Journal de la ruée vers l`or en Californie

Transcription

Journal de la ruée vers l`or en Californie
SAN FRANCISCO 1851
Journal de la ruée vers l’or en Californie
Introduction
Berkeley, California — Janvier 2013
« Les mineurs vinrent en quarante-neuf
Les prostituées en cinquante-et-un
Et quand ils se réunirent
Cela donna le fils du pays »
— Extrait d’une chansonnette de mineur
E
n 1848 Yerba Buena était une ville-comptoir, un trou
perdu endormi, avec deux mille habitants vivant sous
des tentes, des baraques et des maisons en briques
séchées au soleil.
En 1849, la nouvelle de la découverte de l’or par John Marshall se répandit dans le monde entier et déclencher la ruée
vers l’or. Les gens qui avaient la chance d’être sur place en Californie s’approvisionnèrent en nourriture, tentes, matériel de
mineurs et se dirigèrent vers les cours d’eau de la Sierra Nevada
pour chercher de l’or. Ils tamisèrent les graviers des rivières
chargés d’or avec un formidable succès. Les comptes rendus de
leurs réussites et de leur abondante richesse devinrent un sujet
d’actualité dans la presse européenne et américaine. La perspective de s’enrichir et d’échapper à la pauvreté en Europe et
en Amérique du Sud vint aux oreilles des fermiers pauvres qui
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souffraient de mauvaises moissons et d’une récession terrible.
Elle intéressa également les gouvernements européens qui
virent là le moyen de coloniser et d’exploiter les riches terres de
Californie et de se débarrasser de leurs citoyens indésirables sur
le plan politique et social – les socialistes, les révolutionnaires,
les républicains, les prostituées, et les activistes politiques aussi
bien que les pauvres qu’on ne pouvait nourrir.
Alors que les comptes rendus exagérés sur la facilité de l’orpaillage le long des rives des cours d’eau aiguisaient l’imagination des pauvres, ils encourageaient les promoteurs sans scrupule à bâtir des montages financiers avec des sociétés minières
sous-capitalisées afin d’offrir le transport en Californie à des
acheteurs de parts en échange d’un crédit assorti d’une hypothèque sur leurs terres.
Vers 1850, la plupart des mines facilement exploitables
étaient épuisées. Yerba Buena, maintenant appelée San Francisco, était devenue une ville turbulente, boueuse, ventée, rude
et dangereuse avec plus de 2 000 saloons, 700 bateaux échoués
et une population permanente de 25 000 immigrants – chercheurs d’or, marchands, prostituées, voyous professionnels,
escrocs, sans compter les cargaisons humaines qui arrivaient
chaque semaine.
Vers 1851, San Francisco avait souffert d’incendies graves,
de spéculation foncière, d’absence de lois, de corruption politique et policière et la Californie était devenue un Etat de
l’Union après la déroute des Mexicains locaux et des milices de
Californios. Avec un rapport homme / femme de 100 pour 1,
la nouvelle législation californienne adopta une loi significative
sur le statut des femmes. La nouvelle loi avait pour but d’attirer des femmes susceptibles de se marier qui épouseraient les
nombreux mineurs célibataires et s’installeraient de manière
permanente dans l’Etat. La loi garantissait que les revenus
qu’une femme pouvait percevoir ainsi que les biens reçus en
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héritage resteraient sa propriété personnelle et échapperaient
au contrôle de son mari ou de son père, ce qui n’était pas le cas
dans la plupart des autres pays du monde. Ces nouveaux droits
parvinrent aux oreilles des Européennes, notamment les mères
qui avaient des filles à marier, les veuves, les femmes aventurières et les prostituées. Des femmes risquèrent leur santé,
leur sécurité et parfois leur vie pour entreprendre le périlleux
voyage maritime qui durait six mois depuis l’Europe autour du
Cap Horn ou bien la traversée de l’Isthme de Panama infesté de
moustiques et de maladies, en pirogue ou à dos de mule. Elles
continuaient à affluer en Californie pour sauter sur les mineurs
et les commerçants enrichis, ou bien pour faire fortune d’une
autre manière.
On estimait que vers 1851 il y avait plus de 100 000 hommes
cherchant fortune dans le lit ou sur les bords des rivières de
la Sierre Nevada à partir du sud de Mariposa en Californie
jusqu’au sud de l’Orégon. Avec tant de mineurs qui cherchaient
et s’accaparaient les meilleurs gisements d’or, sans compter tous
les nouveaux qui arrivaient chaque jour, les conflits et les rivalités étaient inévitables.
Beaucoup de mineurs américains avaient le sentiment que
l’or leur appartenait et ils firent pression sur les législateurs
californiens pour imposer une taxe mensuelle de 20 dollars
(environ 50 grammes d’or) aux mineurs étrangers. La taxe attisa la colère et les querelles opposant les mineurs américains
et anglophones aux non-anglophones – Mexicains, Chiliens,
Chinois et 25 000 Français ou plus – qui s’associèrent aux
hispanophones pour contester l’imposition et défendre leurs
droits de mineurs contre les « Yankees » parce que ces derniers
cherchaient à les éliminer.
Notre histoire commence en janvier 1851. Pierre Dubois,
premier clerc de notaire dans une étude parisienne, reçoit
l’ordre d’aller à San Francisco et de rapporter des preuves pour
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innocenter un riche client qui avait prêté son nom et sa réputation à une société minière frauduleuse ; cette dernière avait
envoyé à San Francisco quatre navires chargés d’immigrants
pauvres, avec la promesse de les soutenir pendant deux ans
avant de les abandonner dès leur arrivée à leur propre sort.
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