-de-Gaulle » arrive
au large de la Syrie. Quand ses
Rafale vont-ils bombarder ?
Le groupe aéronaval, c’est à la
fois le porte-avions et plusieurs
bâtiments d’accompagnement,
sera opérationnel dès lundi, et il
sera en mesure, avec les avions de
chasse qui sont à bord, d’agir à
partir de demain.
L’affaiblir ou l’anéantir ?
Ce n’est pas l’affaiblir, c’est
l’anéantir. Il faut aboutir à la reconstitution d’une solution politique en Irak et en Syrie, ça passe par
l’éradication de l’Etat islamique.
Tout le monde a besoin de tout le
monde. Donc il faut trouver les
formes de coordination, c’est ce
qui va être le sujet de la semaine,
avec des déplacements du président à Washington et à Moscou.
Le but est-il de neutraliser, d’assassiner Al-Baghdadi, le chef de
l’EI, comme on a tué Ben Laden ?
Non, l’objectif c’est d’anéantir
l’Etat islamique globalement.
Que les Américains font-ils
de nouveau ?
La nouveauté par rapport aux
Etats-Unis, c’est qu’il y a eu une accélération de la transparence dans
le renseignement militaire, qui
fait qu’aujourd’hui on peut considérer que l’action commune est
extrêmement performante. J’ai
reçu lundi 16 novembre le coordinateur du renseignement américain, nous nous sommes mis d’accord sur la bonne manière d’agir
et aujourd’hui il y a une vraie
efficacité.
Cela veut dire que, pendant
longtemps, ils ont joué les cachottiers ? On n’avait pas toutes les informations ?
Chacun avait son autonomie. Le
renseignement, c’est aussi un
outil de souveraineté. Mais là,
dans la situation dramatique et
exceptionnelle dans laquelle
nous sommes, nous sommes à livre ouvert sur l’Irak et la Syrie.
Les Russes servent-ils d’intermédiaires pour savoir ce qu’il
se passe ?
La position des Russes a bougé. A
mon avis, pour trois raisons. La
première, c’est qu’ils ont été victimes de l’action de Daech [acronyme arabe de l’EI], parce que l’attentat de l’avion russe est mainte-
nant très clairement identifié
d’origine de l’EI, plus de 200 morts,
plus de morts qu’à Paris, mais on
ne fait pas une comptabilité macabre des victimes d’attentat.
Deuxième point, les Russes
s’aperçoivent que dans les combattants étrangers, il y a beaucoup
de russophones, dont les objectifs
sont vraisemblablement d’agir en
Russie.
Et, troisièmement, ils voulaient
préserver leurs propres intérêts
grâce à leur proximité avec Bachar
Al-Assad, mais ils se sont rendu
compte que l’armée syrienne de
Bachar Al-Assad était devenue très
faible. Désormais la Russie frappe
les zones de Daech de manière très
significative. Jusqu’où va-t-elle ? Il
faudra le vérifier avec M. Poutine.
qu’il y ait au sol des acteurs qui
reconquièrent les territoires
perdus, oui.
Il faudra aller jusqu’à l’envoi de
troupes au sol. Par exemple,
celles de pays arabes ?
Une victoire, une destruction de
Daech passera, à un moment
donné, par une présence au sol.
Etes-vous encore candidat
aux élections régionales
en Bretagne ?
Je suis totalement concentré
sur la mission que m’ont confiée
le président de la République et le
premier ministre, sur la défense
de notre pays. Mais je suis candidat à la présidence de la région
Bretagne. C’est d’abord une obligation juridique, mes listes sont
déposées, mais c’est aussi une
obligation morale, je me suis engagé à l’égard des Bretonnes et
des Bretons, donc je tiendrai
mon rôle.
Si je suis élu, je serai président de
la région Bretagne. Mais je ne ferai
pas campagne, mes colistiers le
font. Pour que les choses soient
claires : je resterai ministre de la
défense tant que le président de la
République considérera que c’est
nécessaire. p
Vous excluez celle des Français ?
Cette hypothèse n’est pas envisagée aujourd’hui. En revanche,
propos recueillis par
michaël darmon,
jean-pierre elkabbach
et arnaud leparmentier
les attaques terroristes à paris | 3
0123
MARDI 24 NOVEMBRE 2015
David Cameron veut que le Royaume-Uni
participe aux frappes en Syrie avant Noël
A Paris, le premier ministre britannique affiche sa solidarité avec le président français
londres - correspondant
D
avid Cameron et François
Hollande n’ont guère
d’atomes crochus, mais
l’« entente cordiale » est de rigueur
depuis les attentats de Paris qui
ont profondément ému les Britanniques et déclenché un étonnant
déferlement de francophilie. En visite à Paris, le premier ministre britannique se recueilli avec le président français devant le Bataclan,
lundi 23 novembre. L’entretien qui
a suivi à l’Elysée marque une étape
importante dans la stratégie de
M. Hollande de coordonner la
lutte contre l’organisation Etat islamique (EI) et dans la volonté de
David Cameron de convaincre
l’opinion et les députés britanniques de la nécessité d’étendre à la
Syrie des frappes contre l’EI jusqu’à présent limitées à l’Irak.
Echaudé par la cinglante rebuffade du Parlement en août 2013, le
premier ministre répète qu’il ne
solliciterait un nouveau vote à
Westminster que s’il avait la certitude d’obtenir une majorité. Début novembre, l’avis négatif de la
commission des affaires étrangères des Communes s’ajoutant à
l’élection du pacifiste Jeremy Corbyn à la tête du Labour avait semblé sceller le renoncement de M.
Cameron. Les attentats parisiens
du 13 novembre ont diamétralement changé la donne. Le premier
ministre fait assaut de solidarité
avec la France et pousse les feux
pour que les Tornado de la Royal
Air Force participent avant Noël
François Hollande
et David Cameron
au palais de l’Elysée,
à Paris, lundi
23 novembre.
JEAN-CLAUDE COUTAUSSE
FRENCH-POLITICS POUR « LE MONDE »
pays du Golfe, principaux
bailleurs de fonds des groupes
rebelles en Syrie. Sans une indica­
tion claire sur le départ pro­
grammé du dictateur syrien, les
monarchies sunnites du Golfe,
ainsi que la Turquie, ont peu de
chances de se rallier à la grande
alliance prônée par la France.
« Nous les éliminerons »
Aux Etats-Unis, la partie s’annonce également délicate pour
François Hollande. Vivement critiqué pour l’absence de résultats de
la stratégie mise en place depuis
septembre 2014, M. Obama a souhaité se montrer plus offensif lors
de la dernière étape d’une tournée
en Asie. « Détruire [l’EI] n’est pas
seulement un objectif réaliste, c’est
une tâche que nous allons mener
au bout, a-t-il déclaré à Kuala Lumpur, en Malaisie. Nous reprendrons
les terres où ils sont, nous supprimerons leurs financements, nous
traquerons leurs dirigeants, nous
démantèlerons leurs réseaux, leurs
lignes de ravitaillement, et nous les
éliminerons. »
Mais les Etats-Unis ne sont pas
prêts à toutes les concessions, ni
à une grande coalition avec la
Russie et surtout avec son allié
iranien. Notant qu’ils ont déjà fédéré derrière eux plus de cinquante pays alors que la Russie
reste pour l’instant isolée,
M. Obama a réaffirmé que le sort
du président syrien et la stabilisation de la Syrie ne pouvaient être
considérés comme un objectif de
second plan par rapport à la lutte
contre l’EI.
« Même si je me montrais assez
cynique pour dire que ma priorité
est [l’Etat islamique] et non l’éviction d’Assad en dépit de ce qu’il a
fait à son peuple, les Etats-Unis ne
seraient pas en mesure d’empêcher ceux qui sont opposés à Assad
de se battre », a expliqué Barack
Obama. « C’est une question pratique, pas seulement un problème
de conscience, et je crois qu’un
grand nombre de membres de
cette coalition, y compris le
président Hollande, sont d’accord
avec moi sur ce point », a-t-il
conclu, limitant sérieusement la
marge de manœuvre de François
Hollande. p
gilles paris
et yves-michel riols (à paris)
Laurent Fabius : « Ce sont des monstres,
mais ils sont 30 000 »
Les membres de l’organisation djihadiste Etat islamique (EI), qui
a revendiqué les attentats de Paris du 13 novembre, « sont des
monstres, mais ils sont 30 000 », a déclaré dimanche 22 novembre le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius. « Il faut
lutter implacablement contre Daech [acronyme arabe de l’EI] »,
a-t-il dit dans un entretien à l’AFP, estimant « inconcevable qu’un
front de nations incluant la France, les Etats-Unis, l’Allemagne, le
Royaume-Uni, la Russie, la Turquie et d’autres pays ne parvienne
pas à les neutraliser ».
« Mais parallèlement, a souligné M. Fabius, il faut aussi trouver
une solution politique à cette guerre [en Syrie] qui a fait
300 000 morts, des millions de réfugiés, et qui a des conséquences
dans toute la région et, on le voit, dans le monde entier. » Le plan
en vue d’une transition politique en Syrie, adopté à Vienne le
14 novembre, représente « une première lueur » d’espoir.
LES DATES
LUNDI 23 NOVEMBRE
Rencontre à Paris avec le
premier ministre britannique,
David Cameron, et avec Donald
Tusk, le président du Conseil
européen.
MARDI
Rencontre à Washington
avec le président américain, Barack Obama.
MERCREDI
Rencontre à Paris avec la chancelière allemande, Angela Merkel.
JEUDI
Rencontre à Moscou avec le président russe, Vladimir Poutine.
VENDREDI
Participation à Malte au sommet
des pays du Commonwealth.
DIMANCHE
François Hollande reçoit à Paris
le secrétaire général de l’ONU,
Ban Ki-moon, le nouveau premier ministre canadien, Justin
Trudeau, ainsi que le président
chinois, Xi Jinping, pour l
a COP21.
Le Royaume-Uni
doit se comporter
« comme
Churchill et non
comme
Chamberlain »,
selon M. Cameron
aux frappes contre l’EI en Syrie. Le
Royaume-Uni doit se comporter
« comme Churchill, et non comme
Chamberlain », tel est le message
que M. Cameron entend désormais faire passer. « Nous ne pouvons laisser à d’autres la charge et
les risques de protéger notre pays »,
écrit-il, lundi, dans le Telegraph.
Dès jeudi 26 novembre, il
s’adressera aux Communes en réplique à la commission des affaires étrangères. M. Cameron mettra en avant à la fois la précision
des armes britanniques et la nécessité pour Londres de se tenir
aux côtés de Paris et de Washington pour être pris au sérieux. « La
Grande-Bretagne n’a jamais été un
pays qui reste sur la touche », a
appuyé George Osborne, dimanche à la BBC. Le numéro deux du
gouvernement a mis en garde les
députés : un vote négatif serait
« un coup de publicité » pour l’EI et
adresserait « un terrible message
sur le rôle de la Grande-Bretagne
dans le monde ».
Vendredi 20 novembre, une semaine après les attentats, David
Cameron avait été prompt à se féliciter du vote de l’ONU, à l’initiative de la France, en faveur d’une
résolution autorisant « toutes les
mesures nécessaires » pour lutter
contre l’EI. Ce vote, auquel s’est
jointe la Russie, « montre incontestablement l’ampleur du soutien
international pour faire davantage en Syrie », avait-il commenté.
Diviser l’opposition
M. Cameron, outre la volonté de
« tenir son rang » et de répondre à
l’angoisse générée par la tuerie parisienne, devait annoncer lundi
l’augmentation des dépenses militaires de 12 milliards de livres
(16,5 milliards d’euros). Le Royaume-Uni sera « la seule grande puissance à dépenser 2 % de son PIB
pour la défense », se targue-t-il
dans le Telegraph. L’annonce de
l’envoi par la France du porte-avions Charles-de-Gaulle a souligné le
fait que le Royaume-Uni ne possède plus, pour le moment, un tel
vaisseau. Les événements parisiens nourrissent aussi une polémique sur la réduction des effectifs de police induite par la politique d’austérité.
Mais l’affaire syrienne est aussi
une occasion pour M. Cameron de
diviser l’opposition et d’ébranler
un peu plus son leader, Jeremy
Corbyn, qu’il compare à Chamberlain, le premier ministre qui a plié
devant Hitler. Une vingtaine de députés conservateurs sont réputés
hostiles à des frappes en Syrie et le
premier ministre a besoin du renfort d’au moins autant d’élus tra-
vaillistes. Or, au sein de ces derniers, la rébellion fait rage contre
les positions de Jeremy Corbyn, au
point que le vote sur la Syrie menace son autorité. Longtemps président de la plate-forme Stop the
War, M. Corbyn a mis en garde samedi contre une « intervention extérieure » en Syrie. « L’expérience de
l’Afghanistan, de l’Irak et de la Libye
a convaincu beaucoup de nos concitoyens que l’enthousiasme de
l’élite pour des interventions militaires sans fin n’a fait que multiplier
les menaces contre nous, tout en semant la mort et la déstabilisation »,
a-t-il déclaré, faisant allusion au
traumatisme causé par les mensonges de Tony Blair pour justifier
l’intervention en Irak en 2003.
Les maladresses de M. Corbyn,
qui a notamment critiqué le poids
médiatique accordé aux attentats
de Paris par rapport à ceux de Beyrouth, ont semé le trouble dans
son propre entourage. Lui qui a
voté 500 fois contre les positions
de son parti depuis 1997 répète
que la discipline du parti doit jouer
lors du vote sur la Syrie.
Dimanche, sous la pression des
députés partisans d’une intervention, son plus fidèle allié, John McDonnell, a tourné casaque et s’est
prononcé pour la liberté de vote.
Ce repositionnement ne peut
qu’encourager M. Cameron à solliciter un vote avant la suspension
de la session parlementaire, le
17 décembre. Dans les heures suivantes, les Tornado pourraient décoller vers la Syrie. p
philippe bernard
4 | les attaques terroristes à paris
0123
MARDI 24 NOVEMBRE 2015
L’envoi de
troupes au sol
contre l’EI divise
les Américains
Le terrorisme est devenu la première
préoccupation de l’opinion
bable » ou « très probable » une
attaque causant un « nombre
élevé de morts » sur le sol américain. C’est dix points de plus que
dans une étude comparable effectuée avant les attentats, à la fin du
mois d’octobre.
Cette vision sombre de l’avenir
a produit au cours des derniers
mois une conséquence assez
inattendue : la fin de la « fatigue »
des Américains par rapport aux
guerres engagées depuis 2001, en
Afghanistan puis en Irak. Les études précédentes d’ABC et du
Washington Post font apparaître
assez nettement le point de bascule de l’opinion : il coïncide avec
l’été 2014, marqué notamment
par les exécutions sanguinaires
d’otages américains par l’organisation Etat islamique (EI). En
juin 2014, une majorité relative
est hostile à des frappes aériennes américaines (46 % contre
45 %) contre « l’insurrection sunnite en Irak ». Deux mois plus
tard, avec les premiers bombardements américains consécutifs
à une poussée djihadiste en Irak,
les avis s’inversent (39 % contre
53 %). En septembre, après les assassinats de James Foley et de Steven Sotloff, le renversement est
complet : 71 % des personnes interrogées soutiennent les frappes
contre seulement 23 % qui sont
d’un avis contraire.
washington - correspondant
A
u terme d’une tournée
diplomatique en Asie,
dimanche 22 novem­
bre, Barack Obama a
lancé un appel aux Américains.
« L’outil le plus puissant dont nous
disposons pour combattre est de
dire que nous n’avons pas peur », a
lancé le président des Etats­Unis.
A juste titre, car la menace terro­
riste constitue désormais le
deuxième sujet de préoccupation
de l’opinion publique. Le constat
avait été dressé par une étude du
Public Religion Research Institute, effectuée avant les attentats
de Paris et présentée le 16 novembre au think tank la Brookings
Institution. Elle montrait que le
terrorisme devançait les préoccupations liées à l’emploi, au crime
et aux inégalités sociales.
Il a été confirmé par un sondage
réalisé pour la chaîne de télévision ABC et pour le quotidien
Washington Post et rendu public
dimanche. Dans ce sondage, effectué après les attentats du
13 novembre à Paris, la crainte
d’attaques terroristes devance la
question de l’immigration ou
celle de la sécurité sociale pourtant largement débattues ces derniers mois. Ce sentiment se double de pessimisme : 83 % des personnes interrogées jugent « pro-
R USSI E
14 combattants « liés à
l’EI » tués dans le Caucase
Les autorités russes ont annoncé avoir tué 14 membres
d’un « gang armé » qu’elles
assurent lié à l’organisation
djihadiste Etat islamique, lors
de deux opérations des forces de l’ordre en KabardinoBalkarie, dans l’instable Caucase russe.
Barack
Obama,
à Kuala
Lumpur, le
22 novembre.
JONATHAN
ERNST/REUTERS
Les mois qui suivent voient
s’opérer une autre évolution marquante de l’opinion américaine.
En octobre 2014, selon le Pew Research Center, une nette majorité
(53 %, contre 39 % d’un avis opposé) refuse l’envoi de « troupes au
sol ». Six mois plus tard, en février,
les Américains apparaissent désormais divisés : 49 % y sont toujours opposés contre 47 % qui soutiennent cette hypothèse pourtant exclue par le président Barack
Obama. L’étude d’ABC et du
Washington Post montre que le
mouvement de bascule est désormais effectué puisque 60 % des
personnes interrogées soutiennent désormais une « augmentation » des troupes américaines
« au sol », alors que 37 % y restent
opposés. Pour l’instant, les
3 500 soldats américains déployés
en Irak ont pour mission de protéger les installations diplomatiques
américaines et de former l’armée
irakienne. La seule réserve, dans la
même étude, renvoie au rôle des
Etats-Unis dans ce qui est considéré comme une « guerre » contre
« l’islam radical » : 69 % conçoivent
un rôle de soutien, et seulement
31 % celui de conduire l’offensive.
Réintroduire le « waterboarding »
M. Obama peut cependant camper sur son opposition à l’envoi de
troupes au sol, à l’exception de
forces spéciales pour lesquelles
on ne dispose pas d’effectifs connus (sauf pour le petit groupe
d’une cinquantaine d’hommes
déployés pour des tâches d’encadrement dans la partie nord-est
de la Syrie qui échappe à la fois au
contrôle du régime syrien et de
l’EI). Le soutien aux troupes au sol
fait l’objet d’un net clivage entre
démocrates et républicains. Ces
derniers y sont en effet très majoritairement favorables (57 % en
octobre, 67 % en février), alors que
60 % des
personnes
interrogées
soutiennent une
« augmentation »
des troupes
« au sol »
les démocrates y restent opposés,
même si l’opposition venue de
leurs rangs diminue dans l’étude
du Pew Research Center.
Les trois candidats à l’investiture
démocrate pour la présidentielle
de 2016 défendent cette même ligne. Les candidats républicains, en
dépit de ces résultats, restent majoritairement silencieux sur ce sujet, tout en demandant une intensification de l’effort de guerre
américain contre les djihadistes.
Enfin, la primauté accordée à la
traque aux Etats-Unis contre les
éventuelles menaces terroristes
(73 %) sur le respect de la vie privée
(25 %) retrouve les sommets depuis 2010 et une tentative d’attentat dans un avion de ligne le 25 décembre 2009, selon les résultats de
l’enquête ABC-Washington Post.
Le candidat républicain Donald
Trump, qui a été le premier à s’opposer à l’arrivée de réfugiés syriens
aux Etats-Unis pour des raisons de
sécurité, contrairement aux vœux
de M. Obama, n’a pas manqué de
tirer profit de cet état d’esprit américain d’anxiété. Le 22 novembre,
s’exprimant sur la chaîne de télévision ABC, il a ainsi proposé de réintroduire le simulacre de noyade
(« waterboarding ») dans les techniques d’interrogatoire américaines. « Une broutille, a-t-il argué,
comparé à ce que les djihadistes
font subir à leurs otages. » p
gilles paris
Matteo Renzi en chef de file rassurant
d’une Italie qui « rejette la guerre »
Le premier ministre reste prudent mais rehausse le niveau d’alerte et renforce les contrôles
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rome - correspondant
L
e contraste est saisissant. La
semaine dernière, alors que
Manuel Valls, à Paris, avertissait les Français d’un risque d’attaques chimiques ou bactériologiques, à Rome, Matteo Renzi faisait
la morale, par le biais des réseaux
sociaux, à certains de ses compatriotes qui trouvent amusant de
lancer de fausses alertes terroristes. « Nous ne nous laisserons pas
déborder par la peur et l’hystérie »,
a averti le président du conseil italien. Excès de dramatisation d’un
côté des Alpes ? Volonté de rassurer à tout prix de l’autre ?
Il est vrai que même si M. Renzi
reconnaît que « le risque zéro
n’existe pas », ses propos, depuis le
13 novembre, sont empreints
d’une modération inhabituelle.
Aussi, tout en rehaussant le niveau d’alerte dans la Péninsule et
en renforçant les contrôles aux
frontières et dans les aéroports,
M. Renzi se refuse-t-il d’employer
le mot de « guerre » contre l’organisation Etat islamique (EI). De la
même façon, son ministre des affaires étrangères ramène la demande d’aide exprimée par Paris
à l’Union européenne à un « soutien politique ».
« L’Italie rejette la guerre », prévoit expressément la Constitution dans son article 11. Au nom de
ce principe, les Italiens sont majoritairement opposés à toute
forme de conflit. Un sondage réalisé quelques jours après les attentats de Paris par l’institut Demos
révèle que seuls 10 % d’entre eux
sont favorables à une intervention militaire contre l’EI en Syrie.
Un pourcentage qui monte à 30 %
s’agissant d’une participation à
une coalition. Les pacifistes représentent 60 % des sympathisants
du Parti démocrate (centre gauche) et 81 % du Mouvement cinq
étoiles, son principal adversaire.
« Pas de Libye bis »
Toutefois, l’article 11 n’a pas toujours été suivi à la lettre. En 2003,
le gouvernement dirigé par Silvio
Berlusconi a engagé résolument
l’Italie dans la coalition qui combattait en Irak aux côtés des Américains, provoquant de nombreuses manifestations d’hostilité.
En 2011, le même Berlusconi, bien
qu’opposé à une intervention en
Libye – une ancienne colonie avec
laquelle Rome avait renoué des
liens économiques en exprimant
ses excuses et sa contrition –, n’a
pu s’opposer à ce que la base aérienne de Sigonella, en Sicile, soit
mise au service de l’aviation française et britannique. Plus près de
nous, Rome prend en charge l’entraînement de 7 000 combattants
kurdes en Irak.
Matteo Renzi considère, à l’instar de nombreux responsables
italiens, que les opérations militaires en Libye ont provoqué le
Selon un
sondage, seuls
10 % des Italiens
sont favorables à
une intervention
militaire contre
l’EI en Syrie
chaos dont se nourrit l’EI : « Nous
ne voulons pas d’une Libye bis », at-il redit en plusieurs occasions
depuis une semaine, mettant en
avant la nécessité de définir un
« projet » et des « objectifs » avant
d’envisager une participation de
l’Italie à des actions concrètes.
De plus, ayant retrouvé une
part de sa crédibilité politique,
économique et diplomatique
après le désastre des années Berlusconi, Rome espère peser dans
la recherche de solutions en faisant valoir, le moment venu, sa
triple fidélité aux Etats-Unis, à la
Russie et à l’Europe. C’est ce que
M. Renzi appelle le « soft power »
de la Péninsule.
Mais une autre raison, beaucoup plus terre à terre, explique la
prudence du président du conseil.
Les attentats du 13 novembre
constituent bel et bien une alerte
pour l’Italie, qui s’apprête à abriter, à Rome, à partir du 8 décembre, le Jubilée de la miséricorde.
Cet événement – que le Vatican
n’a pas songé une seconde à déplacer – devrait attirer d’ici au
26 novembre 2016 des millions de
pèlerins dans la Ville éternelle.
Afin de garantir leur sécurité,
3 000 policiers supplémentaires
vont être déployés dans la capitale, dont le survol sera interdit.
Profitant de l’annonce du pacte
de sécurité par François Hollande
et des bonnes dispositions de
Bruxelles, M. Renzi devrait annoncer de nouvelles créations de
postes dans la police et l’armée,
quitte à creuser le déficit.
« Les événements de Paris ont
rapproché la menace, explique un
diplomate. L’Italie est maintenant
en première ligne. » M. Renzi le
sait, mais cherche à rassurer
d’abord ses compatriotes, quitte à
minimiser le risque. Rome, « capitale des croisés », a été plusieurs
fois désignée comme une cible
par l’EI. La semaine dernière, à la
fureur de M. Renzi, le FBI a mis en
garde contre des risques d’attentats dans la capitale et à Milan.
Sans le dire, le président du conseil redoute qu’une tension accrue sur l’Italie ruine les plans
qu’il a construits pour la Péninsule – succès populaire du Jubilée,
reprise économique, éventuelle
désignation de Rome comme
hôte des Jeux olympiques de
2024 – et vienne compliquer ses
espoirs de réélection en 2018. p
philippe ridet
les attaques terroristes à paris | 5
0123
MARDI 24 NOVEMBRE 2015
Bruxelles en état d’alerte face aux risques d’attentat
Le suspect des attaques de Paris Salah Abdeslam échappe à la traque organisée par les autorités belges
bruxelles - correspondant
D
es attaques coordon­
nées, similaires à celles qui ont endeuillé
Paris le 13 novembre :
c’est ce que craignent les autorités
belges. Et ce qui a motivé une très
vaste opération de police, dimanche 22 novembre, ainsi que des
mesures exceptionnelles dans la
région de Bruxelles-Capitale depuis samedi : fermeture du métro,
de centres commerciaux, de nombreux magasins, de cinémas, de
salles de spectacle, de musées, etc.
Des militaires en treillis et des
policiers étaient présents à tous
les endroits-clés de la capitale, des
blindés de l’armée étaient positionnés sur la Grand-Place, devant la Bourse ou aux abords des
institutions européennes. Les
rues étaient désertes, les cafés et
restaurants à peu près vides, n’accueillant souvent que quelques
touristes un peu désemparés.
Entrées en vigueur samedi, ces
mesures devaient être prolongées
lundi, a indiqué le premier ministre Charles Michel au cours d’une
brève conférence de presse tenue
dimanche soir, à l’issue d’une réunion du Conseil national de sécurité, qui rassemblait les représentants des différents services de sécurité, en présence des présidents
des régions. M. Michel annonçait
que toutes les écoles, crèches et
universités seraient également
fermées lundi, avant une nouvelle
évaluation de la menace pesant
sur la ville-région. Depuis samedi
matin, le niveau de celle-ci est au
maximum (4 sur une échelle de
4). Plusieurs entreprises ont invité leur personnel à ne pas se présenter à leur travail, lundi.
Peu de temps après l’annonce du
premier ministre, une vaste opération, impliquant des centaines de
Le ministre
de l’intérieur
veut faire
contrôler chaque
adresse, maison
par maison,
de Molenbeek
policiers, membres des forces spéciales et militaires étaient lancées
dans six municipalités bruxelloises – dont Molenbeek – et à Charleroi. Vingt-deux perquisitions au
total ont été menées. Elles ont permis l’arrestation de 16 personnes
dont l’identité n’a pas été révélée
par le parquet fédéral. Les magistrats ont toutefois précisé que Salah Abdeslam, le suspect en fuite
des attentats de Paris, ne figurait
pas parmi les personnes arrêtées.
Une information, non confirmée
par le parquet fédéral, a évoqué la
présence d’Abdeslam à Liège où,
poursuivi par la police, il aurait fui
en voiture vers l’Allemagne.
Aucune arme et aucun explosif
n’auraient été saisis, ce qui laisse
entendre que la menace sur
Bruxelles n’est pas écartée. Tout
au long du week-end, diverses informations évoquaient la traque
de deux à dix suspects, porteurs
d’armes et, peut-être, d’explosifs.
L’avocate d’Hamza Attou, arrêté
après qu’il a ramené Salah Abdeslam de Paris, dans la nuit du 13 au
14 novembre, a évoqué la possibilité que le terroriste soit porteur
d’une ceinture d’explosifs.
Selon d’autres sources, le jeune
homme en cavale aurait tenté de
joindre des amis pour leur expliquer qu’il était à Bruxelles et craignait des représailles de l’organisation Etat islamique (EI) pour ne
Les Belges inondent Twitter de chats
Dimanche 22 novembre, quand les autorités belges ont demandé à
la population de ne pas parler sur les réseaux sociaux du coup de
filet en cours dans le pays, pour ne pas donner d’indications aux
suspects, les Belges se sont exécutés, mais à leur manière. Ils ont
inondé le mot-clé #BrusselsLockdown de photos et de minividéos
de chats. Parmi les plus drôles, des partages de dessins du dessinateur belge Geluck (« le kamikaze belge étonnant de lucidité : je
vais me faire sauter, une fois »), des chats transformés en avions
F-16 grâce à une boîte à chaussures ou ce photomontage : « Ce soir
sur Twitter, suivez le match », avec deux packs de lessive, « Le Chat »
contre « Dash »… En pleine nuit, le parquet fédéral a remercié « les
médias et les Belges d’avoir tenu compte des recommandations ».
Des soldats
belges
patrouillent
devant la
Bourse de
Bruxelles,
dimanche
22 novembre.
GEERT VANDEN
WIJNGAERT/AP
pas avoir mené le projet d’attentat
qui lui avait été confié – une explosion dans le 18e arrondissement.
Un policier expliquait dimanche
que cette « fuite » dans la presse visait sans doute à égarer les forces
de l’ordre vers une fausse piste.
Mohamed Abdeslam, deuxième
frère du fuyard (l’autre, Brahim,
était le kamikaze du boulevard
Voltaire), a fait la tournée des plateaux de télévision belges, dimanche. Il a dit sa conviction que Salah
n’avait tué personne à Paris. Il
aurait, selon lui, fait demi-tour, découvrant « quelque chose qui
n’était pas ce à quoi il s’attendait ». Il
a invité son frère à se rendre pour
« apporter les réponses attendues ».
Il se confirme, en tout cas, que
Molenbeek a été la base du
groupe djihadiste. Une perquisition menée à la fin de la semaine
dernière dans la commune a permis la découverte d’une cache
d’armes chez Abraimi Lazez, un
Marocain proche de Brahim et Salah Abdeslam. Lazez était, par
ailleurs, un proche d’Abdelhamid
Abaaoud, le Molenbeekois devenu un cadre de l’EI et, peut-être,
le « cerveau » des attentats de Paris et de la cellule de Verviers, démantelée par la police belge en
janvier. Abaaoud a été tué lors de
l’assaut du RAID à Saint-Denis.
Menace « imminente »
D’autres opérations de la police
belge ont visé, à la fin de la semaine dernière, l’entourage de Bilal Hafdi, le kamikaze bruxellois
du Stade de France. Ces descentes
ont apparemment convaincu les
responsables qu’une menace « sérieuse et imminente » d’attentat
pesait sur la capitale belge. Les cibles auraient été des lieux de rassemblement ou de forte affluence.
Visiblement irrité par le fait que
les informations sur ce vaste réseau ont échappé à ses services, le
ministre de l’intérieur, Jan Jambon, compte répliquer avec vigueur. Il veut désormais faire contrôler chaque adresse, maison par
maison, de Molenbeek, jugeant
« inacceptable » que les autorités
ignorent qui se trouve sur le territoire de cette municipalité. Le ministre suggère également un « kit
complet » pour la commune, incluant l’éducation et « la mission
sociétale » de donner un avenir
aux plus jeunes. Actuellement,
quelque 40 % des jeunes de Molenbeek sont sans emploi. Et 85
partis combattre en Syrie y sont
revenus, affirme le ministre.
Le projet de M. Jambon a entraîné les premiers craquements
dans l’unité nationale apparue au
Parlement, après une récente intervention du premier ministre
qui a annoncé le renforcement des
moyens financiers et techniques
des services de sécurité, ainsi
qu’un contrôle plus strict sur les
moquées et les imams. Il conviendrait d’expliquer pourquoi les services de M. Jambon et ceux de ses
collègues sont passés à côté d’un
réseau opérant à partir de la Belgique, interroge un membre de l’opposition, le député PS Ahmed
Laaouej. « Qu’ont-ils fait depuis
Charlie Hebdo ? » demandait-il
dans La Dernière Heure, « convaincu » que M. Jambon veut « faire
diversion » en transformant Molenbeek en « épouvantail ».
Les services de M. Jambon ont un
autre souci : ils n’avaient pas signalé à la Turquie le nom d’Ahmed
Dahmani, arrêté vendredi soir à
Antalya, où il devait être rejoint par
deux passeurs syriens, eux aussi
appréhendés. Ce Bruxellois de
26 ans est un proche de Salah Abdeslam et est soupçonné d’avoir
participé à la préparation des attentats de Paris. Il est arrivé à Istanbul depuis d’Amsterdam, le
14 novembre. « Si les autorités belges nous avaient prévenus, Dahmani aurait pu être appréhendé dès
l’aéroport », a déclaré un responsable turc à l’AFP. Dahmani a voyagé
avec Abdeslam entre la Grèce et
Bari (Italie) en août, ont déterminé
les services de renseignement italiens. Ils auraient rencontré Abdelhamid Abaaoud en Grèce pour y
fomenter les attentats de Paris,
écrivait lundi le journal Le Soir. p
jean-pierre stroobants
La frontière franco-belge sous contrôle, mais « pas hermétique »
En une semaine, des milliers de véhicules ont été arrêtés par la police aux frontières, qui concentre ses opérations sur les grands axes
REPORTAGE
lille - correspondance
F
usil à pompe entre les
mains, cagoule noire sur la
tête, casquette siglée du
mot « police » en lettres capitales,
un CRS inspecte l’intérieur d’une
camionnette blanche. Le vieux
Peugeot Expert aux portes cabossées intrigue les forces de police.
Il est midi, vendredi 20 novembre, sur ce poste-frontière francobelge de Rekkem. Deux bouchons
d’une dizaine de kilomètres se
sont formés des deux côtés de la
frontière. L’habituelle autoroute
A22 est réduite à une file de voitures qui passent, une par une, sous
le regard des officiers. « Vous venez d’où et vous allez où ? », demande le policier au conducteur
de la camionnette immatriculée
en France. « J’habite à Roubaix, je
rentre chez moi », répond Mohamed Malek. Régularisé depuis
quelques semaines, cet Algérien
de 56 ans, installé depuis quatre
ans dans le Nord, redémarre son
véhicule tranquillement.
Comme la plupart des personnes arrêtées, il explique : « Ça ne
me dérange pas d’être contrôlé, au
contraire. C’est pour le bien de tout
le monde et ça rassure les gens. »
Un policier de la police aux
frontières (PAF) confirme : « Les
gens sont coopératifs. Ils ont pris
conscience de l’état d’urgence. »
Mais à cet ancien poste douanier,
axe le plus important pour relier
la région Nord-Pas-de-Calais à la
Belgique, difficile de croire que
ces embouteillages permanents
seront tolérés dans le temps.
« Aujourd’hui, on a le soutien des
gens, poursuit l’agent. On verra
dans trois mois comment ils réagiront… »
Le directeur de la PAF de la zone
Nord-Pas-de-Calais,
Patricio
Martin, tempère : « Juridiquement,
on est là pour un mois car on contrôle dans le cadre de la COP21. Le
ministre de l’intérieur avait annoncé le rétablissement des frontières du 13 novembre au 13 décembre,
le temps de la COP21. » Avec les attentats, il a fallu mettre en place
très rapidement des points de con-
« La situation est
tendue, car l’axe
Paris-Bruxelles
est une zone
sensible »
PATRICIO MARTIN
police aux frontières de
la zone Nord-Pas-de-Calais
trôle fixes et aléatoires. Notamment autour des trois axes principaux : l’A2 à Saint-Aybert, l’A27 à
Baisieux et l’A22 à Rekkem. Mais
impossible d’être en permanence
aux 230 points de contrôle de cette
frontière franco-belge. Les hommes de Patricio Martin ont pourtant joué le jeu. « Dès le samedi, ils
se sont portés volontaires. On a annulé des congés, des repos. Et on a
appelé des réservistes », explique le
patron de la PAF.
Aidés des CRS, des douaniers, de
gendarmes et aussi de leurs collègues belges, les 120 fonctionnaires
de la PAF contrôlent, 24 heures sur
24, 17 points. En une semaine, des
dizaines de milliers de véhicules
ont été arrêtés. « La situation est
tendue car l’axe Paris-Bruxelles est
une zone sensible », précise Patricio
Martin. En trente-neuf ans de métier, ce commissaire vit pour la
deuxième fois l’état d’urgence. La
pression est forte. Son téléphone
ne cesse de sonner. En quelques
jours, la PAF a déjà procédé à huit
interpellations dont certaines classées « fiches S ». Sur le terrain, la
PAF cherche des véhicules occupés
par des personnes suspectes. Les
bus font aussi l’objet d’une attention particulière, comme ce car de
touristes malaisiens, hilares après
avoir été arrêtés sur la bande d’arrêt d’urgence quelques minutes.
Marie-Paule Lesage, elle, rit
jaune. Employée du café-snack de
Rekkem, elle se désole de voir la
salle du restaurant si vide. C’est
l’heure du coup de feu en cuisine,
mais les frites belges n’ont pas
trouvé preneur. « On n’a plus personne à cause des contrôles. Un
client routier m’a raconté ce matin
qu’il est resté bloqué trois heures
sur la route. » Les poids lourds
sont très nombreux sur cet axe
autoroutier situé non loin du port
de Zeebruges. « Mais ils se demandent à quoi ça sert, ajoute Mathilde, appuyée sur une tireuse à
bière. Ils nous disent que, de toute
façon, la police ne peut pas voir ce
qu’il se passe dans leurs cabines. »
Aberration
« Il suffit de faire quelques centaines de mètres pour traverser la
frontière les doigts dans le nez »,
soupire Mathilde. Rue du Dronckaert, entre Neuville-en-Ferrain
et Rekkem, une bande de jeunes
chargent le coffre de leur voiture
de pots de tabac tout juste achetés
dans un night-shop flamand. Ils
repartent tranquillement en
France, sans croiser aucun policier. Une aberration que refusent
de commenter les policiers frigorifiés en faction sur l’A22. Ils appliquent les ordres. Le directeur zonal de la PAF accepte de répondre :
« Non, la frontière n’est pas une
passoire, mais ce n’est pas totalement hermétique. »
Près de Maubeuge, à Jeumont, le
jeune maire socialiste a cherché à
colmater ces brèches. Il a contacté
son homologue belge, le bourgmestre d’Erquelinnes, pour tenter
de remédier à cette situation.
« Comme les moyens sont limités
dans nos deux pays, on a simplifié
un peu le travail de la police en réduisant le nombre de points de
passage », explique David Lavaux.
Frontalière de cinq communes
françaises, Erquelinnes a fermé 11
de ses 27 points de passage à l’aide
de gros blocs de béton. « Il reste
quelques chemins de campagne
où il y a des contrôles plus aléatoires », précise David Lavaux.
D’autres villes pourraient-elles
aussi fermer une partie de leurs
routes ? Dans le journal local Nord
Eclair Belgique, le bourgmestre de
Mouscron a pour sa part refusé.
Car quoi qu’il arrive, il restera toujours des routes non contrôlées.
« Ce serait comme si on fermait
une porte en laissant les fenêtres
ouvertes, a justifié Alfred Gadenne. On aurait l’air comique. » p
laurie moniez
6 | les attaques terroristes à paris
0123
MARDI 24 NOVEMBRE 2015
Un soldat patrouille
dans la gare centrale
de Bruxelles,
le dimanche
22 novembre.
JOHN THYS/AFP
Sur la route du djihad,
entre Anvers
et Bruxelles
Les 50 kilomètres entre la ville flamande et la capitale
belge sont devenus un axe majeur de recrutement
malines, vilvorde, anvers
(belgique) envoyée spéciale
C’
est une verticale,
simple comme la ligne de chemin de fer
qui relie Anvers, au
nord, à Bruxelles, au sud, en passant par Malines et Vilvorde. Un
trajet d’une heure, grand maximum. Rapide et pratique en diable. Depuis plusieurs années, ce
trait de 50 kilomètres de long est
l’un des axes majeurs du recrutement de djihadistes en Belgique.
Les services de la sûreté de l’Etat
en ont l’intime conviction.
Dès la mi-2012, des combattants
belges, pour la plupart d’origine
marocaine, commencent à rallier
la Syrie. La vague part de la commune bruxelloise de Molenbeek,
où Bassam Ayachi, le cheikh franco-syrien à la barbe blanche et
aux yeux bleus, a tissé depuis les
années 1990 un solide réseau fondamentaliste. Anvers n’est pas en
reste. L’un des premiers jeunes de
la ville flamande qui rejoint le
Proche-Orient pour combattre
sera un certain Nabil Kasmi,
21 ans. Des dizaines d’autres suivront, comme Ilyass Boughalab,
technicien sous-traitant à la centrale nucléaire de Doel, en Flandre. La Flandre et Bruxelles deviennent au fil des mois les principaux pourvoyeurs de volontaires au départ pour l’Irak et la
Syrie : 85 % des quelque 500 djihadistes déjà partis de Belgique, selon un document confidentiel de
source policière.
Loi islamique
Une ligne de chemin de fer
comme une traînée de poudre. A
cinq minutes de la gare centrale
d’Anvers, au cœur du quartier marocain, le 115-117 Dambruggestraat : un immeuble fatigué de briques orange, doté d’une porte
blindée grise. C’est là que Fouad
Belkacem, le chef d’un groupuscule salafiste créé en mars 2010,
Sharia4Belgium, dissous deux
ans et demi plus tard, réunissait
discrètement ses troupes.
Le prédicateur, aujourd’hui âgé
de 33 ans, jugé au début de l’année
2015 et emprisonné pour avoir
« recruté des jeunes pour la lutte armée et organisé leur départ vers la
Syrie », prônait l’instauration de la
loi islamique en Belgique et la conversion – ou le bannissement – des
non-musulmans. Cet ancien vendeur de voitures d’occasion, délinquant multirécidiviste qui avait
acquis la nationalité belge en 1997,
recommandait la lapidation des
hommes et des femmes adultères
et appelait à l’exécution des homosexuels : les yeux bandés, pieds
et mains liés, ils devaient être jetés
du haut d’une tour, puis achevés
d’une balle et crucifiés.
A la Dambruggestraat, les jeunes disciples de Fouad Belkacem
apprennent les arts martiaux et
regardent les vidéos des prêches
d’Omar Bakri et d’Anjem
Choudary, les fondateurs du
groupe radical Islam4UK. Le meneur anversois est en contact avec
eux et les rencontre à Londres
pour structurer la filière belge. Il
se déplace beaucoup. Destination
Malines, Vilvorde et Molenbeek,
où Sharia4Belgium « évangélise »
dans la rue, dans les centres de
jeunesse, dans les mosquées et
défend violemment les femmes
qui portent le niqab, voile intégral
interdit en Belgique.
A Vilvorde, ce sont vingt-huit
jeunes, dont plusieurs mineurs,
qui ont quitté le pays entre fin
2012 et mai 2014, pour aller se battre en Syrie. Six ou sept d’entre
eux sont morts là-bas. Huit sont
revenus, selon Hans Bonte,
bourgmestre socialiste de l’ex-petite ville industrielle de 42 000 habitants, largement sinistrée depuis la fermeture de l’usine Renault, en 1997. Une poudrière sociale. L’un a eu un accident mortel
de moto, un autre blessé au combat est gravement handicapé,
trois sont en prison, trois en liberté surveillée.
« Sauf que l’un d’entre eux n’est
plus sur nos écrans radar », admet
Hans Bonte, en fonctions depuis
« Comme le parti
nazi en son temps,
ces prédicateurs
jouent de la haine
et de la frustration
de jeunes
discriminés,
au chômage,
en quête d’une
identité… »
BART SOMERS
bourgmestre de Malines
le 1er janvier 2013. « Fin 2014, il est
venu me voir. Il m’a montré le bracelet électronique qu’il portait à la
cheville et m’a dit : “Dès qu’on m’enlève ce truc, je vais à Bruxelles car
toi, tu vas pas me lâcher…” C’est ce
qu’il a réussi à faire. VilvordeBruxelles, c’est 11 kilomètres,
autant dire un centimètre, avec les
bus ou les trains. Mais il est peutêtre à Anvers, à 40 km d’ici à
peine… »
A proximité de l’hôtel de ville de
Vilvorde, une école technique,
Campus de Brug, d’où beaucoup
de jeunes sont partis pour le djihad. Des adolescents, presque des
hommes, en échec scolaire, en
majorité des Belges d’origine marocaine. Fouad Belkacem y est
passé. Tout comme à la mosquée,
qui se trouve à quinze minutes à
pied. « Il n’a pas été bien accueilli,
se souvient Ahmitti Mimoun, un
croyant de 70 ans, père de huit enfants dont aucun ne manque à
l’appel. Ceux qui prennent nos fils
et nos filles n’ont rien à voir avec
nous. Ce sont des fous », estime
l’homme qui, ce mercredi 18 novembre, vient assister comme
une dizaine d’autres personnes à
la prière de 12 h 30.
« Des fous… » C’est exactement
ce qu’ont pensé les gens, au début,
à Malines, quand ils ont croisé
dans la rue des hommes habillés
en kamis, la longue tunique traditionnelle, et entendu leurs diatribes liberticides, confirme Bart
Somers, le bourgmestre libéral de
la petite ville flamande où la Dyle
coule paisiblement. « Personne au
début ne les a pris au sérieux, pas
même les autorités fédérales, explique l’élu. Comme le parti nazi
en son temps, ces prédicateurs
jouent de la haine et de la frustration de jeunes discriminés, au chômage, en quête d’une identité, et
flattés qu’on puisse leur dire qu’ils
vont devenir des héros… »
Dix villes à hauts risques
Mais
quand
l’information
concernant les premiers départs
pour la Syrie commence à circuler, le ton change. Après l’attentat
du Musée juif de Bruxelles, le
24 mai 2014, Malines est placée
sous haute surveillance. La commune de 83 000 habitants abrite
la caserne Dossin où, entre 1942 et
1944, 25 482 Juifs et 352 Tziganes
ont été rassemblés avant d’être
déportés à Auschwitz-Birkenau.
Seulement 5 % reviendront vivants. Le site, devenu un mémorial sur la Shoah, est très sensible.
Début 2013, les bourgmestres
d’Anvers, de Malines et de Vilvorde, alertés par leurs réseaux
d’éducateurs sociaux, de travailleurs de rue, de directeurs
d’école, des dangers encourus,
contactent les autorités fédérales
qui établissent peu après une liste
de dix villes à hauts risques. Le
gouvernement fédéral leur accorde des aides financières spécifiques « dans le cadre de la prévention de la radicalisation violente ».
Aux trois communes flamandes
vient s’ajouter Maaseik, petite cité
du Limbourg proche des frontières hollandaise et allemande, où
deux départs pour le djihad ont eu
lieu. Liège et Verviers suivront, en
région wallonne, puis la Ville de
Bruxelles et trois communes
bruxelloises : Schaerbeek, Anderlecht et Molenbeek-Saint-Jean.
« C’était un peu la panique,
confie un haut fonctionnaire.
Nous ne comprenions pas ce qu’il
se passait. Molenbeek, pourtant
un foyer majeur du salafisme le
plus radical et considéré comme
une base arrière pour les terroristes français, ne s’était pas encore
manifesté vis-à-vis de ces appels
au djihad. » « Je n’ai découvert cette
problématique qu’en 2013 lors de
mon élection, confirme Françoise
Schepmans, bourgmestre de
Molenbeek, membre du Mouvement réformateur, le parti libéral
francophone. Mon prédécesseur
n’en parlait jamais, pour lui, ce
n’était pas visible. »
Bruxelles, Vilvorde, Malines,
Anvers… Au final, une grosse agglomération de 2 millions d’habitants où la barrière linguistique
ne joue pas, selon l’islamologue
Michael Privot, converti à l’âge de
19 ans et l’une des figures de
proue de la communauté musulmane de Belgique – entre
600 000 et 700 000 personnes,
dont près de 500 000 d’origine
marocaine. « La première génération d’immigrés marocains arrivée
au début des années 1960 est venue de régions homogènes. Elle est
connectée par des liens tribaux et
familiaux. Tout le monde échange
son carnet d’adresses. Voilà pourquoi la relation de “frère à frère”
est si importante. Si l’un part en sucette, l’autre suivra… »
Depuis 2013, le Forum belge
pour la prévention et la sécurité
urbaine, un réseau de villes fondé
en 1995 et qui en rassemble
aujourd’hui une centaine, a créé
pour les dix communes les plus
exposées à la radicalisation une
plate-forme de concertation où
police locale, police fédérale, sûreté de l’Etat, bourgmestres, experts de terrain et membres de
l’Organe de coordination pour
l’analyse de la menace se parlent.
« Enfin ! », dit sous couvert d’anonymat l’un des acteurs conviés.
Objectif ? D’abord, partager l’information. Rien de simple vu le
millefeuille administratif et policier qu’est la Belgique avec ses rivalités politiques et régionales.
Cette coopération a permis d’en
savoir plus sur le profil des
500 Belges engagés sur le terrain.
De jeunes délinquants, certes,
mais aussi des personnes édu-
quées. En tout cas, souvent, une
structure familiale en difficulté,
avec un père absent ou violent. Le
recrutement se fait de plus en
plus discrètement, il est même caché. Et puis, surtout, les déménagements sont fréquents. Un jour à
Anvers, le lendemain à Molenbeek ou à Vilvorde.
Ces allers et venues représentent un vrai casse-tête à Anvers
qui compte 515 000 habitants,
dont un sur cinq est de religion
musulmane. Avec ses 2 700 policiers locaux, la ville gérée depuis
2013 par Bart de Wever de la N-VA
(Alliance néoflamande), le parti
nationaliste flamand qui a siphonné une partie des voix de
l’extrême droite, dispose du
contingent d’uniformes le plus
important du pays.
Quatre-vingt-un jeunes Anversois sont partis en Syrie, pour la
plupart entre 2012 et 2013. « La police fédérale nous a transmis une
autre liste de quelques centaines
de noms. Mais quels sont les critères retenus ? La barbe ? Le fait de ne
pas serrer la main aux femmes ? Il
faut d’abord cibler juste », avance
Johan Vermant, le porte-parole du
bourgmestre. « Quand vous voyez
une Mercedes noire s’arrêter devant un bar à chicha, et que deux
jeunes montent dedans, est-ce du
trafic de drogue ou du recrutement
terroriste ? », demande-t-il. Cette
année, plusieurs tentatives de départ de jeunes de la ville ont été
stoppées à l’aéroport de Düsseldorf, hub important et bon marché pour la Turquie.
« Rien n’est jamais fini »
Mais il n’y a pas que les départs,
dont le flot ne tarit pas, qui inquiètent. Les retours sur le territoire
de jeunes formés à la guerre sont
autant de menaces. Selon des
chiffres de la sûreté, 54 anciens
combattants belges étaient rentrés en mars 2014. Ils seraient près
de 140 aujourd’hui.
A Vilvorde, plus aucun jeune
n’est parti depuis dix-neuf mois,
mais « rien n’est jamais fini. J’ai
peur que d’autres ne franchissent
le pas, s’inquiète Hans Bonte.
Dans certaines familles fragilisées,
les tensions montent. Une mère
craint que le fils d’une autre ait
mauvaise influence sur son enfant… Le climat est malsain ». Audessus de son bureau, l’ancien
éducateur social, qui a travaillé
pendant quelques années à
Molenbeek, a accroché un tableau
de Jean-François Portaels (18181895), un peintre orientaliste né à
Vilvorde, grand prix de Rome.
L’œuvre, Le Fumeur syrien, était
entreposée dans les collections de
la commune. Il a demandé qu’elle
regagne l’hôtel de ville pour ne
pas oublier un seul instant le combat qui est désormais le sien. p
marie-béatrice baudet
les attaques terroristes à paris | 7
0123
MARDI 24 NOVEMBRE 2015
Régionales : la sécurité écrase la campagne
A moins de deux semaines du scrutin, les candidats donnent un tour de vis sécuritaire à leur programme
E
clairées crûment dans la
pénombre, les tentures
bleu-blanc-rouge donnent à l’Agora d’Aubagne
(Bouches-du-Rhône) une ambiance de chapelle ardente. Ce samedi 21 novembre, Christian Estrosi, candidat Les Républicains
(LR) aux régionales en ProvenceAlpes-Côte d’Azur, tient son troisième meeting depuis les attentats
du 13 novembre. Jusqu’au public
clairsemé, tout rappelle le choc national vécu une semaine plus tôt.
Et les propos reflètent l’aspect sécuritaire qu’a pris la campagne des
élections régionales.
La veille, à Marseille, il a présenté
le nouveau cœur de son programme : un « bouclier de sécurité » de 250 millions d’euros sur
six ans qui « permettront d’armer
les polices municipales, d’aider à
l’installation de caméras de vidéoprotection… » « Le futur président
de la région devra prendre toute sa
part dans la protection des Français », assume le maire de Nice, qui
se persuade que « la droite républicaine est depuis toujours celle qui
inspire le plus de confiance en matière de sécurité ».
Plus tôt, le candidat avait fait son
entrée sur son nouveau clip de
campagne. Dans cet enchaînement d’extraits de BFM-TV ou d’ITélé, on le voit prévenir la France
de la présence d’une cinquième
colonne islamiste, encaisser les
sarcasmes de ses adversaires sur
son idée d’installer des portails de
sécurité dans chaque gare ou refuser de marier un Niçois « en voie de
radicalisation ». « On m’a dit “vous
faites de la surenchère”… J’aurais
tellement voulu ne pas avoir raison », conclut-il.
En ce week-end de reprise de la
campagne, le candidat LR en PACA
n’a pas été le seul à développer les
thèmes sécuritaires. Lors d’un
point presse, samedi, à Lyon, Laurent Wauquiez, candidat LR en
Auvergne-Rhône-Alpes, a proposé
de consacrer annuellement
45 millions d’euros du budget de la
région à la protection des lycées,
des gares ou encore des sites industriels classés Seveso. Lors d’un
meeting à Drancy (Seine-Saint-Denis), le même jour, Valérie Pécresse
a fait directement référence à l’un
des terroristes du 13 novembre,
Abdelhamid Abaaoud, filmé en
train de frauder dans le métro parisien. « La sécurité passe par un
changement de modèle : dès qu’on
commence à franchir les portillons
« Le FN est un
parti laxiste (…)
qui a peur
de la surveillance
de l’Etat »
GÉRALD DARMANIN
directeur de campagne
de Xavier Bertrand (LR)
Meeting de
Christian
Estrosi,
à Grasse
(AlpesMaritimes)
jeudi 19
novembre.
LAURENT CARRE
POUR
« LE MONDE »
dans le métro, à taguer, ça veut dire
qu’on peut tout se permettre », a déclaré la candidate LR en Ile-deFrance citée par Libération.
Contre-offensive
Pour convaincre une opinion marquée par les attentats, la droite a
décidé de donner un tour de vis sécuritaire à sa campagne. Face à un
exécutif à la manœuvre, Nicolas
Sarkozy a lancé la contre-offensive
trois jours après les attentats.
Mardi 17 novembre, il a mis en
place un observatoire de suivi des
mesures annoncées par le gouvernement pour la sécurité des Français. Cette instance, présidée par
Eric Woerth, devait être présentée,
lundi 23 novembre. Les responsables LR veulent mettre l’Etat sous
surveillance. « Il y a des trous immenses dans la raquette, uniquement pour des raisons administratives. Avant de créer des nouvelles
lois, faisons appliquer les lois qui
existent », a estimé, dimanche
22 novembre, Thierry Solère, tête
de liste dans les Hauts-de-Seine,
sur l’antenne de Sud radio.
A moins de deux semaines du
premier tour des régionales, dimanche 6 décembre, l’objectif de
la droite est double : ne pas se retrouver confinée à un rôle de spectateur face à l’exécutif en action,
mais aussi se montrer plus protecteur que le FN. Les dirigeants LR
craignent que l’extrême droite
capte la peur et la colère. Les premiers sondages semblent confirmer cette appréhension. Selon
une enquête Ipsos pour France Télévisions et Radio France publiée
dimanche 22 novembre, Marion
Maréchal-Le Pen obtiendrait en
PACA 40 % des voix dès le premier
tour, trois points de mieux que
lors du sondage précédent.
Pour lutter contre ce danger électoral, les dirigeants de la droite dénoncent un FN ferme dans les
mots mais irresponsable dans les
faits. Au cours de son entretien au
Monde daté du 19 novembre,
M. Sarkozy a rappelé que les élus
de Marine Le Pen avaient refusé de
voter le PNR (« Passenger Name
Record ») au Parlement européen.
« Le FN est un parti laxiste, dénonce
Gérald Darmanin, maire (LR) de
Tourcoing et directeur de campagne de Xavier Bertrand, opposé à
Marine Le Pen en Nord-Pas-de-Calais-Picardie. Dans mon conseil
municipal, les élus frontistes sont
La droite accuse Hidalgo d’« angélisme »
depuis les attentats du 13 novembre, la majorité et l’opposition parisiennes avaient réussi à
taire leurs dissensions. Ainsi le « plan protection » pour les victimes et leurs proches présenté
par Anne Hidalgo devait-il être adopté à l’unanimité lors du Conseil de Paris, lundi 23 novembre.
Celui-ci prévoit notamment le maintien des cellules de soutien psychologique dans les écoles
« le temps qu’il faudra » et une aide de la Ville de
560 000 euros aux commerçants victimes de
dommages.
La maire de Paris souhaite aussi parer aux critiques des élus de droite en matière de sûreté :
« Sur la sécurité, nous prenons clairement nos responsabilités. » Cela devrait se traduire par l’installation plus rapide que prévu de visiophones dans
les écoles, les collèges, les crèches… De même, la
mise en service de 165 caméras de vidéoprotection sera réalisée dès 2016, alors qu’elle devait
s’échelonner sur deux ans. Mme Hidalgo devait
aussi annoncer l’embauche de 30 agents chargés
de la sécurité et de la surveillance à la Ville, en
plus des 650 actuels.
Mais ces mesures ne devraient pas suffire à
apaiser la droite parisienne. « Il faut un changement culturel en matière de sécurité, déclare au
Monde sa chef de file, Nathalie Kosciusko-Morizet. La question n’est plus depuis longtemps une
priorité pour la Mairie de Paris sans doute à cause
des divisions de la majorité sur cette question. »
NKM suggère notamment « un programme d’investissement, pour protéger les Parisiens, de
75 millions d’euros », somme équivalant au budget participatif de la Ville en 2015.
Pour le directeur général du parti Les Républicains (LR), Frédéric Péchenard, la gauche parisienne « fait preuve d’angélisme et de naïveté ».
« La maire de Paris est à la traîne en matière de
vidéoprotection », affirme l’élu du 17e arrondissement. « Nous devons changer de braquet. Mille
caméras de vidéosurveillance supplémentaires
sont nécessaires », assène de son côté Philippe
Goujon, maire (LR) du 15e.
Bien que le maintien de l’ordre relève du préfet
de police à Paris, la droite réclame aussi une « police municipale armée ». « Elle permettrait d’avoir
des îlotiers sur le terrain qui relayent des informations à la police nationale », renchérit NKM.
« Je ne laisserai personne dire que je ne me soucie
pas assez de la sécurité des Parisiens, riposte
Mme Hidalgo. [Depuis les attentats,] je travaille
main dans la main avec le ministère de l’intérieur
et le préfet de police, et je suis intervenue auprès
du gouverneur militaire de Paris pour que les patrouilles en renfort soient mobiles et adaptent leur
ronde en fonction des rythmes des écoles ».
Concernant la police municipale, elle assure ne
pas avoir changé d’avis : « Je n’y suis pas favorable.
Et puis, c’est hors sujet. La lutte contre le terrorisme
relève d’abord de la police nationale et des services
renseignement. » Aux élus sarkozystes qui voudraient la prendre en défaut, Mme Hidalgo rappelle que la baisse des effectifs de police à Paris et
en France « date de 2009 et s’est amplifiée jusqu’en 2012 ». « Depuis, on essaie de réparer les dégâts », déplore-t-elle. Dans l’hémicycle du Conseil
de Paris, la trêve politique n’aura guère duré. p
béatrice jérôme
les seuls à voter contre les heures
supplémentaires aux policiers municipaux. Le FN reste un mouvement d’extrême droite qui a peur de
la surveillance de l’Etat. »
De son côté, le Parti socialiste ne
veut pas laisser la question de la
protection à la droite. Dans une lettre écrite aux candidats, JeanChristophe Cambadélis, le premier
secrétaire du parti, appelle à défendre « un triptyque commun » : « La
guerre totale contre Daech, la sécurité maximale pour les Français et
la concorde nationale. » Localement, les candidats vont défendre
le rôle de la région dans le maintien de l’ordre.
Les socialistes misent sur le fait
que le discours de François Hollande et sa gestion après les attaques de Paris ont été globalement
appréciés. « Il n’y a aucun angélisme de notre part, la région va
contribuer au pacte de sécurité du
président de la République », explique Jean-Jack Queyranne, président socialiste sortant de RhôneAlpes. Pas question cependant de
ne rester que sur cette thématique.
Pour le candidat PS, qui dénonce
une « surenchère sécuritaire » de
son adversaire Laurent Wauquiez,
les électeurs ont aussi envie d’entendre parler d’autres sujets :
« Après ce qu’il s’est passé, il manque dans le discours de la droite un
mot majeur, celui d’éducation. » Il
reste moins de deux semaines
pour faire émerger d’autres sujets
de campagne… p
nicolas chapuis, matthieu
goar et gilles rof (à marseille)
8 | les attaques terroristes à paris
0123
MARDI 24 NOVEMBRE 2015
Dans le Val-d’Oise, récit d’une perquisition musclée
Depuis les attentats et l’instauration de l’état d’urgence, 1 072 lieux ont été visités par les policiers
C’
est une soirée calme au Pepper-Grill, un restaurant de
Saint-Ouen-l’Aumône, dans
le Val-d’Oise. Samedi 21 novembre, une semaine après les attentats
du 13 novembre à Paris et Saint-Denis, la
clientèle reprend doucement ses habitudes : des familles avec des enfants en bas
âge, des couples, un groupe de copines… A
20 h 31, un homme tente péniblement
d’ouvrir la porte intérieure du sas d’entrée.
Elle se bloque sur le tapis de sol, il tire, finit
par se glisser maladroitement dans l’embrasure, un peu encombré par son équipement : casque, gilet pare-balles, bouclier
antiémeute. A sa suite, c’est la déferlante.
Sous le regard ébahi des clients, des dizaines de policiers en tenue d’intervention
déboulent dans la grande salle du restaurant. Une perquisition administrative
commence, en plein service, sous l’œil des
caméras de surveillance du restaurant,
dont Le Monde a pu consulter les images.
Lundi 23 novembre, la police avait procédé à 1 072 perquisitions en application
de l’article 11 de la loi de 1955 sur l’état d’urgence. Elles ont donné lieu à 139 interpel-
lations, qui ont débouché sur 117 gardes à
vue. Ce qui signifie que, dans environ
90 % des cas, les policiers ont fait chou
blanc. Comme au Pepper-Grill.
Il est 20 h 32. L’unité d’intervention a investi le restaurant. Une cliente, paniquée,
fait mine de prendre son manteau pour
sortir. « Mains sur les tables ! », crient les
policiers. Les clients se figent. Les fonctionnaires ordonnent à la dizaine de salariés présents en salle de se rassembler
autour d’une table. « Ordre du préfet ! », répondent-ils lorsqu’on les interroge.
« Taper large »
Un groupe descend au sous-sol, où se
trouvent les cuisines, les pièces de stockage et les vestiaires. Ils tombent sur un
employé en train de réparer une cloison
endommagée lors du service. Il est braqué
avec un fusil, aligné contre le mur avec
l’un de ses collègues. Puis les policiers tentent d’ouvrir les portes avec un bélier. Ils
en défoncent une première. Elle donne
sur les cuisines, par ailleurs accessibles par
une porte battante : il suffisait de s’avancer de quelques mètres dans le couloir.
Pendant la discussion
avec le propriétaire,
un policier jette
des dossiers à terre
sans même examiner
leur contenu
Ils partent ensuite à l’assaut d’une
deuxième porte, celle-là bien fermée. Le
propriétaire du restaurant leur propose
de l’ouvrir avec sa clé. Pas de réponse, la
porte est cassée. Derrière, les policiers découvrent le local destiné au matériel
neuf : vaisselle, chemises des serveurs,
etc. Ils poursuivent leur chemin. Une dernière porte est attaquée. Un coup, deux
coups, puis le policier qui tient le bélier se
rend compte qu’il suffisait en fait de
tourner la poignée. Derrière, une salle de
douche.
Le propriétaire, Ivan Agac, 28 ans, est ensuite escorté dans son bureau. L’officier
de police judiciaire – dont la présence est
obligatoire – lui montre alors pour la première fois l’ordre de perquisition, signé du
préfet du Val-d’Oise, Yannick Blanc.
M. Agac découvre qu’« il existe des raisons
sérieuses de penser que se trouvent des personnes, armes ou objets liés à des activités
à caractère terroriste » dans le restaurant
qu’il a lancé il y a deux ans. Il est estomaqué. Pendant la discussion, un policier en
uniforme farfouille sans conviction dans
les armoires, jetant les dossiers à terre
sans même faire mine d’en examiner le
contenu.
« Vous avez de la chance, on n’a rien
trouvé, vous n’allez pas partir en garde à
vue », conclut l’officier. Puis la troupe s’en
va. Il est 21 h 01. Les policiers n’ont découvert ni « armes » ni « objets liés à des activités à caractère terroriste ». Quant aux « personnes », en trente minutes de perquisition, ils n’ont pas procédé à un seul contrôle d’identité, ni d’employés, ni de
clients, donc ils ne risquaient pas d’en
trouver...
Pour le propriétaire, c’est un coup dur.
Cet entrepreneur est installé à SaintOuen-l’Aumône depuis huit ans. Il a dé-
buté par une pizzeria, puis un restaurant
de sushis, et enfin le Pepper-Grill, un vaste
restaurant de burgers et de grillades texmex installé dans un ancien garage reconverti : plus de cent couverts, 22 salariés,
une décoration soignée et une clientèle diverse, à l’image de l’agglomération de Cergy-Pontoise dont fait partie la ville. « Mon
restaurant est halal parce que je suis musulman, mais ce n’est même pas notifié sur
la façade. On accueille tout le monde, mes
employés sont de toutes les religions », se
sent obligé de justifier M. Agac.
Pourquoi, alors ? Le maire PS, Alain Richard, ancien ministre de la défense de
Lionel Jospin (1997-2002), ne souhaite pas
commenter une perquisition « qui pourrait avoir des suites judiciaires ». Une
source policière explique qu’une « salle de
prière clandestine » était recherchée. Sauf
qu’une salle de prière, il y en a bien une,
mais elle n’est pas particulièrement clandestine, il s’agit d’une petite pièce indiquée par un pictogramme, située à côté du
bureau de M. Agac, et destinée aux clients
qui le souhaitent.
« On ne fait pas mouche à tous les coups,
Ce que contient la loi sur l’état d’urgence
Restriction de la liberté de mouvement, assignations à résidence, perquisitions… Le dispositif est prolongé jusqu’au 26 février 2016
L
a loi du 20 novembre prolonge pour trois mois l’état
d’urgence, décrété le 14 novembre en conseil des ministres.
L’état d’exception prendra fin le
26 février 2016, il est éventuellement renouvelable, ou peut être
interrompu avant son terme. Il a
été proclamé six fois depuis 1955,
en pleine guerre d’Algérie. La loi,
qui vise selon son étude d’impact
« à renforcer les pouvoirs des autorités administratives et restreindre
les libertés publiques », comporte
deux dispositions essentielles : les
assignations à résidence des suspects et les perquisitions sans
l’autorisation d’un juge.
La liberté d’aller et venirrestreinte Les préfets peuvent interdire « la circulation des personnes
ou des véhicules » dans des lieux et
à des heures fixés par arrêté ; instituer « des zones de protection » où
le séjour est réglementé ; interdire
de séjour « toute personne cher-
chant à entraver l’action des pouvoirs publics ».
Une assignation à résidence
renforcée La loi de 1955 s’appliquait à toute personne « dont l’activité s’avère dangereuse », elle
s’applique désormais plus largement à toute personne lorsqu’il
existe « des raisons sérieuses de
penser que son comportement
constitue une menace » – les suspects donc, qui ont par exemple
des fréquentations ou des propos
douteux. L’assignation à résidence est prononcée par le ministre de l’intérieur, dans un lieu qui
n’est pas forcément le domicile, le
suspect y est conduit manu militari. Il doit y demeurer douze heures sur vingt-quatre (et non huit
heures, comme le souhaitait le
gouvernement). Bernard Cazeneuve a rappelé que « l’assignation
à résidence n’est pas la prison ».
L’assigné, à qui on a retiré ses papiers, doit se présenter à la police
ou à la gendarmerie trois fois par
jour. Il lui est interdit d’entrer en
contact avec certaines personnes,
mais il peut garder téléphone et
ordinateur, qui seront surveillés –
l’accès à Internet est une liberté
constitutionnelle. Les armes,
même légales, peuvent être saisies
et restituées après l’état d’urgence.
Un bracelet électronique peut
être imposé à une personne assignée à résidence si elle a déjà été
condamnée pour terrorisme et si
elle a purgé sa peine depuis moins
de huit ans. Le condamné doit
donner son accord écrit, et n’est en
échange pas astreint à pointer
trois fois par jour ni à résider dans
un lieu choisi par l’Intérieur.
Les perquisitions De jour
comme de nuit, les perquisitions
sont autorisées lorsqu’il existe
« des raisons sérieuses de penser
que ce lieu est fréquenté par une
personne dont le comportement
constitue une menace », « sauf dans
un lieu affecté à l’exercice d’un
mandat parlementaire ou à l’activité professionnelle des avocats,
des magistrats ou des journalistes »
– elles restent possibles à leur domicile. Le procureur est informé
de la perquisition, qui doit se dérouler en présence de l’habitant et
d’un officier de police judiciaire.
Les perquisitions administratives
deviennent judiciaires dès lors
qu’apparaît un indice qui laisse
supposer une infraction, ou que la
personne peut fournir des informations utiles à l’enquête. Les
données des ordinateurs et des téléphones peuvent être copiées par
la police. Il n’est pas prévu qu’elles
soient détruites si elles ne révèlent
pas d’infractions.
La dissolution d’associations Le
texte prévoit une grande marge
d’appréciation pour dissoudre les
associations ou groupements « qui
participent à la commission d’actes
portant une atteinte grave à l’ordre
public ou dont les activités facilitent
cette commission ou y incitent ». La
dissolution de ces associations
(qui gèrent par exemple des mosquées) est définitive. Denys Robiliard (PS, Loir-et-Cher) a fait observer que cette dissolution était déjà
autorisée par le code de la sécurité
intérieure. Le premier ministre,
Manuel Valls, a répondu qu’il fallait « bâtir des dispositifs rapides et
efficaces. Alors, pas de juridisme ! »
La censure de la presse La loi de
1955 autorisait les préfets « à prendre toutes mesures pour assurer le
contrôle de la presse, ainsi que celui
des émissions radiophoniques, des
projections cinématographiques et
des représentations théâtrales ». Le
gouvernement a abrogé ces dispositions, qu’ont voulu rétablir en
commission Sandrine Mazetier
(PS, Paris) et 20 députés socialistes,
avant d’y renoncer. En revanche, le
ministre de l’intérieur peut faire
interrompre « tout service de com-
munication au public en ligne provoquant à la commission d’actes de
terrorisme ou en faisant l’apologie ». Il pouvait déjà bloquer des sites Internet sous quarante-huit
heures.
Alourdissement des peines Les
violations de l’interdiction de circulation, de séjour ou de la fermeture d’un lieu public sont punies
d’une peine de six mois de prison
et 7 500 euros d’amende – contre
huit jours à deux mois en 1955, accompagnés
d’amendes
de
11 euros à 3 750 euros. La violation
de l’assignation à résidence est
punie de trois ans de prison et
45 000 euros d’amende. Le nonrespect de l’astreinte à demeurer
en résidence, le défaut de pointage au commissariat ou la violation de l’interdiction d’entrer en
contact avec d’autres personnes
sont punis d’un an de prison et de
15 000 euros d’amende. p
franck johannès
les attaques terroristes à paris | 9
0123
MARDI 24 NOVEMBRE 2015
Sécurité et liberté, le débat escamoté
Après le vote à la quasi-unanimité de la loi prolongeant l’état d’urgence, politiques, juristes et
historiens analysent les raisons pour lesquelles la restriction des libertés est si peu contestée
ANALYSE
B
Perquisition
au PepperGrill à
Saint-Ouenl’Aumône
(Val-d’Oise),
samedi
21 novembre.
DR
loin de là. Le principe de ces perquisitions,
c’est de taper large, justifie le préfet, Yannick Blanc. La liste des objectifs est établie
lors de réunions avec tous les services : gendarmerie, sécurité publique, police judiciaire, renseignement territorial, sécurité
intérieure. Cela nous a déjà permis de saisir
une dizaine d’armes, du cannabis, et d’obtenir des renseignements précieux. » Au niveau national, le ministère de l’intérieur
affiche la saisie de 201 armes. Dans 77 cas,
de la drogue a été découverte.
« C’est de la communication »
Dans la région lyonnaise, les responsables policiers évoquent ainsi un bilan des
saisies « plutôt positif » : lance-roquettes,
fusil d’assaut AK47, fusil-mitrailleur
MAT49, 1 kg d’héroïne, 1,2 kg de cannabis… « On a bénéficié d’un effet de surprise,
ces perquisitions nous ont donné une liberté d’action efficace, estime le patron
d’un service d’enquête spécialisé. Nous
avons ciblé des gens que nous n’avions pas
réussi à accrocher dans nos investigations,
nous en entendions parler en marge de
nos enquêtes sans avoir de billes, notre intuition était bonne ! »
Cela n’empêche pas un nombre croissant de policiers de douter de l’utilité de
ces opérations très consommatrices en
temps et en effectifs. « C’est de la communication », commente un haut responsable policier à Paris. Et le risque de dommages collatéraux n’est jamais très loin.
A Nice, vendredi 20 novembre, une
fillette de 6 ans a été légèrement blessée
lors d’une perquisition administrative
menée dans le centre. Victime de « plaies
multiples superficielles au cou et à l’oreille
gauche », elle a été hospitalisée quelques
heures. Les policiers, qui sont intervenus
peu avant 5 heures du matin, avaient enfoncé la mauvaise porte. p
laurent borredon
avec paul barelli (à nice)
et richard schittly (à lyon)
L’interdiction de manifester bravée
La préfecture de police de Paris a annoncé, lundi 23 novembre,
avoir transmis au parquet, « pour application des suites judiciaires
prévues par la loi », les identités de 58 personnes ayant bravé la
veille l’interdiction de manifester. La trentaine de membres des
forces de l’ordre déployée pour empêcher la manifestation des
pro-migrants, dimanche, n’a pas réussi à stopper les 600 marcheurs qui ont passé outre l’interdiction de défiler imposée par
l’état d’urgence. L’appel initial avait été lancé par 46 organisations (Droit au logement, NPA, Sud…) signataires d’un texte intitulé « Migrants bienvenus ». Même si nombre d’entre elles ont retiré leur appel, les militants sont venus. Les gendarmes n’ont pas
été en capacité de bloquer la tête du cortège, qui scandait : « Etat
d’urgence, Etat policier ! On ne nous enlèvera pas le droit de manifester. » Les marcheurs espèrent braver les interdits de la même
manière pour la COP21 qui débute le 30 novembre.
ien sûr, il y a le choc. Bien
sûr, il y a l’émotion. Bien
sûr, il y a la peur. Mais cela
suffit-il à tout expliquer ? Que l’effroi suscité par les attentats du
13 novembre ait conduit le gouvernement à prendre des mesures visant à renforcer la sécurité des
Français, personne, évidemment,
ne le conteste. Mais que de telles
mesures ne soulèvent pratiquement aucun débat, en dépit de ce
qu’elles impliquent en termes de
restriction des libertés publiques,
voilà qui peut étonner. Et tout au
moins mérite d’être interrogé.
Le 19 novembre, l’écologiste
Sergio Coronado est l’un des six
députés à avoir voté contre le projet de loi prolongeant l’état d’urgence. S’il dit avoir été « choqué »
par la facilité avec laquelle le texte
a été voté, il ne se montre pourtant
guère surpris par cette quasi-unanimité. « Il y a d’abord, c’est l’évidence, l’effet de sidération provoqué par les attentats et qui touche
les parlementaires comme le reste
des Français, explique le député.
Mais il ne faut pas être naïf : quand
j’entends certains de mes collègues
socialistes se réjouir de trouver une
occasion de piéger la droite et l’extrême droite en leur piquant leurs
idées, cela montre qu’il y a aussi
beaucoup de calcul politique dans
ce vote. »
Des « arrière-pensées politiciennes », la sénatrice écologiste Esther
Benbassa en décèle aussi dans ce
qu’elle appelle la « surenchère sécuritaire du gouvernement ». Mais,
peut-être parce qu’elle reste historienne avant tout, cette universitaire, entrée en politique il y a seulement quelques années, refuse
d’y voir le simple fruit des circonstances. « Ce vote est celui d’une société qui, depuis une quinzaine
d’années, est abreuvée de discours
sécuritaires et où la parole s’est libérée, y compris à gauche », explique
Mme Benbassa qui, vendredi, s’est
abstenue lors du vote du projet de
loi au Sénat.
« Droit fondamental »
Cette analyse est partagée. Notamment par Dominique Rousseau,
professeur de droit constitutionnel et codirecteur de l’école de
droit de la Sorbonne. S’il refuse
d’assimiler la « demande de sécurité » des Français à une « demande
sécuritaire », lui aussi reconnaît
que la réponse du gouvernement
socialiste aux attentats du 13 novembre n’est pas une surprise.
Car cette réponse, explique-t-il,
s’inscrit dans un cadre idéologique
bien précis. Celui défini en 1997 par
Lionel Jospin qui, dès sa déclaration
de politique générale, voulut en finir avec les procès en laxisme intentés par la droite, en affirmant
notamment que « la sécurité, garante de la liberté, est un droit fondamental de la personne humaine ».
Pour Dominique Rousseau, le
tournant de 1997 est fondateur.
« C’est à partir de ce moment-là que
la gauche s’est acclimatée à l’idée,
jusqu’alors brandie par la droite, selon laquelle la sécurité serait la première des libertés ». Dix-huit ans
plus tard, l’expression n’est plus taboue à gauche. « La sécurité est la
première des libertés », affirmait
ainsi le premier ministre lors de la
présentation du projet de loi sur le
renseignement à l’Assemblée nationale, le 13 avril.
Si le souvenir des années Jospin
est essentiel pour comprendre le
peu de débats que suscite à gauche
la politique du gouvernement en
« La France s’est
construite
comme un Etat
de police »
ANTOINE GARAPON
Institut des hautes études
sur la justice
matière de sécurité, ce n’est pas
seulement parce que les deux
principaux artisans de cette politique, François Hollande et Manuel
Valls, sont les héritiers directs de
cet aggiornamento idéologique
qu’ils vécurent aux premières loges, l’un comme premier secrétaire du Parti socialiste, l’autre
comme conseiller de Lionel Jospin
à Matignon. Car ce qui se joue
aujourd’hui peut aussi se lire
comme l’énième répétition d’une
même histoire. Celle d’une gauche
française qui, confrontée au défi
du maintien de l’ordre lors de son
passage au pouvoir, s’est évertuée
à faire preuve d’une extrême fermeté, comme si celle-ci était la
preuve de sa capacité à gouverner.
« Absolutisme »
« Quand elle accède au pouvoir la
gauche veut toujours montrer
qu’elle n’a aucune leçon à recevoir
en matière de sécurité, observe Dominique Rousseau. Mais le risque
est pour elle de se laisser entraîner
dans une spirale car, quoi qu’elle
fasse, elle ne sera jamais considérée
comme aussi performante que la
droite dans ce domaine. » De ce
point de vue, la situation actuelle
en rappelle d’autres : celle de Georges Clemenceau qui envoya la
troupe face aux mineurs en 1906,
celle de Jules Moch qui mit tout en
œuvre pour étouffer les grèves organisées par la CGT et soutenues
par le Parti communiste, celle de
Guy Mollet qui, en mars 1956, pendant la guerre d’Algérie, n’eut
aucun mal à convaincre la majorité
de gauche de lui confier les pleins
« La gauche veut
toujours montrer
qu’elle n’a aucune
leçon à recevoir
en matière
de sécurité »
DOMINIQUE ROUSSEAU
professeur de droit
constitutionnel
pouvoirs « pour prendre toutes les
mesures exceptionnelles commandées par les circonstances en vue du
rétablissement de l’ordre, de la protection des personnes et des biens,
et de la sauvegarde du territoire ».
Reste, pour expliquer le peu de
débats soulevé par la politique sécuritaire du gouvernement, une
autre explication, moins circonstancielle et plus structurelle. Plusieurs observateurs en sont convaincus : si la prolongation de l’état
d’urgence est acceptée si facilement, c’est peut-être qu’il y a là
quelque chose qui résonne de façon profonde avec l’histoire du
pays. « La France, depuis l’absolutisme, s’est construite comme un
Etat de police. Nous vivons dans un
pays où l’on considère naturellement que c’est à l’Etat de protéger
nos vies et que c’est à lui de s’autolimiter pour assurer l’Etat de droit »,
explique le magistrat Antoine Garapon, secrétaire général de l’Institut des hautes études sur la justice.
Une analyse que partage Dominique Rousseau : « Nous avons en
France une conception de l’Etat hé-
ritée du philosophe Thomas Hobbes. Nous acceptons d’abandonner
nos libertés à l’Etat en échange de la
sécurité que l’Etat nous garantit. Voilà sans doute pourquoi les
Français considèrent comme légitime que l’Etat, dans certaines occasions, décide de restreindre l’exercice de certaines libertés. »
Comme ses collègues juristes,
l’historien Pascal Ory fait le constat du peu d’opposition que rencontre le gouvernement. Mais lui
non plus ne se montre guère
étonné. D’abord parce que ces attentats, par leur caractère coordonné, la diversité de leurs victimes et ce qu’ils disent de la volonté
des tueurs d’atteindre le pays dans
ce qui fait le cœur de sa culture, ne
pouvaient que susciter une réaction aussi ferme.
Mais surtout parce qu’ils frappent, selon lui, une société française qui « se rapproche de plus en
plus d’une culture protestante »
pour ne pas dire à l’américaine.
« Dans le modèle protestant, la société considère que c’est à elle de
s’autoréguler, que c’est à elle qu’il revient d’assurer l’ordre, par exemple
en surveillant son voisin », explique
Pascal Ory. L’hypothèse est originale mais convaincante. Elle permet de comprendre pourquoi,
dans une société dont les membres intègrent de plus en plus
l’idée que l’ordre est aussi l’affaire
de chacun, « l’adhésion aux mesures de sécurité proposées par l’Etat
suscite si peu de méfiance ». Au risque, peut-être, d’émousser l’esprit
de résistance. p
thomas wieder
10 | les attaques terroristes à paris
POLI T I QU E
Emmanuel Macron met
en cause « la fermeture »
de la société française
Lors d’une intervention,
samedi 21 novembre, en conclusion de l’université du
groupe social-démocrate
Les Gracques, le ministre de
l’économie Emmanuel Macron a affirmé que « le terreau sur lequel les terroristes
ont réussi à nourrir la violence, à détourner quelques
individus, c’est celui de la défiance ». « Je pense que ce
sont des fermetures dans notre économie, dans notre société, les pertes d’opportunité,
les plafonds de verre qui sont
mis, les corporatismes qui se
sont construits qui à la fois
nourrissent de la frustration
sur le plan individuel et
créent de l’inefficacité sur le
plan économique », a-t-il
plaidé. – (AFP.)
Julien Dray demande
des prêches en français
dans les mosquées
Julien Dray, vice-président
(PS) de la région Ile-deFrance, a demandé lundi
23 novembre que les prêches
des imams soient faits en
français, estimant qu’« un débat théologique » devait également « être mené », l’islam
ne s’étant, selon lui, « pas
modernisé ». « Il faut être très
vigilant sur les prêches des
imams, je dis bien les prêches
– que les prières soient en
arabe, cela peut se comprendre – mais les prêches, qu’ils
soient faits en français, c’est
important », a suggéré
M. Dray, interrogé sur RTL.
ÉCON OMI E
20 % de fréquentation
en moins depuis
les attentats pour les
magasins d’habillement
La fréquentation des magasins d’habillement de centreville a chuté de 20 % à 30 %
en France depuis les attentats
du 13 novembre, a indiqué,
dimanche 22 novembre sur
RTL, Bernard Morvan, président de la Fédération nationale de l’habillement. Selon
l’indice d’activité publié lundi
23 novembre par le cabinet
Markit, la croissance de l’ensemble de l’activité du secteur privé a ralenti en novembre en France, un certain
nombre de prestataires de
services évoquant notamment « l’impact des attaques
terroristes à Paris ». – (AFP.)
0123
MARDI 24 NOVEMBRE 2015
Des djihadistes surveillés et fichés en vain
Plusieurs alertes sur la dangerosité des membres du commando avaient été données
A
mesure que l’enquête
sur les attentats du
vendredi 13 novembre
à Paris et à Saint-Denis
progresse, les failles dans la surveillance des milieux islamistes
radicaux par les services de renseignement français et européens
se précisent. Si la menace est diffuse, polymorphe, et que les
auteurs des attentats ont tout fait
pour déjouer l’attention de services débordés, plusieurs alertes
sur la dangerosité des membres
du commando étaient apparues.
Abdelhamid Abaaoud, tué mercredi 18 novembre lors de l’assaut
d’un appartement à Saint-Denis,
est celui dont le parcours avant les
attentats reste le plus mystérieux.
Et une question se pose avec insistance. Comment le djihadiste
francophone le plus connu, soupçonné d’avoir un rôle dans quatre
des six attaques « déjouées » en
France en 2015, a-t-il pu se rendre
à Paris pour participer à l’attentat
le plus meurtrier jamais commis
sur le sol français ?
Allers-retours avec la Syrie
Parti en Syrie au début de 2013, il
serait rentré en Belgique à la fin de
cette même année en passant par
la Grèce pour repartir ensuite sans
être inquiété par les autorités belges. Le signalement de sa présence
sur un vol pour Istanbul parti d’Allemagne n’aura pas suffi à l’interpeller. Il aurait échappé à plusieurs
coups de filets, en Belgique en janvier lors du démantèlement de la
cellule dite de Verviers, mais aussi
en Grèce où sa présence avait été
établie. En février , Abdelhamid
Abaaoud s’était vanté dans le magazine de l’Etat islamique Dabiq de
ses multiples allers-retours entre
la Syrie et la Belgique, alors même
qu’il était visé.
Salah Abdeslam, 26 ans, soupçonné d’avoir convoyé les trois
kamikazes du Stade de France,
était connu des services de police
belges, qui l’avaient bien inscrit
au Système d’information Schengen (SIS), le fichier dans lequel
chaque pays européen peut inscrire des personnes recherchées
ou sous surveillance. Jusqu’ici,
tout va bien. Sauf que Salah Abdeslam était inscrit pour des faits
de droit commun, et pas pour un
risque terroriste. Conséquence :
ce Français résidant en Belgique a
The Amazing Keystone Big Band
présente
Investigations dans l’appartement de Saint-Denis, jeudi 19 novembre. CHRISTOPHE ENA / AP
pu circuler tranquillement en Europe, avant et après les attentats.
Salah Abdeslam, proche d’Abdelhamid Abaaoud, a même très probablement effectué un aller-retour en Syrie, en 2015, sans déclencher d’alerte.
Le 4 août, il a été contrôlé en
Grèce lors de son embarquement
dans un ferry à destination de
l’Italie. A son côté, Ahmad Dahmani, un Belge de 26 ans, dont le
profil est jugé « intéressant » par
les enquêteurs. Dahmani a été arrêté le 16 novembre à Antalya
(Turquie) par la police turque
dans le cadre d’une enquête sur
une filière de migrants. Enfin,
quelques heures après les attentats, Salah Abdeslam a pu retourner en Belgique sans être inquiété : les gendarmes français
qui le contrôlent repèrent bien sa
fiche au SIS, mais comme elle ne
concerne pas le terrorisme, il
n’est pas interpellé.
Côté français, Ismaël Omar Mostefaï, 29 ans, l’un des trois assaillants du Bataclan, avait été
condamné huit fois pour des délits de droits communs entre
2004 et 2010. Fiché par les services de renseignement pour son
appartenance à la mouvance islamiste radicale, il réapparaît dans
les radars des services de renseignement à Chartres au début de
l’année 2014 où il fréquente un
groupe salafiste. Trois personnes,
dont le leader, sont placés sous
surveillance entre avril 2014 et
septembre 2015. Ismaël Omar
Mostefaï ne fait pas partie de
ceux-là. « Ce n’était pas justifié »,
explique-t-on place Beauvau.
Son complice du Bataclan, Samy
Amimour, 28 ans, qui comme lui a
péri pendant l’assaut, était connu
de la justice, mais cette fois directement pour des faits en lien avec le
terrorisme. Placé sous contrôle judiciaire en 2012 pour avoir tenté en
Abdelhamid
Abaaoud est
celui dont le
parcours avant
les attentats
reste le plus
mystérieux
vain de se rendre au Yémen, il avait
admis lors de ses auditions être favorable au djihad armé et avoir le
projet de se rendre au Yémen ou au
Pakistan. Il avait finalement indiqué avoir renoncé, estimant qu’il
n’était pas prêt à prendre part aux
combats et à mourir en martyr. Il a
ensuite quitté la France sans encombre avant de franchir la frontière turque vers la Syrie le même
jour qu’Ismaël Omar Mostefaï. Ses
papiers lui avaient été retirés dans
le cadre de son contrôle judiciaire,
mais il est parvenu à en obtenir de
nouveaux en en déclarant la perte
au commissariat.
La question de l’efficacité de certains contrôles judiciaires s’était
déjà posée dans le cas d’un projet
d’attentat visant des militaires de
la marine nationale à Toulon, révélé fin octobre. Mustapha Mokeddem, dont les services de renseignement supposent qu’il
aurait donné des consignes à Hakim Marnissi pour commettre cet
attentat, était déjà connu des services de l’antiterrorisme. Arrêté
en 2012, il avait été condamné
pour avoir proféré des menaces
contre Charlie Hebdo. Sorti de prison en avril 2013, il avait pourtant
pu rejoindre la Syrie, en décembre 2014, sans problème. Son contrôle judiciaire n’était pas assorti
de la saisie de son passeport. p
laurent borredon
et simon piel
Les cartes prépayées seront plus encadrées
Le code monétaire et financier permet aujourd’hui leur utilisation sans vérification d’identité
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rapper les terroristes au
portefeuille avant qu’ils ne
passent à l’action, en rendant compliqué le règlement d’armes, de matériels, de notes d’hôtel
ou de « caches » : tel est l’objectif
très précis des nouvelles mesures
annoncées lundi 23 novembre par
le ministre des finances, Michel
Sapin, en coordination avec la cellule antiblanchiment de Bercy,
Tracfin, et la Direction nationale
du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED).
Au premier rang de ces mesures,
figure l’encadrement des cartes de
paiement prépayées, dont l’enquête sur les attentats du 13 novembre à Paris a confirmé qu’elles
étaient prisées des réseaux criminels, pour leur anonymat. Ces cartes auraient ainsi été saisies, en
même temps que du matériel téléphonique, lors de perquisitions.
Aujourd’hui, en France, le code
monétaire et financier permet
l’utilisation de cartes prépayées,
sans aucune vérification d’identité, pour les cartes non-rechargeables de moins de 250 euros, et,
pour les cartes rechargeables, jusqu’à 2 500 euros sur un an. Un dé-
L’UE entend
surveiller plus
étroitement
les monnaies
virtuelles et
les paiements en
ligne anonymes
cret sera transmis au Conseil
d’Etat avant la fin du premier trimestre 2016, et des dispositions introduites dans le projet de loi sur la
transparence de la vie économique, présenté officiellement en
juillet et bientôt discuté, afin de
renforcer les contrôles et d’abaisser les seuils.
Cette démarche sera menée en
étroite coordination avec les
autres Etats membres de l’Union
européenne (UE), pour qui le sujet
est tout aussi prégnant. Pour lutter
contre le financement du terrorisme, l’UE entend en effet surveiller plus étroitement les monnaies virtuelles et les paiements
anonymes effectués sur Internet
et par le biais de cartes prépayées.
La Commission européenne a
donc été saisie du problème et devrait proposer de renforcer
les contrôles des méthodes de
paiement non bancaires.
De fait, ces cartes prépayées anonymes, dont les montants peuvent s’élever à plusieurs dizaines
de milliers d’euros dans des pays
situés hors de l’Union européenne, peuvent être ensuite utilisées partout ailleurs. Selon les experts financiers spécialisés dans
l’antiterrorisme, elles sont susceptibles d’être utilisées pour des
transferts d’or ou de métaux précieux… L’Etat islamique est évidemment dans le viseur.
Un autre point-clé du nouveau
plan Sapin contre le financement
du terrorisme porte sur l’extension aux biens immobiliers et
mobiliers (voitures…) des mesures de gel des avoirs appartenant à
des personnes physiques ou morales qui commettent, ou tentent
de commettre, des actes de terrorisme. Ces dispositions seront elles aussi intégrées au projet de loi
sur la transparence de la vie économique.
Actuellement, la réglementation antiterroriste européenne
permet de geler en théorie toutes
les catégories d’avoirs. Dans les
faits, ces mesures s’appliquent
aux comptes bancaires. Le gouvernement réfléchit à la possibilité d’empêcher certains versements de prestations en provenance d’organismes publics.
Accès aux fichiers
En marge de ces mesures, Bercy a
annoncé, lundi, plusieurs dispositions destinées à améliorer le renseignement financier, acteur clé
de l’antiterrorisme, dont le pouvoir sera renforcé. Ainsi, placé au
cœur des enquêtes, Tracfin, où travaillent désormais des officiers de
liaison de la DNRED, pourra exiger
de la part des banques des mesures de vigilance complémentaires
ou renforcées, sur certaines situations ou certains individus.
La cellule antiblanchiment de
Bercy se verra, dans ce but, ouvrir,
par décret, l’accès aux fichiers de
police et de justice (le fichier des
personnes recherchées et le traitement d’antécédents judiciaires). p
anne michel
les attaques terroristes à paris | 11
0123
MARDI 24 NOVEMBRE 2015
A Saint-Denis, l’attente des familles délogées par l’assaut
Les habitants refusent de quitter le gymnase sans proposition pérenne. Une réunion à la préfecture est prévue lundi
L
a scène ressemble à celles
des lendemains de catastrophe. Dans le gymnase
Maurice-Baquet de SaintDenis (Seine-Saint-Denis), des lits
de camp vert kaki ont été poussés
contre les murs. Les couvertures
de survie dorées sont roulées en
boule avec quelques duvets. Sur la
cage de gardien de but, des serviettes ont été accrochées pour sécher.
Au milieu du terrain de basket, un
grand tapis de gymnastique a été
installé avec des jouets d’enfants et
des feuilles de coloriage. Samedi
21 novembre, le froid est sensible
malgré les deux énormes chauffages soufflants ronflant à l’extérieur de cet immense bâtiment de
béton et de tôle bleue. Sur la
grande table, des restes de petitdéjeuner traînent encore. Un peu
partout, les familles se serrent
dans leurs frusques emportées en
catastrophe.
Il y a quelques jours encore, Michaela Stetiu habitait son deuxpièces coquet, au 1er étage du bâtiment C du 48, rue de la République, où elle logeait avec son compagnon, sa belle-fille et son petitfils. Elle n’a plus rien. Deux étages
sous le squat qui abritait les terroristes présumés, tout est parti en
poussière sous un déluge de balles
lors de l’assaut des forces de l’ordre, mercredi 18 novembre. Cela
fait plusieurs nuits qu’elle passe à
attendre une solution de relogement. « On a pensé qu’ils allaient
tous nous tuer, vous savez !, souffle-
« Je veux sortir
d’ici pour
un vrai logement,
pas pour aller
à l’hôtel »
CHAFIA ABEK
habitante de l’immeuble
t-elle. Depuis, on dort mal. La nuit,
on a l’impression d’entendre encore
les balles et on a froid. Ils nous ont
proposé d’aller à l’hôtel jusqu’à
mardi. Mais après ? », s’interroge
cette quinquagénaire roumaine,
toute frêle dans son pull jacquard.
Chafia Abek, logée dans le même
bâtiment, se dit encore « trop stressée ». Cette mère de trois enfants
doit se rendre une nouvelle fois au
commissariat pour témoigner. « Je
veux sortir d’ici pour un vrai logement, pas pour aller à l’hôtel »,
murmure-t-elle. Comme la presque totalité des occupants évacués, elle a refusé la solution transitoire proposée par la préfecture :
trois nuits d’hôtel, un séjour en
centre d’hébergement d’urgence
et une promesse de relogement.
Depuis le lendemain de l’évacuation, alors que les familles avaient
été mises à l’abri dans un centre de
santé, le bras de fer est engagé entre la Ville et la préfecture. Considérant que l’intervention policière
était une décision de l’Etat dans le
cadre d’une opération de défense
L’HISTOIRE DU JOUR
Bassem Braiki, le blogueur
aux deux visages
B
assem Braiki n’est pas bien réveillé, assis sur son lit, vendredi 20 novembre à 10 heures, lorsqu’un SMS lui apprend que le prestigieux New York Times parle de lui.
Dans sa petite chambre de Vénissieux (Rhône), il a du mal à réaliser qu’il est devenu mondialement célèbre. « Je pensais que ça allait rester dans les cercles que je partageais. Le buzz, ça ne me fait
ni chaud ni froid », assure le gaillard à voix rauque, sans avouer
qu’il est complètement dépassé par l’ampleur planétaire de la vidéo qu’il a postée sur sa page Facebook, mercredi 18 novembre.
En deux minutes et cinquante-quatre secondes, Bassem Braiki
réagit aux attentats de Paris à sa façon, brutale. « Je m’adresse à
tous les muslims. Allons traquer ces imposteurs », déclare-t-il à
propos des terroristes, « pétons leurs mâchoires ». Assis dans une
voiture, il tient son smartphone à bout de bras. Il lance un cri de
rage aux mots âpres. Il évoque à la
fois la peine des musulmans :
EN QUELQUES
« L’amalgame, il sera fait. » Et une
prise de conscience, bien différente
HEURES, SA VIDÉO,
de l’apathie des banlieues observée
après les attentats de janvier. « La soEN RÉACTION AUX
lution, elle peut venir que de nous à
ATTENTATS, DÉPASSE l’intérieur », précise-t-il en appelant à
la dénonciation des islamistes qu’il
LE MILLION DE VUES
nomme « djihadistes de mes c… »
Dans l’émotion générale, l’écho est
considérable. En quelques heures, le film dépasse le million de
vues et des centaines de milliers de partages, comme si, sous
son pseudonyme de « Chronic 2 Bass », Bassem incarnait à lui
seul la révolte des musulmans que la société française attendait. La romance est moins simple.
Contrairement à ce que rapportaient les premiers articles sur
lui, il n’attendait pas ses enfants à la sortie de l’école quand l’idée
lui a pris de se filmer. Il cherchait « un collègue », « quelque part
dans Lyon », pour un motif qu’il ne tient pas à indiquer. Sur son
métier, il parle « d’intérim », sans autre précision. Célibataire,
sans enfant, Bassem, 35 ans, vit encore chez ses parents. Dans sa
chambre meublée d’une cafetière à capsules et d’un cendrier
bien plein, un écran plat côtoie un verset du Coran. Il parle très
peu de son père, électricien, arrivé de Tunisie en 1967 et ne dit
rien de ses cinq sœurs et frères, dont un est conseiller municipal, adjoint à la culture à la mairie communiste de Vénissieux. Sa
mère, derrière la porte, s’inquiète du téléphone qui n’arrête pas
de sonner. « J’ai parlé comme quelqu’un qui a la haine de tout ce
qui s’est passé », fait valoir celui qui tient curieusement à s’excuser auprès « du paysage audiovisuel français ». Comme s’il savait
qu’une facette moins reluisante allait se révéler.
Vendredi soir, le site de Metronews dévoile un autre profil
Facebook, Chronique De Bass, fermé depuis. Le même Bassem
Braiki s’en prend à des jeunes femmes dans des termes qui frisent la correctionnelle. Il brode sur les « beurettes » et les
« blacks » en termes délirants et insultants. Injoignable au téléphone, il s’est fendu dimanche d’une longue vidéo pour tenter
de rattraper ces propos. Il parle de « clash de gamins », sous-entendu de joutes verbales en cercles fermés. « En aucun cas je suis
un guide », assure-t-il, comme s’il fallait l’oublier. p
richard schittly (lyon, correspondant)
nationale, la municipalité réclame
que les 70 personnes, dont 28 enfants, soient entièrement prises
en charge par l’Etat.
Le préfet délégué pour l’égalité
des chances, chargé du dossier, ne
l’entendait pas ainsi : « Dans ce
type de situation, comme lors d’un
incendie, le relogement est de la
compétence communale. La solidarité doit s’exercer à ce niveau »,
expliquait, vendredi, Didier Leschi, réclamant que la Ville « assume ses responsabilités ».
« Aucune empathie »
Après une réunion d’urgence à la
préfecture, vendredi en début
d’après-midi, devant l’absence de
solution pérenne, le maire PCF Didier Paillard a écrit au premier ministre : « Les circonstances extraordinaires qui ont conduit à l’intervention policière appellent des mesures exceptionnelles pour les
personnes impactées », plaidait-il.
L’appel a semblé être entendu.
Quelques heures plus tard, le
maire recevait un appel de Manuel Valls lui assurant que l’Etat
prendrait en charge les familles.
Dans la foulée, le préfet de région
s’engageait, à son tour, à les reloger sur le contingent préfectoral.
En début de soirée, M. Leschi s’est
rendu au gymnase auprès des occupants du « 48 ». « Les services de
l’Etat font leur possible pour vous
proposer des solutions de relogement dans les meilleurs délais »,
promettait-il dans un courrier remis aux familles.
Pas suffisant, ont-elles fait savoir
en refusant de quitter le gymnase.
Toutes ont trop peur d’être
oubliées une fois celui-ci évacué.
« On ne peut pas faire confiance
aux autorités et les politiques de la
mairie nous disent qu’ils se battent
pour nous mais c’est du bla-bla »,
lance Michaela Stetiu. « On veut
une preuve avec un tampon officiel », ajoute Chafia Abek.
La mairie reste elle aussi circonspecte. Une nouvelle réunion devait se tenir lundi matin à la pré-
L’immeuble est désormais inhabitable
L’immeuble où l’assaut policier s’est déroulé, mercredi 18 novembre avant l’aube, est devenu inhabitable pour les 70 personnes qui y habitaient. Quelque 5 000 balles ont été tirées par les
forces de l’ordre. Plafonds effondrés, encadrements des fenêtres
explosés, escalier partiellement détruit et murs porteurs
ébranlés… Le bâtiment C où logeaient les présumés terroristes
est particulièrement atteint. Très dégradé, l’immeuble,
qui donnait sur deux rues (la rue de la République et la rue
du Corbillon), abritait une dizaine de squats sur les 28 logements qu’il comptait.
fecture et la Ville entend exiger un
engagement nominatif pour chaque famille. « Sinon, on demandera
un rendez-vous à Valls », assure Stéphane Peu, adjoint à l’urbanisme.
Le feuilleton laisse les élus comme
les bénévoles amers. « On n’a senti
aucune empathie des autorités »,
glisse un secouriste. « L’Etat est absent : pas une visite ministérielle ou
du préfet alors que pour n’importe
quelle inondation dans le Var ou
l’Hérault, il y aurait eu un ministre
sur place. Les Dyonisiens qui viennent apporter un peu de chaleur et
de solidarité sont scandalisés par
cette absence de considération »,
tempête M. Peu.
A l’entrée, un gros tas de vêtements a été empilé. Ce sont les
dons des parents d’élèves des écoles alentour. Des voisins passent et
regardent d’un air désolé les enfants scotchés devant une télévision. « Il ne faut pas les abandonner », lâche une mère d’élèves de la
rue du Corbillon. p
sylvia zappi
12 | les attaques terroristes à paris
0123
MARDI 24 NOVEMBRE 2015
Les Abdeslam,
frères de sang
L’aîné, Brahim, s’est fait exploser devant
le Comptoir Voltaire, vendredi 13 novembre,
à Paris. Salah, son cadet, a aussi participé
à l’opération meurtrière, avant de prendre
la fuite. Deux frères de Molenbeek
qui semblent s’être « radicalisés »
en quelques mois, sans fréquenter
les mosquées
youssef ait akdim, ariane chemin
et elise vincent
U
ne lumière chaude derrière
les voilages. Un balcon
ouvragé comme de la dentelle. 30, place Communale, à
Molenbeek : c’est l’adresse
de la famille Abdeslam. Un
solide immeuble de pierre, tout en frises et pilastres, au cœur de la ville ; un immeuble
bourgeois, avec vue sur la mairie. Mercredi
18 novembre, c’est d’ailleurs sur le parvis pavé
que s’est réunie cette commune populaire de
l’ouest de Bruxelles pour rendre hommage
aux 130 victimes mortes cinq jours plus tôt
dans les attentats de Paris. Quelques mètres
plus haut, en surplomb, Mohamed, l’un des
cinq enfants Abdeslam, allume une martingale de bougies aux fenêtres, laissant aux
photographes le temps d’immortaliser sa fine
silhouette de « frère de ».
Mohamed a 29 ans mais habite chez ses parents, comme ses deux frères, comme sa
sœur. Seul l’aîné, Yazid, s’est marié et a quitté
la maison. Génération de la crise, culture cocon. Cinq jours plus tôt, c’est dans l’appartement familial que la télé a appris aux Abdeslam, vers 22 heures, les folles fusillades qui
ont ensanglanté la capitale française. Mohamed a pris la funeste soirée sanglante en marche : il supervisait avec un associé les travaux
de son futur lounge bar, à Liège.
Dans le séjour des Abdeslam, ce 13 novembre, manquent Brahim et Salah, 31 et 26 ans,
absents depuis quelques jours. Partis en vacances, « à la montagne grâce à une promotion gagnée sur Internet », ont-ils expliqué à
leurs parents – c’est du moins ce que Mohamed a raconté à son avocate Me Nathalie Gallant. Personne n’a trop osé s’interroger sur
cette drôle d’escapade « au ski », alors que le
temps est si doux. Ce soir-là, alors que Paris
commence à compter ses morts, les chaînes
tout-info ignorent encore que tous deux ont
participé à l’expédition terroriste la plus
meurtrière qu’ait connue la France.
C’est par Me Gallant, lundi 16 novembre, à
l’issue de sa garde à vue, que Mohamed a ainsi
appris que son frère Brahim s’était fait sauter
avec une ceinture d’explosifs devant le Comptoir Voltaire, un restaurant du 11e arrondissement de Paris, ne causant miraculeusement
d’autre mort que la sienne. Un infirmier qui
dînait là a tenté de le ranimer, avant de découvrir qu’il portait sous son blouson et son teeshirt des fils noir, blanc, orange et rouge, ceux
du détonateur. Mohamed a aussi su, ce
jour-là, que Salah faisait l’objet d’un mandat
d’arrêt international : d’abord soupçonné
d’avoir tiré à la kalachnikov sur les terrasses
bondées des 10e et 11e arrondissements de Paris, il aurait servi de chauffeur aux trois kamikazes du Stade de France.
« Ce sont mes frères et je les aime », a lâché
Mohamed sur CNN, avec son accent belge des
quartiers. Abdeslam, Kouachi, Clain… Comme
les voyous corses ou marseillais naguère, les
archives antiterroristes regorgent d’histoires
de fratries djihadistes : l’assurance d’une solidarité et d’une confidentialité sans faille. Un
recrutement-clé pour l’organisation Etat islamique (EI), qui a utilisé les deux frères Abdeslam pour mener à bien les attentats du 13 novembre, d’une violence rarement égalée en
Europe depuis la seconde guerre mondiale.
C’est d’ailleurs sans rien savoir des actes dont
étaient accusés ses deux frères que Mohamed
a été entendu par la justice belge dans les heures qui ont suivi les attentats. Comme pour
l’entourage des auteurs des tueries de Charlie
Hebdo, Montrouge et l’Hyper Cacher, en janvier, son audition a été menée « à l’aveugle »,
pour mieux le sonder sans trop l’ébranler.
GLANDOUILLE ET MINI-LARCINS
Brahim, Salah, Mohamed. Trois garçons de
Molenbeek nés et ayant grandis ensemble,
collés les uns aux autres et jamais loin des parents, comme s’ils ne voulaient pas quitter
l’adolescence. Les nuits passées avec les filles,
c’est toujours chez elles, chez les copains, à
l’hôtel. Trois frères qui aimaient dire qu’ils
étaient « français » : Abderrahmane Abdeslam, le père de cette famille nombreuse, est né
à Oran avant l’indépendance, en 1949, et a
gardé sa nationalité française en rejoignant le
Maroc, comme sa femme Mina.
Leur ville d’origine, c’est Bouyafar, dans le
nord-est du pays. Comme toute une génération de « travailleurs » du Rif, encouragés par
une convention bilatérale de 1964 à fournir la
main-d’œuvre dont manquait alors la Belgique, ils quittent le Maroc. A Bruxelles, on dit
souvent que le métro est « marocain ». Deux
heures trois quarts d’avion (jusqu’à Nador)
puis une demi-heure de route : l’été, c’est dans
ce bourg de 15 000 habitants que se retrouve la
famille Abdeslam. Leur maison, moderne, au
centre du douar, se gagne après dix minutes
de piste rocailleuse. La terrasse aménagée
laisse imaginer les belles soirées d’été en famille, avec leur cousin Boumedienne.
Chaque rentrée des classes, la famille retrouve Molenbeek et reprend ses marques
belges. Des habitudes qui ont peu à voir avec
la religion, même si le père prie chaque ven-
SALAH, JOLI CŒUR,
VIF ET ROUBLARD,
EST PLUS RUSÉ
ET PLUS FOU
– « DÉGLINGO »,
RAILLENT SES AMIS
EN RIANT
dredi et si les enfants sont élevés dans la tradition. Leurs repères, c’est plutôt le service
public. Abderrahmane Abdeslam est un
« stibien », comme on dit à Bruxelles, conducteur de tram à la STIB, Société des transports
intercommunaux de la ville. A l’âge de 20 ans,
Salah y travaille à son tour pendant deux ans,
en 2009, comme technicien de maintenance
au dépôt d’Ixelles, une autre des dix-neuf
communes de Bruxelles-Capitale.
La mairie aussi est un bon employeur. Mohamed y entre en 2006, passant par divers
services, dont celui de la « démographie »,
comme on dit en Belgique. Salah y avait postulé, sans succès. En 1998, la famille obtient
aussi son logement communal du bourgmestre (socialiste), Philippe Moureaux ; une
figure emblématique de Molenbeek,
aujourd’hui accusée par certains politiques
d’avoir pendant vingt ans favorisé laxisme et
clientélisme, pris régulièrement la parole
dans les mosquées, distribué parfois trop généreusement les logements sociaux. Lors de
l’arrivée de la nouvelle bourgmestre, en 2012,
on s’aperçoit que les revenus de la famille Abdeslam dépassent les 100 000 euros, qui d’ordinaire mettent fin à ce privilège.
L’autre repère, ce sont les copains. Pour les
frères Abdelsam, il y a la famille Bazarouj, ou
encore un certain Abdelhamid Abaaoud
(commanditaire présumé des attentats et tué
lors de l’assaut de Saint-Denis le 18 novembre), qui a passé son secondaire à l’Athénée
Royal Serge Creuz, comme Salah. Un élève et
un garçon agité, cet Abaaoud, mais tout sauf
un fou de religion. Les études terminées,
comme souvent le travail se fait désirer, on se
retrouve au cinéma, au bar, le samedi soir au
Carré, la boîte de Willebroek, avec son dancefloor à étages, ou bien à Etangs noirs et le long
du canal (Molenbeek, en flamand, veux dire
« les moulins de la rivière ») pour mâchouiller des bâtons de siwak, boire des canettes et fumer des joints.
« Des garçons comme tout le monde »,
dit-on à Molenbeek en parlant des frères Abdeslam. « Des gamins de leur âge », plaide Me
Nathalie Gallant. « Des délinquants classiques », préfère l’échevine à la jeunesse de Molenbeek, Sarah Turine. Une vie entre glandouille et mini-larcins. Yazid, Brahim et Salah : au moins trois des frères ont eu maille à
partir avec la justice pour divers petits délits.
Les deux premiers se retrouvent même ensemble, en 2003, dans une histoire de vol et
de trafic de faux papiers pour étrangers. Un
délit presque banal à Molenbeek, plaide
Me Gallant, mais qui relève déjà de la délinquance administrative astucieuse. Salah préfère, lui, tenter de braquer un garage de la province du Brabant wallon avec son pote
Abaaoud.
Une autre affaire, plus grave, de trafic d’armes, concerne Brahim en 2005. Mais la justice belge se montre relativement clémente.
L’accusé a des remords, et le jugement – que
Le Monde a pu consulter – veut croire qu’il
s’agit d’un égarement : « Attendu que (…) mal-
les attaques terroristes à paris | 13
0123
MARDI 24 NOVEMBRE 2015
BRAHIM
EST INDOLENT,
PARLE
SANS SE PRESSER
AVEC DES ACCENTS
À LA SYLVESTER
STALLONE,
ET A TOUJOURS L’AIR
DE SORTIR DU LIT,
CE QU’IL FAIT TARD
DANS LA JOURNÉE
ANNE-GAËLLE AMIOT
Hebdo, où l’aîné Saïd souffrait de lacunes intellectuelles et d’un gros problème de vision,
c’est le cadet qui mène la danse. Sans pour
autant réussir, comme il en rêve, à s’acheter
des belles voitures et gagner sa vie facilement.
Début 2011, Salah Abdeslam est licencié de la
STIB pour « absence prolongée sans justification ». Il est en réalité en prison, pour une affaire de cambriolages. Une manie : RTL-Télévision a diffusé, cette semaine, l’image de son
arrestation en flagrant délit, en mai 2015, lors
du cambriolage d’un bar-tabac belge, pour
quelques malheureuses centaines d’euros.
Les deux frères ont pourtant repris depuis
2013 une affaire au 9, rue des Béguines, la rue
des « religieuses ». Un café d’angle, au rez-dechaussée d’une de ces maisons de briques
rouges à deux étages qui s’alignent dans la
partie haute et calme de Molenbeek, lui donnant un air de petit Manchester. Dans ce
vieux bar, on joue aux cartes, autour d’une Jupiler ou d’un verre de vin.
Les Béguines sont aussi l’autre adresse des
frères Abdeslam, loin de l’œil et des oreilles
des parents. Un repaire où s’arrêtent beaucoup de voitures, jusque tard dans la nuit, et
où on ne trafique pas seulement des pièces
automobiles et de carrosserie. Brahim était
toujours là, devant ou derrière le comptoir,
pour « fournir » des joints, qu’on écrase dans
les cendriers sans se cacher. Il y a aussi un PC
dans le bar, où on ne consigne pas seulement
les commandes de bière et autres « limonades ». « Je crois qu’Internet a beaucoup joué
dans tout ça », a lâché Mohamed devant la caméra de CNN. « A chaque fois qu’on rentrait
dans ce café, il y avait des discours de l’Etat islamique, c’est-à-dire des appels à la guerre, a confié un habitué à “Envoyé spécial”, jeudi 19 novembre. Des gens cagoulés qui disaient aux
Européens de se joindre à eux », et que « regardait sur sa chaise le patron » Brahim, comme
on regarde un film de guerre.
DES ALLERS-RETOURS MYSTÉRIEUX
gré la gravité des faits reprochés (…) le prévenu
semble avoir pris conscience du caractère totalement inadéquat de son comportement
passé, qu’il paraît s’être rangé et a entamé une
activité de professionnel indépendant dans la
restauration, il apparaît au tribunal qu’il y a
lieu à donner à M. Brahim Abdeslam une dernière chance. » Brahim est condamné à vingt
mois de prison avec sursis et trentecinq heures de travaux d’intérêts généraux.
La famille Abdeslam fait front. Les parents
rendent visite à leurs fils au parloir de la prison, payant sans rechigner leur avocat, se
souvient le pénaliste Me Olivier Martins, défenseur de Brahim jusqu’en 2010. En 2000,
quand celui-ci avait comparu libre devant le
tribunal correctionnel pour trafic de stupéfiants, Salah et Mohamed étaient aussi à ses
côtés. On est très famille chez les Abdeslam,
comme souvent dans ce Molenbeek qui
compte 40 % de chômage et où on se plaint, à
cause de son nom ou de son adresse, de trouver plus difficilement du travail que les
autres.
« JOINTS, BIÈRE ET VODKA »
Les trois frères sont pourtant différents. Brahim, l’aîné, est indolent, parle sans se presser
avec des accents à la Sylvester Stallone, et a
toujours l’air de sortir du lit, ce qu’il fait tard
dans la journée. « Quand je l’ai rencontré, il
n’avait pas de boulot et il ne donnait pas l’impression de vouloir en trouver un rapidement,
a raconté à la presse belge Naïma, que Brahim
a présenté en 2004 à sa famille avant de
l’épouser. Il fumait beaucoup de joints, trois à
quatre par jour. Il buvait régulièrement de l’alcool, surtout de la bière et de la vodka. » Un
homme immature et « paresseux », selon son
ex-femme – ils se sont séparés après deux ans
de mariage – et qui venait de nouveau
d’échouer avec une fille de Bouyafar : la mariée rêvait de le rejoindre en Belgique, tandis
que lui voulait s’installer au bled.
Brahim est l’aîné, mais pas le leader. Il est de
loin le moins doué des trois frères – Me Olivier Martins parle même d’une forme de
« retard mental ». En 1998, il n’avait que 14 ans
quand il a mis le feu à la maison familiale. Un
garçon « fragile et influençable », dit de lui
l’avocat, le « faible » de la fratrie. « Quand j’ai
vu qu’il s’était fait exploser sans faire de victime, je me suis même dit que ça lui ressemblait. C’est quelqu’un qui a des remords. Mon
hypothèse c’est que soit il n’a pas osé aller au
bout, soit on lui a dit de faire ça là où il était, et
il n’a pas réfléchi », ajoute le pénaliste.
Salah, joli cœur vif et roublard, est plus rusé
et plus fou – « déglingo », raillent ses amis en
riant. « Né le 15 septembre à Bruxelles, 1,75 m,
yeux marron », comme le dit l’avis de recherche désormais placardé dans toute l’Europe,
cheveux gominés et blouson de cuir, quand il
ne porte pas un costume pour sortir, sapé
« comme un collégien anglais », disent ses copains. « Brahim ne se sentait pas à la hauteur
des autres », se souvient Me Martins. Comme
chez les frères Kouachi, les tueurs de Charlie
Sur l’ordinateur, les frères ne voient pas seulement des djihadistes anonymes. Abaaoud,
le copain d’enfance, est devenu une star de
l’EI. Son nom est cité dans les JT et les magazines d’investigation lorsqu’on évoque les tentatives d’attentats déjouées depuis le début
de l’année : Villejuif, en avril, le Thalys en
août, un projet d’attaque contre une salle de
concerts… Il aurait aussi été en contact avec
Mehdi Nemmouche, principal suspect de la
tuerie, le 24 mai 2014, du Musée juif de Belgique. Abaaoud ne craint pas non plus d’apparaître à visage découvert dans les vidéos de
propagande de l’organisation terroriste, au
volant d’un pick-up, traînant derrière lui des
cadavres. Un vrai « djihadiste 2.0 » que traquent en vain toutes les polices européennes
et dont il se moque avec le même sourire
éclatant qu’une affiche publicitaire.
D’autres copains des Abdeslam sont partis
en Syrie. Tout Molenbeek a entendu dire que
la sœur de Mohamed Bazarouj, le copain des
Abdeslam, avait emmené ses fils là-bas. 2015
sera l’année des voyages, décident Salah et
Brahim. Leurs allers-retours restent encore
mystérieux. En août, Salah est contrôlé en
Grèce dans un ferry à destination de Bari, en
Italie, avec un autre ressortissant belge. En
janvier, Brahim avait, lui aussi, tenté sa
chance. Mais il avait été arrêté en Turquie.
« Il y a beaucoup de mosquées dans la commune, mais dès 11 ans, les jeunes n’y vont plus,
ils vont dans des clubs de sport ou dans la
rue », prévenait en janvier Jamal Habbachich,
le président du Conseil des mosquées de Molenbeek, sur la RTBF, mettant en garde contre
les recrutements de trottoir des « Syriens »,
comme on appelle désormais dans la commune, ces anciens combattants prêts à don-
ner beaucoup d’argent pour convaincre les
jeunes de partir à leur tour.
Depuis le ramadan, en juin 2015, Salah Abdeslam s’est laissé pousser une courte barbe. Il
a aussi arrêté de fumer et de boire. A Bouyafar,
durant l’été, Brahim confie à plusieurs reprises à son cousin Boumedienne, un pêcheur de
47 ans, son désir de « rentrer dans le dîn » – la
« voie » qui mène à Dieu, selon la religion musulmane. Mais tout le monde veut croire que
les fils Abdeslam s’assagissent enfin.
« Pour le taquiner, je lui disais que les joints ne
faisaient pas bon ménage avec la mosquée ; il
souriait, raconte avec gouaille et son débit saccadé le cousin. Une fois, devant la télévision,
Brahim, d’ordinaire calme, a paru s’énerver. Il
évoquait pêle-mêle l’Etat islamique et le “calife”
Baghdadi, la guerre en Syrie et les frappes des
coalitions successives contre le terrorisme en
Irak et au Yémen, l’occupation israélienne… Je
l’ai laissé parler puis je l’ai mis en garde. Je lui lisais le Coran en démontant le discours de
Daech. Il m’écoutait car il ne maîtrisait pas
l’arabe, seulement le français et l’amazighe » –
comme tous les « Rifains ».
BOXE THAÏE ET KRAV MAGA
A Molenbeek, certains ont l’œil plus affûté
qu’à Bouyafar. Question d’habitude peutêtre : c’est ici que Mehdi Nemmouche, il y a
un peu plus d’un an et demi, louait une planque. Là encore qu’Ayoub El-Khazzani, l’attaquant du Thalys vers Paris, en août, avait séjourné auparavant chez sa sœur. La commune a fourni 150 « départs » bruxellois en
Syrie ces dernières années. Au « Belgistan »
ou au « Molenbeekistan », comme certains
surnomment la commune, on a surtout remarqué que les deux frères avaient aussi
commencé à « se préparer à » et à « s’entraîner » : full-contact, boxe thaïe, krav maga – la
technique de combat israélienne, a raconté
un ami des Abdeslam à « Envoyé spécial ».
Des joints retrouvés fumants dans les cendriers, mi-août, après une descente de police,
avaient conduit à la fermeture du café, le
4 novembre, « pour consommation de substances hallucinogènes prohibées », dit l’arrêté
encore placardé sur la façade – ironie minuscule, quand on connaît la suite. Dans la foulée, les frères avaient décidé de vendre. Le
30 septembre, la famille Abdeslam s’était retrouvée pour modifier le capital de l’établissement. Lorsqu’il avait démarré ses activités,
Brahim possédait 96 % de 10 000 euros, le
reste étant partagé entre son frère et sa sœur.
Ce jour-là, indique le Moniteur belge, Salah,
qui préside l’assemblée générale, démissionne. Et Brahim cède ses parts.
Les Béguines fermé, on ne les a vus ni s’activer à leurs préparatifs ni partir. Brahim et Salah réservent l’un ou l’autre, avec leurs cartes
banquaires, voitures de location, appart-hôtel à Alfortville, pavillon à Bobigny – dans ce
« 9-3 » français où tout part et tout revient régulièrement dès qu’il s’agit de djihadistes,
comme pour Molenbeek.
Avaient-ils vraiment prévu de mourir ? Ou
avaient-ils déjà imaginé, après leur équipée
monstrueuse, de s’enfuir ? « J’avais eu Brahim
au téléphone en octobre. Il m’avait annoncé
qu’il viendrait au Maroc en décembre, raconte
le cousin Boumedienne. Quelqu’un qui veut
se faire tuer ne peut pas tromper sa famille à ce
point. Il avait pris des dispositions pour clôturer son divorce. Il voulait monter ici un atelier
de réparation et de vente d’outils. »
Jeudi soir 12 novembre, selon un témoin
cité par France 2, les deux frères se seraient vivement disputés. « Moi, sans pognon, je
bouge pas. Si y a pas de pognon, j’y vais pas ! »
Mohamed, lui, jure que dans l’appartement
de la place Communale, ses frères ne lui ont
dit « ni adieu ni au revoir ». p
14 | les attaques terroristes à paris
I
ls aimaient le rock, ils
aimaient le théâtre, ils
aimaient étudier et voyager.
Ils aimaient, à la fin d’une semaine
de travail, se retrouver entre copains à la terrasse des bistrots du
quartier. Ils aimaient Paris ; ils
aimaient vivre. Vendredi 13 novembre 2015, par une soirée étonnamment douce pour la saison,
leurs 130 vies ont été fauchées.
Brutalement arrachées à ceux
qui les côtoyaient chaque jour,
ces
130
personnes
font
aujourd’hui partie de notre univers, à tous. Elles ne nous quittent
plus. Nous refusant à les réduire à
un chiffre, 130, et à un statut, celui
de « victimes », nous avons voulu
leur donner un visage, raconter
qui elles étaient, leur rendre leur
vie, à travers ceux qui les connaissaient et les aimaient. Les installer, aussi, dans notre souvenir,
tous, sans exception.
Les journalistes du Monde se
sont donc rassemblés pour écrire
ce mémorial du 13 novembre. Systématiquement, ils ont pris contact avec leurs proches, membres
de leur famille lorsque cela a été
possible, amis ou collègues, pour
les aider à dresser ces portraits de
gens qu’ils n’avaient jamais vus.
Pour chacun, nous leur avons
aussi demandé de nous prêter
une photo, l’image du visage
qu’ils voulaient que l’on conserve
dans ce souvenir collectif.
En enquêtant sur ces jeunes
vies volées, nous avons compris
deux choses. D’abord, pourquoi
les terroristes avaient choisi de
frapper là, à ces endroits précis de
Paris. Le Bataclan, bien sûr, temple mythique de la musique et du
rock. Mais surtout ces restaurants et ces cafés du 10e et du 11e
arrondissement, des lieux d’habitués. Des cafés un peu en retrait
des grandes avenues, où l’on connaissait le patron et les serveurs,
où l’on avait une chance de retrouver des visages familiers. Des
endroits où l’on se mélangeait,
juifs, chrétiens, musulmans ou
athées, hommes ou femmes. Des
endroits où l’on savait vivre ensemble. La Belle Equipe, où 19 personnes ont été tuées, c’était exactement cela : le soir du 13 novembre, deux groupes d’amis y
fêtaient deux anniversaires ;
deux groupes d’amis mélangés, à
l’image de Paris. Le Stade de
France, où un désastre plus grand
encore semble avoir été évité,
c’était aussi cela.
La deuxième chose que nous révèlent ces portraits, c’est à quel
point les terroristes visaient, à
travers leurs cibles ce soir-là, la
jeunesse, l’intelligence, la culture,
l’éducation et la tolérance. L’histoire de ces 130 vies se lit comme
celle de la fine fleur d’une société
confiante dans la réussite que
peuvent lui donner le savoir, la
science et l’ouverture d’esprit.
Français ou étrangers venus en
France précisément pour cela, ils
étaient ce 13 novembre le symbole du Paris des Lumières, au
XXIe siècle. Ce mémorial ne répond qu’à un seul vœu : qu’ils le
demeurent. p
sylvie kauffmann
et aline leclerc
(Nous publierons quotidiennement une page avec les portraits
des 130 personnes tuées le 13 novembre).
Un vrai charmeur
Christophe
Lellouche
Ces dernières semaines, la musique était
revenue au cœur de sa vie, se faisant
une place entre l’Olympique de Marseille
et les apéritifs entre amis. Après les Eagles of Death Metal, vendredi au Bataclan, Christophe Lellouche devait assister, lundi 16 novembre, au concert des
Foo Fighters et mardi à celui de Chilly
Gonzales. Il s’agissait aussi de célébrer la
libération d’un boulot qui l’ennuyait,
chargé de la communication digitale de
Peugeot dans une agence. Son contrat
s’achevait le 18 novembre. « Il avait peur
que son CDD ne soit pas reconduit, mais
il était hypersoulagé qu’il ne le soit pas »,
se souvient d’une voix douce Sandra
Benayer, une amie.
Ce beau brun aux yeux bleus natif des
Yvelines, « esprit vif et altruiste », venait
de réécrire son CV. A 33 ans, il était résolu à renouer avec la radio, dont il avait
appris l’exercice au Studec. Faute de
parler au micro, il avait sorti, en 2014, un
EP (Extended Play) plein de vie avec son
groupe d’indie rock, Øliver, depuis laissé
de côté. « Chris » caressait le projet de
remonter un groupe, de métal peut-être,
mais le temps filait vite entre ses engagements associatifs – il œuvrait à la réinsertion des sans-abri – et amicaux. Des
potes, plein de potes, avec qui il fallait
boire des coups, plein de coups. « Il faut
le dire, il aimait la bière », sourit Sandra.
« C’était un vrai charmeur, il séduisait rapidement les gens, également parce qu’il
était très à l’écoute », complète Florian
Giraud, avec qui il avait descendu la semaine précédant le drame quelques pintes au Petit Pressour, bar PMU de la rue
Saint-Maur (11e).
Dans son appartement des Lilas, avec
ses deux chats, il passait aussi beaucoup
de temps sur Twitter. Sous de multiples
identités, la plus connue étant@MokeComputer, il distillait « blagues graveleuses » et commentaires féroces des
matchs de l’OM, comme sur le site satirique HorsJeu.net. « Tout l’énervait dans
cette équipe, cette saison », s’amuse Sandra Benayer, mais il n’en manquait pas
un match. Son père, jeune retraité marseillais, avait transmis à son fils unique
la passion du Vélodrome. « Il était très
proche de ses parents. On voyait que
c’était un enfant élevé dans l’amour. » p
clément guillou
0123
MARDI 24 NOVEMBRE 2015
Curieux de tout
Généreuse et engagée
Epris de liberté
Mathieu Hoche
Véronique
Geoffroy de Bourgies
Hugo Sarrade
Il aimait les images, la musique et les
voyages. Mathieu Hoche, 37 ans, a perdu
la vie lors de l’attaque terroriste contre
le Bataclan, vendredi 13 novembre. Ce
n’était pas un passionné de métal, plutôt un garçon éclectique, qui aimait sortir écouter de la musique, voir un film ou
prendre un verre.
« Mathieu voulait connaître le monde et
était curieux de tout », raconte Naima Di
Piero, une collègue brésilienne qui le
croisait à Issy-les-Moulineaux (Hauts-deSeine), au siège de France 24. Cadreur
intermittent, Mathieu Hoche assurait régulièrement les prises de vues pour les
journaux de la chaîne d’information internationale, comme il le faisait aussi à
i-Télé. « Il avait un regard, un sens de
l’image, qu’il utilisait dans son travail
comme pour faire de très belles photos »,
ajoute sa collègue.
Son mur Facebook en témoigne. On y
découvre d’abord son visage, saisi lors
d’une randonnée sac au dos en pleine
nature, le regard clair derrière de grandes lunettes carrées. D’autres photos
campent des paysages pâles, des soleils
bas, des lumières d’hiver ou d’autres
scènes de marche, en Martinique ou en
Corse. Le carnet de route d’un contemplatif, dont les proches soulignent la
« douceur », l’aversion du conflit ou encore « son humour et son ouverture d’esprit ».
Ces images alternent avec des références à des concerts, aux groupes Pixies
ou Sonic Youth, ou à des fêtes avec ses
amis, autant de signes de « la vie qu’il
avait en lui », formule Naima. D’esprit
cosmopolite, il avait choisi de s’implanter dans le quartier de la Croix-de-Chavaux, à Montreuil (Seine-Saint-Denis),
une ville bigarrée aux portes de Paris.
C’est là qu’il retrouvait son fils, âgé de
9 ans. « Il aimait parler de son fils, le
prendre en photo, aller le chercher à la
sortie de l’école », raconte encore sa collègue. Samedi 14 novembre, Mathieu
Hoche était attendu à Siouville-Hague
(Manche), sa ville d’origine, pour participer à l’anniversaire du club de tennis
qu’il fréquentait enfant et où il avait conservé des amis. La fête a été annulée. p
alexis delcambre
C’était une solaire, une tonique, une magnifique. Longue, mince, déliée, des
yeux noisette sous un casque de cheveux bruns, un sourire aux dents du
bonheur… Véronique Geoffroy de Bourgies, 54 ans, abattue dans le restaurant
La Belle Equipe, vendredi 13 novembre,
incarnait pour ses amis une certaine
idée de la Parisienne chic et décontractée, drôle et volontaire, hyperactive et
maman poule, généreuse et très engagée. Oui, tout ça, ils insistent. Et les
mots se bousculent chez ses proches,
qui ne savent comment résumer la force
de vie d’une femme qui avait commencé
sa vie professionnelle dans le journalisme (Le Figaro, Le Figaro Madame,
Femme actuelle, Vogue Hommes…)
avant de créer son propre blog consacré
à l’art du bien-être (elle y signait des
billets « feel good »), cédé il y a un an
pour se consacrer entièrement à sa vraie
passion : Madagascar.
C’est là qu’elle avait adopté, avec son
mari, le photographe Stéphane de Bourgies, deux enfants ; Mélissa, 15 ans, et
Diego, 12 ans et demi. C’est là que, frappée par la misère des orphelinats, des
écoles, des familles, elle n’avait pu se résoudre à ne sauver « que deux enfants »
et avait créé l’association Zazakely Sambatra (« Enfants qui deviennent heureux »), l’œuvre de sa vie. Dès lors, toute
sa force et son entregent furent mis au
service d’une organisation qui, partie de
rien, déplaça des montagnes. Elle fit
d’abord construire un puits, puis une
salle pour que les élèves puissent s’abriter des pluies, puis d’autres puits, puis
une école, une cantine, un dispensaire.
Récemment, c’est même un lycée qu’elle
faisait sortir de terre, décidée à ce que
des petits Malgaches, de la maternelle à
la terminale, puissent avoir une bonne
éducation et trouver chez eux un métier.
Son enthousiasme et sa force de conviction entraînaient ses « zazamis » dans
la ronde, elle enrôlait des parrains pour
des petits qu’elle connaissait personnellement et auxquels elle rendait visite
plusieurs fois par an, y compris avec Mélissa et Diego. Elle apprenait le malgache à l’Institut national des langues et
civilisations orientales et pressait, bousculait, exigeait, se transformant alternativement en leveuse de fonds puis en
chef de chantier. A Noël, il arrivait que
toute la famille fasse le voyage à
« Mada », Stéphane déguisé en Père
Noël pour distribuer des cadeaux aux
enfants. Ou alors Véronique décorait
l’immense baobab en métal qui ornait le
salon de leur appartement du 11e, couvert de toiles malgaches, et improvisait
de grandes tablées. Tous veulent que
son association, si frondeuse et constructive, continue à vivre. p
C’était leur code, depuis des années.
Quelques mots du fils pour désarmer les
remontrances du père lorsqu’il s’inquiétait pour son ado qui sortait trop, pour
l’étudiant qui préférait gratter sa guitare
électrique plutôt que ses cours, courir
les salles de concert plutôt que s’asseoir
sur les bancs de la fac de Montpellier, où
il était inscrit en master d’intelligence artificielle après une licence d’informatique. Une réplique piquée à Batman, que
le père et le fils avaient regardé si souvent ensemble. « Pourquoi tombonsnous, monsieur ? C’est pour mieux apprendre à nous relever. » Hugo avait
vacillé quelques fois dans sa jeune vie. Il
s’était toujours relevé. Jusqu’à ce vendredi 13 novembre, au Bataclan.
Il avait été Charlie dans les rues de sa
ville, lors du grand rassemblement du
11 janvier. Il aimait la musique, était fan
des Prodigy, raffolait des mangas, qu’il
collectionnait par centaines, et des films
américains. Il n’avait pas le permis – « A
quoi bon quand on vit en centre-ville ? »,
disait-il comme bien des garçons de son
âge – et il était la troisième génération
de la famille à inscrire son nom dans les
registres de cette université de Montpellier où son grand-père maternel avait dirigé le laboratoire de biologie. Surtout,
depuis plusieurs mois, il était amoureux
de Lise, une brunette aux yeux sombres,
qui poursuit ses études d’ingénieur à SupAgro Montpellier.
Vendredi après-midi, Hugo a pris le
train de Montpellier, où il vivait chez sa
mère, assistante maternelle, et prévenu
son père, directeur de recherche au
Commissariat à l’énergie atomique
(CEA) à Saclay (Essonne), qu’il passerait
le week-end avec lui et son jeune demifrère, après avoir assisté au concert des
Eagles of Death Metal. La dernière fois
que Stéphane Sarrade a vu son fils,
c’était il y a trois semaines. Hugo rentrait
de vacances au Japon, où il avait emmené deux copains. Adolescent, il y
avait déjà accompagné son père. Lors de
ce voyage, il lui avait montré deux kanjis
japonais en lui disant : « Le jour où j’irai
vraiment bien, je me les ferai tatouer. »
« Il faut que je te montre quelque chose »,
a dit Hugo à son père à son retour de Tokyo. Il a écarté l’encolure de son teeshirt. En haut, à droite sur sa poitrine,
les deux kanjis s’y trouvaient. Ils signifient « liberté ». p
pascale robert-diard
annick cojean
Mémorial du 13 novembre
Les portraits de disparus, vus par leurs proches
les attaques terroristes à paris | 15
0123
MARDI 24 NOVEMBRE 2015
Un rayon de soleil
Un fou riant
Un grand enfant
Un roi de la fête
Un fiévreux du rock
Caroline Prénat
Yannick Minvielle
Fabrice Dubois
Raphaël Ruiz
A 24 ans, Caroline Prénat avait les mêmes espoirs que la plupart des jeunes de
sa génération. « Graphiste en recherche
d’un CDI-CDD-Freelance », indique son
profil LinkedIn. Nul doute qu’elle aurait
fini par décrocher ce dont elle rêvait si
elle n’avait pas été fauchée par les balles
des terroristes au Bataclan, où elle
s’était rendue avec son petit ami Hugo,
qui, lui, a survécu et reste trop bouleversé pour prendre la parole. Ils venaient de s’installer ensemble à Paris.
Elle était au bar de la salle de concert
pendant qu’il était resté dans la salle.
« Dès que j’ai vu combien elle était souriante et accueillante avec le public, j’ai
immédiatement demandé qu’on la passe
d’un contrat de 24 heures à 35 heures »,
raconte Arnaud Surel, le directeur du cinéma Pathé Beaugrenelle, dans le 15e
arrondissement de Paris, où elle avait un
« boulot alimentaire » depuis septembre.
« On l’appelait “les beaux yeux” et notre
“rayon de soleil”. » Il venait de lui proposer un CDI et attendait sa réponse. Depuis l’annonce de sa mort, l’équipe du
cinéma, très jeune et très soudée, est ravagée. Son beau visage s’affiche désormais au début de chaque séance.
« Rayon de soleil », c’est aussi une des
expressions qui vient spontanément à
Maëlle Demange, une de ses meilleures
amies : « Caro était toute fine, mais son
amour des gens dépassait la taille des
plus gros monuments imaginables en rêves. » Une autre amie, Angélina, abonde :
« Elle était l’amie que tout le monde
aurait voulu avoir. Elle était tellement
souriante, gentille et belle. » Toutes les
trois s’étaient rencontrées à l’école Bellecour, une école d’art lyonnaise, où Caroline a étudié de 2008 à 2011. Quand
les événements de la vie les ont séparées géographiquement, elles ont monté
un collectif créatif baptisé les « Trip-ettes » pour afficher notamment de drôles
d’avis de recherche dans leurs villes respectives.
Après Lyon, Caroline était partie continuer ses études à Paris. Comme une
suite logique pour cette fille d’une famille recomposée, née dans le Lot-etGaronne, et ayant suivi sa mère à Nantes, puis Avignon, avant de revenir à
Lyon, berceau familial de la famille Prénat, ancienne dynastie industrielle basée à Givors. « Elle était récemment retournée à Paris parce qu’elle vivait le
grand amour et pour nous démontrer
qu’elle était courageuse, alors qu’elle
aurait pu trouver du travail sans difficulté
à Lyon », raconte son père, Yves Prénat.
Grande voyageuse, Caroline multipliait
les voyages avec ses amis. « Le prochain
qu’on avait prévu était à Amsterdam
pour y fêter ses 25 ans », écrit Angélina.
« Je veux garder l’image du sourire de ma
fille, qui était un petit être sensible et généreux, toujours prêt à protéger tout le
monde », explique M. Prénat. p
« Le plus grand déconneur de la Terre. »
Pierre Viallaneix résume d’un trait enthousiaste son ami Yannick Minvielle,
tué au Bataclan le 13 novembre, à quelques jours de ses 40 ans. Les deux hommes travaillent en tandem depuis quinze
ans dans la publicité, « créatifs-en-chef »
de l’agence RED-Publicis depuis 2011.
Né à Saint-Rémy, en Saône-et-Loire,
en 1976, Yannick était monté à Paris à
20 ans, tel un Rastignac… de la rigolade.
« Restez assis ! », lançait en entrant dans
une pièce celui qui signait tous ses mails
« Maître de l’univers et de ses environs »,
s’amuse encore son ami et collègue, se
rappelant comment « Yannick embarquait tout le monde dans sa folie ». « Cinq
minutes avant ce drame, je suis sûr qu’il
était en train de rigoler avec d’autres
spectateurs au Bataclan… », dit un autre
ami, Olivier Kreis. « Il est parti heureux,
aimé et aimant », pour Servane,
meilleure amie de Lucie, la petite amie
de Yannick, présente à ses côtés et dont
« il était fou amoureux ».
Touche-à-tout sans complexe, Yannick
Minvielle a trouvé dans la publicité la
voie royale pour épancher son besoin de
créer – et de se marrer, tout le temps.
Ainsi, lorsqu’il dessina le logo de la
Quinzaine des réalisateurs pour les
40 ans de l’événement cannois en 2008,
où travaillait alors la mère de son fils,
Misha. Ou lorsqu’il baptisa son groupe
de rock They Make Money so Why Don’t
We ?… Mais la passion affleurait toujours sous la rigolade, souligne l’ami
Pierrot : « On était tous branchés metal,
on écumait les festivals. » Pour Eagles of
Death Metal au Bataclan, « il avait eu les
places trois mois avant le concert », dès
leur mise en vente.
Ses parents, Nelly et Jean-Michel, voudraient que ce drame du 13 novembre
permette de faire passer certains messages à « l’Etat responsable ». Olivier
Kreis comprend : « La disparition de Yannick, aussi violente que révoltante, les interroge sur les limites de notre protection
contre un terrorisme qui peut s’avérer durable. » Tous pensent à Misha, 7 ans, ce
fils adoré avec qui il aimait « partir camper aux quatre coins de France ». « Des
fois, les rôles s’inversaient, c’était moi qui
jouait les grandes sœurs, soupire Betty,
la sœur cadette de Yannick. Mais il était
toujours là, disponible, sympa, à
l’écoute. »
Pratiquant – entre mille autres choses
– la sculpture, à l’occasion de ses retours
en Bourgogne, l’artiste Minvielle laisse
une énigme : la signature de ses œuvres,
NMDDR. Un acronyme mystérieux dont
personne ne semble connaître la signification. Ultime pied de nez du « plus
grand déconneur de la Terre ». p
Grand. C’est l’adjectif qui revient sur toutes les lèvres de ses proches. Grand par
la taille, près de 2 mètres. « Il en imposait
tout de suite quand il entrait quelque
part… », dit Valérie Hénaff, la présidente
de Publicis Conseil, où travaillait Fabrice
Dubois, 46 ans, depuis douze ans. Grand
par la personnalité. La disponibilité. La
gentillesse. « Le mec le plus sympa de la
Terre » ; « toujours prêt à rigoler » ; « on
s’est bien marrés » ; « je ne l’ai jamais vu
faire la gueule » ; « quand on le croisait
dans le couloir, on se disait : ah ! Il est là,
c’est cool… », résument ses collègues en
quelques mots. Ces derniers temps, confie l’un d’eux, « son truc, quand il arrivait
au bureau, c’était le running gag “Salut
mec !” avec la voix d’Eddie Murphy… »
« Un vrai publicitaire, dit sa sœur aînée
Nathalie, ancienne journaliste installée à
Los Angeles. Comme tous les mecs de la
pub, il adorait les gadgets, les T-shirts, les
séries américaines, les BD, les dessins
animés… Pas un hasard s’ils ont utilisé
les Simpsons dans la pub Renault… » Fabrice, un « gentil géant », résume-t-elle.
Comme un clin d’œil à Gentle Giant, ce
groupe de rock progressif des années
1970… La musique, une passion qu’il vivait sans emphase. Mais avec constance.
Vendredi, il avait juste dit aux copains de
l’agence qu’il ne partirait pas tard car il
allait à un concert au Bataclan. Avait-il
découvert Eagles of Death Metal à Los
Angeles, où il aimait rendre visite à sa
grande sœur ? « Apparemment, il connaissait ce groupe depuis longtemps,
mais il ne m’en avait jamais parlé, ditelle. Et je n’en avais jamais entendu parler, alors que je vis aux Etats-Unis ! Mais
vendredi, quand j’ai entendu parler du
Bataclan, j’ai eu un pressentiment… »
Côté vie privée, « quand on a un papa
publicitaire, qui collectionne les jouets, ça
doit être assez fun, tente de sourire sa
sœur. C’était un grand enfant, mais très
proche et attentif, très mûr avec ses deux
enfants de 11 et 13 ans. »
Grand, enfin, par le talent, celui du rédacteur concepteur qui fut à l’origine, en
tandem avec son amie Pascale Gayraud,
de campagnes de publicité mémorables.
Leur dernière création, le dessin animé
pour la nouvelle Twingo, vient tout juste
de décrocher le prix Epica, à Berlin. Des
créations tous azimuts… parfois plus
azimutées les unes que les autres. Mais
porteuses, de-ci de-là, d’un vrai message
à faire passer, par-delà le message commercial… Ainsi de la campagne pour la
Licra – prix du public au Grand Prix de
l’affichage en 2010 – montrant dans leur
couveuse des bébés typés déjà prédestinés à ce qui les attend : éboueur, agent
d’entretien, ouvrier du bâtiment… « Notre couleur de peau ne doit plus déterminer notre avenir », disait le slogan. Fabrice Dubois, lui, était blanc, grand,
blond, rigolard, bon vivant. C’est celui-là
que gardent dans leur cœur ceux qui
l’ont connu. « What else ? » p
Jean-Jacques
Kirchheim
jean-baptiste chastand
pascal galinier
p. ga.
Jean-Jacques Kirchheim, c’était d’abord
« une bonne grosse voix et une dégaine »,
pleure son collègue et ami Lhassan Jallaf. Un grand brun de 44 ans qui aimait
Faustine, sa compagne depuis six ans,
ses potes Bertrand et Ludo, le rock et le
punk, la Guadeloupe dont venait sa
mère, mais aussi Saint-Maur-des-Fossés,
où il avait grandi avant de gagner Paris.
Depuis douze ans, il travaillait chez Free ;
il coordonnait l’extension du réseau Internet de l’opérateur téléphonique en
France. « Il avait parcouru la boîte dans
tous les sens, tout le monde le connaissait et il calmait tout le monde », raconte
Lhasssan Jallaf. « C’était un diplomate au
milieu des sauvages que nous sommes »,
ajoute Xaviel Niel, son patron.
Jean-Jacques adorait les voyages, et
notamment les grands espaces du Colorado ; il rêvait aussi d’une expédition en
Alaska. Mais, dès qu’il le pouvait, c’était
concert avec Faustine et sa bande de copains. « On était tout le temps fourrés au
Bataclan, au Trianon, à l’Olympia, raconte sa compagne. Dimanche 15, on devait aussi aller écouter Motörhead au Zénith avec nos potes. »
Eagles of Death Metal, le couple les
connaissait par cœur. « On suivait déjà
Josh Homme, le leader de Queens of the
Stone Age, on avait pris nos places depuis
des mois, raconte Faustine. On les avait
d’ailleurs déjà vus au Bataclan. » JeanJacques disait souvent : « Je suis spécialiste en rien, mais je connais beaucoup de
choses. » Question rock et stoners, il touchait pas mal sa bille.
Jean-Jacques était le roi de la fête et
s’assombrissait rarement, sauf quand il
parlait des attentats de janvier à Charlie
Hebdo. « Il avait été très très marqué par
ça, il en parlait encore il y a quelques semaines. C’est un journal qu’il lisait. » Au
Bataclan, il n’aurait pas imaginé se trouver ailleurs que dans la fosse, au plus
près du spectacle. « Jean-Jacques n’était
pas là par hasard, comme on peut par
exemple se trouver dans un restaurant
par hasard, insiste sa chère sœur Fabienne. C’était ce qu’il aimait. » Vendredi
13 décembre, ils étaient quatre : JeanJacques, Bertrand, Ludo et Faustine, qui
a été blessée par plusieurs tirs. Elle
n’oubliera jamais que c’était au Bataclan
que Jean-Jacques l’avait embrassée
pour la première fois. p
ariane chemin
« Il nous a quittés comme il a vécu, en assouvissant son amour de la musique. »
Raphaël Ruiz, tué au Bataclan à l’âge de
37 ans, était un mélomane passionné.
Un vrai, capable d’enchaîner une trentaine de concerts et de festivals par an.
Cette semaine-là, il avait pris des places
pour U2 mardi et mercredi, Eagles of
Death Metal vendredi et de nouveau U2
dimanche. « Pour comparer les solos de
guitare. C’était son groupe fétiche », sourit l’une de ses amies, Marine.
Cette fièvre pour le rock et la pop,
« Raph », comme l’appelaient ses proches, la partageait d’abord avec son
frère, son aîné de quatre ans. Christophe
devait l’accompagner au Bataclan, vendredi 13 novembre. Il a finalement annulé. « J’aurais dû mourir avec lui. Mais
maintenant, je me dois de vivre pour lui »,
souffle-t-il. Ce grand frère, dont il était si
proche, Raphaël n’a cessé de le suivre
depuis leur enfance à Romans-sur-Isère
(Drôme). D’abord à Grenoble, où il est
entré à l’Institut d’études politiques
en 1995, puis à Lyon, lorsqu’il a commencé à travailler. Seule parenthèse : six
mois en Irlande, la patrie de Bono, pour
finir sa thèse sur le rôle des médias dans
le conflit nord-irlandais. Finalement, Raphaël avait déménagé à Paris, en 2005,
après son embauche comme rédacteur
dans une société d’événementiel, Ubiqus. « L’avantage, c’est qu’il pouvait faire
tous les concerts », glisse Christophe.
La musique soudait aussi son cercle
d’amis. Marine, donc, Anne, Orianne,
Nadège, Damien, Bertrand, Fred et Alex,
un groupe de « neuf inséparables » qui se
sont rencontrés sur les bancs de Sciences Po, il y a maintenant vingt ans. Et
qui n’ont cessé de se revoir depuis, pour
des concerts, forcément, mais aussi des
anniversaires, des mariages, des déménagements, des vacances. A chacune de
ces retrouvailles, « on lui demandait toujours de prendre sa guitare, et on reprenait ensemble nos trois chansons emblématiques : One de U2, Wonderwall
d’Oasis et Immortality de Pearl Jam », racontent Alex et Orianne.
Car Raphaël était guitariste depuis
l’âge de 14 ans. Il avait intégré un groupe
à Paris, les Présidents du vice. « Souvent
introverti, il aimait pourtant le frisson de
la scène quand il avait sa guitare à la
main », dit Anne. Aux chansons d’Anna
Calvi, de Nirvana ou de Radiohead,
« Raph » ajoutait d’autres passions : la
lecture, celle des polars et des comics de
préférence, les films, depuis ceux de Ken
Loach jusqu’au dernier James Bond, et
les sketchs des Nuls, dont il connaissait
les moindres répliques. « Il était très curieux, intelligent et cultivé, à l’humour
très fin, en plus d’être foncièrement généreux, attachant et sensible », disent Christophe, Marine et Nadège. Célibataire,
Raphaël adorait les enfants. « Il aurait
fait un père génial, si le destin lui en avait
laissé le temps. » p
audrey garric
16 | international
0123
MARDI 24 NOVEMBRE 2015
Une patrouille de
l’armée malienne
à Bamako,
le 22 novembre.
SAMUEL GRATACAP
POUR « LE MONDE »
Mali : incertitudes sur les auteurs de l’attaque
Derrière la prise d’otages du Radisson plane l’ombre du djihadiste Iyad Ag Ghali, cible prioritaire des Français
bamako - envoyé spécial
L
a vie n’a pas tardé à reprendre ses droits à
Bamako, mais il y a toujours des corps et des esprits en souffrance. Depuis son lit
d’hôpital, Ali Yazbeck, le cou et le
dos percé par deux balles, livre ses
pensées d’une voix blanche :
« Dans ma tête, je ne fais que voir
les blessés. Dieu soit loué, je suis vivant. » Ce pâtissier de l’Hôtel
Radisson Blu, un établissement
luxueux, fréquenté par des hommes d’affaires, des diplomates,
des équipages de compagnie aérienne et la bourgeoisie locale, est
un miraculé. Alors que le petit
commando djihadiste venait de
pénétrer aux environs de 7 heures du matin dans le hall d’entrée
en mitraillant clients et employés, il a tout d’abord tenté de
mettre à l’abri ceux qui étaient venus prendre leur petit déjeuner
au premier étage.
« On a traversé la cuisine pour aller au niveau de l’ascenseur pour
descendre au sous-sol, raconte-t-il.
Un terroriste nous a trouvés là. Il
m’a d’abord tiré dessus, puis il a
visé des Blancs, des Chinois, des
Arabes avant de partir. » Ce n’était
qu’un répit. « Blessé, j’ai été me réfugier avec deux serveuses dans le
bureau. Le terroriste nous a retrouvés. J’ai fait comme si j’étais mort,
mais Sarah a paniqué. Elle a pris
deux balles, mais n’est pas morte.
Awa, elle, a été tuée. Il n’a jamais
rien dit. Il a seulement tiré. » Puis,
Ali Yazbeck décrit une scène stupéfiante où le tireur, « noir et très
mince », s’est dirigé vers la cuisine
pour se faire griller un morceau
de viande, le manger avant
d’ouvrir le gaz des cuisinières et
repartir poursuivre son massacre.
D’après le dernier bilan officiel,
vingt-deux personnes – quatorze
étrangers, six Maliens et deux assaillants non encore identifiés
lundi matin – ont trouvé la mort à
la suite de l’attaque menée vendredi 20 novembre. Selon les témoignages recueillis auprès des
survivants, les exécutants de
l’opération semblent n’avoir jamais été dans une logique de
prise d’otages. Leur objectif était
de faire le maximum de morts, et
la plupart des victimes ont été
abattues entre le hall d’entrée et le
premier étage, où se trouve le restaurant. Cette version contredit la
revendication faite par le groupe
djihadiste Al-Mourabitoune, dirigé par Mokhtar Belmokhtar
– maintes fois annoncé mort,
mais dont le ministre français de
la défense a confirmé, dimanche
sur Europe 1, qu’il avait échappé
en juin à un bombardement de
l’armée américaine en Libye.
Rivalité régionale avec l’EI
Des interrogations demeurent.
Combien de djihadistes ont participé à l’attaque ? Officiellement,
les « deux terroristes », qui
n’avaient pas 20 ans, ont été tués
dans l’assaut mené conjointement par les forces de l’ordre maliennes, la force de réaction rapide
de la Mission de l’ONU au Mali
(Minusma), quatre gendarmes et
policiers français, des forces spéciales américaines et une cinquantaine de soldats des forces
spéciales françaises dépêchés en
urgence depuis Ouagadougou, la
capitale du Burkina Faso. Des témoins qui se trouvaient autour
du Radisson Blu au moment de
l’arrivée des djihadistes affirment
pour leur part avoir vu au moins
quatre hommes en arme.
Parlaient-ils anglais comme le
disent plusieurs clients reclus
dans leur chambre ou bien dans la
tourmente
ceux-ci
ont-ils
confondu des instructions données par des forces de l’ordre venues les libérer ? Il est avéré, en revanche, que lorsque le nord du
Mali était sous contrôle djihadiste,
avant le déclenchement de l’opération française « Serval » en janvier 2013, des Nigérians ont rejoint
les rangs des combattants islamistes. D’après l’ex-chef des services
de renseignement maliens
Soumeylou Boubèye Maïga, « il y a
déjà quelques années, un axe Kidal
(dans le nord du Mali)-KanoKaduna-Katsina (dans le nord du
Nigeria) avait été mis en évidence ».
Selon lui, l’étanchéité entre les
différents groupes concurrents au
sein d’Al-Qaida s’efface dans la
bande sahélo-saharienne. Une information corroborée par d’autres
sources bien informées sur les
questions de lutte antiterroriste.
La rivalité régionale avec l’Etat islamique peut être l’un des moteurs
de cette évolution. « Les coups
qu’ils ont reçus dans le nord du
Mali les ont désorganisés, alors ils
doivent montrer qu’ils sont encore
capables de frapper. D’autant qu’ils
ont les mêmes cibles : le gouvernement, les Occidentaux, les musulmans qu’ils considèrent comme
mécréants et l’accord de paix signé
à Alger [entre les autorités et les
groupes armés du Nord regroupés
au sein de la Coordination des
mouvements de l’Azawad] », analyse par ailleurs M. Maïga.
Une source officielle française
considère que la revendication
d’Al-Mourabitoune, le groupe dirigé par Mokthar Belmokhtar, af-
« [Les djihadistes]
doivent montrer
qu’ils sont
encore capables
de frapper »
SOUMEYLOU BOUBÈYE MAÏGA
ex-chef des services
de renseignement maliens
firmant avoir perpétré cet attentat « en coordination avec nos frères au sein d’AQMI », Al-Qaida au
Maghreb islamique, « peut être lu
comme un signe de rapprochement avec Iyad Ag Ghali [le leader
d’Ansar Eddine, affilié à AQMI].
Avec le nombre d’hommes qu’on
leur a tué, c’est logique, car leurs
ressources sont en attrition ».
Dimanche soir, le dernier né des
mouvements djihadistes au Mali,
le Front de libération du Macina
(FLM), dont les bases se situent
dans le centre du pays, a ajouté sa
revendication en transmettant à
RFI et l’AFP un communiqué affirmant qu’il avait agi « avec la colla-
boration d’Ansar Eddine » et que
trois de ses combattants sont
« sortis sains et saufs » de l’attaque. Quelques heures plus tôt, AlMourabitoune avait transmis à
Al-Jazira un second communiqué
affirmant pour sa part que « seules deux personnes ont mené l’opération (…), Abdel Hakim Al-Ançari
et Moâdh Al-Ançari », des surnoms qui suggéreraient que les
deux hommes sont maliens.
Insaisissable
Au-delà de ces divergences qui
pourraient être un moyen de
brouiller les pistes, ces deux communiqués viennent confirmer le
rôle majeur que continue de jouer
Iyad Ag Ghali dans le combat djihadiste au Mali. Figure centrale
des rébellions dans le nord du
pays depuis vingt-cinq ans, ce notable du clan des Ifoghas, l’aristocratie touareg, connu pour être
un amateur de whisky avant de
verser dans l’islamisme radical,
demeure aussi insaisissable
qu’influent.
Opposé au processus de paix signé à Alger, son ombre plane sur
le FLM, qui a mené une série d’attaques ces derniers mois dans le
centre mais aussi le sud du pays,
démontrant que les opérations
djihadistes sont désormais en
mesure de frapper l’ensemble du
territoire malien. Leur leader,
Amadou Koufa, est l’un de ses proches et les soldats français déployés désormais dans le cadre de
l’opération régionale « Barkhane »
ont arrêté à plusieurs reprises ces
derniers temps des petites mains
d’Ansar Eddine chargées d’apporter des fonds au FLM.
Officieusement, la France a fait
d’Iyad Ag Ghali sa cible prioritaire
à abattre, l’essentiel de ses lieutenants ont été éliminés, mais lui
continue de circuler discrètement
entre sa région natale de l’Adrar
des Ifoghas et le sud de l’Algérie,
où il a installé sa famille dans la
ville de Tinzaouatène. Selon plusieurs sources, les services de renseignement algériens continuent
de le protéger, estimant que le
chef d’Ansar Eddine demeure un
acteur incontournable pour une
paix durable au Mali. p
cyril bensimon
Alger vante le processus de paix, « instrument » de l’antiterrorisme
principale médiatrice du processus de
paix au Mali, l’Algérie comptait sept ressortissants, qui s’en sont sortis sains et saufs, à
l’intérieur de l’hôtel Radisson Blu de Bamako, lorsque l’attaque contre l’établissement a débuté vendredi 20 novembre. Six
d’entre eux étaient là pour animer une nouvelle réunion du comité de suivi de l’accord
d’Alger dans la capitale malienne. « Des réunions internationales auxquelles participent
les parties signataires mais aussi celles qui
œuvrent à la médiation », a rappelé le ministre algérien des affaires étrangères,
Ramtane Lamamra, samedi matin.
Signé le 20 juin, après des mois de négociations, l’accord de paix dit d’« Alger » réunit le pouvoir central malien (et ses alliés)
et les groupes armés du Nord réunis au
sein de la Coordination des mouvements
de l’Azawad (CMA) autour d’une série de
mesures qui doivent permettre d’en finir
avec la crise dans le nord du Mali. Celle-ci
avait éclaté en 2012 et permis à des groupes
djihadistes de s’implanter dans la zone.
« Capacité de nuisance »
L’attaque contre le Radisson Blu a été
d’abord revendiquée par le groupe djihadiste Al-Mourabitoune, le même qui avait
mené la prise d’otages sanglante contre le
site gazier d’In Amenas en janvier 2013 sur
le sol algérien, « avec la participation » d’AlQaida au Maghreb islamique. Interrogé sur
cette revendication, M. Lamamra reste prudent. « Des noms [de groupes] sont avancés
mais ils recouvrent des réalités très mouvantes, volatiles. Ça dépend des moyens. Certains groupes ont l’argent, la logistique, ils
peuvent recruter dans une autre ethnie, une
autre localisation pour une opération donnée. » L’attaque peut ainsi être le fait
« d’autres en liaison avec Al-Mourabitoune ».
Le Front de libération du Macina a également revendiqué l’attaque, dimanche.
Pour le diplomate, l’objectif était « de
montrer leur capacité de nuisance ». « Ce
type d’attaque leur sert à prendre une place
dans la configuration de la nébuleuse terroriste internationale. » Au moment où l’Etat
islamique fait parler de lui, « ils se rappellent au bon souvenir de la communauté internationale ».
Pour le ministre, l’attaque de Bamako ne
remet pas en cause le processus de paix.
« Si on arrive à mettre en place les dispositifs
de défense et de sécurité de l’accord, l’Etat
aura les moyens d’affirmer son autorité
dans les régions du Nord » où se déploient
les groupes terroristes et l’économie criminelle. Le processus est, au contraire, un
« instrument de la lutte antiterroriste ». p
charlotte bozonnet
(alger, envoyée spéciale)
international | 17
0123
MARDI 24 NOVEMBRE 2015
Mauricio Macri, président argentin de centre droit
Le maire de Buenos Aires a été élu, dimanche, contre le dauphin de la présidente sortante, Cristina Kirchner
buenos aires - correspondante
C
hangement de cap en
Argentine, où Mauricio
Macri a remporté l’élection présidentielle, à
l’issue du second tour de scrutin,
dimanche 22 novembre. A la tête
d’une coalition de centre droit qui
se présente comme le changement, M. Macri a été élu avec
51,4 % des suffrages contre 48,6 %
pour le péroniste Daniel Scioli,
dauphin de la présidente Cristina
Kirchner. C’est le crépuscule de
douze ans d’un pouvoir absolu
des Kirchner, mais aussi une brèche dans l’hégémonie du péronisme depuis soixante-dix ans. Le
nouveau président prendra ses
fonctions le 10 décembre.
Sous des pluies de ballons multicolores, M. Macri, col de chemise
ouvert, a fêté « un jour historique,
un changement d’époque », dansant sur fond de cumbia. Il a promis « une pauvreté zéro, la guerre
contre le narcotrafic et l’union de
tous les Argentins ». M. Scioli a rapidement reconnu sa défaite et félicité son rival, avec lequel il avait
des relations amicales depuis leur
enfance.
A 56 ans, Mauricio Macri rompt
avec la tradition des anciens présidents argentins, tous avocats de
formation, qui se sont succédé
depuis le retour de la démocratie
en 1983. Il est ingénieur. Il
connaît le monde des affaires et a
travaillé avec son père, Franco
Macri, l’un des plus riches industriels argentins. Il a été le président du club de football Boca Juniors, le plus populaire du pays
(1995-2008). Il s’est ensuite lancé
dans la politique en fondant
en 2005, son parti, Proposition
républicaine (PRO, droite).
En 2007, il a été élu maire de Buenos Aires. Il était toutefois considéré comme un outsider peu charismatique, avec une gestion controversée de la capitale.
« Homme des fonds vautours »
M. Macri a fait campagne dans les
provinces pauvres et les bidonvilles, cherchant à rompre avec son
image de fils à papa. Il a réussi à
construire une coalition allant de
sa formation PRO à l’Union civique radicale (UCR, centre gauche),
le parti le plus ancien d’Argentine,
en passant par la Coalition civique d’Elisa Carrio, une dissidence
de l’UCR.
Un des principaux atouts de
Mauricio Macri a été la victoire
surprise du PRO dans la province
de Buenos Aires, fief historique
du péronisme, qui rassemble près
de 40 % des 42 millions d’Argentins, où Maria Eugenia Vidal l’a
emporté sur le candidat officiel
au premier tour, le 25 octobre.
Pour la première fois dans l’histoire, les Argentins se sont rendus
aux urnes pour un second tour.
Ce scrutin avait été précédé par un
autre événement inédit, le 15 novembre, le débat télévisé entre les
deux candidats à la présidence (le
péroniste avait refusé le débat du
premier tour).
Pendant la campagne, M. Scioli
a présenté M. Macri comme « un
libéral, homme du Fonds monétaire international et des fonds
vautours, l’homme qui [allait] ramener l’Argentine au passé, à
l’austérité en supprimant les subventions et les aides sociales en faveur des plus démunis ». « Cette
campagne de la peur a échoué »,
estime le politologue Rosendo
Fraga, qui explique en grande
partie le résultat de cette élection
par « un rejet » du style « autoritaire » de la présidence de
Cristina Kirchner. « Il y a un sentiment de soulagement pour le
« Il y a
un sentiment
de soulagement
pour
le changement
attendu »
ALEJANDRO KATZ
analyste
changement attendu », ajoute
l’analyste Alejandro Katz.
M. Macri hérite toutefois d’une
situation difficile. L’économie
tourne au ralenti depuis cinq ans,
les caisses de la banque centrale
sont presque vides, les réserves
s’élèvent à 26,2 milliards de dollars contre 52 milliards en 2011.
L’inflation dépasse les 25 % par an.
Au Congrès, il ne disposera pas de
majorité présidentielle.
Des centaines de membres de la
Campora, le mouvement de jeu-
nes militants fondé par Maximo
Kirchner, le fils de la présidente,
se sont rassemblés dimanche
soir sur l’emblématique place de
Mai, face au palais présidentiel.
« Nous sommes déjà dans la résistance », a prévenu le député
Andrés Larroque, chef de la Campora. Jusqu’au dernier moment,
Mme Kirchner a multiplié les nominations de militants dans les
ministères.
Fin du kirchnérisme ?
Reste à savoir si l’élection de
M. Macri signifie la fin du kirchnérisme, voire du péronisme.
Mme Kirchner n’a pratiquement
pas fait campagne en faveur de
M. Scioli, qu’elle avait désigné
pour lui succéder, mais qui n’appartient pas à son entourage.
A tel point que certains analystes l’ont soupçonnée d’avoir
misé sur une victoire de
M. Macri, afin de s’affirmer
comme la chef de l’opposition,
avec la présidentielle de 2019 en
Attaque en Turquie
contre M. Demirtas
Le leader kurde croit, malgré tout, à la reprise
du processus de paix entre Ankara et le PKK
istanbul - correspondante
S
elahattin Demirtas, le coprésident du Parti de la démocratie des peuples (HDP,
gauche, pro kurde), a été visé par
un tir alors qu’il circulait en voiture, dimanche 22 novembre à
Diyarbakir, la principale ville
kurde au sud-est de la Turquie. La
balle a touché la vitre arrière de la
voiture blindée sans l’atteindre.
C’est en sortant de sa voiture
que le politicien et ses gardes du
corps ont vu l’impact. Le véhicule
a aussitôt été confié à la police
pour les besoins de l’enquête. La
police criminelle a constaté l’impact, mais a estimé qu’il ne s’agissait pas du résultat d’un tir.
Les militants du HDP ont récemment été ciblés par trois attentats
kamikazes – à Diyarbakir le 5 juin
(4 morts), à Suruç le 20 juillet (34
morts), à Ankara le 10 octobre (102
morts). Les trois attentats ont été
attribués à l’organisation Etat islamique (EI), sans qu’aucune revendication n’ait jamais été formulée.
Mais M. Dermirtas considère
que les fondamentalistes islamistes ne sont pas ses seuls ennemis.
« Nous recevons régulièrement des
menaces d’assassinat de la part
des services [de renseignement
turcs] qui espèrent ainsi nous déstabiliser, nous décourager. Je vis
cela depuis vingt-cinq ans. Plusieurs de mes amis ont perdu la vie,
mais je n’ai pas peur ni d’être tué ni
d’être attaqué », avait confié au
Monde le leader kurde le 10 novembre à Diyarbakir. Inconnu du
large public il y a encore peu,
M. Demirtas, 42 ans, est devenu
l’un des politiciens les plus en vue
de la scène politique turque depuis les élections du 7 juin 2015.
Pour la première fois, le HDP
avait réussi à franchir le seuil des
10 % et à faire entrer 80 députés au
Parlement turc. Le président islamo-conservateur Recep Tayyip
Erdogan s’était empressé de réclamer « une répétition » du scrutin.
Le HDP a réitéré un bon score
(10,8 %, 59 députés) lors des législatives du 1er novembre, même si
un million de Kurdes ont alors
choisi de donner leur voix au Parti
de la justice et du développement
(AKP), au pouvoir depuis 2002.
Le jeune politicien, joueur de saz
(instrument traditionnel à cordes)
à ses heures, a su transformer son
parti, ancienne vitrine de la guérilla du Parti des travailleurs du
Kurdistan (PKK), en un parti de
type européen, qui promeut la parité femmes-hommes et défend
les droits des minorités, notamment sexuelles. « C’est une question de principe », insiste-t-il.
« Reprise des pourparlers »
L’avocat porte haut les espoirs
d’un règlement pacifique de la
question kurde. Pourtant, les
pourparlers, entamés en 2012, ont
été interrompus en juillet et la
guerre a repris entre les rebelles
kurdes du PKK et l’Etat turc. M. Demirtas veut croire « à la reprise des
pourparlers. Nous y sommes favorables, à trois conditions : l’arrêt des
hostilités des deux côtés ; la reprise
du processus de négociations ; la
désignation d’une tierce partie, qui
fera office de médiatrice et de garante du processus de paix ».
Le combat des Kurdes de Turquie (15 % de la population) pour
la reconnaissance de leurs droits
l’a marqué dès sa jeunesse : « A
l’époque, le Parti populaire du travail défendait les intérêts des Kurdes. Le représentant du parti à
Diyarbakir, Vedat Aydin, a été enlevé par la contre-guérilla. Trous
jours plus tard, le 7 juillet 1991, son
corps horriblement mutilé a été retrouvé dans un champ. Ses obsèques ont eu lieu pas loin de chez
nous à Diyarbakir. J’y suis allé et je
me suis retrouvé au beau milieu du
cortège. Et voilà que nous essuyons
des tirs. Je regarde : autour de moi
je vois des dizaines de morts, des
centaines de blessés et les gens qui
continuent à marcher. Depuis ce
jour, je continue à marcher. » p
marie jégo
dondusang.net
ligne de mire. Mme Kirchner ne
pouvait briguer un troisième
mandat consécutif, mais sera éligible dans quatre ans.
Le futur politique de Cristina
Kirchner dépendra du rôle que
pourrait jouer la justice. La famille Kirchner et plusieurs de ses
collaborateurs sont impliqués
dans des scandales de corruption. Des juges ont commencé à
rouvrir des dossiers brûlants, notamment une affaire de blanchiment d’argent à travers une
chaîne d’hôtels de luxe en Patagonie, appartenant aux Kirchner.
« Le kirchnérisme a été une maladie passagère », affirme Julio
Barbaro, dirigeant historique du
péronisme. Ancien haut fonctionnaire des Kirchner avant de
rompre avec eux, M. Barbaro se
réjouit « d’un retour à la démocratie ». A son avis, « le péronisme
va se réorganiser avec de nouveaux leaders », en dépit de la saveur amère de la défaite. p
christine legrand
18 | planète
0123
MARDI 24 NOVEMBRE 2015
Climat : la France cherche l’appui des émergents
A une semaine de la COP21, Laurent Fabius essaye de lever l’opposition historique entre Nord et Sud
PARIS CLIMAT 2015
sao paulo, new delhi correspondants
Inde, Afrique du Sud,
Brésil. A une semaine
de l’ouverture de la
conférence des Nations unies sur le climat (COP21),
Laurent Fabius a effectué, du 20 au
22 novembre, un ultime tour du
monde pour tenter de sécuriser les
négociations climatiques. Ces
trois pays émergents sont l’une
des clés des débats présidés cette
année par la France. L’Inde est le
troisième pollueur mondial.
« L’Afrique du Sud est un acteur majeur de la COP21, à la fois par son importance propre, par sa position au
sein de l’Union africaine et aussi
parce qu’elle est à la tête du G77 », a
expliqué, samedi 21 novembre à
Pretoria, le ministre français des
affaires étrangères. Le groupe dit
« G77 + Chine », qui réunit à lui seul
133 pays en développement et la
Chine, exerce un pouvoir d’influence décisif dans les négociations sur le climat.
Quant au Brésil, il est le premier
responsable de la déforestation,
qui participe au réchauffement,
les surfaces boisées constituant
d’indispensables puits de carbone. Avec la Chine, où le chef de
la diplomatie française s’est
rendu en compagnie du chef de
l’Etat début novembre, c’est l’ensemble des BASIC qui a reçu la visite de M. Fabius. Une série de visites programmées avec « l’idée de
multiplier les déplacements, en
plus des réunions multilatérales, et
Isabelle CARRÉ
d’aider au dialogue entre les acteurs », précise-t-on dans l’entourage du ministre.
Au sommet du G20, les 15 et
16 novembre à Antalya (Turquie),
le dialogue avait été tendu entre
les 20 pays les plus riches sur le
dossier climatique. Il avait fait resurgir l’opposition frontale entre
pays développés et pays émergents qui minent les négociations
depuis la première COP, à Berlin
en 1995. Au nom de la responsabilité historique des pays du Nord
dans les émissions de gaz à effet de
serre et du droit au développement des pays du Sud, il incombe
aux premiers de porter la plus
grande part du fardeau dans l’action contre le réchauffement. Le
G20 s’est achevé par une déclaration a minima, ne reprenant l’objectif de limiter le réchauffement à
2 °C qu’après des discussions
acharnées, notamment avec l’Arabie saoudite et l’Inde.
« Des principes contraignants »
Samedi 21 novembre, en quittant
New Delhi, Laurent Fabius a
affirmé que le premier ministre
indien, Narendra Modi, s’engageait « sans ambiguïté » sur cet objectif. Les deux pays divergent cependant sur son aspect contraignant. La France a rappelé que l’accord « comportera des principes
contraignants ». L’Inde est plus
sceptique. « Insister pour qu’un accord soit contraignant, c’est pousser les Etats à revoir à la baisse leurs
ambitions puisqu’ils voudront minimiser les risques », estime Chandrashekhar Dasgupta, membre
Karin VIARD
Au sommet
du G20,
le dialogue
avait été tendu
entre les 20 pays
les plus riches
du Conseil sur le changement
climatique auprès du premier
ministre indien.
Autre point de crispation, le financement de la lutte contre le réchauffement. M. Modi réclame un
transfert de technologie et une
aide financière des pays du Nord.
Dans sa contribution publiée le
1er octobre, New Delhi a rappelé
que l’adaptation au dérèglement
climatique lui coûterait 2 300 milliards de dollars au cours des
quinze prochaines années. « La
technologie peut changer le climat
pour le meilleur, nous devons la
rendre disponible dans les pays en
développement. La coopération
technologique et sa disponibilité à
un prix abordable sont des enjeux
principaux », a récemment expliqué le ministre de l’environnement, Prakash Javadekar, au quotidien indien Business Standard.
« L’Inde comme l’Afrique du Sud
ont réaffirmé qu’elles souhaitaient
un succès de la conférence de Paris,
se rassure l’entourage de Laurent
Fabius. Ces pays ne veulent pas être
ceux qui ont dit non [à un accord
universel sur le climat]. » « J’ai dit
au président Zuma qu’il y avait
deux grands défis au XXIe siècle, le
André DUSSOLLIER
terrorisme et le changement climatique, a précisé depuis Pretoria le
ministre français des affaires
étrangères. Je vois un signe extrêmement fort dans le fait qu’aucun
des 140 chefs d’Etat qui devaient venir ne s’est désisté et, au contraire,
certains qui ne nous avaient pas encore répondu nous ont dit qu’ils allaient venir car il ne faut pas céder
devant le terrorisme. »
« Un acteur historique »
Parmi ces 140 dirigeants attendus
le 30 novembre pour l’ouverture
de la COP21 figure la présidente
brésilienne, Dilma Rousseff. Paris
entend s’appuyer sur le géant
d’Amérique latine pour convaincre
les pays émergents d’accentuer
leurs efforts. « La voix du Brésil est
très écoutée », explique une source
diplomatique française à Brasilia.
Le Brésil, a rappelé M. Fabius lors
d’une conférence de presse, est
« un acteur historique des négociations climatiques », mentionnant
le succès du Sommet de la Terre à
Rio en 1992. Le pays s’est engagé à
réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 37 % d’ici à 2025 et
de 43 % d’ici à 2030 par rapport au
niveau de 2005 en promettant
d’éradiquer la déforestation illégale avant les quinze prochaines
années. Un objectif jugé irréaliste
par certaines ONG comme
Greenpeace.
A une semaine du coup d’envoi
de la COP21, 170 des 195 Etats de la
Convention-cadre des Nations
unies sur les changements climatiques (CCNUCC), représentant plus
de 90 % des émissions mondiales
de gaz à effet de serre, ont officialisé leurs engagements. « C’est un
signal politique important », souligne-t-on dans l’équipe française de
négociations, qui scrute aussi
l’agenda présidentiel. Vendredi 27,
après un hommage aux victimes
des attentats du 13 novembre aux
Invalides, François Hollande se
rendra au sommet du Commonwealth à Malte, où il devrait
discuter avec le nouveau premier
ministre du Canada, Justin Trudeau, qu’il retrouvera à déjeuner à
l’Elysée dimanche. Le 29 au soir,
c’est le président chinois, Xi
Jinping, qui viendra s’asseoir à la
table du chef de l’Etat.
Laurent Fabius se tiendra par
ailleurs informé des réunions de
coordination des groupes de négociations qui doivent se succéder à
l’Unesco, à Paris, à partir du lundi
23 novembre. Samedi, une réunion
de tous les chefs de délégation devrait se tenir autour du futur président de la COP afin de préciser la
méthode de travail suivie pendant
la conférence. Maintenir la COP21
est une « nécessité absolue », car « si
nous n’arrivons pas à régler la question du changement climatique, la
vie sur la planète sera invivable », a
jugé ce dernier.
« Ce sera aussi une conférence
pour la coopération et pour la paix,
insiste une source diplomatique.
Elle se tiendra dans un contexte particulier, c’est tout de même la première fois qu’une COP est organisée
dans un pays soumis à l’état d’urgence. » p
VERBATIM
«
Je crois qu’il est absolument vital que chaque pays,
chaque dirigeant, envoie le message selon lequel la sauvagerie
d’une poignée de tueurs n’empêchera pas le monde de s’atteler à
des questions vitales » « En plus
de pourchasser les terroristes, en
plus de renseignements efficaces,
en plus des frappes de missiles,
en plus de tarir les sources de
financement, (…) l’outil le plus
puissant dont nous disposons
pour combattre le “groupe Etat
islamique [EI]” est de dire que
nous n’avons pas peur. »
Barack Obama, le président
américain, assistait dimanche
22 novembre, à Kuala Lumpur
à un sommet des dix pays membres de l’Association des nations
d’Asie du Sud-Est (Asean). Il a
confirmé qu’il serait à Paris pour
l’ouverture de la COP21, lundi
30 novembre, et a appelé les dirigeants de tous les pays à l’imiter pour montrer que le monde
n’a pas peur des « terroristes ».
claire gatinois, julien bouissou
et simon roger (à paris)
L‘Inde, acteur-clé des négociations,
ne renoncera pas à son développement
Troisième émetteur de gaz à effet de serre de la planète, le pays mise
sur le solaire et compte sur l’aide financière des pays industrialisés
new delhi - correspondance
P
Un film de Arnaud et Jean-Marie LARRIEU
Les plaisirs sont faits
pour être partagés.
LE 25 NOVEMBRE
our soutenir sa croissance,
qui a déjà dépassé celle de la
Chine cette année, l’Inde va
connaître la plus forte hausse de
consommation d’énergie dans le
monde au cours des prochaines
décennies. Si, comme l’a déclaré
Prakash Javadekar, le ministre indien de l’environnement, « l’Inde
ne fait pas partie du problème »,
elle pourrait bientôt le devenir. Elle
est déjà le troisième émetteur de
gaz à effet de serre de la planète,
alors que 363 millions d’habitants
vivent sous le seuil de pauvreté et
que 240 millions n’ont pas accès à
l’électricité. Les émissions de gaz à
effet de serre ont augmenté de
67 % entre 1990 et 2012 et, si rien
n’est fait, elles devraient presque
doubler d’ici à 2030.
« Justice climatique »
Comment concilier développement et lutte contre le changement climatique ? L’Inde mise sur
l’essor des énergies propres, tout
en réclamant une aide financière
et technologique des pays développés. Dans sa contribution,
rendue le 1er octobre en vue de la
COP21, New Delhi détaille les
moyens à mettre en œuvre pour
lutter contre le réchauffement, notamment augmenter la part des
sources d’énergies non fossiles à
hauteur de 40 % de sa production
d’électricité d’ici à 2030.
Les efforts se concentrent sur le
solaire, avec comme objectif de
parvenir à une production de
100 GW d’ici à 2022, soit 25 fois sa
capacité actuelle. L’Inde détient
quelques atouts, comme un tarif
électrique déjà élevé, notamment
pour les industries, qui rend l’énergie solaire compétitive, et un mar-
« Le
réchauffement
climatique
complique
les efforts pour
lutter contre
la pauvreté »
LA BANQUE MONDIALE
ché potentiel considérable grâce à
son ensoleillement.
« Les objectifs sont très élevés
mais le gouvernement a voulu envoyer un signal en direction des investisseurs sur le potentiel du marché », estime Arunabha Ghosh, le
directeur du Conseil sur l’énergie,
l’environnement et l’eau (CEEW),
un think tank basé à New Delhi. Le
premier ministre indien Narendra
Modi a d’ailleurs annoncé, lors du
sommet Inde-Afrique qui s’est
tenu dans la capitale indienne fin
octobre, la création d’une grande
alliance solaire regroupant plus de
100 pays, d’où la ville compte bien
émerger comme la capitale mondiale des énergies renouvelables.
En affichant de fortes ambitions et les solutions pour y parvenir, l’Inde entend démontrer
sa sincérité dans son combat
contre le changement climatique. Encore faut-il les financer.
C’est sur ce point que New Delhi
en appelle à la responsabilité des
pays développés.
Pour mettre les pays riches en
face de leurs responsabilités,
M. Modi redéfinit la nature de la
menace. « On doit passer d’un discours sur le changement climatique à celui sur la justice climatique », a-t-il déclaré début septem-
bre. Si les pays développés ont une
responsabilité historique dans la
situation actuelle, comme le rappellent sans cesse les négociateurs
indiens, les pays les moins riches
sont parmi les plus vulnérables, à
l’instar de l’Inde.
Avec la hausse des températures,
les précipitations pendant la
mousson seront plus abondantes
et de courte durée, mettant en
danger la production agricole du
pays, la fonte des glaciers de l’Himalaya aggravera les risques de
crue dans la plaine du Gange, et les
cyclones seront plus nombreux à
balayer la côte est du pays. Les pauvres en subiront les conséquences
les plus dramatiques, parce qu’ils
n’ont pas les ressources suffisantes pour s’adapter ou reconstruire
après une catastrophe naturelle et
qu’ils vivent sur les terres les
moins chères et les plus exposées.
« Le réchauffement climatique
complique les efforts pour lutter
contre la pauvreté », a reconnu en
février la Banque mondiale. Les
coûts du réchauffement seront sociaux, économiques et environnementaux. L’Inde évalue ces pertes
à 1,8 % de son PIB annuel jusqu’en 2050.
Malgré ses ambitions dans les
énergies renouvelables, l’Inde
n’est pas prête à sacrifier sa consommation de charbon, l’une des
sources de production d’électricité
les plus économiques, qui devrait
doubler d’ici à 2035. Tout juste promet-elle d’utiliser des technologies propres dans ses centrales à
charbon. Comme l’a reconnu Ashok Lavasa, l’un des négociateurs
indiens sur le climat, dans le quotidien indien Business Standard, le
4 novembre : « La priorité de l’Inde
est celle du développement. » p
j. bo.
france | 19
0123
MARDI 24 NOVEMBRE 2015
La torpille
était chargée
de cocaïne
Sept hommes comparaissent
devant le tribunal correctionnel
de Marseille pour trafic de drogue
marseille – correspondant
L
es narcotrafiquants rivalisent d’imagination pour
importer la cocaïne en
Europe. Le procès de l’affaire « Torpille », qui se tient du
lundi 23 novembre au 30 novembre devant le tribunal correctionnel de Marseille, illustre cette ingéniosité.
En avril 2013, l’équipe de délinquants chevronnés s’apprêtait à
récupérer dans le port de Rotterdam un long tube d’acier contenant 101 kg de cocaïne. La « torpille » était soudée, sous la ligne
de flottaison, à l’arrière de la coque du Laguna-D, un chimiquier
néerlandais en provenance du Venezuela, via l’île de Curaçao.
Marc Armando, tête pensante
de l’opération, Lofti Bengadim et
Samir Laribi avaient été arrêtés à
proximité du navire. Ils étaient en
possession d’un impressionnant
matériel de plongée professionnelle, dont deux propulseurs
pour se déplacer sous l’eau et
deux parachutes de levage, chacun permettant la remontée
d’une charge d’une centaine de
kilos. Suffisant pour ramener à la
surface ce tube d’acier de trois
mètres de long et trente centimètres de diamètre contenant 79 paquets de drogue. D’autres interpellations avaient eu lieu en Corse
et dans les Alpes-Maritimes.
Depuis une dizaine de mois,
cette bande de Corses et de Niçois
ne quittait pas les radars des magistrats de la juridiction interrégionale spécialisée de Marseille. Le
17 juin 2012, à 3 heures du matin,
des gendarmes maritimes étaient
intervenus, en pleine « séance de
répétition générale ». Les militaires
avaient été alertés après le sauvetage d’un plongeur en perdition
dans les remous d’un pétrolier accostant dans la darse sud du port
de Fos-sur-Mer.
« Partie de pêche entre amis »
L’analyse de son passé judiciaire
et de celui des trois hommes qui
l’accompagnaient dans ce qu’ils
présentaient comme « une partie
de pêche entre amis » mettait la
puce à l’oreille. Tous avaient déjà
été condamnés, dont l’un dans
l’affaire du braquage de la fonderie d’or Metalor, en Suisse, en janvier 2004, perpétré par une
équipe corse. Les 668 kg d’or dérobés n’ont jamais été retrouvés et,
dans un premier temps, les enquêteurs ont imaginé que cette
« partie de pêche » avait un lien
avec un possible transport du butin depuis ou vers l’île de Beauté.
L’analyse des deux propulseurs
utilisés par les plongeurs – saisis
par les gendarmes maritimes dans
le cadre d’une procédure pour braconnage – permettait alors de remonter jusqu’à Marc Armando, le
cerveau du casse de la Banque de
France de Toulon en 1992. Considéré comme le chef d’orchestre de
l’opération « Torpille », Marc Ar-
L’HISTOIRE DU JOUR
Le Sénat vote la suppression
de la « taxe tampon »
P
our les sénateurs, les tampons sont des produits de première nécessité. Contre l’avis du gouvernement mais
pour le plus grand soulagement de plusieurs associations féministes, le Sénat – majoritairement à droite – a voté samedi 21 novembre la baisse de la TVA sur les protections périodiques de 20 % à 5,5 %. Depuis des mois, des groupes comme
Georgette Sand ou Fières réclamaient cette baisse.
Des amendements avaient déjà été déposés en ce sens lors de
l’examen en première lecture du projet de loi de finances (PLF)
2016 à l’Assemblée nationale, en octobre. Mais le secrétaire d’Etat
au budget, Christian Eckert, s’était opposé à la mesure, préjugeant mal de la portée symbolique de sa position, alors que le
gouvernement se veut actif en matière de défense des droits des
femmes. Depuis, les associations féministes ont redoublé d’efforts dans leur lobbying contre la « taxe tampon », n’hésitant pas
à envoyer une centaine de culottes maculées de (faux) sang à
l’Elysée, ainsi qu’à des ministres et à de nombreux élus.
Elles ont trouvé un écho favorable à la Chambre basse où sept
amendements ont été déposés par
des élus de tous bords. Samedi
LA BAISSE DE LA TVA 21 novembre, lors de l’examen du
PLF, le Sénat a ainsi entériné la supREPRÉSENTERAIT
pression de la « taxe tampon ». Le
budget doit cependant repasser deUN MANQUE
vant l’Assemblée nationale pour une
À GAGNER D’ENVIRON seconde lecture.
La baisse de la TVA sur les protec50 MILLIONS D’EUROS tions périodiques représenterait un
manque à gagner d’environ 50 milPOUR L’ÉTAT
lions d’euros pour les caisses de l’Etat.
« L’argument budgétaire est assez indigne, considère Chantal Jouanno (UDI), présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat. On parle de sommes qui ne
sont pas considérables, d’autant que, dans le même PLF, on acte
l’abandon du projet d’écotaxe pour lequel on va devoir indemniser
l’entreprise Ecomouv’ à hauteur de 900 millions d’euros. »
Pendant l’examen au Sénat, André Gattolin (EELV) a estimé
qu’il y a un risque d’infection pour les femmes « les plus pauvres » avec une TVA à 20 % sur ces produits, les poussant à « en
utiliser moins, ou [à] les garder plus longtemps ». Selon Evelyne
Yonnet (PS), chaque femme dépense entre 1 500 et 2 000 euros
dans une vie en protections hygiéniques : « Si la TVA baissait, elles gagneraient 60 centimes par boîte. » p
julia pascual
La torpille chargée de 79 sachets de cocaïne récupérée en avril 2013 dans le port de Rotterdam. DR
mando s’est suicidé à son arrivée à
la prison des Baumettes, quelques
heures après sa mise en examen, le
3 mai 2013. « Je préfère garder le silence, le temps de me remettre un
peu », avait-il simplement déclaré
au juge d’instruction lors de son
interrogatoire.
Le volet hollandais de l’enquête
et l’audition du commandant du
navire néerlandais transportant
des produits chimiques entre les
ports européens et les Caraïbes
semble établir que la torpille avait
été accrochée à la coque le
26 mars 2013, à Punta Camacho, un
port vénézuélien. « La soudure
d’une pièce de ce genre nécessite
énormément de courant, qui ne
peut provenir que du navire ou d’un
câble à partir du quai », selon le capitaine. L’opération s’était déroulée à l’insu de l’équipage. Suivie sur
Internet par Marc Armando, l’arrivée du Laguna-D à Rotterdam était
aussi attendue par les représentants des cartels de la drogue.
Le juge d’instruction a lancé un
mandat d’arrêt international contre Rafael Blanco Florez, un Colombien aperçu à Rotterdam, en
contact avec les Français. Installé
en Colombie à la demande de
Marc Armando, François-Marie
Bérard, un Corse de 56 ans surnommé Kumpa, a reconnu son
rôle d’intermédiaire avec des Colombiens, dont un énigmatique
« El Loco » (le fou). Il espérait une
commission de 40 000 à
50 000 euros : « Ça m’aurait per-
mis de démarrer quelque chose de
légal au village. Chez nous, en
Corse, c’est la misère. Mais ça ne
m’a rapporté que des maux de
tête », s’est-il confié.
La mort de Marc Armando a permis aux prévenus de se présenter
comme des « petites mains ».
« L’opération était cloisonnée.
Nous, on est que des petites truelles », a ainsi déclaré Lofti Bengadim, à la tête d’une entreprise de
carrelage à Biot (Alpes-Maritimes).
Considéré comme la cheville
ouvrière de l’opération, il s’apprêtait à plonger à Rotterdam après
avoir acquis les deux propulseurs
quatre ans plus tôt et repris l’entraînement. Dans ce « commando », seul Marc Armando justifiait d’un bon niveau de plongée.
Après la répétition générale
dans le port pétrolier de Fos-surMer, qui avait provoqué la frousse
de sa vie – « un bateau est passé à
côté de moi, j’ai été projeté par sa
turbine et j’ai fait comme la machine à laver » –, François Lackner,
alias Robby, s’était, lui, défilé. Il
compte cependant parmi les sept
hommes jugés à Marseille. p
luc leroux
J UST I C E
Aymeric Chauprade
visé par un mandat
d’arrêt international
La justice dominicaine a émis
un mandat d’arrêt international contre trois Français :
Aymeric Chauprade, député
européen, Christophe Naudin,
spécialiste de la sûreté aérienne, et Pierre Malinowski,
assistant parlementaire à
Strasbourg de Jean-Marie
Le Pen. Ils doivent être jugés
pour leur participation à l’évasion de République dominicaine de deux pilotes français
condamnés à la prison dans
l’affaire « Air cocaïne », a annoncé dimanche 22 novembre
le ministère public. – (AFP.)
Mediator : le procès
s’éloigne encore
Les arrêts rendus par la chambre de l’instruction vendredi
20 novembre dans l’affaire du
Mediator éloignent l’espoir de
la tenue rapide d’un procès
pour les victimes de ce médicament coupe-faim. La chambre a rejeté toutes les demandes d’actes des avocats, et a
demandé au juge de renotifier la fin de l’enquête, achevée en avril 2014. Mais, des
scellés ayant été consultés en
juillet 2014, « l’avis d’information du 30 avril 2014 est devenu caduc ». Conséquence de
cette décision, la renotification de la fin de l’instruction
ouvre un nouveau délai de
trois mois au cours duquel les
avocats pourront déposer des
recours. Si le juge s’oppose à
leurs demandes, les conseils
pourront faire appel. Chaque
arrêt peut par ailleurs être
frappé d’un pourvoi en cassation. Le procès pourrait ne
pas se tenir avant 2017. – (AFP.)
« EN TOUT POINT SUPERBE ! »
STUDIO CINÉ LIVE !!!!
Un film de Arnaud et Jean-Marie LARRIEU
LE 25 NOVEMBRE
20 | débats
0123
MARDI 24 NOVEMBRE 2015
L’écologie contre la terreur planétaire
Le réchauffement climatique
provoque des désordres
géopolitiques, à l’image
du chaos syrien.
Paris, victime du terrorisme,
doit faire de la COP21
une occasion de décarboner
et de pacifier la planète
par naomi klein et jason box
P
eu de temps après les horribles
attaques terroristes qui ont
frappé Paris le 13 novembre,
nos téléphones étaient saturés
de messages d’amis et de collègues. Chacun exprimait sa tristesse, mais certains avaient encore d’autres
préoccupations : « Ils vont sûrement annuler
la conférence sur le climat » ; « Les tambours
de guerre se font entendre. Le changement climatique va passer à l’arrière-plan. » Tout cela
est plausible, en effet. Si de nombreux responsables politiques font mine de s’intéresser à l’urgence existentielle de la crise climatique, il suffit qu’une autre crise plus immédiate apparaisse – une guerre, un choc sur les
marchés financiers, une épidémie – pour
que la question du climat soit oubliée.
Au lendemain des attaques, le gouvernement français a déclaré que la COP21 se tiendrait bien à Paris, comme prévu, fin novembre. Et pourtant la police vient tout juste
d’interdire les grandes marches et manifestations qui devaient être organisées, réduisant de fait au silence les voix de ceux qui
sont directement affectés par ces pourparlers en haut lieu. La montée du niveau de la
mer et l’extension des terres arides ont peu
de chance de rivaliser avec l’intensification
des opérations militaires et les appels à la fermeture des frontières.
Tout cela est parfaitement compréhensible. Quand notre sécurité se trouve menacée,
il est difficile de penser à autre chose.
D’autres chocs de plus grande ampleur que
les attaques qui ont eu lieu à Paris ont été
d’affreusement bons moyens de changer de
sujet. Pourquoi ne pas en décider autrement ? Plutôt que de changer de sujet, pourquoi ne pas approfondir le débat sur les
transformations climatiques et élargir la
gamme des solutions, qui sont fondamentales pour notre sécurité à tous ? Plutôt que
d’être mis de côté au nom de la guerre, pourquoi ne pas mettre notre action pour le climat au-devant de la scène, comme le
meilleur espoir de paix sur la planète ?
TRANSITION ÉNERGÉTIQUE AUDACIEUSE
Le lien qui existe entre le réchauffement climatique et le cycle de violences en Syrie est
désormais indéniable. Comme le secrétaire
d’Etat américain John Kerry l’a récemment
affirmé en Virginie : « Ce n’est pas un hasard
si, juste avant la guerre civile, la Syrie a connu
la pire vague de sécheresse jamais enregistrée.
Près d’un million et demi de personnes ont
quitté les zones rurales pour les villes, ajoutant à l’instabilité politique qui venait à peine
de secouer et d’embraser la région. »
Comme Kerry l’a cependant fait remarquer, plusieurs facteurs ont contribué à l’instabilité de la Syrie. Parmi eux les grandes sécheresses, mais aussi les pratiques répressives d’un dictateur brutal et l’essor d’une
forme particulière d’extrémisme religieux.
L’invasion de l’Irak, dix ans auparavant, est
un autre facteur crucial. Dans la mesure où
cette guerre – et tant d’autres par le passé –
était inextricablement liée à la soif occidentale de pétrole irakien (peu importe le réchauffement), cette décision fatale est devenue en retour inséparable du changement
climatique. L’Etat islamique, qui a revendiqué les attentats de Paris, a trouvé un terrain
fertile dans ce contexte fragile.
Si l’on admet que l’instabilité du MoyenOrient s’inscrit aussi dans ce contexte, alors
il n’y a aucune raison que les attaques de Paris servent à réduire encore nos engagements climatiques déjà peu adéquats. Au
contraire, cette tragédie devrait susciter la
réaction inverse : pousser de toute urgence
à la réduction des émissions le plus rapidement et le plus drastiquement possible, en-
FANNY MICHAËLIS
¶
Naomi Klein est
journaliste, essayiste
et militante écologique
canadienne. Elle a
notamment publié Tout
peut changer (Actes Sud/
Lux, 540 p., 24,80 €) et La
Stratégie du choc, La
Montée d’un capitalisme
du désastre (Actes Sud/
Leméac, 2008).
¶
Jason Box
est climatologue
et géographe. ex-professeur de la glaciologie à la
Commission géologique
du Danemark. Grand
connaisseur du Groenland où il a fait plus de 20
expéditions, il est spécialiste des conséquences du
réchauffement climatique
sur la montée des mers
courager fortement les pays en développement à faire le saut vers les énergies renouvelables et créer ainsi des emplois. Cette
transition énergétique audacieuse est le
seul espoir que nous ayons d’empêcher que
de vastes aires du Proche-Orient ne connaissent, d’ici la fin du siècle, comme le prévoit un récent article paru dans la revue Nature Climate Change, « des températures si
élevées qu’elles seront intolérables pour les
êtres humains ».
Mais cela encore n’est pas suffisant. Les
plus importantes réductions d’émissions
peuvent seulement ralentir le changement
climatique. Elles ne peuvent pas effacer le
réchauffement qui s’est déjà produit ni arrêter celui qui résulte des combustibles fossiles que nous avons déjà brûlés. Il manque
donc à notre conversion climatique un élément critique : le besoin de diminuer rapidement les taux de CO2 dans l’atmosphère
des 400 ppm (parties par million) actuels à
350 ppm – limite planétaire au-dessus de laquelle ce niveau d’émission est considéré
comme dangereux.
Si nous échouons à ramener les émissions
de carbone à des niveaux plus sûrs, il n’est
pas seulement à craindre que s’intensifient
les catastrophes comme la sécheresse historique en Syrie. La dernière fois que le CO2 atmosphérique a fortement augmenté, le niveau global des océans s’est élevé d’au moins
6 mètres. Nous sommes confrontés à la désintégration de la calotte glaciaire, qu’il est
déjà impossible, dans certaines zones, de
stopper. Dans l’atmosphère actuellement
surchargée de CO2, ce n’est qu’une question
de temps avant que des centaines de millions de gens ne soient déplacés des régions
côtières, quand leurs terres agricoles et les
eaux souterraines seront détruites par l’infiltration d’eau salée due à la montée du niveau de la mer. Parmi les zones les plus vulnérables : de vastes portions de l’Asie du Sud
et du Sud-Est – comprenant certaines des
plus grandes villes du monde, de Shanghaï à
Djakarta – ainsi que de nombreux pays côtiers de l’Afrique et de l’Amérique du Sud
comme le Nigeria, le Brésil et l’Egypte.
Un sommet sur le climat qui s’inscrirait
dans ce contexte de violence et de migrations alimentées par le changement climatique ne peut qu’aller dans la bonne direction
si son objectif central est la création des conditions d’une paix durable. Il faudrait pour
cela s’engager de manière juridiquement
contraignante à laisser la grande majorité
des réserves d’énergies fossiles sous terre. Il
faudrait également débloquer de véritables
moyens financiers pour que les pays en voie
de développement puissent faire face aux effets du changement climatique et reconnaître pleinement les droits des migrants climatiques à rejoindre des territoires plus
sûrs. Un accord de paix climatique fort doit
aussi présenter un programme visant à
planter de nombreuses espèces d’arbres indigènes au Proche-Orient et en Méditerranée, pour faire baisser le taux de CO2 dans
l’atmosphère, pour ralentir la désertification et favoriser des climats plus frais et plus
humides. Planter des arbres ne suffit pas en
soi à ramener le taux de CO2 à des niveaux
plus sûrs, mais cela pourrait aider les gens à
rester sur leurs terres et à protéger des
moyens d’existence durable.
VICTOIRES TANGIBLES
Nous savons pertinemment que la conférence sur le climat de Paris ne permettra pas
de mettre tout cela en œuvre. Mais, il y a encore quelques jours, des actions collectives
audacieuses relatives au climat semblaient à
notre portée : le mouvement climatique s’accélérait, remportant des victoires tangibles
contre les pipelines et les forages dans l’Arctique ; les gouvernements renforçaient leurs
objectifs, et certains commençaient même à
tenir tête aux compagnies de combustibles
fossiles. La pression était, apparemment, suffisamment forte pour permettre la réalisa-
UNE RÉACTION
RÉSOLUE FACE À
LA CRISE CLIMATIQUE
AURAIT PU CRÉER
SUFFISAMMENT
D’EMPLOIS
POUR DISCRÉDITER
LES POLITIQUES
D’AUSTÉRITÉ
tion des principaux objectifs de la conférence : un traité international applicable et
ayant force obligatoire pour faire baisser les
émissions de carbone une fois pour toutes.
Mais le mouvement a cru qu’il était essentiel
de continuer d’exercer des pressions durant
le sommet. Cela est devenu beaucoup plus
difficile.
La dernière fois que l’on a assisté à un tel
élan favorable à la question climatique, c’était
en 2008, quand l’Europe menait une révolution des énergies renouvelables et que Barack
Obama s’engageait, au moment où il obtint
l’investiture du Parti démocrate, à faire de son
élection « le moment où la montée du niveau
des océans commencera à diminuer et notre
planète à guérir ». Puis se firent ressentir les
répercussions de la crise financière. Quand le
monde entier s’est retrouvé à la conférence de
Copenhague sur le climat fin 2009, l’attention
globale s’était déjà détournée du climat vers le
sauvetage des banques, et l’accord passé fut
considéré à l’unanimité comme un désastre.
Au cours des années qui ont suivi, le soutien
aux énergies renouvelables a décliné de manière drastique dans l’Europe méridionale, les
ambitions ont diminué et les engagements financiers envers les pays en voie de développement ont pratiquement disparu. Il importait
peu qu’une réaction résolue face à la crise climatique, fondée sur de gros investissements
dans les énergies renouvelables, l’efficacité et
les transports collectifs, aurait pu créer suffisamment d’emplois pour discréditer les politiques d’austérité.
Nous ne pouvons pas nous permettre que
cette histoire se répète parce que, cette fois, la
terreur nous aura forcés à changer de sujet. Au
contraire, comme l’expert en énergie Michael
T. Klare l’a déclaré quelques semaines avant
les attaques, Paris « ne doit pas être simplement considéré comme un sommet sur le climat mais comme une conférence sur la paix –
peut-être la plus importante convocation à la
paix qu’ait connue l’histoire ». Nous n’y parviendrons toutefois qu’à la condition que l’accord obtenu établisse assez rapidement une
économie décarbonée pour améliorer concrètement les conditions de vie ici et maintenant. Nous commençons enfin à admettre
que le changement climatique cause la guerre
et la ruine économique. Il est temps de reconnaître qu’une politique climatique intelligente est fondamentale pour assurer une
paix durable et la justice économique. p
disparitions & carnet | 21
0123
MARDI 24 NOVEMBRE 2015
HansMommsen
Historien allemand
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En 2002. IMAGO/STUDIOX
AU CARNET DU «MONDE»
Décès
U
n des principaux historiens allemands,
Hans Mommsen, spécialiste du nazisme,
est mort le 5 novembre, le jour
même de ses 85 ans. Peu connu en
France – seul un recueil de ses articles y a été publié, par la Maison
des sciences de l’homme –, Hans
Mommsen jouissait d’une notoriété considérable en Allemagne,
où il n’hésitait pas à intervenir
dans le débat public.
Descendant d’une grande famille d’historiens, ce membre du
Parti social-démocrate (SPD) était
passionné par le mouvement
ouvrier, auquel il a consacré plusieurs ouvrages. L’attribution
en 1968 d’un poste à la faculté de
Bochum, au cœur de la Ruhr industrielle, lui convenait donc parfaitement. Mais ce sont ses travaux sur le nazisme qui ont connu
le plus grand retentissement.
Auteur d’une thèse sur la fonction publique allemande sous le
nazisme, il a développé une lecture « fonctionnaliste » du nazisme. En 1971, ce jeune intellectuel
a même qualifié Hitler de « dictateur faible », une formule volontairement provocatrice qui a été
abondamment commentée, à défaut d’être toujours approuvée.
« Contrairement à un certain nombre d’historiens qui rendaient Hitler et son entourage immédiat responsables de toutes les exactions
commises sous le nazisme, Hans
Mommsen était convaincu que
c’était le système qui était meurtrier
et qui s’est radicalisé. A ses yeux,
tout ne découle pas de l’application
de Mein Kampf », résume l’historien Peter Schöttler, qui fut un de
ses premiers doctorants.
Pour Hans Mommsen, Hitler
n’avait donc pas planifié l’extermination des juifs dès son arrivée au
pouvoir. « Si cette thèse a été contestée, elle n’est pas fausse à 100 %.
Hitler ne s’occupait pas de tout. De
nombreuses décisions sur la Shoah
ont été prises au niveau régional et
local. Et il n’y aurait pas eu de Shoah
par balles sur le front de l’est sans
l’engagement des SS et de l’armée »,
note Peter Schöttler.
Evidemment, la thèse de
Mommsen était dérangeante
puisqu’elle ne permettait pas à la
société allemande de s’exonérer de
ses responsabilités. Néanmoins,
5 NOVEMBRE 1930
Naissance à Marbourg
(Hesse)
1968-1996 Enseigne
à l’université de Bochum
5 NOVEMBRE 2015 Mort
à Tutzing (Haute-Bavière)
Georges Fridenson,
Patrick, Janine et Eric Fridenson,
Jomi et Dora Frydenzon
Et leur famille,
ont la tristesse de faire part du décès de
Denise BARTFELD,
professeur de Lettres classiques,
certains lui ont reproché une lecture par trop structuraliste et donc,
peut-être, un peu trop complaisante à l’égard de personnalités qui
avaient joué un rôle considérable
dans la Shoah et étaient encore en
vie à l’époque.
Au milieu des années 1980, Hans
Mommsen fait partie des historiens qui se rangent résolument
aux côtés de son ami, le philosophe Jürgen Habermas, contre l’historien Ernst Nolte, pour qui l’Holocauste était une réaction aux crimes bolcheviks. Une querelle qui,
trente ans plus tard, continue de
marquer le paysage intellectuel allemand.
Esprit libre
Hans Mommsen avait également
beaucoup travaillé sur les nationalités dans l’empire austro-hongrois. Son épouse, Margareta
Mommsen, auteur d’une biographie de Vladimir Poutine, est autrichienne et, dans les années 1970, le
chancelier autrichien Bruno
Kreisky était l’un de ses proches.
Mais, profondément social-démocrate, Hans Mommsen restait
un esprit libre. Il s’était ainsi publiquement opposé à la décision
prise en 1972 par le chancelier
Willy Brandt (SPD) d’interdire aux
communistes d’exercer dans la
fonction publique.
D’un caractère peu commode,
Hans Mommsen n’a pas vraiment
formé une école de pensée même
s’il a dirigé de nombreux doctorants. Arrière-petit-fils de Theodor
Mommsen, un historien qui a obtenu le prix Nobel de littérature
en 1912 pour ses travaux sur la
Rome antique, Hans Mommsen
est le fils de Wilhelm Mommsen,
un historien spécialiste des mouvements politiques et sociaux au
XIXe siècle et le frère jumeau de
Wolfgang Mommsen, un historien spécialisé dans le XIXe siècle,
mort en 2004. p
frédéric lemaître
survenu le 17 novembre 2015,
à l’âge de soixante-douze ans.
16, rue Cassini,
75014 Paris.
M Nguyen Thien Hélène,
son épouse
Et toute la famille,
me
ont la tristesse de faire part de l’envol de
M. Nguyen Thien DAO,
survenu le 20 novembre 2015, à Paris.
Un dernier hommage lui sera rendu
le vendredi 27 novembre, à 9 h 30,
au crématorium du cimetière du PèreLachaise, Paris 20e.
Jean-Paul Jourdan,
président de l’université Bordeaux
Montaigne,
L’ensemble du personnel
Et des étudiants,
ont la grande tristesse d’annoncer le décès
de
M. Alban DENUIT,
docteur de l’université,
chargé de cours en Arts,
survenu au Bataclan,
le 13 novembre 2015,
à l’âge de trente-deux ans.
Toujours souriant, d’un abord facile,
portant en bannière sa gentillesse et son
optimisme, son amour de la vie et des arts,
Alban Denuit était un artiste talentueux,
passionné, une belle personnalité.
Ses obsèques ont lieu ce lundi
23 novembre, à Marmande.
Mme Jacqueline Freyburger,
son épouse
Et toute sa famille,
ont la douleur de faire part du décès de
Marc FREYBURGER,
professeur honoraire
de Littérature comparée,
Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône).
Le docteur Roselyne
Gamby-Abbe,
son épouse,
Denys et Henriette Gamby,
Thierry et Marc-Karim
Gamby,
Bruno GAMBY,
Les Unes du Monde
e.fr
- N˚19904
- 1,30 ¤ France métropolitaine
L’investiture
de Barack
Nouvelle édition
Tome 2-Histoire
---
Jeudi 22 janvier
Uniquement
2009
Fondateur
Premières mesures
Le nouveau président
américain a demandé
la suspension
: Hubert Beuve-Méry
En plus du «
en France
- Directeur
Monde »
métropolitaine
: Eric Fottorino
Obama
des audiences
à Guantanam
o
Barack et
Michelle Obama,
à pied sur
Pennsylvania
WASHINGTON
Avenue, mardi
20 janvier,
CORRESPONDANTE
se dirigent
montré. Une
vers la Maison
evant la foule
nouvelle génération
Blanche. DOUG
tallée à la tête
s’est insqui ait jamais la plus considérable
MILLS/POOL/REUTERS
a Les carnets
transformationde l’Amérique. Une ère
d’une chanteuse.
national de été réunie sur le Mall
de Angélique
a
Washington,
Des rives du commencé.
Kidjo, née au
Obama a prononcé,
a Le grand
Barack lantique,
Pacifique à
jour. Les cérémonies
celles de l’At- aux Etats-Unis pendant Bénin, a chanté
discours d’investituremardi 20 janvier,
toute l’Amérique
la liesse ; les
la campagne
de Barack Obama
;
ambitions d’un
presque modeste.un sur le moment
s’est arrêtée
a Feuille
force d’invoquer
en 2008,
la première
rassembleur
qu’elle était
pendant les
A vivre :
décision de
; n’est jamaisde route. « La grandeur
Abraham
en train de
festivités de et de nouveau administration:
Martin Luther
l’accession
la nouvelle
Lincoln,
un
l’investiture,
au poste
du 18 au
dant en chef
Avec espoir et dû. Elle doit se mériter.
avait lui même King ou John Kennedy,
pendant cent la suspension
des armées, de comman- raconte 20 janvier. Pour Le Monde,
(…)
vertu,
il
placé la barre
responsable
vingt
: les cérémonies,
elle
de plus les courants bravons une fois
discours ne
très haut. Le l’arme nucléaire, d’un
de Guantanamo. jours des audiences
passera probablement
les rencontres
jeune sénateur de – elle a croisé l’actrice
glacials et endurons
cain-américain
Pages 6-7
les tempêtes à
postérité, mais
afri- le chanteur
page 2
et l’éditorial
Lauren
de 47 ans.
venir. » Traduction
il fera date pour pas à la
Harry Belafonte… Bacall,
du discours
ce qu’il a
inaugural du e intégrale
miste Alan Greenspan.
Lire la suite
et l’écono- a It’s the economy...
des Etats-Unis.
44 président
page 6 la
Il faudra à la
velle équipe
taraude : qu’est-ce Une question
nou- a Bourbier Page 18
beaucoup d’imagination
Corine Lesnes
pour sortir de
que cet événement
va changer pour
irakien. Barack
a promis de
l’Afrique ? Page
Obama
et économiquela tourmente financière
retirer toutes
3
qui secoue la
de combat américaines
les troupes
Breakingviews
planète.
page 13
d’Irak d’ici
à mai 2010.
Trop rapide,
estiment les
hauts gradés
de l’armée.
X 67,
ENA 1972-1974,
ancien président-directeur général
des Chantiers de l’Atlantique
(Alstom),
D
Education
UK price £ 1,40
RETROUVEZ L’INTÉGRALITÉ
DES « UNES » DU MONDE
ET RECEVEZ CELLE DE
VOTRE CHOIX ENCADRÉE
Encyclopéd
ie
Universalis
www.lemond
65 e Année
L’avenir de
Xavier Darcos
Ruines, pleurs
et deuil :
dans Gaza dévastée
« Mission terminée
»:
le ministre
de
REPORTAGE
ne cache pas l’éducation
considérera qu’il se
GAZA
bientôt en
ENVOYÉ SPÉCIAL
disponibilité
pour
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tâches. L’historien d’autres
de Jabaliya,
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Lelièvre explique
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Automobile
Fiat : objectif
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CFA autres
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2,00 ¤, Luxembourg
1,40 ¤, Malte
2,50 ¤,
Page 20
RENDEZ-VOUS SUR www.lemonde.fr/boutique
ont la tristesse de faire part du décès de
Michel GIRAUD,
ingénieur général honoraire
du Génie rural des eaux et des forêts,
survenu le 20 novembre 2015,
dans sa quatre-vingt-dixième année.
La cérémonie religieuse sera célébrée,
le mercredi 25 novembre, à 15 heures,
en l’église Saint-Martin-de-Parcé-surSarthe (Sarthe).
Pierre Marzin,
Ses enfants,
Ses petits-enfants
Et ses arrière-petits-enfants,
Famille Gamby,
Parc Mozart,
Le Debussy 3,
210, allée des Musiciens,
13100 Aix-en-Provence.
Conférence
Conférences citoyennes
« Santé en questions »
organisées par l’Inserm, Universcience.
Conférence conquête spatiale et santé
jeudi 26 novembre 2015,
de 19 heures à 20 h 30,
gratuit pour tout public,
en duplex de la Cité des sciences
et de l’industrie à Paris
et du Museum de Toulouse.
Pour en savoir plus : www.inserm.fr
Table-ronde
ont la tristesse d’annoncer le décès de
Simone MARZIN,
née RAIMBAUD,
survenu le 19 novembre 2015.
Les obsèques seront célébrées ce lundi
23 novembre, à 14 h 30, en l’Église
de Lalbenque (Lot).
Les Lilas. Plougastel-Daoulas.
Nouméa. Plouzané. Gouesnou.
Saint-Jean de Linières. Angers.
Claire Peltier,
sa compagne,
Siloé et Niels,
ses enfants adorés,
Maryvonne et Christian Perchirin,
ses parents,
Marc Perchirin,
son frère et Mélanie, sa compagne,
Jacques et Monique Percherin,
Jeanne Uguen,
ses grands-parents,
Maryse Peltier et Pierre Beaudouin,
ses beaux-parents,
Ses oncles et tantes,
Ses cousins et cousines,
Ses beaux-frères et belles-sœurs,
Ses neveux et nièces,
Les familles Percherin, Uguen, Peltier,
Ses amis,
Ses collègues
Et voisins,
ont la douleur de faire part du décès de
David PERCHIRIN,
à l’âge de quarante et un ans,
mort au Bataclan, le 13 novembre 2015,
victime d’un odieux attentat.
Un hommage sera célébré le mercredi
25 novembre, à 11 h 30, en la salle de la
Coupole, au crématorium du cimetière
du Père-Lachaise, 71, rue des Rondeaux,
Paris 20e.
Fleurs blanches ou dons (les fonds
collectés seront versés aux coopératives
des écoles où David enseignait).
La famille remercie toutes les personnes
qui s’associent à son deuil et à celui
des proches de Cédric Mauduit.
Axel, Richard, Agnès, Alexandre
et Charlotte Sinding
Ainsi que Bertrand Clech,
son compagnon,
ont la tristesse de faire part du décès de
Brigitte SINDING,
« Mizitte »,
survenu le 18 novembre 2015.
L’inhumation aura lieu dans le caveau
familial, le mercredi 25 novembre,
à 11 heures 30, au cimetière du PèreLachaise, 82e division, 71, rue
des Rondeaux, Paris 20e.
survenu le 19 novembre 2015,
à Mérignac (Gironde).
ont la douleur de faire part du décès de
0123
Mme Bruno Pichon,
M. et Mme Jean-Louis Devin,
M. et Mme Dominique Bon,
M. et Mme Daniel Giraud,
Mme Laurence Giraud,
ses enfants,
Ses petits-enfants,
Ses arrière-petits-enfants,
Souvenir
Le 24 novembre 2013,
Jacques LARRUE,
ancien élève de l’Ecole nationale
de la France d’Outre-Mer,
sous-préfet honoraire,
oficier de la Légion d’honneur,
nous laissait son message de foi,
de force et de vie :
« La vie est ainsi faite
qu’elle nous quitte un jour
et que toutes ces petites étoiles
que nous avons un moment allumées
n’auront plus qu’à rester
dans notre souvenir ain qu’elles puissent
quand même réchauffer
le cœur de tous ceux
qui viendront après nous. »
Pour lui, aujourd’hui et avec lui,
une prière, une pensée, un sourire.
« Jésus, que ma joie demeure. »
« Ethnoscénologie : 20 ans »
mercredi 25 novembre 2015,
à 18 heures :
Maison des Cultures du Monde, Paris,
jeudi 26 novembre 2015,
de 9 heures à 19 heures :
Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis.
Contact: [email protected]
Cours
Rencontre de la Société des lecteurs
« Le retour de l’Iran »
Si la Perse éternelle nous faire rêver,
l’Iran contemporain a connu
bien des soubresauts depuis la chute
de la monarchie Pahlavi,
et continue de vivre aujourd’hui,
depuis trente-six ans
sous le régime de la Révolution islamique
voulue en 1979
par l’ayatollah Khomeyni.
Nos invités :
• Yves Bomati, historien, et co-auteur
avec Houchang Nahavandi
de plusieurs ouvrages sur l’Iran.
• Fariba Adelkhah, anthropologue
sociale et politique de l’Iran
post-révolutionnaire,
directeur de recherches au CERI
à Sciences Po.
• Christophe Ayad,
chef du Service international du Monde.
• Et la présence exceptionnelle
de Houchang Nahavandi,
ancien ministre, ancien recteur
des Universités de Chiraz et de Téhéran,
lauréat de l’Académie française
et auteur de nombreux ouvrages.
Croisant leurs regards, ils partageront
leurs analyses sur ce pays fascinant,
autant par ses richesses millénaires
que par le rôle majeur qu’il joue
dans le monde moyen-oriental actuel.
Le débat sera animé par
Hélène Renard et Myriam Lemaire.
Le mardi 24 novembre 2015, à 18 h 30,
Auditorium du journal Le Monde,
80, boulevard Auguste-Blanqui,
Paris 13e.
Réservation obligatoire par mail
uniquement et dans la limite
des places disponibles à
[email protected]
Prép’art Paris - Rentrée 2016
Inscriptions ouvertes en décembre 2015
Admission sur entretien pédagogique
Prendre rendez-vous au 01 47 00 06 56
Portes ouvertes
samedi 5 et dimanche 6 décembre 2015
de 10 heures à 18 heures
Stages d’orientation
et de découverte Artistique
Une semaine
pendant les vacances scolaires
Prochain stage en février 2016
www.prepart.fr
L’Espace culturel et universitaire juif
d’Europe : hommage à Raphaël Draï
(Zal), mercredi 25 novembre 2015,
à 19 heures, présidé par Sandrine Szwarc,
professeur à l’Institut Elie Wiesel, ilms,
témoignages avec Yaël Draï, Paul-Laurent
Assoun, professeur à l’université Paris 7,
Marc Zerbib, professeur, Franklin Rausky,
directeur des études de l’Institut Elie
Wiesel, Christian Bruschi, historien du
droit, professeur émérite à Aix-Marseille
université, Rémy Scialom, maître de
conférences, docteur en droit, Roger-Pol
Droit, philosophe, Daniel Dahan, grand
rabbin d’Aix-en-Provence.
[email protected]
119, rue La Fayette, Paris 10e.
Communications diverses
Résidence critique
Séminaire La ville marchande
Le libre-service dans la ville,
mardi 24 novembre 2015, à 18 h 30,
Emmanuelle Lallement,
ethnologue, en résidence
à la Cité de l’architecture,
Franck Cochoy,
sociologue,
Sophie Chevalier,
professeur d’anthropologie
à l’université de Picardie Jules Verne,
Pascal Madry,
directeur de la Fédération
pour l’urbanisme et le développement
du commerce spécialisé (Procos).
Pause - Philo
Jeudi 26 novembre 2015, à 20 h 30,
Jean-François Balaudé
La sagesse des Anciens,
Stoïcisme et Epicurisme.
Jeudi 3 décembre, à 20 h 30,
Robert Misrahi
Le bonheur chez Spinoza.
Jeudi 10 décembre, à 20 h 30,
Pierre-Henri Tavoillot
La morale de Kant.
Espace Landowski,
28, avenue André-Morizet,
à Boulogne-Billancourt.
www.forumuniversitaire.com
La boutique et le luxe,
jeudi 10 décembre, à 18 h 30.
Entrée libre, inscription citechaillot.fr
Cité de l’architecture & du patrimoine,
Palais de Chaillot - Auditorium
(métro Iéna ou Trocadéro).
L’Espace culturel et universitaire juif
d’Europe : mardi 24 novembre 2015,
à 19 h 30, rencontre « L’Ecologie du
judaïsme : protéger la terre, la vie, et les
hommes », animée par Jean-François
Strouf avec Isabelle Autissier, présidente
WWF-France, Corinne Lepage, fondatrice
du parti écologiste Cap21, Liliane Vana,
spécialiste en droit hébraïque talmudiste
et philologue, Bruno Fiszon, grand rabbin.
[email protected]
119, rue La Fayette, Paris 10e.
Ecole de Psychanalyse
des Forums du Champ lacanien
Journées nationales
« Le psychanalyste dans le monde
d’aujourd’hui. Pour une relecture
du Malaise dans la civilisation. »
les 28 et 29 novembre 2015.
28, rue Saint Dominique, 75007 Paris.
Renseignements et inscriptions :
01 56 24 22 56
www.champlacanienfrance.net
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22 | culture
0123
MARDI 24 NOVEMBRE 2015
De la musique avant
toute chose
Après l’attaque contre le Bataclan le 13 novembre,
compositeurs et interprètes issus de tous les genres
reviennent sur le rôle de leur art dans nos vies
V
endredi 13 novembre, des tireurs armés ont
pris des vies et
dévasté une part
intime et nécessaire du fonctionnement social :
la musique. Les musiciens ne
sont pas de grands parleurs, leur
mode d’expression est autre.
Mais nous avons voulu leur demander en quoi la musique était
essentielle, sans préjuger des
genres.
Certains artistes, après l’attentat du Bataclan, ont préféré le silence, ou la sidération, tel D’de Kabal, habitant de Bobigny, rappeur,
slameur, metteur en scène de
théâtre : « La musique est toute
ma vie, je n’ai aucun recul sur la
question. » D’autres tentent
d’analyser ce qui leur arrive, ce
qui nous arrive. « Le fait que la
musique soit en ligne de mire n’est
pas un phénomène exclusif de l’islam radical, nous dit le joueur de
viole de gambe et chef d’orchestre
catalan Jordi Savall. Il concerne ou
a concerné au cours des siècles
tous les fanatismes religieux qui
pratiquent l’endoctrinement et
veulent priver les fidèles de leur libre arbitre. La musique est liée aux
sens. Elle a le pouvoir de mettre
l’homme en dehors des conditions
ordinaires de la vie, de lui donner
de la joie, du plaisir. Mais elle lui
permet aussi de se libérer de la
peur, sans doute sa plus grande
“perversion” aux yeux de ceux qui
la combattent ! »
Sur le site de Freedom of Musical Expression (Freemuse), organisation non gouvernementale
qui défend la cause des musiciens
emprisonnés, tués, battus, empêchés de diffusion, le journaliste
danois Ole Reitov a écrit : « La liberté d’expression artistique inclut
le droit pour le public à accéder
aux événements musicaux sans
avoir peur. » Freemuse, équivalent d’un Reporters sans frontières pour les journalistes ou d’un
Pen Club pour les écrivains, a été
créé par Ole Reitov en 1998, au
moment où les talibans, maîtres
de l’Afghanistan, imposent un ordre religieux strict, brûlant les
instruments de musique et les
cassettes, emprisonnant ou battant des musiciens, même s’ils se
produisent dans des fêtes privées.
Face à ces actions, la communauté internationale ne dit rien,
ou en dit peu, sortant de sa torpeur en 2001 seulement, quand
sont détruits à la dynamite les
bouddhas de Bamiyan, vieux
d’environ quinze siècles. Au plus
politique des musiciens, on a reconnu le statut de héros : le chanteur communiste Victor Jara, assassiné en 1973 par le gouvernement Pinochet au Chili. Mais
combien d’artistes ont été des
martyrs ?
LE PARTAGE, LA COMMUNION
Ce qui a été attaqué, pour le musicien Michel Portal, c’est le partage, la communion qu’autorisent les concerts. « La musique,
pour moi, c’est tout, dit-il. Classique, rock, jazz, rap ou ce que l’on
veut… dans l’attentat contre le Bataclan, ce n’était pas la musique
qui était visée, c’était le lieu, la
boîte, le club, la salle, l’endroit où
les gens sont serrés, piégés, bien
coincés. Il suffit de défourailler. En
Algérie, où j’ai été mobilisé comme
tous ceux de mon âge pendant
vingt-sept mois, ça m’avait frappé.
C’était les dancings qui étaient attaqués à la fin du bal. Il suffit d’entrer, d’arroser et de filer par le côté.
Je me souviens du petit “bando”
juif du dancing, à Alger, un formidable bandonéoniste : “Ça ne me
plaît plus, Michel, de jouer ici, Michel, j’ai peur.” Un soir, il s’est fait
John Coltrane : « Le privilège de rendre
les autres heureux par la musique »
Enregistrée en 1964, A Love Supreme du saxophoniste John
Coltrane (1926-1967) est une rencontre intense entre jazz et
spiritualité. Sur la pochette du disque, un poème et un texte
d’explication de l’auteur : « Pendant l’année 1957, j’ai fait l’expérience, par la grâce de Dieu, d’un éveil spirituel qui m’a conduit à
une vie plus riche, mieux remplie, plus productive. A cette époque, en signe de reconnaissance, j’ai humblement demandé
qu’il me soit donné les moyens et le privilège de rendre les
autres heureux par la musique. »
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19.12.2015
John en partenariat avec le théâtre de la ville et le Festival d’automne à paris
lavillette.com • #LaVillette
tuer. C’est de ça qu’ont peur les musiciens. »
L’Algérie, si proche de nous, a
payé un lourd tribut. Pendant la
guerre d’Indépendance, c’est l’assassinat en juin 1961 de Cheikh
Raymond Leyris, beau-père d’Enrico Macias et grande figure de la
musique arabo-andalouse dans
laquelle jouaient, côte à côte, juifs
et Arabes, qui provoque l’exode
des pieds-noirs de Constantine,
puis d’Algérie. Plus tard, dans les
années 1990, ce sera le raï, genre
qui organise la circulation des
rythmes entre Oran, Montreuil et
Barbès-Rochechouart, qui sera
durement touché : assassinat de
producteurs (Rachid Baba Ahmed, en 1995), d’artistes (Cheb
Hasni en 1994, Cheb Aziz
en 1996)… Les Kabyles aussi passeront au filtre de la haine :
en 1998, le chanteur Matoub Lounès, militant de la cause berbère,
personnalité laïque et démocrate,
est assassiné sans qu’on n’ait jamais su qui, du mouvement islamiste du GIA ou du pouvoir militaire algérien, a appuyé sur la détente.
« A l’époque, dit Chaba Fadela,
chanteuse de raï menacée par le
GIA et réfugiée en France en 1995
avec ses enfants, ils ont visé les artistes, les symboles. Aujourd’hui,
les mêmes mafieux tuent une culture. » Vendredi 13, elle a pleuré.
Quatre jours plus tard, celle qui
porta le raï des Etats-Unis à Dubaï, était à l’Institut du monde
arabe (IMA) de Paris pour annoncer un grand concert anniversaire
des 30 ans du raï prévu au Zénith
de Paris le 19 janvier – le premier
concert de raï en France avait eu
lieu à Bobigny en 1986. Co-initiateur de l’événement, Pascal Nègre, PDG d’Universal Music, n’est
pas là : trois de ses salariés sont
morts au Bataclan. Le président
de l’IMA, Jack Lang, fait un discours : « Avec cette musique, on
voulait soulever des montagnes,
réunir, entremêler, créer dans une
France arc-en-ciel. » Et cela fonctionna, avant l’effondrement
dans les années 2000, où le raï redevient communautaire.
« LE REFLET DE LA SOCIÉTÉ »
Cheb Hasni avait débuté avec la
sulfureuse Cheikha Zahouania,
fin 1986, en reprenant un thème
licencieux, El Baraka (La cuite
donne des idées/Nous sommes
bourrés et tombons par terre/
Amenez une bagnole pour nous
ramasser/Il n’y a de Dieu que
Dieu/Mais la passion l’emporte
toujours/… Nous avons fait
l’amour à l’intérieur d’une cabane
pourrie). Autant d’invites à se délivrer des carcans imposés par la
religion, le chômage et l’absence
d’avenir dans l’Algérie d’alors.
Selon le chef d’orchestre israéloargentin Daniel Barenboim, la
musique « est un mégaphone culturel ». La musique éduque, rassemble. « Elle m’a fait évoluer, réfléchir, m’a instruit et ouvert à
d’autres mondes, d’autres pensées », note Erik Truffaz, trompettiste de jazz. Il poursuit : « La musique a toujours été le reflet de la
société et a évolué avec. Le be-bop,
le rock’n’roll, le punk, etc., ont exprimé, quand ils sont arrivés, une
notion de liberté. Si on veut briser
la liberté de la société, on brise
aussi la musique en tant que telle,
sans distinction de style, qu’elle
soit instrumentale ou qu’il y ait
des textes de chansons visés. » La
chanteuse malienne Fatoumata
Diawara, 33 ans, confirme que
« c’est seulement à travers la musi-
que qu’[elle] peut dire ce qu’[elle a]
envie de dire par rapport à [sa] société, [sa] tradition, [sa] culture.
Alors qu’avec de simples mots
[elle] blesserai[t] et [se] ferai[t]
beaucoup d’ennemis au pays ». La
musicienne, qui a participé à la
création de la bande originale du
film Timbuktu, d’Abderrahmane
Sissako, était en concert à la Philharmonie de Paris au côté du pianiste cubain Roberto Fonseca
quand se déroulaient les attentats. « Je parlais de paix, d’harmonie, j’évoquais Tombouctou, ces
gens qui avaient voulu interdire la
musique chez nous, au Mali. Et, à
la fin du concert ils ont annoncé
dans la salle ce qui venait de se
passer. Ce fut un choc terrible… »
Elle ajoute : « Ces gens-là ont
peur de la liberté de la musique.
Personnellement, la musique m’a
sauvée. Elle m’a permis d’être une
femme épanouie, libre. En chantant, je parviens à me faire écouter
en tant que femme jeune. Cette liberté fait peur même à des personnes de ma famille, quand j’aborde
des thèmes qui, en général, sont
tabous dans mon pays, donc à
plus forte raison chez les extrémistes qui pensent que la liberté, c’est
le diable. »
« LA VIE, LA DISTRACTION… »
En frappant le Bataclan, les tireurs
froids ont mis à mal la cohésion
sociale. Madeleine Leclair, responsable du département d’ethnomusicologie du Musée d’ethnographie de Genève (MEG), en a
traqué les ressorts à travers le
monde. « La musique est essentielle, en ce sens qu’elle est l’un des
moyens forts de construire l’identité de ceux qui la pratiquent ou
l’écoutent. » Momentanément, en
allant au même concert tous ensemble, « sans préjuger de l’identité personnelle des individus ».
Durablement, en choisissant d’aller écouter du rock ou des musiques sacrées, montrant ainsi
qu’on appartient « à un groupe
bien défini, qui partage un même
type de musique. Ce “groupe d’appartenance” peut aussi, bien entendu, être une classe d’âge. Et,
parce qu’elle crée de l’émotion, la
musique peut donner le sentiment
de liens de solidarité et d’une profonde intimité entre ceux qui la
partagent ». Or, pour diviser, générer le chaos tant attendu, il faut
rompre toute possibilité de com-
« Le be-bop,
le rock’n’roll,
le punk, etc.,
ont exprimé,
quand ils sont
arrivés,
une notion
de liberté »
ÉRIK TRUFFAZ
trompettiste de jazz
munauté autre que la sienne, restreinte.
Que l’on soit violoniste classique ou rappeur, la musique « c’est
la vie, c’est la distraction, c’est la luminosité. C’est un art premier, c’est
une pulsation divine ». Les mots
sont d’Akhenaton, cofondateur
du groupe de rap marseillais IAM.
« On l’écoute dans des lieux où on
se rassemble et où on partage. Et
ce sont tout sauf des lieux de perdition. Comme le sport d’ailleurs,
trop souvent étouffé par les affaires d’argent alors qu’il est extrêmement sain et véhicule de belles valeurs. La musique vivante, c’est essentiel. Ecouter un CD dans sa voiture, c’est une chose, la partager
avec 3 000 personnes, ça n’a rien à
voir. C’est une réelle communion.
On le voit dans nos concerts. Chanter sur scène, voir le visage des
gens, ça te rebooste pour un
mois. »
Jordi Savall poursuit : « Les pratiques musicales, mais aussi les musiques dans lesquelles on se reconnaît, sont un moyen de dialogue
privilégié qui, dans bien des cas,
exalte les sentiments, rapproche
les gens. La musique accompagne
l’histoire des peuples et en raconte
autant les événements que les
mentalités. Avec la musique, on
peut redonner de la mémoire à
l’histoire. Et cela nous ramène à
notre humanité. Rappelons que,
pour les esclaves, la musique était
le seul espace de liberté, c’est pourquoi la plupart de leurs musiques
étaient joyeuses. »
DU PLAISIR, DE L’ÉMOTION
La musique est quotidienne, elle
accompagne la vie courante, les
grandes occasions, les rencontres
et les croyances. En Iran, pays
d’une richesse musicale ancestrale, au Pakistan, en Egypte, la situation n’est pas la meilleure, et
pire encore pour les artistes femmes, contraintes au mutisme.
Keyvan Chemirani, qui appartient au Trio Chemirani (trois percussionnistes, lui, son père Djamchid et son frère Bijan), souligne
qu’il y a un paradoxe pour un musulman à s’attaquer à la musique :
« Dans la religion musulmane,
l’appel à la prière est un chant. Un
chant d’une beauté très émouvante, dans le mode bayat tork
[mode de la musique persane].
Les muezzins chantent les sourates, et c’est d’une beauté bouleversante. Même quand on n’est pas
croyant, on accède à une transcendance par le chant. D’ailleurs
qu’est-ce que c’est la croyance, sinon se sentir en connexion avec la
vie, les éléments ? »
Vincent Ségal, violoncelliste et
compositeur français, collabore
du 25 novembre au 11 décembre 2015
Un fils de
notre temps
d’apRès le Roman de
Ödön von Horváth
mise en scène Jean Bellorini
Réservations : 01 48 13 70 00
www.theatregerardphilipe.com
Dans les villes – illustration Serge Bloch
MUSIQUE
culture | 23
0123
MARDI 24 NOVEMBRE 2015
« Le plus bel acte de
résistance est de toucher
le cœur des gens »
Jack Lang, président de l’Institut
du monde arabe (IMA), et le groupe
Fanfaraï, le 18 novembre, lors
du lancement des festivités pour
les 30 ans du raï, à l’IMA, à Paris.
BRUNO LEVY/DIVERGENCE POUR « LE MONDE »
Damon Albarn, le chanteur de Blur, bouleversé
par les attaques de Paris et de Bamako, rappelle
que la musique est souvent prise pour cible
ENTRETIEN
ma vie. Selon mon humeur, je me
joue des morceaux. Je suis assez
mélancolique en ce moment, mais
j’ai choisi aujourd’hui un morceau plutôt heureux. » Le matin
même, il a passé six fois Thankfull for What I Got, de l’AfroAméricaine de Detroit Barbara
Lewis, star des années 1960.
« Dans le morceau, elle remercie la
vie du peu qu’elle a. »
L’ÉDUCATION, LE VIVRE-ENSEMBLE
notamment avec des musiciens
d’Afrique, un continent où la musique est une valeur centrale. « La
musique, c’est se rapprocher des
oiseaux, du vent, du mystère de la
vie, de la vibration de la planète.
Quand Ballaké [Sissoko] joue de la
kora, il exprime la force de la vie.
Malik [le flûtiste Magic Malik] racontait tout à l’heure à ses étudiants à La Courneuve que, lui, il
fait de la musique avant tout pour
progresser intérieurement. Je le
pense également, et c’est une progression sans fin. Il y a quelques
mois, à Lyon, je demandais à un
chauffeur de taxi ce qu’il écoutait
comme musique. Il m’a répondu
“Je n’écoute pas de musique, ça
m’éloigne de Dieu”. Je lui ai répondu qu’il y avait d’immenses
musiciens, compositeurs et poètes
(Messiaen, Bach, Hafez…) qui, au
contraire, disaient se rapprocher
de Dieu à travers la musique ou la
poésie. »
Ce qui coince, c’est le rapport au
corps, à la sensualité, au divertissement, à la jouissance, poursuit
Keyvan Chemirani. Car la musique, c’est du plaisir et de l’émotion. La chanteuse française
Blondino, 29 ans, dont le premier
album sortira en janvier 2016,
cite Nietzsche : « Sans la musique,
la vie serait une erreur, une besogne éreintante, un exil. » Akhenaton témoigne : « Quand j’écoute la
chanson d’Erykah Badu Love of
My Life, j’ai l’impression que le
morceau s’adresse à moi. La musique, c’est ça pour moi, l’amour de
La musique est centrale, la musique est fragile. La diversité des
styles et des formes, sa transversalité fait la force de cet art majeur, mais elles la segmentent.
L’attentat du Bataclan a aussi
cherché à scinder. La communauté rap ne décolère pas après
les propos tenus sur France Inter,
lundi 15 au matin, par le député
socialiste Malek Boutih, ex-président de SOS Racisme : « Je suis devenu républicain parce qu’en bas
de chez moi, j’avais une bibliothèque, pas une salle de rap. » Akhenaton réagit, étonné. « Quand je
regarde tout ce que le rap m’a apporté, c’est le chemin inverse. Pour
moi, heureusement qu’il y a eu des
salles de rap, je m’y suis fait mes
premiers amis, j’y ai connu mes
premières amours d’adolescent. Et
ce qui s’est passé vendredi 13, cette
situation, on l’explique depuis
vingt ans dans nos textes. » En
vain ? Le rap ne dirait rien sur la
« Dans la religion
musulmane,
l’appel à la prière
est un chant
d’une beauté très
émouvante… »
KEYVAN CHEMINARI
percussionniste
société ? « Je ne suis même plus en
colère, je ressens beaucoup de tristesse. »
L’éducation, le vivre-ensemble
passent par la musique, qui peut
agir comme un ciment et un moteur. « La musique a disparu de la
cité, regrette Vincent Ségal, alors
qu’elle devrait être présente dans
la vie de tous les jours, pas seulement enfermée dans les salles de
concerts. Elle devrait s’exprimer
partout, dans la rue, le métro, à
l’hôpital, à l’école. » Le musicien et
compositeur Titi Robin, spécialiste du monde méditerranéen né
dans le Maine-et-Loire, va plus
loin : « Au-delà de l’idéologie qui
manipule ces gens-là, je pense que
ceux qui sont convaincus et passent à la violence sont des individus qui n’ont pas les moyens d’exprimer ce qu’ils ressentent. Ils sont
comme dans une prison. Ce sont
des gens coupés de la musique, du
chant, de la danse, de la parole,
hermétiques au partage. Cet isolement est un poison qui peut déboucher sur la folie, la violence
barbare. »
Laissons la conclusion à Jordi
Savall : « Je ne crois pas pour
autant que la riposte passe par les
armes. En utilisant les mêmes méthodes, nous entraînons le cercle
de la violence. Il faut, au contraire,
nous désarmer culturellement. Je
ne suis pas un combattant. Je suis
pour le dialogue, l’amour. Je suis
pour la beauté. Nous n’avons pas
réussi à faire aimer notre pays. Il
faut désormais aider ces enfants,
ces jeunes à aimer la culture qui les
a accueillis. La question de l’éducation et de la culture, dont la place
reste très insuffisante, est
aujourd’hui plus que jamais urgente et primordiale. » p
stéphanie binet,
stéphane davet, patrick
labesse, francis marmande,
véronique mortaigne, marieaude roux, sylvain siclier
P
ersonnage majeur de la
scène pop anglaise depuis
vingt ans, au sein de groupes comme Blur ou Gorillaz, Damon Albarn avait accepté de réagir
aux attentats parisiens du vendredi 13 novembre. Mais lorsqu’il
nous répond au téléphone depuis
Londres, vendredi 20 novembre,
l’hôtel Radisson à Bamako est victime d’une attaque terroriste. Ce
Londonien a tissé depuis longtemps des liens forts avec des musiciens africains, en particulier maliens, à travers des projets comme
Mali Music ou Africa Express.
Après Paris, c’est Bamako, que
vous connaissez bien, qui connaît une attaque terroriste…
J’ai été bouleversé par ce qui s’est
passé au Bataclan. Un de mes amis
très proches a quitté la salle dix minutes avant l’attaque. Je ne peux
pas croire que cela arrive de nouveau à Bamako. Paris se relèvera de
cette épreuve, en sortira encore
plus forte, mais l’économie est si
fragile à Bamako que ce genre
d’événement peut avoir de graves
conséquences sur la vie des gens.
Je vais retourner en janvier donner
des concerts à Bamako avec Africa
Express. Le monde de la musique
peut faire beaucoup pour le Mali.
Je ne suis rien tout seul, mais je fais
partie d’une très grande famille.
Notre réseau s’étend dans toutes
les villes, tous les villages. La résistance est là, ils ne pourront jamais
nous rayer de la carte.
Vous sentez-vous particulièrement ému par le fait que la musique et les amoureux de musique ont été visés à Paris ?
Quand Bono [le chanteur du
groupe U2] dit que c’est la première
fois qu’on attaque la musique, il dit
des conneries. La musique est une
cible privilégiée de cette secte de
l’islam. Un de nos grands problèmes est de ne ressentir vraiment
les choses que quand elles arrivent
chez nous. Mais la vérité est que les
attaques terroristes comme celles
qui ont frappé Paris sont le quotidien de Tripoli, de Damas, de Beyrouth ou de Bagdad.
Ces événements vous font-ils
d’autant plus prendre conscience
de la valeur de la musique ?
Je ne crois pas en la vengeance. Je
supplie tous ceux tentés par un esprit de revanche d’y renoncer. Ce
ne sont pas de nouveaux bombardements qui guériront cette maladie mentale qu’est le terrorisme. Il
faut réfléchir plus profondément à
la raison pour laquelle de jeunes
gens se laissent laver le cerveau
pour devenir des kamikazes, réfléchir à leur vide, à leur colère. Comment en arrivent-ils à penser
qu’un acte pareil est justifiable ?
J’ai tellement de pitié pour eux.
Mais, quelles que soient l’absurdité et l’atrocité de leur comportement, la réponse ne peut pas être
une surenchère de violence. Je me
suis senti beaucoup d’affinités
avec les Français en 2003, quand
vous avez refusé de participer à la
guerre en Irak. Mais, aujourd’hui,
Hollande commence à se comporter comme Bush. On ne peut pas
éliminer ce genre de problème par
la force. Cette violence finira par se
retourner contre nous, peut-être
pas demain, pas dans un an, mais
dans dix ans.
Quel rôle les musiciens peuventils jouer ?
Notre responsabilité est d’essayer de soigner cela à notre façon. La musique ne prêche pas la
violence, elle ne hait personne.
Elle est méditation. La musique
est une religion que tout le monde
peut partager. Une réponse, plus
juste que les balles, à ceux qui pensent que leur culture et la nôtre ne
peuvent coexister. Pour un musicien, le plus bel acte de résistance
est de toucher le cœur des gens.
Pas de leur tirer dessus. Même sur
des terroristes. p
propos recueillis par s. d.
24 | culture
0123
MARDI 24 NOVEMBRE 2015
Joe Hill renaît au cinéma
Le beau film de Bo Widerberg, portrait composite de cette figure de la lutte ouvrière aux Etats-unis, ressort en salles
CINÉMA
S
ur une scène de Woodstock, en 1969, Joan Baez
chantait : « J’ai rêvé que je
voyais Joe Hill la nuit dernière/Vivant comme vous et moi./
Je lui dis “Mais Joe, tu es mort il y a
dix ans”/Il me dit “Je ne suis jamais mort”. »
Cela faisait en réalité plus de
cinquante ans que Joe Hill était
mort. Le poète-chanteur-vagabond suédois, devenu l’une des
plus belles voix de la lutte
ouvrière aux Etats-Unis, avait été
fusillé dans l’Utah en 1915, au
terme d’un procès pour meurtre
peu soucieux de justice. Mais il
n’est pas étonnant qu’en rêve,
Joan Baez, engagée bouillonnante, ait vu son frère d’armes
Joe Hill plus proche dans le
temps.
Elle n’était pas la seule. A quelques semaines de là, le réalisateur
suédois Bo Widerberg arrivait à
New York sur les traces de son
compatriote pour lui consacrer
son premier film américain.
Jouissant d’une visibilité internationale depuis 1967 et le prix d’interprétation féminine cannois de
Pia Degermark pour Elvira Madigan, le cinéaste n’avait cependant
pas attendu l’invitation de la Paramount pour s’intéresser aux revendications ouvrières. Avant Joe
Hill il y avait eu Le Quartier du Corbeau (1963) et son portrait douxamer d’une jeunesse entravée
dans une ville portuaire misérable, puis Ådalen’31 (1969), fiction
lyrique et pleine de rage inspirée
par une grève de dockers réprimée dans le sang.
Pourtant, il fallait que Joe Hill ait
en effet la vie dure pour que ce
Les Parisiens sont retournés au cinéma
Samedi 21 et dimanche 22 novembre, les salles de cinéma de
Paris et de sa périphérie ont retrouvé une fréquentation presque
normale. Le week-end précédent avait été marqué par l’effondrement du nombre de spectateurs. Ils étaient à peine 71 000 au
lendemain des attentats, alors que les grands circuits avaient
décidé de fermer leurs salles de Paris intra-muros, 112 000 le dimanche. Le samedi suivant, ils ont été trois fois plus nombreux :
il s’est vendu 217 000 places le 21 novembre, et 215 000 le lendemain. Deux grosses productions à capitaux hollywoodiens
ont dominé le marché : Spectre, qui, en deuxième semaine d’exploitation, a attiré plus de 191 000 spectateurs, et le dernier volet
de la série Hunger Games, avec 182 000 entrées, selon les données réunies par Ciné-chiffres. Parmi les nouveautés, le premier film français est L’Hermine, avec 66 000 entrées.
projet si évident puisse aboutir.
Cofondatrice de la belle maison
d’édition Malavida, Anne-Laure
Brénéol, qui connaît son Widerberg sur le bout des ongles, raconte le tournage de Joe Hill
comme un parcours du combattant. Arrivant à New York, tout à la
joie de reconstituer l’Amérique du
début du siècle (Joe Hill débarque
à Ellis Island en 1902), Widerberg
se heurte à l’hostilité ou plutôt à
l’opportunisme des habitants qui,
pour tirer profit de la situation (la
crise du crédit gangrène l’activité
économique depuis 1966), s’appliquent à baisser leurs stores vénitiens dans les rues transformées pour le tournage, jusqu’à ce
que quelques billets opportunément tendus ne libèrent le décor
de ces anachronismes.
Vagabondage
Perdant un temps précieux à courir après les caméras volées et les
apprentis maîtres-chanteurs qui
brandissent des miroirs pour en-
L’interprétation
passionnée
mais naturelle
de Thommy
Berggren n’a pas
pris une ride
voyer le soleil se refléter sur l’objectif, l’équipe de Widerberg, mal
soutenue par la Paramount,
prend du retard. Le studio bat en
retraite, Widerberg également, et
le cinéaste rentre en Suède avec
des rushes insuffisants et la conviction que l’histoire s’arrêtera là.
Séduit presque malgré lui par la
beauté des images douloureusement glanées en Amérique, il reprend pourtant le tournage en
Suède et l’achève. Le film sort et
remporte le prix spécial du jury à
Cannes en 1971, mais Widerberg,
que Joe Hill semble avoir vidé de
sa sève, ne tournera plus que
cinq films dans les vingt années
qui suivront.
Joe Hill nous revient en cet
automne 2015 où l’on célébrait, le
19 novembre dernier, les cent ans
de son exécution. A le voir
aujourd’hui, on croirait en effet
que Joe est mort il y a dix ans, que
le film est tout jeune. Sa vie itinérante n’a pas laissé grand-chose
aux historiens qui se sont penchés dessus. Dans son méticuleux
et précieux ouvrage Joe Hill,
Bread, Roses and Songs, Franklin
Rosemont, spécialiste de la culture ouvrière américaine, tente, à
défaut de combler les vides, de
faire la part du mythe et de la réalité : c’est l’histoire du mouvement qui peint Joe Hill, plutôt que
Joe Hill qui chante le mouvement.
Widerberg fait l’inverse : à son
héros vagabond, il offre le vagabondage fait film. Non que Joe
Hill s’affranchisse de précision
historique : toujours rigoureux
sur ce point, Widerberg met en
scène le peu que l’on sait, mais
sans vraiment chercher à combler les manques. Son film est
une surimpression de différents
visages : faussement insouciant
dans une séquence quasi burlesque de « pêche à la poule », où il
évoque plutôt le « chanteur vagabond » de Charles Trenet dans Je
chante que le fantôme bravache
de Joan Baez, héros tragique, artiste engagé, roi aux pieds nus,
c’est un personnage extraordinaire que le film dessine, et l’interprétation passionnée mais naturelle de Thommy Berggren n’a
pas pris une ride. Le cinéma de
Widerberg non plus.
Les blancs dans l’Histoire lui inspirent un film à la gloire de l’ellipse, d’une beauté intemporelle :
c’est le cinéma libre au service de
la liberté d’un homme, la forme,
légère mais jamais lâche, au service d’un art de vivre envers et
contre tout, heureux. Bienvenue,
Joe Hill, en cet automne 2015. « Il
faut plus que des balles pour tuer
un homme », chante encore Joan
Baez : nous avons rarement eu
autant besoin de l’entendre et de
le voir. p
noémie luciani
L’HISTOIRE DU JOUR
A Strasbourg, au lycée,
la violence monte sur scène
I
ls sont une cinquantaine, des filles et des garçons de 17 et
18 ans, assis dans un amphithéâtre où Louis Pasteur a mené
ses premières expériences. Mais, ce jeudi 19 novembre, ils ne
suivent pas un cours. Ils assistent à une pièce de théâtre, Déter, de
Baptiste Amann, donnée dans le lycée professionnel Oberlin, à
Strasbourg. Des professeurs et le proviseur sont également dans
la salle, où un bureau tient lieu de décor. C’est celui de la directrice d’une école maternelle, qui a convoqué les parents d’un
élève. Elle est tendue, elle a peu d’expérience et ne sait pas comment s’y prendre pour annoncer la nouvelle : le fils du couple,
âgé de 5 ans, a planté un crayon dans l’abdomen d’un de ses camarades, qui a dû être hospitalisé.
Acte de violence, ou accident ? Comment comprendre, réagir ?
Entre la directrice et les parents, très vite, le ton monte… Mais ça
veut dire quoi, « déter » ? « C’est quand on veut absolument parler.
On dit qu’on est “déter” », explique une jeune fille après la représentation, d’excellente tenue, qui ouvre un débat entre le metteur en scène (Rémy Barché), les comédiens (Natalie Beder, Séphora
Pondi, Samuel Réhault), les élèves et
LE VIVRE-ENSEMles représentants du Théâtre national
de Strasbourg, qui ont organisé l’opéBLE QUI EST AU CŒUR ration avec le Théâtre national de la
à Paris, et la Comédie de
DE « DÉTER », LA PIÈCE Colline,
Reims. Les trois théâtres ont comDE BAPTISTE AMANN, mandé la pièce, et demandé à Rémy
Barché de la présenter dans des lycées,
RENVOIE LES ÉLÈVES
souvent professionnels ou classés en
ZEP (zones d’éducation prioritaires)
À LEUR QUOTIDIEN
de leurs trois villes, où ils mènent un
travail avec les élèves.
Déterminisme social, préjugés, violence
Selon les endroits, les réactions diffèrent. A Paris, où Déter a été
jouée avant Reims et Strasbourg, c’est le déterminisme social qui
était mis en avant par les lycéens dans les débats. A Strasbourg, ce
sont les préjugés et la violence. Un élève parle du racisme : dans la
pièce, la directrice fait remarquer que l’enfant incriminé est
« mat ». Une autre élève évoque un fait divers datant de quelques
jours : dans le Haut-Rhin, un adolescent a tué un de ses camarades, dans un bus scolaire, avec une arme prise à son père.
Le vivre-ensemble qui est au cœur de la pièce, subtile, de Baptiste Amann, renvoie les élèves à leur quotidien. Mais ce n’est pas
d’eux qu’ils parlent, par pudeur sans doute : ils préfèrent en rester aux personnages de Déter. Pour la plupart, les filles présentes
se préparent au service à la personne, en plein développement, et
les garçons, à la vente. Ils sont issus de différentes nationalités, ils
vivent à Strasbourg ou dans la banlieue. Le théâtre leur offre un
espace de réflexion et de parole bienvenu. Ils ont hâte, d’ailleurs,
de connaître la suite de Déter, que l’auteur envisage d’écrire, et
qui mettra en scène les parents de l’enfant incriminé, face à un
psychologue. p
brigitte salino
styles | 25
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MARDI 24 NOVEMBRE 2015
hervé van der
straeten,
le temps du
raffinement
Dans son atelier
de Bagnolet, entouré
de parcheminiers
et de bronziers,
le designer français crée
des objets sculpturaux,
ciselés et surprenants
DESIGN
A
u Pavillon des arts et du
design, à Londres, mi-octobre, on l’avait trouvé
lisse, nerveux, sophistiqué. Le voici chaleureux, décontracté, presque bavard, un mois plus
tard, chez lui, dans son atelier de Bagnolet (Seine-Saint-Denis) – labellisé depuis 2007 « Entreprise du patrimoine vivant » pour l’excellence
de ses savoir-faire artisanaux. Le designer Hervé Van der Straeten est,
comme ses œuvres, subtilement
changeant, selon l’angle sous lequel
on le découvre. A 50 ans – dont
trente ans de création –, il a ainsi
trouvé le moyen de ne jamais lasser.
Depuis 1985, ce designer de bijoux
et de meubles dessine d’un trait des
objets élégants, sculpturaux, quoique dotés d’un « twist » particulier.
Le flacon du célèbre parfum J’adore
de Dior ? C’est une amphore née
d’un seul coup de crayon, avec ce
long cou qui interroge, surprend et
séduit (mais où se cache donc le vaporisateur ?). Ses gracieux miroirs
ronds ou elliptiques finissent hérissés de pliages, de formes en 3D au
travers desquelles joue la lumière.
L’une de ses consoles les plus célèbres, posée sur des pièces en équilibre, semble tenir par magie. Tout
est décalé, en léger porte-à-faux.
Sans compter le mariage inédit de la
Hervé Van der Straeten est assis
sur sa banquette Jet Lag. Derrière
lui, le miroir Tumulte. JO MAGREAN
géométrie et des courbes, du velouté d’un daim et du lisse d’un laiton, de teintes sourdes et de traits
de couleur brute (du bleu Klein cette
saison), qui interviennent « comme
un filet de vinaigre pour relever une
recette », précise l’homme, également cuistot hors pair.
« Un logiciel 3D dans la tête »
« Mes maîtres sont l’ébéniste du roi
Louis XIV, André-Charles Boulle, les
figures de l’Art déco – Armand-Albert
Rateau, Jacques-Emile Ruhlmann, Eileen Gray… – et l’art contemporain,
dans lequel je puise la liberté de penser et de concevoir », résume Hervé
Van der Straeten, à quelques jours
de sa dixième exposition personnelle, baptisée « Emergence ». Cette
fois encore, il veut surprendre. D’ordinaire, il dessine les objets sous
toutes les coutures – « C’est comme
si j’avais un logiciel 3D dans la
tête » –, puis recherche les matières
qui les magnifient. « Je suis parti des
matériaux bruts – parchemin poilu,
pierres amalgamées et sédimentées
ensemble, bois veinés ou loupes – et
j’ai inventé les formes qui subliment
l’œuvre de la nature en même temps
que le savoir-faire en bronze et ébénisterie de mes ateliers », dit-il.
A Bagnolet, à quelques jours du
vernissage, tout ce petit monde
s’agite. Sous un préau, quatre artisans accrochent des pampilles à un
« JE DESSINE À LA MAIN,
SANS CALCULETTE POSÉE
À CÔTÉ DE MOI. JE NE
PENSE PAS À UN PROFIL
DE CLIENT, MAIS À MOI,
ASSEZ ÉGOÏSTEMENT »
lustre de bronze géant. A l’intérieur
de l’atelier, un bronzier applique au
pinceau une patine à chaud, un parcheminier fixe des peaux aux différents tons de craie sur un meuble,
tandis qu’un ébéniste cire délicatement une armoire insensée en marqueterie de loupe, de bois de violette, d’olivier, d’ébène ou de palissandre des Indes. Chaque essence a
été découpée en tranches, puis reportée sur le meuble en placage, selon un savant dessin rose, orangé,
vert…
Hervé Van der Straeten, marié à
Bruno Frisoni, le directeur artistique de la griffe Roger Vivier, vit
dans un monde raffiné qu’il s’est
choisi. Ses miroirs et consoles trônent dans les boutiques du chausseur et maroquinier de luxe, rue du
Faubourg-Saint-Honoré, à Paris,
Londres ou Hongkong. D’autres de
ses créations ont pris place dans la
galerie new-yorkaise Ralph Pucci
International, ou dans les intérieurs
léchés d’esthètes de tous pays. Sept
ou huit pièces sont même entrées
dans les collections du Mobilier national, qui fournit les meubles et
objets décoratifs de l’Etat français
depuis le XVIIe siècle.
Quête de perfection
Dès l’adolescence, soutenu par
« une vision très claire », le jeune
homme sait qu’il veut vivre dans la
Ville Lumière – il est né à Brétignysur-Orge (Essonne) – et créer du
mobilier. Après un bac de dessin industriel, il s’oriente vers les BeauxArts, à Paris. Quelques bijoux plus
tard – de ces formes simples, graphiques, à l’impact visuel si fort
qu’ils rencontrent un succès immédiat auprès des étudiantes –, il arrête ses études pour s’installer à
son compte. En 1985, il possède déjà
sa petite fabrique de métal, tandis
que ses bijoux défilent sur les podiums de Christian Lacroix ou Martine Sitbon. En 1990, ses créations
prennent de l’ampleur, enflent…
jusqu’à devenir miroirs – façon camées – ou lustres – façon pendentifs XXL. Deux ans plus tard, Liberty
Gallery expose son travail à Londres. En 1999, il ouvre sa propre galerie dans le Marais et réalise ses
premières pièces de mobilier.
Au départ, ses amis le pensaient
farfelu. « A qui vas-tu vendre ces lustres de 2 mètres de hauteur, ces finitions trop poussées, ces armoires
ouvragées jusque dans leur dos que
l’on ne voit pas ? », lui disait-t-on devant sa quête de perfection, frôlant
une préciosité qui n’était plus de
mode. Aujourd’hui, alors que le baroque est redevenu fréquentable,
on loue ses choix de designer excentrique chic. Hervé Van der Straeten a mis deux ans et quelques
mois pour élaborer sa paire d’armoires en marqueterie de différentes essences. Son travail, presque
devenu anachronique, est donc follement recherché à une époque où
le temps est devenu l’ultime luxe.
« Je dessine à la main, sans calculette posée à côté de moi. Je ne pense
pas à un profil de client, mais à moi,
assez égoïstement. Je suis dans une
dynamique de plaisir, et je suis persuadé que les amoureux des pièces
très bien faites ressentent ce plaisir
que l’on a eu à les créer », lâche le designer. Aujourd’hui, Hervé Van der
Straeten rêve de bâtir une maison
de A à Z. On l’imagine déjà… graphique et décorative, comme ses meubles bijoux. p
véronique lorelle
Emergence, galerie Van der Straeten,
11, rue Ferdinand-Duval, 75004 Paris.
Jusqu’au 19 avril 2016.
L’utopie intérieure de Chandigarh
La cité indienne fut le projet phare de Le Corbusier mais… c’est Pierre Jeanneret qui en dessina les meubles. Des pièces en vente chez Artcurial
M
ardi 1er décembre, à Paris, la maison de vente
aux enchères Artcurial
dispersera 18 pièces de mobilier
provenant de Chandigarh, la ville
indienne bâtie par Le Corbusier
dans les années 1950 – et son seul
projet urbain de grande ampleur.
Ces meubles, de plus en plus rares,
sont les témoins d’une des dernières utopies du XXe siècle.
Chandigarh est sortie de terre au
milieu des plaines du Pendjab, sur
une décision du premier ministre
Nehru (1889-1964) d’en faire « le
symbole de la libération de l’Inde et
l’expression de sa conviction pour
le futur ». Le Corbusier va s’y employer, en appliquant à l’échelle
XXL ses idées visionnaires combinant architecture, environnement et décoration intérieure. Il
trace les routes, dessine éclairages
publics et plaques d’égout, construit palais de justice, université,
Parlement, et prévoit même un
Musée de la connaissance ! Pour
prolonger l’architecture Bauhaus
de sa cité, on fabrique du mobilier
sur place. Le 7 octobre 1953, la ville
est inaugurée : Le
Corbusier coupe le
ruban rouge auprès
de Nehru.
« C’est l’ingratitude de
l’histoire : on le
connaît peu, mais
c’est Pierre Jeanneret, le cousin
de Le Corbusier, qui a supervisé la construction de Chandigarh pendant quinze ans et
a conçu tout le mobilier »,
s’enflamme Fabien Naudan,
vice-président de la maison
Artcurial. « C’est lui qui reçoit les
dessins et directives par courrier de
Le Corbusier, rentré très tôt à Paris.
Il est l’homme de l’ombre, des concessions, celui qui fait vraiment
exister le projet, nonobstant le climat, le manque de matériaux… »,
précise-t-il. Pierre Jeanneret
Pierre Jeanneret,
table de lecture
éclairante,
1963/1964, en teck,
acier et verre dépoli.
ARTCURIAL
s’éteindra en France deux ans
après son retour, à l’âge de 71 ans,
en 1967.
Un mobilier « hiérarchique »
Le mobilier qu’il a dessiné raconte
cette immersion sur le terrain, en
Inde. C’est la fusion de l’avantgarde moderniste
européenne, de
la tradition hindoue et de l’héritage
colonial britannique. « Pierre
Jeanneret a su
adapter l’esthétique moderniste : il use de bois exotiques tels le teck ou le
wengé, et, à défaut de poignées en métal, il perce les
tiroirs de fentes en biais où
il glisse une simple plaque
en aluminium. Il respecte les codes
du pays, chaque hiérarchie dans
l’administration se voyant attribuer son meuble : dossier de 1,20 m
pour le fauteuil du juge, 0,70 m
pour l’avocat. Jusqu’à la table pour
“assistant junior” dont les dimensions reflètent le statut de débutant », souligne Fabien Naudan,
qui a déjà contribué à la reconnaissance de l’œuvre de Pierre Jeanneret dans la ville indienne, par trois
ventes entièrement consacrées à
ses créations, chez Artcurial, entre
2006 et 2010.
Il n’est pas le seul à vouloir réhabiliter le cousin et plus proche
collaborateur de Le Corbusier.
« Nous souhaitons redonner à
Pierre Jeanneret la place et le rôle
de concepteur qui fut la sienne
dans la construction de cette
ville », précise la Cité de l’architecture et du patrimoine, qui expose
jusqu’au 29 février 2016, à Paris,
« Chandigarh, 50 ans après Le
Corbusier ». Le public est invité à
s’asseoir dans sept chauffeuses
basses dites « Kangourou » et sept
lits banquettes « Sharpei », dessinés par Jeanneret. Assis sur ces
copies à l’identique fabriquées en
Inde, les visiteurs regardent des
vidéos sur la cité filmée
aujourd’hui. Une des villes les
plus agréables à vivre du pays. p
v.l.
Artcurial, exposition du
vendredi 27 au lundi 30 novembre.
Vente 1er décembre. Paris 8e.
« Chandigarh, 50 ans après
Le Corbusier », Cité de l’architecture
et du patrimoine, Paris 16e. 5 €.
26 | télévisions
0123
MARDI 24 NOVEMBRE 2015
Une Libération au goût amer
VOTRE
SOIRÉE
TÉLÉ
La seconde partie de la sixième saison d’« Un village français » nous plonge au cœur d’une période qui reste trouble
M AR D I 24 N OVE M B R E
FRANCE 3
MARDI 24 – 20 H 50
SÉRIE
A
près les bombardements, c’est au tour des
rancunes d’exploser.
Des résistants sont encore abattus par les Allemands ou
leurs substituts en France, mais
en cette fin d’année 1944, à Villeneuve, le village fictif du Jura dans
lequel France 3 nous a transportés
depuis quelques années, les Américains sont en place. Reste bien
un petit groupe de miliciens pas
malins qui retiennent des otages
dans l’école et menacent de tout
faire sauter, mais eux-mêmes savent que leur fin est proche.
Haine contre haine
Un comité départemental de Libération (CDL) réunit les résistants
prêts à gérer les affaires civiles courantes (le manque criant de ravitaillement, de logements et de
structures sanitaires), et l’ancien
directeur de l’école, Jules Bériot,
passé par Lyon, Londres et Alger,
vient d’arriver, nommé préfet par
le gouvernement provisoire de la
République française (GPRF) du général de Gaulle.
Tout est à recréer, refonder, rétablir, à commencer par un Etat de
droit… alors que miliciens et résistants se retrouvent, haine contre
haine, au cœur du village, et que
Audrey Fleurot (Hortense Larcher) et Robin Renucci (Daniel Larcher). LAURENT DENIS/TMF/TERENGO/FTV 2014
peu de gens savent faire la part entre leur désir de justice et leur soif
de vengeance.
Fin 2014, les six premiers épisodes de cette saison 6, qui couvre
1944, avaient été diffusés. La résistante Marie Germain était morte ;
la femme du médecin, Hortense
Larcher, et son amant SS, Heinrich
Müller, venaient d’échapper à une
exécution…
Avec les six épisodes que
France 3 diffuse pour clore cette
saison, la Libération se vit pour
certains dans l’amertume. Même
pour un personnage comme le
docteur Larcher (Robin Renucci),
qui va petit à petit se voir traiter
de « collaborateur », notamment
pour avoir pris des responsabilités en soutien à ses concitoyens
pendant l’Occupation, accepté le
poste de maire et négocié avec
l’ennemi afin de sauver des vies.
Quant au ciment antinazi qui, les
derniers temps, tenait les mouvements de résistants entre eux, il va
s’effriter, sous le coup des « nécessités » du pragmatisme, du réalisme politique ou de l’opportunisme. A ce titre est exemplaire
l’évolution du personnage de l’ancien et discret directeur d’école, Bé-
riot. Devenu préfet et représentant
le général de Gaulle à Villeneuve, il
va promettre puis se dédire plus
d’une fois, manœuvrer pour décrédibiliser toute candidature
communiste à venir au poste de
maire et se positionner comme
candidat « naturel », lorsque le
temps des élections sera venu.
En dépit de retrouvailles scénaristiques très opportunes, voire
peu crédibles, entre personnages
ou couples que la guerre avait séparés, « Un village français » reste
le modèle de série du service public qu’elle a su être dès ses débuts.
Une dernière saison est en cours
de préparation, autour de l’épuration. Couvrant la période de novembre à Noël 1945, elle devrait
permettre, grâce à des retours en
arrière, de voir ressurgir des personnages décédés, ou d’en découvrir d’autres dans le contexte de
l’avant-guerre, et ainsi mieux cerner leur personnalité et leurs
choix en temps de crise. Telle la
rencontre entre le médecin Daniel Larcher et sa femme Hortense… p
martine delahaye
« Un village français », saison 6,
série de Frédéric Krivine, Philippe
Triboit et Emmanuel Daucé. Avec
François Loriquet, Robin Renucci,
Audrey Fleurot, Thierry Godard,
Emmanuelle Bach, Marie Kremer
(France, 2015, 6 x 52 minutes).
Un documentaire sur le long et difficile parcours intime et judiciaire des victimes de violences conjugales
P
our Me Tomasini et Bonaggiunta, le déclic eut lieu le
9 juillet 2010, lorsque fut
adoptée la loi visant à prévenir les
violences faites aux femmes au
sein de leur couple et à protéger les
victimes. Quelques mois plus tard,
les deux avocates, jusqu’alors versées dans le droit des affaires,
ouvraient un cabinet spécialisé
dans la défense de femmes victimes de violences conjugales.
Après avoir médiatisé leur combat
lors de l’affaire Alexandra Lange
(du nom de cette jeune femme qui,
à la suite de maltraitances, tua son
mari avant d’être acquittée), afin
d’aider une fois encore d’autres
femmes à sortir du silence, les
deux avocates recommencent
aujourd’hui devant la caméra de
Xavier Deleu. Durant six mois, elles ont ouvert les portes de leur cabinet au réalisateur qui les a suivies dans leur quotidien et celui de
cinq de leurs clientes dont les procédures sont en cours.
Grâce à quoi, entremêlant par-
cours intime et judiciaire, Xavier
Deleu met en évidence, après leur
sortie de l’enfer, les différents combats qu’elles doivent encore mener. Que ce soit pour se faire entendre parfois non sans mal de la police ; pour conserver la garde de
leurs enfants, à l’image de cette secrétaire médicale accusée de mauvais traitement pas son ex-compagnon ; pour supporter (ce n’est qui
n’est dit que trop rarement) le coût
financier de procédure longue et
d’autant plus douloureuse qu’elles
ravivent la peur, les blessures et le
cauchemar ; et, bien sûr, pour
France 2
20.55 Les Sentinelles du climat
Documentaire de Pierre-François
Glaymann (Fr., 2015, 90 min).
22.25 On commence quand ?
Documentaire d’Emmanuel Réau
(Fr., 2015, 85 min).
France 3
20.50 Un village français
Série créée Frédéric Krivine,
Philippe Triboit et Emmanuel Daucé
(Fr., S6, ép. 7 et 8/12).
23.20 Résistants/collabos,
une lutte à mort
Documentaire de Franck Mazuet et
Christophe Weber (Fr., 2014, 70 min).
Canal+
20.55 The Search
Drame de Michel Hazanavicius.
Avec Bérénice Bejo
(Fr.-Géorg., 2014, 130 min).
23.05 Terrain de chasse
Documentaire de Kirby Dick
(EU, 2015, 105 min).
France 5
20.40 « Au nom des femmes »
Soirée spéciale sur les violences
conjugales. (120 mn).
22.40 C dans l’air
Magazine animé par Yves Calvi.
Femmes battues, la vie après les coups
FRANCE 5
MARDI 24 – 20 H 40
DOCUMENTAIRE
TF1
20.55 Mentalist
Série créée par Bruno Heller.
Avec Simon Baker, Robin Tunney,
Aubrey Deeker (EU, S7, ép. 13/13 ;
S6, ép. 6, 7 et 8/22).
0.25 Les Experts : Miami
Série créée par Ann Donahue,
Anthony E. Zuiker et Carol
Mendelsohn (EU, S10, ép. 9, 11/19 ;
S7, ép. 4/25).
qu’enfin justice leur soit rendue.
Avant qu’à bout, elles ne la rendent
elle-même, ainsi que le confie Stéphanie, seule à témoigner ici à visage couvert. Et pour cause.
Après avoir vécu pendant sept
ans auprès d’un délinquant multirécidiviste, en 2012, la jeune
femme s’enfuit de chez elle avec
ses deux enfants. Malgré les plaintes, Stéphanie vit toujours, trois
ans plus tard, sous la menace quotidienne de son ex-compagnon
qui, bien qu’en détention provisoire, continue de lui adresser par
téléphone des messages de mort.
Cinq ans après la mise en place
d’un arsenal juridique conséquent, l’application de la loi de
2010, reste problématique ainsi
que le démontre ce film aussi édifiant que glaçant. Outre ce documentaire suivi d’un débat, France 5
mobilisera toute la journée son
antenne sur le sujet et ouvre une
plateforme de témoignages sur
Francetv.fr/violencesconjugales. p
christine rousseau
Arte
20.55 Climat, pour quelques
de degrés de moins
Documentaire
d’Alexis Barbier-Bouvier,
Thierry Robert et Elena Sender
(Fr., 2015, 90 min).
22.40 Nos chers paradis
Documentaire de Blandine Grosjean
et Emmanuel Roy (Fr., 2015, 55 min).
M6
20.55 La France
a un incroyable talent
Divertissement présenté
par Alex Goude.
Violences conjugales, au nom
des femmes, de Xavier Deleu
(Fr., 2015, 60 min).
0123 est édité par la Société éditrice
HORIZONTALEMENT
GRILLE N° 15 - 277
PAR PHILIPPE DUPUIS
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12
I
II
III
IV
V
VI
VII
I. Beaucoup d’éclats et de bruit souvent pour rien. II. Sans la moindre
connaissance. Grande assemblée de
cardinaux. III. Belle in pour un homard. Enrichi pour faire le plein
d’énergie. IV. Venus du Liban, de Syrie
et d’Israël. Faciles à franchir d’un pas.
V. Met le feu aux organes. Interpelle
discrètement. Mou mais précieux.
VI. Démonstratif. Belle et grande de
Normandie. Cercle poétique.
VII. Pleins d’ardeur dans l’efort. A
trouvé un siège. VIII. Passas le temps.
Souverain disparu. Fait tomber les
têtes sur le tapis. IX. Vit au large. Opposition brutale. X. Portées en tête
par de belles dames.
du « Monde » SA
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à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 94.610.348,70 ¤.
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SUDOKU
N°15-277
VERTICALEMENT
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 15 - 276
HORIZONTALEMENT I. Scaphandrier. II. Carrelée. Nue. III. Urgentiste.
IV. Rigaudon. V. Punaiserai. VI. Titi. Tum. Thé. VII. Resalées. VIII. Ivrée.
ENA. Rt. IX. Cierge. Loi. X. Enseignement.
VERTICALEMENT 1. Sculptrice. 2. Car. Ui. Vin. 3. Argentures. 4. Pré. Ai.
Ere. 5. Henri. Régi. 6. Altiste. Eg. 7. Neigeuse. 8. Désarmante. 9. Tua. La.
10. Inédite. Le. 11. Eu. Héron. 12. Réinvestit.
1. A toujours un compte à régler.
2. Que l’on aura beaucoup de mal à
saisir. 3. Fait des dégâts bombe en
main. Exécrer. 4. S’aichent au
kiosque. Faire entrer avec diiculté.
5. Chez les Grecs. Ferme la porte. Tout
un spectacle à Tokyo. 6. Troublassent
les cœurs sensibles. 7. Liaisons franciliennes. La Reine morte. 8. Noble à
coups de poings. Corrompu. 9. Indication à suivre par le chef. Ecole publique. 10. Maman d’Horus. Sur la
portée. En travers. 11. Se bat pour
maintenir la paix. Au couvent mais
pas dans les ordres. 12. En grandes
quantités.
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sans l’accord de l’administration. Commission
paritaire des publications et agences de presse
n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037
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UN HÉRO
ASTÉRIX
L’IRRÉDUCTIBLE
Un hors-série du « Monde »
Astérixtible
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0123 | 27
0123
MARDI 24 NOVEMBRE 2015
Climat d’insécurité
C’
était bien évidemment la question
piège. Samedi 14 novembre, sur la chaîne
de télévision CBS, l’animateur du
débat entre les prétendants à l’investiture démocrate pour l’élection présidentielle américaine a
demandé à Bernie Sanders s’il
pensait toujours que le changement climatique était « la menace
la plus importante pour la sécurité
des Etats-Unis », comme il l’avait
déclaré quelques semaines auparavant. La question est presque
rhétorique. La veille, Paris était ensanglantée par des attaques terroristes d’une brutalité inédite en
France. L’« urgence climatique »
semble reléguée, depuis, à une
question vaguement subsidiaire.
M. Sanders a pourtant répondu
qu’il maintenait « absolument »
son opinion. « En fait, le changement climatique est directement lié
à l’augmentation de la menace terroriste (…), a-t-il expliqué. Si nous
n’écoutons pas ce que les scientifiques nous disent, nous allons voir
des pays tout autour du monde –
c’est ce que dit la CIA – se battre
pour l’accès à l’eau, pour l’accès aux
terres arables, et nous verrons surgir toutes sortes de conflits. »
Certitude incommodante
Tirer un lien entre sécurité et
changement climatique en fait
sourire certains. Ce lien est pourtant une certitude, et une certitude suffisamment incommodante pour être systématiquement oubliée et régulièrement redécouverte.
En mars 2008, le haut représentant de l’Union européenne pour
les affaires étrangères et la politique de sécurité transmettait aux
Etats membres un rapport sans
ambiguïté sur le sujet. Sept ans
après sa rédaction, force est de
constater son caractère prémonitoire. Le texte estimait que le réchauffement agit comme un
« multiplicateur de menaces » dans
des zones déjà traversées par des
tensions sociales, politiques, religieuses ou ethniques.
« Les changements climatiques
risquent d’avoir, à l’avenir, des incidences sur la stabilité sociale et politique au Proche-Orient et en Afrique du Nord », détaillait le rapport,
qui pointait « les tensions liées à la
gestion des ressources hydriques de
la vallée du Jourdain et du bassin
du Tigre et de l’Euphrate, qui se raréfient » et l’aggravation de ces tensions par l’augmentation des températures.
Il mettait aussi l’accent sur « une
augmentation sensible de la population du Maghreb et du Sahel » au
cours des prochaines années qui,
combinée au changement climatique et à la diminution des surfaces
agricoles, pourrait entraîner une
« déstabilisation politique » et « accroître les pressions migratoires ».
Même alerte sur le Yémen.
De manière troublante, presque
toutes les zones identifiées
en 2008 comme les plus sensibles
au réchauffement – de la Mésopotamie au Levant en passant par le
Yémen, le Sahel et l’Afrique du
Nord – ont basculé sept ans plus
tard dans l’instabilité ou le chaos,
chaos dont les attentats de Paris
sont le monstrueux rejeton.
Le cas syrien, en particulier, a fait
l’objet de plusieurs travaux, cherchant la part prise par le climat
dans la situation actuelle. Fran-
QUAND LA QUANTITÉ
DE PLANCTON
BAISSE DE 10 %,
LE NOMBRE D’ACTES
DE PIRATERIE
AUGMENTE D’AUTANT
LE RÉCHAUFFEMENT
AGIT COMME UN
« MULTIPLICATEUR DE
MENACES » DANS
DES ZONES DÉJÀ
TRAVERSÉES PAR DES
TENSIONS POLITIQUES,
SOCIALES, ETHNIQUES
OU RELIGIEUSES
cesca de Châtel (université Radboud de Nimègue, aux Pays-Bas),
spécialiste des questions de gestion de l’eau au Proche-Orient, en a
livré une chronique saisissante,
publiée en janvier 2014 dans la revue Middle Eastern Studies. Le scénario combine un cauchemar environnemental à une incurie à peu
près totale du gouvernement syrien dans la gestion de ses conséquences.
Entre 2007 et 2010, favorisée par
le réchauffement en cours, une sécheresse d’une sévérité jamais vue
depuis le début des relevés météorologiques s’installe sur la région.
Les Nations unies estiment que
1,3 million de Syriens en sont affectés. En 2008, pour la première fois
de son histoire, la Syrie doit importer du blé. L’année suivante,
plus de 300 000 agriculteurs désertent le nord-est du pays faute
de pouvoir poursuivre leur activité. Car non seulement il ne pleut
pas, mais un grand nombre de
nappes phréatiques, surexploitées
depuis les années 1980, sont à
sec… En 2010, 17 % de la population
syrienne est en situation d’insécurité alimentaire.
Bien sûr, les déterminants envi­
ronnementaux n’invalident nulle­
ment les autres – religieux, politi­
ques, ethniques, etc. –, habituelle­
ment mis en avant. Mais leur rôle
est clair : comment penser que la
destruction partielle de la production primaire d’un pays puisse être
sans effet aucun sur sa stabilité et
la sécurité de ses voisins ?
Grilles de lecture
Dans une étude publiée en mai
dans Journal of Development Economics, Matthias Flückiger et
Markus Ludwig, de l’université de
Bâle, en Suisse, donnent une illustration extraordinaire de ce lien
entre environnement et sécurité.
Les deux économistes ont analysé
les données relatives aux actes de
piraterie au large d’une centaine
de pays, et à l’abondance de plancton dans les mêmes eaux. Selon
leurs calculs, lorsque la quantité de
plancton baisse de 10 %, le nombre
d’actes de piraterie augmente
d’autant…
Parce qu’elle est étrangère à nos
grilles de lecture habituelles, cette
corrélation peut surprendre, mais
elle n’est pas si étonnante. Le
plancton – affecté par le réchauffement – forme le socle de la chaîne
alimentaire marine : lorsqu’il
vient à manquer, ce sont les pêcheries qui trinquent. Les pêcheurs se retrouvent alors avec des
bateaux qui ne peuvent plus servir
à pêcher. Il faut donc trouver une
autre activité permettant de les
amortir, et la piraterie en est une.
En frappant Paris, l’organisation
Etat islamique (EI) a remis le court
terme au centre de l’agenda politique. La conférence décisive sur le
climat, qui doit s’ouvrir le 30 novembre dans la capitale française,
est passée au second plan. Pour la
lutte contre le réchauffement, c’est
une mauvaise nouvelle. On aura
compris que, pour l’EI et tous ceux
qui prospèrent sur le désespoir des
plus pauvres, c’est une formidable
victoire. p
[email protected]
Tirage du Monde daté dimanche 22 - lundi 23 novembre : 326 754 exemplaires
LA BELGIQUE,
UNE NATION
SANS ÉTAT ?
L
es Belges sont nos amis, nos frères.
On aime leur humour, lorsque, ville
morte et métros fermés pour cause
d’alerte terroriste maximale à Bruxelles,
leur dessinateur Geluck écrit : « Le kamikaze belge étonnant de lucidité : je vais me
faire sauter, une fois. » En bon jacobin, on
s’étonne de la vacance régulière du pouvoir
et de leurs sept Chambres parlementaires.
Et l’on admire, dans leur capitale chaotique,
leur engagement européen indéfectible.
Pourtant, alors que la traque des auteurs
des attentats de Paris se poursuit, il faut se
rendre à l’évidence : au cœur de l’Europe, la
sympathique Belgique est devenue une
plaque tournante du djihadisme.
Une bonne partie des terroristes de Paris
et le coordinateur présumé des attentats,
Abdelhamid Abaaoud, venaient de Belgique. L’auteur de la tuerie du Musée juif de
Bruxelles, l’an dernier, le tireur désarmé du
Thalys cet été, ou, naguère, certains auteurs
des attentats de Madrid (2004), sans
oublier les assassins en Afghanistan du
commandant Massoud en 2001 : tous ont
vécu ou sont passés par le royaume, échappant le plus souvent au radar de ses services de renseignement.
Base logistique du terrorisme international, la Belgique est aussi devenue un centre
d’endoctrinement et de recrutement. Rapporté à sa population, le pays fournit le plus
gros contingent des combattants européens en Syrie. Des groupes y ont profité de
la trop grande tolérance d’autorités municipales, régionales ou fédérales surtout
soucieuses de ne pas troubler la paix civile.
L’islam y est financé par des puissances
étrangères, en particulier l’Arabie saoudite.
Des mosquées et des imams, bien identifiés mais rarement inquiétés, ont pu y tenir
des propos hostiles, tandis que des apprentis djihadistes se fondaient dans l’anonymat de quartiers échappant de fait au contrôle des autorités.
Ces rappels ne doivent pas faire oublier
que, depuis quinze ans, les services belges
de l’antiterrorisme ont démantelé des réseaux, empêché des attentats et permis des
dizaines de procès. C’est en arguant de ces
résultats que les autorités du pays ont rejeté
les critiques du gouvernement français, qui
soulignait les lacunes de la Belgique. Certes.
Mais, même s’ils n’ont pas été les seuls, les
services belges ont échoué à déjouer des attentats fomentés en partie à Bruxelles.
Une sorte d’union nationale, assez rare,
s’est formée pour ne pas mettre en cause la
responsabilité de tel ou tel. Et pour cause :
le système des coalitions fait que, depuis
l’émergence du terrorisme islamiste, à peu
près toutes les formations démocratiques
ont participé au pouvoir et pourraient en
être jugées coresponsables.
Loin d’isoler la Belgique, il faut l’aider à se
protéger et c’est ce que font les services
français. Mais le pays doit se ressaisir. Il
aura fallu qu’il connaisse la terrible affaire
Dutroux, dans les années 1990, pour qu’il
réforme enfin sa police et sa justice.
L’épreuve du terrorisme doit le conduire à
renforcer sa sécurité, qui est celle de tous
les Européens, et à s’interroger – comme la
France – sur ses défaillances en matière de
prévention et d’intégration.
Le pays a beau avoir retrouvé une certaine
stabilité, il reste prisonnier d’un débat institutionnel que l’on a pu trouver pittoresque mais qui tourne au tragique et qui lui a
fait perdre de vue l’importance de ses missions régaliennes. Confondant régionalisation et efficacité, cet Etat sans nation prend
le risque de devenir progressivement une
nation sans Etat. p
BOURDIN DIRECT
LA MATINALE
!!!!
©Photo : Pascal Potier - Visual Press Agency
par sté p hane fo ucart
DeBonneville-Orlandini
PLANÈTE | CHRONIQUE
JEAN-JACQUES
BOURDIN
Médiamétrie 126 000 radio – RMC - SO15 – LàV –AC 6h/10h – 13 ans et + / Médiamétrie Médiamat – 4+ - LàV – RMC DECOUVERTE : 6h/8h30 le 11/11/2015 – BFMTV : 8h30/9h période : rentrée 2015-2016 au 13/11/2015 – TCE / Twitter : compte @JJBourdin_RMC - Vigiglobe