Guinoune tekst voorwerk

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Chapitre II : le monde adulte
Le but de ce chapitre est de répondre aux questions qui ont jalonné notre recherche, dont la
principale concerne le couple dans les romans de Driss Chraïbi. Le couple “grand-petit”,
rencontré dans la relation fraternelle, et la relation parentale, hante le couple amoureux. Avant
d’avancer nos hypothèses à ce sujet, nous allons considérer la signification du couple dans la
société maghrébine, puis dans l’oeuvre de Driss Chraïbi tel qu’il apparaît à travers ses personnages.
La tradition chrétienne a marqué le couple occidental. Création du Moyen-Age, il est
basé sur une relation monogame. Le mariage requiert le consentement des futurs époux, mais
autrefois il était souvent arrangé par les familles. De caractère dit indissoluble, il pouvait dans
les faits être “réaménagé”. Ainsi, il était toléré que les nobles aient des concubines, de même,
une épouse stérile ou qui ne donnait que des filles, pouvait être répudiée. L’institution se
montrait plus favorable aux hommes qu’aux femmes. Les mariages de convenance organisés par
les familles vont perdurer jusqu’au 20e siècle. De nos jours, le mariage correspond au libre
choix de l’homme et de la femme. La répudiation est interdite et les demandes de séparation
relèvent aujourd’hui plus souvent de la volonté de la femme que de celle de l’homme. Ainsi le
monde occidental tend vers un juste équilibre entre les deux sexes. Nous trouvons au Maghreb
une évolution quasi inverse. A l’époque préislamique, le système matrimonial était incohérent.
Deux tendances coexistaient : l’une matrilinéaire518 qui accordait à la femme une très grande
liberté sexuelle519, l’autre patrilinéaire dont le système a été adopté par l’islam. L’islam va mettre
un terme à la liberté des femmes et légiférer dans les domaines de la sexualité et du mariage. Il
est intéressant de constater que, au regard de l’histoire, les sociétés occidentale et maghrébine
ont suivi des parcours inversés. Le Maghreb libéral est devenu orthodoxe tandis que l’Occident
moyennageux s’est libéralisé520.
1 LE
COUPLE AU
M AG H R E B
Le mot arabe pour mariage, nikâh, signifie également coït521. La langue arabe apparaît très
explicite dans ce domaine, la religion musulmane l’est également, elle précise quels bienfaits et
dangers accompagnent le mariage. Le Prophète a insisté sur l’importance du mariage : “le
mariage fait partie de ma sunna522, et qui témoigne de l’éloignement pour cette dernière en
témoigne à mon égard”523. Il y voit cinq avantages : il procure la postérité524, éteint la
concupiscence525, assure une bonne économie ménagère, ce qui libère l’homme et lui permet de
se consacrer à la religion, augmente les liens de parenté, et enfin entraîne l’homme à lutter
contre son égoïsme pour entretenir toutes les femmes de la famille. Abu Hamid Al-Ghazali,
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mystique influent de l’histoire intellectuelle de l’islam, mentionne des inconvénients à cette
union. Il trouve trois raisons majeures pour condamner le mariage : le mariage pousse l’homme
à chercher des moyens plus contraignants de subsistance, l’obligeant parfois à alimenter sa
famille avec des nourritures religieusement interdites ; le mariage place l’homme dans la
position parfois difficile de supporter la femme et son caractère, et enfin la famille entraîne
l’homme sur la pente dangereuse de la recherche des biens exclusivement matériels, recherche
l’éloignant de Dieu. Mais les exégètes s’accordent sur le fait que les responsabilités familiales
incombent à l’homme, et qu’en contre-partie lui sont attribués tous les privilèges inhérents au
statut de maître de la famille. Le mariage a fondamentalement pour vocation d’insérer l’homme
dans le groupe social et de perpétuer la descendance.
Comment interpréter la double signification, mariage-coït du mot nikâh ? Veut-elle dire
que la sexualité tient une place particulière dans le mariage musulman ? On considère que la
sexualité, à prendre comme un cadeau de Dieu, apporte du plaisir : “l’union sexuelle apporte
plaisir et énergie, elle raffraîchit l’âme, chasse la tristesse, le mécontentement et les pensées
sombres, de même qu’elle prévient de nombreuses maladies”526. L’islam reconnaissant à la
sexualité une fonction de plaisir, se singularise par rapport au christianisme. Celui-ci, marqué
par la doctrine du péché originel, promet à l’homme une place au paradis où règneront la
pureté, la chasteté, idéal absolu que l’on peut commencer à pratiquer sur terre en s’adonnant
aux joies du célibat. Selon Al-Ghazali la sexualité sur terre propose au musulman une avance
sur ce qui l’attend au paradis. En effet l’islam promet un paradis dans lequel les fidèles
éprouveront la jouissance la plus totale grâce aux houris “vierges aimantes et d’égale jeunesse”527.
Prendre sur terre un avant-goût du bonheur grâce aux plaisirs de la chair, est en quelque sorte
une motivation pour vouloir accéder au paradis d’Allah528. Al-Ghazali donne des conseils
explicites dans Le livre des bons usages à propos des relations intimes que doit observer un mari :
“le mari se montrera d’abord caressant en paroles et en baisers […] Lorsque l’homme atteint
son but, qu’il attende sa compagne, afin que celle-ci également puisse satisfaire son besoin”529.
Ses propos montrent un respect pour la femme qui peut étonner : en effet, d’une part il a
critiqué le mariage mais d’autre part il se contredit sur l’amour. Al-Ghazali était un mystique
qui ne “trouvait que honte et animalité” dans l’acte d’amour :
La passion peut prendre la forme de l’amour ; ce n’est alors qu’un besoin sexuel qui
s’ignore. C’est une forme exaspérée de l’appétit bestial, car, outre que l’amoureux est
en proie à la passion sexuelle qui est la plus vilaine des passions et la plus haïssable,
il lui faut encore, pour la satisfaire, une personne, et une seule, alors que les bêtes
savent du moins la satisfaire n’importe où, à la première occasion qui s’offre530.
Les textes religieux laissent transparaître des approches différentes du couple. Dans certains
textes la femme a été conçue à partir de l’homme531, et plusieurs sourates laissent à penser que
l’homme et la femme font partie d’un seul être au départ et prônent à ce titre un
rapprochement entre eux532. De même alors que le récit hébraïque du péché originel accusait
Eve d’avoir tenté Adam, le Coran a attribué la faute originelle à l’homme autant qu’à la femme.
Malgré cette égalité reconnue devant la faute, le Coran frappe la femme d’infériorité et
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distingue homme et femme en introduisant une échelle de valeurs entre eux533. D’une façon
générale, le Coran reconnaît clairement à l’homme la supériorité, toutefois il préconise une
relation d’aide et de soutien entre les deux sexes. On doit à certains exégètes du Coran cette
insistance concernant le caractère inférieur de la femme, provoquant ainsi une scission entre
l’homme et la femme.
Le couple maghrébin se forme avec des attentes soufflées par la religion, inculquées au
jeune homme et à la jeune fille bien avant le mariage. Les jeunes hommes sont coupés du
monde des femmes, ce qui les amène souvent à avoir des pratiques homosexuelles palliatives,
mais comme la religion interdit formellement l’homosexualité, les jeunes vivent une sexualité
cachée, dans la honte. Pour qui a de l’argent, l’alternative est la prostituée. En ce qui concerne
la jeune fille, elle sait que son rôle consiste avant tout à satisfaire son mari, et si elle ressent des
désirs, la pudeur risque de les étouffer. A-t-elle même le droit d’avoir des désirs ? “Chienne en
chaleur” dira-t-on d’une femme qui exprime ses besoins sexuels et le Prophète lui-même,
voyant chez sa fille un émoi sexuel, lui passa de l’eau froide sur les fesses pour la calmer.
Hommes et femmes vivent dans deux mondes séparés. Depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte la
place et les attentes du groupe familial ou social ne sont pas les mêmes pour la jeune fille et le
jeune homme. Dès la plus jeune enfance, la hchouma, notion typiquement maghrébine que
l’on traduit par honte et pudeur, conditionne la vie de la fille. Cette notion de hchouma définit
ce qu’une femme peut et ne peut pas faire. Selon l’âge et la situation sociale ou géographique,
hchouma n’exprimera pas les mêmes interdits, et ne correspond pas forcément à des interdits
religieux. Si, vue de l’extérieur, elle peut sembler floue, elle s’avère au quotidien extrêmement
contraignante pour les femmes maghrébines534. “La hichma ou pudeur est la vertu cardinale de
la femme musulmane bien-née. Elle évoque la retenue, la discrétion et l’aptitude presque
immuable à accepter d’être un non-sujet de la société islamique”535. La houchma, avec les
nombreux interdits qu’elle implique, sert de socle à l’éducation de la petite fille afin d’en faire
une bonne épouse et une bonne mère, une femme soumise. Cela signifie qu’elle va être
préparée aux tâches ménagères et aux soins qu’elle devra apporter à sa famille, mais non à une
relation affective avec un homme et encore moins à une relation sexuelle. Paradoxalement les
textes religieux évoquent les plaisirs de la chair pour tous cependant comment la jeune fille
peut-elle allier sexualité et plaisir avec les interdits qui entourent sa relation avec l’homme ? La
jeune fille maghrébine, comme toutes les jeunes filles, rêve de l’homme idéal mais elle n’a pour
seul modèle que l’image de son père, de son frère ou de son cousin, ce qui explique en partie
la répétition des modes de fonctionnement traditionnels. Jeune et innocente, elle passe du foyer
parental au foyer conjugal sans avoir eu d’espace à elle.
Pendant ce temps le petit garçon va être éduqué comme un roi, il va apprendre que le
monde lui appartient et que la femme est là pour le servir. Son sexe sera très tôt mis en valeur536
de plus les rites de passage vers l’état d’homme se révèlent également valorisants pour son ego.
Le revers à ce tableau idyllique est l’angoisse ressentie par l’homme face à la femme, angoisse
qui lui a été inoculée tout autant par sa mère que par le groupe social537. L’homme arrive au
mariage avec une double représentation de la femme : la femme sorcière et la mère sainte538.
“L’enfer est peuplé de femmes”539, elles seules peuvent affronter Satan qui est le mal absolu, dit
la sagesse populaire. Dans le patrimoine culturel marocain de nombreux proverbes, chansons,
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dictons, histoires populaires diabolisent la femme. N’a-t-elle pas toutes les armes pour posséder
l’homme : la ruse, la séduction, la magie et la toute puissante maternité ? L’homme et la femme
n’auront pas l’occasion de relativiser les dires de la religion ou du peuple, ils en sont tous deux
pétris. Dans les mariages arrangés par les familles, des affinités éventuelles entre le prétendant
et la fiancée n’entrent pas en compte ; le mariage des jeunes scelle une alliance entre deux
familles. L’homme et la femme vont entamer une union en étant mal préparés à la vie de
couple. Ils ne font connaissance que lors de la nuit de noces. Mais homme et femme prennent
la place que leur assigne leur société. Lui, en se mariant, prend sa place dans le groupe des
hommes, puisque prendre femme signifie implicitement devenir chef de famille, étant entendu
qu’il devient père. Quant à la jeune fille, en se mariant, elle se coule dans le moule que lui a
préparé la société : devenir mère et prend sa place au foyer.
Il faut remarquer une différence importante entre le monde occidental et maghrébin dans
l’idée que l’enfant se fait du couple. L’enfant occidental a très jeune une représentation de
couple tandis que l’enfant maghrébin reçoit avant tout la notion de groupe. Une raison pour
expliquer cet état de fait est que la famille occidentale vise à l’autonomie de l’individu alors que
la famille maghrébine inhibe le sens de l’autonomie car elle prépare l’enfant à fonctionner en
groupe. Le mariage occidental représente un choix d’individus alors qu’au Maghreb l’union
consacrée a pour rôle de remplir les obligations vis-à-vis de la umma. Dans la famille
maghrébine chacun tient un rôle fixé d’avance par la tradition, indépendamment de sa
personnalité. La femme devenue épouse, prend le rôle de mère et l’homme celui de soutien de
famille. La langue arabe est ici aussi explicite. L’épouse se traduit par l’expression Er-rahîm qui
signifie liaison utérine540 : elle est la mère des enfants du père, quant à l’homme il est selon une
expression “le propriétaire de la maison”541. L’amour semble être un concept bien occidental et
appartenir au monde des rêves des jeunes gens maghrébins. “L’homme arabe aime sa mère et
sa soeur et quand il rencontre une femme maternelle et sororale, il l’épouse, excluant la notion
d’amour”542. Madelain ici met le doigt sur ce qui semble pré-destiné pour le maghrébin, il n’a
pas le choix de la femme en tant qu’individu à part entière qui lui permettrait de déterminer
sa nature d’homme libre. Prisonnier de l’éducation reçue qui l’empêche d’aller vers la femme,
il deviendra homme par l’exercice du pouvoir sur sa femme et sa famille. On comprend dès lors
que lorsque la littérature maghrébine543 laisse entrevoir l’intimité des couples, elle les montre
souvent comme déchirés. Il est quasiment impossible de trouver un texte racontant une
relation forte entre un homme et une femme, relation d’aide, de complicité amoureuse ou
intellectuelle. Le couple n’est synonyme que de mariage et de procréation “mariez celui d’entre
vous (homme ou femme) qui est célibataire”544 dit le Coran.
Les traités d’érotologie d’avant l’islamisation semblent loin545, la femme est devenue
simplement l’instrument de l’homme, les hommes n’ont pas retenu que Mahomet disait :
“Elles sont un vêtement pour vous, vous êtes, pour elles, un vêtement”546 ; ou encore :
“l’homme acquiert plus de mérites en dépensant son argent pour la femme qu’en le faisant pour
la guerre sainte”547. Tous les plaisirs charnels, sur terre ou au paradis sont des privilèges
masculins du fait de la supériorité reconnue de l’homme sur la femme. Toutefois si le Coran
privilégie le plaisir des relations sexuelles, il pose des limites car la sexualité possède en soi une
fonction sacrée : “elle est un de ces signes auxquels se reconnaît la puissance de Dieu”548. Cette
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sacralité explique que le Coran lui accorde un certain nombre de versets et en règle l’usage549.
Quant aux hadiths, ils renforcent et complètent abondamment le texte du Coran. L’interdit
alimente le désir et pousse à l’enfreindre, que ce soit sur un plan fantasmatique ou dans le réel.
Comment un écrivain musulman pris entre deux cultures vit-il les interdits de sa religion dans
un milieu social si éloigné du sien ? Son écriture répond partiellement à la question, l’étude du
couple dans les romans nous renseigne sur ce sujet.
2 LE
C O U P L E DA N S L E S RO M A N S
Trois types de couples, déclarés tels, se côtoient dans les romans de Chraïbi. Le premier se
compose classiquement du père et de la mère, le second d’un homme et d’une femme. Le
troisième est moins habituel puisqu’il s’agit d’un couple père-fille. Un quatrième couple, nondit, oeuvre du fond des profondeurs de l’inconscient, le couple dont le fantasme alimente
l’oeuvre : la mère et le fils.
• Le couple père/mère
Le couple parental dans Le passé simple propose une reproduction fidèle des traditions
maghrébines. Mariage arrangé entre lui, un homme beaucoup plus âgé qu’elle, et elle, une
jeune fille à peine pubère lorsqu’elle rentre “dans la maison qui lui servira de tombeau”. Père et
mère passeront toute leur vie ensemble sauf lors du pèlerinage du père –pèlerinage qui est en
fait un séjour au Caire où il dilapide son argent au jeu, en compagnie d’une maîtresse-.
Seulement à cette époque, elle quitte sa maison pour retourner vivre sous la tutelle de sa famille
à Fès. Le père assume le bien-être matériel de sa femme et de sa famille mais ne s’occupe en
aucune façon de l’aspect affectif. De même, la mère n’a pas reçu d’éducation, et si le père
surveille étroitement la scolarité des fils, il ne lui vient pas à l’idée que sa femme pourrait avoir
besoin d’éducation. Son attitude n’est pas celle d’un mauvais mari mais d’un homme opérant
selon la culture dont il est pétri. Son comportement correspond aux attentes de la société qui
a défini le rôle du mari face à sa femme. Est-il amoureux de sa femme ? A aucun moment le
lecteur ne perçoit de sentiment amoureux du père pour la mère, si ce n’est quelques fugaces
regrets après sa mort ; la mère, elle, aime son mari. Il a son monde, son travail, sa vie sociale et
amoureuse, elle n’a que lui et ses enfants : un couple traditionnel essentiellement raconté dans
sa fonction parentale. “Parler du couple semble une incongruité au Maroc, pis une
inconvenance, alors que la tradition d’érotologie est si grande dans la culture arabe, et que le
Coran renvoie au mariage et à la copulation”550, cela est certes curieux mais le couple dont parle
l’écrivain n’est pas n’importe lequel ; l’interdit posé par la société marocaine se trouve ici
renforcé car il s’agit du couple parental décrit par le fils. Le tabou concernant leur sexualité est
trop puissant. Ils sont les parents dont la réalité d’homme et de femme demeure ignorée aux
yeux des enfants. Nulle part Driss Chraïbi n’a écrit de texte amoureux se rapportant à un
homme et une femme musulmans, car une telle écriture l’aurait forcément renvoyé au tabou
du couple parental. Il préfèrera biaiser et aborder la sexualité en l’évoquant au travers du père
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avec ses maîtresses “le caïd baise, la tribu ne baise pas” (Le passé simple, 251), ou du couple
mixte, couple interdit par la charia (Les Boucs et Mort au Canada), ou encore du couple berbère
à associer au couple incestueux551. Il n’y a rien d’exceptionnel dans cette incapacité à voir la
sexualité parentale, ce qui est plus inhabituel, sans doute, se situe dans les détours utilisés pour
arriver quand même à l’exprimer. L’interdit qui touche tous les couples, d’une manière ou de
l’autre, nous renvoie, semble-t-il, au petit garçon bravant l’interdit en espionnant par le trou
de la serrure. “Un coït est un coït et j’entends par là l’acte hygiénique et reproductif. L’une des
attributions de ta mère” (248), ainsi est résumé par le père sa vie du couple. Le père, arrivé à
un certain âge, tombe amoureux d’une fillette. L’amour que sa femme ne lui a pas inspiré, il l’a
toujours cherché ailleurs sans avoir envie pour autant de l’institutionnaliser, comme l’aurait
autorisé la tradition, en prenant une ou plusieurs autres épouses. Le père a séparé sa vie en deux
domaines distincts : à la maison, il est le pater familias et en dehors il est l’amant amoureux. Le
couple parental s’avère le plus présent dans Le passé simple mais il revient aussi dans Succession
ouverte et dans La Civilisation, ma Mère. Dans le premier, le père est mort et la mère le pleure.
Elle évoque son désarroi pendant les dernières années de sa vie, lorsque le père s’était isolé pour
affronter seul sa souffrance. “Il souriait de son demi-sourire et j’aurais accouru sur les mains”
(167), ces mots pudiques témoignent de tout l’amour qu’elle portait à son mari. Le choix du
père de mourir seul, loin de sa femme, peut être interprété comme une marque du peu de
soutien qu’il escomptait de sa femme. Le testament le confirme : sa femme était à ses yeux un
être infantile incapable de gérer sa vie et qui ne peut que passer sous l’autorité de son fils. Mais
là encore, on peut se demander s’il disposait de l’éducation qui lui aurait permis d’approcher
autrement sa femme, de reconnaître sa valeur ? Ils ont tous deux rempli le contrat avec la
société de leur époque, aucun n’a tenté de s’en échapper. Il faut attendre La Civilisation, ma
Mère pour trouver une parole de tendresse du père pour sa femme : “j’aime bien ta nouvelle
coiffure, laissa-t-il tomber en même temps que la cendre de sa cigarette. Cela te dégage le front.
Tu es jolie, tu sais ?” (24). Le bonheur de cette jeune femme d’être admirée et la nuit amoureuse
qui s’ensuivit, ne furent que de courte durée, “quelques jours plus tard, retomba sur elle la
trappe de la colonisation” (25). Cette unique parole d’affection entre le père et la mère met en
relief la solitude dans laquelle vit la mère. Notons également avec quel cynisme le fils rapporte
cette anecdote, l’association -compliment et chute de cendres- montre avec pudeur la
compassion de l’enfant pour la mère.
Les trois livres présentent un point commun : la distance instaurée entre le père et la
mère, d’abord sous la forme de la mort de la mère, puis celle du père et enfin par le départ de
la mère pour la France552. Nous voudrions nous arrêter plus longuement sur les morts des
parents car, par deux fois, il s’agit de suicide. Nous l’avions déjà signalé, les suicides jalonnent
les livres de Chraïbi mais il nous semble que ceux de la mère, puis du père ont un autre poids
du fait de leur importance symbolique. Qu’est-ce qui peut amener un écrivain à “suicider” ses
parents ? Rappelons les circonstances. Dans le premier livre la mère, qu’on imagine désespérée
après la mort de son plus jeune fils et la tentative de coup d’état de Driss contre le père, se
suicide en se jetant de la terrasse. Le père accuse Driss de cette mort. Dans le livre Succession
ouverte, le père atteint d’une grave maladie choisit de s’isoler sur une île face à la mer. Il choisira
le moment de sa mort en avalant en une fois tous ses somnifères. Or, si l’on en croit Marie
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Bonaparte : “le genre de mort choisi par les hommes, que ce soit dans la réalité pour euxmêmes par le suicide, ou dans la fiction pour leur héros, n’est en fait jamais dicté par le hasard,
mais, dans chaque cas, étroitement déterminé psychiquement”553. Pour appréhender ce
“psychiquement déterminé”, nous nous sommes tournée en premier vers la religion. Sa
position en ce qui concerne le suicide est claire : le suicide est formellement interdit554 et de
nombreux hadiths le rappellent555. L’islam, sur ce point, ne différe pas des autres monothéismes,
la condamnation est unanime ; néanmoins, le sentiment fortement communautaire de l’islam
qui enlève à chacun le sens de l’individualité, fait que le suicide a une portée plus profonde chez
les musulmans. Le suicide est l’acte individuel par excellence et cet acte pourrait dévoiler la
disharmonie entre l’individuel et le collectif qui définit l’homme maghrébin. Dans sa tentative
de se situer entre les deux mondes qui l’habitent, Driss Chraïbi choisit le suicide comme un
acte d’ultime liberté. Un tel geste frappant l’un des piliers de la représentation de la morale
collective, c’est-à-dire le couple parental, constitue une prise de position totalement individualiste.
A une interprétation de caractère sociologique se superpose une lecture psychanalytique.
“Le psychiquement déterminé” du suicide peut s’expliquer par une manoeuvre de
l’inconscient. Basfao, le premier, a décelé derrière le suicide de la mère, une grande scène
oedipienne, “une tentative de contourner la barrière de l’inceste”. Le suicide de la mère serait
une manière de mettre un terme à l’attachement à la mère, la seule façon pour le fils de prendre
ses distances. Le suicide de la mère peut répondre également à une impulsion de vengeance
contre celle qui a refusé son amour et qui a refusé de devenir sa complice dans le coup d’état
contre le père. On peut également y voir la volonté du fils qui, faute d’avoir réussi à éliminer
le père, le gêneur dans la relation triangulaire, supprimerait la cause de la gêne, la mère. A
l’interprétation proposée par Basfao qui lit une scène oedipienne derrière le suicide de la mère,
Chraïbi, après avoir longuement réfléchi, et estimant que “chez nous il n’y a pas de complexe
d’Oedipe”, en a conclu que le suicide était en quelque sorte un signe du “refus que la femme
(la mère) soit un objet par rapport au mâle dominateur et autoritaire”556. Réponse intéressante,
car au début Chraïbi se défend d’être un de ces fils oedipiens et cela est éloquent dans la bouche
de quelqu’un qui se pique de connaître la psychanalyse. Plus tard, il présentera la mort du
personnage de la mère comme une preuve de son combat contre l’oppression des femmes.
L’argument laisse songeur. Notre opinion serait plutôt, en accord avec Basfao, que le suicide de
la mère évoque le “déplacement de la reine sur l’échiquier oedipien”557. La mère, disparue dans
Le passé simple, retrouve la vie dans Succession ouverte, où elle revient sous les traits idéaux, aux
yeux d’un petit garçon exclusif, d’une femme libre puisque veuve. Driss “avait sacrifié sa reine”
mais ce n’était que momentanément. Il la fait disparaître pour avoir le plaisir de la faire
réapparaître dans un fort-da littéraire558. Il utilise la même technique pour faire revivre le père
et la mère dans La Civilisation, ma Mère. Notons enfin que la lecture de la mort de la mère
dans Le passé simple laisse au lecteur l’impression que l’auteur n’y croit pas lui-même, car autant
les sentiments concernant le décès du frère et du père sont commentés, autant la mort de la
mère reste sans commentaire. Elle est annoncée à la dernière phrase d’un chapitre, sans
explosion de chagrin, ni description d’enterrement. Quelque chose d’inachevé donc auquel
l’auteur devra revenir. Le suicide est bel et bien suspect.
En ce qui concerne le père, son suicide apporte deux éléments sur la relation père-fils. Le
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premier est que l’image du père grandit avec la mort. La force de caractère que suppose
l’éloignement volontaire de la sécurité du groupe pour affronter la maladie et la mort annoblit
son image. La mort ne lui a pas enlevé la puissance qui le caractérisait. L’admiration du fils pour
son père révèle l’apaisement de la tempête pubérale. Le second élément ne concerne pas
directement le suicide mais les suites de sa mort ; il s’inscrit dans l’héritage laissé à ce fils-là.
Une partie de l’héritage concerne la vérité sur le père. Cette connaissance que lui seul détient
des conditions de la mort de son père l’élève sur un piedestal. L’autre partie de l’héritage
concerne un message symbolique : “creuse Driss”. La terre est le trésor le plus précieux pour le
Maghrébin, elle cache tous les trésors, matériaux précieux dont l’eau. Pour le musulman “fait
d’argile” et qui trouvera le repos éternel dans le “ventre” de la terre, la terre symbolise la vie et
la fertilité. Ce message est le dernier conseil d’un sage à son fils : la vérité n’est pas facile à
découvrir, il faut la chercher en creusant. C’est un chemin que le père propose à son fils en
guise d’héritage, il lui transmet la leçon qu’il a tirée de sa vie. Le fils sort de ce livre honoré par
le père, et le suicide est le secret qui scelle leur amour.
Dans La Civilisation, ma Mère les parents restent vivants mais leur couple a éclaté grâce
au fils. Le père a perdu son autorité, il n’est plus qu’un falot regardant évoluer le monde sans
le comprendre. La mère affranchie par son fils, a conquis sa liberté et ne se soucie plus du mari.
Il n’y a pas séparation mais deux vies qui se déroulent sur des chemins parallèles. Le livre
raconte la fin de l’emprise du père sur la mère, la victoire du fils pour se mettre entre le couple
parental. C’est le roman le plus limpide quant au désir du fils, la mère devient femme entre les
mains de son fils. Le fantasme d’inceste oeuvrant dans Le passé simple n’a pas été refoulé par le
suicide de la mère. Pour une raison ou une autre l’écrivain n’a plus besoin de la disparition de
la mère pour exprimer tout l’amour qu’il ressent pour elle. Le discours, en transposant cet
amour sur celui d’un père et sa fille, devient plus explicite.
Le couple parental a rempli le rôle que la société attend de lui. Il a inculqué à l’enfant la
soumission, le respect. Le voir évoluer a appris à l’enfant la place que doivent occuper homme
et femme dans le couple, la famille et la société. Les parents ont imprimé chez l’enfant une
image du couple dans lequel homme et femme ne sont pas sur un même plan, que ce soit par
l’âge, le sexe, l’éducation ou les sentiments. Driss Chraïbi va-t-il à travers ses personnages
reproduire ce couple qu’on lui a inculqué, lui qui hésite entre la révolte et la soumission ?
• Le couple homme/femme
Le premier couple homme-femme apparaît dans Les Boucs, second livre de l’auteur, paru en
1955. Il s’agit d’une histoire d’amour entre un “Noraf ” et une Française, Yalann et Simone,
amour inséré dans un ouvrage qui vise avant tout à dénoncer la misère des immigrés. Le thème
de l’amour réapparaît vingt ans plus tard dans Mort au Canada, histoire d’amour entre Patrik
et Maryvonne. Le texte principal est entrecoupé par un récit parallèle qui rapporte une autre
histoire, celle qui rapproche Patrik d’une petite fille, Dominique.
Dans les deux romans, il s’agit de couples mixtes et nous n’en sommes pas étonnée ; nous
avons déjà eu l’occasion dans cette étude d’évoquer la difficulté pour un auteur maghrébin de
transcrire l’espace amoureux dans le mariage de sa culture propre559. Et quand bien même il le
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fait, c’est pour y dénoncer le mauvais climat (les parents ou encore Azwaw et Hineb). Un
écrivain maghrébin se trouve dans l’incapacité de romantiser le couple maghrébin traditionnel
car il s’approche trop près du couple de ses parents, c’est pourquoi il choisit souvent de raconter
le couple mixte. Signalons deux exceptions dans l’oeuvre de Chraïbi. Dans La Mère du
Printemps, il raconte le couple d’Hineb et d’Azwaw, tous deux sont berbères ainsi on peut les
considérer comme proches culturellement du couple arabe. Elle est une jeune nubile trop
maigre pour “faire la femme”, Azwaw va d’abord la gaver, telle une oie. La jeune fille, terrorisée
par cette force de la nature, simule le plaisir pendant l’acte. Hélas elle n’arrive pas à donner de
descendance à Azwaw et devra recourir aux sortilèges “connus des mères des temps lointains”
(73) d’une vieille femme. Grâce à elle, Hineb dépassera sa peur, s’épanouira et enfantera. Et
alors qu’elle aime enfin son mari, ce dernier la répudie parce qu’elle ne peut pas allaiter. Cette
narration illustre le destin du couple maghrébin. La fonction parentale prime sur celle du
couple et si le mariage ne se déroule pas de manière satisfaisante (comme ici le
disfonctionnement d’une des fonctions maternelles) la répudiation s’ensuit. Chraïbi raconte,
dans le même livre, une deuxième fois un couple berbère, celui d’Azwaw et de Yerma,
description allant jusqu’aux détails de l’accouplement, couple que nous verrons ultérieurement.
Mais avant de surmonter ce tabou sur le couple maghrébin comme il le fait dans La Mère
du Printemps, l’auteur raconte le couple mixte. Yalann et Patrik vivent leur amour sans entraves
car leurs partenaires, Simone et Maryvonne, sont occidentales. L’action se situe en France et au
Canada, terrains plus ou moins neutres, mais qui le sont certainement plus que le Maroc. A
priori, ces couples ne risquent en aucune façon de ressembler au couple parental. A de telles
circonstances, il faut ajouter que ce serait sacrilège d’user de la langue du Prophète pour décrire
la vie sexuelle de relations interdites par le Coran. Driss Chraïbi brave l’interdit grâce à la
langue française, ainsi s’autorise-t-il des phrases telles que : le sperme “remplit” de bonheur au
début de la passion, mais à la fin le sperme “gicle” avec haine dans ce corps qu’il n’aime plus.
Les deux histoires d’amour (Yalann/Simone et Patrik/Maryvonne) vont connaître l’échec mais
pour des raisons à première vue différentes. Le premier couple est abattu par les assauts répétés
d’une vie de misère : pauvreté, exclusion, racisme, “amour dont les bases étaient le coït, la faim,
les détressses mentales –et sept condamnations de droit commun.” (18). Leurs étreintes sont
envahies par la peur et la colère (75). La mort du second couple incombe au caractère même
des protagonistes. Maryvonne, entraînée par la passion, veut posséder Patrik corps et âme. Elle
l’installe chez elle, l’habille selon son goût à elle, le contraint à changer d’habitudes, le coupe
de sa famille. Telle une mante religieuse, elle l’enserre dans sa toile. Patrik y trouve son compte
et se laisse faire. Il se rebellera, mais trop tard, quand Maryvonne, lassée de la dépendance de
son amant à son égard, va prendre ses distances : “Nous avons fait l’amour. Ni elle ni moi
n’avons perdu conscience pendant l’acte. Et il n’y a eu ni bonheur, ni durée, ni paix. Un simple
somnifère. J’ai mis longtemps à m’endormir” (Mort au Canada, 165).
Les deux figures masculines ont-elles des points communs ? Patrik semble à première vue
différent de Yalann ; c’est un séducteur, célèbre et sûr de lui, alors que Yalann manque
d’assurance. Avec le recul, Yalann donne l’impression d’avoir été une esquisse du personnage
de Patrik. Vingt ans séparent les romans. L’évolution du personnage masculin épouse celle de
l’auteur : un écrivain mal assuré à ses débuts, à qui le succès littéraire a donné un certain poids.
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Dans leur rapport aux femmes, ils se rapprochent, ils connaissent la même incapacité de vivre
sans compagne. Pour Patrik “toute sa vie avait été peuplée de femmes” (Mort au Canada, 29).
Pour lui comme pour Yalann lorsqu’une femme part, une autre arrive. Ils donnent tous deux
l’impression que les femmes sont interchangeables. Et ils ont du succès auprès du sexe opposé.
Patrik explique l’attirance qu’il exerce sur les femmes de la manière la plus simple : “Un être
que j’aborde ou qui m’aborde, je ressens et sens ce qu’il sent et ressent ; il me submerge des
pieds à la conscience parce qu’il est moi” (29). Arrêtons-nous sur cette phrase car elle semble
résumer le héros. Dans une relation, l’empathie est souvent un moyen de s’approcher de l’autre,
de le comprendre, mais dans le cas de Yalann et de Patrik, l’empathie ne joue aucun rôle, l’autre
est nié, ils ne l’appréhendent qu’en introjectant leur moi en lui : “il est moi”. Tous les héros de
l’oeuvre chraïbienne partagent la même structure mentale dans leur rapport aux femmes. La
femme en face n’existe que pour valoriser le héros. Ce qu’elle est ou a été n’intéresse pas
l’homme, ce qui fait dire à Simone (Les Boucs, 128) : “je ne t’ai jamais parlé d’elle, ni de mon
enfance, ni de mes joies, ces choses-là ne t’intéressent pas”. La première rencontre entre Patrik
et Maryvonne est un exemple des techniques amoureuses employées par le héros chraïbien.
Patrik, élégant désinvolte, fait parfois preuve de coquetterie infantile comme lorsqu’il s’étonne
que personne ne veuille croire qu’il a quarante cinq ans. Il ne craint pas d’utiliser tous les “trucs”
de séducteur. Il prête une oreille attentive à Maryvonne dont le métier est d’écouter, veut lui
donner l’image d’un homme compréhensif. Il sait dévoiler sa vulnérabilité pour l’attendrir,
mais également montrer sa puissance, faisant pleurer la femme de bonheur, la révélant à ellemême. Tant de complaisance vis-à-vis de soi-même laisse songeur. L’homme se montre sous son
meilleur jour tout en noircissant l’autre. Il a quitté Sheena enceinte pour cette femme. Après
avoir tout accepté d’elle et être devenu sa “chose”, elle l’a repoussé comme un vieux jouet qui
a perdu de son éclat. Il est manifestement le bon et elle, la méchante. Les portraits étonnent
par leur absence de subtilité. Mort au Canada, écrit après une rupture, ne retrace l’histoire que
d’une seule voix. A aucun moment, Patrik n’essaie de comprendre pourquoi leur histoire a mal
fini ou de s’interroger sur sa part de responsabilité dans l’échec de leur relation. L’autre, dont
sentiments et émotions sont tus, a tous les torts. Pour se reconstruire, l’homme-victime va
s’appuyer sur l’amour d’un enfant, et se redonner ainsi la position d’homme fort. Notons de
nouveau “le couple grand-petit”.
Mort au Canada est le seul roman à traiter de l’amour. L’écrivain s’y est exprimé en toute
liberté, d’un ton gaillard. Dans une interview, Chraïbi a reconnu que Patrik c’était lui. Le livre
a eu une fonction exutoire et lui a, semble-t-il, permis de faire le deuil d’une passion. La
relation homme-femme disfonctionne et elle apporte plus de douleur que de jouissance. De
même que le suicide révèle le frottement entre l’individuel et le communautaire, le couple
mixte exprime la difficulté pour un écrivain maghrébin de se construire entre un islam chargé
de traditions communautaires et un Occident prôneur d’individualisme. L’écartèlement frappe
la relation amoureuse et la détruit.
• Le couple père/fille
L’individu souffre avant tout de ne jamais sortir du conflit auquel il est en proie. Les
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prohibitions sociales lui interdisent un certain nombre de choses, il délègue alors le
héros à sa place. Le héros est donc celui qui résout le conflit dans lequel se débat
l’individu560.
Driss Chraïbi fait s’exprimer son héros en français pour s’interroger sur l’âme humaine et sur
sa spécificité maghrébine. Par l’écriture il tente de comprendre deux choses : l’une, inhérente à
tous les hommes, est le réglement de l’épisode oedipien, l’autre, plus spécifique de l’homme
maghrébin occidentalisé, est le tiraillement entre le communautaire et l’individuel. Les deux
sont étroitement imbriqués. Ainsi le problème qui se pose pour Driss Chraïbi est de garder la
spécificité de son “moi” dans un groupe dominant, la umma, qui décide pour lui jusque dans
les replis de l’intime. L’écriture chraïbienne montre cette confrontation à travers un rapport à
la mère très fort accompagné d’un refus de rentrer dans un moule global, et dans la volonté
farouche de maintenir son individualité. Cette volonté pourrait révéler le désir de rester dans
un rapport duel, incestueux. Chraïbi rapporte ce désir sous diverses formes, on le devine caché
derrière différents personnages, et l’inceste, qui ne s’avoue pas comme tel, se répète pour
montrer le fils emprisonné dans le désir de la mère. Il semble que la solution trouvée par
l’inconscient pour se dégager de la fusion mère-fils, consiste à opérer un déplacement du
fantasme de l’inceste. Le couple mère-fils prend les traits du couple père-fille, qui, lui, passe à
l’acte, et ce faisant libère le fils de l’étreinte maternelle. Pour analyser cet univers un peu trouble
et qui ne se laisse pas facilement saisir, l’apport de la théorie est essentiel.
Psychologues, psychanalystes, éthnologues, anthropologues, sociologues ou encore
exégètes ont étudié l’inceste. Nous ne présentons que l’essentiel de leurs théories. Le mot même
d’inceste serait apparu dans les écrits religieux vers 1350, il vient du latin “incestus”, c’est-àdire non chaste, impur, souillé. Toujours d’un point de vue général, l’inceste est la transgression
de l’interdit d’une relation sexuelle entre individus dont les degrés de parenté sont définis dans
chaque culture. Les chercheurs qui se sont penchés sur ce fait social et familial, ont apporté des
définitions qui ne se recoupent pas toujours. Pour certains l’idée d’inceste s’applique
exclusivement dans le cadre des liens du mariage, pour d’autres ce cadre s’élargit aux liens du
sang. En ce qui concerne l’origine de l’interdit de l’inceste, elle sépare également les chercheurs.
Certains comme Edouard Westermarck561 l’ont expliquée par une aversion innée chez l’humain
pour de telles relations sexuelles entre les membres d’une même famille. La plupart des
chercheurs désapprouvent cette explication relevant de l’inné et considèrent qu’il s’agit d’un
comportement acquis. Un regard tourné vers le passé et vers d’autres zones géographiques
confirme ce point de vue car l’inceste n’a pas toujours été interdit. Durant les premières ères de
l’histoire de l’humanité, l’inceste est même encouragé car il permet de préserver les biens de
chaque tribu. Encore récemment, des tribus562 vivant en totale autharcie pratiquaient l’inceste,
et pour les mêmes raisons. L’inceste n’était pas non plus interdit chez les anciens Egyptiens, il
était même obligatoire pour le pharaon afin de conserver la pureté de la race. Ainsi le pharaon
Aménophis III563 épousa sa propre fille Satamon et son fils aîné, le mari de Néfertiti épousa sa
plus jeune fille lorsqu’elle eut 11 ans. Plus proche de nous, il n’y a pas si longtemps dans
certaines régions de France, de nombreuses défloraisons de jeunes filles étaient le fait de leur
père564. On rencontre des pratiques similaires en Sibérie du Nord dans une tribu qui interdit les
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mariages incestueux mais accepte que les filles perdent leur virginité avec leur père ou leur frère.
La prohibition de l’inceste n’est ni universelle ni de tous temps mais la plupart des sociétés
à des époques et des lieux éloignés l’ont prohibé. Chez de nombreux peuples, il provoque une
réaction de répulsion, par exemple en Chine ou en Indonésie où l’on ne prononce même pas
le nom, on préfère parler de “désordre répugnant”. Nous considérons donc avec Claude LéviStrauss565 que la prohibition de l’inceste est universelle à condition de lui accorder une
interprétation assez large. Si dans certains groupes on tolère des pratiques moins rigides, un peu
partout on interdit le mariage entre proches parents. L’inceste, inscrit dans l’histoire de
l’humanité depuis fort longtemps, est, comme tous les mythes fondateurs, le miroir de
l’inconscient humain. Pour preuve, Sophocle nous a raconté la même histoire que celle
rapportée par les Indiens du fin fond du Brésil566.
Quand à un certain moment l’inceste est frappé d’interdit, il nous revient de savoir
pourquoi. La plupart des savants défendent la thèse d’une origine sociale du tabou. Le but
serait de préserver les structures sociales et/ou familiales567. Pour Emile Durkheim568 l’intimité
de la vie de famille éveille des désirs, sources de désordre dans la cellule de base de la société et
il faut donc contenir cette agitation en interdisant l’inceste. Mais comme l’a relevé Edward
Taylor569 c’est la volonté d’harmoniser les relations avec les tribus voisines qui a motivé le plus
profondément cet interdit. Choisir d’interdire les relations entre membres de la famille
signifiait s’ouvrir aux autres tribus. La conséquence en était que les liens tissés entre les tribus
diminuaient les risques de conflit. Ce nouveau fonctionnement va au-delà d’une
harmonisation des rapports ; Claude Lévi-Strauss570 explique que de telles alliances représentent
une “nécessité de l’échange”, et elles sont un des marqueurs du passage de l’état de nature à
celui de culture571. Selon lui, l’interdit de l’inceste se fonde sur des lois naturelles universelles,
mais s’exprime culturellement dans des lois établies par la société. La prohibition de l’inceste
ne dépend pas toujours des degrés de parenté réels, mais du rapport social qui attribue à
certains individus les rangs de père, de mère, fils, soeur etc. La prohibition de l’inceste apparaît
donc moins comme une règle touchant le mariage qu’une prescription sociale instaurant le don
à autrui, l’échange à la base de la société. A ce titre, on peut considérer que l’interdit de l’inceste
représente un acquis important pour l’homme sur le chemin de la socialisation. Avant LéviStrauss, Freud572, s’inspirant des travaux de Charles Darwin573, avait déjà justifié l’interdit de
l’inceste comme une nécessité pour l’homme de passer de l’état de nature à l’état de culture. Il
illustre son propos par l’histoire mythique du “Père de la horde”, qui en des temps reculés
possédait sans partage femmes, enfants et biens. A un moment les fils s’associèrent pour le tuer
et prendre sa place. Après le meurtre du Père, les fils se déchirèrent entre eux pour la possession
des femmes. Ils édictèrent alors une loi pour mettre terme à des querelles dangereuses pour le
maintien du groupe, celle d’interdire à chacun de convoiter sa propre mère ou sa soeur, et par
extension une femme du même totem. Ce récit mythique illustre deux pulsions fondamentales
de l’homme qui sont freinées par la prohibition de l’inceste : le désir d’épouser sa mère et celui
de tuer son père. Que la perspective freudienne du “Père de la horde” soit depuis remise en
question574 importe peu, ce qui demeure, c’est qu’un enfant cherche toujours à accéder à la
sexualité de son parent, et que la barrière de l’interdit de l’inceste empêche la réalisation de ce
désir. “L’inceste est l’acte profanateur absolu […] parce que dans cet acte le fils pénètre dans la
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mère dont il est sorti”575, cela signifie une autre dimension, celle de la confusion de sens entre
l’origine et la fin, en d’autres mots la naissance et la mort. La prohibition de l’inceste rappelle
aussi l’impossible relation qui bouleverse l’ordre des générations. Au père revient la tâche vitale
de signifier l’interdit de l’inceste576.
Dès qu’elles étaient pubères, elles devenaient comme ma mère, il fallait que je sois
en elles, dans leur ventre” dit un “inces-tueur” parlant de ses filles577.
Que se passe-t-il d’un point de vue psychologique dans une relation incestueuse578 ? On
relève une majorité de passages à l’acte de pères avec leur fille ou belle-fille, et très peu de cas
de mères et de fils. Cette quasi-absence ne signifie pas que l’inceste mère-fils n’existe pas mais
elle renvoie à un tabou qui pèse encore plus lourdement. On peut l’expliquer par la charge
fantasmatique qui entoure l’enfantement mais également parce qu’il est plus difficile pour un
garçon de se montrer en position de victime face à une femme, fût-elle sa mère. Que vit
“l’inces-tueur”579 lorsqu’il passe à l’acte ? La plupart des comptes-rendus d’expertises parlent de
pères lucides sur leur acte mais enfermés dans un narcissisme démesuré dont l’autre est exclu.
Ces hommes ont une absence totale d’empathie, ils contrôlent tout à partir de leur propre désir.
L’enfant est nié, rendu transparent pour que puisse s’y substituer l’image projetée de l’objet
originaire perdu, car curieusement “le point de départ d’une histoire qui aboutit à un inceste
est toujours, et quoiqu’il puisse en paraître, maternel […] il devient l’inces-tueur de sa fille pour
se venger de sa mère inces-tueuse”580. Cet inceste originel a été autorisé par le père qui n’est pas
intervenu pour signifier la séparation d’avec elle parce que lui-même a eu “une mère à teinture
incestueuse ; on ne voit plus la fin de la spirale. Les victimes d’inceste ne sombrent que rarement
dans la folie car même si l’inceste est vécu comme un acte grave et violent, il n’empêche pas de
vivre. La gravité du passage à l’acte vient du rejet, de la négation de la filiation : “poser le lien
généalogique, c’est en même temps exclure le rapport sexuel […] le lien affirmatif de la filiation
et le lien négatif de la prohibition de l’inceste sont une seule et même chose”581. En reconnaissant
son enfant, le père lui confère une place, et si ensuite il lui nie son existence en le faisant passer
de sujet à objet, il rejette la filiation582. L’enfant qui, dans des fantasmes ludiques prend un rôle
maternel à l’égard de l’adulte, en restant au niveau de la tendresse, est en face d’un adulte qui
confond ce jeu avec celui d’un adulte à la maturité sexuelle, et lui répond par le langage de la
passion. Ferenzci a parlé à ce sujet de “confusion des langues”583. L’enfant se sent toujours
responsable, il se sent coupable d’avoir induit ce type de rapport. “Il n’y a pas d’inceste
heureux”584, telle est la conclusion des praticiens concernant l’inceste. Le tabou de l’inceste est
au fondement de la culture car il sépare le sujet de la jouissance de l’autre maternel. L’interdit
primordial est intrinsèque au désir, lequel désir est constitutif de l’être humain et la loi interdit
la pulsion pour précisément élargir le désir à l’autre.
Les textes religieux ont pris position par rapport aux relations incestueuses. L’Ancien
Testament évoque sans s’y arrêter ni le juger l’inceste d’Abraham qui épousa sa demi-soeur
Sarah. Un autre épisode de la Bible -Loth, le père enivré et violé par ses filles- éveille quant à
lui, malgré les impératifs de la survie de la race, des réserves. Le christianisme comme le
judaïsme condamnent dans la pratique très fermement les relations incestueuses. La position
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de l’islam ne diffère pas fondamentalement : il n’y a point de nikâh585 légal entre ascendants et
descendants, entre latéraux et collatéraux, entre oncles et nièces et entre tantes et neveux. La
sourate des femmes interdit explicitement le mariage avec les proches parents586 car “cela
diminue la passion charnelle [...] seulement excitée par la force des sensations de la vue et du
toucher ; or cette sensation ne devient forte que si l’objet est étranger et nouveau” expliquera
Al-Ghazali587. Interdire les relations incestueuses pour “désérotisation” est un argument original
et propre à la religion musulmane. Bouhdiba signale une autre particularité de l’islam, la
graduation des interdits sexuels, par exemple l’interdit qui frappe l’homosexualité est plus fort
que celui de l’inceste : “C’est que le grand tabou sexuel de l’islam n’est pas tant de ne pas
respecter un rapport de parenté que de violer l’ordre du monde, la bipartition sexuelle et la
distinction du féminin et du masculin”588. La sexualité entre un adulte et un enfant n’est pas
explicitement interdite par le Coran. Dans la doctrine Malékite589, la plus répandue au
Maghreb, le coït pratiqué sur une fille impubère et de ce fait considérée trop jeune pour
éprouver des émois sexuels, n’est pas un acte de fornication passible d’une peine. Plus l’enfant
est jeune moins l’acte est grave, à l’opposé des moeurs occidentales pour qui, plus l’enfant est
jeune, plus l’acte est jugé barbare. La logique mâlékite s’explique par l’analogie qui est opérée
entre un animal et un enfant, tous deux sont considérés comme asexués puisqu’ils n’éprouvent
pas de plaisir sexuel. Le tabou majeur de l’islam réside dans le non-respect de la bipartition
sexuelle et des règles du mariage.
Une dernière caractéristique, propre à la culture musulmane, relevée par El Bachari590 met
en évidence la différence entre le rapport incestueux fille-père et celui fils-mère. En ce qui
concerne la fille, le père a un droit de regard sur elle, à l’exception de tout autre homme. La
femme, voilée au regard des autres, fait bénéficier en exclusivité le père de la jouissance visuelle
de son corps interdit. De plus se crée entre fille et père une relation de maternage induite par
les soins qu’un homme est en droit d’attendre de la part de sa femme et de sa fille. Cela peut
sur un plan fantasmatique prêter à confusion. Pour El Bachari l’élément culturel renforce les
conduites incestueuses. La relation fusionnelle entre le fils et la mère, chargée des projections
de celle-ci sur son petit homme, accentue les tendances incestueuses. On voit comment la
tradition participe à la difficulté de respecter l’interdit. En arabe, il n’y a pas de mot, ce qui
tendrait à laisser croire que l’inceste n’existe pas. Or si on lui accorde une large définition, le
mariage incestueux est dans une grande partie de cette région du monde, dont le Maghreb, le
mariage idéal. Traditionnellement on préfère “garder les filles de la famille pour les garçons de
la famille”591. Marier son fils à sa cousine germaine, fille d’un oncle paternel apparaît comme
une garantie de réussite d’un mariage “les gens aiment épouser la fille de leur oncle paternel,
comme ils aiment manger la viande de leur élevage”592. L’union endogame présente entre autres
l’avantage d’éviter le partage avec des étrangers potentiellement néfastes pour la famille.
Toutefois insistons sur le fait qu’il s’agit d’inceste au sens large et qu’au Maghreb l’interdit de
l’inceste concernant la famille proche et les personnes avec qui on a des liens de lait, est très
fort. Comment une société où le meilleur mariage est celui unissant le garçon à la fille du frère
de son père a-t-elle pu cohabiter avec une société qui interdisait, il y a encore peu de temps, le
mariage avec les cousins de la 7ème ou 10ème génération ? Les écrivains entre le Maghreb et
l’Occident doivent assimiler des items culturels opposés. Le fantasme d’inceste flotte dans
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l’imaginaire de la plupart des hommes sans que cela entrave leur fonctionnement social. Il
alimente dans la plupart des cas la littérature car qu’est-ce qui est plus naturel que le fantasme
qui pousse le garçon vers sa mère ? Dans l’oeuvre de Driss Chraïbi, nous retrouvons tout cela,
mais différemment dans La Mère du Printemps et dans Naissance à l’aube.
Quand la proximité affective devient trop grande pour laisser place au rituel, quand
chacun confond ses désirs avec ceux du partenaire, l’acte sexuel avec un autre
ressemble à un acte sexuel avec soi-même593.
Azwaw ne définit ses relations avec les femmes qu’au travers du sexe, le sien :
Sa première épouse qui était morte un soir d’été en plein orgasme avec un curieux
couac, la seconde qui s’enveloppait toute avec sa toison d’or comme d’une
couverture et dont il activait le ventre de ses mains pour le préparer à l’acte, sa fille
Yerma surtout qui lui ressemblait sexe pour sexe (52).
Il est l’acteur majeur d’une relation fusionnelle qu’il instaure avec sa fille, écartant d’abord la
mère, puis la nourrice. Yerma l’accompagne partout et devient tout naturellement sa femme :
“étreignant Yerma, il la fait jouir à cris de vie et de mort et de résurrection et répand sa semence
d’homme dans son jeune corps aux formes menues et pleines à la fois” (113). C’est d’ailleurs
si naturel qu’à aucun moment, on ne trouve de commentaires, critiques ou encore justification
d’un tel amour. Azwaw, lui-même n’a pas connu son père, il a été élevé par une mère qu’il
vénère. A son tour il est seul à s’occuper de sa fille, il l’élève d’une manière animale, comme
une femelle le ferait avec ses petits ; Yerma bébé était nourrie par son père qui lui enfournait
des petites bouchées, au préalable “mastiquées et salivées” par lui ; “l’eau [...] le lait, le miel :
directement de bouche à bouche” (La Mère du Printemps, 89). Quelques années plus tard, une
épidémie frappe la tribu, elle va rapprocher encore plus père et fille : “Elle a neuf ans [...]. C’est
à cette époque qu’ils ont pris l’habitude de dormir dans la même couche” (104). Et si Azwaw
fait tout pour sauver son peuple, il se dit aussi que “s’il ne devait subsister au bout du compte
que lui et Yerma, eh bien ! ils seraient capables à eux deux de faire germer une tribu
nouvelle”(106). Le jour où Oqba, messager de l’islam, arrive, Azwaw regarde sa fille :
Comme si elle était l’avenir immédiat de son peuple” et de nouveau ils s’aiment
dans le fleuve, l’Oum-er-bia : “C’est dans l’eau, y plongeant et la faisant éclabousser
à quatre bras et quatre jambes, qu’il l’a prise tout à l’heure, de toutes ses forces
païennes […]. Et si des curieux, mâles et femelles, se sont penchés le long des rives
pour boire des yeux leurs ébats aquatiques, eh bien ! qu’ils en fassent autant [...]. Il
est fier de sa fille presque autant que de lui-même : elle n’est jamais fatiguée (164).
L’amour qui unit père et fille appelle un développement. La première remarque que nous
voudrions relever touche à la position de la mère. Le personnage de la mère disparaît après la
naissance de sa fille Yerma, et ne revient qu’après l’épidémie. Le tiers -en l’occurrence la mère-
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exclu par le père, la relation entre Azwaw et Yerma a pu s’installer sans rencontrer d’opposition.
Plus tard, mise devant le fait accompli, la mère accepte la situation. La position des mères face
à l’inceste soulève des questions. Il est établi que dans les familles incestueuses un équilibre
familial se met en place grâce au cautionnement de la mère. Autrement dit l’absence de la mère,
absence réelle ou démission de sa part, quel que soit le degré de conscience ou de responsabilité
dans cette absence, est la condition au passage à l’acte. C’est ce qui se passe dans le roman.
Hineb est une femme qui a souffert et lorsqu’elle réapparaît après sa répudiation, la relation
existe déjà entre son mari et sa fille. Que peut-elle faire d’autre que de fermer les yeux et de
conforter par ailleurs sa place auprès d’Azwaw par une nouvelle grossesse ? Sa position de
femme répudiée et sans famille ne lui laisse aucune alternative. L’arrivée du deuxième enfant,
un fils, lui confère l’assurance qu’apporte la naissance d’un garçon, et qu’elle n’a pas eue à la
naissance de sa fille. Le compromis semble la satisfaire. L’écrivain n’est pas explicite sur les
sentiments d’Hineb, la psychologie féminine lui échappe à cause de son manque d’empathie.
Le seul personnage que l’auteur sait décrire, se résume à une femme conforme à la tradition,
femme soumise, répudiée, honorée en mère de fils et acceptant la bigamie. Liberté est laissée
au lecteur d’interpréter le comportement d’Hineb. Le retour de la mère signifie une nouvelle
répartition des rôles, une situation de bigamie s’installe tout naturellement. Azwaw satisfait les
deux femmes, et cette réalité ne semble pas être un problème pour Hineb, alors que Yerma vit
très mal la présence de sa mère et l’obligation de partager son amant avec elle : “Yerma lui
adresse à peine la parole, a souvent mal à la tête, surtout à l’approche de la nuit” (164). Yerma
vit un amour exclusif et passionnel pour son père, alors que Hineb, heureuse d’avoir retrouvé
son mari, s’épanouit dans la maternité et dans la sexualité : “La main d’Azwaw. Dès qu’elle
ouvre les yeux, le premier geste d’Hineb est d’embrasser cette main-là” (49). A deux reprises,
Driss Chraïbi décrit une scène d’amour entre Azwaw et Yerma (113-164), et à chaque fois suit
une description de visite amoureuse d’Azwaw à Hineb. Cette juxtaposition des scènes d’amour
tend à démontrer, au-delà de la démonstration de la virilité puissante d’Azwaw, que peut-être
une espèce de culpabilité l’oblige à honorer sa femme légitime.
Si la relation incestueuse est étonnante, le comportement du père ne l’est pas moins. Il
s’est arrogé un rôle maternel, comportement déjà atypique pour un homme, atypie encore plus
forte de la part d’un Berbère vivant en des temps reculés. L’action se situe vers 680 dans une
tribu berbère, époque et lieu où le père était déjà désigné comme le grand absent de l’éducation.
L’amour immense du père pour son enfant fait basculer deux piliers forts et de la culture
maghrébine et de la religion musulmane : la place de l’homme dans la société et la distance qui
doit exister entre un père et sa fille. Les deux piliers sont reliés dans un rapport de cause à effet :
pour un homme, tenir un rôle maternel entraîne une trop grande promiscuité dont le risque
pourrait être le passage à l’acte incestueux. Tous les pères n’y sont pas exposés pareillement,
Azwaw, lui, a franchi le seuil. Pour certains, le deuil du désir d’un impossible accouchement de
l’enfant n’ayant pas été réalisé rend insupportable une fonction paternelle différente de la
fonction maternelle. Il devient alors père incestueux, car en soumettant l’enfant à “une
communauté d’expériences physiques”, il se transforme en une mère toute puissante594. Cette
situation signifie aussi la reviviscence d’un plaisir redouté, celui exercé par sa propre mère.
Balançant entre la nostalgie d’un tel plaisir et la crainte d’être absorbé, la relation incestueuse
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du père avec sa fille réactualise cette ambivalence. Azwaw nourrit une relation d’adoration et
d’exclusivité pour sa mère, n’est-ce pas la raison qui le classe parmi les pères à risque et explique
le passage à l’acte ? Un autre aspect a retenu notre attention, il se résume dans la phrase
suivante : “Ils (Azwaw et Yerma) seraient capables à eux deux de faire germer une tribu
nouvelle” (La Mère du Printemps, 106). Cette remarque s’inscrit d’une part dans la tradition du
mariage endogame, à savoir le désir de se marier “entre soi”, ne pas se mélanger avec des
étrangers pour garder ses biens595. Le personnage d’Azwaw remplit alors parfaitement ses tâches
de patriarche, de chef de la tribu. D’autre part, la phrase citée ci-dessus évoque aussi les textes
bibliques : Loth forcé à l’inceste par ses filles qui n’ont que ce moyen pour perpétuer la race.
Azwaw semble vouloir justifier la relation incestueuse par une volonté “d’état”, si l’on peut dire,
de faire perdurer sa tribu ; les intérêts politiques et privés se côtoient :
C’est Yerma qu’il regarde comme si elle était l’avenir immédiat de son peuple [...]
Les cheveux dégoulinants, sa robe trempée, collée à son corps comme une seconde
peau et fumant au soleil levant, elle balance le buste, rejette la tête en arrière dans
un mouvement de défi (163).
Mais le défi lancé à la morale trouve sa sentence dans la stérilité accusatrice de la relation
incestueuse, Yerma tous les mois a “sa dette”596. La lecture de ce passage amène Montserrat-Cals
à voir dans Yerma “l’origine sacrée de la tribu”597. Yerma est associée au fleuve nourricier, fille
et femme du chef, elle fait figure de mère de la tribu que les Berbères en exil garderont au fond
d’eux. Azwaw, le père et le chef met sa création, sa fille, à la place de sa femme, l’étrangère à la
tribu. Azwaw et Yerma forment le vrai couple de l’origine. Cette interprétation est
extrêmement séduisante, mais nous ne pouvons nous en contenter comme justification de cet
amour incestueux. L’unique histoire d’amour de Driss Chraïbi finit mal comme toutes les
grandes histoires d’amour, les deux amants meurent le même jour. Les dernières pensées de
Yerma seront pour son père :
La porte va s’ouvrir […] Azwaw va entrer, la prendre dans ses bras, la connaître et
la remplir de sa semence, comme autrefois. Il est là, dans l’Oum-er-Bia, nageant
avec elle entre deux eaux tandis que son membre frétille en elle et la soulève […]
peut tout, mon père. Il est le Maître de la Main. Il va me faire redevenir petite, toute
petite [...]. Il va m’inonder de son lait ... et ... et son lait va couler de mes seins.
(Naissance à l’aube, 71)
On peut se demander qui est le vainqueur dans cette histoire à trois personnages ? La première
femme a connu l’amour d’un homme qui l’a utilisée pour son bon vouloir pour ensuite la
répudier et lui préférer l’amour de sa fille ; de plus les quelques mois de plénitude que lui ont
apportés son fils sont une maigre compensation à une vie aussi douloureuse. La seconde
femme, Yerma, n’a connu l’amour que d’un seul homme, son père ; amour qui l’a tellement
remplie qu’il l’a coupée de l’amour d’autres hommes et femmes. Privée de l’amour de sa mère,
elle ne partagera pas l’amour de son mari, et ne sera pas aimée de son fils. L’immense amour
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qu’elle éprouve pour son père lui fera connaître la jalousie vis-à-vis de sa mère, la souffrance de
la séparation, la douleur de sa vie de mère ratée, et enfin la honte, premier symptôme de la folie
qui finalement l’entraîne dans la mort. “Quand un et un font deux, lequel des deux s’est trahi
pour faire deux” demandait Socrate. La réponse est claire, Azwaw est un père dévorant. Il prend
tout pour construire son univers à lui. “Certains ne peuvent s’approcher de l’autre qu’en le
devenant, du coup l’approche est nulle. L’autre s’efface en soi, l’entre-deux est aboli”598. Et sans
espace d’entre-deux, il ne peut y avoir ni reconnaissance de l’autre ni échange, c’est forcément
fatal pour l’un des deux.
L’arrivée de l’islam va censurer cette relation triangulaire. Hineb tuée et Yerma enlevée,
le destin d’Azwaw est scellé. Pourtant cet amour ne va pas s’éteindre et le père, utilisant l’islam
et devenant son porte-parole, va parcourir le monde à la recherche de sa fille. Il la retrouve et
leur passion perdurera jusqu’à l’union totale pendant l’accouchement de Yerma. Cette suite est
relatée dans le second volume, Naissance à l’aube. Yerma, devenue la femme d’un haut dignitaire musulman, ne parvient pas à mener à terme ses grossesses. De nouveau sur le point
d’accoucher, sa vie et celle de l’enfant sont en danger, car l’expulsion ne se fait pas. Son père
arrive à temps pour l’aider à mettre au monde son enfant et ainsi la sauver. Mais arrêtons-nous
à l’accouchement qui impressionne par sa force dramatique. Yerma et son enfant frôlent la
mort : “Tous deux se débattent pour vivre. L’un contre l’autre” (Naissance à l’aube, 154). Le
“contre” est révélateur de la relation entre la mère et l’enfant in utero, la mère ne veut pas de
l’enfant, car il n’est pas de Azwaw. Le père fait sonner son luth pour faire “monter la langue des
temps anciens”. Cette musique les ramène à l’époque des Berbères, à l’époque où le père et sa
fille vivaient ensemble, Yerma revoit le passé, la scène sur le rocher blanc lorsque son père allait
arriver, le temps du bonheur. La description de l’accouchement retrouve les accents de la scène
d’amour qui se joue entre le père et sa fille “la jouissance de la création”. Les mots disent l’acte
sexuel :
Sa main gauche glisse sous les fesses de Yerma, les masse et les pétrit [...] cependant
que sa droite fourrage dans la toison couleur de maïs, délicatement déblaie les poils,
sépare, déplie, étale les lèvres de la vulve [...]), lui succède la bouche d’Azwaw, qui
souffle dans le sexe à pleins poumons [...]. Doux et ferme comme une verge
d’homme, un index lui crève la poche des eaux”. (161-162).
Les mots racontent aussi la naissance :
Il guida l’enfant dans les méandres noirs du tunnel […] Il l’encouragea dans ses
premiers pas […] il lui indiqua le chemin qui menait à la lumière du jour [...] de ne
regarder en aucun cas en arrière599–sinon il risquerait de se noyer dans le fleuve de sa
mère. Il trancha le cordon ombilical [...] oignit ses membres, graissa son palais pour
faire remonter la luette, souffla dans son nez pour dégager les cavités du cerveau (163).
Ses fonctions d’obstétricien remplies, Azwaw accomplit un geste symbolique en abreuvant le
nouveau-né, bouche à bouche, de l’eau du fleuve de l’origine, l’Oum-er-bia et “de la pointe de
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son couteau” qui avait coupé le cordon ombilical, il s’arroge le rôle du père, en nommant
l’enfant: “il traça sur le battant (de la porte)600 un nom arabe en caractères arabes : Mohammed”
(165) .
Au-delà du plaisir de la lecture d’un beau texte littéraire, il y a, avouons-le, une certaine
jubilation à pénétrer un monde interdit et mystérieux. L’atmosphère y est solennelle, nous
n’évoluons plus dans les couches du simple mortel mais abordons les rives du mythique.
Hymne à l’amour, à la puissance de la nature, de l’eau, du sang, on en oublie presque que les
deux personnages du texte sont père et fille. Yerma a refusé l’enfant, “cet étranger” car il n’est
pas celui d’Azwaw. Elle a fortement désiré un enfant de son père, non pas comme toutes les
petites filles le désirent sur un plan fantasmatique, mais dans le réel. Seul, son père pouvait
l’autoriser à expulser l’enfant de l’autre. Rien d’exceptionnel au fait que sa fille lui accorde un
tel pouvoir ; cet homme est plus que polyvalent, il remplit le rôle du nourricier, de l’amant,
puis celui de l’accoucheur, du pédiatre et enfin celui du père. Dans un livre occidental, Azwaw
remplirait déjà des fonctions invraisemblables, mais dans un contexte maghrébin
l’invraisemblable se trouve démultiplié. La dichotomie qui sépare le monde des hommes et
celui des femmes rend la présence du père/grand-père tout à fait inconcevable dans un lieu de
femme.
De plus, la parturition amène à évoquer un autre tabou de l’islam qui est le sang : “la
naissance demeure le plus terrifiant pour l’homme, non pas les cris de la mère mais le sang de
l’entaille”601, le sang rejoint cette notion de pur et impur qui régit les lois de la société
musulmane. L’accouchement de Yerma par Azwaw interpelle le lecteur presque aussi fortement
que l’inceste. Dans une culture où le sang est tabou et les notions de pur et d’impur strictement
codifiées, Driss Chraïbi de nouveau se marginalise. Il récidive car, déjà dans le premier roman,
il avait effleuré le sujet en s’appropriant le couteau souillé du sang de la mère lors de la naissance
du petit frère. Le symbole du sang avait marqué pareillement la naissance de Yerma. Azwaw
avait fait couler le sang d’une génisse pour fêter la naissance de sa fille. Est-ce que la mort de
Yerma au prénom prédestiné602 est causée par sa difficulté à devenir mère ? Avec Azwaw elle
était stérile, avec un étranger elle conçoit un fils qui déjà in utero rejette la mère, Yerma donne
du “jus”603, et c’est ce qui la caractèrise : n’être que sexué alors qu’une femme doit avant tout
être mère dans la culture maghrébine.
Naissance et mort traversent l’oeuvre chraïbienne, elles se rapportent à un enfant, à un
adulte, à un animal, ou plus métaphoriquement, à une vie qui change, un amour qui éclôt. La
fascination de l’auteur devant l’inexplicable est palpable. On retiendra encore de La Mère du
Printemps la nomination de l’enfant établie à deux reprises par Azwaw. La nomination est un
acte important car le nom a une charge symbolique et il rend l’individu unique en lui conférant
sa place dans le groupe604. Le nom a également une valeur de passation, il est un maillon de la
chaîne dans laquelle l’enfant s’inscrit et qui lui donne un sentiment de sécurité, de
permanence605. Et ce qui atteint le plus gravement l’enfant dans une relation incestueuse, c’est
le déni de filiation. La confusion des rôles aboutit à ce que l’enfant ne sait plus de qui il est
l’enfant. Nous sommes alors frappée par l’importance et par le caractère rituel accordé à la
nomination de l’enfant par le père : il donne et reprend, il tient entre ses mains la vie de l’autre.
Souvenons-nous également que le mythe de l’inceste est celui du début et de la fin, de la
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naissance et de la mort. Tout concorde, le père démiurge donne et reprend. Il est un père encore
plus écrasant que celui des “romans de la famille” et toute la magnificence qu’il dégage ne peut
que faire de l’ombre à ceux qui l’entourent. Azwaw partage le sentiment de toute-puissance de
l’adulte sur l’enfant avec les autres personnages masculins de l’oeuvre chraïbienne. Patrik viole
mentalement Dominique, Azwaw viole Hineb, alors une petite fille terrorisée, et Yerma est la
chose de son père. Quant à Aïcha, la jeune maîtresse du père dans Le passé simple, elle n’est
qu’un objet de plaisir et non reconnue comme enfant, elle sert de domestique du sexe. Du
point de vue de l’homme, les fillettes ne sont pas des sujets pensants ce qui permet à l’homme
de les dominer du haut de son savoir.
On peut donc dire que le comportement incestueux d’Azwaw n’est pas isolé dans l’oeuvre
de Chraïbi. S’il devient particulièrement explicite chez Azwaw on pouvait le pressentir dans
Mort au Canada car l’étrange relation de Patrik avec Dominique peut être tout à fait considérée
comme un inceste sublimé. Le leitmotiv de la musique du pêcheur sert de fil conducteur entre
les deux histoires, celle de Patrik et Dominique et celle d’Azwaw avec Yerma ; Patrik chante
cette mélodie à Dominique comme Azwaw la chantait à sa fille. Avant ce livre, “des romans de
la famille” se dégageait déjà une atmosphère incestueuse, avec les troublantes préférences de la
mère pour ce fils-là. La progression est extrêmement subtile mais bien réelle pour le lecteur qui
lit l’oeuvre de Chraïbi par ordre de parution. L’apothéose reste néanmoins dans La Mère du
Printemps et Naissance à l’aube, car l’inceste éclate au grand jour et il se démultiplie ; le père
ayant une relation parallèlement avec sa femme et sa fille, il transmet les humeurs de l’une à
l’autre, créant ainsi une situation d’inceste mère/fille, soeur/frère606. L’inceste parental veut dire
relation entre un adulte et un enfant, c’est toujours cette configuration dans les relations que
nous venons d’évoquer. Une telle relation adulte-enfant semble vouloir recréer, après le
malheur de l’enfance, ce quelque chose de fusionnel que l’on trouve dans l’enfance, pour
réparer, pour guérir. Il reproduit le rapport –grand/petit- qui est peut-être pour Chraïbi celui
du grand frère avec le petit frère mais aussi celui de l’enfant avec la mère. Cette recherche
d’harmonie totale est obtenue par l’effacement de l’autre, que ce soit l’enfant ou même la mère,
infantilisée. Les personnages masculins, à la recherche de l’éden de l’enfance, ne peuvent pas
concevoir un rapport égalitaire avec l’autre. Ce trait souligne ce que nous pouvons appeler
l’immaturité du héros chraïbien.
Nous avons précédemmment évoqué les blessures que portent les personnages masculins,
Driss, Patrik, Ali et Azwaw. Ces blessures sont d’ordres divers : la révolte contre le père, l’amour
infini porté à la mère, la mort du petit frère et le deuil inachevé, les expériences amoureuses
décevantes, la révolte contre les institutions du Maroc, contre le climat raciste et la désillusion
que lui cause la France, pays idéalisé, le déchirement de l’acculturation. Le retour au Maroc et
l’apaisement de l’âge vont amener l’auteur à renouer les liens avec son histoire, son islamité.
C’est le retour aux sources, aux ancêtres berbères. Tout ce passé est valorisé à travers le
personnage d’Azwaw. Le lecteur ressent l’exaltation de l’auteur à raconter l’histoire de ce chefpère-amant-fondateur garant des traditions, de la lignée. Ce héros incarne la perfection dans
tous les rôles qu’il tient. Il n’est décrit par l’auteur que sous des aspects flatteurs. L’ensemble des
considérations sur le couple père-fille dans les romans de Driss Chraïbi nous montre le héros
comme l’homme de deux femmes : il n’a aimé dans sa vie que sa mère et sa fille, comme tant
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d’autres hommes influencés par l’image qu’ils ont de la mère au moment de choisir leur femme.
La différence chez lui est qu’il a résolu le problème en prenant pour femme sa fille. Azwaw
réunit les personnages masculins chraïbiens en devenant un super héros, il peut tout assumer
emporté dans un délire de puissance absolue qui l’entraîne au-delà du tabou.
Qui dit interdit dit désir d’enfreindre, ainsi est la nature humaine ; nous avons cherché
dans la littérature maghrébine quel était l’interdit le plus fréquemment enfreint. Nous avons
relevé que la pédérastie –pratiquée entre un enfant et un pédophile adulte- est l’interdit le plus
souvent rapporté, puis vient l’homosexualité, essentiellement à travers des allusions plus que
par des faits racontés ; quant à l’inceste, nous ne l’avons trouvé que chez Rachid Boudjedra. Il
s’agit d’un inceste indirect, un fils qui a une relation sexuelle avec la seconde épouse de son
père. L’acte incestueux s’inscrit dans un climat d’amour passionné pour la mère abandonnée et
de haine pour le père ; acte de vengeance du fils607. A notre connaissance, Driss Chraïbi est le
seul auteur maghrébin à oser raconter l’inceste dans un climat d’amour et sans éprouver de
gêne. Son audace ne laisse pas de nous étonner quand on pense qu’il fait partie d’une
génération d’écrivains qui a ouvert la voie à l’écriture maghrébine dans les années 1950608. Autre
caractéristique également étonnante : le livre La Mère du Printemps est sorti en 1982, à une
époque où le lecteur de Chraïbi tend à être de plus en plus aussi celui de son pays d’origine. Le
climat y est plus conservateur qu’en France, terrreau habituel de ses lecteurs. L’inceste est le
tabou le plus universel, et pourtant Chraïbi n’hésite pas à le glorifier, sans culpabilité, sans
sentiment d’interdit. Il décrit simplement une histoire d’amour entre un homme et une
femme. Le fait que son roman se situe dans les années 681609 n’autorise pas plus l’inceste que
de nos jours. Il était tout autant interdit à cette époque-là et ce dans tout le bassin
méditerranéen. La religion a repris la tradition en faisant de l’inceste parental un délit dans le
cadre du mariage, mais a laissé une sorte de flou régner en dehors du mariage. Chraïbi a-t-il
cru que le cadre historique et l’imprécision de la tradition comme de la religion autorisaient la
transgression, transformant le roman en légende, en ces temps lointains où tout était possible
et rien vérifiable ? Cette hypothèse semble improbable, Chraïbi n’est pas un auteur qui se cache
derrière des faux semblants, il a déclaré à propos de La Mère du Printemps : “je suis panthéiste.
Et panthéiste dans ce sens que rien n’est, comment dire, interdit, rien n’est tabou. Moi, je peux
vous affirmer que l’islam panthéiste est l’amour de la vie”610, et de toute façon le fantasme reste
celui écrit dans les années 1980. Nous noterons cependant au passage que les scènes d’amour
sont écrites à la troisième personne, ce qui indique une prise de distance de l’auteur. Nous
l’interprétons comme une distance qu’il veut établir avec sa propre histoire, il ne rapporte
d’ailleurs pas l’histoire d’un inceste accompli mère-fils, il détourne le fantasme initial sur
l’inceste père-fille. La parole aide à diminuer la tension psychique. L’inceste prend fin dans la
scène d’accouchement qui n’est rien d’autre qu’une scène d’arrachement à la mère. Il s’achève
avec la mort du père et celle de sa fille, exprimant peut-être une expiation inconsciente, mais
la descendance continue pour faire renaître la lignée berbère. La symbolique est claire.
L’interdit majeur, osé et magnifié est l’aboutissement d’un long parcours, qui débute en 1954
dans Le passé simple et aboutit en 1981 par sa transcription dans La Mère du Printemps et
Naissance à l’aube. L’écriture exorcise le fantasme d’inceste avec la mère. L’avoir verbalisé, sous
couvert du roman a permis de quitter le monde de la mère. Cette séparation, qui fut longue,
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douloureuse, ouvre enfin les portes sur un autre monde ; le sortant de l’enfermement, elle
autorise la rencontre avec l’autre. L’écriture va se départir de l’encombrant passé pour aller vers
l’avant sur un ton plus serein que révéle une écriture ludique.
• Le couple mère/ fils
J’ai un vif désir d’aller à la conquête, disait un croyant à Mahomet. As-tu une mère,
répliqua l’apôtre ? –Oui, répondit l’homme. –Garde ses pieds, lui dit le Prophète ;
là se trouve le paradis611.
La science nous a appris que derrière le père incestueux se cachent une mère à teinture
incestueuse et un père qui n’a pu ou su dire la Loi. Dans la fantasmagorie chraïbienne, il y a
un fils qui adule sa mère, une mère ambivalente, que l’on pourrait qualifier “à teinture
incestueuse”, mais un père puissant qui dément la dernière partie de la définition. La figure de
père fortement présente tient son rôle de gardien de la Loi. Nous avons établi précédemment
que l’oeuvre tend vers la relation incestueuse décrite dans le diptyque, La Mère du Printemps et
Naissance à l’aube. L’inceste entre Azwaw et Yerma apporte un effet de spécularité aux textes
précédents. A sa lumière, remonter aux oeuvres précédentes permet de comprendre ce qui
anime l’inceste. La relecture des ouvrages : Le passé simple, Succession ouverte, La Civilisation,
ma Mère, et Mort au Canada nous ont dévoilé l’écriture d’un scénario fantasmé, celui de la
volonté d’un petit garçon de séduire sa mère. Dans ce but le petit garçon déploie plusieurs
techniques fantasmatiques et dignes de roman : tentative de putsch pour se débarrasser du père
dans le premier livre, dans le second prise du beau rôle de fils prodigue à la mort du père, dans
La Civilisation, ma Mère libération de la mère des griffes du tyran par le fils. Mort au Canada
est le début d’un glissement, le fils abandonne son premier objet d’amour pour tenter d’aller
vers une femme. L’échec de cet essai va le ramener vers le passé, il projette son amour sur une
enfant, rétablissant le couple grand-petit de l’origine. Le couple Patrik (quarante cinq ans) et
Dominique (onze ans et demi) offre une première esquisse de ce qui va s’écrire par la suite : le
petit garçon va inverser les rôles, devenu grand, son fantasme de séduction va se porter sur sa
fille. Dans la structure oedipienne, aimer sa fille revient à aimer sa mère, la fille devient un
substitut de la mère dans les fantasmes612. Le héros, devenu adulte, va induire un rapport
amoureux avec sa fille, rejouant le rapport amoureux qu’il jouait enfant avec sa mère. Il s’agit
d’une répétition du fantasme incestueux, l’acteur principal est le même, il utilise une partenaire
qui sert de support au fantasme incestueux du fils pour la mère. Cette hypothèse qui fonde
notre réflexion est basée sur un certain nombre d’éléments dans les romans. En revenant sur les
structures de ces romans nous pouvons faire une série de constatations. Le passé simple,
Succession ouverte et La Civilisation, ma Mère sont “les romans de la famille” dans lequel le
roman familial, au sens psychanalytique, est à l’oeuvre dans son expression la plus élémentaire.
Mort au Canada est le livre de la transition dans lequel se prépare la mise en place de l’écriture
du fantasme, sorte de passage à l’acte à un niveau fantasmatique. Enfin “les romans de la tribu”
Une enquête au pays, La Mère du Printemps, et Naissance à l’aube apportent le cadre historique
d’ordre mythique qui permet le dénouement fantasmatique : l’inceste qui couvait se réalise.
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L’ordre chronologique nous invite, lui aussi, à faire d’autres remarques ; en premier dans
“les romans de la famille”. Le passé simple, lu principalement comme un cri de révolte d’un
adolescent contre son père, est également une grande déclaration d’amour à la mère613. Driss se
débat contre ce père tyrannique, se bat pour sa liberté et pour se faire reconnaître, tout en
gardant un oeil sur la mère dans un coin de la page. Deux temps forts caractérisent les
sentiments du fils. Au début du livre, Driss se présente comme le fils inquiet pour sa mère, et
donc protecteur. La tension monte dans le cercle familial, le jeune homme laisse son esprit
vagabonder pour se protéger mais très rapidement ses pensées vont vers la mère qui seule dans
sa cuisine “sanglotait sans larmes, sans bruit, comme sanglotent les femmes qui durant
quarante ans ont sangloté” (26). Quelques pages plus loin, Driss va dans la cuisine pour trouver
sa mère : “Driss mon fils, toi que j’aime entre tous mes fils, par ce ventre d’où tu es sorti [….]
trouve-moi un moyen de mort rapide et sûre” (32). La description de l’atmosphère pesante
s’arrête régulièrement pour revenir à la mère “et ma mère, tendre et soumise…”(36). Dans une
autre scène Driss se souvient d’avoir été puni pour un petit larçin : “ce fut maman, trop
heureuse de me voir, qui maintint mes jambes et mon père qui fit tournoyer le bâton” (41). Il
donne une vision claire de la répartition des rôles : au père le châtiment, à la mère, derrière le
geste de solidarité avec le père, la tendresse. Puis s’éveille le Driss rebelle qui propose à sa mère :
Un homme pour toi, un adultère…non ! Ne me dis pas : “O mon oreille, tu n’as rien
entendu”, tu as très bien entendu : un amant. Un amant qui te possède et qui te
satisfasse ! Vois, j’ai découvert ton cher vieux secret, mais je ne puis te consoler, je ne suis
que ton fils (57).
A ces pensées, la mère répond au fils par d’autres pensées :
Driss mon fils, toi que j’aime…etc…etc…laisse, cède, plie encore une fois ; tu
voudrais me défendre…je n’en vaux pas la peine, vois, mes seins sont flasques et ma
peau adipeuse…la paume de mes mains s’est ratatinée comme une vieille figue et je
ne sais plus sourire” (58).
La révolte contre le père gronde. L’échange imaginaire entre sa mère et lui que Driss se raconte,
les place dans un rapport autre que filial, ils parlent comme le feraient un homme et une
femme, dans une relation égalitaire. Le fils lui dit - vis, libère-toi et prends un autre homme,
faute de pouvoir me prendre moi, et la mère répond : il est trop tard, je n’ai plus envie. Que le
fils ait eu accès au “secret” qu’on imagine être celui d’une femme mal-aimée, semble toutefois
surprenant dans une relation entre une mère et un fils maghrébins dont les mondes doivent
être séparés par une barrière étanche. Cet indice nous confirme l’étrangeté de leur relation.
Ensuite au coeur même de sa révolte, le ton va durcir, la mère est prise à partie et injuriée (78)
par son fils. Il attaque la mère de plus en plus violemment jusqu’à la traiter de “coffre à
grossesses” (133) lorsque après la mort du petit dernier, elle veut le remplacer et qu’elle s’est
apprêtée pour séduire son mari. Puis il va jusqu’à exiger des comptes de sa mère. Il est conscient
de dépasser les bornes de ce qui est admissible, le petit enfant en lui retrouve une ancienne peur,
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celle d’être absorbé par la mère : “Passant à l’exécution, ils (les fils) se retrouvent vagissants. Ma
mère allait me prendre sur ses genoux, me remplirait la bouche de sa mamelle, puis me
talquerait les fesses”(146)614. Driss passe ensuite à un autre registre. Il rappelle à sa mère le passé
avec la dureté de son mari, son manque d’égards envers elle, les nuits à pleurer, tout ce que lui,
enfant, a vu et qui n’a fait que renforcer son amour pour la mère : “je n’ai jamais cessé de
t’aimer” (151). L’enfant se souvient de ses gestes à lui de tendresse, d’amour que la mère
repoussait. La revanche de l’enfant sera de “scier le chêne à la maison”, en d’autres mots
–d’abattre le père- et de dévaloriser sa mère. La violence de cette scène permet au fils de
comprendre qu’il a totalement intégré les schémas du père et qu’il les reproduit face à sa mère.
Il découvre également que si elle se comporte en femme soumise vis-à-vis de son mari, elle ne
l’est pas avec son fils. Et lorsque Driss obligera toute la famille à cracher sur le père, la mère ne
s’exécutera que sur les injonctions de son mari. Le fils a cru à cause de l’attitude ambivalente
de la mère qu’il était le préféré et qu’elle se tiendrait à ses côtés pour éliminer le père. La
dernière fois que Driss parle de sa mère, elle est morte.
Le passé simple, “éblouissante variante de l’antique mythe d’Oedipe”, selon l’expression de
Basfao615 présente la triangulation classique. On reconnaît dans Le passé simple la reviviscence
que le complexe d’Oedipe connaît à la puberté. Driss poursuit l’ancien combat en tentant de
ravir la mère au père. La tentative de parricide échoue, le couteau qui a coupé le ventre de la
mère, pour la naissance du petit frère n’arrivera pas à abattre le père. Il y aura d’autres morts.
La mort omniprésente encercle le héros, mais sans jamais l’atteindre, jusqu’à la fin d’Azwaw
dans Naissance à l’aube. La mort comme nous avons déjà eu l’occasion de le signaler, est un des
motifs propres à l’écriture de Chraïbi, elle perd de sa puissance après Naissance à l’aube.
Derrière le motif de la mort, il y a le petit frère mais il y a aussi sur un plan symbolique
l’instance maternelle qui entraîne vers l’arrière, dans un retour in utero. Or c’est après que
l’inceste aura été dit et que “l’incestueur” Azwaw sera mort, que prend vraiment son envol la
série de romans avec l’Inspecteur Ali pour héros616. Ce développement n’est pas le fruit du
hasard. La particularité d’un inspecteur de police, entre autres, consiste à affronter la mort et
les dangers, conduite qui renvoie à l’instance paternelle. La collusion relevée dans de nombreux
domaines de l’écriture de Chraïbi, revient fondamentalement à la collusion de base : le temps
de la mère et celui du père. L’homme dans son désir de retrouver l’ambiance utérine est
incessamment perturbé par l’accord collectif, le paternel. Souvenons-nous aussi du suicide de
la mère qui n’a fait que détourner un temps l’attention du fantasme incestueux. Le fantasme se
révèle bien plus fort qu’une parodie de mort. Raconter une histoire d’amour incestueuse entre
une mère et son fils est impossible617. Il l’est d’autant plus dans un cadre maghrébin où la mère
est sacralisée et son aspect séducteur nié. L’inconscient a eu à biaiser et là se trouve l’explication
de l’inceste magnifié entre le père et sa fille. Ce dernier recouvre l’autre, dans ce cas-ci le vrai,
celui qui unit la mère tant aimée au fils. Basfao a établi que le suicide de la mère incarne une
“tentative de contourner la barrière contre l’inceste”, associant le drap ensanglanté dans lequel
repose la mère à la rituelle exposition du drap taché de sang, preuve de la virginité de la jeune
fille. Ce parallèle l’amène à conclure que l’image fait partie d’un scénario fantasmé d’une
défloration, le sang étant la preuve mais le drap dissimulant le corps. Cette visualisation grâce
au verbe désignant apparaît comme la preuve “d’un désir défendu”. Tout le scénario oedipien
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défile en quelques pages, les phrases relatent l’amour du petit garçon pour la mère, sa jalousie
pour ce père qui partage une intimité qu’il devine ; cette mère adorée qu’il voudrait libérer du
joug du père et enfin le regard cynique sur la mère : “Il est possible que l’époux en tire cette
nuit des sécrétions copulatives” (148). Le lecteur ne peut que s’incliner devant une telle
déclaration d’amour du fils à la mère.
Il nous a paru important de nous arrêter plus longuement au Passé simple et à La Mère du
Printemps associé à Naissance à l’aube car nous les considérons comme les romans majeurs de
Chraïbi. En effet ils portent le début et la fin d’un fantasme, ils sont également les plus
explicites. Ainsi on peut les présenter comme essentiels pour la compréhension de l’oeuvre de
Driss Chraïbi. Cependant pour revenir à l’ordre chronologique que nous nous proposions de
suivre, il faut souligner que les romans situés entre les deux pôles, s’ils sont moins explicites,
fournissent des informations non négligeables. Les Boucs, livre peu évoqué à cause de l’absence
de personnage de mère, s’avère néanmoins être un roman intéressant grâce aux juxtapositions
de mots trahissant l’amour pour la mère : “et je regardais ses jambes douces et laiteuses, mes
dernières effluves étaient pour elles, en elles ; si souvent je les avais caressées : mes rêves d’enfant,
mes souvenirs, les cheveux de ma mère que je caressais” (90). Dans le début de la phrase il s’agit
de Simone, son ancienne maîtresse, aucune césure n’indique le glissement vers la mère. Dans
Succession ouverte la relation entre la mère et le fils est également empreinte d’ambivalence. Elle
le choisit comme interlocuteur privilégié pour se raconter, mais n’accepte pas qu’il s’ingère dans
ses devoirs de mère vis-à-vis des autres fils, dans son domaine à elle. La mère lui dit l’amour
qu’elle éprouvait pour son mari tout en lui montrant qu’il est le fils important pour elle, le fils
qu’elle aime, qu’elle préfère. Elle fait de lui son confident, lui accorde la place de chevalier
libérateur, celui qui la vengera des malheurs endurés à cause du mari. Cependant quand le fils
va trop loin dans son discours de révolte contre le père et d’amour pour elle, elle rétablit
l’équilibre : elle est la mère, la femme du père. La confusion va plus loin encore dans La
Civilisation, ma Mère, livre que Chraïbi a écrit en hommage à sa mère de son vivant. Les deux
fils, mais on a envie de dire l’un plus que l’autre, toujours le même donc, vont lui révéler sa
féminité. L’achat d’escarpins et d’une robe vont la transformer en femme :
Grandie par les hauts talons, moulée dans cette robe longue à ramages,
brusquement elle avait un corps de femme, brusquement nous découvrions qu’elle
avait des jambes élancées, une taille fine, des hanches, une poitrine […] Nous en
étions comme gênés (63).
Les fils vont sortir la mère de son enfermement. Ils lui révèlent son corps en la revêtant d’un
vêtement qu’ils ont choisi, après que l’un des fils a expliqué à la vendeuse que cette robe était
pour une femme qu’ “il aime plus que m[s]a peau”. Les frères lui font découvrir les secrets de
son corps : “à trente cinq ans, elle comprit enfin pourquoi et comment elle avait des menstrues”
(90). Ce processus de libération débouche sur l’incroyable inversion des rôles dans une scène
étonnante pendant laquelle la mère désorientée s’effondre dans les bras de son fils :
Je n’ai pas su lui répondre. Et ce fut tant mieux. Parce que machinalement, je l’ai
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prise dans mes bras, je l’ai assise sur mes genoux –et je l’ai bercée- sans un mot.
Jusqu’à ce qu’elle s’endormit (85).
Nous assistons à un renversement spectaculaire des rôles : le fils berçant sa mère et l’endormant.
La mère est montrée comme une enfant, ne sachant rien, “pure”, ce qui la place dans le rôle de
l’enfant et le fils dans celui de parent. Le fils fait naître chez sa mère la femme. Montserrat-Cals
voit dans leur relation ambigüe le rapport sororal que la mère entretient au Maghreb avec ses
enfants. “La mère-soeur, infériorisée par rapport au père, se trouve de plain-pied avec des
enfants auxquels elle ne peut manquer de s’identifier [...] la mère-soeur taboue, reste libre de
toute appartenance”618. De nouveau son analyse est extrêmement séduisante car elle fait le joint
entre la problématique collective et la problématique individuelle, entre le statut de la mère
dans la société maghrébine et le conflit oedipien. Mais elle est, à notre avis, incomplète car
l’interdit de l’inceste porte également sur la soeur et le rapport sororal ne justifie pas un
comportement amoureux. Il s’agit bien plus d’une relation incestueuse inversée : ma mère,
mon enfant. Ce rapport a pris source dans l’imaginaire de l’auteur où, comme pour tout
homme, la mère est la première femme et garde quelque part une telle place. “L’un de mes
enfants s’appelle Dominique, une fille de neuf ans. Si blonde qu’on ne voit pas ses cheveux dans
le soleil, avec des yeux de myosotis, aussi immenses que ceux de ma mère” (35) raconte Chraïbi.
“J’ai eu sept ans moi aussi, des cheveux épais et longs jusqu’à la taille, moi aussi” disait la mère
de Chraïbi619. La petite fille aux cheveux longs, aux grands yeux présente dans plusieurs romans,
ressemble à la mère et à la fille de l’écrivain. Chraïbi le dit explicitement lorsqu’il explique que :
“le personnage de l’enfant, la petite Dominique est bien présent et bien vivant. Il reproduit en
fait l’autre côté de la mère de La Civilisation, ma Mère”620. Le parallèle est assez flagrant. Patrik
avait établi une relation parentale avec Dominique (il rappelle à l’enfant son père), relation
proche d’une relation amoureuse (l’enfant lui rappelle son ancienne maîtresse). Cette relation
a une forte coloration incestueuse, ce que l’auteur confirme lorsqu’il associe mère et fille, elles
se rejoignent en un seul personnage sur un plan fantasmagorique. Tous ces glissements nous
confortent dans la thèse que derrière l’homme-père Azwaw il y a le petit garçon du Passé simple
qui rêvait de sa mère, et derrière Yerma se trouve la mère du petit garçon. Les âges, les rôles
sont déplacés mais le scénario reste identique. La mort des personnages sera l’interdit mis en
place par la censure. Azwaw a aimé deux femmes dans sa vie : sa mère et sa fille, de nouveau
ma mère, mon enfant. Cet enfant est le point nodal condensé. La mère du Passé simple, de
Succession ouverte, de La Civilisation, ma Mère va se transformer en la petite fille de Mort au
Canada, de La Mère du Printemps et de Naissance à l’aube. Le personnage masculin chraïbien
est embarrassé de sa masculinité. Blessé par la mère qui a rejeté ses avances, blessé dans ses
approches d’un autre monde par la femme étrangère, il ne sait plus se situer affectivement face
à une personne adulte quelle soit de sexe opposé ou non. La femme est imprévisible, effrayante
et forcément décevante. Avec l’enfant il n’y a pas de désillusion, l’absence de résistance
intellectuelle ou sexuelle rassure l’adulte déstabilisé. Dans l’enfant il peut modeler à sa guise,
créer la femme de ses rêves et ses propres failles s’estompent grâce à cette construction et au fait
qu’il maîtrise l’inconnu. Le titre du roman La Mère du Printemps apporte aussi un appui à une
telle interprétation. D’après la mère de l’auteur, celui-ci serait né au printemps621, l’appellation
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du livre pourrait signifier la mère de celui qui est né au printemps. D’autre part le lieu décrit
est présenté comme celui de la mère nourricière et le lieu maternel. Driss Chraïbi est né au
printemps, il raconte un inceste auprès d’un fleuve nommé “la mère du printemps” en
multipliant des métaphores maternelles. Ce faisceau d’incidences désigne un couple : celui de
la mère et du fils.
D’une certaine manière, la religion participe à l’exacerbation de la relation incesteuse.
Une berceuse racontée par les mères maghrébines à leurs jeunes garçons, parle d’un fils qui
devenu grand s’occupera de sa mère, ne la laissera jamais seule, le seul souhait de ce fils étant
la joie de sa mère. Dans cette sorte de rêve éveillé, il n’y a pas d’autres éléments masculins, tout
semble se jouer entre Dieu, le fils et sa mère.622 N’est-ce pas la même chose que promet le Coran
au fidèle quand il atteindra le paradis : “des fleuves de lait au goût inaltérable” ?623 La
symbolique religieuse entre en correspondance avec la symbolique romanesque. La mère
entretient le mirage du harem édénique, lait et vierges attendent le fidèle. Ce faisant la mère
prévient tout attachement à une autre femme, évinçant toute potentielle rivale624. Les exégètes
musulmans ont beaucoup écrit sur la virginité et prôné son culte avant le mariage. Or il existe
un lien entre le tabou de la virginité et celui de l’inceste, les deux tabous se rejoignent au niveau
des fantasmes pour désigner la mère :
Objet de rêve et de désir, la vierge est en même temps objet interdit et d’angoisse,
car elle renvoie à l’image maternelle à la fois aimante et castratrice, désirée et
prohibée, portant en elle la promesse d’accomplissement du désir et la menace du
châtiment en raison même de ce désir625.
Tout semble concourir à l’emprisonnement de l’homme maghrébin dans son fantasme de la
mère. La mythologie, miroir de l’inconscient humain, reprend cette image dans le mythe
d’Euldja, la fille d’un chef algérien, qui se battant contre les Turcs, se dépoitraille et déclare aux
soldats épuisés, pour les amener à donner l’assaut : “qui voudra sucer de ce lait me suive”626. La
valorisation de la relation mère-fils sert fréquemment d’échappatoire au lien conjugal. Le
fantasme oedipien revisité par la difficulté de la relation conjugale, a pour effet sur la femme
maghrébine de la maintenir entre deux figures qui sont gratifiantes, à savoir son père et son fils.
Avec les comportements ambivalents des mères tels les jeux avec le sexe des petits garçons, la
promiscuité avec le monde maternel jusqu’à la circoncision, “l’enfant est violenté par ce qui lui
plaît le plus, à savoir détrôner le père dans le désir maternel”627. La relation mère-fils
tentaculaire propre à la culture maghrébine présente un risque d’enfermement du fils dans le
giron maternel. Sociologie et psychanalyse se rejoignent pour démontrer que la relation
oedipienne est à la base du devenir adulte des enfants. Et si Chraïbi fait l’impasse sur les
descriptions de la maison et du hammam, n’est-ce pas parce que “la maison, lieu féminin, est
alors prolongée par le hammam, et, dans l’une comme l’autre, marquée à la fois par le tabou
de l’inceste et l’exaspération du désir incestueux, peuvent se donner libre cours tous les
fantasmes d’un jeune garçon” ?628 Ainsi raconter l’inceste inversé et romancé s’avère moins
dangereux que raconter les lieux intimes de la mère.
Lorsque Sarah Kofman avance qu’“on ne comprend (donc) pas les oeuvres et leurs
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rapports à partir de la vie d’un auteur, mais (que) l’étude des oeuvres permet de déduire
hypothétiquement un certain nombre d’éléments sur sa vie”629, on ne peut s’empêcher de
penser au livre écrit par Chraïbi sur sa mère qui n’a jamais été édité. L’auteur en a longuement
parlé dans une interview avec Basfao. Ce roman racontait la vie et la mort d’une femme en une
journée. Un tel roman était trop proche de la réalité, et la mort de la mère de l’écrivain en a
empêché la parution. Ecoutons Chraïbi parler de sa mère :
Rendez-vous compte : je lisais du Lamartine, du Hugo, du Musset. La femme dans
les livres, dans l’autre monde, celui des Européens était chantée, admirée, sublimée.
Je rentrais chez moi et j’avais sous les yeux et dans ma sensibilité une autre femme,
ma mère, qui pleurait jour et nuit, tant mon père lui faisait la vie dure. Je vous
certifie que pendant trente-trois ans, elle n’est jamais sortie de chez elle. Je vous
certifie qu’enfant, moi, j’étais son seul confident, son seul soutien630.
L’émotion contenue dans ces propos tenus tant d’années plus tard bouleverse d’autant plus
qu’elle confirme le rapport passionnel fils-mère que nous n’avons cessé de lire tout au long de
l’oeuvre de Driss Chraïbi. Le cas de Chraïbi couchant sur papier son fantasme n’est pas du tout
exceptionnel. Otto Rank, reprenant les premières idées de Freud sur l’Oedipe, développe très
tôt la thèse que les désirs incestueux inconscients sont à la base de la créativité de l’artiste631, ce
que Sarah Kofman à son tour exprime de la façon suivante :
L’artiste, en s’identifiant à ses propres personnages, dont il se sent le père, par
identification à son propre père, devient lui-même son propre père, indépendant de
ses géniteurs […] Or être à soi-même son propre père n’est-ce pas vouloir, en
dernière analyse, donner à sa mère un enfant, l’oeuvre d’art ? L’artiste réaliserait
ainsi symboliquement l’inceste632.
Des couples mères-fils sont monnaie courante dans la littérature, s’entend d’écrivains parlant
de leur mère, tels Roland Barthes, Albert Cohen, Jean-Paul Sartre, Kateb Yacine, Albert
Memmi, et la liste pourrait être fort longue. Mais aucun n’a osé franchir le pas et retranscrire
l’interdit. Ce qui ne veut pas dire que ce fantasme ne flotte pas dans l’imaginaire des autres
écrivains : “nous sommes tellement complices tous les deux que, parfois je sens monter en moi
quelque chose comme la honte. Mais, en fait, c’est de l’amour filial. Pur et soumis” dit un
personnage d’un roman de Tahar Ben Jelloun633.
La h’chouma a déjà été évoquée. Elle sert à réguler les conduites individuelles et révèle
l’importance du poids de la société sur les actes les plus personnels. En considérant cet indice
culturel on peut se demander si l’absence d’un sentiment de honte ne serait pas une résistance
à la pression collective, un refus de bien se tenir634. Se pourrait-il qu’écrire l’inceste soit pour
Driss Chraïbi un acte de résistance à la pression du collectif ? Si l’on croit Couchard :
La pudeur est un ressenti individuel et la honte fait référence au groupe. Place à part
dans l’islam, où là il semble faire naître un sentiment de dissolution du corps, de
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perte de ses limites, voire d’angoisse de morcellement. La honte liquéfie sur place
(chier de honte ou pisser de honte)635.
Malgré un langage parfois cru, Chraïbi est un écrivain pudique qui ne livre pas son intimité
directement. Notre travail montre en effet qu’il utilise moult subterfuges pour dire certaines
douleurs sans les nommer. Quant à la honte qu’il dit lui-même ne pas éprouver636, il enfreint
le tabou du silence –tout ce qui ne peut se dire en public dans la société maghrébine- pour
clamer son individualité et repousser la pression du communautaire. Ceci établi, il n’en reste
pas moins que l’aspect sociologique représente une composante de la démonstration à laquelle
nous invite la psychanalyse.
Pour complèter la représentation du triangle oedipien, on ne peut faire l’économie du
couple père-fils. Le père est le Seigneur, le soleil, il a pouvoir sur toutes choses, il est le maître
de tout : “de l’escalier qui monte chez le père-Seigneur, tel une verge dressée” (Le passé
simple,224). Le père est-il honni ? Non, les termes le désignant sont distants, et la distance
incarne la marque du respect, de la crainte, nous sommes loin de la haine telle qu’elle est
exprimée par exemple chez un auteur comme Albert Cohen637. Le père se révèle finalement être
un père assez maternel, éloigné de ce que l’on pourrait attendre dans un contexte maghrébin.
Il est sévère, traditionnel mais aussi à l’écoute de son fils. Le père le devine souvent au-delà de
ce que le fils pourrait imaginer. Derrière les propos parfois violents de l’adolescent, on peut lire
aussi l’amour et le respect que porte le fils à son père et vice versa l’amour du père pour le fils
rebelle, dont il acceptera beaucoup pour ne pas le perdre. Derrière le masque d’autorité que lui
impose la tradition, il se soucie de son fils. La tentative de parricide est à lire dans un contexte
de reviviscence oedipienne. Le couteau qui sert à tout dans les romans de Chraïbi : ouvrir le
ventre de la mère, accompagner le petit frère dans la mort, menacer les autres frères, braver le
père, couper le prépuce lors de la circoncision, tuer Hineb, couper la langue de Azwaw, couper
le cordon ombilical qui lie Yerma à son fils, inscrire la nomination de l’enfant, lie tous les
acteurs de cette oeuvre. Il est l’objet symbolisant le phallus paternel.
La lecture des textes de Chraïbi désigne la mère et le fils comme le couple fondamental
dans le triangle père-mère-enfant, il se cache, se dévoile, se dilue mais demeure présent. Il
s’articule sur les autres couples grâce au triangle père-mère-enfant. “Pour être dans la vie
amoureuse, vraiment libre, et par là heureux, il faut,” dit Freud, avoir surmonté “le respect pour
la femme et s’être familiarisé avec la représentation de l’inceste avec la mère ou la soeur”638. C’est
ce que nous venons de voir dans l’oeuvre de Driss Chraïbi. L’écrivain a l’avantage sur le
commun des mortels de pouvoir grâce à ses personnages mettre des mots sur les étapes d’un
cheminement. Après le diptyque, La Mère du Printemps et Naissance à l’aube, dans lequel
l’inceste a éclaté ce qui est vraiment un tournant dans l’oeuvre de Chraïbi, vient le temps de
l’apaisement. Les livres suivants racontent un inspecteur heureux de vivre, heureux avec sa
femme, heureux dans un mariage mixte, le ton devient badin. Il redeviendra sérieux le temps
d’un livre L’Homme du Livre, roman rapportant la parole romancée du Prophète. Ce dernier
roman est l’aboutissement d’un parcours qui va vers la réconciliation avec l’origine. Chraïbi,
arrivé à l’âge des bilans, raconte dans les deux derniers romans parus, des anecdotes sur sa vie.
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Quelques types de mariage étaient possibles : la femme pouvait cohabiter avec un autre homme jusqu’à
ce qu’elle soit fécondée, et ce avec l’accord de son mari, puis revenait vivre avec ce dernier. La femme
pouvait aussi épouser 10 hommes, pas plus, et attribuait la paternité à qui elle voulait. La femme avait
le droit d’avoir des rapports sexuels avec plusieurs hommes, ensuite elle faisait appel à des
physionomistes qui désignaient le père.
Soumaya Naamane-Guessous 1991, Au-delà de toute pudeur. Karthala-Eddif, pp.57-60.
L’enquête effectuée par Naamane-Guessous sur la sexualité des femmes marocaines dans les années 1990
montre une évolution certaine des moeurs. Compte tenu de l’âge de Chraïbi, nous nous en tenons aux
critères de la tradition encore fortement implantée à son époque.
Bousquet, ib. p.101
Manière d’être à imiter.
Cité par Al-Ghazali, Le livre du mariage. Ib. p8.
Ce qui est le désir de Dieu : d’une part plus de fidèles pour rivaliser avec les autres religions, de l’autre
un enfant pieux adressera des prières au ciel pour vous après votre mort. Enfin un enfant mort jeune est
un intercesseur pour vous auprès de Dieu.
C’est une défense contre les calamités de la chair. On rapporte que le Prophète, excité à la vue d’une
femme, se rendit chez son épouse Zaynab pour satisfaire son désir et repartit en disant : “ Lorsqu’une
femme vient vers vous, c’est une sorte de Satan qui se dirige vers vous, si donc l’un de vous voit une
femme qui lui plaît, qu’il aille donc à son épouse : ce sera avec elle comme avec l’autre”.
Bousquet fait remarquer l’écart avec le christianisme qui dit “quiconque jette sur une femme un regard
de convoitise a déjà commis l’adultère avec elle dans son coeur”. Ib. p.195.
Maqsood Ruqaiyyah W. cite Zabidi1995, The Muslim Marriage Guide. Londen The Quilliam Press,
p32. Repris par Marjo Buitelaar et Geert-Jan Van Gelder 1996, Het badhuis. Tussen hemel en hel.
Amsterdam. Bulaaq : “seksuele gemeenschap verschaft plezier en energie, het verfrist de ziel, het verjaagt
verdriet, boosheid en sombere gedachten, en voorkomt veel ziekten”.
Sourate LVI, 36,37.
“Voici que nous leur donnerons pour épouses des Houris aux grands yeux” Sourate XLIV, 54. Sourate
LII, 20. Sourate LVI, 22. “Il y aura là des vierges bonnes et belles” Sourate LV, 72.
Al-Ghazalî 1953, Le livre des Bons usages en matière de mariage (extrait de l’Ih’ya’c Ouloum ed Dîn ou
Vivification des sciences de la foi). Traduction annotée par L.Bercher et G.H Bousquet. Paris.
Maisonneuve et Oxford. J.Thornton and Son.
Al-Ghazali, Ihya Tome III, Le Caire p.74, Op cit. Mansour Fahmy, La condition de la femme dans l’islam.
Ib. p.121.
“Votre Seigneur vous a créés à partir d’une personne unique”, Sourate IV dite la sourate des femmes.
“Elle est un vêtement pour vous et vous êtes un vêtement pour elle, cohabitez avec elle” Sourate II, 187.
“Les hommes ont autorité sur les femmes en vertu de la préférence que Dieu leur a accordée sur elles”.
Sourate IV, 34
Al-Ghazali a tracé le plan de conduite d’une femme : “Elle doit s’enfermer dans sa maison et ne point
quitter son fuseau ; elle ne doit pas trop monter au toit de sa maison, ni se laisser voir ; elle ne doit pas
engager de fréquentes causeries avec les voisins, et ne leur faire visite qu’à propos ; elle doit veiller sur
son mari, présent et absent ; elle doit chercher le plaisir de son mari dans tout ce qu’elle fait, ne le trahir
ni dans sa personne ni dans ses biens ; elle ne doit sortir de la maison que sur sa permission, et, une fois
dehors, elle doit être mise de manière à passer inaperçue, elle doit suivre uniquement les chemins les
moins fréquentés, éviter les chemins fréquentés par les passants, et prendre bien garde de n’être pas
reconnue”. Ihya, tome II. Le Caire, p.28 op cit. Mansour Fahmy, ib. p.122. Son plan très ancien (10581128AD) est toujours d’actualité.
Malek Chebel 2002, Le sujet en islam. Seuil, p.260. Nous avons conservé l’orthographe de l’auteur pour
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le mot houchma.
Sexe adulé par les mères, il est l’objet de leur fierté.Cf. paragraphe précédent sur les petites filles.
Voir à ce sujet le mythe d’Aïcha Kandicha, une djenniya (génie féminin) à la fois attirante et effrayante
dont se servent les mères pour effrayer les enfants rétifs. Aïcha entraîne celui qu’elle désire sous les eaux
d’où le malheureux ne reviendra pas.
On retrouve la même idée en Occident, au Moyen-Age. La femme est soupçonnée de porter le maléfice,
l’hérésie. Le sexe féminin est considéré impétueux, incapable d’assouvissement et dévorant. A l’origine
la grande fautive : Eve. Les seules manières de maîtriser la femme sont le mariage et les grossesses.
Disait Mahomet
Malek Chebel 1984, Le corps dans la tradition au Maghreb. PUF, p.33. Rahm veut dire utérus.
Marjo Buitelaar et Geert Jan Van Gelder signalent ce trait caractéristique du code de politesse qui veut
que des visiteurs dans une maison qui, pour ne pas nommer le mari (c’est impoli), utilisent cette
métaphore.
Madelain, ib.
Nous laissons de côté la littérature beur de la seconde génération.
Sourate XXIV, 32.
Il est impossible de citer tous les auteurs, érotologues arabes tant cette littérature était féconde, pour de
plus amples informations voir Malek Chebel, L’esprit de sérail. Chapitre V, La littérature érotique arabe.
Sourate II, 187.
Mansour Fahmy, La condition de la femme. Ib. p.48.
Bouhdiba, ib. p.23.
Sourate II, 187 “N’ayez aucun rapport avec vos femmes lorsque vous êtes en retraite dans la mosquée” ;
Sourate II, 197 “Le pélerin devra s’abstenir de toute cohabitation avec une femme, de libertinage et de
disputes, durant le pélerinage”, Sourate II, 222 “c’est un mal. Tenez-vous à l’écart des femmes durant
leur menstruation” Sourate IV, les versets 22, 23 énumèrent les femmes interdites dans la zone familiale.
Sourate V, le verset 5 interdit aux hommes de se comporter comme des débauchés ou des amateurs de
courtisanes” ; Sourate XVII, 32 “Evitez la fornication ; c’est une abomination” ; Sourate XXIII, 7
“heureux les croyants…qui se contentent de leurs rapports avec leurs épouses et leurs captives…tandis
que ceux qui convoitent d’autres femmes que celles-là sont transgresseurs” ; Sourate XXIV, 2,3
interdisent la débauche, 33 interdit de prostituer ses femmes esclaves ; Sourate XXV, 68-70 interdisent
la débauche ; Sourate LXX, 31 reprend le verset 7 de Sourate XXIII.
Montserrat-Cals, ib. p.487. Pour le texte du Coran cf. supra le paragraphe concernant le couple au
Maghreb.
Al-Ghazali, pp.52-53 cite deux raisons empêchant le mariage : la parenté et le fait d’être étranger(e).
Il semble inutile de s’étendre sur ces séparations tellement il est clair qu’elles traduisent le désir de
l’enfant de séparer la mère du père.
Marie Bonaparte 1933, Edgar Poe. Denoël & Steele, p.584.
Sourate LVI, 60 “Nous avons décrété la mort pour vous, -personne ne peut nous devancer”.
El Bokhari1964, L’authentique tradition musulmane. Choix de h’adîths. Grasset. “Un homme était atteint
d’ulcères et il se tua. Dieu dit : “Mon serviteur m’a devancé pour ce qui est de sa vie. Je lui déclare que le
Paradis lui est inaccessible”. 89, p.187.
Interview accordée à Basfao, ib. p.694
Basfao. Ib. p.694.
Comme le démontre Basfao ib. p.744, Chraïbi tente par cette mort, suivie d’une résurrection, de
maîtriser séparation et perte : “l’élaboration scripturale équivalente à une expérience de renoncement qui
permet d’envisager le départ de la mère comme supportable ou, plus exactement, comme non mortel
pour le fils. On a affaire à un jeu de la bobine scripturale, à un Fort Da littéraire (Freud, 1920)”.
Dans la littérature féminine de langue française au Maghreb, ib. Déjeux rapporte que les écrivaines
maghrébines racontent le même échec du couple. Il n’a d’ailleurs trouvé qu’un seul témoignage d’amour
comblé, dans le livre de Farida Sellal, Farès.
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Roger Caillois 1938, Le mythe et l’homme. Gallimard. Coll.Folio, p.28.
Edouard Westermarck 1895, Origine du mariage dans l’espèce humaine. Trad. H de Varigny. Ed.
Guillaumin. Cité par J.-D. de Lannoy et P.Feyereisen 1996, L’inceste, un siècle d’interprétation. Lausanne.
Delachaux & Niestlé. C’est ce que les anthropologues nomment les théories déterministes. La
prohibition serait un phénomène “naturel” qui pourrait s’illustrer par l’éthologie. Freud avec d’autres a
défendu ce point de vue.
Entre autres en Mélanésie.
Mort en 1372 av.JC.
Signalé par Germaine Tillon, ib. p.72
Claude Lévi-Strauss 1967, Les structures élémentaires de la parenté. Mouton & Co and Maison des
sciences de l’Homme.
Lévi-Strauss1964, Mythologiques. Le Cru et le Cuit. Plon. Un mythe, plus ancien que d’autres, des
Indiens Bororo du Brésil central, raconte l’histoire d’un jeune garçon qui suivit sa mère en cachette dans
la forêt et la viola. Le père, le découvrant, établit des plans pour le tuer mais finalement c’est le fils qui
tue le père.
Ces penseurs défendent des théories finalistes qui s’opposent aux théories déterministes. On peut citer
entre autres Maine, Westermark, Malinowsky, Freud, Lévi-Strauss.
Emile Durkheim, La prohibition de l’inceste et ses origines. L’année sociologique 1898. Cité par de
Lannoy, ib.chapitre 5.
Edward B Taylor, On a method of investigating the development of institutions ; applied to laws of marriage
and descent. Journal of the Royal Anthropological Institute,18,1889. Cité par J.-D.de Lannoy et P.
Feyereisen. Ib, chapitre 2.
Claude Lévi-Strauss, Les structures élémentaires de la parenté. Ib.
“Tout ce qui est universel chez l’homme relève de la nature et se caractérise par la spontanéité, tout ce
qui est astreint à une norme appartient à la culture et présente les attributs du relatif et du particulier”,
Lévi-Strauss, ib, p.10.
Freud 1923, Totem et Tabou. Trad. S. Jankélévitch. Petite bibliothèque Payot, 1992.
Charles Darwin, partant de l’observation de singes supérieurs, émettait l’hypothèse que l’homme avait
vécu en petites hordes. Le gorille possède d’une manière exclusive plusieurs femelles, lorsque le jeune
mâle grandit, il lui faudra affronter les autres mâles, pour trouver une femelle il lui faudra partir pour
créér à son tour sa horde
Voir à ce sujet J.-D.de Lannoy et P. Feyereisen qui ont relevé quelques points de critique à propos de
l’interprétation freudienne. L’inceste, un siècle d’interprétations. Ib.
Jean-Paul Valabrega 2001, Les mythes, conteurs de l’inconscient. Payot & Rivages, p45.
Ce que Lacan reprendra en insistant sur l’accession au symbolique qui ne peut être faite que par la
fonction paternelle.
Marie-France Delfour 1999, Inceste et langage. L’Harmattan. p81.
Nous ne différencierons pas ici l’Occident de l’Orient pour deux raisons. La première est qu’au niveau
du fantasme la théorie est universelle, et la seconde est que toutes les recherches ont été faites en
Occident, mis à part le travail d’un chercheur marocain, Mohammed El Bachari, Homme dominant,
homme dominé. L’imaginaire incestueux au Maghreb. Ib.
Marie-France Delfour 1999, Inceste et langage. L’Harmattan.
Françoise Héritier, Boris Cyrulnik, Aldo Naouri 2000, De l’inceste. O.Jacob, p.125. Précisons ici que ce
terme désigne une coloration incestueuse chez la mère n’entraînant pas obligatoirement passage à l’acte.
Delfour, ib.
A ce sujet il est intéressant de noter la forte proportion d’enfants abusés qui revendiquent le droit de ne
plus porter le nom du père.
Confusion of tongues between adults and children dans Further contributions to the problems and methods of
psychoanalysis. New York,1955.Op cit. Georges Devereux 1977, Essais d’ethnopsychiatrie générale.
Gallimard.
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Selon l’expression d’un juge cité par Nourrissier, ib.
Nikâh signifie mariage
Sourate IV, 23 : “Vous sont interdites : vos mères, vos filles, vos soeurs, vos tantes maternelles, les filles
de vos frères, les filles de vos soeurs, vos mères qui vous ont allaités, vos soeurs de lait, les mères de vos
femmes, les belles-filles placées sous votre tutelle, nées de vos femmes avec qui vous avez consommé le
mariage”.
Sourate IV, 22 : “N’épousez pas les femmes que vos pères ont eues pour épouse”.
Al-Ghazali cité par Bousquet, ib, pp.65-66.
Ib, p.46
Bousquet, L’éthique sexuelle de l’Islam, p59. Le rite Malékite apporté au début de l’islamisation du Maroc
par l’imam Malik Ibnou Anas (mort en 179 de l’hégire/795JC) a pris fortement dans cette région. Ce
rite s’inscrit dans la lignée de pur sunnisme (tradition du Prophète) et a proposé dès les débuts de
s’inscrire dans une démarche juridico-religieuse, doublée d’une dimension politique. La doctrine remise
en question par les Almohades est devenue par la suite la religion respectée par tous
Mohammed El Bachari, Homme dominant, homme dominé. L’imaginaire incestueux au Maghreb. Ib.
Ce que Tillon nomme “la république des cousins”. Ib.
Dicton rapporté par Tillon, ib, p83.
Boris Cyrulnik 2000, Les nourritures affectives. Odile Jacob. Poche.
Alain Bouregba, 3ème trimestre 1992, “Le parent terrible. Réflexion sur quelques cas de parents
incestueux”. Dialogue n.117. Impensables violences.
Cf .Tillon, ib. Chapitre III, “Vivre entre soi”, pp.67-83.
“Sa dette” : expression utilisée fréquemment par Chraïbi à la place de menstruations. Notons à ce propos
la remarque de Lévi-Strauss : à Madagascar lorsqu’un ménage est stérile, on pense à une relation
incestueuse ignorée, p.11. Ib.
Montserrat, ib, p.228.
Sybony, L’entre deux. Ib. p.122.
Comme Jawdar, l’enfant s’il veut vivre, ne doit pas suivre son propre penchant qui est de rester avec sa
mère.
Nous ajoutons –de la porte- pour plus de clarté.
Montserrat, ib.
En espagnol Yermo veut dire désert, par extension stérile comme l’est Yerma, le personnage du roman
de Llorca.
Dit Chraïbi dans une interview accordée à Fouet. Le jus est une caractéristique sexuelle, reconnue par
ailleurs par Le Coran, voir Bhokari L’authentique tradition musulmane, ib. p.282.
Dans la tradition musulmane, on donne un nom à l’enfant le septième jour, nom choisi dans la
généalogie familiale ou religieuse. On récite ensuite à l’enfant tous les noms de Dieu, ceux de sa famille
et de ce qui l’entoure, et c’est à partir de ce moment que l’enfant est reconnu. Etre nommé, c’est
appartenir à la umma.
La transmission des prénoms peut être parfois l’occasion de conflits, car ces marqueurs généalogiques
sont des emblèmes de tout le capital symbolique accumulé par une lignée, c’est en quelque sorte
s’emparer d’un titre donnant des droits privilégiés sur le patrimoine du groupe. Cf. Pierre Bourdieu
1972, Esquisse d’une théorie de la pratique, précédé de trois études d’ethnologie kabyle. Droz., p.81.
Françoise Héritier 1995, Les deux soeurs et leur mère. O.Jacob. pp.77-78. La mère transmet les humeurs
qu’elle a reçues de sa fille à son fils par l’allaitement. Il est donc question d’inceste entre le frère et la
soeur.
Rachid Boudjedra 1969, La répudiation. Denoël. La Sourate IV, 22 interdit toute relation avec la femme
du père.
La littérature occidentale est coutumière d’histoires d’inceste. Selon Evelyne Hesse-Fink qui a traité de
ce thème dans sa thèse “Etudes sur le thème de l’inceste dans la littérature française. Ed Herbert Lang &
Cie SA. Berne et Frankfort. 1971, on constate un certain nombre d’oeuvres traitant de ce thème au
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Moyen Age, dans le théatre élisabéthain du 17e siècle, au 18e siècle dans le Romantisme et dans le
Symbolisme. La littérature maghrébine de langue française est trop jeune pour soutenir la comparaison.
Disons que sur cette courte période le thème de l’inceste n’apparaît jamais ou presque jamais.
Vécu à l’embouchure de l’Oum-er-Bia. 3e décade du printemps, an 681. Tel est le paratexte à la fin de
La Mère du Printemps.
Interview avec Eva Seidenfaden Ib.p.452
Cité par Mansour Fahmy, ib. p.48.
El Bachari dans homme dominant, homme dominé, p.105 en donne une belle démonstration dans un cas
rapporté d’un homme qui se croit possédé par une djinnya qui a le visage de sa fille. Sa fille, restée
célibataire s’occupe exclusivement de son père. Elle a réveillé chez son père des fantasmes de bonne mère
protectrice dans une relation teintée d’érotisme. La relation avec sa fille le renvoie à “une certaine
nostalgie de retour au sein maternel, une attirance vers l’euphorie libidinale et fusionnelle…”
La mère est citée très régulièrement jusqu’à sa mort : pp. 22, 26, 32, 36, 43, 44, 45, 46, 48, 52, 55, 57,
58, 60, 69, 70, 71, 78, 85, 86, 93, 97, 98, 99, 107, 109, 116, 133, 146, 151, 165, 170, 171.
Scène frappante que nous avons précédemment commentée dans la deuxième partie, paragraphe sur les
mères.
Basfao, ib. p.330
Précisons que le premier Inspecteur Ali a été écrit avant le diptyque mais qu’il a pris l’envergure d’une
série après Naissance à l’aube. Jusqu’à nos jours 4 romans avec l’Inspecteur Ali ont été publiés.
Sauf peut-être pour Louis Malle dans son film Le souffle au coeur que toute la sensibilité de Léa Massari
avait aidé à rendre émouvant.
Ib, p.549
Extrait d’un livre de Driss Chraïbi, non paru, cité dans une interview avec Basfao, ib, p.746.
Citation de Chraïbi in Basfao, ib. p.701.
Driss Chraïbi, Vu, lu, entendu. Ib. p.12
Conte rapporté par Alfred-Louis de Premare, “La mère et la femme dans la société familiale
traditionnelle au Maghreb”. Le Bulletin de Psychologie XXVIII, 1973, p.298.
Sourate XLVII, 15.
Psychanalyse et textes littéraires au Maghreb, ib. pp.50,52,57.
A.de Premare ib, p.302
Bataille livrée contre les Turcs en 1724, dans le Nord-Est algérien. Episode repris par Djura 1993, La
saison des narcisses. Laffont. P.100.
Malek Chebel, “Mères, sexualité et violence”. Etre femme au Maghreb et en Méditerranée. Sous la
direction de Dore-Audibert, pp.49-59.
A.de Premare. Ib.
Sarah Kofman, L’enfance de l’art. Une interprétation de l’esthétique freudienne. Galilée, 1985, p.132.
Cité par Déjeux Littérature maghrébine de langue française. Ottawa, ib. p.286.
Otto Rank, Le thème de l’inceste dans la poésie et la légende. Fondements d’une psychologie de la création
poétique. Leipzig. F Deuticke.
Sarah Kofman, ib. p.183.
Tahar Ben Jelloun 1978, Moha le fou, Moha le sage. Seuil, p.99.
Abdelhak Serhane 1995, L’amour circoncis. EDDIF, introduction.
Couchard 1994, Le fantasme de séduction dans la culture musulmane. PUF, p.93.
Interview Basfao, ib.
Albert Cohen 1954, Le livre de ma mère. Gallimard, Folio.
Bachari, Homme dominant, homme dominé. Ib., p.68 citant Freud (1912) “Sur le plus général des
rabaissements de la vie amoureuse”. La vie sexuelle, pp.55-61. PUF. 1969
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