3 Le sultan des tolbas

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3 Le sultan des tolbas
Maroc’31
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MarocSoir
28•04•2006
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Le sultan des tolbas
ARCHIVES MAROC SOIR
COMMENTAIRE
JEAN-LUC PIERRE
Quand le désordre
conforte l’ordre établi
’orgine de la fête du Sultan des
Tolbas à Fès remonte à Moulay
Rachid dans la seconde moitié du
XVIIe siècle. Elle a, en effet, été créée
par le fondateur de la dynastie
alaouite pour remercier les étudiants des
médersas, les tolbas, grâce auxquels le
souverain avait pu s’emparer de la plus
ancienne capitale du Maroc.
Chaque année, après le Ramadan, et ceci
pendant trois siècles, la fête se déroulait
suivant un rituel immuable. Les étudiants
envoyaient une délégation à la cour du sultan
légitime en son palais de Fès afin d’obtenir la
permission de commencer la fête. Ensuite, les
tolbas organisaient la vente aux enchères de la
couronne de la future royauté burlesque. Le
troisième jour, dès que le sultan de carnaval
était proclamé, il se mettait à parodier les
rituels auliques. Un vizir et un maître des
cérémonies étaient désignés pour le servir et
ses grand commis s’attachaient à caricaturer
les usages des fonctionnaires du Makhzen.
Pendant ce temps un pseudo-prévôt des
marchands parcourait la ville pour taxer les
boutiquiers du souk et les plus riches
personnages de Fès. Un trésorier gérait le
trésor ainsi amassé pour organiser les
festivités qui consistaient principalement en
festins. Le lieu de la cour burlesque était aussi
symbolique. Auprès de la rivière, le pacha de
Fès avait fait dresser des tentes où les
étudiants allaient camper durant la période de
la fête. Comme s’il s’agissait d’un voyage de
sultan en son empire, le campement
comportait une écurie, un orchestre et une
garde royale. Le cheval, le costume et même la
garde du sultan des tolbas étaient offerts par le
véritable sultan du Maroc. Ainsi paré, le sultan
d’opérette recevait les hauts personnages de
l’empire. Au cours des audiences, les familiers
du sultan régnant et les représentants de la
communauté juive de Fès apportaient des
cadeaux en témoignage de soumission.
Durant toute la fête, la cour carnavalesque
rédigeait des décrets sur les sujets les plus
saugrenus au milieu des ripailles. Enfin, le
sixième jour, le vrai sultan rendait visite au
sultan des tolbas, en jurant de ses bonnes
intentions. Après la prière du vendredi, le
sultan de pacotille devait disparaître au cours
de la dernière nuit et tout rentrait dans
l’ordre.. Toutes les sociétés élaborent des
rituels d’inversion qui, dans un apparent
désordre, confortent l’ordre social. Le théâtre
représenté sous les auspices de Dionysos
exprimait déjà, en un spectacle, la violence
contenue dans la société. Les saturnales
romaines parodiaient le pouvoir avec la
désignation d’un esclave auquel les plus
grands personnages de l’empire étaient tenus
d’obéir. Plus près de nous, le carnaval exprime
encore le besoin d’évacuer les violences
physiques et verbales inexprimables en temps
normal. Les mots, les gestes, les passions
réprimées par l’urbanité habituelle pouvaient
se donner libre cours durant un temps
déterminé. Ainsi, l’élection d’un sultan des
étudiants s’inscrivait à fois dans un processus
classique de l’inversion et dans une histoire
particulière à la capitale intellectuelle du
Maroc. Si aujourd’hui encore, l’Achoura
assure cette fonction cathartique dans la
société arabo-musulmane, la fête des tolbas a
cessér dans les années 70 par crainte de
quelques débordements qui auraient pu
s’inscrire en faux par rapport à la tradition.
L
Une ancienne
tradition
de la capitale
spirituelle
du royaume.
La «Vigie Marocaine»
Documents
Fès.7 mai 1931. «Hier a été élu le
nouveau sultan des Tolbas. C’est
un étudiant à la médersa de Bouinania nommé Mohamed ben
Embarek. Le nouveau sultan est
sorti de son campement impérial
de l’oued Fez, accompagné de ses
vizirs, pour aller à la rencontre de
moulay Mammoun, khalifat du
sultan. Le sultan des tolbas était
précédé des portes lances, des
abids et du caïd Rouah. Un parasol vert était arboré par un esclave au dessus de la tête du souverain d’opérette. Les assas et
mokhzanis avaient toutes les
peines du monde à contenir le
désordre quand la cavalcade des
autorités chérifiennes parvint au
pont. Le khalifat était accompagné d’une brillante chevauchée
de gens de guerre des Oudaïas et
de spahis. Derrière le khalifat se
trouvait le mohtasseb Si Driss elMokri et le khalifat du pacha Sid
el Mekdi Benchekroun. Puis venaient, sur des chevaux richement harnachés, les oulémas et
les membres du Majlis el-Baladi
avec leur nadir Si Benani Smires.
Après les salutations protocolaires, le khatib Si Abdeslam elDjebli commença un long et amusant discours au caractère
bouffon. Puis arriva un défilé de
mules qui apportait la mouna impériale constituée de jarres de
beurre, d’huile, de farine, de bougies, de thé. Un troupeau de vingt
moutons envoyés par les tajers
de Fès augurait des prochaines
ripailles. Le sultan rentra dans sa
tente après avoir demandé la grâce de Mohamed ould Ali de la tribu des Aït-Hayaïna, qui a encore
trois ans de prison à accomplir.
L’après-midi a été occupée par
des visites aux autorités municipales, au barreau de Fez.»
h
Détail d’une affiche de la Compagnie des Chemins de Fer PLM et de la Compagnie de Navigation Paquet : «Le Maroc par
Marseille». Maurice Romberg, 1920. Le Sultan sortant de Bab el Makina à Fès.
histoire plus
L’origine de
la fête selon
La Vigie
3 0 M A R S 1 9 5 6 . «Pour la
première fois depuis plusieurs
années le sultan des Tolbas parcourt les rues de Fez. L’origine
historique de la fête des Tolbas
se rattache à l’accession de la
dynastie alaouite à la souveraineté du Maroc.
Moulay Rachid après avoir
conquis presque tout l’Empire
avait échoué devant Taza que
gouvernait cruellement un tyran. Celui-ci exigeait un tribut
qui consistait notamment en
Vue de la
cour de la
Medersa
Essahrij
construite
sous la
dynastie
Mérinide au
XIVe siècle
dans le
quartier des
Andalous
à Fès.
femmes de Fez. Les étudiants
de Fez complotèrent de libérer
leur ville de cette odieuse
contrainte. Ils partirent avec un
convoi de mulets portant le
tribut.
Des étudiants déguisés en
femmes voilées et d’autres
s’étant laissés enfermer dans
des coffres.
Arrivés à Taza, ils abandonnèrent leurs déguisements,
quittèrent leurs coffres et égorgèrent le vieux tyran.
Moulay Rachid les récompensa en leur allouant chaque
année les subsides et l’aide
de la Cour pour une fête printanière qui rappelle cet acte
audacieux.»

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