Assia Bensalah Alaoui - Semaine Economique de la Méditerranée

Transcription

Assia Bensalah Alaoui - Semaine Economique de la Méditerranée
Assia Bensalah Alaoui : "Les femmes maghrébines
doivent prendre elles-mêmes leur place dans la
vie économique"
Dans le cadre de la Semaine économique de la Méditerranée 2014, son excellence
Assia Bensalah Alaoui s'exprime sur l'avancée du travail des femmes et des jeunes
au sud de la Méditerranée. Ambassadrice itinérante du Roi Mohamed VI du Maroc
et coprésidente de l'Office de Coopération Économique pour la Méditerranée et
l'Orient (OCEMO), elle s'engage notamment pour l'instruction des femmes afin de
mieux les intégrer dans le monde économique.
Son excellence Assia Bensalah Alaoui entend bien que sa réussite professionnelle
serve aux femmes méditerranéennes (Crédit photo : Bélinda Cunat Maudieu)
Econostrum.info : Sur les rives Sud et Est de la Méditerranée, quelle est la part des femmes sur le
marché du travail ?
Assia Bensalah Alaoui : Elle est importante, le seul problème c'est que le chômage demeure bien plus
élevé chez les femmes que pour la moyenne des pays en général. Cela-dit, il existe énormément de
disparités et différences en fonction des pays. La main-d'œuvre féminine au Maroc reste supérieure
à 30 % par exemple.
L'arrivée des femmes sur le marché du travail a considérablement perturbé le confort. Chaque fois
qu'est évoqué le chômage, la féminisation du marché du travail est montrée du doigt comme prenant
le travail aux hommes. Cela reste un peu le bouc émissaire. Mais, les femmes ont compris tout
l'intérêt qu'elles avaient à acquérir leur autonomie financière qui s'avère la clef de leur propre
émancipation. D'ailleurs, la proportion de femmes en faculté de Droit demeure très importante et la
proportion des diplômées femmes commence à basculer. Le taux de femmes chefs d'entreprise reste
peut-être encore ridiculement bas, comme partout y compris dans les pays développés, mais
l'avantage, c'est que ce sont des femmes beaucoup plus éduquées, beaucoup mieux formées et qui
sont par conséquent beaucoup plus conquérantes.
Le taux de chômage des jeunes est-il important dans cette région ?
Assia Bensalah Alaoui : Cela varie considérablement aussi d'un pays à l'autre. Au Maroc, nous
relevons un chômage des jeunes encore supérieur à la moyenne mais il varie énormément. Il s'agit
d'un chômage très spécifique des jeunes qui sont des jump out (des personnes signifiantes), qui n'ont
pas fini leurs études, qui n'ont pas la qualification requise par rapport aux besoins du marché.
Nous constatons également un phénomène beaucoup plus inquiétant, dans tout le bassin
méditerranéen, le chômage des diplômés. Les marchés sont trop étroits pour absorber tous les
diplômés qui souvent ne disposent peut-être pas du diplôme adéquat par rapport aux besoins des
marchés étriqués.
Jouez-vous un rôle direct auprès du Roi du Maroc dans l'un ou l'autre de ces domaines ?
Assia Bensalah Alaoui : Pas en tant qu'ambassadrice mais en tant que professeur d'université : de
droit, de littérature et de civilisation anglaise. C'est vrai que je continue à suivre de très près la
problématique de l'éducation qui est, il me semble, le "sésame-ouvre-toi" pour l'employabilité.
Je continue d'être la marraine de programmes, par exemple YAANI (Young Arab Analysts Network
International) où les jeunes apprennent comment analyser les politiques publiques. Un enseignement
extrêmement important qui va dans le sens de la démocratisation : apprendre aux jeunes, comment
réellement critiquer d'une manière constructive les politiques publiques, afin qu'ils puissent
participer à rectifier le tir ou à peser sur les débats et pas seulement à travers des impressions. Mais
nous préconisons une approche plus anglo-saxonne basée sur les faits, les arguments etc...
Je suis également coprésidente de l'OCEMO (ndlr : Office de Coopération Économique pour la
Méditerranée et l'Orient) et dans le cadre de l'OCEMO nous sommes concentrés sur les jeunes et la
problématique de l'employabilité des jeunes. Nous disposons d'un programme : Med-NC-Network
(réseau de la nouvelle chance en Méditerranée), l'école de la deuxième chance dont nous nous
sommes inspirés à partir de l'exemple marseillais (France). L'OCEMO effectue également des
enquêtes, notamment au Maroc sur les attentes des jeunes dans la région de Marrakech. Nous
sommes en train d'en préparer une dans la région de Tanger-Tétouan et prévoyons d'en réaliser une
en Tunisie puis au Liban. Ces enquêtes vont permettre de savoir comment améliorer la situation des
jeunes à travers une meilleure employabilité et une meilleure insertion.
Nous le faisons aussi à travers JEY (Jeunes entrepreneurs – Entrepreneurship for Youth) avec des
entreprises partenaires. Nous essayons d'aider les jeunes à créer leur première entreprise, nous
encourageons l'auto-emploi. Nous sommes vraiment très ciblés et centrés sur les jeunes et je pense
que ce sont des programmes très appréciés. Bien sûr petits, puisque notre capacité est encore limitée,
mais j'espère que nous lançons toute une dynamique pour faire tâche d'huile.
Les printemps arabes ont-ils eu une influence sur le rôle des femmes dans la vie économique ?
Assia Bensalah Alaoui : Pas spécialement. Ce qui est sûr par contre c'est que ces événements ont
peut-être altéré un petit peu l'image de la femme. Alors qu'elles ont été, avec les jeunes, les actrices
des printemps arabes, les femmes n'en ont pas toujours recueilli le bénéfice. Mais je crois que c'est
plus l'insertion dans la vie publique et politique qui posait problème. Dans les circuits économiques,
il existe des pesanteurs, des facteurs lourds et donc il faut insister sur l'éducation, le training, la
formation professionnelle et ne pas attendre que les hommes nous fassent de la place. La place, il
faut la prendre nous-même et précisément à travers les qualifications, le mentoring (l'apprentissage),
etc...
Beaucoup d'encouragements pour l'employabilité des femmes existent. En tout cas, au Maroc, nous
faisons énormément de choses avec, par exemple, l'AFEM (Association des Femmes de l'Europe
Méridionale). Très active, cette association de femmes chefs d'entreprise a créé un programme,
« Casa Pionnières », soutenu par « Paris Pionnières ». Il vise à aider les jeunes filles diplômées à créer
leur entreprise. Pour cela, l'AFEM a noué un partenariat avec le Ministère des affaires islamiques qui
fournit : les locaux (500m² à Casablanca), la facilitation de toutes les procédures administratives, la
3G, l'ordinateur, pour permettre à des jeunes filles, diplômées mais qui n'ont pas les moyens, de créer
leur entreprise et les accompagner pendant dix-huit mois. Ce partenariat a tellement bien réussi que
nous les généralisons dans six autres régions au Maroc.
Au Maroc, l'Islam est non-seulement women-friendly (partisan de la cause féminine) en encourageant
les femmes à obtenir leur autonomie financière et à devenir des actrices à part entière de la vie
économique.
Le patron des patrons au Maroc est une patronne. Une femme préside l'Association des entreprises
marocaines. Nous faisons peu à peu notre chemin, il faut encourager cette tendance.
Les réformes faites en amont par le Maroc ont-elles porté leurs fruits ?
Assia Bensalah Alaoui : Oui, je crois. Il faut souligner deux considérations fondamentales sur «
l'exception marocaine ». D'abord, le Maroc a considérablement anticipé les réformes, dès les années
90 avec la problématique des droits de l'Homme qui a culminé en 2005 avec l'amendement du Code
de la famille et de la coresponsabilité des femmes et des hommes. Donc une amélioration
substantielle de la condition et du statut des femmes. Dans la Constitution de 2011, se retrouve la
parité entre les femmes et les hommes, en matière de droits de l'Homme et en matière politique.
Beaucoup de progrès ont été fait : l'attribution de quota, trente femmes au Parlement, 10 % du
Parlement sur une liste nationale. Mieux que ça, des femmes ont été élues au suffrage universel en
ayant des hommes comme compétiteurs... Vous voyez qu'il existe une avancée.
Au Maroc, les islamistes marocains bénéficiaient déjà d'une pratique de la chose publique. Elle vient
confirmer, en quelque sorte, l'exception marocaine; Et bien entendu, ce qui reste fondamental, ce
sont les très grands travaux d'infrastructure.
Une INDH (Initiative Nationale pour le Développement Humain) a fait fondamentalement la
différence. Le leadership et la réaction de sa majesté le Roi, au-delà des réformes déjà entreprises,
ont permis une réaction immédiate pour lancer l'étude d'une Constitution beaucoup plus
démocratique. Elle va donner des pouvoirs accrus au Premier ministre et des pouvoirs très étendus
au Parlement. L'amélioration de la condition des droits de l'Homme, de toute les instances de
gouvernance, la lutte contre la corruption, tout cela se traduit désormais par des comités ou des
agences constitutionnellement créés pour améliorer la démocratisation et la gouvernance au Maroc.
Je crois que tout cela à considérablement joué pour faire du Maroc, un lit à part, par rapport à cette
problématique et c'est ce qui nous a permis de traverser cette période d'une façon un peu plus
sereine, plus calme. Même si, hélas, par la suite, nous avons été rattrapés par la crise européenne.
Ceci a considérablement pesé sur la problématique de l'emploi par exemple.
Quelles réformes seraient susceptibles d'améliorer la situation ?
Assia Bensalah Alaoui : Les réformes ne s'arrêtent jamais, par définition il existe une dynamique des
réformes, et je souhaite encore des réformes structurelles même si beaucoup ont été faites.
Nous avons noté un très grand problème d'alphabétisation et d'alphabétisation juridique. Il faut
encore que les femmes connaissent leurs droits pour pouvoir les mettre en œuvre. Cette
alphabétisation s'effectue de surcroît dans le cadre des mosquées. Nous restons donc fidèles à
l'enseignement du Coran qui préfère l'encre de l'érudit au sang du martyr.
Il existe également une sensibilisation aux formations des juges pour être sûrs que leurs préjugés ne
vont pas les conditionner quand ils mettront en œuvre la loi qui, elle, est révolutionnaire
culturellement. La mise à niveau des mentalités demeure fondamentale. Elles doivent obéir aux
pesanteurs, aux réticences et demandent beaucoup plus de temps pour se réformer, se mettre à
niveau. Je suis confiante. La dynamique est lancée reste la mise en œuvre qui pose encore problème.
Mais, nous y veillons.
Tout cela est maintenant budgétisé à travers le Ministère des finances qui alloue des enveloppes
spéciales pour s'assurer que la problématique genre est intégrée dans le développement global du
Maroc. Un contrôle et une surveillance vont dorénavant être assurés par la Commission de la parité
des femmes. Désormais opérationnelle, elle va surveiller comment la parité va être mise en œuvre.
Interview réalisée par Bélinda Cunat Maudieu,
en partenariat avec