arts d`hier et d`aujourd`hui
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66 44 rue Alexis Lepère 93100 MONTREUIL Tél. 01 42 87 44 34 Fax 01 48 58 46 88 [email protected] www.aafv.org Revue trimestrielle de l’association d’amitié franco-vietnamienne • Juillet 2008 • 4 € p. 2 p. 3 p. 4 à 6 p. 17 p. 18-19 p. 20 p. 21 p. 22 p. 23 p. 24 Hommage à Vo Van Kiet Les activités de l’AAFV DOSSIER p. 9 à 16 Editorial arts d’hier et d’aujourd’hui au Vietnam Le Festival de Hué En suivant la piste des hommes 18e Sommet Mondial des Femmes Ce Vietnam que nous aimons Nécrologies Notes de lecture Conférences de l’AAFV Une campagne originale Editorial Après le XIIIe Congrès de l’AAFV J’ai été impressionnée par la qualité de la discussion, des échanges parfois vifs qui sont la preuve d’une vie démocratique saine. Elle a permis d’aboutir à un rapport d’orientation pour le développement de notre association. Le principal : faire découvrir les réalités complexes actuelles du Vietnam, ce beau pays de riche culture avec un peuple chaleureux, courageux, innovant. Même si la vie s’y améliore d’année en année, nous poursuivrons et élargirons nos actions de solidarité. Nous continuerons à réclamer justice au plan international pour faire reconnaître la responsabilité des Etats-Unis dans la guerre chimique et aider à vivre les victimes de l’agent orange. Et cela en relation avec les associations nationales et internationales. Nous avons décidé de franchir une nouvelle étape pour développer l’information, l’analyse de la situation au Vietnam avec ses contradictions, même si cela doit donner lieu à des discussions – par exemple à propos de son adhésion à l’OMC –, où chacun pourra exposer sa vision personnelle du Vietnam. L’importance donnée à la culture du riz, à l’agriculture, par le gouvernement du Vietnam est un point très positif dans ce pays encore pauvre, malgré la hausse des prix des céréales et des matières premières à cause des spéculations des pays riches. Nous voulons donc développer le débat en particulier avec “Perspectives”, très apprécié et les conférences-débats, les actions, faire appel à l’esprit d’initiative de nos comités qu’il faut multiplier, servir de lien pour la coopération décentralisée avec les groupes d’amitié parlementaires de l’Assemblée nationale et du Sénat. Hélène Luc et Jacques Maître La visite du Président de l’Assemblée nationale du Vietnam a constitué une nouvelle étape de nos relations d’amitié et de coopération. Une action enthousiasmante en perspective, propre à intéresser les jeunes générations sensibles aux injustices créées par la colonisation et la guerre qui sont loin d’être éliminées. Vous m’avez fait l’honneur et la confiance de me confier la présidence de notre Association. Bien sûr je suis une amie fervente de longue date du Vietnam. J’ai commencé ma vie militante contre la guerre d’Indochine aux côtés d’Henri Martin et de Raymonde Dien, d’Alban Liechti, en collectant pour le bateau du Vietnam. Avec le maire de Choisy, j’ai contribué de toutes mes forces à aider la délégation vietnamienne conduite par le ministre Xuan Thuy, matériellement et pour développer la solidarité autour d’elle. Cela restera pour moi un moment riche et inoubliable. Puis j’ai continué au Sénat à travailler dans le groupe d’amitié France-Vietnam avec M. Poncelet, M. Oudin et actuellement M. Miquel et à préparer le colloque du Sénat sur l’agent orange. Je veux en féliciter les initiateurs. J’ai tout à fait conscience que la réussite de l’étape que nous entreprenons repose sur la direction collective élue par le congrès avec tous ceux qui oeuvrent pour l’amitié avec le Vietnam. Je veux rendre un hommage partagé par tous j’en suis sûre à Jacques Maître, notre ancien Président, chercheur émérite, directeur de recherche au CNRS qui a su rassembler toutes les énergies pour développer l’amitié entre nos deux peuples. Revue trimestrielle de l’association d’amitié franco-vietnamienne Juillet 2008 • 4 € • Commission paritaire n° 0404 G82984 Il a demandé à être libéré de ses fonctions pour mieux travailler à notre noble cause en reprenant ses recherches avec de jeunes chercheurs vietnamiens sur l’agent orange donc il ne nous quitte pas. Avec Patrice Jorland notre secrétaire général lui aussi un ami de longue date du Vietnam, journaliste en Asie, ancien conseiller culturel à l’ambassade de France à Hanoi, avec les vice Présidents, le bureau, le comité national élus au congrès, je suis consciente de la responsabilité qui m’incombe pour faire bouillonner notre AAFV avec Perspectives, outil essentiel et nos activités. 44 rue Alexis Lepère 93100 MONTREUIL Tél. : 01 42 87 44 34 Fax : 01 48 58 46 88 [email protected] • www.aafv.org Directeur de la publication : Jacques Maître Bon travail à toutes et à tous ! Hélène Luc Rédacteur en chef : Dominique De Miscault Comité de Rédaction : Etienne Adjimah, Jean-Pierre Archambault, Michel Dreux, Alain Dussarps, Anne Hugot-Le Goff, Marie-Hélène Lavallard AXIOM GRAPHIC 95830 CORMEILLES-EN-VEXIN 2 Revue de l’AAFV • N° 66 • Juillet 2008 Vo Van Kiet Vo Va n K i e t , ancien Premier ministre de la RSV (19911997), est décédé le 11 juin à l’âge de 86 ans. Des funérailles nationales à Ho Chi Minh-Ville accompagnées d’un deuil de deux jours ont marqué l’hommage de la nation à l’un de ses plus éminents hommes d’Etat. Des cérémonies ont eu lieu aussi à Hanoi et à Vinh Long, sa ville natale. Un registre de condoléances était ouvert à l’ambassade du Vietnam à Paris. Le Secrétaire Général de l’ONU, de nombreux chefs d’Etat et ambassadeurs ont envoyé des condoléances ou ont participé aux cérémonies. De famille modeste, originaire du Sud, Vo Van Kiet s’est engagé dans la Résistance contre l’occupation française à l’âge de 16 ans. Il a ensuite participé activement à la lutte contre la guerre américaine. Lors de la réunification, il a été nommé Président du Comité populaire d’Ho Chi Minh-Ville, puis responsable local du parti communiste vietnamien. A ce poste délicat, il a œuvré pour des mesures d’apaisement, ce qui lui a parfois valu des critiques. En 1982, il est devenu membre du Bureau Politique et il a été plusieurs fois député. Il a joué un rôle décisif dans le domaine diplomatique, pour l’entrée du Vietnam à l’ASEAN et pour la normalisation des relations avec les Etats-Unis après la levée de l’embargo (1995). Mais c’est surtout en temps que " père du Doi Moi " qu’il est connu et estimé des Vietnamiens. Son ouverture d’esprit, son audace réfléchie, sa pugnacité et sa persévérance, jointes à l’expérience qu’il avait acquise dans sa gestion d’Ho Chi Minh-Ville, ont été déterminantes dans la mise en œuvre de la politique de renouveau, comme le soulignent les déclarations du président de la République et du Secrétaire Général du PCV à l’occasion de ses obsèques. Il avait un caractère affirmé, un franc-parler et aussi un humour qui retenaient l’attention. Le Vietnam a perdu l’un de ses meilleurs fils. MHL Revue de l’AAFV • N° 66 • Juillet 2008 Hélène Luc à l’honneur A peine élue présidente de notre association Hélène Luc s’est retrouvée sous les feux de la rampe. Le 10 juin, au cours d’une cérémonie aussi chaleureuse qu’émouvante à la salle Royale de Choisy, André Lajoinie lui a remis les insignes de Chevalier de la Légion d’Honneur. Dans son discours d’accueil, Daniel Davisse, Maire de Choisy, a retracé la vie politique d’Hélène dans sa ville et, plus largement, ses activités militantes, ses engagements multiples pour la justice, le droit des peuples, la solidarité, la paix. Raymond Aubrac, à son tour, a évoqué leur amitié de longue date née dans les combats communs passés et actuels, notamment pour le futur Musée de la Résistance et a fait un vif éloge de sa personnalité, de sa pugnacité, de sa droiture, avant de conclure : “Vous me faites penser à Lucie”. Enfin André Lajoinie, avant de la décorer, a mis l’accent sur son rôle au Sénat, dont Christian Poncelet avait fait aussi un éloge remarqué lorsque Hélène a pris sa retraite de sénatrice. Hélène, très émue, a répondu en évoquant son parcours, depuis son enfance à Saint-Etienne dans sa famille avec ses six sœurs, son père mineur anti-fasciste italien immigré, sa mère née à Sienne. Elle aurait voulu devenir institutrice mais c’était impossible. Elle a débuté en travaillant comme ouvrière du textile et en reste fière. Puis sont venues la Résistance, les luttes contre les guerres coloniales, l’engagement dans la vie parlementaire. Citant son mari Louis, maire de Choisy lors du séjour de la délégation vietnamienne aux discussions qui devaient aboutir aux Accords de Paris, elle déclare : “Une de mes plus grandes satisfactions, c’est d’avoir réussi à mener une activité intense, très prenante, tout en créant une vie familiale qui s’est développée harmonieusement au fil du temps.” Et de conclure : “C’est l’amour des autres qui permet d’être heureux soi-même et si on est plus heureux, on est plus fort, plus joyeux.” La nombreuse assistance a applaudi cette leçon d’art de vivre couronnant l’évocation d’un parcours qui force le respect. On notait la présence des Ambassadeurs de Cuba et d’Arménie, d’un représentant de la Palestine, de parlementaires, d’élus des collectivités territoriales, du Préfet Bergougnoux et de très nombreux amis d’Hélène parmi lesquels Jacques Maître et d’autres membres de l’AAFV. 3 Activités Le Bureau national s’est réuni le 17 mai, pour les ultimes préparatifs du Congrès et le 3 juin, pour une première analyse de ses résultats, jugés très encourageants en particulier pour la franchise, l’intérêt et la bonne atmosphère du débat d’orientation. La méthode est à retenir (voir encart joint). Le BN du 3 juin a mis en place les nouvelles instances et organisé le travail de l’été. Le 28 mai Jacques Maître et Marie-Hélène Lavallard ont rencontré M. Chaize, maire-adjoint de Montreuil chargé de la culture et M. Tuaillon, maire-adjoint chargé des associations et des relations internationales et ont présenté l’AAFV nationale et le comité Ile de France. La rencontre a été cordiale et laisse bien augurer des relations à venir. de l’AAFV Les lieux de la solidarité Les bilans annuels rendent compte fidèlement des actions de solidarité mais pour beaucoup d’entre nous les noms des lieux cités n’évoquent rien de précis. Il serait intéressant de rendre les choses plus vivantes par des informations sur les régions et leurs habitants, des nouvelles de nos amis de là-bas, des anecdotes, des souvenirs. Que tous les voyageurs qui visitent nos réalisations fassent part de leurs impressions en écrivant à la rédaction de la revue (1). Alain Dussarps ouvre la rubrique en disant son enthousiasme pour la province d’Ha Giang. La rédaction Le Congrès a eu lieu les 31 mai et encart joint). 1er juin (voir (1) Perspectives France-Vietnam, AAFV, 44 rue Alexis Lepère, 93100 Montreuil [email protected] Le 5 juin, M. Vuong Toan, vice-président de l’AAVF, accompagné de Mme Nguyen Thanh Thao nous a rendu visite à Montreuil. Le 10 juin a eu lieu à Choisy le Roi une cérémonie en l’honneur d’Hélène Luc qui a reçu les insignes de Chevalier de la Légion d’Honneur. Le 24 juin, l’AAFV a été conviée à accueillir à Orly le président de l’Assemblée nationale du Vietnam, M. Nguyen Phu Trong, et à assister l’après-midi au dépôt d’une gerbe au parc Montreau, devant la statue d’Ho Chi Minh. A cette occasion, M. Tuallion, maire adjoint, a démenti les rumeurs qui ont circulé et affirmé l’attachement de la municipalité à la mémoire du Président Ho Chi Minh, et aux souvenirs qu’en conserve la ville. Le lendemain, une délégation de l’AAFV conduite par Patrice Jorland, en l’absence d’Hélène Luc, a été reçue en audience par M. Nguyen Phu Trong. Cycle Connaissance du Vietnam : Le 17 mai, à la demande d’Anne Hugot le Goff, un groupe de travail a été constitué pour s’en occuper. Il comprend, outre Anne elle-même qui en est responsable, Annie-Rose Israël, Patrice Jorland, Jacques Maître et Pierre Vermeulin. Rendez-vous est pris pour une réunion le 9 septembre, en vue de définir les activités pour 2008-2009. Les conférences prévues ont eu lieu, le 20 mai celle du Dr Luong Can Liem et le 17 juin celle de Philippe Delalande. La prochaine conférence est fixée au 23 septembre (voir p. 24). Le calendrier ultérieur sera communiqué après la réunion du groupe de travail du 9 septembre. 4 Ha Giang la magnifique J’ai eu le privilège, grâce à Mme Hoi, de séjourner dans toutes les provinces du Vietnam, ce très beau pays. Ma préférence va à la province de Ha Giang qui recèle les paysages les plus grandioses, les plus exceptionnels du Vietnam. Peu de gens connaissent cette province montagneuse frontalière de la Chine. Par sa superbe nature et la présence de nombreuses ethnies cette province n’est comparable à aucune autre. Les amoureux de la montagne doivent consacrer au moins quatre jours à sa visite. Après avoir obtenu l’autorisation de circuler dans les districts frontaliers je vous recommande d’aller à Quang Ba situé à 40 km de Ha Giang. Impossible d’oublier la vue magnifique des « pains de sucre » calcaires au milieu des rizières en terrasses lorsqu’on débouche au sommet du col qui domine la ville. Ensuite route pour Yenh Minh, village situé au milieu de montagnes d’environ 1700 mètres. Il est fréquenté les jours de marchés par diverses ethnies aux très beaux costumes colorés surtout ceux des femmes. La maison du roi Mong Pour vous rendre à Dong Van vous traverserez des paysages dantesques. Parmi les chaos de bloc de pierres sur le plateau vous pourrez rencontrer diverses ethnies qui réussissent à cultiver du maïs sur le peu de terre existante entre les énormes ro c h e r s , v é r i t a b l e La maison du roi Mong Revue de l’AAFV • N° 66 • Juillet 2008 Activités de l’AAFV forêt de pierres noircies par le temps et la pluie. Marché Mong A 12 km de Dong Van vous visiterez la maison de Vuong Chi Sinh, l’ancien roi Mong, qui se trouve près d’un marché fréquenté par les H’Mongs. Après le passage de deux cols, une descente mène à un passage en corniche débouchant sur des panoramas magnifiques. Vous arriverez à un petit cirque où se niche Méo Vac. Le retour à Yen Minh se fait par une petite route au milieu des falaises calcaires et des vallons. Le plus beau des villages Tay Si vous avez le temps, dans le district de Hoang Su Phi, allez voir sûrement les plus belles rizières en terrasse du Vietnam, vertes au moment du repiquage et jaune or pour la moisson et dans le district de Xin Mn le site archéologique de Nâm Dân ; descendez en radeau de bambou le fleuve Chay . Grâce à la Présidente Maison Tay de la Croix Rouge provinciale j’ai eu la chance de visiter la coopérative H’Mong de tissage de lin de Hop Tien et le hameau de Tim Thang commune de Phuong Thien, situé à 5 km de la capitale Ha Giang. Il s’agit d’un très beau village à l’architecture traditionnelle Tay. Les belles maisons sur pilotis et aux toits de chaume encadrent un ruisseau au fort débit. Il existe quinze autres villages culturels où se développent les activités traditionnelles des ethnies. Solidarités multiples L’AAFV a participé au financement de six projets dans la province : le comité Gard Cévennes en 2003 à la réalisation des puits, commune Phong Quang district de Vi Xuyen ; Montpellier, élevage de vaches et chèvres en 2003 ; Montpellier et Gard, puits, commune de Bang Hanh district de Bac Quang en 2005 ; Montpellier, puits commune de Bang Lang district de Bac Quang en 2006 ; Franche Comté, adduction eau et puits, commune de Dong Ninh district Quang Ba de Yen Ninh en 2007 et Ile de France, élevage de vaches district de Dong Van et Meo Vac en 2008. Grâce à la solidarité, l’eau propre est arrivée dans ces villages habités par les H’Mongs bariolés et les Dao ; des familles comprenant des victimes de l’agent orange ont vu leur vie quotidienne s’améliorer. Alain Dussarps Revue de l’AAFV • N° 66 • Juillet 2008 Brèves (Anne Hugot-Le Goff) ECONOMIE Le Viet Nam exporte ses fruits et légumes, principalement en Chine (60% des exportations), au Japon, à Taïwan, en Russie et aux États-Unis ; en 2008, les exportations devraient atteindre 350 millions de dollars, soit une hausse de 17% en un an. Pour l’Europe, la qualité instable des produits reste un frein et des coopérations pour améliorer cette qualité ont été établies avec les Pays-Bas et l’Allemagne. La province de Tiên Giang (Sud) se lance dans le bio. Cette province recense plus de 68 000 ha d'arbres fruitiers, soit un quart de la superficie arboricole du delta du Mékong et produit annuellement près d'un million de tonnes de fruits : mangue, durian, avocat, pamplemousse, ananas, cerise et fruit du dragon. Cho Gao... Ces fruits sont aussi appréciés à l'étranger. Certains d'entre eux ont leur propre label. Les techniques de production répondent aux normes GAP (Good Agriculture Pratices), mais pour pénétrer le marché européen, il faudra appliquer des normes plus sévères (EurepGAP). La stratégie de développement du delta du Mékong implique l’implantation de centrales électriques thermiques. Deux centrales à Cà Mau fournissent une puissance totale de 1 500 MW. A Ô Môn, quatre centrales délivreront 2 640 MW. À Soc Trang, un projet réunit quatre groupes de turboalternateurs de 600 MW chacun, un ensemble d'entrepôts et des quais capables d'accueillir de grands navires ; une usine du même type, d'une capacité d'environ 1 000 MW, est prévue à Trà Vinh. L’EDF doit investir dans la province de Hâu Giang avec la construction d'une centrale à charbon de 3 600 MW. Ces équipements devraient utiliser essentiellement dans le futur du charbon importé, d'où l'importance de l’aménagement des ports. Sur les cinq premiers mois de l'année, le chiffre d'affaires total des entreprises à capital étranger est évalué à 12 milliards de dollars, soit une hausse de 20% par rapport à l’année précédente. Ces entreprises ont créé 25.000 emplois pendant cette période, portant leur nombre d'employés à 1,2 million. Elles utilisent des technologies avancées dans des secteurs-clés : télécommunications, immobilier, gestion urbaine, production industrielle. Imprimantes, motos, appareils électroniques, postes de télévision, sont maintenant recherchés sur les marchés étrangers. 5 >>> >>> Activités de l’AAFV Nos comités locaux Gard-Cévennes Montpellier Vendredi 6 juin 2008 Exceptionnellement le traditionnel dîner dansant de printemps organisé par l'AAFV se déroulait dans une des salles du Château de Grammont. Une cérémonie solennelle et amicale a eu lieu à Danang le 22 mai 2008 : la remise des quarante truies offertes par le comité, avec la contribution de la CCAS de l’EDF, à des familles de victimes de l’Agent orange. C’est un nouveau cas de micro-crédit en nature. Cette action a été réalisée en partenariat avec la VAVA de Danang, qui a saisi l’occasion du passage d’un voyage solidaire de la CCAS pour la distribution, en présence de Mme Nguyen Thi Hoi et de Jean Cabane, membre "expatrié" du comité Gard-Cévennes. Bien à l’abri dans leurs paniers à salade, les bêtes ont ensuite rejoint leurs porcheries toutes neuves, où il faudra les élever plus longtemps que d’habitude avant qu’elles ne soient aptes à procréer : l’inflation a fait grimper les prix et obligé à acheter de jeunes bêtes. Les membres de l'Association n'avaient pas ménagé leur p e i n e, p o u r q u e l'apéritif pris dans le jardin du domaine de Grammont soit le plus chaleureux et accueillant possible. Rendons un vif hommage au Président Christian Courty, au Président d'Honneur Robert Szabo, ainsi qu'à Dominique Giordan (le maître d’œuvre de la soirée). Dans le cadre idyllique du château, la soirée s'est déroulée parfaitement. Tout le monde a apprécié l'agréable dîner élaboré par le restaurant “La Baie d'Halong”. L'ambiance était à la fois vietnamienne (grâce à de belles dames vêtues de costumes traditionnels chantant les mélodies de leur pays) et locale aussi grâce à Bernard, l'animateur, qui a su mener cette soirée. Tous styles de musiques confondus, les danseurs se sont éclatés jusqu'au bout. On souhaite la même réussite pour ces soirées dans les années à venir. Merci de tout cœur, à tous les participants et surtout aux membres bénévoles, ainsi qu'à la Municipalité de Montpellier, qui nous a permis de faire la fête dans ce très beau cadre. Catherine RAMEAU Plein succès au nouvel élevage ! Ile-de-France Le 17 mai a eu lieu la visite du fond vietnamien de la Bibliothèque Nationale de France, sous la houlette de Denis Gazquez. Les participants ont pu voir des documents rares et les coulisses du département. Merci à Denis et à Annie-Rose Israel, l’organisatrice de cette visite. Le 21 juin nous avons tenu un stand à la fête de Montreuil, dont le thème était "Mai 68". Nous avons présenté une petite exposition intitulée "Vietnam, mai 68 : arrivée des délégations vietnamiennes de la RDV et du FNL aux entretiens de Paris". De nombreuses photographies retraçaient ces moments. Les spectacles ont attiré un public plus nombreux que jamais mais désargenté : le bénéfice de nos ventes est symbolique. La Rochelle Le Comité de La Rochelle a, cette année encore, célébré le Nouvel An viêtnamien par un repas dansant qui a rassemblé environ 80 participants. La soirée a été organisée avec un peu de retard sur le calendrier officiel puisqu’elle s’est tenue le samedi 1er mars 2008 de façon à ce que le plus grand nombre de membres de notre Association et d’invités soient présents et que nous puissions disposer à la fois d’une grande salle bien équipée (prêtée par la mairie de La Rochelle) et de l’excellent orchestre qui avait déjà contribué au succès de notre soirée l’an dernier. Les bénéfices réalisés à l’occasion de cette soirée nous permettrons de poursuivre le financement des bourses pour des enfants de familles très défavorisées de Cu Chi… Par ailleurs, une relation amicale ayant pu être nouée avec la Médiathèque de Lagord (agréable commune résidentielle de la proche banlieue de La Rochelle) l’an dernier, celle-ci nous a accueillis le samedi 7 juin dans son vaste auditorium où nous avons pu projeter le film de Leslie Wiener “Agent orange, une guerre sans fin” que cette réalisatrice amie a bien voulu nous prêter. La Médiathèque de Lagord a également accepté d’abriter notre exposition de costumes et de photos concernant les minorités ethniques du Viêt Nam durant les semaines qui ont précédé la projection du film. Quelques nouveaux adhérents nous ont rejoints ces derniers temps, mais nous ne parvenons cependant pas encore à atteindre la taille “critique” d’une trentaine de membres actifs qui serait souhaitable… Patrice COSAERT, Président du Comité local de La Rochelle 6 Revue de l’AAFV • N° 66 • Juillet 2008 Brèves Parrainage Aller à l’école : vous pouvez y aider un enfant en parrainant sa famille 45 euros par trimestre (le paiement par trimestre permettra de réduire les frais bancaires, très élevés, 75 % déductibles des impôts dans la limite de 470 euros). A côté de familles dont les enfants souffrent d’un handicap majeur et invalidant, la Croix Rouge souhaite aussi aider des familles dont les enfant, moins gravement atteints, pourraient fréquenter l’école grâce à vous. Ce sera pour eux non seulement un moyen de s’instruire mais aussi de se lier avec des enfants de leur âge et de s’insérer mieux dans la vie du village. C’est la condition pour qu’ils puissent, plus tard, recevoir une formation professionnelle adaptée, comme celles que nous soutenons en divers lieux, gagnant ainsi leur autonomie économique et soulageant leurs parents du souci lancinant de leur avenir. EDUCATION Le Vice-Premier ministre et ministre de l'Éducation et de la Formation, Nguyên Thiên Nhân et la ministre française de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Valérie Pécresse, se sont rencontrés le 12 juin à Hanoi et se sont engagés à renforcer leur coopération dans le domaine de l'éducation. La France propose d'accueillir 2000 doctorants, à partir d’un protocole (sélection des étudiants vietnamiens et des universités d'accueil, formation linguistique et méthodologique, financement et gestion de programme) élaboré en commun. La France s'engage à participer à l'offre de formation au Vietnam par des formations délocalisées. Actuellement, sont en place les programmes PFIEV (Programme franco-vietnamien de formation d'ingénieurs d'excellence au Vietnam), PUF (Pôles universitaires français) et CFVG (Centre franco-vietnamien de formation à la gestion). Par ailleurs, l'accueil de jeunes Vietnamiens dans les universités et grandes écoles françaises fait de l'Hexagone la quatrième destination des étudiants vietnamiens à l'étranger. La France continuera à apporter un soutien financier et pédagogique à l'enseignement de la langue française, et le Vietnam pourrait mettre en place un continuum de formation à la langue française de l'enseignement primaire jusqu'au l’université. Cinq jeunes architectes ont obtenu le 4 juin à Hanoi le "Diplôme des écoles d'architecture en Asie du Sud-Est". Ces Vietnamiens francophones ont suivi pendant deux ans la formation postuniversitaire en "Projet urbain, patrimoine et développement durable", organisée par l'Université d'architecture de Hanoi, dans le cadre de la coopération avec l'École nationale supérieure d'architecture de Toulouse. Depuis 2001, année de création du programme, 63 architectes francophones ont obtenu ce diplôme post-universitaire. Les Si vous êtes intéressés, prenez contact avec : AAFV Gard-Cévennes 214 route de la Préfecture, 30900 NÎMES [email protected] qui vous fera parvenir un engagement de parrainage Revue de l’AAFV • N° 66 • Juillet 2008 programmes d'enseignement, les manuels ainsi que le nombre d’heures de cours devraient être radicalement changés à partir de 2010. Beaucoup d’incohérences sont dénoncées dans le système actuel. Les modalités d'examen seront révisées pour privilégier la réflexion des élèves. Le niveau professionnel de certains enseignants est également remis en cause. SOCIÉTÉ Vietnam compte actuellement environ 700 000 foyers démunis qui vivent dans des habitations en piteux état et certains n'ont pas de toit (suite p. 19). Le 7 Alain Richard faisait partie de la délégation du comité français aux cérémonies du dixième anniversaire du Village de Van Canh. Il fait part ici des ses impressions. Village de l’Amitié : déjà dix ans ! Déclaration européenne de soutien à la VAVA (voir Perspectives n° 65, avril 2008, p. 6-7) Plus que jamais la Solidarité Deuxième liste : Le 18 mars 2008 a été fêté le dixième anniversaire de l’arrivée des premiers enfants au village de l’Amitié de Van Canh, en présence des dirigeants de l’Association des Vétérans du Vietnam, de la Vice-Présidente de la République Socialiste du Vietnam et des membres du Comité International pour le Village de l’Amitié. Le programme de construction lancé en 1993 arrive à sa fin ; mais les tâches d’accueil, de soins et de rééducation restent toujours aussi importantes car quarante ans après la fin de la guerre arrivent encore des enfants qui, après trois générations, sont victimes de l’Agent Orange répandu par l’aviation américaine. Chaque année sont accueillis entre 150 et 200 enfants et vétérans pour un premier diagnostic, des soins, un appareillage approprié. De nombreux enfants suivent un enseignement spécialisé dans cinq classes adaptées : enseignement général, apprentissage dans des métiers manuels, des classes de broderie et de couture, de fabrication de fleurs de soie ; l’informatique s’est révélé un merveilleux instrument pour le développement intellectuel des enfants. Dans les premières années le village s’est consacré aux taches les plus urgentes puis il s’est progressivement ouvert ; l’expérience acquise par les praticiens et les éducateurs du village de Van Canh a été mise au service d’autres enfants ; cela a permis aussi de développer des méthodes spécifiques fondées sur les traditions médicales séculaires, l’utilisation de la pharmacopée vietnamienne, l’adaptation des techniques d’acupuncture. Des liens étroits ont été développés avec les centres hospitaliers spécialisés de la région d’Hanoi ; les affections graves des enfants et des vétérans sont désormais traitées dans ces hôpitaux ; de grands progrès ont été réalisés en matière de chirurgie orthopédique. Les maladies mentales et les maladies spécifiques peuvent être suivies sur place avec l’aide de praticiens venant de l’extérieur. Des formations de personnel médical spécialisé ont été faites au profit de dispensaires de la région. Le village de Van Canh est maintenant un élément reconnu dans les soins à donner à toutes les affections causées par l’Agent Orange. Sur le plan scolaire la même ouverture s’est développée ; des enfants poursuivent leurs études dans des établissements scolaires extérieurs ; les professeurs d’établissements qui ont des sections d’études spécialisées échangent régulièrement leurs expériences avec les professeurs de Van Canh ; de futurs professeurs de l’Université d’Hanoi viennent faire des stages au village. Le Village de Van Canh a développé ses activités de centre de recherches et a reçu l’an dernier un millier de visiteurs étrangers ; des étudiants provenant d’universités étrangères sont venus ; ils ont apporté leurs compétences dans des enseignements spécialisés. Toutes ces activités nouvelles ont accru les besoins financiers du Village ; le Village a développé des activités économiques importantes, des cultures nouvelles, de l’élevage, une pisciculture mais une participation extérieure est toujours nécessaire ; c’est l’activité des différents comités nationaux du village qui permet de collecter des fonds pour assurer le développement de cette œuvre généreuse qui vient atténuer les souffrances du peuple vietnamien qui subit encore les séquelles d’une guerre cruelle et dévastatrice. Alain Richard, membre du CN ALLEMAGNE - Terre des Hommes – Deutschland (Terre des hommes – Allemagne) - Das Friedendorf Oberhausen (le Village de la Paix, Oberhausen) - Die Nüremberger Organisation Mang Non Bambusssprossen (l’organisation Mang Non / Pousses de bambous, Nüremberg) - Die Vietnamesische Interkulturelle Frauen und Jugend Initiative in Deutschland (l’Initiative interculturelle vietnamienne des femmes et des jeunes d’Allemagne) - Die Kinderhilfe Hy Vong, Berlin (L’aide aux enfants / Hy Vong, Berlin) - Die Aktion Partnerschaft 3.Welt, Ludwigsburg (l’association Action Tiers Monde, Ludwigsburg) - Die studentische Vereinigung der Vietnamesen in Karlsruhe (SVVNKA) (l’ Union étudiante des Vietnamiens, Karlsruhe) - Das International Committee for the Vietnam Frienship Village (Dorf des Freundsschaft) (le Comité international du Village de l’Amitié, Van Canh) - Das Viet Trade Center Ltd. Frankfurt (le Centre Commercial vietnamien Ltd, Frankfort) - Solidaritätsdienst international (SODI) Berlin (le Service de Solidarité international, Berlin) qui a lancé en grand la collecte de signatures et se propose d’en réunir 100 000 d’ici l’automne. Des personnalités se sont jointes à l’action : - Mme Waltraud Drygalla, Brême, cofondatrice et militante de longue date du Solidaritätsbasar Bremen (Bazar de la Solidarité de Brême) - Dr Ernst Busche, Brême, supporteur du Solidaritätsbasar Bremen (Bazar de la Solidarité de Brême) - Six députés au Bundestag, membres du parti Die Linke et de nombreux collaborateurs de ce groupe parlementaire BELGIQUE - Dialogue des peuples, Bruxelles Adressez vos dons au Comité pour le Village de l’Amitié N° compte 08131993A CFCVAV BNP-Parisbas, Louis Aragon, Villejuif 2, place du Méridien, 94807 VILLEJUIF CEDEX 8 - Soutien aux initiatives des mouvements actifs au Kivu (Congo), Bruxelles Quatre associations de la ville de Braine-le-Château : - Association Mathilde Madia - Cercle Julien Lahaut - Groupe local CNCD - Magazin du monde-Oxfam Revue de l’AAFV • N° 66 • Juillet 2008 arts d’hier et d’aujourd’hui DOSSIER Le Thanh Khoï Introduction à l’étude des arts du Vietnam Les arts du Vietnam sont multiples comme le pays lui-même. À côté des Viet ou Kinh qui représentent 86 % de la population, leurs voisins des plaines (Chams, Khmers et Hoa) et des montagnes du Nord et du Centre ont, comme eux, une longue histoire et des caractéristiques culturelles propres. Le premier art des Viet est celui de Dong Son (VIIe siècle avant J.C.-Ier siècle) qui faisait partie d’une vaste civilisation du bronze étendue du Sud du Yangzi à l’archipel indonésien. Au IIIe millénaire avant J.C., la « Chine » n’était pas encore la Chine mais un ensemble de six grandes cultures, trois au Nord et trois au Sud du Yangzi ; les premières cultivant le millet et le blé, les secondes, le riz. Les Han, établis dans le bassin moyen du fleuve Jaune, feront la conquête progressive du territoire grâce à leur supériorité dans trois domaines essentiels : - un état centralisé, - une armée dotée d’armes en fer et de chevaux, - la possession de l’écriture. Seuls des Cent Yue, des Viet du Sud reconquerreront leur indépendance pour former l’actuel Vietnam. L’objet caractéristique de Dong Son est le Tambour de Bronze dont on a découvert de nombreux spécimens au Vietnam et en Chine du Sud (au Guangxi voisin notamment), au Laos, en Thailande, en Indonésie. Ils voisinent avec des jarres, des bassins, des To Ngoc Van 1906-1954, 60x45, 1943 situles, des armes et des parures. Au Vietnam, les similitudes des décors géométriques avec ceux des sites préhistoriques, notamment de Phung Nguyen, attestent une continuité d’évolution sur place (et non des importations comme certains l’ont écrit) qui a même influencé l’art chinois. Il s’agit des toîts aux extrémités incurvées qu’on voit sur les Tambours de Bronze. Les monuments Han avaient des toits rectilignes. C’est sous les Tang (VIIe-Xe siècle) qu’apparaît en Chine du Sud la forme recourbée qui se répandra ensuite dans le Nord. L’architecture est le premier des arts viêt. A la différence de la chinoise qui s’impose par la grandeur, la pompe et la solennité, la vietnamienne se caractérise par la grâce, le charme, l’élégance. Il suffit à cet égard de comparer les cités et les tombeaux impériaux de Pékin et de Hué. Les seconds se sont inspirés des premiers, mais s’en distinguent par leur cachet et leur fusion avec le paysage, les collines, les arbres et les eaux. Il en est de même des temples bouddhistes, confucéens (le Van Mieu de Hanoi) et communaux (dinh). A l’architecture est étroitement liée la sculpture, généralement en bois. Les pagodes en sont de véritables musées, car elles renferment les statues des Bouddhas et des bodhisattvas, ainsi que des patriarches et Revue de l’AAFV • N° 66 • Juillet 2008 même des divinités locales que le bouddhisme a intégré (telles les Mères du Ciel, de la Terre, des Eaux, des Monts et des Forêts). Rien n’est moins intolérant que le bouddhisme viêt : toute pagode a une salle réservée aux Mères, tout temple des Mères une salle réservée à Bouddha. La céramique n’a pas la perfection de celle des Song, des Yuan ou des Ming, mais se distingue, surtout sous les Ly et les Trân (XIeXIVe siècle) par la vie et le mouvement de son décor. Sous les Lê (XVe-XVIIe siècle), les bleu et blanc sont renommés : on a longtemps attribué aux Chinois un vase du Topkapi d’Istanbul daté de 1450. La peinture, elle, est surtout connue par son développement récent. De l’Ecole des Beaux Arts de Hanoi, créée en 1925, sont sortis des artistes qui ont su harmoniser des apports de l’Occidents et leurs « âme » vietnamienne, tandis qu’aujourd’hui les recherches vont dans tous les sens. À côté des Viet proprement dits, il faut citer les Chams aux remarquables tours en brique et aux sculpture pleine de vigueur, les temples Khmer du delta du Mékong, enfin les peuples montagnards qui se distinguent, au Nord par leurs textiles éclatants, au Centre par leurs émouvantes sculptures tombales de « pleureurs » assis, la tête entre les mains, les coudes et les genoux. 9 DOSSIER arts d’hier et d’aujourd’hui Ave c l e s p l a s t i c i e n s d u Vi e t n a m Lorsque je suis arrivé à Hanoi, le 30 septembre 1983, on ne pouvait traverser le fleuve Rouge que par le vieux « pont Doumer » rafistolé. Les habitants de la capitale ne disposaient au mieux que de quelques heures d’électricité et d’eau courante par jour, l’approvisionnement était réduit aux rations, les rues ne bruissaient que du bruit des cyclistes et, dès la nuit tombée, on ne voyait plus que les lucioles des lampes à huile et, par moments, l’œil de Cyclope des camions. Comme les autres représentations étrangères, l’ambassade de France vivait à part, avec son groupe électrogène et son ravitaillement par avion de ligne, mais ses membres – il n’y avait alors aucune ONG à demeure et seulement une poignée d’expatriés en service de coopération – tombaient régulièrement amoureux de la ville et du pays. Un poste difficile Le Vietnam était réputé « poste difficile », à cause des conditions matérielles qui étaient les siennes et du fait que les déplacements hors de la capitale devaient être préalablement agréés. De toute façon, l’infrastructure hôtelière était telle que toute escapade relevait, sinon de l’aventure, du moins de l’épreuve spartiate. En tant que conseiller culturel, scientifique et de coopération technique, le travail ne manquait cependant pas. Les programmes, validés par les commissions mixtes, étaient passionnants mais leur mise en œuvre longue et complexe, qui se heurtait aux lourdeurs bilatérales conjuguées, à l’impossibilité de communiquer avec Paris autrement que par le chiffre, à la lenteur extrême de la poste vietnamienne et aux incertitudes du téléphone. Autrement dit, le temps libre manquait, réduit encore par les déplacements de travail à Ho Chi Minh-Ville et sur les sites des projets de coopération. Ne restaient que les promenades vélocipédiques en ville et, le rite fut établi au bout de quelques mois, la visite dominicale des quelques galeries existant alors. 10 Visites aux artistes me souviens ainsi avoir rapporté d’un voyage de travail à Paris de la toile et des tubes de peinture pour Nguyen Sang, qui ne possédait littéralement rien, mais il était parti rejoindre sa famille au Sud quelques jours avant mon retour. La règle que j’ai vite adoptée était de ne jamais discuter le prix – si bas pour un étranger – et, peut-être à tort, de ne pas être élitiste. J’ignorais alors tout de l’art vietnamien contemporain. C’est uniquement par tâtonnements, et grâce aux conseils de certains des responsables des galeries, que j’ai pu commencer à me repérer. De façon très incomplète car, pour dépasser l’amateurisme, il aurait fallu disposer du temps indispensable et de la documentation nécessaire. À cette époque déjà, les plasticiens disposaient du privilège de pouvoir recevoir des étrangers dans Les débuts difficiles leurs ateliers, ou plus exactement à leurs de la coopération domiciles, puisqu’ils étaient autorisés à La coopération bilatérale ne s’étendait vendre directement leurs œuvres. J’ai pu guère à l’art. Des programmes furent ainsi rendre visite à Bui Xuan Phai, Tran Nguyen Sang, 1923-1988, 60x55 cm, 1984 Luu Hau, au laqueur Hoang Tich Chu, à Mme Dang Thi Khue et, dans une grande villa coloniale transformée en Ruche, à certains des artistes qui y habitaient, Nguyen Sang, Nguyen Tu Nghiem, Tran Duc Luong, Mai Van Hien ( Buu Chi lorsqu’il était de passage dans la capitale et Luu Cong Nhan, à Ho Chi Minh-ville où il résidait alors), mais j’en ai raté bien d’autres. Je hantais aussi les musées des BeauxArts et d’Histoire, où je montés dans les domaines du cinéma, me retrouvais souvent l’unique visiteur, du théâtre et de la musique, mais s’agiscomme lors d’une vaste exposition, qui sant des arts plastiques, le seul projet participait il est vrai davantage de l’accuimportant, qui était de monter au musée mulation, où je vis soudain surgir à mes Guimet une exposition patrimoniale, côtés Le Duan en personne. n’a pu se réaliser, les autorités vietnamiennes ayant refusé d’envoyer les originaux. Il fut néanmoins possible d’orDes créateurs bien démunis ganiser le séjour en France de Tran Van Les créateurs, quel que fût leur Can, que j’ai tenté en vain de prolonger domaine, écrivains, poètes, cinéastes, avec celui, groupé, de trois des plasticiens, hommes de théâtre, musi« piliers », Phai, Sang et Nghiem, sortis ciens, formaient alors une communauté de la même promotion de l’Ecole des dont je ne pouvais savoir si elle était Beaux-Arts de l’Indochine. Des contacts unanime, mais dont les membres se furent établis avec l’Ecole des Beauxconnaissaient intimement de longue Arts du Vietnam, qui avait succédé à date et partageaient, avec l’ensemble de celle-ci à la Libération, et avec l’Union la population, un même dénuement. Je Revue de l’AAFV • N° 66 • Juillet 2008 arts d’hier et d’aujourd’hui Coup d’œil sur Hanoi Bùi Xuân Phài,1920-1988, 33,5x24,5 cm, 1984 des artistes plasticiens, animée alors par Nguyen Quan, dont les locaux jouxtaient l’ambassade. Ils se limitèrent à la remise, utile me semblait-il, de collections de livres d’art et, plus tard, les directeurs de l’Ecole (Nguyen Thu et Mme Giang Huong) purent se rendre à Paris afin d’y rencontrer leurs homologues français. Pour être franc, très rares étaient ceux qui, au MAE, manifestaient alors quelque intérêt pour la culture vietnamienne vivante – exception notable, la première tournée des marionnettes sur l’eau et un festival du film vietnamien à Paris, auxquels l’ambassade contribua activement – et, à Hanoi, la circonspection restait encore vive. Pourtant, c’est lors de mon séjour, qui devait se prolonger jusqu’en août 1987, que furent montées, dans la capitale vietnamienne, les grandes expositions personnelles de Sang, Phai et Nghiem, prémisses des changements qui suivirent et de l’éclosion d’une nouvelle génération de plasticiens. Persiste encore la rumeur excessive selon laquelle j’ai été, pendant ces quatre années, le bienfaiteur des artistes vietnamiens et un collectionneur avisé, comme l’évolution des cotes pourrait le laisser accroire. Si mon plaisir reste vif, le regret l’est aussi de n’avoir pu qu’effleurer les choses. Le temps est passé qui, en la matière, ne reviendra pas et, avec lui, tant d’amis chers. Patrice Jorland, secrétaire général de l’AAFV Maintenant quand nous sillonnons Hanoi nous sommes bien loin d’une ville en état de survie, celle des années de guerre ou de la période qui a précédé le Doi Moi. En effet durant cette trop longue guerre dont les effets se sont prolongés jusqu’à la levée de l’embargo américain, la vie artistique vietnamienne était réduite à seulement un noyau dur composé d’artistes de plusieurs générations. Une figure emblématique de cette période est sûrement Natacha Kraevskaia, arrivée à Hanoi à la fin des années 80, qui rassemblait autour d’elle ces mêmes artistes de toutes générations qui aspiraient à une vie meilleure et en rêvaient. Elle-même s’est mariée à Van Dan Tan, reconnu aujourd’hui. De ce vivier à l’origine de la nouvelle vague vietnamienne va naître Le Salon Natacha qui s’ouvre au public en 1992. C’est la première galerie privée de Hanoi. Natacha possède aujourd’hui l’une des collections vietnamiennes les plus authentiques : dons ou oublis des amis de l’époque. Il y a quelques années Natacha a dû enterrer sa jeunesse en fermant le Salon de sa maison du 30 Hàng Bông ouverte sur la rue. La poussée du marché a été telle qu’une nouvelle donne a vu le jour et s’est concrétisée avec l’arrivée au Vietnam d’une américaine, Suzanne Lecht. De quoi et comment vivent les artistes vietnamiens ? Ou les vietnamo-folies ! Avec l’ouverture à tout vent d’une économie encore balbutiante, la galerie de Suzanne Lecht, Art Vietnam Galery, vient de déménager au 7 Nguyen Khac Nhu où elle se déploie sur quatre niveaux. Suzanne Lecht a raflé la mise en quelques années et a littéralement jeté la jeune peinture vietnamienne sur le marché de l’art international. Elle fait le va et vient entre sa galerie des Etats-Unis et Hanoi. Toutes les tendances y sont présentes. Le tout Hanoi court à ses vernissages d’expositions passées sous les fourches caudines du marché de l’art planétaire, celui du bon goût et des tendances. Un moindre mal mercantile et ça marche. Même des étrangers à la retraite au Vietnam arrivent à vivre de leur art dans ce contexte très spécifique ; c’est le cas de Jim Goodall ou d’autres qui finissent par confondre passe-temps et art. Les courants se croisent Mylinh Nguyen navigue entre la France et le Vietnam. Depuis son enfance elle a vécu au sein des décisions culturelles vietnamiennes. Elle réalise des documentaires pour une chaîne culturelle de la télévision de Hanoi. En mars dernier sa première information a été de nous signaler le projet d’une maison de la culture vietnamienne qui va enfin se réaliser à Paris en 2009. Un immeuble a été acheté dans le septième arrondissement, mais il faut le restaurer, le décorer, établir des programmes et trouver les bons statuts pour cette nouvelle Institution. Avec son regard européanisé, elle est consciente de la situation et connaît bien ceux qui ont été au cœur du décollage vietnamien. Une génération nombreuse et florissante directement née de l’après 75 forme aujourd’hui le gros d’une masse « artistique ». Dans un pays de près de 86 millions d’habitants dont 65 % de moins de 25 ans, l’industrialisation n’ayant pas encore atteint un développement suffisant, le Renouveau vietnamien a pris une forme bien à lui. Peut-on dire que nous assistons à un développement artistique à deux vitesses ? D’une part des galeries florissantes et d’autre part une voie qui se veut d’avant-garde sous la Revue de l’AAFV • N° 66 • Juillet 2008 >>>> 11 DOSSIER >>>> arts d’hier et d’aujourd’hui houlette de ses pères, ceux -là mêmes qui entouraient Natacha : ces détenteurs de la tradition et de l’ouverture sur l’occident avec « toutes » ses nouvelles tendances ? Depuis 1995, on a assisté à une véritable explosion, surtout à Hanoi. Ceci dit le marché de l’art à l’intérieur du Vietnam reste pratiquement nul, même si quelques nouveaux riches très rares semblent y porter attention. La population n’est pas encore assez riche et les prix calqués sur un prétendu marcher international entretiennent la confusion. Certains spéculent mais ce sont les mêmes dans le monde entier et en général ils ne prennent pas de risques inconsidérés, ce sont les lois du marché qui priment et rien d’autre. Le décalage est trop grand entre la connaissance d’un public qui n’est même plus capable de reconnaître l’authenticité d’un art populaire et de prétendues recherches diffusées largement et enseignées dans des Ecoles. Tran Thi Huynh Nga Ils sont très peu nombreux, ceux dont l’œil peut saisir l’authenticité d’une nouvelle perspectives ou d’un regard authentique sur le monde. La guerre avait laminé et seul l’artiste dont la production était sa vie avait résisté à tous les avatars. May Lan dans son atelier avec son petit-fils et sa belle-fille L’atelier de Madame May Lan En décembre 1981, j’ai été invitée à donner des cours à l’Institut des Sciences Pédagogiques de Hanoi. Un jeune physicien vietnamien, en thèse à Paris dans le laboratoire où travaillait mon mari, m’avait dit : « Vas voir l’atelier de ma mère. C’est la seule galerie ouverte aux étrangers. Et puis, tu verras mon fils. Rapportemoi des photos. » A la recherche de l’atelier Van Anh, ou comment créer une nouvelle galerie à Hanoi Dominique de Miscault Ho Chi Minh Ville a vécu sa propre trajectoire et ce, depuis les années 20. Même si les relations restent étroites entre les deux pôles vietnamiens dans la mesure où les initiatives en la matière sont le plus souvent entre les mains de compatriotes descendus du nord, les fidèles qui se sont battus pour la réunification il y a plus ou moins longtemps. A Saigon trois écoles, création des Beaux Arts en 1908 : Après mon cours, je cherche l’atelier de Madame May Lan, 12 bis rue Hai Ba Trung C’est facile, m’a-t-on dit, en m’indiquant la direction. Facile… Il n’y a pas de plaques au coin des rues, je me dirige au jugé. Je pense être rue Hai Ba Trung. Je cherche la maison. 20, 18, 16, 14, j’y suis ? Non. Ensuite c’est le 12. Je pousse un peu plus loin ; je reviens en arrière. Rien qui ressemble à une galerie d’art : de petits jardins où l’on cultive des légumes ; dans l’un un bananier, dans l’autre un hibiscus. Le jour baisse. Intriguée sans doute par mon manège, une dame âgée sort de chez elle. Je me hasarde à demander : « Bâ May Lan ? » J’ai dû dire autre chose car la dame se lance dans un discours volubile qui attire d’autres voisines. On m’interroge mais je ne comprends pas. L’agitation augmente. Finalement, un homme me fait signe de m’en aller. J’obéis et je m’éloigne à la lueur de ma lampe de poche (surtout, emporte des piles, m’a dit Duong !) Je reviendrai au grand jour. - Ecole des arts décoratifs à Thue dau mot (Binh Duong) Les voisines ont parlé - Dong Nai à Bien Hoa (1922) Voilà, j’y suis. C’était facile. Il fallait prendre le petit sentier qui court entre le jardin du 12 et celui du 14. À l’entrée, une toute petite palette de peintre, dessinée sur le mur, sert de signe de piste. Merveille, Madame May Lan parle un joli français, appris chez les religieuses. Je n’ai pas le temps de me présenter, elle m’attendait. Les voisines ont parlé, son fils l’avait avertie il y a six mois, la déduction s’imposait. Je lui donne toutes les nouvelles possibles, elle m’offre du thé. Puis vient la visite de son atelier, comme elle l’appelle – en fait la galerie dont elle est gérante. Je ne connais pas - L’Ecole des beaux arts à Ho Chi Minh Ville Ou encore une initiative de Tran Thi Huynh Nga femme du peintre Tran Trung Tin qui en 1997 a ouvert Blue Space Contemporary Arts Centre, à Ho Chi Minh Ville, à l’intention des jeunes peintres vietnamiens. Depuis d’autres initiatives ont été proposées avec succès mais n’oublions pas la magnifique galerie de Tuan, le principal collectionneur de Bui Xuan Phai (1920-1988). Ho Chi Minh fera l’objet d’un article ultérieur. 12 Revue de l’AAFV • N° 66 • Juillet 2008 arts d’hier et d’aujourd’hui l’art vietnamien, je suis un peu perdue. Elle m’aide, commente les œuvres. Il y en a de toutes sortes : peintures, dessins, laques, gravures au burin, estampes, terres cuites, sculptures en pierre…, certaines contemporaines, d’autres plus anciennes mises en vente par leurs propriétaires impécunieux. Autant que je comprenne, le système est proche de ce que nous appelons le dépôt-vente. May Lan m’explique qu’elle est la seule à avoir le droit de vendre à des étrangers, contre des devises (des dollars, de préférence) : le propriétaire en a obtenu l’autorisation, mais je ne saurai pas comment. Une admirable bataille Je regarde de tous mes yeux. Certaines œuvres sont de grande qualité, autant que je puisse en juger, d’autres sont plus ordinaires, surtout celles qui ne paraissent pas récentes. May Lan dit en souriant « plutôt pour les touristes ». Les touristes ? Nous sommes trois, dans mon grand hôtel. Elle me montre une merveille qu’elle sort d’un cartonnier : un dessin de bataille, à la plume, format double Raisin, couvert de centaines, peut-être de milliers de petits personnages de la taille d’une allumette, avec des chevaux, des éléphants, des chars, un tourbillon de combattants. Hélas, je n’ai que des francs, et si peu : le prix du voyage a épuisé mes ressources. Pourtant le prix est dérisoire pour une telle oeuvre. Quel regret ! Je jette mon dévolu sur une petite boîte en laque rouge et or, plus abordable pour moi. Non, dit May Lan, non, non. Pourquoi ? Non, non, pas cela. C’est très vieux, on n’a pas le droit de le sortir du Vietnam. J’emporterai une estampe, un bouquet de fleurs un peu Matisse. J’emporte aussi des photos, pour Duong. Merci, May Lan ! Hanoi, 1981 Je rentre à l’hôtel par des rues quasi désertes. Quelques vélos, des chars à bœufs, une voiture. Plus tard je ferai la connaissance du tramway de Limoges qui continue à grincer depuis le temps des Français. Les trottoirs sont pleins de chausse-trappes. Dans une des rues, les trous-abris datant de l’époque des bombardements ont été remplis de terre. Des buissons de lauriers-roses s’y épanouissent. M.-H. Lavallard Chances et défis de l’ouverture La levée de l’embargo a été déterminante. Tous les espoirs étaient permis à l’intérieur du pays et à l’extérieur les souhaits des étrangers étaient au-delà des possibilités du Vietnam. La confusion a été totale entre l’aspiration des lettrés à une ouverture et une fausse analyse de l’état du pays : marché, mieux vivre et recherche artistique… Dans leur souci de progrès les vietnamiens, souvent poussés par les Viet kieus, se sont introduits sur le marché de l’art international. En jetant un regard en arrière on peut considérer le chemin parcouru et le revisiter en discernant ceux qui en ont été les maîtres d’œuvre. Pham Viet Hông Lam a peint son père Effectivement la vente à bas prix ou la spéculation sont un moyen de vivre pour des artistes qui dans la foulée de la politique socialiste bénéficiaient, dans leur majorité, d’un vrai statut social et d’une aide. Les moyens d’exposer et de vendre étaient organisés par l’Association des artistes vietnamiens entre autres. Mais cette conception élaborée par la politique se lézarde face à une économie à tous vents qui n’est pas sans séduction. Le Vietnam n’a pas encore atteint le niveau de développement suffisant pour satisfaire ses besoins. Là où il n’y avait que quelques échoppes plus ou moins achalandées, nous assistons depuis peu à une débauche de lieux de vente qui va en s’accélérant. Il y a plusieurs vernissages à Hanoi chaque jour. La maison des Expositions, sous l’égide de l’Association des Beaux Arts du Vietnam, affiche complet avec plus de quarante-six expositions dans l’année. Le tramway de Hanoi Mais aussi, les apprentis artistes ne partagent plus : on suit son rêve celui du succès. Un souci pédagogique fait l’objet de toutes les attentions des anciens mais qu’en estil vraiment ? Nous assistons alors à un débordement de couleurs. « La peinture vietnamienne se porte très bien. » Est-ce à dire qu’elle se vend très bien ? Certes oui quand on compte le nombre de Galeries qui présentent souvent les mêmes peintres, aux mêmes prix ! Place de l'Opéra Revue de l’AAFV • N° 66 • Juillet 2008 13 >>>> DOSSIER >>>> arts d’hier et d’aujourd’hui Les rues du centre ville de Hanoi sont pleines de galeries chamarrées… Les couleurs giclent à tout va. Galeries ou boutiques de sous-vêtements semblent suivrent la même trajectoire. Le Vietnam se déshabille doucement. En ce qui concerne l’habillement, pratiquement plus un Ao Daï dans les rues, seuls les enfants des écoles revêtent encore l’uniforme et le ruban rouge. Nombreux sont les joggings qui ont sans doute remplacé les pyjamas délavés et pratiques d’il y a quelques années. Et évidemment le jean est partout, uniforme planétaire ! Quelques exemples anecdotiques Un phénomène, Lê Thiêt Cuong, un peintre qui semblait d’exception, il y a quelques années, déclare « je suis le produit de la société ». Il a sa galerie privée au 39A Ly Quôc Su, tout près de la cathédrale. Son style élégant n’évolue plus vraiment. Projet fleuve rouge Le projet est né d’un voyage en Europe d’une jeune journaliste du Hanoi Moï, Nguyen Thu Thuy. Barcelone et l’œuvre d’Antoni Gaudi ont été pour Thuy un véritable révélateur et revenue à Hanoi, elle imagina purement et simplement, bravant tous les obstacles politiques et financiers, un énorme projet décoratif qui ornementera d’ici trois ans les six kilomètres de la digue ultra passante du Fleuve Rouge. Quelques centaines de mètres de long sur plus d’un mètre vingt de hauteur ont déjà vu le jour. Ils retracent l’épopée historique du pays. Les artistes de différents pays sont invités à participer avec des œuvres plus personnelles. Thang Long Gallery. Là ce sont d’anciens stagiaires d’URSS à la technique traditionnelle affirmée qui se sont rassemblés autour de Tuman, le russe de Saint Pétersbourg. Ils ont exposés ensemble du 29 mars au 9 avril, recherchant la période faste en fonction du calendrier lunaire. De nombreux cafés exposent des œuvres, même si les motos voisinent Tuman et Natasha maintenant avec les tables, le trottoir ne pouvant plus servir de garage. Des artistes dits pour touristes ! Duy Thai (photo première de couverture) né en 1955 à Hai Phong en fait parti : ses petites œuvres sur papier Do sont plus qu’abordables et pleines de charme. Duy Thai est visiblement un professionnel qui cherche à survivre. Il a bénéficié en son temps de 1974 à 1980 de l’entente avec l’Europe de l’Est et a fait une partie de ses études en Allemagne. Ses attaches lui ont permis d’enseigner et d’exposer à Leipzig, au centre culturel de 1980 à 84. En 1987 il a exposé en Pologne, en Hollande et à Ho Chi Minh Ville L’Institut de recherche des Beaux Arts de Hanoi a publié en 2005 un magnifique ouvrage de 400 pages très exhaustif sur l’Histoire de l’Art au Vietnam de la fin du XIXe siècle au début du Doi Moi. Les auteurs, Nguyen Luong Tieu Bach, Bui Nhu Huong, Pham Trung et Nguyen Van Chien, distinguent cinq périodes significatives : 1884-1925 ; 1945-1954 ; 19551975 ; 1975-1985 et après 1986. A la Maison des Expositions (16 Ngo Quyen), les expositions se succèdent au premier et second niveau. Une Indienne est exposée pour la première fois au Vietnam ; son regard est simple et ému devant la nature, ce qui est devient rare dans les galeries vietnamiennes. Les œuvres à l’huile de Mme Bhavani, « Les murmures du bois », sont traitées comme des aquarelles. Dès lors se pose la question : qu’est ce qu’un artiste ? Est-ce vraiment une profession ? Est-ce un regard partagé ou proposé ? DdM 14 Bui Nhu Huong et Nguyen Thu Thuy Revue de l’AAFV • N° 66 • Juillet 2008 arts d’hier et d’aujourd’hui Le renouveau en sculpture est spectaculaire : nombre d’espaces verts à Hanoi, Ho Chi Minh Ville ou Hué sont maintenant agrémentés de sculptures dont la qualité est bonne et souvent audacieuse. Duong Tuong, une belle rencontre, celle de l’un des derniers survivants d’une époque héroïque. Le « touche à tout et le bon à rien » comme il se définit luimême avec dérision ne manque ni de finesse ni d’envergure. C’est un lettré parfaitement francophone connaissant bien la situation et la réalité de son pays. « Dans le temps j’étais journaliste à l’AVI et interprète de la commission d’enquête des crimes de guerre des impérialistes américains. J’ai quitté l’école à 14 ans pour me joindre à la Révolution. Après les accords de Genève en 1954, je suis revenu à Hanoi. J’ai commencé à traduire des textes français et anglais. J’ai aussi pondu des poèmes et traduit plus de 50 livres, surtout des romans des grands auteurs,Tolstoï, Camus, « Autant en emporte le vent », Claude Simon… J’ai été critique d’art malgré moi surtout pour les arts plastiques. Je peins en hobby. Nous avons vécu un épanouissement sans précédent à la fin des années 90. La bande des cinq : Dang Xuan Hoa, Tran Huy Sy, Ha tri han, Pham Quang Vinh, Hong Viet Dung faisaient la une. Ils étaient très jeunes.Aujourd’hui, je crois que la peinture vietnamienne se porte bien. En partie et surtout à Hanoi parce que les activités culturelles proposées par les ambassades et leurs centres culturels sont variées : l’Espace (signalons qu’en 2005 à l’Espace a été organisé une Installation accompagnée d’une publication… Une médiatisation sans précédent pour ces héros d’une autre époque), l’Institut Goethe, The British Council… sont des Dong Ho et aujourd’hui ses deux « vétérans », ceux qui ont su faire revivre et redorer le blason de ces prestigieuses et si typiques estampes. soutiens appréciables pour la recherche des jeunes et cela les encourage malgré les confusions que le commerce véhicule. La réussite rapide et le succès facile en a brisé plus d’un, grisés qu’ils étaient par l’appât du gain qui les incitaient à se livrer au commerce pour plaire. Le danger était évident, cela a empiré ces derniers temps. Par contre il y a Nguyen Minh Than, Nguyen Quang Huy, Ly Tran Quynh Giang et Dinh Y Nhi qui poursuivent d’authentiques recherches. Ils habitent à Hanoi. On peut trouver leurs peintures dans les plus grandes galeries vietnamiennes. Il y a de plus en plus de jeunes artistes qui se frayent un chemin par eux-mêmes. Installations et performances se développent ici et là en marge des galeries. Mais Bui Nhu Huong, de son côté, signale Tran Viet Phu, un jeune peintre naturaliste Nguyen Huu Qua Dong Ho et très sensible. Je m’inscris dans la mouvance du Mouvement des poètes humanistes qui a été réprimé (parallèlement à la Campagne des cent fleurs en 1957 en Chine) avec Nguyen Dang Che entre autres Hoang Cam toujours vivant et le poète Tran Dan maintenant disparu dont le fils Tran Trong Vu est peintre à Paris. J’ai légué ma Galerie Maï à ma fille et des peintures de Tran Trong Vu s’y vendent aussi. Aujourd’hui je suis classé dans les dissidents ». Est-ce à dire que Duong Tuong a conquis une liberté qu’il ne peut plus lâcher, se souciant du climat nécessaire à ces jeunes qui pourraient être ses petits enfants ? L’âge venant Duong Truong ose parler, ose des Installations que la censure réprouve, il n’a jamais été aussi jeune auprès des jeunes et pour eux ! DdM Revue de l’AAFV • N° 66 • Juillet 2008 15 DOSSIER arts d’hier et d’aujourd’hui D u n g B u i o u t re i ze a n s a u s e r v i c e d e l a Pe i n t u re e t d e l ' A r t d u Vi e t n a m Comment en 1995, présenter au public français un art qui lui était pratiquement inconnu : L'Art du Vietnam. ? Dung Bui a relevé le défi. Trente-cinq de ces peintres sont aujourd'hui dans le dictionnaire Bénézit, reconnus grâce une exposition qui s’est déplacée entre 1996 et 1998 entre Paris et Nice en passant par Toulouse : « Vietnam : trente ans de peinture, de la guerre à la paix ». En 1995, à deux pas du carré Saint-Germain, la galerie Dung Bui s’est installée rue Chomel, près du Bon Marché et du Conran Shop. Après avoir présentée des peintures expressionnistes, elle est entrée de plein pied dans l’art contemporain, qui s’ouvre maintenant pleinement à l’abstraction. Depuis 1997, la Galerie Dung Bui expose des artistes européens et asiatiques, qu'ils soient peintres confirmés ou de nouveaux talents. La peinture vietnamienne a ressurgi d'une période tourmentée de plus d'un demi-siècle de guerre, neuve et empreinte de fraîcheur. Issue d'un art traditionnel proprement asiatique, elle a été traversée par l’influence occidentale. Son point de départ a été donné en 1925 par la création à Hanoi de l'Ecole Supérieure des Beaux Arts d'Indochine par Victor Tardieu. Les peintures exposées par Dung Bui proviennent pour la plupart de cette Ecole qui a promu des peintres tels que To Ngoc Van ou Nguyen Gia Tri, qui tout en s'inscrivant dans la tradition, gardent dans leurs oeuvres leur caractère spécifique. Ils ont su s'émanciper du style ancestral pour rejoindre quelque part l'Occident dans les couleurs, les compositions et l'expression artistique. Le néant ou vide qui remplissait les espaces des dessins traditionnels d'Asie, disparaît au profit d’une peinture pleine, compacte et lumineuse. Plus d'une centaine d'œuvres de trente peintres ont été réunies, allant de 1965 à 1995. Elles reflètent la sensibilité du peuple vietnamien et témoignent de l'espoir et de la joie retrouvés après des années d'épreuves. On remarquera le peintre Bui Van Quang* qui possède une galerie à Nha Trang. Il a fait l'Ecole des Beaux Arts de Hué. Bui Van Quang a déjà exposé deux fois en France mais aussi en Angleterre et en Allemagne. Ces toiles sobres reprennent les thèmes traditionnels en les revisitant. Depuis 2008, la galerie Dung Bui s’est installée au centre du vieux village de Saint Paul de Vence en face de l’Eglise. Dung Bui poursuit son activité de promotion d’artistes confirmés, connus ou émergeants, asiatiques ou européens. Parallèlement, elle suit une trentaine d’artistes parisiens et européens. Christian Briard *Des œuvres de Buy Van Quang étaient exposées lors du XIIIe Congrès de l’AAFV, à l’AGECA (NDLR) Galerie Dung Bui, 1 Place de l’Eglise, SAINT-PAUL DE VENCE Tél. 04 93 24 22 84 06 11 04 42 42 - Fax 04 93 62 28 71 www.galeriedungbui.com - [email protected] 16 Revue de l’AAFV • N° 66 • Juillet 2008 Pour sa cinquième édition le festival a vu Hué proclamée « Ville des Festivals » Vingt-trois pays ont participé au festival de Hué avec une soixantaine de troupes qui ont produit des spectacles de danse et de théâtres en tous genres. Des spectacles de rue et des concerts nombreux qui se sont prolongés au-delà de la cérémonie de fermeture. La France a beaucoup participé avec sa région PoitouCharentes. Avant même la fermeture un protocole de coopération a été signé dans les domaines culturels et artistiques, de la formation, l’éducation et l’environnement pour 2010 qui sera aussi l’année des mille ans de Hanoi. L’AAFV y aura aussi sa place. Ségolène Royale a reçu une invitation officille pour le mois de novembre prochain. Pour ce festival la province de Thua Thien Hué a fait un effort remarquable pour augmenter largement le parc hôtelier de 10 000 lits. Deux hôtels de 4 et 5 étoiles ont été construits depuis 2006. Son vice Président Ngo Hoa soucieux de donner à sa ville une envergure nationale et internationale s’adonne directement et personnellement à toutes les tâches pouvant développer l’aura de Hué, qui dans la bataille a perdu pratiquement toutes ses chauves-souris ! Il a été dénombré une augmentation de participation de 30% de touristes, surtout vietnamiens et asiatiques en ce début juin même si le Festival a dû partager son audience avec le Mondial de Football ! Par ailleurs de nombreuses expositions « in » ou « off » agrémentent la ville et piquent la curiosité des visiteurs. Pour ma part j’ai particulièrement apprécié les bois peints de Tô Bich Hai, autant de figures dressées à la recherche d’un indescriptible je ne sais quoi. La Fondation Le Ba Dang trône toujours aussi blanche et splendide devant la rivière des parfums à deux pas du fameux pont de G. Eiffel… Mais en marge et sur les hauteurs le tombeau de Diem Phung Thi, cette autre artiste vietkieu, et son mari (qui comme Le Ba Dang et sa femme ont vécu l’essentiel de leur vie en région parisienne) est un lieu de méditation à recommander et à visiter. N’étant à Hué que les trois derniers jours du Festival, bien des spectacles m’ont échappé mais le défilé des Ao Daï, par rapport aux précédentes éditions était particulièrement beau. Les coupes et les couleurs de chaque tenue étaient remarquablement élaborées et présentées comme autant de tableaux magnifiques : le spectacle était complet, la nuit, devant l’une des portes restaurées à l’est de la citadelle. Ce défilé comme la cérémonie de clôture m’ont impressionnée par la force de l’identité vietnamienne qu’ils véhiculaient et j’en ai été tout spécialement émue et ravie. Une place particulière avait été reservée au spectacle de l’UJVF, avec leur vingt danseurs et leur nouveau président, Nguyen Minh Man, particulièrement dynamique. L’Union des jeunes a découvert Hué et son Festival côté coulisse en participant à six reprises au Festival « off » et « in » avec son spectacle « 2 ci, 2 là », une chorégraphie riche en métissage qui a même été présentée loin dans la campagne. J’oubliais l’inévitable Rémi Polack dont je n’ai pas pu voir le spectacle mais dont les chevaux suspendus au carrefour de Revue de l’AAFV • N° 66 • Juillet 2008 l’Hôtel Morin et du Pont, étaient radieux de blancheur cette année. Quel rapport avec le cheval blanc qui orne la plupart des petits autels à l’entrée des maisons de la région ? Hué et sa région s’inscrivent dorénavant dans les paysages mondiaux à visiter et surtout au moment de son prestigieux Festival, qui à chaque édition prend une tonalité particulière et de plus en plus vietnamienne. L’AAFV organisera un voyage pour le prochain festival en 2010. Dominique de Miscault CULTURE La cérémonie du Xa Tac, un rite dédié aux Génies de la Terre et du Riz, a eu lieu le 10 juin à Huê, dans le cadre du festival 2008. C'est la première fois que cette cérémonie datant de la dynastie des Nguyên (1802-1945) est ainsi reconstituée. Selon le comité d'organisation, c’était une manière de rendre hommage aux valeurs culturelles traditionnelles du pays et à l'agriculture nationale. La cérémonie a débuté par une procession allant de la Porte du Midi à l'esplanade de Xa Tac (construite en 1806) où se sont déroulés les rites principaux, dont le Quan tây (le roi se lave les mains), Thuong huong (présentation de baguettes d'encens), Nghinh thân (accueil des génies), Hiên tuoc (présentation d'alcool de riz), etc. Hué soumettra à l'UNESCO le dossier du Dan Xa Tac pour une reconnaissance comme patrimoine culturel immatériel de l'humanité. 17 >>>> >>>> suite Festival de Hué Eh bien dansez, maintenant ! Ou comment des classes francophones de Hué voient la littérature française Des étudiantes en troisième année de la section de Traduction-Interprétation ont récité, chanté, dansé des textes d’auteurs français, dans leur langue originelle ou en vietnamien, lors d’un étonnant spectacle présenté en marge du festival de Hué. Le programme allait de Jacques Prévert Nguyen Thu Thu Hien (Les feuilles mortes) à Samuel Beckett, prétexte à une danse Rap illustrant une de ses pensées : « Parler parce que la bouche est pleine de mots. Parler c’est s’en vider. Peu importe le sujet, il n’y a pas de sujet », en passant par les classiques : • Victor Hugo, en qui les jeunes filles voient un poète lyrique mais aussi militant pour une société meilleure, dans le poème intitulé « Mon enfance », • Molière, avec deux scènes d’un Bourgeois Gentilhomme modernisé et vietnamisé non sans malice, • La Fontaine, dont « La cigale et la fourmi » ont été dansées et mimées en chantant… l’amour du travail, à la surprise de certains des spectateurs, • Apollinaire, d’abord avec Le pont Mirabeau, puis intégré dans la culture vietnamienne : presque tous les vietnamiens connaissent la chanson "Mua thu chet" de Pahm Duy, mais très rares sont ceux qui savent que cette chanson est la traduction et la mise en musique du poème "Automne" de Guillaume Apollinaire. Cette soirée a presque été un cours hors les murs qui a ravi les initiateurs et spectateurs de la soirée ! Merci à notre amie Nguyen Thu Thu Hien, qui participe directement à l’organisation du Festival mais qui est aussi pour beaucoup dans le renouveau de l’AAVF de Hué, de nous avoir conviés à une soirée littérature française hors du commun. 18 En suivant la piste des hommes Notes sur le journal de bord ethnographique du missionnaire Jacques Dournes au Vietnam Jérémy Jammes Ordonné prêtre en 1945, et admis la même année aux Missions étrangères de Paris, Jacques Dournes a tout juste vingtquatre ans lorsqu’il rejoint le Vietnam pour être assigné à la mission de Kala près de Djiring, en pays srê. De 1946 à 1952, il suit « la piste des hommes », de village en village, cheminant à pied comme les indigènes et avec eux, scrutant le Pays Montagnard des populations proto-indochinoises, entre Phan Thiet, Dalat et Kontum. Une réflexion sur l’œuvre de J. Dournes (2) doit se porter d’emblée au cœur de ses travaux pionniers, aller droit à ceux qui représentent à la fois une des plus audacieuses incursions dans les « jungles moïs » du centre du Vietnam et un apport spécifique d’un missionnaire à la connaissance ethnographique de cette région. Mon propos est ici de revenir sur son premier « terrain », en retenant les traits qui nous paraissent essentiels, en évoquant les points qui font de son journal de bord intitulé En suivant la piste des Hommes une œuvre majeure, et pourtant peu citée par les spécialistes, de l’ethnographie du Centre du Vietnam (3). Ce livre met son lecteur à l’assaut des hauteurs du sud-est de l’Annam, nous partageant l’histoire, la connaissance botanique, les techniques et les manières de penser de ses populations montagnardes : chez les Srê qui pratiquent la culture irriguée du riz, mais aussi chez les Röglai, Maa et Noup qui exploitent le mir (champ de montagne sur brûlis). Les étapes de son périple à pied sont rythmées par des veillées, dans lesquelles résonnent différents répertoires de gongs et se sirotent des goûteuses jarres d’alcool de riz, révélant à Dournes les dimensions (1) sensibles, rituelles, symboliques de ces moments de sociabilité. Outre le fait de poser les bases d’une ethnographie religieuse de la région, au travers de son observation de l’initiation et du rôle social des chamanes et sorciers, ses descriptions rendent compte du degré d’influence que les Chams d’autrefois ont exercé sur les Montagnards du sud de l’Annam : les pistes du sel, les trésors cham en terre röglai, les légendes des veillées contant le mariage de Cham avec des filles montagnardes, les techniques de labourage et jardinage, la science des constellations, le rapprochement des formes dialectales (röglai, churu, jörai et êdê) avec le cham ont été pour J. Dournes autant de rappels d’une histoire encore présente à la mémoire de l’homme des hauts plateaux, au point de conclure que « la piste qui remonte l’histoire montagnarde passe par le pays cham » (p. 180). Mais la figure de l’ethnographe ne doit pas dissimuler et faire oublier celle du missionnaire catholique, et le sac de J. Dournes contient à la fois des médicaments et le nécessaire liturgique pour célébrer la messe dans les villages avec des scouts srê. Ses pérégrinations lui donnèrent l’occasion de découvrir que la théologie, domaine dans lequel il excellait – et il le prouva au début des années 1960 en étant un des rédacteurs de Vatican II – et le pouvoir énigmatique et mystérieux de la parole du Christ pouvaient se retrouver dans la spiritualité et les pratiques animistes (figure de « la vierge à l’enfant » dans les légendes locales, parallèles entre les récits bibliques et ceux que les Monta- Revue de l’AAFV • N° 66 • Juillet 2008 pas la disposition orographique. Ce qui importe, c’est ce à quoi tout cela conduit : l’homme intime » (p. 243-244). Carte des Plateaux du Sud gnards font de la Genèse, du sacrifice du buffle, etc.). À cet égard, J. Dournes partage avec les grands écrivains catholiques du vingtième siècle, comme Georges Bernanos et François Mauriac, cette exploration dans la pratique littéraire d’une vision chrétienne des choses ; mais il se distingue également de façon radicale de ses illustres prédécesseurs, par le fait qu’il propose à la fois une analyse ethnographique de ses récits, ainsi qu’une forme de christianisme plus personnelle dans laquelle l’expérience intime de Dieu et de l’Humanité est considérée comme ayant plus de valeur que l’adhésion au dogme. Il écrit : « J’ai d’abord cherché à connaître le Montagnard dans le cadre de sa tradition. Au terme de ce voyage dans l’âme d’un peuple, ce qui importe ce n’est pas la piste de terre, ce n’est pas le nom d’un village ou d’une espèce végétale, ce n’est De ce journal de bord, un point de méthode ethnographique, ou plutôt un type de regard sur ces populations montagnardes, mérite d’être souligné puisqu’il fait généralement défaut aux différents colonisateurs et administrateurs de cette région : « Quant à ce qui manque pour être vraiment dedans, on peut le compenser par une sensibilité toujours en éveil et une sympathie constante. On ne connaît bien que ce qu’on aime, de cet amour qui suppose le désir de se rendre semblable à son objet, d’y pénétrer » (p.13-14). S’immerger, apprendre la langue, marcher dans les pas des « animistes » : telle était la démarche missionnaire de Jacques Dournes, qui fit de lui un incontournable ethnologue des hauts plateaux du Centre Vietnam. (1) L’auteur ([email protected]) est affilié postdoctorant au Groupe Sociétés Religions Laïcités (CNRS-EPHE). (2) Saigon : France-Asie, 1950, 281p. Pour une bibliographie de son oeuvre, lire l’article « Jacques Dournes, son œuvre. Une nouvelle bibliographie », Par Laurent Dartigues et Pierre Le Roux, Mousson, n° 3, 2001 IRSEA. (3) J. Dournes, En suivant la piste des hommes sur les hauts plateaux du Vietnam, Paris, Julliard, 1955, 251 p. Jacques Dournes célébrant une messe sur un rocher tabulaire Revue de l’AAFV • N° 66 • Juillet 2008 Brèves SOCIÉTÉ (suite) Le ministère de la Construction distribue une aide de 7 millions de dôngs, sur le budget de l’Etat, pour chaque foyer, sans compter un million de dôngs destiné au transport des matériaux de construction. En outre, les foyers démunis seront prioritaires pour recevoir des emprunts de la Banque des politiques sociales, d'un montant maximum de 8 millions de dôngs par foyer au taux d'intérêt annuel de 3%, pendant dix ans dont cinq ans de grâce. Il faut ainsi 10 008 milliards de dôngs pour la construction des habitations. La construction des logements pour les pauvres sera réalisée dans l'esprit d'assistance de l'État, d'aide de la communauté et des bénéficiaires qui construiront eux-mêmes leurs maisons. SANTE L'Assemblée nationale a discuté en mai des problèmes posés par l’assurance santé. La cotisation passerait de 3% à 6% des revenus des assurés. Mais la plupart des paysans sont incapables de verser leur cotisation annuelle, et des dizaines de millions de ruraux vivent actuellement sans aucune assurance santé. Certains députés ont demandé que l'État prenne en charge une partie de la cotisation des paysans. Par ailleurs, le manque de médecins, d'infirmiers et d'équipements dans le réseau sanitaire de base reste préoccupant. Des politiques de formation de courte durée sont destinées à pallier la pénurie d’effectifs. Les diplômés de médecine, après deux ans de pratique en poste médical, pourront exercer leur métier de manière indépendante. Pour les soins de haut standing, la priorité serait donnée au secteur privé, grâce à des avantages fiscaux et administratifs. SCIENCE Le gouvernement vietnamien avait décidé de faire des technologies spatiales un des secteurs de pointe du pays, créant en juin 2006 l'Institut des technologies spatiales sous la tutelle de l'Académie des sciences et des technologies du Vietnam. La première étape de cette stratégie prévoit la fabrication et la mise en orbite en l'espace de cinq ans d'un petit satellite de 150 kg. Pour faciliter les recherches en matière de technologies satellitaires, l'Institut s'emploie actuellement à fabriquer un mini -satellite d'un kilogramme. Plusieurs ingénieurs ont été envoyés pour stages dans des pays industrialisés. La concrétisation de ce programme par le lancement, le 21 avril, du premier satellite à Kourou, va permettre de désenclaver des régions reculées du territoire. 19 Brèves Par rapport aux autres pays de l'ASEAN, le Vietnam se classe derrière Singapour, la Thaïlande, la Malaisie, l'Indonésie et les Philippines pour le développement des énergies nouvelles, malgré ses grandes potentialités de développement des énergies solaire et éolienne. Si rien n’est fait, le Vietnam devra importer en 2020 de 12 à 20% de ses besoins en électricité, or l'énergie solaire n'atteint que 1,5 MW, les biocombustibles sont en cours d'étude, et la production d'électricité à base de résidus reste au stade de l’essai. Une centrale électrique fonctionnant à la balle de paddy est actuellement en construction. La plantation, en vue de la production de biodiesel, de jatropha, une plante oléagineuse qui pousse sur des terrains ingrats va être développée dans plusieurs provinces du centre et du nord. URBANISME Les travaux de construction de l'autoroute reliant Hanoi à Hai Phong ont commencé en mai. Il s'agira de l'autoroute la plus moderne du pays, construite sous forme de CET (construction - exploitation - transfert), d'un investissement de plus de 24 560 milliards de dôngs. ENVIRONNEMENT colloque "Changement climatique et développement durable au Vietnam" organisé à Hanoi montre que le Vietnam est un des cinq pays du monde les plus touchés par le changement climatique. Les tempêtes tropicales, plus nombreuses, frappent davantage le Sud, et la pluviosité diminue dans l'ensemble du pays, entraînant sécheresse et désertification, particulièrement dans le Centre. La température du Vietnam devrait fortement augmenter, de 2°C en 2050 puis de 2,5°C en 2070. Le niveau des océans s'élèverait de 35 cm en 2050 jusqu’à 1m en 2100, touchant en priorité les deltas du fleuve Rouge et du Mékong. En 2100, 90% du delta du Mékong serait alors sous les eaux. Le La pollution du lac de l'Épée restituée au coeur de Hanoi étant devenue préoccupante, Pham Hùng Phong, manager du site web « vietnamtourisme » propose d’en faire un nettoyage manuel, par un garçon et une fille en costumes traditionnels se déplaçant sur le lac en pirogue… SPORTS Trois jeunes vietnamiens : Bùi Van Ngoi (25 ans) et Phan Thanh Nhiên (23 ans), étudiants à l'École supérieure de l'éducation physique et des sports ainsi que Nguyên Mâu Linh (31 ans), boxeur professionnel font depuis le 18 mai partie du club très fermé des vainqueurs de l'Everest. 20 Du 5 au 7 juin 2008, Hanoi a accueilli le 18e Sommet Mondial des Femmes Le sommet s’est tenu à l’Hôtel Mélia, lieu emblématique du nouvel Hanoi. Hôtel Mélia La participation vietnamienne était nombreuse, près des trois quarts de l’assistance de près de mille personnes. Plus de soixante pays étaient représentés. La vice-présidente de la République Mme Truong My Hoa et le Premier Ministre Nguyen Tan Dung ont inauguré les Journées. Ce sommet a été encouragé par la présence tout au long de ces trois jours de nombreux officiels vietnamiens. La figure marquante est sûrement celle de la Présidente du Sommet, Irène Natividad qui est aussi coprésidente du Corporate Women Directors International. Son activité est large et efficace. Dès 1988 elle était déjà nommée l’une des « 100 Most Powerful Women in America ». Les langues officielles du Sommet mondial étaient l’anglais et le français parlé par de nombreuses africaines. Par contre la participation française était plus que réduite puisqu’à ma connaissance seules trois françaises étaient présentes, dont moi : MariaLaura Charles, Directeur générale de Thales (35 ans) en Amérique latine et Nancy V. Gomez, entrepreneur mais aussi présidente et fondatrice de Eveolution fondation*. La barrière de la langue a été très fortement ressentie par l’ensemble des participantes, d’autant que les disparités Irène Natividad (en blanc) économiques et sociales à la soirée organisée par la Chambre de commerce de Hanoi étaient importantes. Il n’en demeure pas moins que des contacts se sont noués surtout entre femmes des pays émergeants. La présence d’une vingtaine de Birmanes, ou des délégations nombreuses de Mongolie ou de Chine ont été particulièrement saluées. Le prochain Sommet aura lieu à Santiago du Chili en 2009, organisé par Maria Eugenia Hirmas Rubio qui préside la Direction Socio-Culturelle de la Présidente de la République du Chili, militante de la première heure aux côtés de Salvador Allende avec son mari qui est actuellement ministre. DdM * EVE-OLUTION FOUNDATION Inc. est une organisation à but non-lucratif basée à New York. Elle se propose d'aider les femmes chefs de petites et moyennes entreprises dans les pays émergeants en renforçant leurs capacités face à la mondialisation, grâce à des "coachings" exercés par des chefs d'entreprises retraités qui ont bien réussi dans le domaine international. Elle vise ainsi à « contribuer à une Planète plus saine et plus sure pour nos enfants et les enfants de nos enfants ». Revue de l’AAFV • N° 66 • Juillet 2008 Ce Vietnam que nous aimons Brèves Le paradis terrestre existe Trois Regardez une carte du Viet Nam. Ou trouvez vous, ailleurs, un tel rapport entre la superficie d’un pays et sa longueur de côtes ? De côtes, plus précisément de plages, car le littoral est souvent sableux – et de plages Hà Tien vierges. Quelques spots sur la côte pacifique, mais plutôt destinés à une clientèle locale. Il n’y a guère que Nha Trang qui se soit dotée d’une série de « resorts » et même là, la clientèle est encore essentiellement formée de vietnamiens aisés plutôt que de touristes étrangers. Au sud : Vung Tau. Il paraît (cf. brèves) qu’il existe des projets touristiques d’importance dans ce secteur. Mais, si on poursuit plus à l’ouest sur le golfe du Siam (golfe du Siam ! Rien que le nom fait rêver), on arrive au paradis terrestre : Hà Tien et ses deux plages de sable fin, au doux beige doré, où se reposent de petites embarcations de pêche. A l’horizon : le Cambodge. La mer est tiède (et très propre, les La plage du Cap Nai grands ports sont loin) Vous avez soif : tendez le bras, un des habitants du hameau fera tomber une noix de coco pour la décapiter et vous la donner. Vous avez faim ? Il faut reprendre la route pour aller à Hòn Chong, sa petite anse gardée par ses deux sentinelles de rocher (le père et le fils), et dévorer des fruits de mer dans une guinguette à même la plage. Autour, la forêt tropicale, dense, mystérieuse. Au large, des îles accessibles, comme Hon Giang et sa superbe plage. Autour de Hà Tien il y a de nombreuses grottes, avec des Presqu'île de Hon Chong stalactites où, quelquefois, on a installé une pagode, comme à Thach Dong ; une stèle y conserve la mémoire des cent trente habitants massacrés par les Khmers rouges en 1978. Et puis, il y a les kitchissimes mausolées de la dynastie Mac. Plein de choses à faire pour se reposer de la plage… Et cette éternelle question : faut-il que le tourisme se développe pour apporter un peu de mieux-être à cette région à l’écart des richesses du delta du Mékong ? Ou faut-il surtout que rien ne bouge pour qu’elle reste l’apanage des touristes un peu curieux ? AHLG jeunes coureurs cyclistes vietnamiens ont été approchés par l’écurie japonaise Asada, qui cherche à monter une équipe asiatique puissante pour les épreuves internationales et en particulier, le Tour de France. Le cas échéant, nous ne manquerions pas d’aller les applaudir… En dépit de l’heure peu propice de la retransmission des matchs, l’Euro 2008 suscite un vrai engouement au Vietnam, un écran géant à même été installé au milieu de l’Université de HCM-Ville…. TOURISME n’arrête pas le progrès (hélas...). Un premier casino serait construit au VietNam, grâce à des fonds venus d’Amérique du nord. Situé à Xuyen Moc dans la province de Ba Ria-Vung Tau facilement accessible donc depuis HCM-Ville, le projet s’accompagne de la construction, pour commencer, de deux hôtels de 2 300 chambres… Nombre qui serait porté à 10 000 en 2015. Les investisseurs construiraient aussi routes, gares et terminal d’aéroport pour acheminer tout le beau monde attendu. On Bien peu de touristes connaissent la province de Quang Nam (Centre) qui vient d'inaugurer à Bho Hôông dans le district montagneux de Dông Giang, un village touristique entièrement consacré à la culture, basé sur la découverte d’ethnies minoritaires, de métiers artisanaux traditionnels et des maisons moong ou guol. La grande île de Phu Quôc (là où vivent ces chiens à crête et pieds palmés, cf « perspectives » d’avril…) de la province de Kiên Giang veut développer le tourisme autour des plages (4 terrains de golf, plusieurs centres de loisirs) tout en protégeant ses forêts et en se renforçant sur le plan industriel par la création de ports capables d’accueillir des bateaux de tonnage important. FAIT DIVERS avril 2008, les journaux révèlaient qu’il y avait un réseau mafieu qui dominait l'exploitation du charbon de Quang Ninh et ces charbons sont des charbons dits Tho Phi (illégaux) qui enrichissent très rapidement. En 2004 il y avait un sous-secrétaire du comite populaire de Quang Ninh qui avait déjà été menacé ; une grenade avait été lancée dans la cour de sa maison. Cette année c'est le secrétaire du Parti de Halong qui s’est directement insurgé contre les trafiquants du charbon Tho Phi. Il a utilisé des mesures efficaces qui lui ont attiré des menaces de mort. Depuis lors, malgré son téléphone doré, il doit se déplacer en voiture blindée et sa famille est protégée de près. En Notre site est consultable à partir du 25 juillet 2008 www.aafv.org 21 Gil ChaubonCévran Pierre-Bernard LAFONT (17 février1926-13 avril 2008) Pierre-Bernard Lafont est décédé à Paris le 13 avril 2008 à la suite d’une longue maladie qui a fini par venir à bout de sa robuste et admirable résistance. Notre ami Gil Chaubon-Cévran nous a quittés, ce 21 juin, dans sa 75e année, c’est-àdire très jeune… La plupart des militants – sauf les plus récents – de l’Association d’Amitié Franco-Vietnamienne l’ont bien connu. Il a en effet passé de longues années à y travailler, à apporter dans les discussions, toujours très modestement, ses contributions, en particulier sur ses sujets d’intérêt principaux, la littérature et le cinéma du Vietnam d’aujourd’hui. Il avait été longtemps membre de l’équipe qui avait procédé à la rénovation du Bulletin, rebaptisé Perspectives France-Vietnam. Gil, dont la famille avait vécu naguère dans l’Indochine coloniale (sa grand-mère était vietnamienne) était resté très attaché à la terre de ses ancêtres. Sa dernière grande joie fut sans doute sa récente visite au Vietnam avec ses deux enfants. Depuis quelques années, Gil ne participait plus à la vie de l’AAFV. Il jugeait avec une certaine sévérité Perspectives France-Vietnam. Surtout, il avait très mal vécu la « crise » de l’Association, dont il jugeait responsable la direction issue de la rupture. Il avait préféré partir, sur la pointe des pieds, sans bruit, tout en restant adhérent. Je peux témoigner, pour l’avoir côtoyé très régulièrement, qu’il avait souffert et souffrait de cette situation. Bien avant ladite « crise », d’ailleurs, Gill Chaubon s’était investi dans le CID Vietnam, dont il était devenu le Secrétaire. Extrêmement présent, très méticuleux et particulièrement compétent, il consacrait beaucoup de temps à la recherche et au recensement des ouvrages nouveaux, puis au contact avec les éditeurs francophones. Nul ne soupçonnait, jusqu’à une date récente, la maladie qui allait le terrasser. Ne pouvant plus se déplacer, depuis quelques mois, il se tenait toujours informé de notre activité. Le Vietnam a perdu un ami, fidèle et lucide. Que son épouse, ses enfants, sa famille trouvent ici l’expression de nos condoléances attristées. Alain Ruscio, membre du Comité nationale de l’AAFV, président du CID Vietnam Lafont a fait son droit à Bordeaux On sait par ailleurs qu’il obtint un diplôme d’ethnologie à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (Paris, 1951). Est-ce cette double formation, droit et ethnologie, qui lui permettra d’être recruté à l’Ecole Française d’Extrême-Orient en 1953 ? Quelle occasion, quelle rencontre, quelle étincelle conduira P.-B. Lafont vers des rivages qu’il n’avait sans doute pas imaginés ? Désormais, les trois pays de l’ancienne Indochine, Vietnam, Laos et Cambodge, seront le théâtre de sa vie professionnelle jusqu’en 1966. C’est dans cette période qu’il fondera une famille dont deux enfants devaient naître, Olivier et Dominique. Professionnellement, P.-B. Lafont se distinguera en particulier par ses recherches sur deux groupes linguistiques : les populations de langue tay dans le nord du Vietnam et le nord du Laos, et les populations de langue austronésienne du centre et du sud du Vietnam, en particulier les Cam. Dans chacun de ses terrains de recherche il amassera des données et des documents de première main qui donneront lieu à de nombreuses publications jusqu’à ces dernières années. Peu après son arrivée à Hanoi en 1953 il est affecté à Lai-Chau, chef-lieu de l’éphémère Fédération Tay (Notes sur les familles patronymiques tay noires de SonLa et de Nghia-Lo, 1955). Suite à l’évacuation de la partie nord du Vietnam, il est nommé à Pleiku en plein pays montagnard (Prières Jarai, 1963 ; Toloi Djuat: coutumier de la tribu Jarai, 1963 ; Lexique français-jaraï-vietnamien, 1968). De 1956 à 1966, il est délégué de l’EFEO à Vientiane. Il prolonge ses premières recherches sur les Tay du Tonkin par l’étude des Tay lü du nord du Laos (P’ra Lak - P’ra Lam, P’ommachak…, 1957 ; Le royaume de Jyn Khdn …, 1998). Parallèlement à ces recherches, P.-B. Lafont mène à terme d’importants travaux documentaires et bibliographiques. En 1966 il est nommé directeur d’études à la IVe section de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes dans la chaire « Histoire et civilisation de la Péninsule Indochinoise » qu’il occupera jusqu’à sa retraite en 1994. Il créera en outre le Centre d’Histoire et Civilisations de la Péninsule Indochinoise, lieu de rassemblement synergique de chercheurs en sciences humaines sur l’Asie du SudEst. Pendant cette période, il continuera à effectuer des séjours réguliers dans ces pays, donnant des conférences et organisant des colloques. Son dernier ouvrage (Le Campa. Géographie, population, histoire, 2007) a été publié alors que l’implacable maladie commençait à l’affaiblir. Pierre-Bernard Lafont avait un caractère fort qui forçait les relations et obligeait à prendre position. On pouvait être pour ou contre lui, mais il ne laissait jamais indifférent. S’il eu des ennemis, peut-être plus que d’autres, il eut beaucoup d’amis. Il fut toujours fidèle à ses amis, et ses amis le lui rendirent bien. Adieu Lafont… MF Sources : Notes sur la culture et la religion en péninsule Indochinoise en hommage à Pierre-Bernard Lafont, Nguyên Thê Anh & Alain Forest éd., Paris, L'Harmattan, 1995, p. 243-249. http://www.efeo.fr/biographies/cadreindexcherch.htm 22 Revue de l’AAFV • N° 66 • Juillet 2008 Bibliographie • Notes de lecture • Films La jeune fille et la guerre La Marche des Quatre Directions Tran Thi Hao, Lettres Asiatiques, Vietnam, L’Harmattan, 16,50 € La jeune fille c’était elle ou pas ? Quand on lit le livre, la question est de savoir s’il est autobiographique ou non. En posant la question à l’auteur, nous apprenons que c’est un vrai roman qui s’appuie sur des témoignages et aussi ce qu’a vraiment ressenti Tran Thi Hao. C’est la réalité de la guerre vécue par les vietnamiens du centre, au nord du dix-septième parallèle, mais aussi la réalité de toutes les guerres. Hao a reçu du courrier de français qui ont été touchés par les similitudes de ce qu’ils ont pu vivre entre 1939 et 1945 et cette période tragique mais victorieuse du Vietnam. L’auteur est soucieuse de perpétuer et faire connaître aux plus jeunes cette histoire, vue du côté d’une jeune fille comme tant d’autres, qui a forgé et a été déterminante pour son pays. Tant de sacrifices consentis ne peuvent pas être oubliés, soufflés par la société de consommation qui émerge largement partout au Vietnam ces dernières années. Le choix de la vie ou de la mort était d’une certaine façon plus simple que les stratégies à trouver aujourd’hui, dans un pays qui émerge avec tout un potentiel. DdM « J'ai lu votre manuscrit et je crois que vous avez atteint le but que vous exprimiez dans votre lettre d'accompagnement : "D’un point de vue vietnamien, je voudrais faire comprendre la vie des Vietnamiens du commencement de la guerre américaine à l'époque d'aprèsguerre..." par le Docteur Serge Desportes, Editions du Cosmogone, octobre 2007 (181 pages), 25 € Ce livre devrait intéresser aussi bien les lecteurs peu familiarisés avec la tradition chinoise et la médecine chinoise que ceux qui ont une pratique de ces exercices considérés comme la base des arts martiaux. En effet, dans cet ouvrage d'une lecture aisée, il est question du T'ai Tchi Tchuan que le docteur Serge Desportes enseigne depuis plus de vingt ans. Le livre comporte deux parties : La première partie est un exposé général sur l'histoire et la signification du T'ai Tchi Tchuan. En effet cette discipline fait partie de la médecine chinoise. Toutes les techniques médicales avaient pour but essentiel « de maintenir l'homme en bonne santé », soit par l'alimentation, soit par une hygiène de vie, soit encore par certains exercices comme le T'ai Tchi Tchuan. Il ne s'agit pas à proprement parler d'une gymnastique car dans la conception médicale chinoise ancienne on ne sépare pas le corps de l'esprit, car l'organisme forme un tout en symbiose avec son environnement. Votre relation de toute cette période à travers les yeux d'une enfant puis d'une adolescente qui se souvient des faits, des lieux, des exodes, des bombardements, des conditions de vie et surtout de survie, et qui n'a pas oublié la couleur du ciel et l'odeur des saisons, etc., traduit là tout un vécu à la vietnamienne qui ne trompe pas. Une fois de plus on réalise qu'un peuple aussi héroïque ne pouvait que sortir vainqueur d'une guerre où l'ennemi n'hésita pas à utiliser, à expérimenter plutôt, toutes ses armes contre sa force inexpugnable, sa culture. Dans la deuxième partie l'auteur expose le détail des mouvements rigoureusement codifiés par les chinois. Le T'ai Tchi Tchuan, bien que mimant un combat rituel, se pratique comme une danse harmonieuse et douce convenant à tout âge. Il a pour but de s'opposer à tout ce qui peut nuire à nos fonctions psychosomatiques en renforçant nos défenses, d'induire un développement harmonieux du corps chez les jeunes, de stimuler la vitalité de l'adulte, de retarder chez les plus âgés le processus de sénescence. Cet exercice fonde un espace orienté dans lequel tout déplacement, tout geste, ont un retentissement « énergétique » sur l'organisme. Pratiqué chaque jour, il permet de restaurer un équilibre que notre vie quotidienne met facilement en péril. Les idéogrammes traduits en français mais aussi grâce aux photos, légendées par l'auteur, représentent l'exécution des trente et un mouvements du T'ai Tchi Tchuan. J.D Le lecteur en est profondément touché-malgré un luxe parfois trop grand de détails, il suit avec une immense sympathie l'histoire de cette famille dans la tourmente. Il tremble pour elle, s'afflige de ses épreuves, de ses deuils, il se réjouit de ses joies et de ses succès, il partage ses espoirs, ses combats et il fait sien l'amour de Ha An et de Xavier. Il y a dans votre manuscrit cette fraîcheur des premières oeuvres et j'ai été particulièrement sensible à la beauté de certaines de vos descriptions de paysages, à cette nature si prégnante à travers toutes vos pages comme le constant rappel par delà les moments les plus tragiques, les plus sanglants, de cette grande pulsion du monde, de cette harmonie si consolante au coeur des hommes et des Vietnamiens en particulier, (toute votre littérature en rend compte). Voilà mes impressions générales auxquelles j'ajoute mes compliments pour la qualité de votre français... » Yveline Feray Au bord du petit lac à Hanoi Revue de l’AAFV • N° 66 • Juillet 2008 23 Pour les victimes de l’Agent orange : une campagne originale Les conférences de l’Association d’Amitié francovietnamienne CONNAISSANCE DU VIETNAM Renseignements auprès de l’AAFV, 44 rue Alexis Lepère, 93100 Montreuil Tél. : 01 42 87 44 34 Fax : 01 48 58 46 88 mail : [email protected] Au menu : l'écriture d'un article (reportage, enquête, portrait, souvenirs, commentaires...) traitant de la question de l'agent orange/dioxine au Vietnam. Il pourra s'agir d'un texte évoquant la souffrance des victimes et leur combat quotidien, les efforts du Parti et de l'État dans la lutte contre ce fléau ou les actions menées par les différentes organisations nationales et internationales. Les participants pourront également faire part de leur opinion face à la mauvaise volonté des fabricants du défoliant qui refusent de regarder la réalité en face. Vidéos d'entretiens cliniques dans une minorité ethnolinguistique victime de la dioxine (Centre -Vietnam). Présentation de cas Les articles devront être envoyés au siège principal du journal Tin Tuc, au 33, rue Lê Thanh Tông, Hanoi, Vietnam (Email : [email protected] ou [email protected] (09 88 50 29 99 ou 09 14 91 49 99) avant le 15 septembre 2008. Chaque article peut être accompagné de photos mais ne doit pas dépasser mille cinq cents mots (environ 8000 signes). Autre obligation, l'article doit être inédit. Un jury sélectionnera les meilleurs travaux, qui seront publiés dans la presse vietnamienne. Des prix seront donnés (premier prix : 20 millions de dong). par Bernard Le concours est ouvert à tous, les textes peuvent être écrits en vietnamien, en français, en espagnol ou en anglais. DORAY, psychiatre, Concepcion DORAY, psychologue et Jacques MAITRE, sociologue au CNRS mardi 23 septembre à 19 h, mairie du XIIIe, 1 place d’Italie, 75013 Paris Profitez des vacances pour joindre l’utile à l’agréable : à vos plumes ! Invitez vos amis à participer : cette campagne est une nouvelles forme de mobilisation, populaire et sympathique ! Merci de nous envoyer le double de vos textes : AAFV, 44 rue Alexis Lepère, 93199 MONTREUIL [email protected] BULLETIN D’ADHESION, D’ABONNEMENT ET DE SOUTIEN ✃ Participation aux frais : 10 € tarif réduit (étudiants…) : 5 € L’Agence vietnamienne d’information (AVI), le quotidien Tin Tuc (Nouvelles) et la compagnie Vincom. lancent une grande campagne de presse sous forme d’un concours d’écriture. A re t o u r n e r à l ’ A A F V : 4 4 , r u e A l e x i s L e p è re, 9 3 1 0 0 M O N T R E U I L NOM ............................................................................................ Prénom ...................................................... Année de naissance ................ Adresse .............................................................................................................................................................................................................. Un acte à ne pas remettre au lendemain : adhérer ou renouveler votre adhésion Code postal ....................................................Ville ...................................................................... Pays ............................................................ Tél. : .............................................. Fax : ............................................ Courriel ................................................................................................ 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