La Châtre Indre

Transcription

La Châtre Indre
Allocution prononc€e au Banquet 1953
des anciens €l•ves du ‚ Coll•ge Georges Sand ƒ
(La Ch„tre, Indre)
Pierre Andr€ LAFAIX, Administrateur en Chef de la France d’Outre Mer
Mes Chers camarades,
J’•prouve une joie aussi profonde qu’inhabituelle, puisque servant en
Afrique Noire depuis plus de 13 ans, ‚ me retrouver dans une ambiance aussi
sympathique et aussi amicale que celle de notre banquet oƒ la pr•sence de
Monsieur Fran„ois Robert, notre v•n•r• Pr•sident d’honneur, concr•tise ‚ nos
yeux la chaude affection qu’il n’a cess• de porter ‚ notre Association amicale et ‚
tous ses anciens •l…ves.
Et je remercie de tout cœur notre cher Pr•sident, Monsieur le S•nateur
Rotinat, dont la place •minente et si m•rit•e qu’il occupe au Conseil de la
R•publique ne saurait faire oublier ‚ l’•l…ve de 1924 le ma‡tre respect• qui lui fit
faire sa premi…re composition fran„aise, de m’avoir si gentiment offert de
pr•sider ces agapes aussi cordiales que succulentes.
Ce n’est d’ailleurs pas sans une certaine r•serve que j’avais auparavant
r•pondu ‚ ce sujet ‚ mon ami L•vˆque, notre distingu• Secr•taire G•n•ral qui
chaque ann•e se d•pense sans compter pour perp•tuer l’amiti• et les souvenirs
autour de cette table.
1
Tout d’abord j’avais la lourde tache de succ•der dans cet honneur ‚ notre
camarade Maurice Cruchon, Directeur de Cabinet de Monsieur Pleven, Ministre de
la D•fense Nationale qui a pr•sid• l’an dernier avec toute l’autorit• que lui
confƒrent ses hautes et d•licates fonctions.
En outre cette pr•sidence ‚ laquelle je suis particuliƒrement sensible •tait
malheureusement
compens•e
par
l’obligation
de
prononcer
le
„ la…us †
traditionnel.
Or, sans doute par timidit• naturelle, j’ai la phobie des „ la…us †.
D’autre part, le souvenir du chenapan indisciplin• et peu studieux que je
fus au collƒge, aprƒs un a‡n• taill• sur un patron aussi d•plorable, sinon plus, me
gˆnait pour accepter la pr•sidence d’un banquet ou de jeunes et brillants
laur•ats, cumulant les mentions trƒs bien avec les f•licitations du jury,
viendraient enorgueillir ‚ juste titre notre vieux bahut et apporter la preuve
•clatante de l’excellente direction de Monsieur Bressolette et de la haute qualit•
de l’enseignement qui y est donn• par tous les professeurs.
Il faut en effet avouer que nos classes •tant alors beaucoup moins
nombreuses que maintenant, nous faisions avec Gerbaud a‡n•, que j’associe en
m’excusant ‚ ce tableau du d•shonneur -car en v•rit• il m’apportait une
collaboration trƒs •troite dans toutes nos œuvres parascolaires- v•ritablement
tache dans cette p•piniƒre clairsem•e auprƒs d’•lƒves aussi s•rieux que
Desfougƒres et Colmar voire aussi austƒre que Vergne et Thimel.
J’en •prouve encore aujourd’hui une honte r•trospective et seule la
consid•ration de la bonne conduite et de la studieuse application pendant toute
sa scolarit• de mon neveu, que j’excuse de son absence forc•e, me permet de
croire que dans ce domaine la famille est „ d•douan•e † ‚ vos yeux.
D’ailleurs, notre cher Pr•sident, a dŠ penser avec son indulgence
habituelle que ce n’•tait l‚ que p•ch•s v•niels ou d•fauts de jeunesse.
En tout •tat de cause il m’•tait impossible de ne pas d•f•rer ‚ son d•sir de
me voir pr•sider notre banquet, en tant que repr•sentant de trop rares fran‹ais
d’Outre-Mer que compte notre Association.
2
En effet, mes chers camarades, dans nos vieilles provinces du Centre
comme malheureusement dans la France enti…re, ce que nous appelions avant
guerre l’Empire Colonial, et qui est devenu depuis la lib•ration, l’Union fran„aise,
n’•voque dans l’esprit de la plupart des gens que des id•es toujours vagues et
confuses quand elles ne sont pas enti…rement fausses.
Dans la campagne ce sont tout simplement ‰ les pays chauds Š, terme
sommaire auquel s’attache un pr•jug• d•favorable tenace qui se refl…te dans une
certaine litt•rature dont l’exotisme ‚ bon march• nous fait tristement sourire et
nous incite, quand nous sommes en cong•, ‚ vivre en vase clos, et ‚ ne parler
des choses que nous connaissons qu’avec ceux qui les connaissent.
Pour r•sumer : dans la m•tropole, oƒ bien on ne parle pas de l’Union
fran„aise, ou bien on en parle mal.
Quelle diff•rence avec la Grande Bretagne ou il •tait de bonne tradition
d’avoir servi dans les lanciers du Bengale avant de revenir s’asseoir dans la
Chambre des Lords.
C’est, pourquoi, puisque l’occasion m’en •tait offerte avec tant de
gentillesse, il devenait pour moi un devoir que d’en parler un peu, en toute
franchise, et comme dans une r•union de famille, ‚ ceux qui, comme moi,
sortent du mˆme terroir et ont pass• leur jeunesse dans cette vieille maison dont
la nouvelle d•nomination n’a chang• ni les murs ni les traditions.
L’Union fran„aise, d•clarait r•cemment un de nos anciens ministres de la
France d’Outre-Mer, Monsieur Pflimlin, est le pilier de l’Ordre Mondial.
Sans poser le probl…me ‚ cette •chelle, dont seules de tr…s hautes
personnalit•s peuvent poss•der les donn•es, tous les fran„ais devaient ˆtre
convaincus que, seule, l’existence de l’Union fran„aise, nous permet encore de
figurer dans le Conseil des Grandes Puissances.
Malheureusement les •v…nements vont vite.
Il est infiniment probable en effet, qu’en Asie, les Etats associ•s, beaucoup
trop loin des bases m•tropolitaines, beaucoup trop rapproch•s de puissants
appuis, ne nous r•serveront que d’am…res d•ceptions.
3
En tout •tat de cause, les combats qui s’y d•roulent depuis bient‹t 7 ans
empˆchent tout construction valable.
En d•finitive, c’est donc d•sormais en Afrique et ‚ Madagascar que nous
devons mettre tous nos espoirs, reporter tous nos efforts, concentrer tous nos
moyens.
Car, sans mˆme parler de Madagascar d•j‚ plus grande que la France, si
l’on consid…re ce bloc colossal qui de Lille ‚ Brazzaville et d’Ab•ch• ‚ Dakar
s’•tale sur 7000 kilom…tres de longueur et 3000 de largeur, et si l’on constate
que ce bloc n’est entaill• que par le bassin occidental de la M•diterran•e, si l’on
r•fl•chit que par avion Alger n’est gu…re plus loin qu’une banlieue •loign•e, que
Dakar n’est qu’‚ 6 heures et Œ d’Orly, que Brazzaville est reli• ‚ Paris en moins
de 11 heures par les com…tes ‚ r•action d’Air France, on peut l•gitimement
s’•tonner que tout n’ait pas •t• tent•, non seulement pour associer •troitement ‚
notre destin cet hinterland •norme dont l’int•rˆt •conomique et strat•gique
n’•chappe qu’‚ nous-mˆmes, mais encore pour garantir son int•grit•.
En effet comme le d•plore dans son ouvrage ‰ Aux fronti…res de l’Union
fran„aise Š l’ancien et sans doute futur Ministre M. Fran„ois Mitterrand, auquel
j’ai d•j‚ beaucoup emprunt• depuis que je vous parle des questions d’Outre
Mer : ‰ On a laiss• s’envenimer les diff•rents marocain et tunisien sans d•finir
clairement nos principes d’action. On d•veloppe l’•conomie des Territoires
d’Outre Mer, cr•ant ainsi de nouveaux besoins sociaux, sans veiller ‚ l’adaptation
progressive des institutions publiques. Enfin nous n’avons pas de politique
musulmane alors que nous cohabitons avec 25 millions de fid…les de l’Islam Š.
Toutefois malgr• ces ombres et peut ˆtre ‚ cause d’elles, quelle
responsabilit• exaltante pour tant de jeunes fran„ais : ing•nieurs, m•decins,
professeurs… dont l’Afrique a tant besoin, et qui se d•solent ou •touffent dans
les fronti…res •troites d’une m•tropole vieillie et un peu scl•ros•e, de penser que
d’eux peut d•pendre l’avenir de la France, voire mˆme, si j’en crois Monsieur
Mitterrand, de tout un continent.
Mais, h•las, l’adoption rapide des solutions neuves et hardies, seules
susceptibles de permettre l’accomplissement de cette œuvre grandiose autant
que vitale pour nous, fait encore peur ‚ beaucoup, alors que ces peuples de
4
couleur, jeunes et ardents, d’une vitalit• d•bordante, ont d•j‚ chauss• des
bottes de sept lieues, alors que, s’il est certain que l’Afrique aura besoin
longtemps encore, d’une tutelle ext•rieure, il faut ˆtre persuad• •galement que
la France, elle aussi, ne demeurera une grande nation – dut en souffrir notre
orgueil – que par l’existence de ses prolongements africains, d’oƒ sont d•j‚
parties les arm•es de la lib•ration.
Car c’est dans cette Afrique immense, dont l’•norme richesse mini…re a fait
la fortune de nos voisins belges et anglais, et qui a constitu• l’axe strat•gique de
la derni…re guerre mondiale, c’est parmi ces peuples en •veil qui constituent,
peut ˆtre la force, en tous cas la jeunesse du monde, que repose notre avenir
commun.
Il faut donc que nous allions r•solument et loyalement, sans pr•jug•s
p•rim•s ni restrictions mentales, mais avec le sens de la vraie grandeur
fran„aise, vers ce monde africain si prenant, avec le d•sir de le comprendre,
avec la volont• de l’aimer et d’en faire un v•ritable associ• et non un serviteur.
Sans
quoi,
d’autres
nations,
d’autres
empires
plus
r•cents,
plus
dynamiques, qui nous d•passent en progr…s techniques, qui ont des populations
pl•thoriques et p•n•tr•es de leur vocation mondiale, ou des capitaux ‚ revendre,
se h•teraient de combler les vides que notre ignorance ou notre •go•sme
auraient ainsi cr••s pour notre ruine morale et mat•rielle.
Mais, personnellement je n’ose croire ‚ une telle •ventualit• qui sonnerait
le glas de la France et de l’Union fran„aise, car si nous sommes la Nation des
grandes erreurs, nous sommes aussi celle des grands espoirs et des grandes
r•demptions.
Car si la voix de l’Afrique que j’ai entendue si diverse ; ‚ la ville dans les
conseils municipaux et les assembl•es territoriales ; en brousse dans les
dispensaires et les •coles, sur les march•s et les chantiers, dans les cercles
•volu•s comme parmi les peuplades nues et attard•es… si cette voix nous
reproche l’indiff•rence de la m•tropole, la mis…re que nous tol•rons ‚ c‹t• de
certains gaspillages, le racisme que nous n’osons d•savouer, et leur sugg…re
d’ˆtre les ma‡tres de leur destin…, ce destin se dessine pour eux dans le cadre de
la France oƒ le plus humble d’entre eux sait que la pr•sence fran„aise l’a d•livr•
5
de toutes ses craintes ancestrales et qu’aucune Nation mieux que la France ne
pourra lui apporter cette fraternit• ‚ laquelle il aspire, et •veiller son Œme
africaine trop souvent incomprise ou m•connue.
Mes chers camarades, je m’excuse de vous avoir ainsi entra‡n•, sans
doute trop longtemps, et peut ˆtre avec trop de conviction, vers des horizons qui
me sont devenus aussi familiers que ceux de la Rochaille et du Qu•rou, et qui
sont bien loin, malgr• les Comet ‚ r•action, de notre cher Collƒge George Sand.
J’espƒre que vous ne m’en tiendrez pas rigueur, mˆme si vous ne partagez
pas tous mes points de vue.
Et pour conclure et ne pas faire attendre trop longtemps les danseurs, je
lƒve mon verre ‚ la longue vie et ‚ la prosp•rit• de notre association amicale
ainsi qu’‚ celle de tous ses membres.
6

Documents pareils