1) Spatialiser le temps : une problématique

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1) Spatialiser le temps : une problématique
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Introduction
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1) Spatialiser le temps : une problématique fréquemment explorée
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A) Représenter des séquences temporelles en une seule vue, la fascination de l’être humain pour l’ubiquité et la simultanéité / Origine de cette
fascination
B) Le travail de la scripte au cinéma : une expression graphique du temps et de la simultanéité
C) Relation entre pluralité des points de vue et montage cinématographique : une expérience de la simultanéité
— Le Napoléon d’Abel Gance
— La « Polyvision »
— Polyvision et Polyphonie : simultanéité des points de vue = séquences musicales harmoniques
— Le logiciel de montage vidéo : une cartographie de l’objet temporel
— Vidéo et chorégraphie : la polyphonie selon William Forsythe
— La polyphonie au théâtre : Laurent Colomb
3) Pluralité et convergence des points de vue
A) Spatialiser l’action par le dessin cartographique
— Dans le film Elephant
— Chez Deligny
— La cartographie : un outil d’analyse pour mieux/tour voir
B) Reconstituer l’espace / Spatialisation par convergence des points de vue
— David Thomas
— Le selfie de Dom Dwyer ou la convergence des points de vue dans les images médiatiques
— David Hockney et ses joiners
— David Hockney : joiner vidéo/exploration de l’image animée, spatialisation.
— David Hockney et la réminiscence du futurisme
—une fascination pour la « persistance de la vibration universelle »
— Chronophotographie et représentation du mouvement, divers dispositifs.
— Avant la chronophotographie ?
4) Se déplacer dans un espace spatio-temporel figé
5) Différentes strates temporelles perçues en simultané, divergence des points de vue : Dan Graham
CONCLU
Ouverture —
Dérive de la fascination pour la simultanéité
— Le panoptique, un modèle de surveillance sur le modèle du temps réel et de la simultanéité
— Accroissement de la vidéosurveillance, voir tout et en tout lieu
— 1984
Définition
— simultanéité
— temps réel
— Objet temporel
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Je tenais avant toute chose de préciser que les problématiques que j’évoque
dans le texte qui va suivre découlent de celles que j’avais déjà soulevé dans mes
productions précédentes, en particulier celles réalisées autour de mon DNAT.
Celles-ci étaient toutes liées à une manière de séquencer le temps et l’espace. J’avais
eu l’occasion de travailler sur la réécriture et le montage cinématographique,
notamment avec le film l’Enfant Sauvage de Truffaut réalisé en 1967 à partir de
l’étude de Jean Itard sur Victor de l’Aveyron en 1800. [nécessaire? > J’ai produit
une édition qui permettait de comparer le livre et la réinterprétation de Truffaut. J’avais scanné l’édition Allia de 1994, dans laquelle j’avais repéré toutes les
séquences du texte que Truffaut avait repris dans son film avec plus ou moins de
précision. J’avais ensuite inséré dans les pages correspondantes des cartes avec au
recto une capture d’écran du film correspondant au passage du texte, et au verso,
la transcription de la voix-off du film correspondant à la réécriture du passage du
livre]. J’ai également eu l’occasion de travailler sur le film Short Cuts, réécriture de
Robert Altman du livre Nine Short Stories, de Raymond Carver. J’ai décousu et analysé toute la structure narrative du film et produit des objets qui permettaient de
spatialiser la narration grâce à des cartographies et des schémas. J’ai également
travaillé sur un montage vidéo qui permettait de visualiser en simultané les différents personnages en fonction de leurs activités dans la trame temporelle du film
Short Cuts m’a fasciné : j’étais troublée en effet par le choix du montage qui
donnait à voir le même évènement, perçu de points de vus différents, en mettant
en relation différents personnages en simultané, depuis des espaces différents.
Dans le montage vidéo que je proposais pour mon DNAT, j’essayais de casser la
linéarité du montage original de Robert Altman en spatialisant la narration par
un système de split-screen. L’histoire comprenait vingt personnages, j’ai donc divisé
l’écran en vingt cases. J’avais établis en amont un emploi du temps pour chaque
personnage en prenant en compte ce que faisaient l’ensemble. Au lieu d’avoir une
narration linéaire, je proposais de visualiser toutes les histoires du film simultanément. Lorsque deux personnages A et B se croisent dans le film d’Altman, la même
séquence d’images apparait alors dans la case de A et dans la case de B de mon
montage.
C’est donc à la suite à cette production que j’ai pu constater aujourd’hui que
le séquençage du temps et de l’espace est quelque chose qui m’interpelle dans mes
réflexions.
D’abord, je m’intéresse à la projection bi-dimensionnelle d’un ou de plusieurs
intervalles de temps, en simultané. J’ai l’intuition d’une simultanéité spatio-temporelle puisqu’en une seule image, ou plus largement, dans un seul objet, se retrouve
capté une multitude d’instantanés, le tout déployé, déroulé dans l’espace.
Puis, je m’intéresse aussi à cette idée de simultanéité spatio-temporelle présente dans un ensemble d’objets, qui sont différentes visions, différents points
de vue d’un seul objet ou d’un même évènement, mais qui, mis côte-à-côte ou
assemblés, produisent de l’espace. Ces vues peuvent être considérées comme des
séquences. Celles-ci permettent de reconstituer de l’espace, ou bien encore, de figer
l’espace-temps, et permettre de s’y déplacer. L’évènement peut être vu en direct,
saisi, ou capté par un appareil technique, comme une caméra, un appareil photographique.
D’où vient cette fascination pour un temps visualisé ? Comment peut-on voir le
temps ? Ces questionnements font suite au trouble que je ressens face à des objets
qui réussissent à capter une durée, un intervalle de temps, une séquence donc, et
qui la restituent dans son entièreté dans l’espace. Je suis troublée car ces disposi-
tifs produisent des objets que l’on peut qualifier de « spatio-temporel » et qui, naturellement, ne sont pas perçus par l’œil humain doté d’un sens de vision commun.
En effet, les limites de ce que l’œil humain ne perçoit pas de son environnement sont nombreuses. Notamment bien sûr, celles de voir dans le noir : l’œil
humain n’est pas équipé comme les animaux nocturnes des qualité de vision qui
lui permettent de voir dans l’obscurité ou du moins percevoir, comme les chauvessouris utilisant des ultrasons buttant sur les limites matérielles de l’espace qui les
entoure. Mettons de côté ces évidences, également celle que l’œil humain ne perçoit qu’une infime partie des rayons du spectre lumineux, car ce dont il est plutôt
question ici, c’est de la perception de l’œil humain et son rapport à la temporalité
et à l’espace, pouvant être modifiée, voire améliorée, grâce à des dispositifs qui
permettent de construire une image du temps à l’aide de représentations de l’espace.
Ainsi, qu’il s’agisse d’outils technologiques, d’images, de vidéos…, il est question à chaque fois de dispositifs, techniques ou graphiques, d’outils de compositions, permettant de représenter graphiquement du temps et de l’espace, et dont
les productions, destinées à être vus et interprétés par l’œil humain, fascinent.
En effet, ils améliorent l’expérience du spectateur, augmentent son outil de
vision et sa perception du temps, par des objets qu’on pourrait qualifier de « spatio-temporels ». Ils proposent une réponse adéquate à notre quête de vision absolue. Grâce à eux, l’être humain a la possibilité de voir une forme d’espace-temps
global, dépassant ses capacités physiologiques.
Comment représenter plusieurs temps en un même espace et plusieurs espace
en même temps ? Comment ces dispositifs, à travers la production d’objets perceptibles, peuvent-ils créer de l’espace-temps ?
Spatialiser le temps : une problématique fréquemment explorée
Transposer, déployer une information temporelle dans l’espace est une question à laquelle se sont confrontés de nombreux auteurs, scientifiques, chercheurs,
depuis bien longtemps. Un ensemble de ces problématiques de représentation du
temps sont traitées entre autre dans le très beau livre Cartographie du temps, de Daniel Rosenberg et Anthony Grafton 1, qui reprend l’histoire de ces représentations,
leur évolution au fil du temps. On peut y mesurer à quel point la représentation
spatiale du temps, la représentation simultanée, parallèle, de plusieurs séquences
temporelles, a été l’objet de beaucoup de recherches et a donné naissance à une
multitude de formes.
Les auteurs du livre remontent jusqu’à l’Antiquité en citant les Chroniques
d’Eusèbe de Césarée, datant du IVe siècle. Dans ces Chroniques, Eusèbe propose sous
la forme d’un tableau, une histoire chronologique du christianisme, synchronisée
avec l’histoire d’autres nations influentes, Assyriens, Egyptiens, Perses, Grecs, Romains. Grâce à ce système de tableau, il est possible de voir quels sont les éléments
historiques contemporains.
Sous une forme tabulaire existe évidemment le calendrier, objet ordinaire
qui permet de dérouler dans le temps une durée. Les calendriers sont nés du
besoin d’organiser la vie agricole, sociale, religieuse. Un calendrier se découpe
en plusieurs unités, généralement basés sur des phénomènes astronomiques. Par
exemple, l’unité du jour est déterminée par la durée entre le lever du soleil et son
coucher. Un découpage complexe – je n’entrerai pas dans les détails – a ainsi mené
1 — ROSENBERG Daniel, GRAFTON Anthony, Cartographie du temps, Des frises chronologiques aux nouvelles timelines,
Eyrolles, 2013.
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à ce qu’on appelle aujourd’hui le calendrier grégorien, apparu au XVI e siècle 1.
Par conséquent, ce passage du temps à un espace bi-dimensionnel est l’objet
d’un interêt ordinaire, que l’on retrouve également par exemple dans la représentation des ondes sonores. Édouard-Léon Scott de Martinville invente le phonautographe en 1857, un appareil permettant de reproduire une onde sonore grâce à un
système de pavillon et d’un stylet sensible inscrivant l’onde sous forme graphique
sur un cylindre tournant. Cet objet permet d’interpréter graphiquement un son,
mais aussi de l’inscrire sur un objet concret, et enfin, de le spatialiser, afin de
dépasser la limite de son aspect à priori uniquement temporel et évanescent.
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Représenter des séquences temporelles en une seule vue, la fascination de
l’être humain pour l’ubiquité et la simultanéité / Origine de cette fascination
Mais il se n’agit pas seulement de concrétiser le temps par le biais d’une objectivation rendue possible grâce à un objet graphique. Ce qui ressort également de
ces problématiques de représentation du temps, c’est aussi l’idée de représentation
simultanée de plusieurs séquences temporelles, et de là, un besoin ou peut-être,
une fascination, d’avoir une vue globale de ces séquences, de les voir en simultané.
Si l’être humain, du moins en Occident, comme l’interprète Mathias Millet dans sa
thèse de médecine citée en note de bas de page, ressent ce besoin de séquencer le
temps, et de confronter ces séquences ensemble, n’est-ce pas issu d’un fantasme,
de la quête de vouloir tout voir, tout percevoir, de dépasser les limites de l’espace
et du temps insaisissable ?
L’origine de cette fascination pour cette simultanéité est expliquée par Tania
Ruiz dans sa thèse Études sur le temps et l’espace dans l’image en mouvement. Elle serait
liée à l’industrialisation et le développement des transports et des communications :
La conscience de la simultanéité est directement liée à l’établissement d’un temps universel, produit de la
modernité. L’industrialisation et le développement des transports et des communications au XIXe siècle ont eu
une influence décisive sur la fragmentation et la standardisation du temps. Lié aux colonialismes, aux besoins
de synchronisation des voies ferrées et aux systèmes de communication émergents tel que le télégraphe, l’établissement d’un temps universel est devenu indispensable. L’expérience temporelle de la société industrielle
est marquée par la découverte de la simultanéité et de l’immédiateté.
C’est cette simultanéité qui aurait par la suite inspiré le champs artistique du
début du XX e siècle, surtout après 1910. Selon Dominique Viart et Marie-Hélène
Boblet-Viart, dans l’article « Esthétiques de la simultanéité » 2, cette fascination
semble avoir été une réelle revendication esthétique et obsessionnelle à cette
période :
Cette présence des questions de simultanéité à l’avant-scène des débats picturaux et littéraires révèlent
surtout l’émergence d’un nouveau regard sur le monde […]. Les artistes ne se sont préoccupés d’affirmer
l’ambition simultanéiste de leurs œuvres qu’au moment où ils ont fait l’expérience du débordement. La culture
1 — « Nous envisageons le temps à travers des catégories abstraites comme les calendriers, les agendas, les éphémérides, les montres
ou les horloges, à travers des unités de temps : minutes, heures, jours, semaines, mois, etc. C’est un temps hautement divisé, découpé, organisé, rationalisé, un temps abstrait, qui réalise une véritable coupure entre les mots et les choses. Notre manière de penser
le temps, de le concevoir et de le pratiquer est, dans une large mesure et pour nombre de nos activités, indépendante de l’expérience
immédiate, de l’expérience vécue, que nous en faisons. Lorsque, par exemple, nous établissons un emploi du temps ou un planning,
nous accomplissons une série d’opérations abstraites sur le temps. Nous l’organisons, le programmons, l’économisons, le prévoyons,
etc., en y répartissant nos activités, indépendamment et en dehors de la pratique effective ou du temps vécu. », MILLET Mathias,
Les étudiants de médecine et de sociologie à l’étude, Université Lumière Lyon 2, 2000.
2 — VIART Dominique, « Esthétiques de la simultanéité », Jules Romains et les écritures de la simultanéité : Galsworthy,
Musil, Döblin, Dos Passos, Valéry, Simon, Butor, Peeters, Plissart, Presses Univ. Septentrion, 1996, Coincidence in literature.
du sujet, la culture sociale aussi bien, se sont en effet trouvées excédées par l’effervescence neuve d’un monde
issu de la révolution industrielle, une révolution en avance sur la révolution culturelle, qui en prendrait la
mesure. Les revendications de simultanéité ont ainsi été une forme de réponse à l’épreuve de ce vertige : il y
avait une urgence de parole face aux déplacements rapides du monde, basculant de la pérennité de ses lois à
l’accélération de ses mutations. La conscience nouvelle d’un monde dont les lointains se sont trouvés soudain
rapprochés par la facilité des transports et des communications, de l’avion à la transmission par ondes sans
fils. […] L’ici-maintenant n’est plus le seul lieu des actions et des vies : il faut ouvrir le champ de l’expression à
la pluralité.
À la suite de ce passage, les auteures définissent la notion de simultanéité.
Selon leur définition, elle peut être envisagée de quatre points de vue différents.
Ces définitions sont suffisamment pertinentes pour mon propos, je les résume cidessous :
— simultanéité du point de vue de la réalité objective : de ce point de vue, on
parle d’évènements simultanés lorsqu’ils se produisent dans un même laps de
temps, mais pas nécessairement au même endroit.
— simultanéité du point de vue de la perception subjective : on parle de sensations subjectives simultanées lorsqu’elles sont perçus en même temps par un
même sujet.
— simultanéité du point de vue de la conscience : « idées, souvenirs, rêveries »
sont des éléments qui peuvent se produire en simultané dans la conscience.
— simultanéité du point de vue de l’expression artistique : elle nait de la « tentative d’exprimer plusieurs choses à la fois », par le biais d’une esthétique soucieuse de rendre compte de la sensation de simultanéité.
Les objets dont je vais parler dans ce mémoire, bien qu’il s’agisse majoritairement d’objets issus des domaines du design et de l’art, s’articulent avec l’ensemble
de ces définitions.
Après avoir défini la notion de simultanéité, je la mettrai en lien avec celle
d’ubiquité et la fascination de l’être humain pour celle-ci. Le terme d’ubiquité,
revêt, en théologie, un sens fort, puisque c’est un terme associé à une entité divine,
et qui exprime la faculté d’être présent en tout lieu et en tout temps. Mais ce terme
peut aussi être appliqué sans rapport avec un dieu quelconque : la machine, les
technologies actuelles, ou simplement, des images peuvent, nous le verrons plus
loin, nous permettre à nous, modestes êtres humains, de voir « tout », et de faire
fi des limites spatiales et temporelles. Cette définition d’ubiquité peut se rapprocher de celle de synoptique. Un tableau ou schéma synoptique, désigne la représentation graphique d’un système complexe. Ce terme puise ses origines dans la
traduction grecque : « qui peut voir l’ensemble d’un coup d’œil ». D’ailleurs, le terme de
la même famille « synopse » désigne « un ouvrage reproduisant le texte des trois premiers
évangiles [St Matthieu, St Marc, St Luc], en grec ou en français, non pas successivement, mais
simultanément en colonnes qui permettent de les confronter dans leurs ressemblances et leurs
différences » 1.
Tout comme Tania Ruiz, Alain Gras relie le fantasme d’ubiquité dans son article
« Le désir d’ubiquité de l’homme pressé et le devoir de vitesse » 2 à l’homme moderne du XIXe
siècle, fasciné par la prise de vitesse, conséquence directe de l’évolution technique
liée aux transports rapides et aux télécommunications. Il précise que cette capacité n’est pas nouvelle mais qu’elle devient une réalité commune dans la deuxième
1 — Définition proposée par le CNTRL tirée du dictionnaire Léon-Dufour de 1975, <http://www.cnrtl.fr/definition/ synopse>
2 — GRAS Alain, « Le désir d’ubiquité de l’homme pressé et le devoir de vitesse », In : Quaderni, no 39, Automne
1999, Transport matériel et immatériel, pp. 41-54, en ligne sur <http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/
article/ quad_0987-1381_1999_num_39_1_1410>
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moitié du XXe siècle. Le changement se fait à partir du XVIIIe siècle, pour répondre
à des besoins de relations sociales. C’est à partir de ces besoins que l’homme a fait
évoluer ses techniques, par exemple avec les systèmes d’acheminement des messages et courriers personnels. De ces techniques permettant de gagner de la vitesse
pour communiquer, le réseau ferré est le plus important. N’a-t-il pas rendu nécessaire une synchronisation précise entre les différents trains ? L’horloge a été alors
un élément essentiel dans les gares, à la fois pour les usagers des trains que pour
les employés de gare, pour vérifier l’état du réseau. Par ailleurs, le réseau ferré a
augmenté la rapidité des transports en commun, accéléré la vitesse à laquelle l’être
humain pouvait se déplacer d’un point à un autre, et de là, son exigeance et son
besoin croissant de vitesse et de quasi-simultanéité.
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Le travail de la scripte au cinéma : une expression graphique du temps et
de la simultanéité
Un des premiers objets qui m’a interessé car il soulevait ces questionnements,
et constituait une expression graphique du temps et de la simultanéité, est le
script au cinéma. Afin de ne pas confondre le mot « script » qui désigne le scénario (document dactylographié rédigé par le scénariste comprenant simplement
les noms des personnages, les répliques, et certains détails de type didascalies),
et « scripte », qui désigne le métier, ce dernier étant largement féminin en France,
j’utiliserai le masculin pour désigner le scénario, et le féminin pour désigner la
personne qui exerce le métier de scripte au cinéma. J’emploierai par ailleurs le
terme de « script » pour désigner les documents produits par la scripte, plutôt que
le script scénaristique directement.
Le travail de la scripte débute en amont du tournage, puis l’accompage jusqu’à
la fin. La scripte a pour objectif de veiller au bon déroulement du tournage, des
raccords entre les scènes, du découpage, etc. Sa présence est nécessaire sur chaque
tournage. Son rôle auprès du réalisateur est primordial, et son carnet peut-être
consulté par toute l’équipe. C’est un outil qui précède le film et permet d’y aboutir.
Certaines images que j’ai trouvé sur le web sont des sortes de tableaux, où
sont inscrits des durées. Ils semblent être une solution pour séquencer les scènes,
selon un système d’organisation par séquençage. Ainsi, le rapport de la scripte à
la temporalité est très important. Chaque scène est chronométrée, afin d’estimer
combien de temps va durer une scène, puis une séquence, puis à la fin, le film dans
sa totalité. La présence de la scripte et le travail qu’elle fourni est crucial pour le
bon déroulement d’un tournage. D’abord parce que le tournage des scènes d’un
film ne se réalise jamais de façon chronologique, il faut donc s’assurer de n’oublier
aucun plan d’une part, et d’autre part parce que les raccords d’une scène tournée
sur plusieurs jours soient bien respectés. Par ailleurs, la narration d’un film peut
s’étaler dans des espaces temporels qui peut comprendre des retours en arrière, ou
des ellipses par exemple, d’où la nécessité de reconstituer le temps et l’espace.
En me rendant aux archives de la Cinémathèque française, la femme qui s’occupe de fournir les documents commandé m’annonce qu’elle a quelque chose pour
moi qui devrait m’intéresser. Elle sort un grand paquet plus grand qu’un format
raisin, dont elle tire deux grandes feuilles sous plastique. Le document qu’elle me
laisse découvrir est un graphe réalisé par Sylvette Baudrot, l’une des plus grandes
scriptes du cinéma français. Toujours en activité, elle commence sa carrière à
vingt-et-un ans sur un tournage de Laurel et Hardy, et enchaîne ensuite sur les
tournages de grands réalisateurs tels que Hitchcock, Resnais, Tati, Polanski. À ses
débuts, elle improvises ses propres méthodes et s’organise de façon très person-
nelle. Ainsi, pour les films d’Alain Resnais, Je t’aime je t’aime (1968), et L’année dernière
à Marienbad (1961), elle organise son script sous la forme de grands graphes, qui lui
permettent de mettre en espace la temporalité du film. Ces deux films présentent
en effet la particularité de ne pas avoir de structure linéaire et de jouer sur des
allers-retours nombreux entre passé, présent et futur. Cet exemple montre à quel
point la complexité temporelle d’une narration peut poser des problèmes de représentration graphique.
Ces graphes proposent un déroulement du temps de la narration dans l’espace
à l’aide d’une représentation graphique. Il est possible d’embrasser d’un seul regard
la structure complète du film, son squelette. Sur le graphe réalisé pour L’année
dernière à Marienbad, Sylvette Baudrot note de gauche à droite, les numéros de tous
les plans, les décors, les costumes, puis sur les colonnes de droites, les différentes
séquences temporelles du film. Dans le « Présent », l’action se déroule du dimanche
au samedi suivant. La colonne de droite, elle, fait référence à « l’année dernière », et
se divise ensuite en plusieurs sous-colonnes correspondant elles aussi à des dates,
allant du 1er au 5 septembre. Entre ces deux colonnes se trouve un espace d’un
centimètre et demi correspondant à la colonne « Tous les temps ». On remarque
que cette colonne correspond au chevauchement entre ces deux espaces de temps.
Sylvette Baudrot invente ainsi ses propres systèmes de représentation spatiale du
temps, et de représentation simultanée de séquences temporelles.
Relation entre pluralité des points de vue et montage cinématographique :
une expérience de la simultanéité
— Le Napoléon d’Abel Gance
Dans le domaine du cinéma, plusieurs expérimentations pour exprimer la
simultanéité ont été réalisée au début de son histoire, grâce à la surimpression, le
collage, ou la division d’écran. Comme objet représentatif de cet interêt pour la
simultanéité, Tania Ruiz donne l’exemple du fameux film d’Abel Gance, Napoléon vu
par Abel Gance, sorti en 1927 et premier long métrage utilisant trois écrans pour sa
diffusion. Techniquement, trois caméras pour le tournage ont été fixées ensemble,
et filmaient chaque scène simultanément et dans trois directions différentes. Projetés sur écran, les trois films étaient montés sous forme de triptyque. Avec ce système, divers effets sont rendus possibles, comme celui de projeter la même scène
sur les trois écrans, pour un effet de répétition, ou bien les trois films tournés avec
les trois caméras, pour avoir une projection simultanée de trois points de vue, ou
des jeux de symétrie en miroir, ou bien encore, une projection panoramique pour
avoir une vision d’ensemble à 180° de la scène tournée.
— La « Polyvision »
Ce procédé, qu’Abel Gance a nommé « Polyvision », est apparu à la suite de questionnements nés après le premier type de cinéma qui consistait à filmer une seule
action dans un unique lieu. Compte tenu de la représentation linéaire de l’action,
du temps et de l’espace, dans la narration du film, et de l’espace limité à un écran
rectangulaire, il semblait évident d’utiliser un principe de séquences mises bout à
bout. De plus, ce mode de lecture était emprunté à celui du livre, qui présente un
déroulement unidirectionnel de la lecture. Mais, malgrè cette linéarité, comment
peut-on représenter plusieurs actions, qui se déroulent dans plusieurs lieux, et
en plusieurs temps ? L’usage du montage alterné et du montage parallèle furent
des solutions inventées pour rendre visible l’idée de simultanéité dans le montage
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cinématographique 1. Cependant, dans l’écran-multiple du Napoléon, Abel Gance
propose un nouveau concept de relation espace-temps. Les relations des images
entre elles ne s’établissent plus seulement séquentiellement, dans leur continuité
temporelle, mais aussi dans la simultanéité, selon une proximité spatiale. Par
ailleurs, Abel Gance revient sur l’idée d’ubiquité, résultat de la modification de la
relation espace-temps :
Nous avons vu des millions, peut-être des milliards d’images dans l’ordre vertical et à la longue, elles en sont
arrivées à se dévorer entre elles, ne nous laissant plus que les vapeurs informes de souvenirs semblables à
ceux des roses des kaléidoscopes dans les yeux des enfants. Si donc je ne crois plus beaucoup à la vertu d’une
image, je crois en revanche à l’éclair qui jaillit du choc simultané de deux ou de plusieurs images en nous
dispensant ce don miraculeux : le don d’ubiquité. Ce sentiment de la quatrième dimension nous permet de
supprimer la notion « Temps Espace » et de nous trouver partout et en tout dans la même fraction de seconde.
Ces arrachements de nos habitudes de penser et de voir opéreront de véritables guérisons de l’âme 2. Abel Gance raccroche son concept de Polyvision à celui de polyphonie dans sa
citation parue dans le texte « Le Spoutnik du Cinéma : la Polyvision » 3 :
Au XIVe siècle, [la polyphonie] transforme l’art musical – qui pendant des siècles était resté pétrifié dans l’immobilisme du plain-chant et de la mélodie solitaire. Certes les oreilles jusqu’au moyen âge s’accommodaient
encore du seul récit chanté – mais, peu à peu, un appétit auriculaire vint aux auditeurs. Et avec circonspection des tentatives audacieuses permirent d’imbriquer un son à un autre son, puis deux, puis trois, puis vint
l’organum à quatre notes, le contrepoint était né et avec lui l’orchestration qui ouvrait dès lors à la musique des
portes triomphales.
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Ainsi, le cinéma aurait aboutit à la polyvision par le même processus d’« appétit
auriculaire » qui aurait mené les compositeurs et les musiciens à expérimenter la
musique polyphonique. Par ailleurs, la démarche de réalisateur serait la même que
celle du compositeur.
— Polyvision et Polyphonie, ou comment rapprocher simultanéité des
points de vue et de celles de séquences musicales harmoniques
Plus près de nous, le film Timecode de Mike Figgis, sorti en 2000 a la particularité d’être également monté en split screen, ou « écran divisés ». L’écran est divisé
en quatre, et le spectateur peut suivre quatre séquences différentes, se déroulant
simultanément, quatre histoires qui finissent par s’entremêler lorsque les personnages se rencontrent.
L’idée de symphonie évoquée plus haut est cristallisée dans le script de Timecode, ce dernier étant sensible à ces questions de composition musicale en tant que
grand amateur de jazz et compositeur de ses propres musiques de films.
J’ai cherché des pages du script susceptibles de se trouver en ligne. Le seul site
qui semble en faire référence est le site de Nextwavefilms, une compagnie qui a
pour objectif d’aider les réalisateurs dans la promotion de leurs films. Sur ce site
est publiée une interview de Mike Figgis par Tara Veneruso 4 qui compare le fait de
regarder Timecode avec celui d’écouter une symphonie musicale. Mike Figgis lui
répond ensuite en décrivant son principe d’écriture utilisée pour le script. En voici
1 — Le montage alterné consiste à montrer deux actions se déroulant ou pas dans le même lieu, afin de
suggérer une continuité d’action et de donner une sensation de simultanéité. Cela peut-être la confrontation d’un
point vue A avec un point de vue B, dans une même scène, en jouant notamment sur la rapidité d’alternance, afin
de donner la sensation que A se déroule en même temps que B.
2 — GANCE Abel, Les Cahiers du cinéma, décembre 1954.
3 — « Le Spoutnik du cinéma : la Polyvision », Arts du spectacle, 26 novembre 1957.
4 — VENERUSO Tara, « An interview with Mike Figgis, Director of Time Code », 27 mars 2000, Next Wave Films,
<http://www.nextwave- films.com/timecode/>
l’extrait, traduit :
TV: Regarder Timecode, c’est comme regarder une symphonie musicale […]. Chaque quadrant semble
représenter son propre instrument. C’est comme regarder une performance où le film dans son
ensemble a été filmé en une seule prise fluide. Il n’y a pas de coupe. Pour rendre ce travail possible, les
vingt-huit acteurs ont du porter des montres synchronisées. Comment cette idée vous est-elle venue ?
MF: Le film est comme un quartet d’instruments à corde. Ce film est une musique. Chaque quadrant est aussi
relié aux autres instruments. Ce film parle d’harmonie. Il possède une structure musicale complète. Je l’ai écris
comme une musique, sur du papier musique […] Vous voulez savoir à quoi ressmble un quartet d’instruments
à cordes ? C’est écrit exactement comme un quartet de corde. Chaque ligne représente une minute. J’ai pensé
que la seule façon d’avoir un contrôle sur toute la ligne et la direction à prendre, devait venir d’une sorte de
système de notation. Il ressemblerait à une pièce musicale et je pourrai littéralement dire que aller à la barre
soixante-trois serait d’aller à la soixante-troisième minute du film. Je pourrai dire à l’équipe : « Selma […], pourrais-tu remonter à deux minutes plus tôt dans ton dialogue ? » […] J’étais dans le train quand j’ai commencé
à écrire. J’ai pensé que j’avais besoin d’une manière de faire légèrement plus scientifique. J’ai essayé avec du
papier millimétré, puis j’ai trouvé ça ridicule et j’ai soudainement réalisé que le papier musique serait parfait.
J’ai écris le film comme une partition.
Après un rapide échange de mails avec Tara Smith, l’assistante créative de Mike
Figgis, j’ai obtenu quelques scans haute définition du script de Timecode. Mike
Figgis représente en amont son film de manière à visualiser l’ensemble des quatres
séquences vidéos qui occuperont chacune un quart de l’écran. Ainsi, la représentation graphique sous forme de lignes horizontales permet de saisir le déroulement
de l’action, de lire les quatre histoires simultanément. Figgis peut ainsi diriger ses
acteurs comme un chef d’orchestre dirige ses musiciens.
Tout comme les grands formats de Sylvette Baudrot évoqués plus haut, cette
représentation linéaire peut être vue comme une forme d’écriture cartographique.
L’action se déroule dans l’espace de la feuille : elle est spatialisée. Dans le film Timecode, confronter les points de vue permet là aussi une spatialisation de l’action.
Le spectateur connait le déroulement des quatre narrations en temps réel. Il se
retrouve dans une posture d’omniscience. Il voit tout, et il en sait bien plus que les
personnages eux-même.
— Le logiciel de montage vidéo : une cartographie de l’objet temporel
On retrouve la structure de strates linéaires dans les tables de montage vidéo.
Ces tables numériques permettent d’avoir un regard sur l’ensemble du film, sur sa
structure globale et sur les différentes couches d’information, le volume, les différentes séquences, les divers calques utilisés que le monteur peut voir en simultané,
et déplacer pour monter son film comme il le souhaite.
Il existe aussi un logiciel qui utilise cette structure, mais qui sert à l’analyse de
films déjà existants. J’ai eu l’occasion d’utiliser et d’expérimenter ce logiciel, Ligne
de Temps, développé par Bernard Stiegler à l’IRI en 2009, lors de mes analyses de
films. Ce logiciel me permettait de charger n’importe quel film, et de le visualiser
sous la forme graphique d’une ligne horizontale – une ligne de temps, préalablement découpée automatiquement en séquences par le logiciel. J’avais ensuite la
possibilité d’y ajouter des calques, des repères, de passer d’un point à un autre, de
revenir en arrière, ajouter, supprimer des niveaux de lectures. Ainsi, je ne percevais
plus le film comme « objet temporel » mais plutôt comme un objet « polyphonique ».
Le terme cartographie renvoie ici aussi à l’idée de spatialisation. L’objet tempo-
9
rel 1 – qui n’existe que visionné sur écran et perçu par une conscience, se retrouve
spatialisé, de la même manière que le Timecode de Mike Figgis à travers son script,
grâce à un découpage horizontal.
10
— Vidéo et chorégraphie : la polyphonie selon William Forsythe
Une chorégraphie de William Forsythe cependant avait servi de point de départ
pour utiliser le logiciel Ligne de Temps dans le but d’en analyser les mouvements,
dans une application appelée Finger’s Dance 2. En faisant quelques recherches sur
ce projet, j’ai rencontré le projet Synchronous Objects for One Flat Thing, reproduced. À
l’origine du projet, c’est une chrorégraphie, One Flat Thing, écrite par William Forsythe en 2000. Dans une interview publiée dans le journal en ligne du New York
Times 3, Forsythe explique comment lui en est venu l’idée. Le point de départ est un
livre sur les expéditions polaires, I May Be Some Time de Francis Spufford, rencontré
dans l’expression de « machinerie baroque ». Ces termes furent une révélation pour lui.
En se demandant ce qui pouvait incarner le baroque aujourd’hui, Forsythe a pensé
que c’était le contrepoint musical 4. Il s’est alors demandé, dans une chorégraphie,
ce qui pouvait être l’équivalent du contrepoint, mais qui ne dépende pas d’un quelconque aspect musical. Ainsi, Forsythe aurait l’intuition d’une danse « polyphonique », une danse à plusieurs voix. Les chorégraphies se font très souvent à plusieurs danseurs, donc toute danse pourrait être polyphonique. Néanmoins, il y a
une différence entre la polyphonie d’une chorégraphie et la polyphonie de la pièce
de Forsythe. One Flat Thing est une pièce pour quatorze danseurs et vingt tables,
et les danseurs interagissent entre eux avec des systèmes de questions-réponses.
Les danseurs disposent de vingt-cinq thèmes principaux et de combinaisons de
mouvements qui sont répétés et recombinés tout au long de la chorégraphie. En
plus de ces thèmes s’ajoutent un set de gestes d’improvisation. Il est demandé aux
danseurs d’improviser des mouvements comme traduction ou réappropriation des
1 — Au sens de la phénoménologie, un objet temporel est constitué par sa temporalité, il s’écoule, il est évanescent, il disparaît. Il a un début et une fin. C’est Husserl qui évoque le premier ce concept d’« objet temporel » et
qui l’associe à la conscience. C’est un objet, pour une conscience, un sujet pensant. S’il n’y avait pas de conscience,
on ne parlerait pas d’objet : on parlerait de chose. En effet, c’est le système conscient qui forme l’objet. Par ailleurs, on parle d’objets dans « objets temporels » puisqu’ils sont achevés, finis, clos, à la différence de la conscience
qui est par définition, ouverte, indéterminée dans sa temporalité.
L’objet temporel a une unité, on ne peut enlever des épisodes. Si on retire des mesures à un morceau, on
supprime complètement la musicalité, on en altère l’unité. Un objet temporel est donc un flux, unifié par la
conscience : c’est notre conscience qui produit l’unité de l’objet temporel, car cette unité n’est pas en soi. Ainsi, un
morceau musical est une unité parce que c’est nous qui l’écoutons, mais elle ne l’est pas en soi.
Le flux coïncide avec le flux de la conscience. Husserl appelle « conscientisation » le fait que la conscience se
modifie sous l’effet de la réception d’un objet temporel. En d’autre mot, si je prends l’exemple du film, les étapes
de conscientisation seraient décrites de cette façon : 1 — le film s’écoule. 2 — l’écoulement du film coïncide avec le
flux de la conscience. 3 — achevé, le film ne disparaît pas totalement. Il persiste dans la conscience sous forme de
souvenir.
La musique et le cinéma sont des objets temporels puissants. En effet, lorsqu’on regarde un film ou quand
on écoute une musique, notre conscience qui est temporelle de part en part ressent quelque chose qui n’est pas
très loin de ce que certain appelle la lévitation. Par exemple lorsqu’on ressent une forte douleur physique, notre
conscience ne fait plus qu’y penser. En allant au cinéma, si le filme est bon, on oublie la douleur. On se désincarne, on est pris dans l’écran. Notre temporalité, notre attention s’est entièrement immergée dans notre objet.
2 — PUIG Vincent, « Fingers’ Dance : une grammaire du geste pour la navigation et l’annotation de films de
danse », publié sur le site internt de l’IRI, Institut de Recherche et d’Innovation, 25 janvier 2010, <http://www.iri.
centre- pompidou.fr/experimentations/fingersdance/>
3 — SULCAS Roslyn, « Drawing Movement’s Connections », The New York Times, 24 mars 2009, <http://www.
nytimes. com/2009/03/29/arts/dance/29sulc.html?_r=0>
4 — Par définition le contrepoint musical est la manière de noter la musique qui consiste à superposer les
lignes mélodiques distinctes lors de l’écriture musicale. Cela permet de jouer deux mélodies simultanément, en
harmo- nie les unes avec les autres.
mouvements improvisés par les autres danseurs. Par conséquent, la chorégraphie
n’est jamais la même d’une représentation à une autre puisqu’elle autorise cette
liberté d’improvisation. Elle est constamment en changement. Il existe de nombreuses relations d’un danseur à un autre, et la chorégraphie est mouvante. Ce
sont les danseurs, par leurs gestes simultanés et tous en harmonie, connectés les
uns aux autres, qui permettent à la « machine chorégraphique » devenue « baroque »
de fonctionner.
À la fin de l’année 2005, Forsythe rencontre Norah Juniga Shaw et Maria Palazzi, avec qui il décide de former un groupe d’étudiants diplômés dans les domaines
de la danse, géographie, informatique et programmation, afin de mener à bien le
projet de One Flat Thing reproduced, crée avec le Ohio State University’s Advanced
Computing Center for the Arts and Design. Ils ont ainsi crée ving objets, disponibles sur le site Synchronous Objects 1, qui explorent les structures de la danse et en
proposent une interprétation créative de la façon dont ces structures peuvent être
visuellement, graphiquement exprimées.
L’un des objets particulièrement intéressant, quant à l’idée de contrepoint et
de simultanéité, est « The Danse » 2. Cet objet propose une interface interactive avec
la vidéo intégrale de la dance. Plusieurs paramètres peuvent être superposés à la
danse, grâce à un menu, afin de décrire les gestes en simultané avec la vidéo de la
chorégraphie, comme des types d’annotation. La vidéo se déroule en continu et
toutes les informations disponibles sont lisibles en temps réel. Le bouton « William Forstyhe Sing Through » permet également d’entendre le chorégraphe interpréter les mouvements par des onomatopées en simultané avec la vidéo. Sur la
gauche, déroule en même temps que la vidéo les détails sur les thèmes utilisés et
les noms des danseurs dont les mouvements interagissent entre eux. Puis, dans la
partie basse se trouve une timeline dont le temps s’écoule et représente graphiquement la chorégraphie sous forme de partition, avec un système de couleurs et de
symboles pour représenter les types de mouvements utilisés. Chaque ligne correspond à un danseur, et chacune de leur partie chorégraphique est décomposée de
manière à produire une vue graphique de l’ensemble. L’utilisateur de l’interface
peut ainsi avoir non seulement une vue d’ensemble, mais observer également dans
le détail les mouvements de chaque danseur. Il devient là encore « omniscient » à la
chorégraphie.
— La polyphonie au théâtre : Laurent Colomb
Un système semblable à cette polyphonie se retrouve également au théâtre.
Laurent Colomb, auteur et metteur en scène né en 1968, s’intéresse à l’oralité, la
sonorité de la langue, à ses « qualités musicales, légitimant la mise en place d’un vaste corpus didascalique en amont, en marge et parfois au cœur du texte » 3.
De cette problématique générale découle un interêt lié à la simultanéité : comment faire jouer des comédiens ensemble, comment leur faire réciter un texte en
jouant sur la simultanéité des répliques et leur sonorité, et surtout, comment le
représenter graphiquement, quel système d’annotation permet à un lecteur ou un
comédien d’y voir plus clair dans la complexité de ce procédé ?
En 2002 4, Laurent Colomb écrit sa pièce Boîte de coffret. Le texte descriptif
1 — Synchronous Objects, <synchronousobjects.osu.edu>
2 — Disponible à cette adresse : <http://synchronousobjects.osu.edu/content.html#/TheDance>
3 — Citation tirée du site internet de Laurent Colomb, dans la section Théâtrographie : <http://laurent.
colomb. perso.sfr.fr/Laurent_Colomb/Theatrographie+.html>
4 — COLOMB Laurent, Boîte de coffret, intentions d’écriture, sur <http://laurent.colomb.perso.sfr.fr/Laurent_Colomb/ BDC-Intention+.html>
11
qu’il écrit en avril 2004 et qu’il publie sur son site internet fait encore référence au
terme de polyphonie :
[…] En progressant par imbrication-dissolution des quêtes individuelles, une narration « gigogne » est à
l’œuvre, autrement dit un juxtaposé d’univers géographiques, de situations temporelles et de langues différentes. Procédant par contamination, une polyphonie s’installe peu à peu, accentuant de ce fait une écoute
plurielle.
Concernant la mise en page de son texte :
La mise en page – elle-même – témoigne d’un certain nombre de va et vient : entre passages dialogués et
passages polyphoniques […]. Très concrètement, elle réfléchit une démarche pédagogique où typographies,
couleurs et sous-ensembles textuels conjuguent une partition pour voix et corps […]. À travers un dispositif
didascalique à plusieurs niveaux, je tente en effet de relativiser la portée dramatique et sonore d’une langue à
première vue incohérente […].
12
Une page de son texte est accessible dans la section « Manuscrit » du site. Il
s’agit d’une page dactylographiée permettant d’avoir une idée de la mise en page et
d’en faire l’expérience comme lecteur. Les répliques sont présentées de façon classique, précédées du nom de personnage, les didascalies sont en italique de couleur.
Des petits tableaux interviennent lorsque D.Boy et Dolly ont la même réplique
qui doit être récitée en simultané. Elles sont récitées plutôt en saccades, chacun
des personnages récite des parties de la réplique, parfois en même temps, parfois
D.Boy, parfois Dolly seulement. La lecture dans ces petites tableaux est semblable
à celle d’une partition : le comédien peut savoir à quel moment dire ses bouts de
répliques en fonction de l’autre par un système d’alignement vertical. Comme il le
dit dans la citation plus haut, Laurent Colomb juxtapose ses répliques comme une
partition polyphonique, et grâce à des systèmes graphiques, réinvente une écriture
dramatique.
Pour son Opéra Langue écrit en 2012, Laurent Colomb s’inspire de Jean-Jacques
Rousseau et de ses théories sur l’origine du langage, dont il interprète les hypothèses philosophiques par une narration théâtrale polyphonique. Il propose un
système d’annotation permettant à ses comédiens de jouer la pièce en s’accordant
les uns avec les autres. Pour cela, Colomb collabore avec le studio graphique Pentagon, formé des designers Guillaume Allard et Vanessa Gœtz. Ils s’inspirent des
partitions musicales pour permettre une lecture linéaire et synchronisée des six
personnages, grâce à une portée de six lignes. Les didascalies sont placées dans les
interlignes, la vitesse d’élocution préconisée est indiquée au dessus de la portée, le
volume est précisée à chaque réplique, avec les mêmes diminutifs qu’en musique
( f pour forte, ff pour fortissimo, etc. ). À droite de la portée, en marge, est réservée
une place pour les précisions phonologiques, qui sont reliées au texte grâce à un
système de notes en indice.
Le comédien lit son texte comme une partition, et peut lire également où en
sont les autres comédiens, par un système de portées similaires à une composition
musicale. Ce système d’écriture est judicieux, et répond, à la fois par sa forme textuelle, mais aussi par sa forme d’oralité, aux problématiques de langage que pose
Laurent Colomb.
Nous avons vu comment ces auteurs expérimentent les supports et les systèmes d’écriture pour représenter graphiquement la simultanéité. Des systèmes de
montage simultané d’Abel Gance et de Mike Figgis aux graphes de Sylvette Baudrot, l’écriture polyphonique dans le script cinématographique, en chorégraphie
ou au théâtre, ces supports témoignent d’inventivité pour noter et représenter la
temporalité et la simultanéité.
Mais il est aussi question de simultanéité lorsqu’il y a confrontation ou convergence de plusieurs points de vue. Ces dispositifs permettent de produire une
impression de spatiotemporalité.
Pluralité et convergence des points de vue
Le film Elephant de Gus Van Sant, sorti en 2003, utilise un système de confrontation de points de vue tout à fait représentatif. Ce film s’inspire de la dramatique
tuerie du lycée de Columbine du 20 avril 1999. Dans les faits réels, deux lycéens,
Eric Harris et Dylan Klebold ont organisé une fusillade dans leur propre lycée
après s’être procurés des armes. Le film s’inspire librement du fait divers. L’action
se déroule la journée du massacre. Elle commence le matin lorsque John arrive au
lycée avec son père, et se termine sur un plan d’un des deux tueurs, sur le point
de tuer un couple d’étudiants dans la cuisine. Gus Van Sant prend le parti pris de
filmer ses personnages et leurs déplacements en adoptant leurs points de vue. Ce
procédé est permis notamment grâce à l’utilisation du plan séquence, filmant les
personnages de dos pendant leurs déplacements. Le plan séquence, au cinéma, est
certes une démonstration de virtuosité, mais il fait correspondre la narration au
temps du film, garantissant ainsi un certain effet de vérité : les plans sont tournés
en une seule prise, il n’y a pas d’effets de montage permettant de « truquer » une
scène d’une quelconque manière.
Ainsi, la scène où John se fait prendre en photo par Eli dans le couloir, scène
d’abord tournée de son point de vue, et où l’on aperçoit Michelle courir en arrièreplan, est reprise deux fois dans la suite du film, du point de vue de John puis de
Michelle. La scène où l’on voit John jouer avec le chien à la sortie du lycée est
filmée également du point de vue du groupe de jeunes filles en train de déjeuner à
la cantine, et du point de vue des deux tueurs arrivant à l’entrée du lycée avertissant John de ne pas rentrer dans le lycée. Le film ainsi monté permet de montrer le
même instant grâce à différents points de vue.
Non seulement le spectateur a connaissance de l’histoire à travers les personnages, mais en plus, il peut anticiper progressivement la suite de la narration. Le
spectateur connait le déroulement qui se contruit peu à peu : lorsque le spectateur
voit d’abord la scène où Michelle range les livres dans la bibliothèques, et qu’elle
se retourne après avoir entendu le bruit d’une arme en train d’être chargée, il sait
très bien qu’à la seconde version de la scène qui arrive bien plus tard dans le film,
lorsque les deux jeunes arrivent dans la bibliothèque armée, Michelle va se retourner. Le spectateur est comme omniscient, il en sait plus que les personnages.
Spatialiser l’action par le dessin cartographique
— Dans le film Elephant
Par ailleurs, au fur et à mesure de la narration, le spectateur spatialise de
mieux en mieux l’action, grâce aux différents déplacements des personnages.
Cet aspect est mis en évidence dans le menu du DVD. Celui-ci présente une
particularité dans le menu « Chapitres ». Contrairement à un menu ordinaire, celuici propose à l’utilisateur non seulement de naviguer par chapitre, mais aussi par
« Parcours », et par « Personnages ». Le sous-menu « Parcours » propose plusieurs
entrées dans le film, non par chapitrage classique, mais par des liens placés sur
un plan du lycée. Sur ce plan sont tracés les parcours de chacun des personnages.
À droite du plan se trouve la liste des personnages. Lorsqu’on active chacun des
13
noms, le parcours correspondant sur le plan se colore en surbrillance afin d’être
mis en évidence. Sur chacun des tracés se trouvent des petites croix, qui désignent
les emplacements où les scènes sont tournées. Ce menu donne une dimension
définitivement spatiale au film. Il est possible pour l’utilisateur de se déplacer avec
les flèches de son clavier sur le plan tracé par Gus Van Sant, comme outil d’organisation de ses idées pour son tournage. Il en est question dans un article publié
sur le site de Next Libération, le 22 octobre 2003 par Antoine de Baecque 1 qui cite le
réalisateur :
Gus Van Sant […] vient de croquer sa propre mise en scène : ces trajets mis à plat, ce schéma d’école, disent
la virtuosité d’Elephant. « C’est une chose que j’ai répétée tant de fois, dans ma tête puis sur un plan assez
semblable à celui-ci, avant de le faire pour de vrai avec les gamins et la caméra, que je connais vraiment par
coeur chaque parcelle de ce lieu et chaque variation de ces déplacements », dit le cinéaste dans un éclat de
rire. Et s’il lui fallait définir son travail de mise en scène, Gus Van Sant avance l’hypothèse suivante : « L’idée
était de partir de l’objectivité du fait divers, c’est-à-dire des emplacements de chacun lors de la tuerie, de leurs
mouvements en fonction de leurs activités du jour, puis de rendre cela par des trajets filmés qui se croisent et
se recroisent ».
14
— Chez Deligny
Cette cartographie n’est pas sans rappeler les cartes concues par Fernand
Deligny, éducateur français reconnu pour avoir pris en charge des enfants autistes
dans le cadre particulier de l’éducation spécialisée 2. En 1967, il s’installe au hameau
des Graniers, dans les Cévennes, avec un groupe d’enfants autistes, fermement décidé à se consacrer exclusivement à eux. Deligny leur offre un cadre de liberté qui
diffère des centres éducatifs traditionnels. Les adultes qui encadrent les enfants
ne sont pas des éducateurs diplômés, mais des personnes adultes prêtes à s’investir auprès de ces enfants : étudiants, ouvriers, paysans. Le cadre dans lequel tout
le groupe décide de s’installer dans les Cévennes et sectionné en aires de séjour,
séparées les une des autres par une quinzaine de kilomètres. Ce que Deligny propose à ces éducateurs improvisés, ces « présences proches », comme il les appelle,
est de tracer, transcrire, tous les jours, leurs propres déplacements, sur lesquels
ils superposent ceux des enfants, comme des cartes de trajectoires, des « lignes
d’erre ». Ces cartes sont ainsi constituées de plusieurs strates : d’abord, la carte de
fond, sur laquelle sont posées « les choses vues, les choses sues » 3, tels que bâtiments,
poutre, banc, pierres et autres objets présents sur le lieu. Sur la deuxième strate,
les adultes tracent leurs trajets et leurs gestes au crayon de papier. Vient enfin la
troisième strate, un troisième calque, sur lequel les adultes tracent les trajets des
enfants, cette fois-ci à l’encre. Tout comme Gus Van Sant le décrit dans la citation
plus haut, ce système permet d’observer ce que l’œil nu ne peut pas voir, de décrire
tous les déplacements et d’en observer les enchevêtrements, les coïncidences qui
en découlent.
— La cartograhie comme outil d’analyse
Gus Van Sant dit être fasciné par les schémas explicatifs des faits divers que
l’on peut trouver dans les comptes-rendus des journaux. Cela me rappelle que sur
1 — BAECQUE Antoine de, « Un “ Éléphant ” très dessiné », Next Libération, pubié le 22 octobre 2003, consulté le
22 octobre 2014, <http://next.liberation.fr/cinema/2003/10/22/un-elephant-tres-dessine_449002>
2 — L’éducation spécialisé désigne la méthode de prise en charge des enfants en difficultés en prenant soin
de leur proposer un programme d’enseignement sur mesure, adapté à chaque individualité, afin de les conduire à
une autonomie optimale.
3 — POISSON-COGEZ Nathalie, « Lignes d’erre, les cartes de Fernand Deligny », L’art et la manière, LNA #60.
<http:// culture.univ-lille1.fr/fileadmin/lna/lna60/lna60p34.pdf>
la page Wikipédia 1 de la tuerie de Columbine , on peut voir ce genre de cartes, modélisées par le FBI sur lesquelles sont représentées le lieu et les déplacements des
tueurs de Columbine, utilisées comme outil d’analyse dans le cadre de l’enquête.
Contrairement cependant à l’idée de Gus Van Sant consistant à objectiviser le
fait divers par des déplacements tracés avec le plus de précision possible comme
dans les documents du FBI, chez Deligny, il s’agit d’un trajet subjectif, puisque les
tracés sont réalisés à la main d’une part, et d’autre part, sont tracés de mémoire,
parfois longtemps après les faits, et ne sont pas véritablement proches de la réalité.
Néanmoins, la méthode de Deligny sert tout de même à des fins d’analyse, dans
la mesure où, après étude de ces lignes d’erres tracées au quotidien, on peut tirer
des conclusions sur les habitudes des enfants, leurs gestes, leurs façons d’agir,
leurs déplacements réguliers, répétés, les lieux qu’ils fréquentent en majorité, etc.
Ses trajets ne sont pas filmés, mais dessinés, « se croisent et se recroisent », pour
reprendre les termes de Gus Van Sant cités dans l’article. Antoine de Baecque
ajoute par ailleurs :
[…] Son cinéma tout entier serait celui de trajets qui se croisent, de corps en déplacement dans l’espace selon
des modalités temporelles bien réglées […].
Ces dispositifs permettent donc une vue synoptique, de changer de points de
vue, d’analyser. Ils permettent d’augmenter son sens de vision, mais produisent
aussi un effet de spatio-temporalité. Ainsi, dans Elephant, si le montage de Gus Van
Sant permet la confrontation des points de vue des différents personnages, d’anticiper la narration, et donne la possibilité au spectateur d’être omniscient, passer
d’un point de vue à un autre donne également une sensation de spatialisation, de
pouvoir se déplacer dans la scène, de changer de regard, de position, de reconstituer l’espace du lieu où la scène est tournée.
Pluralité des points de vue pour reconstituer l’espace / Spatialisation par
convergence des points de vue
— David Thomas
Cette idée de convergence des points de vue permettant de reconstituer de l’espace, David Thomas 2 l’évoque sur un article portant sur la convergence des médias
et publié suite au colloque ayant eu lieu à l’Institut Gœthe de Montréal, en octobre
2004. L’auteur confronte deux photographies prises en 1913 du pilote Emmanuel
Hélen survolant la piste après sa victoire de la coupe Michelin. Sur la première
photographie qu’il analyse, qu’il juge assez bien composée grâce à la ligne horizontale de la piste d’atterissage, et de la ligne d’horizon rythmée par des arbres disposés à distance régulière, il constate la présence d’un photographe, en bas à droite
du cadre. La deuxième photo qu’il confronte à la première semble en fait être une
photographie prise par le photographe présent sur la première. Il constate alors
que confronter deux points de vue d’un même objet permet à l’esprit d’imaginer
les intermédiaires entre ces deux vues, et par là, de spatialiser l’objet d’interêt :
Il est curieux mais non exceptionnel de voir un autre photographe dans le viseur d’un autre appareil, notam1 — Wikipédia, « Fusillade de Columbine », <http://fr.wikipedia.org/wiki/Fusillade_de_Columbine>
2 — THOMAS David, « Circuits, fusion, convergence et distorsions du temps et de l’espace : dimensions de
violence dans l’histoire des médias, de l’âge de la vapeur à l’ère de la photographie », Enjeux interculturels des médias,
altérités, transferts et violences, sous la direction de Michèle Garneau, Hans-Jürgen Lüsebrink et Walter Moser, colloque du 14 octobre 2004, Goethe Institut de Montréal.
15
ment dans le cas d’événements notables. Dans de tels cas, l’existence d’au moins deux photographies du
même événement à partir de points de vue différents évoque une dimension spatiale jusqu’alors inexistante,
une dimension qui semble être formée à la manière du ruban de Möbius sur lequel l’avion se trouve, pour une
raison ou une autre, immédiatement comprimé entre des points de vue parallèles qui ne sauraient être « logiquement » séparés.
Cette idée rappelle une fois de plus celle évoquée plus haut, à propos de la vue
synoptique, ou la Polyvision d’Abel Gance.
Plus largement, cela rejoint l’idée de figer une séquence temporelle, et de pouvoir s’y déplacer. David Thomas va plus loin dans son analyse, et touche un point
essentiel en montrant une photo qui illustre le retour des pilotes Harold Gatty et
de Wiley Post à New York le 2 juillet 1931 après avoir battu le record du monde
du tour du monde le plus rapide en avion, avec un vol de huit jours et quelques
heures. Cette photographie que l’auteur présente a la particularité de ne pas mettre
en avant les deux pilotes, mais plutôt la foule des photographes positionnés
devant la voiture dans laquelle les héros défilent. Qui dit nombreux photographes
dit nombreuses photographies, et par conséquent, points de vue multiples. David
Thomas s’interroge : « Comment chacun d’entre eux a-t-il perçu l’événement ? À quoi pensaient-ils en prenant ces photographies ? ». En effet, cette convergence simultanée de
multiples points de vues suggère aussi une multitude d’histoires subjectives et
anonymes cachées derrières chacune des photographies comme autant de points
de vues croisés d’un seul et même sujet.
16
[…] la photographie laisse entrevoir l’existence d’un ou deux passages vers une multitude de voies entre les
histoires […] Si on entreprenait de réunir toutes les images dans un même espace, quel genre de « carte » du
défilé serions-nous en mesure de produire ? Avec cette photographie, nous nous trouvons finalement en la
présence historique d’une technologie qui a servi à explorer, à partir d’un point de vue donné et d’un événement précis, une logique d’exploitation et un jeu de possibilités culturelles qui relie simultanément différentes
dimensions de l’histoire et de l’espace.
Thomas David évoque l’idée de « relier simultanément différentes dimensions de l’histoire et de l’espace ». Cette simultanéité des dimensions de l’histoire et de l’espace est
aujourd’hui facilement visible grâce à l’arrivée du numérique et de la rapidité de
transmission médiatique.
Le selfie de Dom Dwyer ou la convergence des points de vue dans les
images médiatiques
En imaginant quel évènement pouvait être pris en photos par de nombreux
photographes et ayant des chances de donner des images prises en simultané,
j’ai pensé aux matchs sportifs, évènements à haute couverture médiatique. Getty
Image est une agence dont la large base de données pour laquelle de nombreux
photographes, notamment sportifs, cèdent leur droit en échange d’une contrepartie financière. En cherchant un évènement notable – en l’occurence, il s’agit dans
cet exemple du match Allemange-Italie durant la coupe du monde de football de
2006 – j’ai pu confronter des images prises par différents photographes, mais qui
semblent avoir été prises dans une quasi-simultanéité. Il est bien sûr impossible
d’en être certain, mais en observant les gestes des sportifs pris en photo, on peut
évaluer à une fraction de seconde la simultanéité des multiples prises de vue.
L’effet produit est alors une impression de pouvoir se déplacer dans l’espace et
adopter plusieurs points de vue.
Un autre exemple pour lequel la confrontation des images transmises par
les médias a bien fonctionné, dans le cadre d’une simultanéité des prises de vue,
est celui d’un selfie pris par le footballer Dom Dwyer pendant le match opposant
l’équipe de Sporting Kansas City et celle de Chicago Fire le 6 juillet 2014. J’épargnerai les détails sur le buzz médiatique que cette anecdote a provoqué. Ce qui m’intéresse dans les images transmises par la presse, ce sont les multiples prises de vue
publiées à droite et à gauche dans divers magazines en ligne sportifs. En croisant
ces images, on peut rendre compte de la simultanéité des prises de vue, et par là,
de l’étrange impression de spatialisation et de vue synoptique que cela provoque.
Ce selfie de Dom Dwyer donne à voir Dom Dwyer lui-même donc, légèrement
en contre-plongée, avec en arrière-plan des supporters arrivant pour poser avec
lui. Sur Google Images, lorsque je tape les mots-clés Dom Dwyer+selfie, je trouve
au total cinq images différentes, en plus d’une multitude de screenshots issus directement de la vidéo originale postée sur YouTube. Ces screenshots montre le même
instant mais pris cette fois-ci en plongé, certainement depuis les gradins, ou plus
haut si on suppose l’utilisation d’un téléobjectif. Dans ces images captées depuis
les gradins, sur le site du Daily Mail 1, on aperçoit trois photographes, deux sur la
gauche de Dom Dwyer et un en face. Une photographie cette fois, publiée dans
un autre article sur le site The18 2 le lendemain, montre Dom Dwyer de très près,
et semble justement être la photo prise par le dit photographe que l’on voit dans
la première image, à gauche. Une autre photographie, publiée sur le site Missouri
Gazette 3 pourrait bien être celle prise par le photographe que l’on voit juste en face
de Dom Dwyer sur la vidéo.
Ainsi, plusieurs photographies d’un même évènement se retrouvent sur les
réseaux. Mises les unes à côté des autres, l’effet est plus percutant : les points
de vue ainsi confrontés l’esprit peut imaginer l’espace qui les sépare, il crée une
dimension spactial dans lequel il peut en quelque sorte se déplacer.
Et s’il était possible de produire cet effet avec l’ensemble des photos rendues
disponibles grâce à l’usage des réseaux sociaux ? C’est ce que propose justement
PhotoSynth. Ce projet est un dispositif, ou plutôt, « une technologie », comme le
défini Blaise Agueray Arcas dans sa conférence TED sur le sujet, une interface
interactive qui propose de créer par algorithme une image spatialisée à partir de
plusieurs images, essentiellement des photographies. Dans cette conférence, Arcas
présente le prototype de PhotoSynth, qui prend comme objet de démonstration la
cathédrale Notre-Dame de Paris. Le dispositif reprend toutes les photos publiées
sur Flickr portant le mot-clé « Notre-Dame de Paris », afin de reconstituer de manière très impressionnante dans un espace 3D, par algorithme, l’architecture de la
cathédrale : on apercevoit dans l’interface des petits points jaunes, correspondant
à la position de tous les photographes par rapport à la cathédrale, je suppose par
données de géolocalisation fournie par un récepteur ; lorsque je déplace la souris
sur un de ces repères, un cône lumineux apparaît, modélisant la trajectoire de la
prise de vue, faisant apparaître la distance du photographe du bâtiment, et aussi
la photographie qui en résulte ; l’ensemble de ces photos font apparaître l’architecture fantomatique de la cathédrale.
L’ingénieur ajoute à cette technologie l’aspect social de l’outils. PhotoSynth
1 — KENT David, « The selfie to end all selfies... Sporting Kansas City’s Dom Dwyer is booked after celebrating
goal by snapping photo », The Daily Mail, 6 juillet 2014, <http://www.dailymail.co.uk/sport/football/article-2682648/
Sporting-Kansas-Citys-Dom-Dwyer-booked-celebrating-goal-snapping-selfie.html>
2 — BADWAN Brice, « Sporting Kansas City player scores and then runs into the crowd to take a selfie, resulting in a yellow card - but lots of love from fans », The18, 7 juillet 2014 <http://the18.com/news/dom-dwyers-selfiegoal- celebration-video>
3 — <http://www.missourigazette.com/?p=3414>
17
permet de montrer, grâce à l’ensemble de la mémoire collective, à quoi ressemble
notre monde. Ces photos sont reliées entres elles par leur méta-données, que chacun peut modifier, augmenter, complexifier : « Toutes ces photos deviennent liées entre
elles, et elles font émerger quelque chose de plus grand que la somme des parties. […] Je pourrai
[…] plonger dans cet espace, dans ce méta-verse, en utilisant les photos de tout le monde. Ce
sont des modèles virtuels immensément riches de tous les coins de la terre, récoltés […] par la
mémoire collective ». Cette technologie peut être ainsi comparée aux photographies
prises par les satellites, permettant d’obtenir une prise de vue objective, scientifique de la Terre, la Lune, ou une partie,… et grâce à un algorithme, les associe
ensemble afin de recomposer une seule image. L’image ainsi reconstituée est en
réalité constituée d’une multitude d’image, associée les unes aux autres de manière
fluide. Le dispositif PhotoSynth, lui, rend compte de la mémoire collective subjective, multiple, et fonctionne plutôt sur le modèle du réseau. Ce sont plusieurs photographes, plusieurs photos, plusieurs lieux, plusieurs espaces, plusieurs temps,
reliés les uns aux autres grâces aux métadonnées, créant des interconnexions
sémantiques.
18
— David Hockney et ses joiners
L’artiste David Hockney, de la même façon, propose un dispositif cette fois bidimensionnel, permettant de reconstituer une scène grâce à plusieurs images.
Artiste du XXe siècle toujours en activité, Hockney s’est beaucoup servi de
photographies prises au Polaroïd dans nombre de ses peintures des années 60 et
70. Il utilise ses photos comme modèles pour un agrandissement plus juste, dans
des œuvres de taille assez imposante. Le Polaroïd qu’il utilise, acquis en 1964, au
départ David Hockney s’en sert plutôt comme image documentaire que comme
photographie d’art. « Je ne me suis jamais vraiment passionné pour la photographie. Tantôt
ça m’enthousiasme, tantôt ça me laisse froid. » confie-t-il d’ailleurs 1. Pourtant, il en fera
dans les années 80 un usage très intéressant. « Comme je ne prenais pas ça au sérieux, il
m’a fallu un bout de temps pour me rendre compte qu’une photo, ça peut se composer. » 2
Dans un bref entretien avec David Hockney au sujet de ses Polaroïds, datant
des années 80 et publié sur Youtube, l’artiste explique sa méthode et comment il
a finalement trouvé dans la photographie un aspect plus intéressant que ce qu’il
imaginait possible avec ce médium. En effet, celui-ci évoque une lacune de temps
[ « a lack of time » ] dans la photographie traditionnelle. C’est un médium « trop limité
pour un artiste ».
Mais finalement, ces « instants figés » ont finit par l’interpeller. Pour palier à cette
lacune et cette insatisfaction ressentie dans le médium photographique traditionnel, Hockney propose de construire une image en assemblant des photos prises
individuellement des détails d’une scène. Il appelle ce procédé un « joiner », au sens
d’un procédé qui permettrait de joindre plusieurs temporalités dans un ensemble
cohérent. Un jour, il tente une expérience avec trente photos Polaroïd pour photographier la maison d’un ami, « comme s’il tentait de peindre la maison », depuis trois
points de vue différents. Ce procédé l’a vraiment fasciné. « Le temps apparaissait
dans l’image. Et à cause de ça, une plus grande illusion de l’espace ». Hockney dit avoir pris
conscience d’une certaine illusion de l’espace, mais le temps, lui, dans ses joiners,
n’est pas une illustion : il est réel, il est déployé entre les images. « Tu sais que ça
prend du temps de prendre les photos, de les assembler. Et j’ai réalisé que ça donnait l’illusion de
1 — LIVINGSTONE Marco, David Hockney, éditions Thames & Hudson, Paris, 1991. Édition originale de 1987
tra- duit par Fabienne Polono, p.97.
2 — Idem, p.98.
l’espace, chose que je n’avais jamais vu dans une photo auparavant. »
Hockney pense que l’effet de mouvement produit par ces joiners est plus efficace que celui que pourrait produire un film. Ils donneraient davantage l’impression de réalité que le cinéma. Dans ce court reportage, Hockney compare ces deux
procédés, en comparant deux versions d’une même scène. La première avec une
caméra, la seconde avec son appareil photo. Il demande à son amie présente sur le
tournage de rentrer dans la maison, prendre des tasses de café, descendre l’escalier de sa villa, s’installer ensuite à côté de lui, devant la piscine, et de lui donner
unedes tasses. Il filme d’abord la scène avec une caméra, puis demande à son amie
de recommencer, mais cette fois-ci pour la prendre en photo dans le but d’en faire
un joiner.
À la fin du reportage, on le voit assembler les photos sur un papier de grand
format, afin de faire la démonstration de sa méthode de travail. Ce qu’il y a d’intéressant dans ce joiner-là, c’est que contrairement à ceux qu’ils nous montrent
auparavant dans le reportage, on voit vraiment le déroulement d’une action plus
complexe, relevant de la narration. En effet, dans « The crossword puzzle » où l’on voit
un couple d’ami jouer aux mots croisés, ou dans « Lunch at the british embassy, Tokyo »,
dont les photographies ont été prises pendant un déjeuner à l’ambassade britannique à Tokyo, certes les personnes ne sont pas restées immobiles et il s’est écoulé
un certain temps entre la première et la dernière photographie, mais l’action n’est
pas de la même nature que le joiner dont il nous fait une démonstration dans le
reportage. On peut en effet facilement supposer que Hockney n’a pas dirigé les
personnes comme des comédiens, comme il l’a fait pour la scène avec son amie et
sa tasse de café. Dans ce dernier joiner, la narration serait comme cinématographique.
La sensation de mouvement et de narration, dans ce joiner réalisé à l’occasion
de ce court reportage, est en effet plus puissante que celle du petit film que Hockney tourne de la scène de la tasse de café pour comparer avec ses collages photos.
On voit l’action découpée en plusieurs séquences de temps grâce à la photographie, et assemblée les unes à côté des autres pour reconstituer l’action. Il y a une
autre forme de dynamisme que le montage vidéo ne permet pas. La vidéo, par
définition, propose une narration que l’on perçoit horizontalement, sous forme
linéaire. Dans un joiner de Hockney, la narration est spatialisée ce qui permet à l’œil
humain de voir la totalité de l’action dans un espace bi-dimensionnel.
David Hockney : joiner vidéo, spatialisation.
Hockney a exploré son système de joiners bi-dimensionnels un peu plus loin,
jusqu’à le rendre dynamique, puisqu’il a travaillé avec la vidéo avec un procédé
similaire dans les années 1980. En disposant neuf caméras dans l’espace, Hockney
propose une reconstitution à travers neuf écrans reliés : Hockney a en effet tourné
plusieurs séquences à l’aide d’une structure amovible sur laquelle étaient fixées
neufs caméras, et reliées à neuf écrans. Cette structure a été amenée sur un chemin
de Wolgate, et Hockney a filmé le chemin sur lequel il se déplaçait. Sur sa structure, Hockney a disposé ses caméras de manière à avoir sur les neufs écrans une
scène « compréhensible », c’est-à-dire qui permette au spectateur de saisir la scène
dans sa globalité. Dans la réalité pourtant, les appareils ne sont pas parfaitement
synchronisés, et bien que l’image finale permette de reconstituer l’espace, dans le
dispositif, les caméras sont braquées dans des directions très différentes. Magrè
tout, le spectateur a l’impression de marcher sur ces chemins.
Selon Hockney, l’observation du monde extérieur à travers une seule lentille,
19
dans une perspective monoculaire, ne nous montre pas grand chose. Utiliser neuf
caméras est une dispositif qui propose d’aller plus loin. Hockney propose un
dispositif qui met en relation les images les unes avec les autres afin de créer « un
espace cohérent » permettant de « dessiner dans le temps » :
L’objectif est de créer un espace cohérent. Pour cela, je dois réfléchir à la façon dont toutes ces images vont
intéragir sur une surface plane. Au bout d’un moment, j’ai compris qu’avec cette technique, on pouvait non
seulement dessiner dans l’espace, mais aussi dans le temps. Par exemple, sur l’un des écrans, vous projetez
l’endroit où vous devriez vous trouver cinq secondes plus tard. Parfois, des voitures apparaissent, disparaissent
puis réapparaissent et vous comprenez qu’il doit y avoir un décalage de quelques secondes entre les écrans.
[…] On voyage dans le temps. Je pense que c’est ainsi que nous voyons : quand vous passez d’un point à un
autre, vous traversez le temps. Nous voyons des fragments, puis nous les raccordons les uns aux autres. D’une
certaine façon, c’est le temps qui crée l’espace.
20
Ainsi, de la photographie, Hockney propose d’abord dans les années 80 des
collages de Polaroïds pour reconstituer une image mais avec des photos prises en
plusieurs heures et de différents points de l’espace, puis utilise vingt ans plus tard
des images vidéos pour reconstituer cette fois-là un parcours, toujours sur un support en bi-dimension mais avec des images animées.
Cette idée de couches temporelles superposées les unes sur les autres et perçue
en simultané m’interpelle. Elle est déjà présente dans l’entretien publié par Martin
Grayford avec Hockney en 2011 1. Grayford remarque qu’en passant de la photographie à la vidéo, Hockney s’attaque aux limites de la photographie, qui ne saisit
qu’une fraction de seconde et ne présente qu’un seul point de vue. Ainsi, Hockney
souhaite « augmenter le temps et lentement modifier le point de vue », et fait référence au
travail vidéo que j’ai évoqué plus haut dans lequel il utilise neufs caméras, en faisant remarquer que « Le collage […] consiste à placer des fragments de temps – des strates, en
quelque sorte – les uns sur les autres ».
— David Hockney et la réminiscence du futurisme
—une fascination pour la « persistance de la vibration universelle »
Le travail d’Hockney n’est pas sans rappeler les peintures de la période cubiste,
voire futuriste. Concernant le manifeste futuriste, c’est Filippo-Tommaso Marinetti qui en publie une première version dans le Figaro du 20 février 1909. Parmis les
grands principes énoncés, voici un bout du numéro 8 :
8. […] Le Temps et l’Espace sont morts hier. Nous vivons déjà dans l’absolu, puisque nous avons déjà créé
l’éternelle vitesse omniprésente.
Un an après, dans le Manifeste des peintres futuristes publié en 1910, est évoquée l’idée de persistance rétinienne et de vibration :
...Tout bouge, tout court, tout se transforme rapidement. Un profil n’est jamais immobile devant nous, mais il
apparaît et disparaît sans cesse. Étant donnée la persistance de l’image dans la rétine, les objets en mouvement se multiplient, se déforment en se poursuivant, comme des vibrations précipitées, dans l’espace qu’ils
parcourent. [...]
Boccioni ajoutera un article deux ans après, dans le journal Der Sturm du 15
décembre 1913 dans lequel il propose une image pour désigner la simultanéité et la
vibration présents dans les mouvements de la vie de tous les jours :
Les seize personnes que vous avez autour de vous dans un autobus en marche sont, tour à tour et à la fois,
1 — GRAYFORD Martin, Conversations avec David Hockney, éditions du Seuil, 2011, Paris.
une, dix, quatre, trois : elles sont immobiles et se déplacent ; elles vont, viennent, bondissent dans la rue,
brusquement dévorées par le soleil, puis reviennent s’asseoir devant vous, comme des symboles persistants
de la vibration universelle.
La « persistance de la vibration universelle » exprime parfaitement bien ce qu’un
peintre futuriste chercherait à représenter, et ce que pourrait ressentir le spectateur en regardant une peinture futuriste. Elles décomposent le mouvement en
instantanés, et peuvent le représenter déroulé dans le temps, comme dans la Fugue
en rouge de Paul Klee de 1921, ou encore Fillette courant sur un balcon, de Balla, 1912,
ou bien encore en instantanés superposés les uns sur les autres, comme Dynamisme
d’un chien en laisse de Giacomo Balla de 1912.
Chez d’Hockney, elle pourrait résider dans le fait que dans un joiner, les photos collées ensemble ne sont pas comme un puzzle qui s’assemblerait pour faire
une image nette, mais un ensemble de photos dans lesquelles un élément peut se
retrouver plusieurs fois, et qui, disposés les uns à côté des autres, créent cet effet
de portrait ou de paysage vibrant. Chaque photographie contiendrait comme la
vibration de la photographie précédente.
Certains portraits par ailleurs, rappellent fortement les portraits cubistes de
Picasso : plusieurs points de vue d’un même visage, plusieurs visions et entremêlées. Cela serait comme une sorte de contraction simultanée de tous les points de
vue en un puzzle mal assemblé mais présentant la volonté de produire une image
en trois-dimensions et dont l’objet resterait malgré tout reconnaissable grâce à un
agencement judicieux. Tout comme le futurisme, l’idée de mouvement y est présente, et ces images tentent de rendre compte de la « vibration universelle » dans
une image instantané. Les artistes contournent ainsi cette contrainte de l’instantanéité en inventant un dispositif rendant compte du mouvement, dans une image
par définition figée.
— Chronophotographie et représentation du mouvement, divers dispositifs.
La question de la représentation et du séquençage du mouvement apparaît
déjà bien antérieurement au futurisme. À la fin du XIXe siècle déjà, les contemporains Eadweard Muybridge et Etienne-Jules Marey (1830-1904 pour les deux)
expérimentait la chronophotographie, technique reprise d’ailleurs par l’ingénieur
Harold Edgerton au XXe siècle. Cette technique permettait, par un système d’appareils photographiques synchronisés et équipés d’une minuterie, de séquencer un
mouvement en plusieurs prises de vue à intervalles réguliers. Ce dispositif servait
d’outils d’analyse et de preuves scientifiques sur le mouvement, comme l’indique
d’ailleurs la recherche effectuée par Muybridge et aboutie en 1878, commandée
par Stanford à propos de la décomposition du mouvement d’un cheval au galop.
Ce dernier, gouverneur de Californie en 1972 et amateur d’équitation, souhaitait
trancher le débat de l’époque qui était d’affirmer ou non que les quatres pattes du
cheval, pendant sa course, ne touchaient plus le sol. Ainsi, la chronophotographie
tentait d’obtenir une image analysant le mouvement au plus proche de la réalité.
Ce dispositif servait ainsi d’outil d’analyse : en découpant le mouvement en
séquence temporelle, et en le déployant dans l’espace, il permettait à l’œil de mieux
l’interpréter, l’appréhender. Dans le livre La Chronophotographie publié en 1984 dans
le cadre d’une exposition sur le sujet à la chapelle de l’Oratoire de Beaune, en 1984,
Michel Frizot écrit d’ailleurs que «pour reproduire un semblant de la réalité, il faut d’abord
la morceler ; en extraire comme l’ossature – l’espace – et la séparer de sa chair – le temps. Lais-
21
22
ser intacte la forme […] mais la décomposer selon l’axe du temps, en autant de parcelles discontinues. C’est à ce prix que l’œil, trompé par les machines et par sa propre ingénuité biologique,
croira percevoir bientôt la vérité d’un mouvement antérieurement exécuté ».
Le Nu descendant un escalier de Duchamp de 1912, dans lequel les moments successifs du mouvement sont reproduits simultanément semble s’inspirer directement de la Femme descendant un escalier de Muybridge de 1887, puis des travaux de
l’anatomiste Paul Richer, Descente d’un escalier (double pas et deux doubles pas successifs),
de 1894. Ainsi, un même mouvement se retrouve étudié à travers des époques différentes, d’abord à l’aide de la photographie grâce à Muybridge, puis du dessin par
Richer, et enfin, de la peinture par Duchamp, preuve que la question de la représentation simultanée d’instantanés de mouvements a été une question explorée
par des dispositifs divers. Martha Braun décrit par exemple un des dispositifs de
Muybridge dans son article « Muybridge le magnifique », paru dans la revue Études
Photographiques de novembre 2001 1 : « Pour réaliser l’enregistrement simultané d’un mouvement sous trois points de vue, le photographe utilisait habituellement une batterie de douze
appareils pour la prise de vue frontale, plus deux appareils à objectifs multiples, disposés à 90°
et 60° du sujet, l’ensemble étant coordonné par une minuterie. » Par la suite, Martha Braun
explique que Muybridge opère une fine sélection afin de garder, parmi toutes
les photographies réalisées et les négatifs abîmés durant le processus, uniquement celles décrivant un mouvement fluide et bien enchaîné. Les photographies
publiées ne sont ainsi qu’une infime partie du laborieux travail de Muybridge. Un
mouvement comme celui de la femme tournant sur elle-même dans la planche
55 de la série Animal Locomotion, est décrit par trois points de vue différents grâce
à trois appareils photographiques, prenant en photo le modèle de dos, de face,
et de côté. Le mouvement est présenté horizontalement sur une rangée avec une
séquence de onze photographies. Comme la modèle est pris avec trois appareils,
il y a donc trois rangées de onze photographies, permettant d’analyser chaque
séquence de mouvements instantanés, et de les voir sur une même colonne verticale, respectivement de côté, de dos, puis de face. En convergeant ainsi les points
de vue, là aussi, le mouvement se retrouve spatialisé dans un espace bi-dimensionnelle.
— Avant la chronophotographie ?
Mais la représentation d’un mouvement ou la multiplication des points de vue
dans une image instantée remonte à bien avant la chronophotographie. À l’époque
où l’objet temporel qu’est la vidéo n’existait pas, et que le seul moyen d’obtenir
des images étaient par des moyens plastiques, des artistes trouvaient des moyens
de représenter plusieurs séquences temporelles et/ou narratives dans l’espace
bi-dimensionnel de la peinture. Malgrè leur apparence statique, ces images sont,
comme l’écrit Claude Frontisi dans son article « Mouvement, vitesse, dynamisme.
L’espace-temps futuriste », publié dans Images Revues en 2008 2, ces images sont
mouvantes et ne devraient pas être considérées dans leur apparente immobilité
d’instantané figée. Frontisi donne l’exemple éloquent de l’œuvre de Duccio, la
Maesta, exposée à la cathédrâle de Sienne. La Maesta est un ensemble de panneau
représentant des épisodes de la vie du Christ datant du XIVe siècle. L’un d’eux
1 — BRAUN Marta, « Muybridge le magnifique », Études photographiques, no 10, novembre 2001, en line depuis
le 10 Février 2005, <http://etudesphotographiques.revues.org/262>. connection on 09 January 2015>, consulté le 9
janvier 2015.
2 — FRONTISI Claude, « Mouvement, vitesse, dynamisme. L’espace-temps futuriste », Images Revues, hors-série
1, 2008, mis en ligne le 22 avril 2011, consulté le 19 octobre 2014, <http:// imagesrevues.revues. org/1081>
représente l’épisode biblique du Christ au Jardin des Oliviers : selon les écrits, le
Christ, après le dîner pascal, part au Jardin des Oliviers, suivi de ses onze apôtres.
À l’entrée du Jardin, Jésus propose seulement à trois d’entre eux, Pierre, Jacques
et Jean, de le suivre pour entrer dans le Jardin. Les huit autres, restés à l’extérieur,
s’assoupissent. Sur cette peinture, ce sont ainsi trois séquences narratives consécutives représentées en simultané, ajoutant un effet cinétique à la peinture. De
gauche à droite, on y voit les apôtres assoupis, tandis que Jean, Pierre et Jacques,
supposés être entrés dans le jardin, figurent juste à côté. Ils dialoguent avec le
Christ, qui apparaît donc au centre, tourné vers eux, et il réapparaît ensuite à
droite du panneau, tourné cette fois vers la gauche, en position de prière. Il apparaît ainsi deux fois sur un même espace, celui du tableau, un même paysage, celui
du Mont des Oliviers.
Duccio utilise ce système – un même espace pour représenter plusieurs instants – dans son tableau de la Madone des Franciscains, peint vers 1300. On y voit Marie tenant l’enfant Jésus, et en bas à gauche, en bien plus petit, un moine en position de prière. L’effet utilisé par Duccio présente un découpage en trois séquences
du mouvement effectué par ce moine, s’agenouillant et ce redressant.
Contrairement au tableau de Duccio où le Christ est représenté deux fois, à
deux emplacements différents du tableau, suggérant deux moments espacés dans
le temps, d’abord l’épisode de sa discussion avec Pierre, Jacques et Jean, puis un
moment de recueillement, le tableau de la Madone, lui, donne à voir le mouvement, le geste du moine en train de prier, en trois instants rapprochés, et de plus,
au même emplacement.
Le premier tableau de Duccio, celui du Christ au Jardin des Oliviers, me rappelle un tableau de Boticcelli, l’histoire de Nastagio degli onesti, peint en 1483. Il
s’agit d’un ensemble de quatre tableaux, narrant l’histoire de Nastagio, personnage
du Decameron 1 de Boccace . Parmi ces quatre tableaux, le deuxième dit de « la chasse
infernale » montre l’assassinat d’une femme par le cavalier Guido degli Anastagi.
Ce dernier était amoureux d’elle jusqu’à ce que celle-ci refuse ses avances ce qui le
conduisit au suicide. À la mort de la jeune femme, l’histoire raconte que pour la
punir de lui avoir infligé autant de peine, il la condamna à une chasse perpétuelle :
tous les vendredi, elle se fait assassinée, eviscérée, puis son corps se recompose,
et la chasse reprend ainsi, toutes les semaines. Sur le tableau de Botticcelli, c’est
cette scène que l’on voit, avec trois séquences temporelles qui reprennent le fil de
la narration : dans le fond du tableau, on aperçoit dans la forêt le cavalier et ses
chiens pourchassant la jeune femme nue. Au premier plan, la même jeune femme
est allongée, face contre terre, et le même cavalier lui ouvre le dos, afin de retirer
son cœur et de le donner au chien. La troisième séquences est celle où l’on voit les
chiens en bas à droite se disputer le cœur de la jeune femme.
Dans le Duccio comme dans le Botticcelli décrit ci-dessus, plusieurs moments
de l’histoire sont représentés dans un seul espace, peut-être par économie d’espace,
ou pour rendre plus clair le fil de l’histoire – ou les deux ? Dans le second tableau
de Duccio, celui de la Madone, le mouvement décomposé du moine en bas à droite
me rappelle plutôt la chronographie que j’évoque plus haut. Ainsi, le procédé
de décomposition d’un seul mouvement en ses différents instants, et en un seul
espace, a été exploré dans plusieurs médias, à la fois en peinture et en photographie, et à des époques éloignées l’une de l’autre.
1 — Le Décameron de Boccace est un ensemble de cent nouvelles, écrites par Giovanni Boccaccio au milieu du
XIV e siècle.
23
Se déplacer dans un espace spatio-temporel figé
Si des artistes se sont interrogés sur la décomposition du mouvement ou d’une
narration dans un instant figé, les dispositifs utilisés en chronophotographie au
XIX e siècle ont directement inspié la technique du bullet-time. Rendue populaire
grâce au film Matrix des frères Wachowski, elle tire son nom de la fameuse scène
où le personnage Néo, pour éviter une balle tirée par un agent de la matrice, se
penche en arrière à l’aide d’une acrobatie surprenante. Durant cette scène, le temps
semble soudain fixé tandis que la caméra tourne autour de Néo qui se trouve
dans une position quasi-immobile. Ce système, baptisé alors bullet-time, est utilisé
aujourd’hui fréquemment dans la vidéo et le cinéma. Elie During, dans son livre
Faux raccords 1, décrit le dispositif utilisé. La scène a en fait d’abord été tournée
avec une caméra habituelle. Les prises de vue obtenues ont ensuite été analysées
par un ordinateur, afin de reproduire numériquements les mouvements de la
vraie caméra. La courbe obtenue par calcul informatique a permis alors de matérialiser ce mouvement dans l’espace du studio de cinéma grâce à l’utilisation de
centaine d’appareils photographies disposés régulièrement le long de cette courbe
les uns à côté des autres. Ces appareils prennent en photo simultanément le sujet
vers lequels les objectifs sont fixés, à hauteur et distance variable. À partir de ces
images, l’ordinateur reproduit une séquence dynamique, cinétique, et par algoritme, s’efforce d’assurer la fluidité du mouvement d’ensemble.
[…] Le personnage […] parvient à éviter les balles qui lui sont tirées à bout portant, apparaît comme gelé,
saisi dans une durée épaisse et infiniment dilatée ; il tombe en arrière pendant de longues secondes, comme
suspendu dans le vide, tandis que l’œil de la caméra tourne autour de lui à grande vitesse […]. 24
La technique utilisée est une évolution de celle utilisée par Muybridge, à la différence également que le cinéma permet d’obtenir au final des images dynamiques.
Par ailleurs, elle remonte à bien plus loin que la saga des Wachowski, datant de
1999. On peut y voir l’effet bullet-time à la fin du générique du manga japonais de
Speed Racer en 1966, ainsi que dans de nombreuses productions de Michel Gondry
dans les années 80. Globalement, l’effet bullet-time, que ce soit dans Matrix ou bien
avant, donne la sensation de se déplacer dans un espace figé, dans une séquence de
temps matérialisée, spatialisée.
De la même manière, mais grâce à un dispositif différent, la bande dessinée
Here, de Richard McGuire, de 1989, propose aussi par un système graphique, de
se déplacer dans le temps, dans un même espace figé. La page est divisée en six
cases, décrivant une action qui se passe toujours dans la même pièce, représentée
à chaque fois du même point de vue – il s’agit de l’angle d’une pièce dans laquelle
on devine une fenêtre sur la gauche – mais qui se subdivise à son tour en une
ou plusieurs morceaux, permettant de voir ce qui se passait dans ce même coin
de pièce à une autre époque. L’œil du lecteur balaye chaque case du regard et se
promène tour à tour dans le passé, en 1975, puis 1920, peut avancer le temps pour
aller jusqu’en 1959 ou aller dans le futur, en 1999, étant donné que cette BD a été
publiée dans les années 80. Cette lecture donne l’impression d’avoir dans chaque
case une multitude de strates correspondant à chaque année, mises toutes sur le
même plan de la vignette de BD, dont l’auteur a décidé de ne montrer qu’une infime partie. À la lecture, on plonge plus ou moins profondément dans le passé. Par
ailleurs, on peut savoir ce qui s’est passé à deux époques différentes, dans la pièce
d’une même maison, permettant de raconter l’histoire d’un lieu et de ses habitants
1 — DURING Elie, Faux raccords, la coexistence des images, Actes Sud, 2010.
au fil des années. Ce dispositif permet une simultanéité spatio-temporelle efficace
et inventive, car il permet de représenter plusieurs temporalités bien identifiées
dans un même espace.
Un autre procédé, utilisé cette fois-ci en photographie et appelé Timeslice, permet de représenter dans une seule image des strates temporelles, permettant de
« lire » le temps s’écouler de gauche à droite. L’idée est de représenter le temps sur
une journée, en partant du matin à gauche de l’image, et de finir le soir à droite.
Différentes strates temporelles perçues en simultané, divergence des
points de vue : Dan Graham
J’ai évoqué la convergence des points de vue mais lorsque différentes strates
temporelles sont perçues en simultané, il peut aussi s’agir de divergence.
En effet, si la représentation simultanée de différentes temporalités peut modifier notre rapport au temps et à l’espace, il en est autant de la désynchronisation
des images par des appareils technologiques dans un travail de Dan Graham, Present, Continuous, Past(s), de 1974. Le spectateur entre dans une pièce où deux murs
sont recouverts d’un miroir. Sur un troisième mur se trouve un moniteur projetant l’image du spectateur filmée grâce à une caméra présente dans la pièce. Sur
le moniteur est projetée l’image vidéo captée par la caméra mais avec un décalage
temporel. Dans cette image projetée par le moniteur, on aperçoit le propre reflet du moniteur dans lequel on peut apercevoir l’image du spectateur tel qu’il était encore
huit secondes plus tôt, donc 8 + 8 = 16 secondes plus tôt par rapport au temps présent. Cela crée une boucle infinie, tel un jeu de poupée russe, « vers des strates de plus
en plus profondes de la durée » 1 présentant en simultané trois étapes temporelles se déroulant, et s’emboîtant dans trois espaces différents : la pièce, la pièce filmée dans
le moniteur, et le reflet dans le miroir de la pièce filmée dans le moniteur. Dans
la notice rédigée par l’artiste pour l’occasion de son exposition, Graham conclut :
« Ainsi se crée une régression infinie de continuums temporels enchâssés les uns dans les autres
(toujours séparés les uns des autres par des intervalles de 8 secondes) » . Graham propose une
expérience de soi troublante, celle d’avoir accès au temps dont nous faisont l’expérience, déployé dans le temps et l’espace. Par ailleurs, nous faisons l’expérience
de notre propre moi qui se trouve dans un passé proche, huit secondes plus tôt,
simultanément avec notre moi « objectif » que reflète le miroir. Elie During fait de
ce travail une très belle analyse dans son livre Faux raccords 2 :
Dans Graham a donc construit un espace-temps qu’on aimerait dire « fractal », parce qu’il est fait d’une
multitude de « continuums temporels » repliés les uns sur les autres. Le présent y apparaît à l’horizon d’une
perspective temporelle laminée ou stratifiée. Il n’est que la dernière couche d’un bloc de durée qui corexistent
virtuellement sans se mêler, comme autant de coupes décalées dans l’élément du pur passé, chacune rejouant
toutes celles qui le précèdent en récapitulant l’intégralité du passé à un degré de profondeur déterminé.
[… > euuh… manque d’inspiration pour la transition sur ce paragraphe…]
1 — GRAHAM Dan, Video-Architecture-Television, Halifax/New York, The Press of the Nova Scotia College
of Art & Design / New York University Press, 1979, p. 7, cité par Jacinto Lageira sur le site Encyclopédie Nouveaux médias dans son article « Present, Continuous, Past(s) » <http://www.newmedia-art.org/cgi-bin/show-oeu.
asp?ID=150000000020624&lg=FRA>.
2 — DURING Elie, chapitre « Le souvenir du présent : Dan Graham », p.86, Faux raccords, la coexistences des images,
éditions du Seuil, 2010.
25
CONCLUSION ?
26
L’homme, depuis l’Antiquité, est fasciné par la représentation spatiale du
temps. Pour lui, visualiser dans l’espace des séquences temporelles décomposées
n’est rendu possible que par l’invention de dispositifs, imaginés pour lui permettre
de contourner « l’ingénuité » de son sens de la vision, comme le qualifie Michel Frizot. Les dispositifs spatio-temporels évoqués sont ainsi produits pour permettre à
l’homme de voir le temps.
Au cinéma, ces dispositifs sont présents à la fois dans le travail de structuration du scénario fourni par la scripte comme celui de Sylvette Baudrot, ou les systèmes d’écriture qu’elle utilise, comme ceux de Laurent Colomb et de Mike Figgis
au caractère polyphonique. Les systèmes de montage inventifs par ailleurs, comme
celui qu’Abel Gance nomme « Polyvision », permettent une spatialisation de l’action,
en faisant adopter au spectateur les points de vue des différents personnages,
comme dans le film Elephant.
Mais ces dispositifs de spatialisation peuvent aussi servir à l’analyse. Qu’il
s’agisse de cartographies utilisées par Gus Van Sant, celles du FBI qu’il évoque,
ou encore les lignes d’erre de Deligny, ces travaux aident à mieux voir, et accompagnent l’outil de vision.
Cette convergence des points de vue est également présente dans les images
médiatiques. L’ensemble de ces images diffusées sur le web et les réseaux sociaux
pourrait, visualisé dans sa globalité, permettre une reconstitution de l’espace. C’est
ce que propose justement l’outil Photosynth, qui utilise les supports médiatiques
de partage de photos comme Flickr dans le but de réaliser une image spatiale en
trois dimensions de synthèse à l’aide de formules algoritmiques.
David Hockney dans les années 80 proposait un système similaire mais dans
un cadre artistique, avec ses systèmes de collage photographique appelés joiners.
Ces montages, permettant entre autre de rendre compte d’un mouvement par un
effet de vibration du sujet, se rapproche beaucoup des démarches futuristes et
cubistes, fascinées par les nouvelles technologies industrielles et la décomposition
du mouvement. La chronophotographie du XIX e siècle proposait, pour décomposer le mouvement à des fins scientifiques, des dispositifs techniques dont l’évolution a abouti à des méthodes algorithmique permettant de réaliser, entre autre, des
effets surprenants, comme les effets bullet-time au cinéma.
Tous ces dispositifs spatio-temporels tendent à être, pour l’homme, ce que je
qualifie d’outils visuels absolus : ils lui permettent de percevoir le temps à travers
l’espace.
Mais cette fascination conduit également à des dérives. Elle dépasse aujourd’hui certaines limites et devient l’objet de polémiques, puisqu’elle aboutit
à des objets de surveillance. Si, à la base, ces systèmes de surveillance ont pour
objectif de rendre la société plus libre, en enrayant les violences civiles, et donc de
donner l’impression de sécurité, ils deviennent finalement une forme de contrôle
qui nous dépasse. Impossible de ne pas penser à 1984 de Georges Orwell, roman
publié en 1950 et qui imagine une société soumise à un terrible régime totalitaire
poussé à l’extrême, celui de Big Brother, figure omnisciente admirée et crainte à
la fois. Un passage du roman, extrait du livre interdit de l’ennemi de Big Brother,
Goldstein, qu’est en train de lire le personnage principal, Winston, explique que ce
sont les technologies de réception et de réception simultanées, qui ont mis fin à la
vie privée :
[…] Dans le passé, aucun gourvernement n’avait le pouvoir de maintenir ses citoyens sous une surveillance
constante. L’invention de l’imprimerie, cependant, permit de diriger plus facilement l’opinion publique. Le film
et la radio y aidèrent encore plus. Avec le développement de la télévision et le perfectionnement technique
qui rendit possibles, sur le même instrument, la réception et la transmission simultanées, ce fut la fin de la vie
privée. Tout citoyen […] pu être tenu vingt-quatre heures par jour sous les yeux de la police, dans le bruit de la
propagande officielle, tandis que tous les autres moyens de communication étaient coupés. […] Si techniquement aujourd’hui, on se rapproche de ce système de surveillance
par la profusion de l’utilisation de caméra dans les espaces publiques – à Londres
notamment, ces caméras, appelées CCTV sont signalées presque en tout lieu – il
existe encore des zones non surveillées où il est possible de ne pas se sentir observé, de par l’absence de ces caméras.
L’omniprésence de la surveillance est également traitée dans le film TimeCode
dont j’ai parlé plus haut. Le générique de début justement, divisé en quatre aussi,
montre à un moment l’image de plusieurs écrans de surveillance placés les uns à
côté des autres depuis une salle de contrôle. Cela crée une mise en abîme, avec un
écran divisé en quatre parties, dont une d’elle reproduit l’image de multiple écrans
de surveillance, un peu comme une fractale, ou une structure gigogne.
L’homme a dépassé les limites de vision des caméras disposés dans des points
fixes grâce à l’imagerie satellite. Le film Mensonge d’État, de Russel Crowe, sorti en
2008, montre un espion surveillé à distance par le FBI grâce à des satellites dont la
portée haute définition excelle ce qu’on pouvait imaginer jusque-là.
Ces technologies satellitaire, accessibles à tous grâce à Google Maps et Google
Earth, intriguent les internautes qui parfois passent du temps à chercher des éléments mystérieux vus d’en haut. Certains incidents visibles depuis ces satellites,
ou accidents visuels, sont répertoriés par des artistes ou des internautes, et qui
mènent parfois à de larges discussions sur le web. Ainsi, en avril 2013, une image
circule sur internet d’une photo prise au dessus de la Hollande 1. Il s’agit d’un
ponton en bois au bord de l’eau sur lequel on aperçoit deux hommes, précédés
d’une longue traînée rougeâtre. Certains y voient deux hommes traînant un corps
et fantasment sur la possibilité d’un meurtre et celle de de l’élucider grâce aux
images satellites. Le fin mot de l’histoire est donné par l’un des deux hommes qui
se reconnaît dans les images : il aurait en fait promené son chien sur le ponton, et
celui-ci se serait ébroué après s’être offert une petite baignade, donnant ainsi au
bois mouillé une teinte rougeâtre sur les images de Google Earth.
Jon Rafman, sur son blog 9-eyes 2, s’amuse à repétorier sur Google Street View
des scènes de vie incongrue captée par l’appareil photo de Google. Ce projet
s’appelle 9-eyes d’après l’appareil photo utilisée sur la camionnette de Google,
structure circulaire utilisant neuf lentilles, comparable ainsi à un œil de mouche
sphérique aux multiples yeux. Utiliser Google Earth serait comme emprunter son
dispositif de vision, et voir tout à 360°.
Ainsi, ces technologies permettent de révéler des choses, mais se permettent
aussi d’en dissimuler. Certaines zones se retrouvent floutées, afin de les cacher du
regard des internautes un peu trop curieux : zones militaires, centrales nucléaires,
Maison Blanche, toute zone susceptible de subir une attaque terroriste à cause
d’une trop grande visibilité y passe. En effet, une centrale nucléaire vue des images
satellites pourrait révéler une partie de son dispositif de sécurité – du moins les
1 — CASSELY Jean Laurent, L’histoire du meurtre photographié sur Google Maps <http://www.slate.fr/lien/70941/
meurtre-photographie-google-maps>
2 — Rafman Jon, projet 9-eyes <http://9-eyes.com>
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entrées, les sorties, la localisation des divers bâtiments – et par conséquent, le
fragiliser.
Si on s’est fasciné un moment pour les images satellites, une nouvelle génération d’images est également apparue avec les drones, qui permettent de voir d’en
haut et de se déplacer dans l’espace à une distance proche. Utilisés à la base à des
fins militaires, ils sont utilisés aujourd’hui pour un usage ludique. Mais ces appareils, s’ils sont en partie réglementés, font l’objet d’un vide juridique, ce qui rend
facile leur détournement, comme à des fins illégales de surveillance.
Alors commencent à apparaître des dispositifs destinés cette fois-ci à ce protéger des dispositifs inventés au départ pour assouvir notre désir de tout voir. Des
parades conçues par des communauté de hackers mis au point pour trâcer des
trajets dans la ville permettant d’éviter les caméras de surveillance 1, aux visages
glitchés afin d’éviter les algorithmes de reconnaissance faciale, de nouvelles méthodes apparaissent pour finalement, se soustraire aux dérives de notre fascination initiale.
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1 — Voir le projet M4ps conçu par Geoffrey Dorne dans le cadre de son diplôme à l’Ensad en 2008,
ayant pour vocation de recenser les caméras de surveillance qui filment l’espace public <http://h4cker.net/
blog/2009/05/m4psnet-une-cartographie-de-la-videosurveillance/participatif>, et, plus récemment, le projet Sous
surveillance, né en 2013 <http://www.sous-surveillance.net/>, ou encore, la carte Osmcamera, utilisant OpenStreetMap et créee par le collectif d’extrême gauche Rebellyon, <http://osmcamera.tk/> <http://rebellyon.info/>
29
Définitions
Simultanéité (définition vague… j’ai essayé de me la réapproprié, pas certaine de l’avoir correctement résumé!)
En physique, deux évènements simultanés sont deux évènements qui se produisent au même instant t.
On définit un évènement en physique par un fait quelconque, qui se produit à
un endroit donné à un instant donné.
Newton par du principe que la vitesse est infinie. À partir de ce constat, si un
évènement est perçu par l’observateur A à un instant t, au même instant t, l’observateur B percevra le même évènement, instantanément, simultanément.
Einstein, en 1905, propose la théorie de la relativité. Il pose une vitesse limite,
celle de la lumière. Partant du principe que l’espace et le temps sont des notions
s’influant l’une l’autre, la vitesse de la lumière se propageant dans un référentiel C
ne se propagera pas à la même vitesse que dans un référentiel D. Par conséquence,
l’évènement survenu dans l’espace C perçu par l’observateur A ne sera pas perçu au
même moment par l’observateur B dont le référentiel est le référentiel D.
Kant décrit la simultanéité comme « l’existence du divers dans le même temps », dans
Critique de la raison pure. Il précise que « les choses sont simultanées lorsqu’elles existent
dans un seul et même temps ».
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Temps réel
Le temps réel est liée à l’idée de latence. Le temps réel fait référence en fait
au temps que prend une rétroaction pour réagir à une action, sans impression de
latence, sans délai d’attente.
L’expression temps réel peut revêtir des définitions différentes selon le
contexte dans lequel on l’emploie.
Un « système temps réel », en informatique, correspond à l’état de synchronisation entre l’usager et le système informatique utilisé, le temps de traitement du
programme.
Dans les médias, le terme de « temps réel » se rapproche du temps dit « en direct », c’est-à-dire la durée effective de transmission, au moment de la radiodiffusion ou télédiffusion, entre l’évènement A et le téléspectateur/auditeur B.
Au cinéma, on parle de fiction en temps réel lorsqu’elle donne l’impression que
le temps de la narration se passe en même temps que celui du spectateur. Nous
pouvons citer :
— TimeCode de Mike Figgis (2000), tourné en un plan-séquence de quatre-vingt
dix minutes, contrainte imposée par le format des cassettes en format DV de
l’époque.
— L’Arche Russe d’Alexandre Sokourov (2002), tourné aussi en un plan-séquence.
Le temps est téléscopé d’une salle à l’autre, et permet de changer l’époque de la
narration en respectant une continuité artistique, et une linéarité semblable à celle
que l’on retrouve au théâtre. Cette prouesse technique a été rendue possible avec
l’utilisation de matériel particulier, à savoir la steady-cam et le stabilisateur fig-rig.
— 24 heures chrono (2001-2010), série américaine créé par Joel Surnow et Robert
Cochran. Chaque saison se compose de vingt-quatre épisodes, chacun durant une
quarantaine de minutes afin de donner l’impression qu’une saison se déroule réellement sur vingt-quatre heures.
Avec l’épisode de Rosetta, le temps réel n’est-il pas une fiction ? Dans certains
journaux en ligne, des articles titraient « l’actualité de la sonde Rosetta en temps
réel ». Mais comment peut-on affirmer cela lorsqu’on part du principe qu’un signal
se déplace à la vitesse de la lumière ? Un signal envoyé par Rosetta n’est en réalité
pas retransmis en temps réel, car un signal ne se transmet pas instantanément
lorsqu’il a plusieurs millions de kilomètres à parcourir dans l’espace. Le temps réel
est en fait un temps local, plus proche d’une perception que d’un temps unique. Le
« temps réel » est ici rabattu sur le temps médiatique, construit par les médias.
L’ « objet temporel »
Au sens de la phénoménologie, un objet temporel est constitué par sa temporalité, il s’écoule, il est évanescent, il disparaît. Il a un début et une fin. C’est
Husserl qui évoque le premier ce concept d’« objet temporel » et qui l’associe à la
conscience. C’est un objet, pour une conscience, un sujet pensant. S’il n’y avait pas
de conscience, on ne parlerait pas d’objet : on parlerait de chose. En effet, c’est le
système conscient qui forme l’objet. Par ailleurs, on parle d’objets dans « objets
temporels » puisqu’ils sont achevés, finis, clos, à la différence de la conscience qui
est par définition, ouverte, indéterminée dans sa temporalité.
L’objet temporel a une unité, on ne peut enlever des épisodes. Si on retire des
mesures à un morceau, on supprime complètement la musicalité, on en altère
l’unité.
Un objet temporel est donc un flux, unifié par la conscience : c’est notre
conscience qui produit l’unité de l’objet temporel, car cette unité n’est pas en soi.
Ainsi, un morceau musical est une unité parce que c’est nous qui l’écoutons, mais
elle ne l’est pas en soi.
Le flux coïncide avec le flux de la conscience. Husserl appelle « conscientisation » le fait que la conscience se modifie sous l’effet de la réception d’un objet
temporel. En d’autre mot, si je prends l’exemple du film, les étapes de conscientisation seraient décrites de cette façon :
1/ le film s’écoule.
2/ l’écoulement du film coïncide avec le flux de la conscience.
3/ achevé, le film ne disparaît pas totalement. Il persiste dans la conscience
sous forme de souvenir.
La musique et le cinéma sont des objets temporels puissants. En effet,
lorsqu’on regarde un film ou quand on écoute une musique, notre conscience qui
est temporelle de part en part ressent quelque chose qui n’est pas très loin de ce
que certain appelle la lévitation. Par exemple lorsqu’on ressent une forte douleur
physique, notre conscience ne fait plus qu’y penser. En allant au cinéma, si le filme
est bon, on oublie la douleur. On se désincarne, on est pris dans l’écran. Notre
temporalité, notre attention s’est entièrement immergée dans notre objet.
31
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32
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Remontage de Short Cuts / DNAT 2014 — Cécile jaillard
Vision simultanée des narrations multiples.
33
34
Supposons des êtes infiniment plats vivants ds les 2 dimensions d’un plat. Ils discerneront fort bien les autres
animaux plas qui les entourent mais ne pourront imaginer qu’ils puissent exister qqch en-dehors de leur univers, ni en dessous ni en dessus de leur plan. Des objets quitraversent leur plan ils ne perçoivent que la section
par ce plat. aussi, lorsque nous plaçons le bout de ce crayon dans leur univers, ils verront là un miracle, s’ils
n’imaginent pas que cette matière arrive de leur au delà ils courront qu’elle aura été créé sur place. Si nous
plaçons un trésor dans un coffre à 2 dimensions il nous suffirait de placer dans leur univers notre main qui est
elle est à trois dimensions pour ravir le trésor sans que leur détective puisse rien y comprendre.
Considéons une hypothèse dans laquelle le temps joue le pole d’une des 3 dimensions. pr des êtes 2D le plan
ou ils vivent est le présent, le passé s’enfuit au dessous, le futur leur tombe dessus. Envisgeons la traversée
d» leur monde par une orange. ils voient d’abord une petite tâche qui va en s’élargissants de plus en plus. Puis
le centre de l’orange leur apparait la tache stationnaire décroit bientôt et finit par disparaître. Pour eux, le
phénomène orange n’était qu’un disque se modifiant avec le temps. Considérons mtn une allumette. Selon la
dimension temps elle apparait comme un solide dont les contours descellent l’histoire passée comme future.
Jean Painlevé, la 4e dimension, 1927.
Sylvette Baudrot, Je t’aime Je t’aime, Alain Resnais.
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Sylvette Baudrot, L’année dernière à Marienbad, Resnais.
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Abel Gance et la Polyvision.
Mike Figgis, Time Code, 2000.
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Scripte de Time Code par Mike Figgis.
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David Hockney et ses joiners.
39
Giacomo Balla, Dynamisme d’un chien en laisse, 1912
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Gino Severini : La danseuse bleue, 1912
Cartes modélisées par le FBI pour reconstituer les évènements de Columbine
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Elephant.
Affiche et menu du DVD.
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Lignes d’erres, Fernand Deligny
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Effet Bullet Time
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Selfie de Dom Dwyer.
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Huebler
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Robert Doisneau / Technique du Slitscan
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