13 - accueil cyclandes

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13 - accueil cyclandes
Vendredi 9 mars 2007 - Emerainville
CHAPITRE XIII
MAIS QUI ES-TU ?
La pluie tombait finement dans le sombre du matin. Je me sentais toute chose
comme remplie d’un gros chagrin. Sortie d’un nuage de sommeil, j’étais restée
immobile, le nez à la fenêtre. Les carreaux ruisselaient de fines gouttelettes
dégoulinantes en zigzag sur la vitre comme de petites larmes qui cherchaient leur
chemin pour assécher une peine. Moi aussi je cherchais un chemin dans l’ambiguïté
de mes pensées. Ma morosité me venait de cet adieu de Vévé. Je l’avais senti
mourir près de moi, avec lui j’avais perdu Cagouille, Olivier, Clément toute une
histoire. Toute une histoire d’un rêve avec le sentiment d’une réalité passée qui me
demandait d’être le messager auprès de Maud. Tout cela était trop étrange, il devait
y avoir une explication, une explication qui tienne debout, pas de la science fiction,
pas de magie, je n’étais ni voyante, ni médium. Pourtant ce rêve me disait, sois
l’interprète des esprits des autrefois, toi l’enfant on te croira !
Je ne savais pas quel esprit me demandait cela, mais il ne se rendait pas compte
que je passerai pour une débile si je débitais cette histoire en vrac. Comme cela :
« Voilà Maud ces jours derniers dans mon sommeil j’ai côtoyé des fantômes,
auxquels j’ai conté une histoire contenue, comme tu le sais dans ces fameux cahiers
ceux retrouvés dans le tiroir d’une commode. Mais ces cahiers n’avaient qu’une
faible importance, parce ce que ce que je contais dépassait très largement leur
écrit !
De plus tiens-toi bien !
Les deux dernières nuits, je n’avais même plus besoin des cahiers pour conter cette
histoire !
Cela sortait tout simplement de ma tête.
Au fait !
Ce que j’oublie de dire c’est que cette l’histoire est l’histoire d’un de ces fantôme qui
avait perdu la mémoire !
Respire un peu !
Il faut que je te glisse entre deux guillemets de respiration, qu’Yvon le fils de
Marjolaine lui aussi a fait le même rêve que moi, enfin pas tout à fait, mais
presque !
Jusqu'à là !
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Tu m’suis ?
Je sais ce que tu penses :
Que j’ai une forte imagination, comme mon père et que je sais faire une montagne
d’un petit tas de sable !
Mais ce n’est pas du tout le cas !
Car le plus extraordinaire de l’extraordinaire, et cela est possible crois-moi, c’est que
cette histoire à un rapport avec ton histoire, mais le problème…..
Je ne sais pas lequel ?
Non ! Non ! N’appelle pas un médecin, ça va bien !
Je te le jure, ça va bien.
Reprend ton souffle car c’est pas fini :
Un matin j’ai trouvé une photo sur la commode de ma chambre ou de ta chambre
d’antan comme tu veux, une photo d’une jeune femme d’autrefois et à bien la
regarder, j’ai remarqué un médaillon à son cou, et je parie que tu ne vas pas me
croire, ce médaillon je l’ai retrouvé dans tes affaires au grenier de service avec
Yvon.
Me dit pas que c’est un fantôme qui te l’a donné, moi je ne te croirais pas, mais
celui qui te l’a donné, m’a sûrement donné aussi cette photo, pourquoi, là non plus
je ne sais pas !
Puis c’est pas tout il y a aussi cette musique que j’entends dans mes rêves, et bien,
ne t’étonne pas, hier avec Yvon nous l’avons entendu et trouvé le microsillon dans
une des chambre à l’étage !
Hein, encore étrange ?
Bon je crois que j’ai fait le tour de tout ce que tu dois savoir.
Ha non !
J’oubliais le fantôme, celui de l’histoire enfin, pas lui mais un de ses amis, à un
moment de l’histoire il a braillé les mêmes phrases que toi, l’autre jour quand t’as
passé le mur de l’enceinte :
« Qui veut être libre !
Prend la fuite !
Ou la mort ! »
Tu vois, il y a des rêves qui touchent la réalité
Bon je termine,
Mais là, il vaut mieux t’accrocher ou va plutôt chercher des cachets et surtout un
verre d’eau, car je crois que cela va être dur à avaler.
Ça va ?
T’es prête ?
C’est sûr ?
Bon voilà :
Je pense que je connais ton vrai Père,
C’est à dire que j’ai du rencontrer mon Grand-père »
Quel être humain peut croire à ce tricot d’invraisemblance ! Pourtant tout cela était
dans ma tête, en mon conscient ou en mon subconscient enfin quelque part en moi.
J’ai décidé de ne rien dire à Maud d’attendre, il allait se passer quelque chose, j’en
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étais sûre, tout cela avait un sens, mais lequel ?
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La veille au soir, allez savoir pourquoi, Théo avait rappelé Maud et le programme
avait été tout chamboulé, pourquoi ? Encore un mystère. Théo devait arriver par le
train en gare de Verdun comme prévu à 9 heures 35 mais il prendrait un taxi pour
nous rejoindre directement chez Marjolaine.
*******
Juste après le petit déjeuner, je suis retournée au grenier, Yvon avait laissé les
portes ouvertes, la poupée n’était pas encore soignée Osipo devait être trop occupé
par ses fameux cours de français ou était-il un mauvais chirurgien esthétique pour
poupée meurtrie ; mais le médaillon, lui était bien là, je l’ai mis dans ma poche et
l’ai ramené dans ma chambre. Avec délicatesse je l’ai déposé juste à côté de la
photo de la belle inconnue.
*******
Yvon était venu nous chercher un peu avant 10 heures en vélo, d’où l’idée de Maud
de le suivre en vélo jusque chez lui. Maud a toujours eu cette faculté d’improviser
les choses et de leur donner un petit côté folklorique ou si vous préférez libertin. Moi
j’avais plutôt l’esprit rationnel, pour le concret bien sûr, pour le rêve passons et là
cette histoire de vélo m’avait séduite à moitié :
« Mais Maud il a plu !
Ça va glisser, les routes sont sûrement un peu boueuses par ici ! »
Yvon bien entendu, n’était pas de mon avis :
« Mais où tu te crois !
Dans la cambrousse à pétaouchnoc !
Pas besoin de trancher au coupe-coupe des lianes ni des herbes géantes, la route
c’est du macadam, un vrai billard et elle est presque sèche maintenant ! »
Je l’ai remercié comme il se devait :
« Osipo est descendu de son cheval et a appris à faire du vélo !
Il est grand le garçon ! »
Il n’y eut rien à faire, Maud, n’avait pas eu besoin de coupe-coupe pour trancher :
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« Tout le monde à vélo ! »
Ma grimace ne changea rien. Notre brave Yvon nous mena jusqu'à une remise, la,
derrière un bazar de vieilles choses et de toiles d’araignées, il sortit deux bécanes je
veux dire deux tas de ferraille à pédaler. J’ai haussé les épaules en disant :
« Il n’y a pas de doute !
Ils sont d’époque ! »
Yvon avait ce sourire joyeux, celui du plaisir de m’ennuyer, enfin disons plus
gentiment de me taquiner. Il fallut dépoussiérer, gonfler, lever la selle pour celui de
Maud, un vélo de femme et baisser la selle pour celui qui allait être le mien, un vélo
d’homme.
Maud me voyant prendre l’allée en marchant à côté de ma bicyclette me dit :
« Ophélie ne fait pas la tête
Monte sur le vélo ! »
« Je ne fais pas la tête, je prends conscience du danger !
Les dérapages sur graviers, je laisse ça aux professionnels moi ! »
Évidement mon regard s’était posé lourdement sur Yvon. Celui-ci avançait à petits
tours de roue, il me répondit sans me regarder :
« Oui la route ! Un vrai billard ! »
Il laissa un espace de silence et rajouta :
« En été seulement !
Car à la saison des betteraves !
Crois-moi ça glisse ! »
J’ai failli rebrousser chemin, mais ma fierté aidant et surtout le regard de Maud
m’ont convaincu que je devais affronter ce danger. En réalité la route était sans
risque. Mais un des problèmes de ce vélo était le bruit, il s’en émettait de partout, le
pédalier faisait des clacs, des clacs clacs, la chaîne se permettait des cuicuis, le
roulement des roues devait posséder de billes carrées qui se cognait contre la
graisse solidifiée. Ma bicyclette était du genre musical, chant de piafs un peu
grippés. Le second problème du vélo c’est qu’il faut appuyer sur les pédales pour
qu’il avance et j’avais dû oublier mes mollets à la Gentilhommière. J’avais
l’impression de traîner une charrette derrière moi, une charrette avec une tonne de
sable, la route s’élevait légèrement, mais pour moi c’était le Tourmalet. Yvon me
rassura à la manière de Lapalisse :
« T’en fait pas quand ça monte, c’est que ça descend quelque part ! »
Je n’ai même pas eu besoin de lui manifester tout le plaisir que j’avais à l’entendre
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par une grimace, car ma grimace était permanente. Au sommet de la pente, Yvon
avait raison pour une fois, cela descendait. Maud se laissa glisser à mes côtés et me
joua la maman poétique :
« Tu ne trouves pas agréable, ce paysage qui nous entoure de sa fraîcheur. Cette
nature qui semble ouvrir un espace au temps, comme si tout ce qui s’agite dans
notre vie, prend ici un instant de repos et se délivre d’un silence.
Tu ne trouves pas ! »
Elle avait détourné son visage pour admirer ma tête, elle n’aperçut que deux sourcils
en forme de nuage qui ombrait un faux sourire. Elle prit ses distances d’un coup de
pédale, ne voulant pas affronter ma pluie.
*******
Une maison blanche aux volets bleus s’étendait sous un toit de tuiles au milieu d’un
petit jardin que les fleurs d’automne tâchaient de couleurs. Un petit muret surmonté
d’un grillage aux mailles distendues protégeait cet enclos. La maison aux volets
bleus de Marjolaine se situait juste à côté de l’école. Ce petit bâtiment communal de
plein pied, ressemblait plus à une grande chaumière qu’à une école sinon par de
larges fenêtres qui couraient sur sa façade sur lesquelles des enfants avaient collé à
l’intérieur des dessins. Ce bâtiment se trouvait au milieu d’une grande cour de terre
battue, où trois platanes jetaient l’ombre de leurs dernières feuilles sur le sol. J’ai
pensé, avec sournoiserie comment une école si petite pouvait contenir tout un
savoir.
Nous posâmes nos vélos contre le muret, Yvon nous ouvrit le chemin en poussant la
porte en fer qui s’étira d’un gémissement de métal. Maud referma la porte, avec une
délicatesse qui ne put éviter cet éraillement de ferraille. Je m’étais arrêté pour la
laisser passer, j’aperçus son regard, toute une émotion était dans ses yeux, son
visage était tendu, il s’y voyait de l’angoisse dans un ravissement, un plaisir dans
une crainte, pourquoi ?
Une allée étroite était pavée de dalles disjointes où l’herbe y faisait son chemin. À
l’une des fenêtres un voilage s’entrebâilla une ombre apparut puis disparut. Les pas
de Maud semblaient prendre leur temps, Yvon lui était presque arrivé à la porte
quand celle-ci s’ouvrit. Maud s’immobilisa, Marjolaine sortit de l’ombre de
l’embrasure, je découvrais ce visage que j’avais imaginé enfant, mais elle était
femme, pourtant se dévoilait dans son apparence quelque chose d’enfantin, un
visage aux rondeurs de gentillesse, des yeux clairs qui attiraient la lumière comme
un sourire permanent. Elle s’immobilisa aussi.
Yvon et moi nous allions regardant l’une et l’autre.
On dit qu’il n’y a que les montages qui ne se rencontrent pas, là les deux montagnes
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étaient de glace, mais une glace qui se fondait en larmes. Marjolaine avait porté ses
mains à sa bouche comme retenant un cri, Maud avait baissé les yeux comme une
honte d’excuses, elle s’en mordillait les lèvres entre deux sanglots.
Ainsi le temps marquait cet espace invisible de sentiments, pourtant ils étaient
présents ses sentiments mais tellement ancrés en chacun de nous qu’ils
n’attendaient qu’une chose se libérer de cette retenue.
Yvon versa ses larmes à son tour, les miennes étaient comme une pluie sur mes
joues. Nous vîmes les montagnes de tendresse se rapprocher.
« Maud ! »
Le cri du cœur résonna d’un autre cri du cœur :
« Marjolaine ! »
Marjolaine s’avança vers Maud. Les bras s’ouvraient, entre ses bras les cœurs
battaient, battaient les autrefois, battaient le silence qui effaçait le temps. Elles
s’enlacèrent, confusion, émotion et l’effusion fut grande. Je découvrais le sens du
mot amitié que le cruel avait séparé où ce temps perdu ne s’était pas oublié. Il n’y a
pas plus grand amour que celui que l’on a séparé d’une contrainte, car il demeure
toujours en lui une latence d’espoir, ce rêve de vivre en soi ce qui n’a pu exister.
Yvon essuyait ses pleurs comme il le pouvait d’un doigt, d’un rond de poing, d’un
revers de manche, d’un reniflement, d’une caresse de joue, comment ce gros nigaud
pouvait-il posséder en lui tant de sensibilité. Moi ma sensibilité se concentrait dans
mon mouchoir, une vrai éponge à larmes.
Maud saisit le bras de Marjolaine, leur visage était pris l’un par l’autre dans un
silence qui échangeait des pensées. Marjolaine entraîna Maud vers sa maison. Je les
ai suivies de quelques pas derrière et quand j’ai croisé Yvon, celui-ci m’a dit :
« C’est beau hein ! »
Comme j’étais encore tout émue, je tressaillis des épaules et versa une larme de
plus, lui voulut cacher son émotion et fit ressortir son côté macho:
« C’est drôle !
Je croyais que les jolies sorcières ne savaient pas pleurer ! »
« C’est drôle !
Je croyais que les chevaliers avaient le cœur sec comme une pierre ! »
Il rajouta d’un sourire :
« Tu vois comme l’on peut se tromper ! »
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Il me prit le bras :
« Que la gente dame se donne la peine de pénétrer dans mon humble demeure ! »
La porte se referma laissant la nature frissonner d’un vent d’automne.
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La salle à manger possédait un coin salon rien à voir avec la magnificence du salon
de la Gentilhommière. Mais nous savons que le charme ne se trouve pas dans la
grandeur des lieux mais dans la chaleur qu’elle vous offre en la proximité des êtres.
Maud et Marjolaine avaient rompu la glace et les montagnes étaient devenues sable
fin comme des dunes que caresse un vent de vagabondes pensées. La conversation
se fit d’abord sur des banalités comme :
« Qu’est-ce que tu deviens ? »
Ou autre banalité qui revient au même :
« Que fais-tu maintenant ! »
Petites questions, petites réponses sorte de labyrinthe ou de spirale qui oublie le
centre de leur présence, le centre de leur pensée, le centre de leur préoccupation, le
centre de la sincérité masquée par ce genre de propos :
« T’as pas trop changée ! » « Toi non plus ! »
Et bien d’autres questions sans importance que celle d’une politesse et d’une
timidité. Puis petites phrases en petites phrases elles faisaient ce chemin vers les
autrefois. Là, les sourires éveillaient des images, des éclairs de soleil et de joies. Un
feu se ravivait en une pluie de minutes passées qui ne pouvait refroidir les cendres
chaudes de ces cœurs d’enfants. Par instant chacune retombait dans un songe de
silence. Puis l’une d’elle allait chercher un autre souvenir que l’autre complétait d’une
évasion de mots. Les yeux se réveillaient de détails oubliés, elles rajeunissaient, elles
courraient dans les bois de la Gentilhommière, folles heureuses libérées des temps
mauvais. Cela n’était que des printemps qui avaient oublié leur hiver, c’était deux
bateaux qui remontaient une rivière vers la source des temps clairs.
Mais par moment il me semblait qu’elles effectuaient un détour sur le chemin de ces
souvenirs comme si dans leur mots, se trouvait une ombre, un écueil à éviter, mais si
souvent frôlé, une présence invisible, mais une présence en leurs yeux.
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La grande aiguille de l’horloge avait tourné sur le temps passant. Quand nous
entendîmes une voiture s’arrêter, une porte claquer. Maud avait tressailli, une
émotion l’envahissait, Marjolaine avait ressenti ce trouble, mais semblait l’avoir
envisagé, elle dit :
« C’est lui ? »
Les yeux de Maud brillèrent. Moi je ne comprenais plus rien, je regardais ma Mère
d’une interrogation muette, elle murmura :
« Oui c’est lui ! »
Je courus au rideau, le soulevais, un taxi s’en allait, je me mis à sourire, je le voyais
dans l’allée, au fond du jardin ; comme soulagée je me suis retournée et j’ai
balbutié :
« C’est rien ! Ce n’est que Théo M’an »
Marjolaine se leva, se pinça les lèvres et ses yeux embrumés glissèrent sur Maud :
« C’est Florian »
Mais je rectifiais :
« Mais non c’est Théo ! »
Maud ferma les yeux, les baissa, façon de s’incliner d’une évidence.
La porte s’ouvrit, je me jetais dans les bras de Père, la tête enfouie entre les pans de
son manteau, je le serrais avec la force d’un enfant, puis, je levais mon bout de nez,
mes yeux s’imbibèrent d’une brillance :
« Pa ! Qui es-tu ? »
Père se mordit les lèvres, et son regard se noya en moi, puis comme cherchant un
horizon lointain, s’en allant dans ses ondes de souvenirs, ses yeux découvrirent la
douceur d’un visage celui de son enfance, celui de Marjolaine, sa voix s’emplit
d’émotions :
« Pardon Marjolaine »
Maud se leva et fit l’écho de ces mots :
« Pardon ! Marjolaine ! »
Mais ma bouche bredouilla :
« Pa ! Qui es-tu ? »
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Il me caressa les cheveux :
« Je suis ton papa, je suis ton Théo et autrefois j’étais leur Florian ! »
Maud s’approcha de nous deux :
« Tout cela est de ma faute Ophélie, ce secret c’est moi qui l’ai voulu ! »
« Mais pourquoi M’an ? »
« Car je voulais ne plus me souvenir du temps de la Gentilhommière, je voulais
oublier ces lieux, ces années de bonheur et de morsures mortelles, oublier tous ceux
que j’aimais, que je haïssais, les laisser dans l’ombre d’une autre vie.
Y penser me faisait trop souffrir. Des années de pensionnat comme une prison, sans
que la porte ne s’ouvre sur un visage de tendresse. Alors j’ai fermé la porte sur les
autrefois. Ma vie s’était rythmée à ce casier de bois noir dans l’ombre d’un couloir et
quand mes yeux voyaient de loin la blancheur d’une lettre, je revivais un instant car
c’était le courrier de Florian. Jamais il ne reparlait de la Gentilhommière, il écrivait
pour moi, pour mon autre vie. »
Marjolaine sortit de son silence :
« Alors un jour j’ai trouvé ce mot de Florian, celui que t’as fait lire Yvon, ce mot était
un adieu, mais un aveu, bien plus que son Père, Florian allait rejoindre Maud. Moi je
l’ai deviné ! »
J’avais le cœur gros sans trop savoir pourquoi, je me suis mis à pousser un grand
soupir en disant :
« Alors t’es Florian ! »
Puis, je voulais en savoir plus :
« Mais pourquoi Théophile ? »
« Parce que c’est mon deuxième prénom tout simplement !
Mais Verlin c’est bien ton nom, c’est bien notre nom ! »
« C’est bien notre nom de famille, mais à l’époque je portais le nom de ma mère
Gourdais, je sais que c’est difficile à admettre et qu’il faut prendre les événements
par le début, Ophélie laisse-moi le temps de t’expliquer tout cela !»
Yvon était muet, mais ses yeux s’écarquillaient sur moi, il partageait mon émoi, je
crois qu’il aurait voulu être plus près de moi, me protéger. Mais dans le fond rien
n’était dramatique on m’avait simplement caché une vérité, c’était comme si l’on
effaçait derrière moi une origine faite d’ombre. Il se dit souvent qu’il faut savoir d’où
l’on vient pour savoir où l’on va. Moi j’avais l’impression de ne plus savoir d’où je
venais, d’ailleurs l’avais-je jamais su réellement. Dans le fond qu’importait ce passé
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puisque j’allais, depuis ma naissance, dans une vie de bonheur.
J’avais réuni dans mes bras Maud et Théo je ne voulais pas que le passé me prive de
ce bonheur.
« Il faut garder notre bonheur ! »
Marjolaine s’était approchée d’Yvon et tout en nous regardant, elle l’avait pris par
l’épaule, lui glissa la main dans les cheveux.
Elle se tourna vers moi :
« Nous aussi nous avons notre bonheur, Ophélie c’est vrai j’aimais Florian, mais la
vie à ses préférences, elle a uni Maud et Florian, Maud avait sûrement plus besoin de
Florian que moi puisqu’elle était seule, abandonnée »
Marjolaine s’approcha de Théo et de Maud et leur prit leur main :
« Mais nous sommes réunis maintenant ! »
Puis avec un sourire presque malicieux :
« Et il ne faudrait pas croire que je me suis lamentée longtemps de toi Florian. J’ai
rencontré peu de temps après ton départ, Jean Michel et nous ne nous sommes plus
quittés, c’est mon mari et je suis heureuse ! Mais j’ai toujours gardé ces bons souvenirs de notre enfance et me suis souvent
demandée qu’est-ce que vous étiez devenus. Jusqu’au jour où dans une librairie je
suis tombée sur un livre j’en avais entendu parler par un de mes collègues, j’ai
feuilleté quelques pages comme cela au hasard puis sur la face arrière, se trouvait
une photo, celle de Théophile Verlin, mes yeux se sont écarquillés et franchement je
suis restée bouche bée, c’était toi, puis, je me suis dit non, ce n’est pas possible,
j’avais un doute qui s’est tout de suite, évanoui quand, revenant aux premières
pages et sur l’une d’elle, il y avait écrit tout simplement :
« À Maud et Ophélie»
La Maud de la dédicace, ne pouvait être que mon amie d’enfance et ton visage sur
l’arrière de la couverture, il n’y avait plus de doute je vous avais retrouvé »
Théo qui voulait masquer son trouble :
« Et c’était quel bouquin ? »
« À l’Est des bennes ! »
« Un bon bouquin n’est-ce pas ! »
Marjolaine se mit à rire :
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« Toujours aussi fier de toi tarzan ! »
Le passé s’oubliait, l’amitié se scellait de nouveau, les regrets s’effaçaient puisque
qu’ils étaient là ensemble. Marjolaine passait de Théo à Florian cela faisait sourire
Maud, cela faisait sourire Yvon, cela me faisait sourire.
Père m’emmena sur la route qui longe l’école et qui s’ouvre au Village de Malancourt,
et il me raconta ces jours anciens :
Sa mère Hélène avait déclaré Florian de père inconnu enfin c’est ce qu’elle a déclaré
à la mairie, car elle savait bien qui était le père de son enfant, un homme marié qui
était resté dans la région pour son travail, il était architecte et travaillait pour l’état.
Tout était à reconstruire dans la région après le déluge de la guerre. Ce fut un amour
sincère, jusqu’au jour du retour du jeune homme vers Paris. Sa femme malade, il se
devait de revenir près d’elle et de s’occuper de son enfant. Hélène ma grand-mère
mit au monde cet enfant, mon père. Elle le déclara Florian Théophile Gourdais de son
nom de jeune fille et l’éleva seule.
Les années s’écoulèrent Hélène se battit pour que son fils ne manque de rien, elle
trouva une place de cuisinière à la Gentilhommière. C’est là bien sûr que le trio vécut
sa plus belle enfance.
L’éviction de Maud et bien plus tard la maladie d’Hélène provoqua tout ce
chamboulement. Père allait sur ces dix ans, était ancré déjà en lui cette envie
d’écrire, il avait toujours rêvé d’intégrer la faculté des lettres à la Sorbonne. Alors ma
Grand-mère se mit en quête de retrouver le père de Florian, pour lui demander de
l’aide. L’homme ne l’avait pas oublié, il écouta toute l’histoire de son amour de
passage, mais Hélène s’en retourna sans réponse concrète. L’homme devait réfléchir,
la question se posait, l’enfant était-il bien le sien et pourquoi venir tant de temps
après quémander son aide.
Étienne Verlin tel était son nom, était devenu une sommité en son domaine. Sa
réussite professionnelle contrastait avec sa vie privée, après la maladie de sa femme
quelques années plus tard, celle–ci l’a quitté emmenant leur fils avec elle. Ainsi il
vécut ce temps seul dans un milieu où les aventures ne manquaient pas. Une vie un
peu dissolue entre les honneurs et une vie bon train. Mais ce temps passa, une
solitude commença à l’aigrir, il avait fait le tour de ces plaisirs chauds du soir, froids
du matin.
À la mort de ma Grand-mère, Étienne Verlin était présent. Qui l’avait prévenu, nul ne
le sait. Est-ce qu’il a reconnu dans le visage de Florian le sien, personne ne peut le
dire, était-ce le cœur, la raison où une conscience d‘effectuer pour une fois une
bonne action, Il reconnut Florian comme son enfant et lui donna son nom et tout en
gardant une froide distance, il lui ouvrit les portes de sa demeure et le moyen de
poursuivre ses études.
Théo avait pour cet homme, son Père, un respect et un amour caché qu’il avait
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acquis aux cours des années passées près de lui. De même que la froideur de mon
Grand-père se transforma en une affection sincère qui déboucha même sur une
fierté.
Mais Théo m’avoua que s’il avait rejoint son Père, ce n’était pas pour le fait de
poursuivre ses études, Charles Hubert lui avait proposé de l’aider, mais tout
simplement, c’est qu’à Paris se trouvait Maud son amour. Cinq ans d’échange de
courriers, lettres où les sentiments d’un liseron de tendresse se vit fleurir, jour après
jour, d’un sentiment d’amour.
Maud avait oublié le Florian de la Gentilhommière, pour vivre avec celui qu’elle
prénommait maintenant Théophile mais bien plus souvent Théo, tout comme moi
mais beaucoup plus tard.
J’avais écouté mon Père comme s’il m’avait raconté un de ses contes avec une légère
confusion d’état d’âme. Cela ressemblait à une tragédie qui ne disait pas son nom,
puisque l’amour en avait gagné la raison. Je ne me rappelle plus très bien quel était
le sentiment qui me parcourrait. Depuis quelques jours, autour de moi, tout le
monde mentait ou plutôt dissimulait en leur silence une vérité. Chacun s’octroyait
une excuse, un prétexte, un faux-fuyant ou une raison sincère. Le bizarre d’une
révélation, c’est d’éprouver une émotion relative à des faits passés à propos desquels
vous ne pouvez rien changer, qui malgré tout vous touche d’un sentiment de
frustration.
Mon enfance avait couru son existence sans la présence de Grands-parents. Pas de
genoux pour accueillir mes petites fesses, pas d’évocation de vieux souvenirs, pas de
cœur pour épancher des secrets que seules les vieilles personnes savent écouter, pas
de tendresse qui cachent le sentiment de voir en leur petite fille un peu de leur vie
qui sourit.
Mes Grands-parents n’étaient que des personnages comme ceux que je découvrais
dans les romans, des rares photos de Clarisse et du père de Théo auquel je
préférais, cela dû à mon imagination, les visages que mon esprit avait créés et à qui
il avait donné une fausse existence. Il m’arrivait de me confier à eux et de voyager
avec eux dans l’espace de leur vie imaginaire des autrefois. J’avais aussi un oncle, le
demi-frère de papa, que lui-même ne connaissais pas. À bien regarder j’étais issue
d’une famille de fantômes heu ! Je veux dire d’âmes errantes.
Que savais-je d’eux :
Quand Père se laissait aller à ses souvenirs d’enfance, il dérivait toujours dans des
affabulations auxquelles je ne savais jamais où se trouvait la vérité et chaque
allusion à sa Mère, Hélène, c’était toujours dans une sorte de rêve, il me disait
qu’elle avait été servante dans un domaine de riches propriétaires, et qu’un jour
Étienne Verlin était venu l’enlever de sa cuisine pour l’emmener dans son hôtel
particulier et l’épouser. C’était du Théo, il me le contait à sa façon, genre cendrillon
et son prince charmant, un beau conte de fées. Mais en ce jour je savais que cela
était mensonge, un beau mensonge, mais mensonge quand même.
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Maud, comme je l’ai déjà écrit, se murait dans un silence. Mais il m’était arrivé
quelquefois, à un détour d’une pensée de petite fille, de lui poser une question à
propos de son enfance. Ceci se traduisait par des réponses évasives, elle m’évoquait,
Clarisse avec tendresse de quelques mots et s’en retournait dans un silence de songe
que ses yeux voulaient quitter. Quand à Charles Hubert s’était un fantôme qui ne
pouvait traverser le mur du silence de Maud.
Tout cela pour dire que je ne connaissais que peu de chose de mes Grands-parents.
Pour moi il n’était plus de ce monde Hélène et Clarisse s’étaient effacées de la vie
avant ma naissance, Étienne Verlin avait cessé d’exister alors que je n’avais pas
encore soufflé mes deux bougies, flammes de mes deux ans. Le seul Grand-père que
j’aurai pu rencontrer, était Charles Hubert lui était toujours de ce monde pendant
mes quatorze années d’existence mais cela je ne le savais point. Quelle importance
puisque que ce n’était pas mon grand-père !
Théo sur notre chemin me conta d’autres détails de sa vie d’étudiant, de ses
retrouvailles avec Maud, de leur promesse de garder secret ce passé. Puis avec une
voix émouvante il conta leur mariage, dans la plus stricte intimité. Tout cela se
passait comme s’il feuilletait les pages d’un livre de souvenirs, le sien, il en cherchait
les meilleurs passages, les plus belles images à décrire. Pendant le temps où il
tournait ces pages en sa tête, il faisait silence, celui où file les ans dans l’espace infini
des paysages d’antan, l’espace du songe où s’éveille le fuyant des visages des
revenants, le flou d’images d’autrefois qui s’étendent sur un fil d’encre de mots sans
écho entre terre et ciel, sur un horizon où se posent les yeux d’une intouchable
vision. Voyage dans son temps, en son livre de souvenirs, il avait peur d’oublier une
ombre, qui ne demandait qu’à revivre un moment près de nous. Ce livre Théo
l’écrivait de sa voix, chapitres emmêlés d’un imbroglio d’histoires. Ces mots étaient
de chairs et de sentiments, sans être un dieu il recréait en moi un monde, il en
défiait le temps en le menant d’un retour aux jours d’avant.
J’ai marché près de lui en ces mots, en son temps comme un être vivant. J’ai marché
en ces mots, en son temps qui n’était que du vent, un vent d’une histoire, un vent
d’autrefois celui de mes parents.
Dans tout ce fatras de souvenirs, comme un brouillard en moi, il me manquait un
visage.
Soudain il me vint dans l’errance d’une pensée, le visage d’un homme, d’un soldat,
un flou d’images celles d’une bouille mal rasée emplie d’une tristesse celle de Vévé,
de Vincent Ventadieu, visage d’un sage silence qui voulait me dire :
« Ne m’oublie pas je suis aussi ton Grand-père ! »
CHAPITRE XIII
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Nos pas s’en revenaient vers la maison de Marjolaine, Théo me dit :
« Ophélie il faut nous pardonner, nous ne t’avons pas menti, mais caché une vérité
dans le seul but, vivre d’un bonheur, sans l’ombre d’un passé »
J’avais redressé ma tête et elle devait s’éclairer de lumière car mon père me fit un
large sourire :
« T’en fais pas Théo !
Cela ne change rien, ce qui n’existait pas dans ma tête, ne peut en changer le sens,
mais simplement me faire revivre un moment, ceux à qui dans le fond, je dois ma
présence près de vous ! Peut-être toutes ces aigreurs, toutes ces détresses, tous ces
malheurs se sont transformés dans ton cœur et celui de Maud en tant de tendresse
et d’amour qui sur mes jours ont posé ce bonheur ! »
Tant de lyrisme l’avait fait sourire alors il en rajouta une couche :
« Il faut que le ciel soit gris parfois
Pour savoir l’apprécier quand il se fait l’éclair d’un bleu de joie ! »
Tel Père, telle fille, il m’a pris la main, doucement il l’a serré, sa chaleur me vint, il
tenait entre la paume et ses grands doigts le prolongement de sa vie comme s’il
tenait le bout de mon cœur.
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L’heure passait, nous restâmes dîner chez Marjolaine, pour mon plaisir et celui
d’Yvon. Personne n’évoqua plus Clarisse, Charles Hubert, ni des souvenirs nuisants, il
ne fut question que de leur joie et ce bon temps où Maud faisait Tchita et Florian
Tarzan.
Pourtant à l’heure du retour, Maud demanda à Marjolaine de venir prendre le thé à la
Gentilhommière, elle avait ajouté d’un ton presque solennel :
« Je voudrais réunir le monde d’autrefois, je dois me retrouver, comme je dois vous
retrouver, sans amertume et sans mélancolie »
J’avoue que cela me parut confus, que voulait-elle prouver ou confesser à tout ce
petit monde de la Gentilhommière. Enfin il suffisait d’attendre pour le savoir.
Le retour se fit bien sûr en vélo, Marjolaine s’était proposée de ramener le sac de
voyage de Théo à l’heure du thé. Yvon lui, avec un sourire malicieux proposa son
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vélo à Théo, son visage resta dubitatif et finit en une grimace, qui prouva que tout
comme moi, qu’il trouvait cette idée de promenade vélocipédique peu réjouissante.
Mais contraint par le sourire de Maud, il enfourcha la bicyclette et fit les premiers
tours de pédales tel un crapaud sur un vélocipède trop petit pour lui.
*******
Nous étions descendus de bicyclette, pour passer par la petite porte, celle contiguë
au grand portail. Théo tout comme moi, non-adepte du dérapage contrôlé sur
graviers, nous ne voulûmes point remonter sur notre machine à tordre les mollets.
Donc nous remontâmes tous trois, l’allée à pieds poussant notre vélo de côté. Le
retour de Théo sous les yeux de Maud se fit en silence les aiguilles des souvenirs
remontaient le temps. Théo voyageait-il en des images oubliées de sa mémoire, se
dressait devant lui la façade de la Gentilhommière. Chaque pas vers elle me donnait
l’impression de pénétrer ces souvenirs. Qu’elles étaient ces images qui voyageaient
dans les yeux de mon père et ceux de Maud ? Moi je les imaginais :
Sur le perron des enfants jouaient, leurs cris étaient un printemps, des rais de
lumière dans des éclats de rires. Maud voyait Clarisse dans sa longue robe blanche
aux fines dentelles de Bruges, marchant dans la grande allée sous son ombrelle.
Alors elle courait vers elle des fleurs à la main cueillies à la fraîche rosée du matin.
Les yeux levés vers le ciel, la petite fille la voyait belle, énigmatique, comme une
luminescente silhouette figée sur une toile de Monet où l’impression d’un sacré
domine le sentiment d’un regret.
Connaissant Théo comme je le connaissais, je ne pouvais que le concevoir le cœur
battant dans son imaginaire d’antan, il se voit courir, galoches aux pieds, dans l’allée
qui mène au potager. Sa galopade était un vent de bonheur, son ombre se
mélangeait à celle des arbres fruitiers. Poiriers et pommiers bordaient cette allée
comme des gardes aux chevelures effeuillées protégeant le vert de l’été. Dans le
travers de leur feuillage passaient les éclaboussures du ciel en tant d’étoiles de
lumière qui se mouvaient sur le sol marquant ainsi le temps de leur présence
éphémère.
Là-bas la petite porte de la clôture du jardinet avait grincé, une femme jeune encore
semblait fatiguée. Une coiffe de toile blanche, emprisonnait ses longs cheveux bruns,
sa blouse noire, serrée à la taille, s’usait sur la terre sèche, à chacun de ses pas
apparaissait le bout d’un sabot. Hélène avait levé la tête et voyait venir vers elle cet
enfant, cette fleur poussant dans son terreau de sa misère. Elle était fière de lui.
L’enfant l’avait envoûté d’amour et d’histoires qui faisait d’elle une reine d’un
royaume de rêve ou lui, troubadour, chantait ses louanges aux sons d’une lyre que
faisait vibrer un vent d’émotion. Florian courait en cette allée d’antan, il courait vers
celle qui lui manquait. Il lui ôta du bras le panier d’osier chargé de légumes, le
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déposa à terre, et la prit dans ses bras et la fit valser et valser, à s’en chavirer le
cœur, à s’enivrer de bonheur.
Les pensées les plus folles possèdent cette beauté, celles de réaliser par l’imaginaire
ce qui nous échappe de la vie. Ce qui fait de chacun de nous, un Dieu en nousmême, renvoyant l’impossible, l’inconcevable, et l’utopie aux oubliettes des temps,
régnant en maître sur nos désirs les plus fous, les plus simples, les plus humbles
laissant notre âme errer en notre inconscient d’un amour apaisé.
*******
Le gravier se plaignait sous nos pas et l’allée n’en finissait pas d’avaler notre silence.
Théo retrouvait sa terre, Maud retrouvait sa maison et moi il me semblait retrouver
mes parents.
*******
Éléonore et Émilie apprirent que Florian Gourdais était devenu Théophile Verlin ne
faisaient-elle pas semblant de l’ignorer ? Cela peut paraître quand même bizarre
qu’elles n’aient jamais chercher à savoir ce que devint Maud après sa sortie des
beaux arts et de son premier emploi égal à son indépendance où même de savoir ce
que devenait Florian par des relations avec son père ?
Éléonore n’avait pas sourcillé, mais sur son visage, un sentiment de contentement
était passé. Émilie elle, avait versé sa larme et retenu ses pourquoi d’une si longue
absence, sachant d’avance qu’une réponse ouvrirait la plaie des autrefois.
L’accueil de Jeannette fut chaleureux. Elle se perdit dans les souvenirs, mais elle ne
put appeler mon Père Théophile, car pour elle, s’était Florian le fils de son amie
Hélène, le Florian de Marjolaine, le Florian de Maud. Quant à Monsieur Verdier, l’être
le plus réservé que je connaissais à l’époque, je fus étonnée de sa réaction il avait
pris dans ses bras Théo et le serrai comme si c’était son fils. Savoir s’il fallait lui
donner du Théophile ou du Florian importait peu à Monsieur Verdier. Dans son élan il
prit Maud aussi dans ses bras et les réunit :
« Mes enfants je vous retrouve ! »
Ce fut un moment d’émotion qui était inconcevable pour moi, si je ne l’avais pas vu
de mes yeux jamais je n’aurai pu le croire. Cet homme rustre, bourru, sorte d’ermite
s’attendrir ainsi. Il reprit vite sa place, celle de domestique et avec des excuses pour
sa familiarité passagère et après quelques mots d’attention, de bienvenue, il quitta la
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pièce.
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Dans le grand parc du domaine, la Gentilhommière retenait son souffle. La morte
saison se plaignait de frisement et de craquement, la nature se déshabillait
lentement de sa robe de couleur, vertueuse elle se cachait dans une brume au matin
qu’un soleil coquin dévoilait d’une ténuité de chaleur. L’étrange beauté ainsi dévêtue
laissait paraître les squelettes ossifiés des grands arbres comme des grandeurs
d’âme de froideur, témoins d’une vérité cachée, car en cette macabre laideur renaîtra
un jour, de printemps, une splendide beauté.
L’être comme la nature, doit se mettre à nu pour voir en lui le squelette de sa vérité,
ainsi dépouillé de sa vanité, de ses mensonges, de ses secrets, de ses rancœurs, cet
être pourra ressentir en lui le commencement d’un nouveau bonheur.
En refermant la fenêtre de ma chambre, avant de descendre au salon, il me semblait
fermer un livre, celui de mes rêves, dans l’au-delà d’un temps je caressais sa
couverture de cuir, posait mes lèvres sur chaque lettre qui s’enlaçait d’enluminure
d’or et je susurrais dans un songe le titre de cet imaginaire ouvrage :
« Ophélie et les autrefois »
Fin du chapitre lundi 19 mars 2007