Un nouveau chapitre dans l`œuvre de Toyo Ito Induire la nature

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Un nouveau chapitre dans l`œuvre de Toyo Ito Induire la nature
Mémoire de master
Décembre 2011
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Directeurs de mémoire
Jean-François Blassel
Guillemette Morel-Journel
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Un nouveau chapitre dans l’œuvre
de Toyo Ito
Induire la nature dans la forme
construite
Joan Sidawy
Joan Sidawy
Mémoire de master
Matières à penser
Décembre 2011
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Directeurs de mémoire
Jean-François Blassel
Guillemette Morel-Journel
Introduction
5
Préalable
7
Influences
7
11
Le tournant de Sendai
11
1.
Le projet comme milieu
13
1.1
La symbiose avec la nature, une nature "spontanée" et opulente
1.2
La métaphore du jardin
1.3
La quête d'un espace fluide, une architecture comme séquence spatiale
1.4
L'architecture comme intérieur, l'espace souterrain
1.5
Une conception japonaise de l'espace, espace en mouvement
1.6
Une dissolution des limites entre dedans et dehors, blurring
architecture
1.7
La densité de l’espace
2.
Le projet comme corps
2.1
Le corps dans l’espace, un espace habité
2.2
Les deux ordres de Henri Bergson, l’identité géométrique
face à la ressemblance vitale
31
2.3
Assouplir la grille des modernes
33
2.4
Assouplir le plan du sol
33
2.5
Recherche d’une continuité organique, intégration espace-structure,
fusion des surfaces
35
2.6
Système formel intégrateur
37
3.
Le projet comme processus
39
3.1
Synthèse entre la dynamique générative et l’abstraction
39
3.2
Ordre génératif : l’arbre comme modèle architectural
41
3.3
La logique derrière les décisions formelles
41
3.4
La croissance algorithmique
45
Conclusion
47
Références bibliographiques
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Premières oeuvres
14
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19
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Introduction
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Aujourd’hui, l’enjeu de la soutenabilité replace le thème de la nature au cœur du
débat architectural.
Depuis ses débuts, l’architecte japonais Toyo Ito construit son discours autour de
métaphores naturelles telles que le jardin de lumière, le jardin des vents et le
jardin des puces électroniques. Ce recours à l’image du jardin exprime l’aspiration
à une architecture malléable et perméable à son environnement mais qui reste
tout compte fait conventionnelle dans sa forme.
Néanmoins, la Médiathèque de Sendai, œuvre emblématique de ce début de XXIe
siècle, marque un tournant dans la carrière de Toyo Ito. Dans le volume
prismatique de Sendai, on a l’impression que pour la première fois la métaphore
se fait concrète à travers la forme organique des tubes structurels.
On s’intéressera à l’après-Sendai, c’est-à-dire à la période qui commence à partir
de la réalisation de la Médiathèque de Sendai en 2001 jusqu’aux réalisations les
plus récentes. Cette période voit Toyo Ito accéder à des commandes de plus en
plus importantes en même temps qu’il développe une nouvelle liberté formelle
d’inspiration naturaliste. L’influence de la nature dans ces derniers projets se
décline sous plusieurs formes : dans la conception des structures, dans la relation
des bâtiments à leur milieu, dans la perception corporelle qu’ils proposent aux
usagers.
En quoi la démarche architecturale de Toyo Ito propose-t-elle une
interprétation contemporaine de la notion de nature ?
Dans quelle mesure s’inscrit-il dans une continuité avec la culture japonaise de la
nature et dans une lignée architecturale nippone ?
On peut se demander si la nature n’est pas devenue un simple outil pour produire
une forme.
La notion de nature étant toujours une construction culturelle, il s’agit d’étudier le
discours de Toyo Ito mais aussi l’influence de la culture japonaise dans son œuvre,
une culture qui recherche une symbiose avec la nature.
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D’abord, on essaiera de déterminer l’influence de ses maîtres japonais Shinohara,
Kikutake, Isozaki, et d’analyser ses premières œuvres et le tournant de Sendai.
Ensuite on s’intéressera aux pistes de travail suivantes pour explorer trois volets
qui semblent se détacher dans son approche projectuelle : la spatialité,
l’intégration structure-espace et la recherche des règles de génération de la
nature. On analysera:
Le projet comme milieu Le projet comme corps
Le projet comme processus Nous nous concentrerons sur un corpus extrait de cette production :
-
le projet Vestbanen à Oslo : vers un système formel intégrateur,
cristallographie.
Il constitue un pas avant dans la recherche d’une structure intégratrice.
-
le parc Grin Grin (2005), un paysage construit.
Une architecture intégrée dans le paysage avec une structure en coque qui
développe une nouvelle méthode d’analyse structurelle qui conduit à des formes
architecturales nouvelles.
-
l’opéra métropolitain de Taichung à Taiwan (2009) : une structure globale
continue en forme d’éponge.
L’aboutissement de la recherche d’une fusion entre la structure, l’enveloppe et
l’espace. Une architecture à la fois intégrée dans son environnement et
intégratrice.
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« Je pense que l’espace de la ville contemporaine est encore incapable d’échapper
à la grille moderne. C’est un environnement artificiel, fondamentalement
moderne. Maintenant, on parle de problèmes environnementaux, mais l’espace
n’a pas changé dans l’absolu. L’espace qui contient la fluidité de la nature nous est
nécessaire. Bien que Sendai fût une architecture isolée, ce que je voulais
accomplir c’était un espace libre semblable à la nature. » , Toyo Ito , 2004.
Il s'agira pour nous d'interroger ces bâtiments dans leur rapport à la nature et
d'essayer de montrer à travers ces exemples concrets qu'il existe une vision
renouvelée de la nature propre à Ito qui va au-delà de l'organique comme style
formel ouvrant des possibilités projectuelles.
TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13.
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Il est nécessaire de commencer par comprendre le contexte culturel dans lequel
se développe l’œuvre d’Ito.
Il admet que ses premières œuvres étaient en continuité avec l’architecture
moderne.
« Je crois que j’ai pendant longtemps suivi la norme de l’architecture moderne. Je
me suis limité à l’esthétique du « less is more ». » Toyo Ito, 2004.
Mais ces œuvres se développent dans un contexte particulier, le Japon, où
l’architecture a établi une continuité qui adapte le mouvement moderne au
contexte local.
Comme le dit Hans Ulrich Obrist dans Projet Japan: "Au Japon, comme je le vois, il
y a une claire continuité, un vrai miracle architectural japonais, partant de Tange,
en passant par le Métabolisme et l'ambivalent compagnon de parcours Isozaki
vers "l'anarchie progressive" de Kazuo Shinohara, et ensuite l'école de Shinohara,
jusqu'à Toyo Ito pour qui toute architecture est une extension et un "épiderme"
de la nature, et en avant encore jusqu'à SANAA, puis Junya Ishigami et Sou
Fujimoto. Les Japonais, on dirait, ne tuent pas le père ou la mère."
Kiyonori Kikutake
Toyo Ito travaille de 1965 à 1969 dans l’agence de Kiyonori Kikutake (1928), l’un
des co-fondateurs du groupe Métaboliste qui se développa dans les années 1960.
Kikutake, en tant que planificateur urbain, conçoit des nouveaux concepts de
villes comme Marine City ou la ville tour.
Les Métabolistes élaborent, par analogie à la biologie, des principes de mutation
de nature à supplanter les fondements de l’architecture moderne, c’est-à-dire, la
séparation fonctionnelle, les métaphores des machines, la géométrie rigide et la
TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.8.
KOOLHAAS Rem, OBRIST Hans Ulrich, Project Japan: Metabolism Talks..., Taschen, Cologne,
2011, p.21.
Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy
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1. Projet de ville Océan, 1958-1963, Kiyonori Kikutake
Un projet de mégastructure urbaine pour étendre la ville
sur la mer, alliant des îles et des tours cylindriques sur
lesquelles se branchent des capsules.
2. Clusters in the air, 1962, Arata Isozaki
Un projet de mégastructure urbaine se développant en
hauteur à partir de noyaux cylindriques sur lesquelles se
branchent des unités modulaires.
3. Maison Tanikawa, 1974, Kazuo Shinohara
Un projet de maison dans la pente qui sous une
apparence extérieure traditionnelle reprend à l'intérieur
la déclivité du sol extérieur.
source: Place, Time and Being in Japanese Architecture
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Arata Isozaki
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permanence. Il s 'agit de convertir la tradition japonaise en une sensibilité
moderne, une japonisation de la modernisation ou comme dit Charles Jencks,
une sorte de "Metabouddhisme". Les bâtiments sont d’immenses protoorganismes formels. Malgré leurs intentions, leurs propositions accentuent le
décalage entre l’homme et son environnement.
Pour faire face aux problèmes urbains causés par le développement chaotique
des villes, ces architectes élaborèrent des hypothèses utopiques de
mégastructures à l’échelle urbaine. Ils voyaient la société comme un organisme
vital en continuelle transformation et tentèrent de dépasser le concept d’œuvre
architecturale bien définie en proposant une architecture comme une structure
«métabolique». Kawazoe, théoricien du groupe, définit l’utilisation de ce terme
biologique en affirmant que «le dessin et la technologie ne sont rien d’autre
qu’une extension de la vie humaine».
De son passage chez Kikutake, Ito retiendra l’imagination constructive, la
systématisation modulaire et l’idée de croissance organique mais la pensée
urbanistique métaboliste ne déteindra pas sur lui.
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Durant un certain temps, la métaphore a été l’une des formes de transmission
préférées dans l’architecture japonaise contemporaine.
Comme l’a décrit Arata Isozaki (1931) pour première fois en 1970, une « hypothèse
imaginaire » a surgi et est devenue « l’essence de l’édifice, donnant naissance et
s’infiltrant dans tous les aspects du projet. »
Au fur et à mesure, elle s’exprimait comme image ou analogie, comme les
« nuages stratocumulus » ou le « crépuscule ».
Il opère une critique du modernisme et réalise en même temps une abstraction
progressive de la tradition. En1966, débute l’architecture conceptuelle au Japon.
Isozaki va réussir à séparer définitivement l’architecture japonaise et le courant
moderniste. Pour la génération d’architectes qui émerge après l’expo’70, le terrain
laissé vacant par la critique et la destruction de l’architecture moderne est donc
une « table rase ».
Dans les années 1970, dans ce monde « irrationnel », chaque architecte se crée sa
théorie, son école et y assujettit son architecture. Ils procèdent à un détachement
progressif du style international. Isozaki s’efforça de dégager radicalement
l’architecture de son classicisme moderniste, pour laisser libre cours à une
créativité symboliste et maniériste, confinant quelque fois au surréalisme.
Isozaki espaces conceptuels et dépasser l’architecture moderne mais ne refuse
pas les influences occidentales.
De ce maître de l’architecture de la fin de ce siècle, Ito retiendra la liberté de
conception.
JENCKS Charles, Mouvement moderne en Architecture, Editions Mardaga, Bruxelles,1973, p.320
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1. Maison White U, 1976
La maison White U appartient à la période
du jardin de lumières, elle joue sur sa forme
renfermée et les ouvertures lumineuses.
2. Hutte d’argent, 1984
Une réinterprétation de la Hutte primitive
à travers un système modulaire de voûtes
entièrement perméable à son environnement.
3. Tour des vents, 1986
La tour des vents vient dissimuler un conduit
d'aération d'un centre commercial en créant des
effets lumineux qui répondent aux stimulations
environnantes.
4. Musée Yatsushiro, 1991
Le musée est enterré en partie sous une colline
artificielle à fin de minimiser son impact. La
partie émergente faite de minces voûtes se veut
aérienne
5. Médiathèque de Sendai, 2001
Le volume prismatique renferme une structure
organique de tubes.
6. Vue intérieure du tube structurel de la
Médiathèque de Sendai
Le tube vient chercher la lumière naturelle
zénithale.
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Premières Œuvres
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A partir des années 1950, Kazuo Shinohara (1925-2006) débute une remise en
question des principes fondateurs de l’architecture moderne et du rationalisme. Il
considère l'abstraction à partir de formes traditionnelles.
Selon Shinohara, la conception spatiale japonaise est très différente de celle de
l’espace occidental, c’est un « espace du mouvement » caractérisé par la division
spatiale en des divisions plus petites. Par opposition à l’espace tridimensionnel et
statique occidental, c’est un espace plein de mouvements et de changements, un
changement continu tel une promenade sinueuse dans un jardin de pierres.
Il cherche à revenir sur les fondements de la tradition japonaise basés non plus
sur son apparence mais sur son sens.
Son travail se concentre après sur le « Cube » et « l’Espace fissure ». Contrairement
au Cube utilisé par les Modernistes à connotation de production industrielle, le
Cube de Shinohara représente l’anti-espace, la neutralité, rythmée par la présence
des « Espaces fissures » caractérisés par fentes de lumières et des ouvertures
zénithales.
Les espaces minimalistes et le traitement en blanc des intérieurs de Shinohara
marqueront fortement Ito.
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Kazuo Shinohara
Toyo Ito naît en 1941 à Séoul en Corée. Il obtient son diplôme en 1965 à
l’Université de Tokyo, où il reçoit un enseignement essentiellement centré sur
l’architecture occidentale et spécialement sur le mouvement moderne.
Toyo Ito crée sa propre agence en 1971, URBOT. Il réalise pour commencer
plusieurs maisons dont la maison White U en forme de « U » et renfermée sur ellemême où il initie sa quête d’un espace fluide.
En 1984, il construit sa maison, dénommée « Hutte d’argent », où il développe un
système modulaire et où s’effacent les limites entre dedans et dehors.
La tour des vents de 1986 et ses anneaux lumineux prolonge l’idée d’une
architecture quasi immatérielle qui réagit au gré des phénomènes naturels. La
tour s’illumine de milles façons, sorte de feedback architectural qui absorbe
l’information sonore et physique et la retransmet sous forme d’information
visuelle.
Le musée Yatsushiro de 1991 exprime l’intention de s’inscrire avec discrétion dans
le paysage, d’ouvrir amplement le rez-de-chaussée sur l’environnement et la
recherche de légèreté, à travers ses formes organiques expressives.
Sa quête d'un espace fluide, d'un effacement des limites et ses
recherches sur les formes organiques expressives seront synthétisés dans la
réalisation de la Médiathèque de Sendai.
VAN GHELUWE Christophe, Toyo Ito et la quête de la fluidité,
http://www.vg-architecture.be/guide.
Le tournant de Sendai
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Inaugurée en 2001, à Sendai, à 300 km au nord-est de Tokyo, cette réalisation de
50m x 56m est une superposition de sept plateaux horizontaux transpercés par
treize tubes structurels à la forme changeante qui agissent comme des colonnes
en même temps qu’ils servent à la circulation des flux de personnes, d’air et de
lumière. Ce volume transparent d’une superficie de 21600m² est un nouveau type
d’infrastructure culturelle qui regroupe en un seul lieu une médiathèque, une
galerie d’art, une bibliothèque et un centre d’informations pour les citoyens.
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«La Médiathèque de Sendai est un millefeuille de forêt urbaine.» Toyo Ito, 1995.
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La médiathèque de Sendai constitue une synthèse des réflexions théoriques d’Ito
et de sa quête d’un espace fluide tel qu’on pourrait trouver dans un
environnement naturel.
L’édifice définit un nouveau modèle de médiathèque adapté au XXI siècle par sa
liberté programmatique. Sa transparence traduit la volonté d’en faire un
prolongement de l’espace urbain.
Il s’agit de libérer l’architecture de ses hiérarchies, les éléments traditionnels tels
que les murs disparaissent, les colonnes deviennent des tubes de lumière qui
oscillent dans l’espace, les dalles deviennent de fines plaques et la façade une
peau qui s’adapte selon l’orientation et les fonctions intérieures. Les trois
éléments que sont les tubes, les plaques et la peau semblent indépendants les
uns des autres, ce qui accentue l’impression d’immatérialité et la légèreté du
bâtiment, qualités qui permettent l’intégration réussie dans son environnement.
La forme organique et irrégulière des tubes structurels, comparée à des algues,
vient induire une condition naturelle libérée du rationalisme fonctionnel.
Les volumes évidés des tubes constituent un nouveau type qui sera développé
dans les projets de Vestbanen et de Taichung. Ce type s’insère dans une recherche
de continuité spatiale et matérielle qui s’exprime par une intégration de la forme
et de la structure.
«A partir de 2001, il s’agit de rechercher une nouvelle liberté de la forme, un
contrôle de celle-ci par le biais de géométries ouvertes et dynamiques, et à travers
l’intégration organique des différentes composantes du bâtiment (...) Introduire
les éléments naturels comme composantes du projet. ».
"Sendai is a multilayered urban forest"
ITO Toyo, « Transparent (the) Urban Forest », Japan Architect n°19, 1995, p.76-113.
CORTES Juan Antonio, « Au-delà du mouvement moderne, au-delà de Sendaï / Toyo Ito et la
recherche d’une nouvelle architecture organique », El Croquis, n°123, 2005, p.16-42.
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La symbiose avec la nature, une nature « spontanée »
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La conception japonaise de la nature est héritée du shintô, religion animiste, la
plus ancienne du Japon. La cosmogonie shintô du type engendrement/devenir
est différente de la cosmogonie judéo-chrétienne et chinoise où tout débute par
une création. Ainsi, shizen [nature en japonais] est un phénomène transcendant
dans la culture japonaise. Plutôt que de chercher à maitriser et à dominer la
nature à la manière des occidentaux, les japonais ont traditionnellement
recherché une symbiose avec la nature.
Cette conception est aussi liée à son territoire.
« Confrontée à des conditions géographiques et climatiques difficiles, la culture
japonaise traditionnelle ne s’est pas dissociée de son environnement et n’a pas
tenté de le soumettre brutalement. » Yann Nussaume.
La nature est perçue comme un flux perpétuel qu’il ne faut pas entraver. Comme
le souligne le japonologue allemand Günther Nitschke :
« Le Japon étant d’une échelle si petite, tout concept humain prononcé d’ordre
constitue proportionnellement à sa dimension et sa force, une interruption aux
flux de la nature. » 10
C'est ainsi que la notion de nature au Japon est aussi liée au concept de
phénomène et du flux.
« L’historien de la pensée orientale Nakamura Hajime a bien montré à quel point
la tradition japonaise tend à considérer le monde phénoménal comme seul
absolu, et donc à ne reconnaître l’existence d’aucun principe qui le transcenderait.
A l’opposé de la conception kantienne (pour qui la seul réalité irréductible est la
conscience pure du sujet), la tradition philosophique japonaise considère que le
phénoménal est vraiment le réel. Bien entendu, cette conception présente un
BERQUE Augustin, Le sens de l’espace au Japon : vivre, penser, bâtir, Paris, Edition Arguments,
2004, p.19
NUSSAUME Yann, Réflexion sur l’importance du milieu en architecture. Tadao Ando et Shin
Takamatsu face au désordre de la ville japonaise, Thèse de Doctorat, mars 1997.
10 NUSSAUME Yann, Anthologie critique de la théorie architecturale japonaise : le regard du
milieu, Ousia, 2004, p.306. « Ma, le sens japonais du « lieu » », 1966.
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La métaphore du jardin É
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rapport direct avec le sentiment de la nature, cette réalité première. De ce fait, elle
procède sans doute de l’animisme shintoïque. (…) La réalité, au Japon, n’est qu’un
flux perpétuel : celui du monde historique et phénoménal. »11
Il s’agira de montrer comment Toyo Ito s’inscrit dans cette appréhension
phénoménale du monde, un monde perçu comme flux perpétuel dans lequel
l’architecture se fait tourbillon.
L’ethnologue Araki Hiroyuki évoque la préséance que la culture japonaise accorde
au milieu plutôt qu’à l’individu qui s’y trouve ou – ce qui va de pair – à
l’abstraction de principes universels.
« Dans l’architecture japonaise prévaut un mécanisme de pensée qui tient
consciemment ou inconsciemment à un espace vide, un état suspendu, ou à une
sorte de tabula rasa dans un système, empêchant ainsi d’établir une histoire et
une théorie. Ainsi koto dama [l’écriture japonaise] et shizen fonctionnent comme
un phénomène transcendant dans la culture japonaise.»12
Face à ce qui semblerait une absence de tradition théorique au Japon, chaque
architecte paraît produire sa propre théorie à partir d’une sorte de tabula rasa.
Dans le cas de Toyo Ito, il s’agira de voir comment cette vision japonaise de la
nature vient orienter sa démarche architecturale, comme un thème qui vient
transcender tous les autres.
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Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy
Le mot métaphore provient du grec metaphora qui signifie « translation »,
« transfert ». Mark Johnson, dans Body in Mind, la définit comme « un mode
pénétrant de compréhension à travers lequel nous déplaçons des modèles d’un
certain champ de notre expérience à fin de structurer un autre champ d’un type
différent ». Cela a lieu par exemple lors du passage de la théorie à la pratique.
Durant un certain temps, la métaphore a été l’une des formes de transmission
préférées dans l’architecture japonaise contemporaine. Comme l’a décrit Arata
Isozaki pour première fois en 1970, une « hypothèse imaginaire » a surgi et est
devenue « l’essence de l’édifice, donnant naissance et s’infiltrant dans tous les
aspects du projet. »
Au fur et à mesure, elle s’exprimait comme image ou analogie, comme les
« nuages stratocumulus » ou le « crépuscule ».
Ito utilise la métaphore d’une manière complexe et avec des strates multiples,
introduisant des ressorts d’analogies pour compléter l’image.
Ito écrit sur « l’architecture comme jardin » ou sur « l’architecture comme courant
d’eau » et aussi comme « architecture aurale », c’est-à-dire, une architecture
comme son. En décrivant ses œuvres, Ito utilise souvent des analogies. C'est la
métaphore du jardin qui semble le mieux synthétiser son architecture.
Il dit : « J’ai toujours considéré mon architecture comme un jardin », à prendre non
dans un sens littéral, comme forme, mais en tant que métaphore suggestive, qui
11 12 BERQUE Augustin, op.cit. p.19, 2004.
NUSSAUME Yann, Anthologie critique de la théorie architecturale japonaise : le regard du
milieu, Ousia, 2004, p.46
15
Le projet comme milieu
définit le lieu comme un environnement paisible, incertain, dans un cadre sans
limites précises. Ainsi pour les Japonais, le jardin est un oasis, réalisé à l'image de
la beauté et de la perfection de la nature, et réglé notamment dans les jardins zen
par la simplicité, l'abstraction et le symbolisme.
La quête d’un espace fluide, une architecture comme
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« L’édifice comme filtre, senseur et vortex des flux naturels et artificiels,
énergétiques et électroniques, qui habitent l’espace architectonique. » El Croquis,
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Chez Toyo Ito, la fluidité spatiale est un thème récurrent. Il la justifie par une
analogie avec les flux naturels et les flux d’information. La fluidité spatiale renvoie
à un espace non-compartimenté et non-directionnel. Elle inclut l’idée d’instabilité,
d’espace dynamique et de relation directe avec l’environnement immédiat.
« Je voudrais créer une architecture qui serait telle un tourbillon qui apparaît
lorsque on plonge un bâton dans un courant d’eau. Ce n’est pas le bâton que je
veux créer... mais le tourbillon.»
« Introduire de la fluidité dans l’architecture sert à faire circuler de l’air frais dans
un espace stagnant et à créer une continuité entre l’intérieur et l’extérieur. », Toyo
Ito, 1995.13
C'est l'expérimentation de cette fluidité qui prime dans les espaces intérieurs
créés par Ito comme le souligne Sou Fujimoto.
« Quand j’expérimente votre architecture, la fluidité de l’intérieur ne donne pas
l’impression d’être sur un territoire insulaire ; c’est comme si l’espace intérieur
émergeait déjà doté d’une structure », entretien avec Toyo Ito.14
Toyo Ito souhaite libérer l’habitant de l’enclave des murs et le laisser trouver son
rythme au gré des changements des éléments naturels.
Il y a l’idée de saisir ce qui est de l’ordre de l’instable, du phénomène éphémère au
sein d’un système qui cherche constamment la stabilité et la continuité.
L’architecture, dans son désir de capter un phénomène passager ne peut se
résigner à celui-ci sans résistance, sous peine d’être immédiatement et
complètement consommée.15
Il s’agit à travers son architecture de perpétuer un flux de phénomènes, tout en
l’intégrant dans un système plus stable et plus ordonné. L’architecture est ordre.
Elle doit retrouver un « ordre naturel », et d’établir des relations avec les éléments
naturels.
En parallèle, il y a une recherche d’espaces aux états instables, qui peuvent être
propices au mouvement et au flux. Il y une tension entre le flux d’espace et la
stabilité.
13 14 15 ITO Toyo, op. cit., 1995, p.77.
FUJIMOTO Sou, « Espace liquide et espace fractal », El Croquis, n°147, 2009, p.6-20.
ITO Toyo, « Vortex and Current. On Architecture as Phenomenalism », Architectural Design,
vol. 62, nº 9-10, 1992, p.22-23.
Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy
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1. Opéra Métropolitain de Taichung, 2013
Vue intérieure de la maquette. L'espace alvéolaire imite un tissu organique.
2. Himalayas Center, 2010, Arata Isozaki
Les formes organiques rappellent celles de l'opéra de Taichung bien qu'elles
soient moins réglées par la géométrie.
3. Himalayas Center, 2010, Arata Isozaki
L'intérieur fait référence à la grotte plus qu'à un tissu organique.
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17
Le projet comme milieu
On recherche un espace dans lequel on circulerait de façon fluide et sans ruptures
en tentant d’abolir les codes traditionnels de la partition.
L’architecture est perçue comme une séquence spatiale pure plutôt que forme.
comme intérieur, l’espace souterrain É
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Pour Toyo Ito, l'architecture est liée à l'expérience d'un espace intérieur, à l'image
de la grotte.
Toyo Ito tente d’expliquer sa vision de l’espace à partir de son expérience étant
enfant :
« J’ai grandi dans une vallée, ainsi j’ai toujours eu une impression similaire à celle
d’être dans un trou. Je suis né sur le continent, à Séoul, en Corée, et puis on m’a
jeté dans ce trou avant que je ne sois assez grand pour comprendre ce qui se
passait autour de moi. Ainsi, je crois que j’ai toujours eu l’impression d’être à
l’intérieur de quelque chose. Passer du temps près d’un lac, entouré de
montagnes, dans une nature si intéreure… Il se peut que mon désir de regarder
depuis l’intérieur soit lié à cette expérience. », Toyo Ito, entretien avec Sou
Fujimoto.16
« Je pense que nous les japonais nous considérons les concepts spatiaux dans un
cadre qui relativise toujours les formes architecturales préexistantes.
Ma propre architecture en particulier, a été grandement affectée par «l’espace de
mon dialogue intérieur.» Dans ce concept, comme dans le concept de « l’espace
du son », il n’y a pas d’extérieur. ».
Une architecture sans extérieur qui fait référence à la grotte : « en tant que trou
creusé sous le sol, une grotte naturelle n’a pas d’extérieur. » La qualité spatiale est
celle d’un espace sans extérieur et celle d’un espace flottant.
« L’image de la dissolution se superpose à l’image de l’espace souterrain. Quand je
regarde en arrière à travers ma biographie architecturale, je conclus à une nature
génératrice reliée en quelque sorte avec l’idée de la grotte et d’un espace qui
coule comme un liquide. Je reviens toujours là, peu importe ce que je fais. Et j’ai
commencé à prendre conscience de cela il n’y a pas si longtemps. J’essaie de
trouver quelque chose de volumétriquement lumineux, quelque chose de
transparent, mais il subsiste toujours une image semblable à celle d’un flux de
liquide laiteux. Parfois, j’essaie d’abandonner cette image pour produire des
espaces plus rafraîchissants et dynamiques, mais plus je cherche, plus je tends à
l’espace souterrain. Je suppose qu’on ne peut éviter sa nature physique.
Finalement, j’ai décidé de me rendre et de jouer le jeu jusqu’au bout, avec toutes
ses conséquences. » Toyo Ito.
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1.4 L’architecture
1.5
Une conception japonaise de l’espace, espace en mouvement « Pour nous japonais, l’espace est ambigu, comme l’air et la lumière coule entre
deux choses. » Toyo Ito.17
16 17 FUJIMOTO Sou, « Espace liquide et espace fractal », El Croquis, n°147, 2009, p.6-20.
NUSSAUME Yann, Anthologie critique de la théorie architecturale japonaise : le regard du milieu,
Ousia, 2004, p.441
Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy
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1. Maison traditionnelle japonaise
L'espace changeant de la maison traditionnelle
japonaise avec ses cloisons mobiles.
2. Jardin de pierres
La disposition soignée des pierres qui viennent
polariser l'espace et simuler un mouvement.
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« Mon sentiment essentiel à propos de « l’espace » dans la nature c’est qu’« il est
plus confortable que l’espace à l’intérieur d’une architecture ». En fait, j’ai toujours
souhaité en quelque sorte avancer vers le « confort d’espace » qu’a la nature, et
cela bien avant Sendai. Qu’est-ce que j’entends exactement par « confort qu’a la
nature » ? Ma réponse à cette question a consisté en des imageries de « fluidité
d’espace sans murs » et « d’ondulations dans la topographie » générant « des
distinctions de lieux ». Prenant celles-ci comme des sortes de métaphores et les
transposant dans l’architecture comme « espaces ». »
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Le projet comme milieu
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L’espace se veut flottant et aérien. Le « sens du lieu » substitue l’idée d’un espace
fermé délimité par quatre murs.
Selon Kazuo Shinohara, la conception spatiale japonaise est très différente de
celle de l’espace occidental, c’est un « espace du mouvement » caractérisé par la
division spatiale en des divisions plus petites.
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Une spatialité privilégiant l’asymétrie et minimisant les perspectives, où chaque
aire avec sa logique intrinsèque l’emporte sur les lignes et leur logique
intégratrice et centralisatrice, où les zones intermédiaires, horizontales et
enveloppantes prévalent sur les confrontations nettes et les coupures verticales,
où l’étendue se complique de détours et de coudes : la spatialité japonaise paraît
goûter singulièrement la contingence.
Il s'agit d'une conception différente de l’espace tridimensionnel et statique
occidental. La conception japonaise est un espace plein de mouvements et de
changements, un changement continu tel une promenade sinueuse dans un
jardin de pierres.
Parlant des tubes structurels de la Médiathèque de Sendai, Toyo Ito dit : « Les
tubes sont souvent comparés aux arbres d’une forêt mais ils sont aussi comme les
objets d’un jardin japonais, où l’espace est créé par le mouvement autour de
points attentivement arrangés, comme des étangs ou des pierres. »
Dans cet empilement de plateaux homogènes, les tubes, au-delà de leur image,
imposent leur présence et polarisent les espaces créés, aussi bien en tant que
signes structurels qu’en tant que colonnes de lumière naturelle.
Le mouvement de l’espace japonais est « non-linéaire et sinueux »18. Un tracé
sinueux implique une expectative face à l’inconnu à travers une découverte
progressive de l’espace, idée que l’on retrouve dans la stratégie labyrinthique de
l’espace du projet pour l’Opéra Métropolitain de Taichung. L’expérience corporelle
est celle d’une série d’espaces qui auront des continuités horizontales et
verticales. C’est une structure spatiale continue en forme d’éponge. On ne peut
appréhender le volume intérieur que comme un réseau de vaisseaux
communicants où viennent se fondre murs et planchers.
La superficie de l’opéra sera de 43260m² 19. Son inauguration est prévue pour
2013.
INOUE Mitsuo, L'espace dans l'architecture japonaise, in Anthologie critique de la théorie
architecturale japonaise : le regard du milieu p.313
19 Cela représente le double de la superficie de la médiathèque de Sendai qui est de 21600m².
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1. Opéra de Taichung
Le principe structurel consiste à séparer deux
plaques sur lesquelles est fixé un tissu en
certains points alternés.
2. Opéra de Taichung
La maquette à grande échelle montre
l'adaptation du principe structurel aux différents
types d'espaces.
3. Opéra de Taichung
Parcours aléatoire et relations visuelles
changeantes. Niveau R+6.
4. Opéra de Taichung
La caverne du son: la structure spatiale en ruban
continu délimite un espace A et son négatif B.
L'espace A "du son" est consacré aux espaces de
musique.
5. Opéra de Taichung
Une structure spatiale spongieuse continue.
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Le philosophe Henri Bergson (1859-1941), dans L’Evolution créatrice, associe
l’image des tourbillons et de la mutation permanente pour décrire la condition
des formes vivantes et semble ainsi saisir la sensibilité japonaise et plus
particulièrement celle de l’architecture de Toyo Ito quand il dit :
« Comme des tourbillons de poussière soulevés par le vent qui passe, les vivants
tournent sur eux-mêmes, suspendus au grand souffle de la vie […], oubliant que
la permanence même de leur forme n’est que le dessin d’un mouvement. Parfois
cependant se matérialise à nos yeux, dans une fugitive apparition, le souffle
invisible qui les porte. » H. Bergson.20
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Il y a l’idée d’une nature comme changement perpétuel, tout est en constante
mutation. L’idée japonaise de mutation permanente et les mouvements tournants
des espaces de l’architecture japonaise peut être expliqué en partie par la
condition géographique, le Japon ayant des changements de saison très distincts
et des formes de territoires complexes.
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Comme l’explique Fuhimiko Maki21, quand il s’agit de construire le territoire, on
peut distinguer l’attitude occidentale qui aurait été influencée par « les cultures
du désert », de l’attitude japonaise. La fondation du territoire en Occident est
basée sur la notion de « centre-démarcation », c’est-à-dire la constitution d’un
centre, un pivot cosmique qui articule un territoire étendu avec les Eléments,
complété par l’édification de murs de démarcation pour délimiter un espace qui
s’étend à perte de vue. Les japonais, conscients de la finitude de leur territoire,
riche en contrastes, bâtissent selon le principe « oku-enveloppe », qui associe la
notion japonaise d’oku, qui peut être décrite succinctement comme le sens de la
profondeur, et l’idée d’envelopper le territoire de façon symbolique à travers le
tracé sinueux des voies plutôt que physique à travers des murs. L’oku est décrit
comme l’espace le plus intérieur, la dernière des couches spatiales du territoire à
l’image des différentes couches d’un oignon.
« Dans son livre l’Eloge de l’Ombre, Junichiro Tanizaki évoque un faisceau de
lumière transmis dans la « profondeur » de l’espace à travers de multiples
réflexions. Est-il possible de dessiner une architecture dans laquelle on puisse
ressentir une telle subtilité non seulement à travers la lumière mais à travers le
flux d’air ? Je crois que l’architecture conçue de nos jours changera si on
commence simplement à penser à de telles images » Toyo Ito.
20 BERGSON Henri, L’Evolution créatrice, éditions A. Robinet, in Oeuvres, 1907, p.603-604.
21 NUSSAUME Yann, Anthologie critique de la théorie architecturale japonaise : le regard du milieu, Ousia,
2004, p.405. « L’espace de la ville japonaise et le concept d’ « oku », 1978.
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Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy
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Le projet comme milieu
1. Opéra de Taichung
Schémas analytiques en rapport aux plans des
différents niveaux et coupe.
1- opéra de 2011 places
2- salle philarmonique de 800 places
3- boîte noire de 200 places
L'analyse de la coupe nous montre la
combinaison de deux systèmes: celui des murs
porteurs en ruban de béton courbes et continus
sur toute la hauteur du bâtiment et celui des
planchers métalliques qui viennent remplir
en certains endroits les vides de la structure
porteuse.
L'analyse spatiale des différents niveaux montre
que le principe si clair en coupe d'alterner les
espaces de son A et les espaces B se traduit en
plan par des salles aux contours improbables. Ce
cloisonnement libre est permis par le système
structurel, l'intérieur des tubes servant le plus
souvent aux circulations verticales.
2. Opéra de Taichung
Plan d'insertion du rez-de-chausée.
Bien que le périmètre fermé du bâtiment soit
conçu comme une ligne de coupe, le dessin
paysager pénètre à l'intérieur notamment par
un cours d'eau tout en reprenant le motif des
ovoïdes.
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1. Parc Grin Grin
La végétation devrait bientôt recouvrir la coque
et celle-ci ne faire qu'un avec la topographie.
3. Parc Grin Grin
Coupe transversale de l'une des serres. La
structure et le sol se courbent pour se fondre
dans le paysage.
2. Parc Grin Grin
Un parcours est aménagé sur la toiture, le sol et
la toiture semblent ne faire qu'un.
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Le projet comme milieu
Une dissolution des limites entre dedans et dehors,
blurring architecture É
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La question des limites est une question délicate pour Toyo Ito.
Par blurring architecture, Ito entend une architecture caractérisée par une
interpénétration et une continuité entre l'intérieur et l'exterieur, il s'agit de rendre
la frontière entre l’architecture et la ville ambiguë, de la rendre floue.
Mais comme il le dit lui-même:
« La situation parfaite serait qu’il n’y ait pas d’extérieur, mais c’est impossible, alors
j’ai toujours des difficultés pour exprimer l’extérieur. Il arrive un moment où je
coupe la condition d’expansion intérieure et je me persuade que ceci n’est pas
l’extérieur mais une simple coupe tranversale. » entretien avec Sou Fujimoto.22
Il parle par la suite de limite fractale pour permettre un nouveau dégré de
souplesse au bâtiment:
« Nous réfléchissons à l’idée de limite fractale, ce qui pourrait assouplir les
relations avec le milieu environnant. »23
Prenons l'exemple de l'opéra de Taichung, le périmètre de l’édifice est tel une
ligne de coupe, c'est une façade quasi immatérielle qui vient sectionner le
bâtiment. Le mur devient écran. Ce qui pose la question de la matérialité :
Si la façade est tel un écran et n’a pas d’épaisseur, ne nie-t-elle pas sa matérialité ?
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1.6
Encore selon Bergson, les « choses » ne seraient qu’une coupe dans le flux du
mouvement : « Choses et états ne sont que des vues prises par notre esprit sur le
devenir. Il n’y a pas de choses, il n’y a que des actions. […] Les choses se
constituent par la coupe instantanée que l’entendement pratique, à un moment
donné, dans un flux. » 24
L’Opéra de Taichung est un bâtiment qui semble avoir été congelé dans un état de
métamorphose.
Le Parc Grin Grin est un autre exemple de dissolution des limites.
Inauguré en 2005, le parc Grin Grin se situe sur une plateforme artificielle de 15ha
dans la baie d’Hakata à Fukuoka au Japon. On s’intéresse à la serre de 5000m² qui
forme un paysage construit. L’architecture se fond avec les ondulations de la
topographie. Les constructions émergent telles des collines.
1.7 La
densité de l’espace « Le Pavillon de Barcelone de Mies ressort comme le bâtiment le plus significatif
de tout le XXe siècle. Ceci est particulièrement vrai, y compris si on le compare à la
totalité des œuvres projetés ensuite par le même architecte. Dans aucune autre
œuvre on ne retrouve un espace aussi plein de « fluidité »… Cet espace ne produit
pas la sensation de la légèreté de l’air qui passe, sinon celle d’une densité de la
22 23 24 FUJIMOTO Sou, « Espace liquide et espace fractal », El Croquis, n°147, 2009, p.6-20.
FUJIMOTO Sou, op.cit.
BERGSON Henri, L’Evolution créatrice, éditions A. Robinet, in Oeuvres, 1907, p.755.
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Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy
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1. 2. 3. Parc Grin Grin
Plans du rez-de-chaussée: topographie (1) et
limites (2).
Le volume fermé des serres se fond dans la
topographie en ménageant des percées.
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4. Opéra de Taichung
Un système de grille comparé à la coupe de
l'opéra de Taichung.
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L'expérience d'un milieu est une expérience phénoménologique.
Etre dans un milieu est une expérience phénoménologique, que relate MerleauPonty, l’auteur de La Phénoménologie de la perception, dans l’Œil et l’Esprit
(1960), parlant de l’englobement du sujet dans l’espace : « L’espace n’est plus (…)
réseau de relations entre objets, tel que le verrait un tiers témoin de ma vision, ou
un géomètre qui la reconstruit et la survole, c’est un espace compté à partir de
moi comme point ou degré zéro de la spatialité. Je ne le vois pas selon son
enveloppe extérieure, je le vis du dedans, j’y suis englobé. Après tout, le monde
est autour de moi, non devant moi » (…) L’expérience d’un milieu est celle d’un
continuum, d’une « substance » dans laquelle les formes ne sont pas perceptibles
comme si elles étaient géométriquement pures et régulières, comme si elles
résultaient d’une stéréotomie. », 26
Bergson, lui, pense l’intuition comme une connaissance immanente au
mouvement qu’elle observe. Elle « adhère à son objet ».
C’est une façon de connaître non par « survol » et par distance, mais par
« inhérence », il s’agit de « chercher le profond dans l’apparence et l’absolu sous
nos yeux ».
Si on transpose cette idée à l’œuvre de Toyo Ito, il s’agirait de « faire corps » avec
l’architecture. Dans l’opéra de Taichung, l’expérience corporelle est celle d’une
série de cavités qui nous englobent. Elles forment une séquence continue que
l’on peut appréhender par le mouvement.
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matière fondue, liquide… L’espace composé par des plans vitrés n’a pas de
structure précise sinon qu’il s’élève telle une colonne de glace qui commencerait à
fondre dans l’air. » Toyo Ito, 200425.
« C’est une connaissance par images, à conditions que ces images soient
entendues comme des choses à la fois singulières et fluides : fluides, parce que
capables de se mouler, de se couler dans l’interstice de chaque mouvement
exécuté par la matière (corps ou milieux). » 27
La fluidité de l’architecture de Toyo Ito est celle du vide mais aussi celle du plein et
des limites. Le thème de la densité de l'espace nous conduit à aborder celui de la
consistance matérielle et de la corporalité dans le chapitre suivant.
25 CORTES Juan Antonio, « Au-delà du mouvement moderne, au-delà de Sendaï / Toyo Ito et la
recherche d’une nouvelle architecture organique », El Croquis, n°123, 2005, p.16-42.
26 MERLEAU-PONTY Maurice, L’Œil et l’Esprit, 1960.
27 DIDI-HUBERMAN Georges, MANNONI Laurent, Mouvements de l’air : Etienne-Jules Marey,
photographe des fluides, Paris, Editions Gallimard, 2004, p. 264.
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corps dans l’espace, un espace habité :
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L’architecture de Toyo Ito fait preuve d’une empathie inhérente entre le corps
humain et les tensions expressives dans les éléments des bâtiments. Ces formes
organiques traduisent au-delà d'une volonté esthétique, une recherche sur la
corporalité de l'architecture. Il s'agit de prendre en compte le corps humain dans
l'espace et l'architecture comme un corps.
L’espace de Toyo Ito est un espace habité. C’est un espace à parcourir, où les
éléments structurels jouent souvent un rôle spatial, ils polarisent et englobent
l’espace. C’est un espace intérieur, où l’on peut se sentir contenu par des formes
courbes qui viennent recréer la spatialité de grottes. Cette interprétation
contemporaine de la grotte appelle à des sensations corporelles primitives. On
peut introduire ici la distinction que fait l’architecte Akihisa Hirata entre l’animal
(dimension directe, physique ou pulsionnelle) et l’humain (culturel)28. Ito prétend
réveiller cette dimension animale de l’homme. Il élabore une comparaison entre
un Tarzan nu et vulnérable et la figure de l’homme moderne pour évoquer la
nécessité de notre participation haptique et sensorielle au monde.
« Certains architectes ont essayé de trouver un langage pour cette nouvelle
génération, avec des espaces très minimalistes. Je suis à la recherche de quelque
chose de plus primitif, une sorte d’abstraction qui aurait encore un sens du
corps. » Toyo Ito.
Il y a un dialogue entre un ordre sophistiqué sur le plan technologique et sur le
plan formel à travers l’abstraction, et un certain archaïsme. Il est à la recherche
d’une qualité plus rude, plus primitive et terreuse de l’architecture. Il y a là un
désir d’immédiateté de l’expérience basée sur nos sensations viscérales et
instinctives.
On peut envisager de rattacher l’architecture de Toyo Ito à la philosophie
existentialiste de Maurice Merleau-Ponty (1908-1961). Merleau-Ponty rattache la
28 HIRATA Akihisa, « Considering the City and Architecture from the perspective of
contextualism and Algorithms: Yoshiharu Tsukamoto x Akihisa Hirata», Japan Architect, n°77,
2010, p.5.
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1. Maison O au Chili, Toyo Ito
Expérience de l'espace englobant.
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philosophie au réel, l’homme est au monde, le monde est habité.29 Elle s’oppose à
la philosophie traditionnelle qui se détache du monde pour l’appréhender, qui est
en quelque sorte hors du réel.
Le thème de la corporalité est une notion-clé de cette philosophie. L’homme n’est
pas une pure conscience, il a un corps et c’est ce corps qui l’inscrit dans le réel.
« Mon corps est le médiateur du monde perçu, seul réel, et non le négateur d’un
prétendu monde en soi », dans L’Œil et l’Esprit.30
Par analogie, la spatialité japonaise évoque cette idée d’un espace « vécu » qu’on
appréhende avec le corps et l’esprit plutôt qu’un espace « à lire » qui ne parle qu’à
l’esprit, dont il s’agit de comprendre la géométrie et les proportions.
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Le projet comme corps
Les deux ordres de Henri Bergson, l’identité géométrique
face à la ressemblance vitale
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La philosophie de la connaissance par l’intuition d’Henri Bergson (1859-1941)
peut nous permettre d’approfondir ce sujet. En effet, dans L’Evolution créatrice,
Bergson substitue aux apories philosophiques de l’ordre et du désordre, l’idée
qu’il y a deux espèces d’ordre.
Il y a un ordre par « détermination réciproque nécessaire des éléments
extériorisés les uns par rapport aux autres » ; c’est un ordre par juxtaposition
d’éléments rendus isolables au moyen de quelque artifice ou appareillage de
l’intelligence. Et puis, il y a l’ordre par « progrès sous forme de tension », un ordre
par « création continue » ; c’est-à-dire par interpénétration d’éléments considérés
comme formant un tout indémêlable. Le premier ordre est « automatique », fondé
sur la possibilité de prévision ; le second est « vital », donc imprévisible. Dans l’un,
le temps est schématisé selon l’homogénéité spatiale, autrement dit il est nié.
Dans l’autre, « une irrétrécissable durée fait corps » avec tout et « rend la
succession, ou continuité d’interpénétration dans le temps, irréductible à une
simple juxtaposition instantanée dans l’espace ».31
Bergson situe le premier « ordre » du côté de l’identité « géométrique », et le
second du côté de la ressemblance « vitale ».
En tant qu’architecture, les constructions de Toyo Ito n’échappent pas à l’ordre
géométrique. Mais c’est une géométrie particulière, qui tient plus de la logique
géométrique que de la répétition d’un élément isolable. Le second ordre de
Bergson semble plus à même de décrire les bâtiments d’Ito. En effet, les surfaces
continues et l’interpénétration des formes de l’opéra de Taichung, la coque
continue du parc Grin Grin, et la spatialité homogène de la Médiathèque Sendai
matérialisent le concept de ressemblance vitale car ils forment une totalité
indissociable plutôt qu’un collage d’éléments isolables. Ce sont des formes qui
évoquent une sorte de vitalité naturelle plutôt qu’un artifice. Chez les
Métabolistes, la nature est appréhendée comme “changement”, ils cherchaient à
29 "L'homme est au monde. C'est dans le monde qu'il se connaît."
MERLEAU-PONTY Maurice, La Phénoménologie de la Perception, Gallimard, 1945, p.11.
30 MERLEAU-PONTY Maurice, L’Œil et l’Esprit, 1960.
31 DIDI-HUBERMAN Georges, MANNONI Laurent, Mouvements de l’air : Etienne-Jules Marey, photographe
des fluides, Paris, Editions Gallimard, 2004, p. 260-261.
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Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy
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1. Opéra de Taichung
Vue intérieure d'une grille orthonormée.
2. Opéra de Taichung
Vue intérieure d'une grille déformée en
arrondissant les coins.
3. Exposition une Nouvelle Réalité
Les visiteurs circulent entre les maquettes à
grande échelle sur un sol ondulé fait de buttes et
de creux où se reposer.
4. Exposition une Nouvelle Réalité
Maquette en taille réelle du moule de la toiture
courbe du crématorium de Kakamigahara.
4
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Le projet comme corps
déterminer des principes de mutation, un processus vital. La conception et la
technologie doivent être une dénotation de la vitalité humaine.
la grille des modernes É
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« Ce que j’essaie d’imaginer maintenant c’est une sorte d’hétérogénéité qui
dépasserait l’homogénéité. C’est ce que j’essaie de dire par la «distorsion de
l’homogénéité». Vu sous un angle social, je pense que l’accent général mis sur
l’homogénéité a tendance à endormir les gens dans une espèce d’état
catatonique. Ma propre position est radicalement opposée à cela. »
Il s’agit de « créer des espaces plus organiquement complexes par ce que j’appelle
la «grille émergente. » Toyo Ito.
Trois scientifiques japonais ont remporté en 2008 le prix Nobel de physique pour
leurs recherches sur la symétrie brisée dans la physique subatomique. Les
particules subatomiques que l’ont croyait jusqu’alors parfaitement symétriques
sont en réalité des symétries brisées. Il est maintenant prouvé que ces « brisures »
viennent à créer des fluctuations et une richesse qui contribuent à différents
phénomènes de la nature.
Par analogie, Toyo Ito est en quête d’un ordre qui viendrait briser la grille
orthogonale des modernes et il évoque l’intérêt qu’il y aurait à découvrir de
nouvelles règles qui correspondent au mouvement de ces particules
subatomiques.
« Ceci est corroboré par le fait que l’interaction de la symétrie et l’asymétrie
génère la relation entre la forme et le mouvement des organismes du monde
naturel. », Toyo Ito, 1995.32
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2.3 Assouplir
Le milieu peut être comparé à l'espace liquide.
Comme le souligne Jacques Lucan, l’idée de milieu se substitue à celle d’espace.
On est comme dans un aquarium. Ce qui est primordial est la sensation de fluidité
dans une lumière homogène.33
2.4 Assouplir
le plan du sol Toyo Ito cherche à assouplir le plan du sol dans une architecture où le plan du sol
et celui de la toiture viennent parfois se confondre comme dans le parc Grin Grin.
Coupe des serres du parc Grin Grin.
« En fin de compte, la différence entre les arbres et l’architecture réside tout
simplement dans la présence d’un plancher horizontal. »34
Construire un sol à rez-de-chaussée en formes de buttes pose la question de
l’accessibilité aux personnes à mobilité réduite. Mais plus qu’aux limites de telles
recherches formelles, on doit s’intéresser à leur portée innovante. Comme le dit
Ito :
ITO Toyo, « Transparent (the) Urban Forest », Japan Architect n°19, 1995, p.77.
LUCAN Jacques, Composition, non-composition, Lausanne, Presses Polytechniques et
universitaires romandes, 2009, p.574-575.
34 FUJIMOTO Sou, « Espace liquide et espace fractal », El Croquis, n°147, 2009, p.6-20.
32 33 Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy
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1. Centre d'arts scéniques de Matsumoto,
2004
La recherche d'une continuité organique:
le mobilier du Centre d’arts scéniques de
Matsumoto illustre la recherche d’une fusion
organique des éléments de l’architecture à
travers des formes plastiques tridimensionnelles,
et préfigure la structure de l’Opéra Métropolitain
de Taichung.
Ici, la fusion s’exprime notamment par la
blancheur du banc qui semble irradier la
moquette.
2. Prototype de la structure de l’opéra de
Taichung
Une structure courbe en béton armé.
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Le projet comme corps
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« Nouvelle Réalité » comme catalyseur pour engager et renforcer la relation des
utilisateurs avec le bâtiment.36
Mais peut-on imaginer des sols courbes sur plusieurs étages ? Dans l’opéra de
Taichung, les planchers sont horizontaux mais comme les murs structurels sont
courbes, on a l’effet d’assouplissement du plan du sol.
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« Je pense que le sol horizontal crée une tension chez les gens. (...) Je pense que
l’ordonnance de l’espace est ce qui introduit une tension chez les gens et c’est
pour cela que je veux rendre les limites du sol imprécises. Je suis très intéressé par
les situations où les limites se dissolvent. »35
d’une continuité organique, intégration espacestructure, fusion des surfaces
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2.5 Recherche
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Les constructions récentes de Toyo Ito se caractérisent par leurs formes
organiques. Cette liberté formelle peut sembler gratuite mais elle s’appuie sur une
réflexion structurelle. Ainsi, l’expression organique passe par une recherche de
continuité structurelle. La création de formes continues nouvelles est utilisée pour
leur potentiel formel et paysager. On observe notamment que la structure devient
surface. Chez Ito, cela se traduit par un vocabulaire de rubans en béton armé
comme dans les projets du Parc Grin Grin et de l’opéra de Taichung et de maille
métallique comme dans la médiathèque de Sendai.
Dans le Style international, une structure autonome perfore un espace librement
découpé, qu’elle ponctue plutôt qu’elle ne le définit. Dans les projets de Toyo Ito,
c’est une architecture structurelle continue, la structure elle-même produisant
l’espace.
Le projet de l’opéra de Taichung, conçu avec l’ingénieur Cecil Balmond, sera le
premier projet de structure continue superposant plusieurs planchers.
Ce sont de nouvelles structures globales. En tant que solution structurelle globale,
l’architecture et la structure sont fusionnés.
Ces projets de structures sont conçus grâce à l’étude de formes géométriques
tirant parti de leurs qualités intrinsèques. Toyo Ito se pose contre le mouvement
de formalisation qui recherche un ordre rigidement fixe et stable tout en
appuyant ses formes organiques sur une vérité structurelle. Il y a une exigence
« organique » d’intégration de l’espace et de la structure : en concrétisant cette
exigence, l’édifice devient un objet qui se suffit à lui-même et s’explique par luimême.
Les éléments de construction s’intègrent dans une forme unique élémentaire.
L’architecture se veut à la fois intégrée dans son environnement et intégratrice
dans sa formalisation.
L’Opéra Métropolitain de Taichung parvient par la répétition d’un motif
géométrique (la demi-tore) à atteindre un degré d’organicité qui évoque le corps
humain et la géologie. La forme de l’opéra de Taichung est celle d’une bouche ou
35 FUJIMOTO Sou, op. cit., 2009.
36 ITO Toyo, The New « Real » in Architecture, http://www.operacity.jp, site internet de l’exposition
réalisée à la Tokyo Opera City Art Gallery, 2006.
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Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy
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1. De la maison Domino à l'opéra de Taichung
Vers une fusion des éléments verticaux et
horizontaux.
2. Projet Vestbanen, Oslo, 2002
Un bloc creusé de vides.
3. Projet Vestbanen
Maquette conceptuelle: un réseau de lignes
remplit le volume sans le rendre solide.
4. Projet Vestbanen, Oslo, 2002
Un réseau de lignes se solidifie pour former
des tubes structurels qui imitent des formes
cristallographiques.
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d’une oreille.
Il s’agit de trouver ce moule élémentaire, qui par sa répétition, puisse définir et
supporter par lui-même l’étendue spatiale, configurer et supporter de manière
équivalente les espaces situés de part et d’autre de celui-ci, de sorte que les
espaces soient tout deux positifs. Pour que cela se réalise, les deux parties du
moule doivent être identiques - la forme et la contreforme qu’il délimite - et celuici doit se matérialiser à la fois comme enveloppe et structure. Volume, structure et
espace se fondent en une même forme.
C’est un réseau flexible de vases communicants qui a été tranché sur les quatre
côtés pour former une boîte rectangulaire. On retrouve le thème de la corporalité
naturelle de l’architecture : sorte de tissu, la structure induit la nature.
« L’effet structurant » se confond avec « l’effet enveloppant ».
Inverser la tradition de situer l’architecture dans la nature. Au lieu de cela, l’œuvre
d’Ito cherche à « induire la nature dans la forme construite ».
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Système formel intégrateur ire
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La géométrie, la structure et le volume sont intégrés au sein d’un système formel
dit intégrateur. Cela n’empêche pas la liberté et l’aléatoire dans le développement
concret de ces éléments.
D’après l’ingénieur Mutsuro Sasaki, la médiathèque de Sendai est une
réinterprétation de la maison Domino de Le Corbusier où les colonnes sont
remplacées par des tubes organiques. Mais l’indépendance des éléments pose
problème, deux logiques s’opposent : d’un côté, il y a la logique des plateaux
horizontaux hérités de Le Corbusier et de l’autre celle des colonnes organiques.
Cette contradiction est surmontée dans l’Opéra Métropolitain par la fusion des
planchers avec la structure dans une même forme organique.
Volume, structure et espace se fondent dans une même forme.
Projet Vestbanen à Oslo :
Ce projet de médiathèque à Oslo en Norvège de 2002 n’a pas été construit.
Des lignes sans épaisseur acquièrent une consistance structurelle en
s’entrelassant et en se triangulant, alliant légèreté et rigidité, pour former une
version plus aboutie des tubes de Sendai, cette fois liée à l’image de la
cristallographie. C’est une structure polyédrique ouverte.
C’est un système structurel dynamique et non linéaire qui consiste en une
superposition de plateaux qui s’appuient sur des vides en verre (un système
d’arbres vertical) placés de manière aléatoire.
L’édifice devient un objet qui se suffit à lui-même et s’explique par lui-même. D’où
le sentiment d’évidence que l’on peut ressentir lorsqu’on regarde les images du
magasin Tod’s ou de l’Opéra Métropolitain de Taichung.
On peut s’interroger sur l’épaisseur minimale des matériaux, sur la question de la
matérialité.
Que ce soit dans la médiathèque de Sendai ou l’opéra de Taichung, des tubes
perforent le cube comme des veines qui irriguent le bâtiment.
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entre la dynamique générative et l’abstraction rri
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3.1 Synthèse
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L’œuvre récente de Toyo Ito envisage la nature comme processus que ce soit à
travers le modèle architectural de l’arbre qu’en tant qu’outil de travail.
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« Il s’agit d’une aspiration très différente de celle de l’Expressionisme qui imitait
les formes de l’organique. Je veux arriver à l’organique comme méthode de travail.
J’ai parlé d’une aire où se mélangent l’homme et la nature. Si je me paraphrase,
celle-ci est une aire où s’opère une synthèse entre la dynamique générative et
l’abstraction. » Toyo Ito, 2004.37
Ito est en quête d’une « nouvelle abstraction » qui inclurait les sens du toucher, de
l’odorat, de l’ouïe et la vue, au lieu d’une simple abstraction visuelle propre à
l’architecture du XXe siècle. L’abstraction est celle d’une forme naturelle mais aussi
une abstraction pragmatique pour transcender la logique structurelle.
On ne peut que s’interroger en voyant les images de la médiathèque de Sendai,
du projet de Vestbanen ou de l’opéra de Taichung sur la récurrence de la forme
prismatique. En effet, la nature est à chaque fois contenue dans un cube. La forme
cubique est-elle un héritage de la tradition moderniste occidentale ou une
manière d’échapper au formalisme ? Il semblerait que la réponse à cette question
repose dans l’idée qu’Ito envisage son architecture comme une condition
d’expansion intérieure et que pour contenir cette expansion dans un volume
chauffé il se voit obligé de le trancher en ses extrémités. Le cube n’étant qu’une
forme rationnelle pour fermer l’expansion intérieure du bâtiment, on peut aussi
considérer que c’est le processus de croissance intérieure qui l’emporte sur la
capacité de l’architecte à concevoir une forme extérieure. Celui-ci en arrivant
même à désirer un idéal où il n’y aurait pas d’extérieur. Le thème de l’abstraction d’une forme naturelle se retrouve dans la structure de la
façade en forme d’arbre du magasin Tod’s et dans la structure caverneuse de
l’opéra de Taichung. On retrouve l’idée de solutions structurelles globales et
continues en opposition avec l’idée d’assemblage.
37 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.6-15.
40
Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy
1° Déterminé au fil du processus du temps
2° Déterminé selon des relations relatives
3° Déterminé selon des règles simples
4° Ouvert à son environnement
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5° Système fractal
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1. L'arbre comme modèle architectural
Croquis de Toyo Ito.
source : Recent Projects.
2. Centre de conventions au Qatar, Arata
Isozaki
Une structure en tronc d'arbre élaborée avec
Mutsuro Sasaki, l'ingénieur du Parc Grin Grin.
4. Parc Grin Grin
Maquette de la structure en ruban.
3. Auvent à Barcelone, Arata Isozaki
Une structure arborescente devant le Forum
Caixa.
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Le projet comme processus
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Ordre génératif : l’arbre comme modèle architectural
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L'arbre représente au même titre que la forêt un modèle à imiter.
«C’est une manière assez métaphorique de le dire, mais la création de bâtiments a
souvent été pour moi une façon de recréer des forêts. Je pense les bâtiments pas
tant comme des constructions mais comme des choses naturelles comme les
jardins, les bois, les forêts et les cours d’eau.» Toyo Ito, 199538.
Le modèle architectural et structurel de l’arbre est aussi utilisé par le japonais
Isozaki dans ses productions les plus récentes comme le centre de conventions au
Qatar.
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Ito rêve de pouvoir créer des arbres. Les arbres représentent un idéal qui, naissant
d'une simple graine, vient croître de manière harmonieuse dans son
environnement. Cette harmonie de la forme vivante est due à sa croissance
continue dans le temps et tient à des relations relatives entre les parties.
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La logique derrière les décisions formelles
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La collaboration avec les ingénieurs Mutsuro Sasaki, Cecil Balmond et Masato
Araya est essentielle dans la conception et la réalisation des différents projets de
Toyo Ito.
La liberté acquise par Ito est permise par les procédés actuels de génération de la
forme. Elle se base sur de nouvelles géométries et des structures continues.
Ce sont des géométries qui bien qu’euclidiennes sont de type non-linéaire, parfois
en « spirale » ou bien une « connexion de réseau ». L’opéra de Taichung, malgré
son apparente complexité, consiste en un empilement de demi-tores.
L'organique est développé comme méthode, avec l'utilisation de règles
géométriques.
Prenons l'exemple du parc Grin Grin, il s’agit d’une structure en ruban.
«La technique de design qui rend possible cette structure est totalement unique,
appelée la méthode d’analyse de forme. D’abord, une forme est choisie, dont les
variations sont simulées à l’ordinateur de manière à ce que la charge de torsion,
énergie de tension et distorsion soit minimale. Ensuite une forme
structurellement optimale est donnée comme forme évoluée. Des rétro
alimentations à ce processus sont inter changées plusieurs fois entre les designs
architecturaux et structurels. Finalement, on obtient une architecture avec une
coque de 40 cm de béton armé.»39
La méthode d’analyse de forme renverse l’analyse structurelle traditionnelle qui
admet une grille de poteau et poutres comme condition préalable sur laquelle on
calcule les déformations.
Cela ouvre d'amples perspectives formelles puisque l'on peut maintenant
optimiser une forme en apparence libre pour la rendre efficace structurellement.
38 ITO Toyo, « Transparent (the) Urban Forest », Japan Architect, n°19, 1995, p.76.
39 SASAKI Mutsuro, Morphogenesis of Flux Structure, AA Publications, Londres, 2007, 111 p.
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1. Parc Grin Grin
Etapes successives de la méthode d'analyse de
forme.
2. Musée Teshima, Ryue Nishizawa (SANAA)
en collaboration avec Mutsuro Sasaki.
4. Objet fractal, Benoît Mandelbrot, 1975
Géométrie fractale qui rappelle la façade du
magasin Tod's de Ito.
source : Composition, non-composition
3. Magasin Tod's, 2004
L'enveloppe devient structure et reprend le motif
des branches d'un arbre qui s'entrelassent.
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C'est une suggestion à la réalisation d’espaces dynamiques, déformés,
topologiques qui seront emblématiques du XXIème siècle.
Comme le dit Sasaki, cette méthode ne saurait se limiter à une architecture de
coques en béton armé, il s'agit de « créer des environnements touchés par la
grâce de la nature organique. Ceci est maintenant à un stade initial de traiter des
éléments essentiellement primitifs à l’aide de coques surfaciques librement
courbées »
Sasaki développe une seconde méthode de calcul structurel qu'il appelle la
méthode d’optimisation structurelle évolutive étendue tridimensionnelle (3D
Extended Evolutionary Structural Optimisation) qui utilise les principes
d’évolution et d’auto-organisation des êtres vivants. Ceux-ci sont adaptés d’un
point de vue technique, pour générer des formes structurelles rationnelles par le
biais d’un ordinateur.
Ces nouvelles méthodes de conception sont de nature à créer un nouveau
paradigme qui supplanterait le mouvement moderne.
« Une série de projets que j’ai commencé à qualifier de structures de «flux». J’en
viens de plus en plus à penser que ce type d’architecture, avec une structure qui
coule et se fond, est en passe de devenir une méthode importante, au-delà
modernisme et de la pratique contemporaine. », Mutsuro Sasaki.40
Dans cette collaboration étroite avec les ingénieurs, Ito apparaît comme le poète
de la forme, dans le sens où il donne une âme à ces méthodes de conception.
« J’imagine toujours des choses lisses et soyeuses, comme les nuages qui n’ont
pas une forme évidente. Et ce qui est en jeu n’est pas de leur donner directement
une forme, mais plutôt d’amener la géométrie sur ce terrain. »
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Dans l'opéra de Taichung, bon nombre des effets sont le résultat d’un léger
déplacement de la grille des espaces circulaires du bâtiment entre les différents
étages. Les surfaces courbes relient les zones circulaires irrégulières entre les
niveaux et créent des espaces définis.
La clé semble être la tolérance, qui permet que les lignes d’un bâtiment soient
légèrement inclinées au lieu de droites, sans s’effondrer.
Il s'agit de créer une structure qui intègre des niveaux extrêmement subtils de
tolérance, pour un maximum d’effet visuel. L'inspiration qu'évoque Sasaki pour
illustrer ce propos est l'architecture de Gaudi.
Ce nouveau courant organique s'appuie donc sur une logique structurelle comme
le faisait Gaudi avec ses structures caténaires La structure se veut positivement
rationnelle.
Les développements récents portent sur l'architecture fractale.
Le parc de la Gavia à Madrid en est un exemple. Ce parc dont le projet date de
2003 occupe 39 hectares. La nature devient ici un outil de travail. Il y a un
processus d’abstraction à partir d’éléments naturels comme les arbres pour
obtenir un modèle de formalisation basé sur la géométrie fractale, une géométrie
qui a émergé comme on le sait pour étudier la forme très irrégulière ou
interrompue de certains éléments naturels.
40 SASAKI Mutsuro, Morphogenesis of Flux Structure, AA Publications, Londres, 2007, 111 p.
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1. Projet pour le parc de la Gavia, Madrid
Une abstraction du dessin d'un arbre en plan
répétée pour créer un système topographique
d'épuration de l'eau.
2. Projet pour l'Université Nationale de
Taïwan, 2006
Système de croissance algorthmique en double
spirale pour disposer les poteaux champignons
de la bibliothèque.
4. Johnson Wax, Frank Lloyd Wright, 1939
Vue intérieure de l'espace de travail et ses
poteaux champignons.
3. Projet pour l'Université Nationale de
Taïwan, 2006
Vue intérieure de l'espace de la bibliothèque.
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Le projet comme processus
La croissance algorithmique
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En 2010, Toyo Ito écrit un article intitulé : « les algorithmes ne sont rien de plus
qu’une opportunité pour créer une architecture qui respire. ».
Le bâtiment est vu comme un organisme vivant. Les formes plastiques organiques
sont dessinées non pas comme imitation de la nature mais comme résultat d’un
processus de croissance. Le terme processus désigne ici l’utilisation de règles
génératives définies à partir d’algorithmes qui développent des géométries plus
ou moins complexes.
Par définition, l’algorithme est une suite finie de règles opératoires à appliquer
dans un ordre déterminé à un nombre fini de données afin d’effectuer un calcul
numérique en un nombre fini d’étapes. Le terme d’« algorithme » en lui-même ne
se limite pas à la génération de la forme par un ordinateur autonome ; ça a le sens
plus large de « processus logique ».
Comme le dit Akihisa Hirata: « Je crois qu’un bâtiment peut être considéré de la
même manière qu’une plante qui pousse d’une graine. L’algorithme étant un
principe générateur qui détermine comment cette graine va croître. »
Il s'agit alors d'établir des valeurs initiales pour les critères de conception.
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Comme le dit Ito: « Pour générer de la complexité, je regarde un ordre comme
celui des plantes, où s’appliquent quelques règles simples pour révéler la
complexité. Je trouve ce type d’ordre fascinant. »
Les algorithmes ont donné des compositions spatiales fondées sur des grilles non
orthogonales. C'est le cas du projet pour l'université nationale de Taiwan qui
ressemble à si méprendre à la Johnson Wax de Frank Lloyd Wright..
Les colonnes sont arrangées selon un algorithme de double spirale dit naturel car
on le retrouve dans la nature.
Il s'agit de s’étendre à partir de règles locales, sans contrôle du haut vers le bas à
l'image des géométries fractales ou de la structure d'un arbre.
On voit donc qu'une architecture contemporaine qui utilise les technologies les
plus avancées peut avoir une certaine naturalité.
« La nouvelle technologie n’est pas opposée à la nature mais elle est, au contraire,
en train de créer un nouveau type de nature artificielle qui pourrait se dénommer
virtuelle. » El Croquis, n°123.
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Conclusion É
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Inspiré par la culture japonaise qui recherche une symbiose avec la nature, Toyo
Ito interprète la notion de nature de manière contemporaine à travers des formes
architecturales organiques.
L'environnement est appréhendé comme un continuum qui pénètre dans le
bâtiment, l'enveloppe se fait la plus mince possible. L'idéal étant de développer
dans l'avenir une architecture qui respire, à travers une peau qui aurait une
fonction métabolique, où s'effectuerait un processus d'échange énergétique
continu avec le monde extérieur.
« Maintenant, mon intérêt se porte sur l’architecture qui ressemble aux formes
vivantes et trouver comment la faire respirer comme elle le devrait. »41
A travers les oeuvres d'Ito, la nature est interprétée comme condition spatiale
mais aussi comme corporalité par le biais d'une architecture structurelle où
fusionnent espace, structure et enveloppe.
Cette architecture, par ses formes aux références naturelles, aspire à reconnecter
l'homme avec des sensations corporelles primitives.
Enfin, la nature est interprétée comme un processus de croissance dont il s'agit
d'imiter les règles. Mais là où de nombreux architectes s'intéressent aujourd'hui
aux règles de la nature d'un point de vue purement scientifique, Ito se démarque
par son approche holistique quasi poétique du sujet.
La mimésis ressort comme un thème permanent de cette étude sur le rapport du
travail de Toyo Ito à la nature.
Ito a lui-même influencé la nouvelle génération d’architectes. Kazuo Sejima a
travaillé chez lui avant de fonder SANAA, bien que dans son cas le travail sur la
forme et l'enveloppe privilégie l'esthétique minimaliste aux dépends de la
recherche sur le rapport entre l'homme et la nature.
La démarche d'Ito ouvre de nouvelles pistes à explorer dans le dépassement des
mouvements moderne et post-moderne à travers un nouveau paradigme basé
sur la fluidité de la nature.
41 ITO Toyo, « Algorithms Are Nothing More Than an Opportunity to Create Architecture that
Respires », Japan Architect, n°77, 2010, p.36.
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Décembre 2011
Un nouveau chapitre dans l'œuvre
Directeurs de mémoire
Jean-François Blassel
Guillemette Morel-Journel
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de Toyo Ito
Induire la nature dans la forme
construite
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Résumé
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Toyo Ito, architecte japonais né en 1941, développe depuis ses débuts une
architecture sensible à son environnement à travers des thèmes comme la
fluidité, l’éphémère ou l’immatérialité.
Mais au-delà de ces thèmes, il semble que la clé de son architecture soit la notion
de nature. Ito revendique vouloir recréer des environnements naturels, des forêts,
ou alors de construire des édifices à l’image des arbres.
Ainsi, parmi ses premières réalisations, il y a la Hutte d’Argent, une réinterprétation
du mythe de la hutte primitive. La tour des vents, elle, s’illumine différemment au
gré des conditions météorologiques. Quant au musée de Yatsushiro de 1992, il est
à moitié enterré pour se fondre dans le paysage, la partie émergente étant faite
de voûtes légères qui semblent prêtes à s’envoler.
Mais sa réalisation la plus remarquée est la médiathèque de Sendai, construite en
2001, caractérisée par sa structure organique dans un cube de verre.
Cette étude prend comme postulat que cette réalisation est un tournant non
seulement dans la carrière de Toyo Ito mais surtout dans sa manière de concevoir
l’architecture.
On se propose d’étudier ses projets les plus récents, en particulier le projet
de médiathèque à Oslo, le parc Grin Grin à Fukuoka et l’opéra métropolitain
de Taichung à Taïwan. La problématique qui se pose est en quoi la démarche
architecturale de Toyo Ito propose-t-elle une interprétation contemporaine de la
notion de nature.
Le développement fait apparaître trois approches projectuelles : le projet comme
milieu, le projet comme corps et le projet comme processus.
Le projet comme milieu regarde l’approche spatiale, le milieu désignant le
continuum spatial qui englobe le bâtiment et son environnement. On fait resurgir
la quête d’un espace fluide et une conception japonaise de l’espace qui s’appuie
sur une symbiose avec la nature. Le milieu se caractérise par une dissolution des
limites entre dedans et dehors et ce qu’on appellera une densité de l’espace.
On aboutit à l’approche phénoménologique de l’espace inspirée par Maurice
Merleau-Ponty.
Le projet comme corps aborde le thème de la corporalité de l’architecture qui se
traduit chez Ito par l’intégration entre structure et espace.
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J’introduis la philosophie d’Henri Bergson qui distingue l’ordre par identité
géométrique de celui par ressemblance vitale auquel j’essaierai de rattacher Ito.
Le projet comme processus reprend cette idée d’ordre vital mais à travers la
recherche de règles de croissance naturelle. On s’intéresse aux algorithmes et aux
nouvelles méthodes d’analyse de la forme qui naissent de la collaboration avec
les ingénieurs et notamment Mutsuro Sasaki.
Ces nouvelles méthodes sont d’ordre à créer un nouveau paradigme de nature
à supplanter les mouvements moderne et post-moderne. Ce paradigme se
fonde sur la notion de nature qu’il s’agit d’imiter non pas seulement à travers des
formes organiques mais par le biais d’une conception holistique qui intègre des
considérations spatiales et structurelles.
La structure inédite de Sendai apparaît finalement comme la naissance de ce
paradigme sur lequel se base maintenant la démarche d’Ito. Celle-ci tend vers une
nouvelle liberté formelle toujours plus proche des formes vivantes à travers ce
qu’il appelle une architecture qui respire.

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