tribunal de grande instance de paris ordonnance de refere

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tribunal de grande instance de paris ordonnance de refere
TRIBUNAL
D E GRANDE
INSTANCE
DE
PARIS
ORDONNANCE DE REFERE
rendue le 04 juillet 2014
N° R G :
14/52075
BF/N° :1
Assignation du :
21 Janvier 2014
par Eric HALPHEN, Vice-Président au Tribunal de Grande Instance
de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,
Assisté de Pascale GARAVEL, Greffier.
DEMANDERESSE
Société CL TECH
800 avenue des Maladreries
30100 ALES
représentée par Me Laurent KLEIN, avocat postulant au barreau
de PARIS - #A 0411, Me Pierre PUJOL, avocat plaidant au barreau
de NIMES - 658 rue Maurice Schumann 30000 NIMES
DEFENDERESSE
Société PIERRE FABRE DERMO-COSMETIQUE
45 place Abel Gance
92100 BOULOGNE BILLANCOURT
représentée par Me Gwendal BARBAUT, avocat au barreau de
P A R IS -# E 1489
DÉBATS
A Paudience du 05 Juin 2014, tenue publiquement, présidée par
Eric HALPHEN, Vice-Président, assisté de Pascale GARAVEL,
Greffier,
Copies exécutoires
délivrées le:
EXPOSE DU LITIGE
La société CI, TEC1L spécialisée dans le développement et la
commercialisation d'un procédé de fabrication de produits
cosmétiques et pharmaceutiques stérilisés, explique avoir mis au
point un procédé de stérilisation des produits à Titra Haute
Température (ÜHT), permettant leur conservation sans l'aide
d'aucun conservateur tout en préservant leurs qualités intrinsèques,
procédé formalisé par le dépôt le 23 juin 2006 de la demande de
brevet publiée le 28 décembre 2007 sous le n°2 902 660 et
intitulée Stérilisation de produit cosmétique, brevet finalement
délivré le 24 septembre 2010, qui a fait l'objet d'une extension au
niveau européen avec le brevet 2 032 175 publié le 11 mars 2009
et délivré le 30 mars 2011.
Elle expose que la société PIERRE FABRE DERMOCOSMETIQUE (ci-après société PIERRE FABRE). qui a
notamment pour activité la fabrication et la distribution de produits
dermatologiques et cosmétiques, l'a contactée en septembre 2009,
après quoi les deux sociétés ont signé un contrat de licence non
exclusive le 11 mars 2011. en vue d’une part de poursuivre le
développement de la technologie brevetée, d'autre part, le cas
échéant, d’exploiter au niveau industriel cette technologie. Elle
ajoute qu'une fusion ou une prise de participation aurait été
envisagée.
Estimant que, plutôt que de procéder au développement de cette
technologie, la société PIERRE. FABRE. qui avait entre temps
procédé à l’embauche d'un « homme de l'art » et fait appel dès mai
2011 à un bureau d'étude, a préféré mettre l'accent sur sa propre
technologie de stérilisation par infusion, tentant ainsi selon elle de
s'approprier indûment son savoir-faire et son procédé, la société
CL TECH a, par acte du 21 janvier 2014, fait assigner en référé
cette dernière aux fins d'obtenir la désignation d'un expert.
Par conclusions en réponse et récapitulatives visées àl'audience du
5 juin 2014, la société CL TECH maintient sa demande de
désignation d'un expert aux fins notamment de prendre
connaissance de son savoir-faire et de son procédé, sc rendre sur
différents sites dépendant de la société PIERRE FABRE pour
examiner les installations et la machine de stérilisation par
infusion, auditer cette demiere technologie, la comparer à celle
qu'elle a elle-même mise au point et déterminer s'il s'agit d’une
appropriation ou d'une utilisation d'informations confidentielles.
Elle souhaite que l'intégralité de l'avance des frais d'expertise soit
mise à la charge de la défende, à défaut qu'il soit tenu compte des
« capacités contributives respectives » des parties, et sollicite
l'octroi de la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du
Code de procédure civile.
Dans ses écritures visées à la même audience du 5 juin 2014, la
société PIERRE FABRE. qui relève que la pièce 14 de la
demanderesse est soumise au secrel professionnel, demande qu'elle
soit écartée des débats, conclut au rejet de la demande d'expertise
car constituant une opération de saisie-contrefaçon « déguisée » et
¿tant dépourvue de m otif légitime, et des autres demandes de la
société CE TECH. A titre subsidiaire, elle demande que la mission
de l'expert, qui devra être compétent pour la fabrication de produits
stériles, soit limitée à la description des produits querellés, sans
appréciation de la contrefaçon alléguée, et soit strictement
encadrée, les frais de l'expertise étant avancés par la demanderesse.
Reconventiormeilement. elle demande la condamnation la société
CL TECH a lui payer la somme de 50.000 euros pour procédure
abusive, et celle de 10.000 euros au titre île l'article 700 du Code
de procédure civile.
SUR CE
- Sur le rejet d'une pièce
La société PIERRE FABRE demande « l'exclusion » de la pièce 14
de la demanderesse, à savoir une lettre échangée entre un conseil
en propriété industrielle et l'avocat de la société CL TECH, aux
motifs que les correspondances entre conseils en propriété
industrielle et avocats sont soumises, en particulier depuis la loi du
11 février 2004, à un principe général de confidentialité.
La société CI. TECH s'oppose à cette demande en faisant valoir
qu'aucun texte n'obl igc un avocat à observer le secret professionnel
dans ses échanges avec un conseil en propriété industrielle, le texte
visé par la demanderesse n'ayant pour objet que d'astreindre ledit
conseil seulement au respect de ce secret.
De fait, s'il est exact que l’article L.422-11 du Code de la propriété
intellectuelle, tel qu’issu de la loi du 11 février 2004. dispose qu'en
toute matière « le conseil en propriété industrielle observe le
secret professionnel ». ce texte, inséré dans le chapitre traitant des
conditions d ’exercice de la profession de conseil en propriété
industrielle » a pour seul objectif d'obliger tes membres de cette
profession à garder confidentiels leur échanges verbaux et écrits
avec leurs confrères, leurs clients et les avocats, mais non pas à
rendre inv iolables toutes leurs correspondances, dès lors que le
destinataire a souhaité les rendre publiques.
En l'espèce, dès lors que rien n'interdisait à l'avocat d'une partie de
communiquer à celle-ci. en vue do sa production en justice, une
lettre par lui reçue, il ne sera pas fait droit aux demandes
d'exclusion, la seule circonstance que cette lettre émane d'un
conseil en propriété industrielle n'ayant pas pour effet de rendre
cette preuve irrecevable.
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- Sur la demande d'expertise de la société CL TECH
Aux termes de l'article 145 du Code de procédure civile, « s'il
existe un m otif légitime cle conserver ou d'établir avant tout procès
la preuve défaits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les
mesures d'admission légalement admissibles peuvent être
ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en
référé ».
Se fondant sur ce texte, la société CL TECH demande donc la
désignation d'un expert.
Rappelant que son procédé de stérilisation HTIT des produits
cosmétiques, jusque-là utilisé seulement pour les produits de
l’agroalitnen taire, est protégé parle brevet européen 2 032 175 qui
a pris la suite du brevet français 2 902 660 qui n'est déchu que pour
cette seule raison, elle souligne que le contrat de licence signé avec
la société PIERRE 1ABRE le 11 mars 2011 prévoyait, d'une pan
l'acquisition des droits de ce brevet par la société défenderesse
pour deux années et le transfert du savoir-faire y afférent,
moyennant le versement d'une redevance forfaitaire, d'autre part la
mise en œuvre du procédé par cette société P1ERRF FABRL par
le biais d’un équipement industriel à développer, enfin le
renouvellement du contrat et te paiement d'une redevance
proportionnelle dès la première vente du produit.
Elle relève qu’à la même période, la société PIERRE I ABRF a
mis en œuvre des travaux de sous-traitance à partir de la
technologie qu'elle lui a transmise, en recrutant un homme de l'art
et en faisant appel à un bureau d'étude extérieur. VAI.IDAPRO
EUROPE, dans le cadre d'un projet intitulé Fabrication et
conditionnement de produits cosmétiques stériles », deux faits qui
constituent selon elle des « faisceaux d'indices très sérieux de
l'appropriation » de son savoir-faire, en fraude du contrat du 11
mars 2011.
Elle explique également avoir interrogé la société PIERRE
FABRE par lettre recommandée du 14 mars 2012 sur la mise en
exploitation de la technologie transmise et demandé à cette
occasion la mise en oeuvre du droit de visite prévu par ledit contrat
sur les sites situés à AVENU (34) et SOL AI. (81) sur lesquels la
défenderesse s'était engagée à mettre en œuvre le procédé breveté,
mais n'avoir obtenu, après plusieurs relances, que l'organisation
d'une visite du premier de ces deux sites, laquelle lui a permis de
découvrir l’utilisation d’une technologie nouvelle dite de
stérilisation par infusion, dont le chef de produit a précisé qu'il ne
s’agissait pas d’une technologie de stérilisation l JHT, technique qui
lui semble en tout cas un détournement de .son propre procédé
breveté,
A ce titre, elle fait valoir que l’analogie entre cette infusion et le
procédé, tel que décrit dans la revendication 1 de son brevet,
consistant à « chauffer rapidement, de ¡'ordre de quelques
secondes, ledit produit dans un bain à haute température » serait
« manifeste »,
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Pour répondre aux moyens présentés en défense, elle soutient que
sa demande d expertise ne saurait s'assimiler à une saisiecontrefaçon déguisée, puisqu’elle ne vise pas à apporter la preuve
d’une contrefaçon mais uniquement celle du non respect des
obligations contractuelles de la société PIERRE FABRE.
Pour sa part, cette dernière s’oppose donc à l'expertise en question.
File fait valoir, ainsi qu'il vient d'être dit, qu'il n'est pas possible de
faire pratiquer des opérations analogues à une saisie-contrefaçon
en dehors des formes légales prévues pour cette mesure, dès lors
qu’il s’agit, comme c'est le cas selon elle en l'espèce, de faire établ ir
des faits de contrefaçon.
Elle ajoute que la thèse adverse est erronée puisque le contrat de
licence dont le non-respect justifierait selon la société CL 1ECU
la demande d’expertise n’est plus en vigueur depuis le 13 mars
2013. de sorte que les parties ne sont plus Iiées contractuellement.
Enfin, elle soutient qu'une telle demande est dépourvue de motif
légitime, puisque les parties disposent déjà de l'ensemble des
éléments nécessaires à la résolution du litige, et que les assertions
relatives à un comportement déloyal et à une mauvaise foi dans
l'exécution du contrat de licence sont « totalement infondées »,
comme le montrent les résultats d'essais auxquelles la
demanderesse avait été associée, et qu'il en va de même que celles
ayant trait à une éventuelle contrefaçon.
De fait, il apparaît difficile au vu des écritures de la société CL
TECH de savoir si elle envisage d'axer son litige éventuel avec la
société PIERRE FABRE sur une contrefaçon de son brevet ou sur
un non-respect de certaines stipulations du contrat de licence du 11
mars 2011.
Sous l’angle de la contrefaçon, force est de constater que si elle
affirme que la société PIERRE f ABRE s'est appropriée son savoirfaire, elle ne procède à aucune démonstration sur ce poini, ne
produisant ni étude ni analyse ni attestation susceptible de justifier,
au moins partiellement, son allégation.
Pareillement, pour ce qui est de l'exécution imparfaite de la
convention ayant lié les parties, et qui n'est plus en vigueur comme
le met en évidence avec pertinence la société défenderesse, à part
affirmer que la société PIERRE FABRE aurait, d'une part renoncé
à tout partenariat avec elle, d'autre part préféré privilégier une autre
technique de stérilisation que celle issue du brevet à propos duquel
licence avait été donnée, la société CL TECH ne verse aucune
pièce aux débats pour appuyer ses dires.
Ainsi, la mesure d'expertise sollicitée à pour objet essentiel sinon
exclusif d'apporter à la société CL TECH la preuve qui lui manque
peut-être à cet instant Or cet objectif est rempli en matière de
contrefaçon de brevet, ou de violation d'un contrat de licence de
brevet qui lui est assimilée, par la procédure de saisie-contrefaçon,
laquelle doit obéir à un certain nombre de règles qui permettent
d'assurer tant le respect du contradictoire ou des droits de la
défense que le souci de préservation de certains secrets des affaires
ou de fabrique.
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Dès lors, ayant vocation à se substituer à cette procédure sans
comporter les mêmes garanties, et ne permettant pas de surcroît à
la défenderesse de contester la validité du titre qui lui est opposé,
il apparaît que l'expertise sollicitée ne s'appuie pas sur un motif
légitime.
La demande d'expertise présentée sera donc rejetée.
- Sur la demande reconventionnelle
La société PIERRE FABRE fait valoir que la société CL TECH a
engagé la présente procédure alors qu'aucun manquement
contractuel ne peut lui être reproché, qu’elle estime avoir toujours
fait montre d'une bonne volonté à son égard, et ce sans respecter
les règles spéciales de la saisie-contrefaçon, et demande sa
condamnation au titre de procédure abusive.
Cependant, l’exercice d'une action en justice constitue, en principe,
un droit, et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une
dette de dommages-intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise
foi, ou d'erreur grossière équipollente au dol.
Faute pour elle de rapporter la preuve d'une quelconque intention
de nuire ou légèreté blâmable de la part de la société CL TECH, la
société PIERRE FABRE sera déboutée de sa demande présentée
à ce titre.
- Sur les autres demandes
La société CL TECH, qui succombe, sera condamnée aux dépens.
En outre, elle sera condamnée à verser à la société PIERRE
FABRE, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir sa
défense, une indemnité au titre de l'article 700 du Code de
procédure civile qu’il est équitable de fixer à la somme de 3.000
euros.
PAR CES MOTIFS
Nous, Juge des référés,
Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par
ordonnance contradictoire et rendue en premier ressort,
- DISONS n'y avoir lieu à rejet de pièce,
- REJETONS l'ensemble des demandes de la société CL TECH,
- REJETONS la demande reconventiormelle en procédure
abusive,
- CONDAMNONS la société CL TECH à payer à la société
PIERRE FABRE DERMO COSMETIQUE la somme de 3.000
euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure
civile,
- CONDAMNONS la société CL TECH aux dépens,
- RAPPELONS que la présente ordonnance est exécutoire de
plein droit à titre provisoire.
Fait à Paris le 04 juillet 2014
Le Greffier,
Le Président,
Pascale GARAVEL
Eric HÀLIMIEN
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