Norman Rockwell, Girl at the mirror (Fille au miroir), 1954, huile sur

Transcription

Norman Rockwell, Girl at the mirror (Fille au miroir), 1954, huile sur
Norman Rockwell, Girl at the mirror (Fille au miroir), 1954, huile sur toile, 80 x 75 cm, musée Norman
Rockwell, Stockbridge Massachusetts
Norman Rockwell
Le style de Norman Rockwell a été qualifié de storyteller (narratif). Comme illustrateur, il
faisait en sorte que ses œuvres soient en parfaite correspondance avec les textes qu'il illustrait
(c'est le cas de Tom Sawyer). Pour ses couvertures de magazines, chaque détail avait un rôle
dans la narration de la scène. Son travail a évolué d'un naturalisme hérité du XIXe siècle à une
peinture plus réaliste et précise. Il use aussi de la caricature pour accentuer le caractère
comique de certaines situations.
Surnommé « le peintre préféré des Américains », Norman Rockwell fut illustrateur
vedette au Saturday Evening Post. Il peint des scènes de la vie quotidienne d’une Amérique
rurale et heureuse. Cependant, il représente surtout boys et girls, saisis sur le vif et très
attachants.
Assise en robe blanche dans le secret de sa chambre d’enfant, cette jeune fille s’est
coiffée et maquillée comme une femme. Dans un grand miroir posé à même le sol, un
magazine sur les genoux, ouvert à la photo d’une star de Hollywood, elle interroge son reflet
pour y déceler son avenir.
Analyse du tableau
Simple accessoire, objet convenu ou révélateur de vanité, le miroir apporte une autre
dimension à la peinture, un autre niveau de lecture. Qu’importe sa taille ou sa forme, son but
est d’attirer notre regard. Le miroir nous montre quelque chose que peut-être nous ne verrions
pas ou ne pourrions pas voir sans lui. Il est comme un allié qui nous aide à mieux pénétrer
dans la toile pour mieux l’observer et ainsi mieux la comprendre.
Dans le célèbre Girl at the mirror de Norman Rockwell, le miroir est investi d’un rôle
primordial. Il fait l’image et est l’image. En nous montrant le reflet du visage de la fillette qui
nous tourne le dos, il nous révèle le thème de la toile. Rockwell évoque cet instant
d’inquiétude où l’enfant presque adolescent voudrait déjà être un adulte. Ici, la petite fille
semble littéralement coincée entre l’innocence de l’enfance et les prémisses de la féminité. Le
miroir (entre autres détails) nous fait ainsi partager ce moment intime de questionnement et
dresse un rapport entre la fille et la femme.
Miroir, mon beau miroir…
Souvent utilisé dans des scènes de toilette, de mise en beauté ou de coiffure, le miroir est
un élément essentiel de révélation. Fidèle objet qui incarne le souci de l’image de soi, il est
généralement associé – en peinture – à la femme et à sa féminité. Dans le tableau, le miroir
semble agir comme un électrochoc pour la fillette. Le reflet qu’elle y voit n’est pas celui
qu’elle voudrait voir. Et pour cause, elle n’est encore qu’une enfant, à l’aube de son
adolescence.
Le miroir a été posé sur le sol et prend appui sur le dossier d’une chaise. La petite fille
était probablement trop petite pour atteindre ce miroir que l’on peut imaginer fixé au mur, ou
trônant sur la coiffeuse de sa mère. Elle met également des accessoires de femme à son niveau
: brosse à cheveux, bâton de rouge à lèvres et poudrier. Ceux-ci sont étalés sur le sol, comme
des jouets pourraient l’être lorsqu’un enfant joue par terre.
Il est intéressant de voir que la poupée, seul élément directement lié à l’enfance, semble
avoir été jetée voire maltraitée. En rejetant ainsi son jouet de petite fille, le personnage se
rebelle contre sa jeunesse, son innocence. Etant donné l’emplacement de la poupée, son reflet
n’apparaît pas dans le miroir : la jeune fille ne souhaite plus la voir dans le monde qu’elle
projette. Le résultat est assez cruel et la poupée se retrouve dans une position quasi indécente.
Néanmoins, c’est bien cet univers adulte, féminin et glamour qui semble attirer la petite
fille. Le magazine qu’elle a ouvert sur ses genoux en témoigne : Jane Russell, star
hollywoodienne dont la carrière explose dans les années 1950, prend la pose avec un port de
tête très élégant et semble fixer la fillette. Egalement, l’actrice était reconnue et appréciée à
l’écran pour ses formes généreuses et son sex-appeal ; une sorte de Marilyn Monroe brune.
De cette façon, la petite fille semble ballottée entre deux miroirs. Le premier : la photo de la
star, lui renvoyant une image dans laquelle elle se projette ; le second : son propre reflet, qui
ne semble pas lui plaire et l’inquiète.
Serais-je un jour aussi joli ? semble-t-elle se dire.
Le peintre retranscrit cette idée de tiraillement grâce aux accessoires (poupée versus
rouge à lèvres, poudrier), mais aussi par le biais des textures et des couleurs. Les éléments de
l’enfance, peu nombreux, utilisent des textures simples comme le tissu (robe-combinaison de
la fillette et robe de la poupée), ou plus « vulgaire » comme le plastique du corps de la
poupée. A l’inverse, tout ce qui vient du monde des adultes et de la femme est incarné dans
des matériaux plus nobles et travaillés : le miroir à l’encadrement doré, la chaise à l’assise
tressée, le tube de rouge à lèvres doré et la petite boîte bleue et dorée ornée d’un motif délicat.
S’affrontent alors deux époques. Celle de l’enfant, joueur et un peu brouillon (elle n’est pas
totalement habillée, la poupée est à l’envers et son lacet est défait), et celle de la femme
adulte, plus strict et raffiné.
L’usage de la couleur renforce aussi le contraste. Certes le personnage est en blanc et
porte une coiffure de petite fille sage et modèle. Cependant, elle est assise sur un tabouret
portant la couleur de la/des passion(s). Le rouge est présent dans le tableau par petites touches
(nœud de la poupée, rouge à lèvres, brosse, tabouret), mais il y en a suffisamment pour
installer une atmosphère très connotée. Le tube de rouge à lèvres est resté ouvert ; la fillette a
probablement du essayer d’en mettre pour voir si elle aurait à son tour l’allure de la star.
C’est finalement parce qu’elle tente de se juger avec les standards de Beauté adultes que
cette petite fille s’angoisse. L’instant saisi par le peintre offre une image des plus pénétrantes
de l’inquiétude pré-adolescente. Norman Rockwell confère ainsi au miroir bien plus qu’un
rôle d’accessoire. Il est là pour réfléchir et donner à réfléchir. Il met en place une démarche
d’introspection, de regard en soi-même et de profonde interrogation.
http://histoiredarts.blogspot.fr/p/rockwell-triple-autoportrait.html
Pour une analyse du Triple autoportrait, voir ce lien
http://histoiredarts.blogspot.fr/p/rockwell-triple-autoportrait.html