le développement d`un style

Transcription

le développement d`un style
architecture et jardins moghols
Texte
George Michell
Photographies
Amit Pasricha
2 Introduction
Stylistic development 3
LE DÉVELOPPEMENT
D’UN STYLE
L’architecture moghole est une fusion de formes constructives, de techniques structurelles
et de motifs décoratifs importés d’Asie centrale et d’Iran avec certaines pratiques ancestrales
du sous-continent indien. Si, de ce point de vue, ses accomplissements peuvent être considérés
comme une tradition hybride, l’ambition de leur échelle, la sûreté stylistique des monuments
et la perfection de leur ornementation font aussi que l’on ne peut les considérer comme
de simples dérivés de l’histoire de l’architecture indienne. Au contraire, les plus prestigieux
monuments et jardins moghols témoignent toujours d’une imagination inspirée, comme on
peut le ressentir devant le Taj Mahal à Agra, la cité-palais de Fatehpur Sikri et les jardins de
Shalimar à Lahore. Avec le temps, l’architecture moghole est passée d’une première période
d’innovation à une seconde vouée tout au plus à la répétition et perdant en grande partie son
inventivité initiale. Néanmoins, au milieu du xixe siècle, alors que la dynastie impériale moghole
était éteinte, son architecture était fermement établie dans tout le pays et devenue un langage
esthétique national, tenu pour le mode de construction quintessentiel de l’Inde, adopté par des
commanditaires aussi bien musulmans qu’hindous pour leurs constructions religieuses
ou séculières, ainsi que par les Britanniques pour leurs bâtiments publics. Les constructions
de style moghol firent même une timide apparition hors de l’Inde, comme en témoigne le Royal
Pavilion érigé pour le prince régent à Brighton, au Royaume-Uni, à partir de 1787.
LES COMMENCEMENTS : BABUR (règne 1526-1530)
ET HUMAYUN (règne 1530-1543 ET 1555-1556)
Descendants des souverains timourides d’Asie centrale, les Moghols étaient déjà connus pour
leur style architectural d’inspiration persane, comme le montrent les monuments de la fin
du xive et du début du xve siècle des capitales timourides de Samarkand (Ouzbékistan actuel)
et Herat (Afghanistan actuel). Si l’on ne dispose d’aucune trace d’activité constructive des
Moghols chez eux à Ferghana (Ouzbékistan actuel), ils se transformèrent en constructeurs
enthousiastes une fois éloignés de leurs bases. Après avoir défait les forces supérieures en
nombre d’Ibrahim Lodi à la bataille de Panipat, dans le nord de l’Inde, le 21 avril 1526, Babur,
fondateur de la dynastie moghole, fit venir des architectes et des artisans de talent de son pays
natal. Malheureusement, les jardins et palais qu’il fit édifier à Agra ont pratiquement disparu,
à l’exception des quelques traces d’un jardin à Dholpur, à environ 50 kilomètres plus au sud.
À la mort de Babur, Humayun hérita d’un royaume déjà étendu. La lourde tâche
d’administrer des territoires lointains et de mettre au pas ses ennemis l’occupa jusqu’à ce qu’il
soit chassé de l’Inde en 1543 par Sher Khan Sur, officier d’origine afghane. Dans ce contexte, il
réussit néanmoins à construire à énorme échelle. En 1533, il fonda une citadelle de conception
grandiose à Delhi, aujourd’hui appelée Purana Qila, ou Vieux Fort. L’importance accordée à
Babur inspectant le Bagh-i
Wafa, « jardin de la Fidélité »,
qu’il avait aménagé au bord
la maçonnerie était conforme aux pratiques antérieures du sultanat de la région. Les pavillons
de toiture à coupole, appelés chhatri, qui surmontaient les portes d’entrée du Purana Qila
de la grande route menant
annonçaient un élément caractéristique qui devait connaître une longue carrière en
de Kaboul à l’Hindoustan
Hindoustan. La couverture de carreaux de couleur vernissés de ces chhatri, aujourd’hui
dix-sept ans avant d’envahir
l’Inde et d’y établir la dynastie
disparue pour l’essentiel, était une concession au goût iranien. La seule structure de la citadelle
moghole. Miniature extraite
attribuable avec une certaine certitude à Humayun est le Sher Mandal, pavillon octogonal
d’une version illustrée
du Babur Nama, vers 1595.
à niches en cintre brisé de style timouride couronné d’un chhatri. Non loin se trouvent deux
tombeaux d’esprit encore plus purement timouride, et datant peut-être du règne d’Humayun,
Pages précédentes Vue
du Taj Mahal à travers l’entrée
monumentale méridionale.
18 Introduction
aux coupoles bulbeuses habillées de carrelage à la manière caractéristique de l’Asie centrale.
Une autre preuve de l’influence timouride dans l’architecture d’Humayun est la mosquée
le développement d’un style 19
les angles du toit plat qui les surmonte. Les plafonds plats reposent sur des voussures. Le Khass
Mahal d’Agra est encadré par deux pavillons de style bangla, en partie masqués car appartenant
à la zone du zénana du palais. Ce n’est qu’à Lahore que le style bangla assume son indépendance
architecturale comme dans le pavillon Naulakha, isolé, sans doute construit pour l’usage
personnel de l’empereur. Un autre élément typique des palais de Shah Jahan est le Shah Burj,
« tour royale », appelé aussi Musamman Burj pour son plan octogonal qui se projette en partie
hors du rempart. À Agra et Delhi, cette tour, surmontée d’une salle octogonale entourée d’une
véranda à arcades, sert de belvédère. À Lahore, le Shah Burj est devenu un complexe
indépendant dont les appartements, construits dans la partie arrière partiellement octogonale,
ouvrent sur une cour privée aménagée contre les murs du fond.
En dehors des centres impériaux, les palais sont souvent implantés en bordure ou même
au centre de lacs artificiels. Les pavillons d’agrément à toit plat érigés par Jahangir et Shah Jahan
surplombent ainsi le grand lac d’Ajmer. À Narnaul, un pavillon carré à toit plat et chhatri d’angle a été
implanté au centre d’un vaste réservoir. Dans un cadre similaire, à Sheikhupura, un pavillon
octogonal surmonté d’un chhatri servait de pavillon de chasse à la cour de Lahore. Parmi ces tours
de chasse isolées figure la tour cylindrique cannelée du village d’Hashtal près de Palam, au sud-ouest
de Delhi. Elle est proche du Hiram Minar de Fatehpur Sikri, imposante construction cylindrique ornée
de corbeaux de pierre en projection édifiée au bord d’un lac sous la zone du palais d’Akbar.
LES TOMBEAUX
Les monuments funéraires des Moghols sont sans équivalent par le caractère grandiose de leur
conception et la perfection de leur décoration. Tous implantés dans un cadre de jardins, dont
certains ont déjà été décrits, ils illustrent une gamme variée de types architecturaux et sont
particulièrement bien illustrés par ceux d’Humayun, d’Akbar et de Jahangir, et par le Taj Mahal,
situés près des trois principaux centres impériaux de Delhi, Agra et Lahore. Un de leurs traits
communs est la séparation spatiale entre la tombe même, généralement installée dans une
crypte voûtée aménagée dans un podium, et le cénotaphe occupant une position surélevée
juste au-dessus. Cette idée introduite en Inde par les Moghols reprenait le principe des tombes
familiales timourides à crypte souterraine, telle celle de Timour à Samarkand datant de 1405.
Ce doublement tombe/cénotaphe est un élément constant de l’architecture funéraire moghole,
à la seule exception du Bibi-ka Maqbara.
L’architecture funéraire fait des débuts à grande échelle avec l’érection du mausolée
d’Humayun. Celui-ci présente un plan en quinconce autour d’une vaste salle centrale octogonale
à dôme entourée de quatre salles plus petites à coupole, de plan octogonal irrégulier, disposées
en angle et reliées entre elles par des corridors en diagonale. La salle centrale, qui abrite le
cénotaphe de l’empereur, est signalée de l’extérieur par un énorme dôme de marbre blanc,
tandis que les petites salles sont surmontées d’un chhatri. Peut-être pour renforcer sa valeur
Le tombeau de Muhammad
Ghaus à Gwalior est fermé
par des écrans jali qui
autre mais non moins original pour le mausolée de son père à Sikandra. Il consiste en une série
éclairent un corridor interne,
de terrasses carrées superposées composées de chhatri ouverts s’élevant sur un podium
dispositif typique
de l’architecture funéraire
à arcade et culminant avec une terrasse fermée par des écrans qui accueille en son centre
du Gujarat. Des tours
le cénotaphe d’Akbar. Il est possible qu’à l’origine Jahangir ait voulu que cette composition
surmontées de chhatri
se dressent aux angles
et au centre des façades.
40 Introduction
symbolique exceptionnelle, le plan de ce tombeau ne fut jamais répété. Jahangir choisit un plan
soit couronnée par une coupole, comme le suggèrent les vestiges d’une salle possédant un
cénotaphe inachevé au cœur du bâtiment. Si cela était le cas, il a pu changer d’avis (on y trouve
la typologie des constructions 41
bientôt suivi par les quatre minarets pleinement évolués à fût octogonal conique à trois niveaux
qui s’élèvent aux angles du mausolée de Jahangir. Les plus célèbres de toute l’architecture
moghole, et de loin les plus hauts — environ 40 mètres, y compris leurs chhatri —, sont les
quatre minarets cylindriques légèrement coniques qui encadrent le Taj Mahal. Ils sont
également divisés en trois niveaux par de petits balcons circulaires. Ce schéma de base sera
repris dans le Bibi-ka Maqbara, mais avec des minarets octogonaux.
Sous Shah Jahan et Almagir, période de zèle religieux renforcé, l’architecture moghole
commence à doter les mosquées de minarets, mais seulement pour les monuments religieux publics
importants. Comme pour les tombeaux, les minarets de mosquée sont souvent multiples : en paire
flanquant la façade de la salle de prière de la Jami Masjid à Delhi ; aux quatre angles de la salle de
prière de la Badshahi Masjid à Lahore ; aux quatre angles de la cour pour la mosquée de Wazir Khan,
également à Lahore. Il faut y ajouter le couple de minarets d’une finesse exceptionnelle qui s’élève de
la façade de la mosquée d’Alamgir au dessus de Panchaganga Ghat à Bénarès (disparus).
PLAFONDS ET COUPOLES
L’intérieur des bâtiments moghols est protégé par des toitures sous lesquelles se développent
des plafonds de conception intéressante, plats, en coupole ou voûtés. Les plafonds plats de la
période d’Akbar rappellent l’architecture de bois de la terre natale des Moghols en Asie centrale,
mais les plafonds réellement en bois, comme dans le Diwan-i Khass du Fort Rouge de Delhi, sont
relativement rares, la plupart ayant disparu. Réalisés en pierre, ces plafonds plats étaient
appréciés dans les appartements résidentiels et les pavillons d’agrément des complexes
palatiaux, coutume qui s’est poursuivie tardivement. Ceux du Fort Rouge d’Agra et de Fatehpur
Sikri se composent de longues dalles de grès posées en pont sur des travées de dimensions
correspondantes ou de blocs de pierre découpés aux angles selon le principe de l’arc plat
sécurisé par gravité. Lorsque l’on souhaitait une plus grande hauteur, les plafonds étaient
surélevés sur des voussures incurvées comme au Diwan-i Khass de Fatehpur Sikri. Les plafonds
plats sont une caractéristique constante des palais de marbre blanc de Jahangir et de Shah
Jahan. La même solution se retrouve dans les espaces secondaires des grandes mosquées
de la période, comme dans la Jami de Delhi, où des plafonds à voussures recouvrent les travées
intermédiaires entre les salles principales qui, elles, sont sous coupole. Des plafonds plats
similaires couvrent les corridors qui entourent les chambres des sépulcres des saints
à Fatehpur Sikri et Gwalior.
Les coupoles intérieures sont très présentes dans l’architecture moghole, mais leur
usage était généralement réservé aux bâtiments religieux, à l’exception des hammams des
palais. Les dômes sont souvent utilisés au-dessus des tombeaux, parfois sur deux niveaux
dans les mausolées impériaux, l’un pour la tombe, l’autre pour le cénotaphe. Les dômes sont
généralement la solution retenue pour recouvrir l’espace devant le mihrab, mais peuvent être
flanqués de salles à coupole, chacune abritant un mihrab dans le mur de la qibla. Des
La coupole qui domine
recherches géométriques permettaient aux architectes moghols d’assurer une transition
la chambre funéraire
élégante entre une salle carrée et une coupole circulaire par un « réseau » de facettes en
de la tombe de la sultane
Nisar Bégum à Allahabad
pointe de diamant incisées dans la pierre ou moulées dans le stuc. Des pendentifs à motifs en
présente une composition
nid d’abeilles assuraient une autre forme de transition entre les murs de soutien et la coupole.
complexe en stuc peint faite
d’un réseau de facettes
de style muqarnas.
52 Introduction
Les coupoles de loin les plus ingénieuses de l’architecture moghole sont celles
composées de facettes de muqarnas imbriqués, à triangles et losanges pointés sculptés
delhi
Au moment de la victoire historique de Babur en 1526, Delhi avait déjà été la capitale
d’une succession de dynasties musulmanes qui avaient régné sur une grande partie
du sous-continent indien pendant plus de trois cents ans. C’est à Delhi que des envahisseurs
venus d’Asie centrale s’étaient initialement installés et là que des saints soufis comme Cheikh
Nizam al-Din Auliya, de l’ordre chishti, avaient vécu et prêché. Succédant à Babur, qui était
principalement basé à Agra, Humayun déplaça sa résidence à Delhi en 1533, sur la rive droite
de la Yamuna, et fit restaurer une ancienne citadelle à fortifications en terre qu’il renomma
Dinpanah, « asile de la foi ». Identifiée aujourd’hui comme étant le Purana Qila, « vieux fort »,
Dinpanah fut le siège du pouvoir moghol jusqu’en 1540, lorsque Humayun fut contraint
d’abandonner la ville. Sher Shah Sur s’empara alors des possessions indiennes d’Humayun
et s’installa au Dinpanah, dont il acheva sans doute les remparts et les portes, et fit
probablement édifier la splendide mosquée que l’on voit encore à l’intérieur des remparts
d’Humayun. Écrasant les forces de Sikandar Shah, petit-fils de Sher Shah Sur, Humayun
revint en triomphe à Delhi quinze ans plus tard pour une fois encore s’installer au Dinpanah.
Il y mourut peu de temps après, en 1556, ce qui provoqua l’arrivée inattendue du très jeune
Akbar sur le trône moghol.
Akbar rendait fréquemment visite au mausolée de Nizam al-Din, situé dans la petite
cité de Nizamuddin qui s’était développée autour de la tombe du saint, à courte distance
au sud du Dinpanah. Ces visites de l’empereur marquèrent le début de l’intérêt des Moghols
pour les saints chishti qu’ils patronnèrent, pratique qui fut maintenue aux xviie et xviiie siècles.
C’est là, au bord de la Yamuna, près du tombeau du saint, qu’Akbar fit réaliser pour son père
un magnifique tombeau entouré d’un jardin, commémorant ainsi l’établissement permanent
du pouvoir moghol en terre indienne. En dépit de ces liens étroits avec Delhi, Akbar n’y
demeura que deux ans avant de partir pour Agra et ne jamais vraiment y revenir. Malgré cela,
plusieurs courtisans, en particulier Khan-i Khanan, le très cultivé principal ministre d’Akbar,
tuteur de son fils aîné et héritier le prince Salim, choisit d’être enterré à Delhi non loin de la
tombe d’Humayun. On ne dispose d’aucune trace des séjours de Jahangir à Delhi bien qu’il ait
rendu visite à plusieurs reprises au tombeau de son grand-père et au mausolée de Nizam
al-Din. Ce n’est qu’avec Shah Jahan que la ville retrouve son statut de centre impérial.
Procession dans le Fort Rouge
de Delhi : l’éléphant royal
est entouré de chevaux,
une ville nouvelle. Shah Jahan pensait à l’évidence que le site convenait à sa capitale puisqu’il
de porte-drapeau, de dames
se trouvait au centre des possessions mogholes, sur la grande route reliant Agra à Lahore.
de la cour et de courtisans.
Dans la galerie de la Naubat
Khana, des tambours et des
musiciens les accompagnent
en musique. Extrait
La cité, conçue à une échelle impressionnante, exprimait une vision impériale et était le plus
ambitieux projet urbain de toute la période moghole. C’est le 16 avril 1639, à une heure
déterminée par les astrologues de la cour, que débuta la construction de la ville et de son
d’une version illustrée
palais-citadelle appelé Lal Qila, ou Fort Rouge, pour la couleur de ses massifs remparts de grès
du Padshahnama, vers 1650.
rouge. Les murailles extérieures et leurs portes d’entrée monumentales furent achevées
Pages précédentes
en moins de dix ans, mais la grande mosquée, la Jami Masjid, le lieu de culte le plus prestigieux
Le tombeau d’Humayun
de la ville, était déjà édifiée au bout de huit ans. Une grande rue commerçante au milieu
à Delhi, le premier grand
monument funéraire moghol,
de laquelle courait un petit canal, le Chandni Chowk, fut créée dans l’axe de la porte principale
est entouré d’un vaste jardin
du Fort Rouge. Au cours des années, plusieurs palais entourés de vastes jardins furent érigés
et en partie masqué
par des arbres plantés
par les Britanniques.
60 delhi
Connue aujourd’hui sous le nom de Vieux Delhi, Shahjahanabad était au xviie siècle
en ville par des nobles de l’entourage du roi et aux alentours s’étendirent des campements
de tentes, parfois remplacés par des constructions en dur.
delhi 61
partie bordée de grandes demeures et agrémentée d’un canal central orné de fontaines,
qui ont toutes disparu. Le Chandni Chowk conduit vers l’ouest à la Fatehpuri Masjid, nommée
ainsi d’après sa commanditaire, la bégum Fatehpuri, une des épouses de Shah Jahan.
0
1
2km
Tombeau
de Roshanara
Contournant cette mosquée, la rue se poursuit dans la même direction vers les murs de la cité
jusqu’à la Lahori Darwaza, aujourd’hui détruite. D’après des plans datant d’avant 1857, la ville
comptait un certain nombre de palais et de jardins assez extravagants érigés par des princes,
des reines et des princesses ou d’influents ministres et membres de la cour. L’un des
complexes les plus importants était celui de Sadat Khan, beau-père de Safdar Jang. Ces palais
et jardins ont pratiquement tous été démolis par les Anglais pour se venger du soulèvement
Fatehpuri Masjid
et laisser place à une ligne de chemin de fer. Le développement actuel de la ville continue
à peser sur son héritage architectural.
S h a h ja h a n aba d
fort
rouge
Si la plupart des jardins et des palais de Shahjahanabad n’existent plus aujourd’hui,
quelques vestiges de ces résidences et villégiatures sont encore visibles au-delà des murailles,
au nord de la ville. Le jardin de Shalimar (1653), projet d’une autre épouse de Shah Jahan,
se trouve dans un état déplorable. Du char-bagh de l’époque de Roshanara, la plus jeune fille
Jami Masjid
Mosquée de
Ghazi al-Din
de l’empereur, seul subsiste un petit pavillon de marbre blanc probablement sauvé parce qu’il
avait été converti en tombeau après sa mort. Le Qudsiyya Bagh, résidence-jardin d’une épouse
de Muhammad Shah, au bord de la Yamuna, a lui aussi presque totalement disparu.
Les monuments funéraires de la fin de la période moghole sont essentiellement
situés au sud de Shahjahanabad. Le dargah de Nizam al-Din a été agrandi et embelli
à plusieurs reprises, en particulier par Shah Jahan qui, en 1653, y ajouta le dôme de marbre
à bandeaux de pierre que l’on voit encore au-dessus de la tombe du saint. Le jardin-tombeau
y a m u n a
de Safdar Jang est situé à mi-distance du dargah de Nizam al-Din et de Mehrauli, premier siège
permanent du pouvoir moghol en Inde, à quelque 15 kilomètres au sud des murailles de la
cité. Le Qutb Sahib Dargah de Mehrauli contient le mausolée de Qutb al-Din Bakhtyar Kaki,
un saint chishti qui mourut à cet endroit en 1236. Ce personnage était très révéré par
les derniers empereurs moghols, Bahadur Shah I et Shah Alam II, qui choisirent tous deux
de résider un temps auprès de cette tombe et sont enterrés à proximité.
Cette profusion de monuments funéraires, de palais et de jardins n’aurait pas été
na
ra
Pu
possible sans un approvisionnement suffisant en eau. Des quelques grands projets
hydrauliques engagés, le plus impressionnant est le canal d’Ali Mardan Khan, surintendant
la
Qi
Khair al-Manazil
Masjid
des travaux hydrauliques sous Shah Jahan, qui amenait au Fort Rouge l’eau de la Yamuna
captée plus de 100 kilomètres en amont. Sur une partie de son cours, il se transformait en
aqueduc d’où partait un canal qui traversait le Chandni Chowk. Les projets de ce type donnent
une idée des investissements effectués par les empereurs moghols, leurs épouses et leurs
courtisans pour faire de Shahjahanabad la majestueuse capitale de l’empire.
Tombeau
et mosquée
d’Afsarwala
Tombeau d’Humayun
Nila Gumbad
Tombeau de Safdar Jang
Tombeau d’Ataga Khan
Chaunsath Khamba
nizamuddin
64 delhi
Tombeau de
Khan-i- Khanan
delhi 65
MOSQUÉE
ET TOMBEAU
DE JAMALI
ET DE KAMALI, 1529
Ces deux monuments couplés situés à Mehrauli font partie
des plus anciennes constructions subsistant de l’ère
moghole. Ils ont été commandités par Cheikh Fazlullah,
poète et saint qui écrivait sous le nom de Jamali et fut
célèbre sous Sikandar Lodi et Babur. Il acheva la mosquée
et son tombeau avant de mourir en 1536, sous le règne
d’Humayun.
La mosquée est édifiée dans un style qui poursuit
la tradition du sultanat de Delhi. Sa façade présente
une rangée d’arcs en cintre brisé bordés de marbre, celui
du centre étant signalé par un pishtak en légère avancée.
Les travées en arc de la salle intérieure, y compris celle qui
conduit au mihrab, sont décorées de multiples panneaux
ornementés en relief. Une coupole s’élève au-dessus de la
nef centrale. Des deux angles à l’arrière s’élèvent deux tours
octogonales.
Le tombeau de forme cubique se dresse près
de la mosquée. Ses niches sans ornement sont surmontées
d’un parapet orné de carreaux vernissés qui masquent
un toit plat. Les profils et écoinçons des huit arcs soutenant
la coupole intérieure ont reçu un riche décor de stuc,
en partie calligraphique, qui cite des vers en persan rédigés
par le poète lui-même. La coupole est ornée d’arabesques
dans des cartouches lobés, les arêtes vives du stuc travaillé
en relief se détachant sur des fonds bleu et rouge. Cette
étonnante composition a pu être conçue et exécutée par
des artisans appelés en Hindoustan par Babur. Les tombes
sont celle de Jamali et d’un ami proche, Kamali.
66 delhi
mosquée et tombeau de jamali et de kamali 67
Purana Qila
Fondé par Humayun, occupé par la suite par Sher Shah Sur et
« grande porte », est ornée de deux étoiles à six branches
REMPARTS, PORTES
rénové dans les années 1560 sous le règne d’Akbar, le Purana
incrustées dans des écoinçons de grès jaune. Les chhatri
ET SHER MANDAL,
Qila est la première citadelle édifiée par les Moghols à Delhi.
qui la couronnaient ont disparu.
1533-1540
Il consiste en un vaste espace fortifié de forme à peu près
68 Introduction
Rien ne reste des constructions d’Humayun
rectangulaire de 650 x 370 mètres, jadis limité à l’est par le
à l’intérieur du Purana Qila, à l’exception d’un pavillon isolé
cours de la Yamuna. La citadelle s’abrite derrière de hautes
connu sous le nom de Sher Mandal (page 71). Ce petit bâtiment
murailles à parapet crénelé en blocaille de pierre, protégées
de style timouride à deux niveaux suit un plan octogonal
par une profonde douve jadis alimentée par la rivière. Des
avec deux étages de niches profondes sur chaque façade.
portes monumentales de belle exécution ornées d’un décor
L’important chhatri octogonal qui s’élève en toiture est
en grès polychrome datant peut-être du règne d’Akbar sont
caractéristique du sultanat de Delhi et était à l’origine paré
positionnées sur les côtés, en dehors de celui de la Yamuna.
de carreaux de céramique. Des traces de carreaux de
Chacune se compose d’un arc d’entrée protégé par deux
céramique vernissée se trouvent encore sur les murs intérieurs
bastions massifs à murs légèrement inclinés. Les portes sud
de la salle inférieure, tandis que celle de l’étage est ornée
et nord sont de proportions particulièrement élégantes. Leurs
de stuc incisé et peint. Il est peu probable que ce bâtiment soit
niches sont encadrées de balcons surmontés d’un chhatri et
la bibliothèque dans laquelle serait mort Humayun en 1556,
elles-mêmes sont couronnées de chhatri en toiture. L’entrée
comme il est souvent avancé. À proximité se trouvent
principale, située à l’ouest (page 70) et appelée Bara Darwaza,
les vestiges d’un hammam.
Stylistic development 69
TOMBEAU D’HUMAYUN,
1563-1571
Le premier projet architectural majeur du règne d’Akbar
est le tombeau élevé à la gloire de son père sur un terrain
situé à 1,5 kilomètre environ du Purana Qila, tout près de
Nizamuddin. Bien que la bégum Haji, veuve la plus âgée
d’Humayun, soit parfois créditée de cette construction,
Akbar lui-même s’y est sûrement intéressé puisque quelque
1,5 million de roupies ont été prélevées du trésor impérial
pour ce chantier. Sayyid Muhammad, l’architecte du projet,
est venu d’Herat, ce qui explique le principe du dôme
à coupole intérieure, technique timouride, et l’idée que
la tombe même soit placée dans une salle basse dans
un cénotaphe installé sous le dôme.
Le mausolée d’Humayun s’élève au milieu d’un vaste
char-bagh cerné de murs, formant un carré de 365 mètres
de côté. Le plan de ce jardin suit une trame carrée
de 3 x 3 mètres, le carré central étant occupé par un podium
0
50
100m
* Tombeau du barbier
à arcade sur lequel a été élevé le tombeau. Cette trame
de 9 mètres carrés se combine avec le plan quadripartite
habituel pour créer au total trente-six subdivisions, les
quatre du centre étant couvertes par le podium. De larges
allées vont de la tombe aux portes d’entrée et aux bâtiments
secondaires situés au milieu des murs du jardin. Elles sont
agrémentées de canaux et de bassins carrés ou octogonaux
à jet d’eau central. Le système hydraulique du jardin a été
récemment rénové.
Les portes monumentales ouest et est possèdent
chacune une majestueuse façade à imposant pishtak
central contenant des niches à demi-coupole flanquées
de deux étages d’ouvertures similaires mais plus petites.
Elles sont parées de marbre blanc à bordure de grès jaune.
La porte occidentale, qui est aujourd’hui l’entrée principale
du jardin, est intéressante pour les angles extérieurs coupés
qui encadrent l’arc central. Contre le mur oriental, une
construction servait jadis de belvédère sur la Yamuna,
*
tandis qu’un petit hammam était intégré au mur
septentrional.
74 delhi
Au cœur du tombeau se trouve une salle octogonale
surmontée de l’imposante coupole, reliée par des corridors
à quatre petites salles octogonales situées aux angles.
Chacune de ces salles d’angle est partiellement détachée de
la structure, ses trois plus petits côtés s’avançant vers
l’extérieur. Entre celles-ci, trois faces sont ornées de grands
arcs dont le volume intérieur à pans coupés est dominé par
une demi-coupole reposant sur des pendentifs à muqarnas.
Sur la façade sud, l’arc est traité en pishtak monumental
puisque c’était l’entrée principale utilisée par les visiteurs.
Comme les portes du jardin, les façades du tombeau
sont en marbre blanc avec inclusion de bandeaux de grès
jaune articulant les arcs et les divisions horizontales
et verticales. Une paire de petits chhatri carrés couronne
chaque pishtak, d’autres, plus importants et de forme
octogonale, sont positionnés sur les toits des salles d’angle
et encadrent visuellement le dôme qui s’élève à 42,5 mètres
au-dessus du podium. Des traces de carreaux bleus sur
les coupoles des chhatri d’angle montrent que l’on avait
cherché à créer un contraste avec le parement de marbre
blanc du dôme central. S’élevant sur un tambour cylindrique
orné d’un décor polychrome, ce dôme présente un profil
légèrement bulbeux.
Des motifs géométriques en pierre embellissent
le dallage intérieur, tandis que le dôme a reçu un décor
en stuc, de même que les coupoles des salles secondaires
ornées de motifs incisés en chevrons contenus dans
vingt-quatre éléments rayonnants s’achevant en un motif
triangulaire (en haut à droite). La salle de la tombe est
0
5
10m
éclairée par des jali de grès à motifs géométriques obturant
le fond des arcs percés au milieu de trois côtés. Alors que
le cénotaphe d’Humayun occupe la salle centrale, d’autres
membres de la dynastie moghole ou de la maison impériale
sont inhumés dans les salles secondaires, tels Dara Shukoh,
fils aîné de Shah Jahan, et les derniers empereurs moghols,
Jahandar Shah et Farrukhsiyar.
Dans le jardin, non loin de l’angle sud-est du mur,
se trouve un modeste tombeau datant de 1591 qui serait
celui du barbier personnel d’Akbar. Ce petit bâtiment
cubique possède des pishtak centraux flanqués d’une
double rangée de niches. Des chhatri à toit plat encadrent
le dôme, qui s’élève sur un tambour à seize côtés dont
les angles sont articulés par de petits faîteaux.
76 Introduction
TOMBEAU D’HUMAYUN 77
MOSQUÉE
ET TOMBE
D’AFSARWALA,
ANNÉES 1560
à quatre portes à arc en cintre brisé de dimensions
originaire d’Asie centrale au service d’Akbar, dont on pense
différentes, articulées en leurs angles par des bandeaux
qu’il s’appelait Abul Fateh, et qui accompagna Humayun
de pierre en chevrons. Le dôme s’élève sur un tambour
lors de son retour à Delhi. La mosquée et le tombeau sont
octogonal. Bien que non identifiée, une des trois tombes
Ataga Khan. Construit dans la tradition de l’ancien sultanat,
côte à côte mais implantés sur une même terrasse
intérieures porte la date de 1567.
il possède une salle centrale octogonale sous coupole
Situé à Mehrauli, ce tombeau a été érigé pour un noble
général qui a joué un rôle éminent au début du règne
d’Akbar, avant d’être exécuté pour le meurtre du courtisan
rectangulaire. La mosquée présente une modeste façade
entourée d’une véranda à trois arcs sur chacun de ses huit
à triple ouverture, jadis ornée d’un décor de stuc.
côtés, chaque angle étant marqué par un faîteau. Le dôme
Un dôme volumineux s’élève au-dessus de la salle de prière
s’élève sur un tambour à seize côtés, également orné de
centrale. Contre la mosquée a été construite une salle
faîteaux. À la différence des tombeaux moghols dont le plan
de quatre travées basses de plafond qui a peut-être servi
est proche, ce bâtiment ne possède pas de chhatri.
de madrasa. Le tombeau adjacent est un octogone irrégulier
78 delhi
TOMBEAU
D’ADHAM KHAN,
1562
Ce couple de bâtiments tient son nom de celui d’un officier
0
5
10m
MOSQUÉE ET TOMBE D’AFSARWALA et TOMBEAU D’ADHAM KHAN 79
TOMBEAU
D’ATAGA KHAN, 1567
Ce mausolée construit au centre de Nizamuddin a été élevé
en mémoire de l’un des courtisans d’Akbar, assassiné
CHAUnSATH
KHAMBA, 1624
Tous les monuments funéraires de Delhi ne respectaient
pas le même plan, comme le montre le tombeau édifié
par Adham Khan en 1562. De plan carré de 6 mètres de côté,
pour Mirza Aziz Koka, fils d’Ataga Khan, édifié non loin de
le bâtiment est traité dans un style très ornementé avec
celui de son père à Nizamuddin (page ci-contre). Le bâtiment
incrustations de pierre et carreaux de couleur. Des
est appelé Chaunsath Khamba, « soixante-quatre piliers »,
panneaux de composition géométrique complexe décorent
ce qui correspond au nombre de colonnes de marbre qu’il
la partie basse des murs et des écoinçons tandis que
compte (double page suivante). Il possède une structure
des vers en persan sont incisés dans les cadres de marbre
carrée ouverte à 5 x 5 travées de dimensions égales, chacune
qui délimitent les pishtak. Le dôme est en marbre blanc.
surmontée d’un toit en coupole reposant sur des pendentifs
L’intérieur est éclairé par des jali de pierre ajourée.
facettés. Des jali à motif géométrique sont posés entre
les arcs des façades des quatre côtés, à la manière des
tombeaux du Gujarat. Cette disposition inhabituelle
s’explique par le fait que Mirza Aziz Koka avait été un temps
gouverneur du Gujarat sous Jahangir.
L’intérieur de ce tombeau entièrement de marbre
blanc est dénué de tout décor. Le regard se concentre ainsi
sur le traitement des tombes, en particulier celle de Mirza
Aziz Koka placée au centre. Son couvercle (ci-contre) est
sculpté de boutons et tiges floraux entourant et comblant
une niche à motif de plumier, signe d’un défunt de sexe
masculin, au-dessus duquel une inscription en arabe dans
un médaillon lobé dit : « Au nom de Dieu, le miséricordieux,
le clément, l’éternel, qui ne meurt jamais. »
0
80 delhi
5m
TOMBEAU D’ATAGA KHAN et CHAUnSATH KHAMBA 81
TOMBEAU
DE KHAN-I- KHANAN,
1627
Le mausolée de ce noble et distingué personnage qui servit
sous Akbar et Jahangir s’élève sur une terrasse à arcade jadis
dressée au centre d’un jardin clos. Quatre pishtak
monumentaux flanqués de deux étages d’arcs en niche
animent ses quatre façades. Au niveau inférieur, ces arcs
donnent sur des salles d’angle à coupole qui ne sont pas
reliées à la salle centrale. L’intérieur est décoré d’un élégant
travail de stuc peint et sculpté, mais l’essentiel du parement
de pierre extérieur a été plus tard prélevé pour le monument
funéraire de Safdar Jang. Quatre chhatri octogonaux
en toiture encadrent un dôme central de forme bulbeuse.
84 delhi
0
5
10m
Stylistic development 85
18
FORT ROUGE, 1639-1648
12 & 13
17
15
14
11
9
7
8
ET ADDITIONS ULTÉRIEURES
10
16
22
24
26
Vaste rectangle à angles arrondis mesurant environ
1
Porte de Delhi
2
Porte de Lahore
3
Chhatta Chowk
4
Naubat Khana
5
Jilau Khana
6
Diwan-i-Amm
7
Asad Burj
8
Mumtaz Mahal
9
Darya Mahal
10 Kwaspura
900 x 550 mètres, le Fort Rouge a été construit sur la rive
11 Rang Mahal
droite de la Yamuna en intégrant Salimgarh, une citadelle
12 Musamman Burj
en bordure de la rivière datant des temps pré-moghols.
de Shajahanabad, se présente sous la forme de remparts
16 Moti Masjid
percés de meurtrières et surmontés d’importants créneaux.
23
4
1
5
18 Shah Burj
19 Logements communs
20 Zafar Mahal
semi-circulaires à chhatri octogonaux implantés
23 Écuries
19
3
21 Jardins de Mehtab
22 Quartiers des princes
à 10 ghaz, l’unité de longueur moghole traditionnelle.
21
17 Moti Mahal
Ces caractéristiques se retrouvent dans les bastions
tous les 83 mètres environ, distance correspondant
6
14 Diwan-i-Khass
15 Hammam
Parés de grès rouge, les murs de 33 mètres de haut sont
25
13 Khass Mahal
Le Fort Rouge de Shah Jahan, qui était le cœur
massifs protégés sur trois côtés par des douves profondes.
20
24 Jardin de Hayat Bakhsh
25 Pavillon de Sawan
26 Pavillon de Bhadon
2
Plan du Fort Rouge à l’origine (y compris les bâtiments et jardins reconstruits)
0
100
200m
PORTES MONUMENTALES
Sur les deux côtés du Fort Rouge se dressent
ET CHHATTA CHOWK
d’impressionnantes portes : la Delhi Darwaza au sud et
la Lahori Darwaza (page ci-contre) à l’ouest. Cette dernière,
dans l’axe du Chandni Chowk, était la principale entrée
du fort à partir de la ville. Les deux portes se présentent
sous la forme d’un haut portail flanqué de deux bastions
couronnés d’un chhatri octogonal. Une rangée de chhatri
miniatures court entre les deux fins faîteaux qui couronnent
le portail. Les créneaux sont un ajout ultérieur datant
de la période d’Alamgir.
La salle coiffée d’une coupole élevée qui se trouve
à l’intérieur de la Lahori Darwaza ouvre directement sur
le Chatta Chowk. Cette rue de bazar de 70 mètres de long
est dotée de chaque côté d’un alignement de boutiques
et d’une toiture voûtée appuyée sur des arcs brisés
transversaux. La rue est interrompue en sa partie centrale
par une petite place en forme d’octogone irrégulier.
chhatta chowk
88 delhi
0
10
20m
FORT ROUGE 89
naubat Khana
Le Chhatta Chowk s’achève à l’est sur une place carrée
et Diwan-i Amm
entourée à l’origine d’arcades sur ses quatre côtés, et d’où
partaient des rues commerçantes vers le nord et le sud,
par la porte de Delhi. Seule la Naubat Khana, « maison
du tambour », subsiste au centre du côté est de la place
(ci-contre, à gauche). Cette construction aujourd’hui isolée
était le lieu par lequel on entrait pour être amené en
présence de l’empereur. Sa façade de grès rouge est décorée
de panneaux à motifs floraux en léger relief et percée d’une
porte centrale en arc encadrée par deux niches superposées.
La galerie de l’étage était réservée aux tambours et
musiciens qui annonçaient l’arrivée de l’empereur
et de ses plus importants visiteurs (voir illustration page 60).
Des traces de peintures murales sont encore visibles
dans la salle de l’entrée.
Plus à l’est, dans l’alignement de la Naubat Khana,
s’étend le grand maidan qui fait face au Diwan-i Amm.
La grande salle de réunions publiques de Shah Jahan est un
vaste pavillon rectangulaire de 9 x 3 travées à voûtes plates,
ouvert sur trois côtés (ci-contre, au centre). Les ouvertures
sont traitées en arcs multilobés reposant sur des colonnes
à facettes, l’ensemble étant construit en grès rouge.
À l’arrière de la travée centrale s’élève un kiosque de marbre
blanc à toit de style bangla, sous lequel l’empereur était
couronné (double page suivante). Le mur du fond est orné
de panneaux en pietra dura, travail italien représentant
des oiseaux parmi les fruits et les fleurs (pages ci-contre et
26-27). Un panneau illustre la légende d’Orphée charmant de
sa lyre les bêtes sauvages. Chez les Moghols, ce personnage
de la mythologie européenne se confondait avec le roi
Salomon, modèle idéal de la royauté islamique. Les espaces
entre les panneaux ont également été décorés par des
artisans italiens.
Diwan-i Amm
90 delhi
0
5
10m
red fort 91
Rang Mahal
Les principaux vestiges de la zone palatiale du Fort Rouge
peintes. Au centre se trouve une fontaine en forme de lotus
sont les pavillons alignés le long du rempart oriental,
à vingt-quatre pétales dont les inserts décoratifs de filets
au-dessus de la Yamuna. Bien que de plans différents,
d’or ont disparu. Les murs et les plafonds des salles des deux
leur apparence est unifiée par le recours au marbre blanc et
extrémités scintillent d’une composition complexe à base
à un principe de répétition d’arcs polylobés parfois comblés
d’incrustations de miroirs.
d’écrans jali, de chhajja fortement inclinés et de toitsterrasses à chhatri d’angle. Les intérieurs sont à plafonds
plats généralement en marbre et appuyés sur des voussures.
Le Rang Mahal s’aligne sur le Diwan-i Amm et faisait jadis
face à son propre jardin. Son nom de « palais de la couleur »
0
5m
vient de son espace central composé de 3 x 5 travées jadis
94 Delhi
FORT ROUGE 95
Khass Mahal
Le pavillon suivant, le Khass Mahal, « palais privé », abritait
et MUSAMMAN BURJ
les appartements où dormait Shah Jahan. Son intérêt tient
en partie au superbe travail du jali qui délimite l’entrée
de la partie la plus privative du palais (ci-contre, en haut).
Il chevauche le Nahr-i Bihisht, petit canal qui s’écoule
dans le pavillon entre deux paires de petites salles latérales.
Au-dessus de l’écran (page ci-contre), dans un panneau
semi-circulaire, se remarque une balance de la justice en bas
relief, allusion au rôle de l’empereur, source de la justice.
Le plafond de marbre de la salle centrale rectangulaire est
peint d’un motif de treille et de fleurs.
De l’une des salles latérales, on accède au
Musamman Burj (en bas à droite), tour octogonale à coupole
cannelée (reconstruite) en avancée par rapport au rempart.
De là, Shah Jahan pouvait se présenter chaque matin
au public. Sous le balcon, une porte conduit à un escalier
qui descend jusqu’à la rive. C’est par là que Shah Jahan,
arrivant d’Agra par la rivière, fit son entrée dans le fort
pour son inauguration en 1648.
0
3m
FORT ROUGE 97
Diwan-i Khass
La première construction de la section privée du Fort Rouge
est le Diwan-i Khass, qui était la salle des audiences privées
de Shah Jahan. Un siège central, de marbre, en témoigne
encore. L’espace central ouvert, entouré d’arcs sur ses
quatre côtés, est décoré à profusion. La partie basse
des piliers est incrustée de motifs floraux tandis que les arcs
sont peints et dorés. En partie supérieure des murs parés
de marbre sont inscrits des vers célèbres du poète Amir
Khusrau : « S’il y a un paradis sur terre, il est ici, il est ici,
il est ici ! » Le plafond est en lattis de bois jadis doublé
de plaques d’argent dont aucune trace ne subsiste.
0
5m
Hammam
Le hammam privé de Shah Jahan était aussi utilisé pour
de discrètes réunions. Il comprend une succession de trois
salles, du vestiaire à l’est à la salle chaude à l’ouest. Chaque
salle dispose d’une annexe encadrée de deux petites niches
en partie octogonales. Un bassin carré agrémente la salle
centrale. Les sols et la base des murs sont décorés de
compositions florales et d’arabesques en pietra dura (voir
aussi pages 46-47). Des fontaines sculptées carrées ou
rectangulaires occupent le centre des pièces (ci-dessous
et page ci-contre, en haut). Le plafond de stuc de la salle
centrale présente un réseau rayonnant d’arcs entrecroisés.
100 delhi
0
5m
FORT ROUGE 101
MOTI MASJID, 1663
Seul lieu de prière dans l’enceinte du Fort Rouge,
cette mosquée a été édifiée par Alamgir. Elle se dresse
dans un enclos juste à côté du hammam. En marbre blanc,
d’où son nom de Moti Masjid, « mosquée de la perle », c’est
une construction petite mais de finitions exquises. Les murs
intérieurs de la cour, qui mesure à peine 7 x 9 mètres, sont
ornés d’un décor sculpté plein de fantaisie autour d’arcs
polylobés en très léger relief (page ci-contre). Un petit bassin
occupe le centre du pavement.
La façade de la salle de prière comporte un trio
d’arcs lobés, celui du centre étant plus large et plus haut,
souligné par une corniche de style bangla à graciles
faîteaux. Les coupoles très bulbeuses (restaurées) et
cannelées sont plaquées de cuivre doré. L’intérieur
de la salle comporte deux travées voûtées encadrées
de quatre petites nefs surmontées de coupoles partielles
(voir pages 4-5). Un minbar à escalier voisine le mihrab.
0
102 delhi
5m
Stylistic development 103
Hayat Bakhsh Bagh
La tour qui se dresse à l’angle nord-est du Fort Rouge,
cannelées (page ci-contre). Le mur du fond est orné de
appelée Shah Burj (qui a aujourd’hui perdu sa coupole),
niches très décorées, sur lesquelles l’eau coulait avant
date de la période de Shah Jahan. Un mécanisme à poulies
d’alimenter le jardin.
permettait d’y faire monter l’eau de la rivière à une hauteur
Vers 1842, lorsque Bahadur Shah Zafar II résidait
suffisante pour alimenter les canaux, jeux d’eau et fontaines
au Fort Rouge, a été construit au milieu du bassin central
du palais. À l’ouest de cette tour se trouve le Hayat Bakhsh
le Zafar Mahal, pavillon carré à toit plat entouré d’arcs et
Bagh, « jardin qui donne la vie », seul char-bagh à peu près
d’ouvertures carrées dont certaines sont fermées par un jali.
conservé à l’intérieur du fort. Il se conforme à la disposition
quadripartite classique à canaux axiaux et jets d’eau au
milieu des allées qui convergent vers un bassin central.
Chacune des quatre parties est subdivisée en neuf parcelles
égales, dont seules celles donnant à l’est sont conservées.
Le jardin est dominé au nord et au sud par deux pavillons
identiques portant le nom des mois de mousson, Sawan et
Bhadon. Leurs façades identiques présentent chacune une
arcade de trois larges arcs lobés reposant sur des colonnes
104 delhi
FORT ROUGE 105
Jami Masjid, 1656
De loin le plus vaste et imposant monument religieux de
Divisés en trois parties par des balcons et articulés par de
particulière a été portée au mihrab central, en marbre blanc
Shajahanabad, cette prestigieuse mosquée de congrégation
fines bandes de marbre blanc, ces minarets sont coiffés d’un
contrastant avec le rouge des murs, dont l’arc lobé encadre
a été édifiée par l’empereur pour le prix d’un million de
petit chhatri à coupole. De minuscules chhatri couronnent
une niche en partie octogonale. La coupole en forme
roupies. Son immense cour de près de 100 mètres de côté
les colonnes de grès rouge qui encadrent le pishtak central
de lotus au-dessus du mihrab est à réseau continu.
est entourée d’arcades s’achevant aux quatre angles par une
de la façade principale, à magnifique arc lobé élevé
petite salle surmontée d’un chhatri carré. Les trois grandes
précédant une demi-coupole. De chaque côté court une
portes — celle de l’est étant la plus haute et la plus large
arcade d’arcs brisés surmontés de panneaux calligraphiques
— sont accessibles par une volée de marches. Elles sont
et du classique parapet crénelé. Trois dômes bulbeux de
ornées d’un pishtak majestueux pris entre des angles brisés,
profil cannelé souligné par des bandeaux de pierre noire
dans lesquels s’ouvrent des niches à arc polylobé
coiffent l’ensemble. Le dôme central, plus haut, est en partie
superposées. Elles sont couronnées au sommet d’un rang
caché par le portail de l’entrée.
de petits chhatri ponctués de fins faîteaux. Un bassin carré
occupe le centre de la cour.
La spacieuse salle de prière (61 x 27,5 mètres) est
106 Introduction
L’intérieur de la salle de prière est divisé en trois
salles sous coupole, celle du centre étant plus large et plus
haute. Les plafonds intermédiaires et ceux des vestibules
flanquée de deux imposants minarets polygonaux qui
latéraux sont plats. Le traitement des murs intérieurs de
participent au sentiment d’élévation donné par l’ensemble.
grès rouge et des arcs lobés est somptueux. Une attention
0
25
50m
Stylistic development 107
Fatehpuri Masjid,
1650
Si les murailles de Shajahanabad ont été démolies, le Chandni
Chowk reste préservé même s’il ne reste rien de son canal
central jadis ombragé d’arbres fruitiers, ni des grandes
TOMBEAU
DE ROSHANARA,
1650
Rien ne subsiste du char-bagh jadis créé par Roshanara au
nord des remparts de Shajahanabad, à l’exception d’une
porte effondrée et d’un pavillon de jardin en marbre blanc
demeures et de leurs jardins qui ouvraient jadis sur cet axe.
mieux préservé qui lui servit de tombeau. Celui-ci se dresse
L’une des dernières constructions subsistantes est la
au milieu d’un bassin à margelle lobée franchi par une
Fatehpuri Masjid, fondation pieuse créée par la bégum
passerelle de pierre. Quatre salles angulaires à coupole
Fatehpuri, l’une des épouses de Shah Jahan. Elle se dresse sur
signalée par des chhatri carrés en toiture sont reliées
le côté occidental de la rue, face à la Lahori Darwaza du Fort
par des galeries à arcade et plafond plat. La cour centrale,
Rouge. Une porte en arc (remodelée ultérieurement) donne
ouverte sur le ciel, a reçu en 1671 la tombe de Roshanara,
accès à la cour fermée de la mosquée. La salle de prière est
entourée de jali de marbre au décor complexe.
accessible par un pishtak en grès rouge plaqué sur un arc lobé
0
5m
et une demi-coupole. Le parapet crénelé est couronné d’une
paire de chhatri. Sur les côtés, le marbre blanc des arcades
à trois arcs lobés contraste avec le rouge de la pierre. Deux
fins minarets octogonaux en grès rouge marquent les angles.
La salle est surmontée d’une coupole cannelée.
108 delhi
FATEHPURI MASJID et tombeau de roshanara 109
TOMBEAU
DE SAFDAR JANG,
1754
Dernier grand projet architectural de la période moghole
à Delhi, ce tombeau commémore Mirza Abul Mansur Khan,
vice-roi d’Avadh sous Muhammad Shah puis son principal
ministre, mieux connu sous son titre de Safdar Jang.
Le monument s’élève dans un vaste jardin clos de plan carré
de 300 mètres de côté divisé en quatre char-bagh par de
longs canaux parsemés de jets d’eau. L’entrée principale
se fait à l’est par une porte à deux niveaux surmontée
d’une véranda à arcade derrière laquelle s’aperçoit le dôme
du mausolée au centre du jardin. Une petite mosquée
à trois coupoles s’élève contre un mur voisin.
Édifié sur un podium surbaissé entouré d’une
arcade, le tombeau contient une salle centrale de plan
carré cernée de salles secondaires. Les salles angulaires
octogonales conduisent à des escaliers pris dans des
contreforts polygonaux à deux niveaux couronnés de
chhatri octogonaux. Sur chacune des façades se dresse un
haut pishtak contenant des arcs lobés répétés de chaque
côté sur deux étages. Le parement de pierres de différentes
couleurs sur les façades et les tours d’angle polygonales
contraste avec le marbre blanc du dôme bulbeux qui s’élève
sur un tambour à seize côtés.
0
112 delhi
50
100m
TOMBEAU DE SAFDAR JANG 113

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