Louxor, le temps est une affaire sérieuse. Dans l`ancienne

Transcription

Louxor, le temps est une affaire sérieuse. Dans l`ancienne
A
Edito
Louxor, le temps est une affaire sérieuse.
Dans l'ancienne Thèbes où certains temples
n'ont pas d'âge, les journées des touristes sont
précisément comptées : un jour et demi en
moyenne sur place et quatre à cinq pour une croisière sur
PHOTO DE COUVERTURE :
CHRISTINE BANAY
le Nil ; pas plus. Ce Calame hors du Caire, une première
historique, était donc l'occasion pour les étudiants de la
Filière francophone de journalisme de passer cinq jours
entiers sur place, histoire de tâter le pouls de la ville.
Hormis quelques instants volés, ils n'ont consacré que peu
de temps aux splendeurs des dynasties passées et ont
préféré arpenter le Louxor d'aujourd'hui. C'est une ville en
chantier qu'ils ont découverte. Le plan prévu par les
autorités est d'en faire d'ici 2030 un gigantesque musée à
ciel ouvert. Un projet qui suppose que certains habitants
quittent boutiques et maisons et restent à l’écart des
circuits touristiques. Les étudiants ont écouté leurs
Faculté
de communication
inquiétudes, ils ont été revoir ceux qui, à Gourna, avaient
déjà déménagé et ont exploré les nouveaux territoires.
Ce voyage, ces rencontres les ont émus, surpris, dérangés
parfois. Des sentiments qui les ont incités à sortir des
sentiers balisés. Au fil des pages du magazine, ils vous
proposent d'emprunter ces chemins de traverse.
Stéphanie WENGER
2
Le Calame / juin 2008
Sommaire
04• Grand entretien
“Louxor 2030”:
sous ce nom de
code, un ambitieux
projet qui vise à faire
de la ville un musée
à ciel ouvert.
Sur le papier, l’idée
a tout pour plaire.
Mais sur le terrain ?
Décryptage en trois
volets.
Sandrine Gamblin, politologue :
“Les touristes sont tenus à l’écart
des habitants.”
06• Le réaménagement controversé
de l’allée des Béliers. Reportage.
06
DOSSIER
10• Retour à Gourna,
14
Chaque jour,
de curieuses
embarcations
délestent
les bateaux
de croisière de
leurs détritus.
Reportage
sur le fleuve,
à bord avec
les zabalines
du Nil.
chez les déplacés de la colline.
13• New Theba met le cap
sur l’avenir.
14• A bord, avec les zabalines du Nil
Pendant que la croisière s’amuse,
NADIA SHAHINE
Louxor, la métamorphose
DR
EN COUVERTURE
18
des éboueurs sillonnent le fleuve.
Un jour paysan, un jour employé dans
le tourisme : rencontre avec Hussein,
à la croisée de deux univers.
18• Quand les cheikhs délibèrent
A la découverte du Magles El-’Arab,
FATMA AHMAD KAMEL
16• Une vie peut en cacher une autre
Plutôt que de faire appel
à la justice officielle,
les habitants de HauteEgypte ont parfois recours
à un système alternatif :
le Magles El-’Arab.
Le Calame, juin 2008 – Magazine réalisé par les étudiants de la promotion 2007-
2008 de la Filière francophone de journalisme, issue de la coopération entre
une cour de justice alternative.
l’Université du Caire, l’Institut français de presse de l’Université Paris-II et le
20• Des images pour mémoire
Remerciements : Agence France-Presse, Christine Banay, Arnaud du
Dessin, peinture, photo : trois auteurs
immortalisent la ville et ses alentours.
22• Louxor express
Tout visiter en un jour par plus de 40°C ?
Nos reporters ont relevé le défi.
Centre de formation et de perfectionnement des journalistes, avec le soutien du
Service culturel de l’Ambassade de France au Caire.
Boistesselin, Cris Bouroncle, le Centre Français de Culture et de Coopération,
la Faculté de communication de l’Université du Caire, Hanaa Farouq, Golo,
Roland Loche, Alain Navarro, Clément Régulier, Alexandre Sorrentino ainsi
que Jean-Jacques et Joëlle, Adam et Mariam et toute l’équipe du Snack Time.
Directrice de la publication : Dr Laila Abdul Maguid.
Rédaction en chef : Marion Guénard et Stéphanie Wenger.
Rédaction en chef technique : Ludovic Gonty.
Impression : Lumina (40, rue Gazirat Al-’Arab, Mohandessine, Le Caire).
Rédaction : Asmaa Abd El Fattah, Youssouf Abdallah, Shahinaz Abdel Salam,
Fatma Ahmad Kamel, Mohamed El-Had, Ahmed Gamal, Ihab Hassan, Sara
Hesham, Ramy El Kalyouby, Mavie Maher, Pacynthe Sabri, Nadia Shahine.
Le Calame / juin 2008
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“Les touristes sont tenus
Grand entretien
Politologue et arabisante, Sandrine Gamblin vient de soutenir
sa thèse sur l’impact du tourisme international à Louxor. Elle
revient pour Le Calame sur les transformations de cette ville.
Pourquoi, en tant que chercheuse,
s'intéresser à Louxor ?
Les autorités égyptiennes affirment
que l’Egypte concentre les deux tiers
des antiquités du monde ; or Louxor
abrite quelques-uns des plus prestigieux monuments égyptiens. Sans être
une très grande ville, elle est le centre
du développement touristique du pays.
Une autre raison qui m’a poussée à me
pencher sur Louxor, c’est le manque de
documentation et de statistiques sur
l'impact social, économique, politique,
et culturel du développement touristique sur cette ville.
La ville et les villages aux alentours
connaissent depuis cinq ans une urbanisation croissante. Pourquoi ? A cause
de l'augmentation du flux touristique
en Egypte – nous sommes passés de
2 millions de touristes en 1992 à
quelque 10 millions aujourd’hui. Mais
aussi en raison de l'augmentation de la
population. Or Louxor et les villages de
la rive ouest sont en partie classés zones
archéologiques. D’où des mesures prises par le gouvernement pour déplacer
la population de ces sites. Cette idée
n'est pas nouvelle : elle date du dixneuvième siècle.
Aujourd'hui, deux zones sont concernées : sur la rive est, il s'agit des habitations le long de l'allée des sphinx à tête
de bélier, allée qui relie le temple de
Louxor à celui de Karnak. Cet espace
est en cours de transformation. Et de
l'autre côté du Nil, rive ouest, on trouve
le village de Gourna construit sur la
montagne thébaine, où 1 500 à 2 000
tombes ont été recensées par les égyptologues. Il y a plus d’un an, les habi-
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Le Calame / juin 2008
NADIA SHAHINE
Quelles sont les principales mutations
en cours à Louxor ?
Chercheuse et consultante auprès d’organisations internationales, Sandrine Gamblin s’est
appuyée pour sa thèse sur une fréquentation assidue du terrain depuis plusieurs années.
tants ont été déplacés puis relogés
quelques kilomètres plus loin, dans des
cubes de béton, dans le désert, à New
Gourna [cf. reportage page 10].
Quelle relation les habitants de Louxor
entretiennent-ils avec le tourisme ?
Au premier abord, on pourrait imaginer qu’il y a deux mondes séparés :
celui des habitants et celui des touristes.
Mais ce n’est pas si simple, les deux
mondes sont entrelacés. D’un point de
vue économique, la terre ne rapporte
pas, et avec l’augmentation du nombre
de constructions, il y a de moins en
moins de terres à cultiver. Le tourisme
est donc la première source de revenus
à Louxor. L’ensemble de la population
vit du tourisme, directement ou indirectement. Dans chaque famille, il y a
toujours quelqu'un qui travaille dans ce
secteur. La relation entre le touriste et
l’autochtone est d'abord économique.
Comment les habitants de Louxor
appréhendent-ils le patrimoine ?
L’islam ne donne pas une image très
valorisante de l’époque pharaonique.
à l’écart des habitants”
A quoi ressemblait Louxor au début du
siècle dernier ?
Louxor était un petit village banal, un
village comme tant d’autres. Sa seule
réelle spécificité résidait dans sa forte
population copte. Mais deux facteurs
déterminants vont intervenir : l’intérêt
scientifique pour l'égyptologie, et
l'attraction touristique, avec cette fascination naissante pour l’Orient. L'un des
moments forts du changement, ce sont
les années vingt, avec en point d'orgue
la découverte en 1922 du tombeau de
Toutankhamon. Louxor se transforme :
le village entame alors sa mue et adopte
des caractéristiques urbaines.
Y'a-t-il d'autres moments-clés ?
Oui, l'autre date importante, c'est
l’inscription de Louxor au patrimoine
mondial de l’humanité de l’Unesco
[Organisation des Nations Unies pour
l’éducation, la science et la culture], en
1979. A partir de ce moment-là, le pouvoir politique va s’intéresser aux sites
archéologiques et va percevoir leur
important potentiel économique. Cette
période marque aussi le début des études sur les plans d’aménagement.
Comment imaginez-vous Louxor dans
vingt ans ?
Le réaménagement de la ville se fait
en réponse à de supposées attentes
étrangères, sans prendre en considération la population locale. Il y a à Louxor,
comme ailleurs en Egypte, une vision
“La demande
touristique entraîne
une hausse des prix
sur le marché local”
hygiéniste des autorités : tout doit être
“propre”, et il faut présenter ce que l’on
a de mieux. C’est une politique
d’aménagement général qui va faire
que l’on enferme les touristes dans une
enclave bien déterminée. Ils sont tenus
à l’écart de la population locale. Ceci
risque de susciter du ressentiment au
sein de la population, et d'engendrer un
développement inégalitaire.
La ville de Louxor peut-elle supporter
le tourisme de masse ?
D’un point de vue écologique, on a
probablement déjà touché les limites. Il
y a une véritable dégradation de
l’environnement, ce qui entraîne inévitablement des dommages aux sites
archéologiques. Regardez le nombre
grandissant d’autocars qui stationnent
sur les parkings, souvent à proximité
des temples : on peut imaginer l’impact
du dioxyde de carbone sur les pierres et
sur la santé. La demande touristique
entraîne aussi une augmentation des
prix sur le marché local. Ainsi, les fruits
et légumes à Louxor sont souvent plus
chers qu’au Caire. Le pouvoir d’achat
est déjà en baisse chez les Egyptiens,
mais à Louxor, ce problème s’accentue.
Il y a le risque que les habitants, surtout
les enfants, ne puissent accéder aux aliments de base, et qu’ils mettent ainsi
leur santé en péril.
Quels sont les objectifs touristiques prévus pour Louxor ?
A l’horizon 2020, l’Egypte compte
accueillir dix-sept millions de touristes.
Et en la matière, la politique du gouvernement égyptien est basée sur l'offre. On
pourrait résumer son credo par la formule suivante : “Construisons un maximum de complexes pour attirer un
maximum de touristes”. La mode en ce
moment est à la pluralité touristique. On
veut maintenir le touriste sur place le
plus longtemps possible, et pour ce faire
on lui présente un paquet complet : tourisme culturel, de loisir, sportif, etc. A
Louxor se développent des projets globaux de résidence de villégiature et de
complexes de loisir.
Quelle est l’alternative ?
Il aurait été préférable que l’Egypte se
tienne à l’écart de cette tendance mondiale au tourisme de masse, et qu’elle
travaille sur la qualité plutôt que sur la
quantité. Sinon, elle risque de perdre sa
spécificité. Je pense au contraire que le
pays a plus à gagner en se distinguant
sur le marché méditerranéen et en travaillant sur la qualité de ses services. Recueilli par Mohamed El-Had,
Pacynthe Sabri et Nadia Shahine
NADIA SHAHINE
Abu Hajaj, le saint patron de la ville de
Louxor, aurait vaincu le Pharaon. Les
temples et tombeaux ont cependant
toujours été utilisés par la population
locale. Les temples ont longtemps servi
de lieux de rassemblement, et des villages y étaient construits. Mais il y a
aussi un ensemble de croyances qui
persistent autour de certains monuments ; ainsi, le temple de Karnak assurerait la fertilité.
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La mise au jour de
l’allée des Béliers,
à quel prix ? PAGE 6
Des béliers
et des
hommes
L
ouxor, un jour de 2030. Des groupes de touristes parcourent les 2700 mètres qui séparent les deux joyaux de la Thèbes antique,
le temple de Louxor au sud et celui de Karnak au
nord. Le long du trajet, ils peuvent contempler les
statues qui bordent cette voie historique, de
majestueux sphinx à tête de bélier que les archéologues ont sortis de terre et reconstitués. De part
et d’autre de cette allée, sur une largeur de
76 mètres, s'élèvent des bâtiments modernes.
Une fiction ? Un projet pour l’heure, qui compte
parmi les volets principaux de “Louxor 2030”,
vaste plan de réaménagement qui vise à faire de
la ville un musée à ciel ouvert.
"Formidable ! On verra Louxor comme elle
était au temps des Pharaons. Ça nous permettra
de mieux connaître ce grand patrimoine de
l'humanité”, s'exclame Clément, touriste français
6
Le Calame / juin 2008
DR
Le réaménagement de l’allée des
Béliers, qui relie les temples de Karnak
et de Louxor, est l’un des volets phares
du projet de transformation de la ville
en musée à ciel ouvert. Sur le papier,
ce plan d’envergure a tout pour plaire.
Mais sur le terrain, il suscite l’inquiétude
et la colère des habitants contraints à
déménager. Reportage.
COURTESY OF AFP
D’UNE VILLE EN MUTATION
COURTESY OF AFP
dossier LOUXOR, PORTRAIT
de 23 ans croisé à Karnak en ce printemps 2008.
Le plan, piloté du Caire par le Conseil suprême
des antiquités (CSA) et sur place par le gouvernorat de Louxor, “rendra à Thèbes sa dignité et
les traces de sa gloire passée”, explique Gihane
Zaki, archéologue au CSA.
Une restauration ambitieuse
D'après les documents communiqués par le
gouvernorat de Louxor, le projet s’ouvrira par
une vaste place de plusieurs centaines de mètres
carrés au sud de Karnak, puis mènera jusqu'au
temple de Louxor via la percée incluant l'allée
des Béliers. Une restauration estimée à
240 millions de LE, selon ce qu'annonçait le gouverneur de Louxor Samir Farag en janvier 2007.
Mais cette restauration aura également un coût
humain. Car l'ambition de faire renaître l'allée
New Theba :
la banlieue du futur
existe déjà. PAGE 13
REK
FAK
Reportage à Gourna,
avec les déplacés de
la colline.
PAGE 10
PACYNTHE SABRI
“COMMENT RETROUVER UN TRAVAIL ?” Khaled, 28 ans,
craint pour son atelier de vélos, sa seule source de revenus.
SARA HESHAM
“JE NE DORS PLUS, JE NE RÊVE PLUS.” Hajj Mohammed
a manifesté le 28 mars. Il ne peut imaginer sa maison détruite.
des Béliers suppose de déplacer des centaines de
familles : un rapport de l’Unesco de 2007 évoquait le chiffre de trois cents maisons à détruire.
Sur le terrain, le chantier est à peine commencé. Au sud du temple de Karnak, le long de
l'enceinte, bien au-delà du parking réservé aux
autocars, un bloc d'immeubles est encerclé par
des barrières de police. A l'intérieur, les quelques
cafétérias et magasins sont déserts. Au-delà de
cette zone bouclée, le curieux arrive dans un
petit quartier dérobé au regard des touristes. Les
rues y sont calmes et arborées, vides en ce milieu
d'après-midi. Quelques pas plus loin, aux pieds
de maisons colorées, une quinzaine de statues de
béliers affleurent de terre. En fait de béliers, il
n'en reste que des blocs de pierre, qui attendent
d'être restaurés. Si ce tronçon semble pour
l'instant délaissé, deux rues plus loin, une partie
PACYNTHE SABRI
“DÉFENDRE MA PROPRIÉTÉ, C’EST COMME DÉFENDRE
MON HONNEUR.” Hala, 26 ans, mère de trois enfants, vit dans
une maison qui appartient à sa famille depuis plusieurs décennies.
“J’ai grandi ici, entourée de mes parents et grands-parents. Je ne
me vois pas vivre ailleurs.”
de la future allée est en train d'être excavée. Le
sol descend en pente douce. Deux mètres plus
bas, on commence à apercevoir les socles des statues, encore recouverts de terre. Autour, des chèvres, bien vivantes elles, broutent les ordures qui
traînent çà et là. Les riverains vaquent à leurs
occupations : des femmes attendent un bus, des
gamins jouent, des hommes bavardent sur des
petits bancs. Tout semble normal. Pourtant, il
suffit de discuter un peu pour que la colère
perce. La plupart des habitants est bien décidée à
ne pas quitter les lieux. Hala, mère de trois
enfants, entraîne le visiteur chez elle et désigne
“Ce plan rendra à Thèbes sa dignité
et les traces de sa gloire passée”
Gihane Zaki, du Conseil suprême des antiquités
Le Calame / juin 2008
7
VIE EST ICI.” Mohammed vit avec enfants et petitsenfants dans sa maison d’un étage. A 73 ans, ce modeste artisan
refuse de partir. Il juge l’indemnisation proposée insuffisante.
”JE
VOULAIS AJOUTER UN ÉTAGE POUR MON FILS.
MAIS CE RÊVE EST DEVENU IRRÉALISABLE.”
D’une maison en terre et au toit de palmes, Mohammed Mustafa a
fait au fil des ans un immeuble de plusieurs étages. Le plan de
réaménagement de son quartier porte un coup d’arrêt à ses projets.
d'un geste son intérieur tout neuf qu'elle ne veut
pas abandonner, puis lance avec emphase : “Je
préfère mourir au milieu des pelleteuses”.
Exagération ? La phrase, récurrente, décrit pourtant bien l'atmosphère qui règne dans le quartier.
Le 28 mars dernier, la tension est montée d'un
cran lors d'une manifestation d'habitants devant
le temple de Karnak. Forces de l'ordre et manifestants ont échangé gaz lacrymogènes et pierres. Bilan : plusieurs arrestations, et des dommages dans les commerces alentours, selon les
autorités citées alors dans la presse.
Youssouf, la trentaine, était ce jour-là au pre-
Le 28 mars dernier, signe d’une colère
croissante, une manifestation d’habitants a eu
lieu devant le temple de Karnak.
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Le Calame / juin 2008
MOHAMED EL-HAD
MOHAMED EL-HAD
“LE DÉVELOPPEMENT DU TOURISME, OUI, MAIS PAS
À NOS DÉPENS.” La petite épicerie de Hajj Nasser, au-dessus
de laquelle il vit, est située en plein sur l’allée des Béliers. Il
s’était résolu à collaborer avec les autorités mais considère que
celles-ci l’ont lésé en sous-estimant le prix de sa propriété.
SARA HESHAM
“NOTRE
mier rang. Il s'en est tiré avec un bras cassé et
quinze jours de prison : “Ce devait être une
manifestation pacifique, mais cela a vite dégénéré. Les gaz lacrymogènes ont provoqué un
mouvement de panique, même parmi les touristes présents.” Il est assis dans son café, presque
vide, qu'il a ouvert il y a un an et demi seulement. Selon le plan de réaménagement, croit-il
savoir, l'endroit devrait laisser la place à un
grand jardin pour ouvrir la perspective sur cette
fameuse allée.
Depuis la manifestation, le calme est revenu.
Mais la colère, la peur et l’incompréhension sont
toujours là et les sensibilités s’exacerbent.
Plusieurs habitants disent craindre de quitter
leur domicile. Khodari Abeid, 65 ans, est l'un
d'entre eux. Sa maison a plus de deux cents ans.
“Nous y restons jour et nuit, les dix membres de
MOHAMED EL-HAD
“NOS
MAISONS AUSSI SONT DES MONUMENTS.” Preuve
de la valeur de leurs demeures : les touristes se promènent dans
le quartier lorsqu’ils se rendent au temple de Karnak, affirme
Khodari Abeid, 65 ans. Sa demeure, dit-il, a plus de deux cents ans.
ma famille et moi, de peur que les autorités ne
détruisent tout en notre absence. Je me sens
comme en Palestine, où l’on expulse les gens de
chez eux…”
“Bénéfices à long terme”
Du côté des autorités locales, les questions sur
le sort des habitants rencontrés sur le terrain sont
éludées et une porte-parole du gouverneur de
Louxor se borne à mettre en avant “les bénéfices
à long terme” et les compensations prévues pour
les habitants : “Chacun s'est vu proposer un relogement dans un appartement ou une somme de
40 000 à 50 000 LE”, souligne-t-elle.
Très insuffisant, pour Hajj Nasser, qui vit avec
27 personnes de sa famille, oncles, tantes, cousins et cousines qui tous partagent sa maison de
briques de 175 mètres carrés : “Avec ce que l'on
me propose, je ne pourrais pas payer un loyer,
encore moins rebâtir ma propre demeure. Il est
inacceptable que les autorités se comportent avec
nous comme avec des parasites qui ne savent pas
se conduire face aux touristes”. Entre la population et les officiels, le dialogue semble rompu. Et
le manque de transparence des autorités locales
ne fait qu'alimenter la profonde méfiance des
habitants à leur égard.
Au Caire, Gihane Zaki, du CSA, dit comprendre le désarroi des habitants. Mais l’archéologue
promet “des retombées positives pour tout le
monde, même à court terme”. Hajj Nasser, lui,
ne demande qu'à être convaincu : “Ici, à Louxor,
nous avons toujours dépendu de Dieu d'abord
et du tourisme ensuite.” Mohamed El-Had, Ihab Hassan,
Sara Hesham, Pacynthe Sabri
Le Calame / juin 2008
9
A New Gourna, les déplac
Expropriés parce
qu’ils vivaient sur
des vestiges
archéologiques,
les habitants de
la colline de Gourna
ont été relogés dans
un nouveau village.
Etat des lieux,
dix-huit mois
après un transfert
de population
controversé.
10
Le Calame / juin 2008
D
es gravats, des travaux... New
Gourna est encore en chantier. Le
village s’ouvre par une large
route, déserte la plupart du temps. “Les
hommes travaillent dans les ateliers
d’albâtre sur la colline et ne rentrent pas
avant la nuit. Je ne peux pas monter jusqu’ici avec une seule personne",
explique un chauffeur de “voiture
ouverte”, ces pickups aménagés en taxis
collectifs qui sillonnent la rive ouest.
Ce site accueille les habitants des maisons anciennement accrochées sur le
flanc de la colline de Gourna. Depuis
des décennies, ces villageois se voyaient
reprocher de détériorer les tombes
antiques sur lesquelles étaient bâties
leurs demeures. Et ce n’est qu’en 2006
que New Gourna a vu le jour, à
quelques kilomètres. “On leur a offert
des maisons mieux équipées, et l’on a
respecté la répartition des hameaux”,
explique Mahmoud El-Chahat, chargé
de l’urbanisme au conseil local. Un
argument qui n’a pas suffi, et le transfert de nombre d’habitants s’est effectué
sous la contrainte.
Couleurs monotones
A gauche de la grand-route, une série
de magasins, le conseil municipal, un
poste de police, un club de jeunes et une
école. Seule l’école semble animée que
les élèves se pressent de quitter une fois
la journée finie. “Je ne supporte pas la
chaleur, il n’y a aucun arbre dans la
cour, même pas d’eau”, confie Asmaa,
une petite fille de dix ans.
De l’autre côté, les maisons se rangent
en ligne droite jusqu’à la montagne. Des
maisons d’un seul étage, toutes de la
même forme. Elles sont marron, brique
ou jaunes, couleurs que les habitants nostalgiques jugent “monotones”. Des
teintes chaudes mais de tonalité unique
qui tranche avec la débauche de couleurs
des bâtisses de l’ancienne Gourna. “Si
vous saviez comme les couleurs de ma
Page de gauche : New Gourna, la ville construite pour les
habitants déplacés. (PHOTO FATMA AHMAD KAMEL)
Page de droite : vues de l’ancienne Gourna après
destruction.(PHOTOS FATMA AHMAD KAMEL ET AHMED GAMAL)
és réapprennent à vivre
maison me manquent”, soupire Samah,
habitante d’une trentaine d’années.
A cette heure étouffante de l’aprèsmidi, seule une porte est ouverte. Le
son d’une télévision s’en échappe,
accompagné du ronronnement d’un
ventilateur fatigué. “J’utilise cette pièce
de ma maison comme épicerie, les gens
en ont besoin car le centre commercial
n’est pas en service”, indique
Mohammed, assis sur un petit banc
posé parmi quelques rayons qui ne
contiennent que l’essentiel.
“Ils nous ont confié des murs vides en
échange de notre maison”, raconte
Zeinab. “C’était à nous de payer les
lampes, le raccordement au réseau électrique, 1000 LE, le compteur, 500 LE, le
transport des meubles, 70 LE, la voiture... Beaucoup de frais à débourser en
une fois”, énumère-t-elle en affirmant
n’avoir reçu aucune compensation. Une
fois les soucis d’installation réglés,
d’autres problèmes se sont présentés
pour certains des habitants. “Ma maison s’est effondrée au bout d’un mois”,
se souvient Okaz, qui vit près de la
montagne. Depuis quatorze mois, il
doit loger ailleurs et donc payer un
loyer. L’Etat a pris en charge les réparations, mais quatre mois plus tard, de
nouvelles fissures ont mis la maison par
terre. Finalement des experts dépêchés
par le gouvernement ont découvert que
le terrain, creux, ne pouvait supporter
des constructions.
Eau courante et électricité
En dépit des difficultés, les habitants
de New Gourna tentent de s’approprier
leur nouveau logement. En dépit des
restrictions aussi... Des petites pancartes, de timides dessins ou quelques
arbres permettent à peine de distinguer
une maison d’une autre. Quelques
plantes égayent les quatre mètres carrés
de la cour d’Am Mansour. “C’est mon
petit jardin”, dit-il fièrement, relevant la
tête au dessus des feuilles vertes qu’il
vient d’arroser. “D’abord les autorités
nous en ont empêché. Plusieurs fois, ils
ont détruit ce que nous avions cultivé.
Mais ils ont cédé enfin...”, raconte sa
femme, l’air décidé.
En revanche, tout ajout ou modification des maisons est pour l’instant proscrit. Dans le journal El-Gourna,
Mohammed Saïd Soliman, chef de la
ville, l’expliquait : “Il faut attendre un an
pour vérifier la stabilité des constructions. Ensuite, les habitants pourront
demander d’ajouter des étages à condition de respecter les critères artistiques
du lieu. C’est un village qui fera partie
de notre patrimoine.”
Les services comme l’eau courante et
l’électricité, s’ils représentent un
incontestable progrès par rapport aux
anciennes conditions de vie, ont un prix
qui s’avère prohibitif pour certains
ménages modestes. “Mon mari touche
200 LE , il est gardien de l’école,
Le Calame / juin 2008
11
explique Aicha. On paye 30 LE pour
l’eau et 40 LE pour l’électricité, et l’on
doit se débrouiller avec le reste.”
FATMA A. KAMEL
Parce qu’ils ont refusé le logement proposé, qu’ils jugent trop exigu, Om Fathy et
sa famille demeurent sur la colline.
Retour dans l’un des hameaux de
l’ancienne Gourna. Seule se dresse sur
le sommet de la colline la maison
d’Abou Hod. Le projet de déplacement
de Gourna avait été pensé pour sauver
les tombes endommagées par les habitants qui vivaient dessus. Pourtant, la
seule maison debout qui reste à El
‘Atayat, l’un des hameaux, est située
sur une tombe. La famille d’Abou Hod
ne refuse pas de partir. “J’espère m’en
aller le plus tôt possible”, affirme Om
Fathy, mère de famille. “Mais pas dans
ces conditions.” “Nous revendiquons
juste notre droit légitime”, continue son
fils. La loi leur donne droit à huit maisons, mais lors de la distribution, le
comité ne leur en a proposé qu’une
seule, affirment-ils. “Comment une
maison de deux étages peut-elle être
remplacée par deux pièces ? Comment
dix-sept personnes peuvent-elles y
vivre ?”, s’indigne Fathy. Faute de toit,
ils doivent rester jusqu’à nouvel ordre
dans leur ancien logement. En deux
ans, ils n’ont eu la visite des autorités
qu’à deux reprises, assurent-ils. La dernière fois, c’était il y a trois mois, pour
raser les quelques arpents qu’ils avaient
n reconnaît le village Hassan Fathy
de loin, aux dômes de la mosquée et
des maisons. Ce jour-là, le silence règne
dans cet îlot rêvé puis bâti par
l'architecte égyptien (1900-1989).
Dans les années 1940 déjà, du temps
du Roi Farouk, la présence d'habitants
au dessus des tombeaux dérange.
La peur des pillages et des dommages
faits aux tombes poussent
les autorités à envisager un relogement
des populations concernées. Pour
“construire avec le peuple”, titre
de son fameux ouvrage, Hassan Fathy
vit une année avec les gens de Gourna,
pour étudier avec précision leurs
besoins. En 1948, il achève la
construction, aidé par des étudiants
venus du monde entier.
Soixante ans plus tard, le village a
cédé de son authenticité aux signes de
la modernité : paraboles, extensions en
béton ou climatiseurs tranchent avec la
simplicité des matériaux et des formes
utilisées par Fathy. Des familles ont
aussi ajouté des étages pour loger
leurs enfants qui se marient. Sur
soixante-dix maisons de brique crue,
une vingtaine sont encore debout, et
beaucoup ont été transformées.
Sur place, Mahmoud Abdel Rady est
notre guide. Cet étudiant en tourisme,
dont le grand-père travaillait aux côtés
de Hassan Fathy, utilise sa maison
comme un musée pour les visiteurs.
“J'aime ce genre d'architecture”, dit le
jeune homme de 22 ans, qui détaille :
“Un système ingénieux fait circuler
“La loi doit être respectée”
cultivés face à leur maison. “La loi doit
être respectée. Leur présence sur une
tombe est déjà une sorte d’agression”,
explique Mahmoud El-Chahat, du
conseil local, qui précise par ailleurs que
“vingt maisons sur quatre cents seront
préservées pour garder la mémoire de
leur architecture particulière.”
Le projet, largement médiatisé et qui
visait à déplacer tous les hameaux qui
vont d’El ‘Atayat jusqu’à Gourna
Mar’y, s’est arrêté il y a plus d’un an.
Les fouilles qui devaient révéler les
secrets d’un millier de tombes antiques
n’ont toujours pas commencé.
L’idée même du déplacement total
des habitants est contestable pour certains. “Gourna était un musée ouvert.
Pourquoi isoler les gens dans des ghettos ? Le pays appartient d’abord à ses
habitants avant d’être celui des touristes. L’héritage, le patrimoine doivent
avoir combien d’années pour être
appréciés ?”, demande Mariam, une
journaliste qui a suivi le dossier et
assisté aux premières expulsions sur la
colline. Colline où ne subsistent que
quelques murs de différentes couleurs,
vestiges d’une vie passée qui tente de
continuer ailleurs. Fatma Ahmad Kamel
Retour au village de Hassan Fathy, première tentative de relogement
O
12
Le Calame / juin 2008
l'air, les coins du plafond empêchent
les araignées de tisser leur toile et un
trou dans le toit évacue la poussière.”
Face à cette “maison témoin”, la
mosquée et la route asphaltée qui
longe les terres agricoles. Çà et là,
d'autres maisons, traversées de
fissures, et des immeubles modernes
entre lesquels des enfants jouent.
Akazy Mohammed, 58 ans, est maçon
et gardien de la mosquée : “Les
fissures sont dues à l'humidité qui
imprègne la chaux et fragilise l'édifice.
Ceux qui ont de l'argent peuvent faire
des travaux, mais les autres comme
moi attendent la mort de leur
maison...” “L'architecture des pauvres
est devenue celle des riches”, résume
Mahmoud Abdel Rady. Ahmed Gamal
Thèbes en route vers l’avenir
T
rois mille ans et quelque quinze
kilomètres. Voilà ce qui sépare la
Thèbes antique de la Thèbes
moderne, le temple de Louxor, vestige
de l'époque pharaonique, de New
Theba, ville nouvelle encore en chantier.
New Theba est une cité paisible, perdue dans la campagne. Située au nord
de Louxor, on y arrive à travers
champs. Il y a beaucoup de verdure, à
commencer par le golf, à l'entrée de la
ville. Une fois passé le panneau indiquant le nom du lieu, ce sont les couleurs des bâtiments qui sautent aux
yeux. Verts, bleus, jaunes et blancs, les
immeubles d'architecture moderne sont
à taille humaine : cinq ou six étages, pas
plus. Quasiment désertes, les rues sont
larges, bordées d'arbres. Tout est calme.
En cette après-midi écrasée de soleil,
New Theba ressemble à la ville idéale
d'un jeu vidéo.
“Tout est déjà loué. Mais les gens
n'ont pas encore tous emménagé”,
assure Hassan Abdel Samiar, le responsable de la ville, pour justifier cette
impression de vide. Pour l'instant, ce
sont surtout des familles qui habitent
New Theba. Les jeunes recherchent également le calme loin de l'agitation de
Louxor : “Je suis venue spécialement
étudier ici car c'est tranquille”, confie
une jeune femme.
Flambée des prix
Depuis une dizaine d'années, les activités touristiques de Louxor ont attiré
les populations des villages alentours.
Du coup, la demande en logements ne
cesse d'augmenter, tandis que l'offre
immobilière de la ville reste la même.
Ce déséquilibre a récemment entraîné
une hausse vertigineuse des prix. “Un
appartement de 60 mètres carrés sur le
Nil coûtait moins de 50 000 LE il y a
cinq ans, mais maintenant le prix peut
avoisiner les 400 000 LE”, affirme
Kamal Hafez, directeur d’Osiris, société
spécialisée dans les investissements
immobiliers. La construction de villes
RAMY EL KALYOUBY
Visite d’un projet vanté comme la préfiguration du Louxor de demain.
En dix ans, plus de 2 000 logements sont sortis de terre à New Theba pour accueillir le trop
plein d’habitants de Louxor.
nouvelles est devenue une priorité pour
les autorités et compte parmi les grands
projets du plan “Louxor 2030”.
La ville est scindée en trois parties :
l'habitat “jeunesse”, réservé aux 25-35
ans, dont les revenus ne dépassent pas
les 400 LE par mois ; l'habitat “avenir”,
réservé aux foyers les plus modestes,
qui gagnent moins de 400 LE par mois ;
et enfin la zone libre, sans critères d'âge
ni de revenus.
Pour chaque appartement, le prix du
mètre carré est standard, à 1 000 LE. En
revanche, c'est l'apport initial qui diffère : 3 000 LE pour un logement “jeunesse”, 5 000 LE pour un logement
“avenir” et 10 000 LE en zone libre. Les
habitants ont alors quarante ans au plus
pour devenir propriétaires de leur
appartement. Sur les 2 200 apparte-
ments construits, 1 500 sont réservés
aux jeunes ou aux plus modestes.
Anouar Mohammed habitait auparavant à Louxor avec sa famille et travaillait comme le chauffeur de bus touristique. “Nous n’avions pas assez
d'argent là-bas”, se souvient-il. Depuis
2002, il habite la zone “avenir” de New
Theba, dans un appartement luxueux
qu’il n’aurait pas pu s’offrir à Louxor. Il
en a profité pour changer de métier : il
est aujourd’hui le propriétaire du seul
supermarché de la nouvelle ville.
Selon le Conseil suprême de Louxor,
New Theba devrait encore se développer dans les années à venir. Elle promet
d’être une terre riche d’enseignements
pour les archéologues du cinquième
millénaire. Youssouf Abdallah
et Ramy El Kalyouby
Le Calame / juin 2008
13
Ce sont des éboueurs
un peu particuliers.
Leur mission :
collecter les ordures
des bateaux
de croisière qui
naviguent sur le Nil
entre Louxor et
Assouan. Reportage.
NADIA SHAHINE
Avec les zabalines du Nil
I
l est 11h du matin. A bord de leur
bateau, les zabalines – éboueurs –
viennent de finir leur première tournée sur le Nil. Le ramassage des ordures des navires de croisière a duré trois
heures. Le confort des touristes se paye
aussi au prix de la disparition discrète
des centaines de kilos de déchets qu’un
navire produit. C’est l’affaire de cette
flotte d’éboueurs très organisée.
Un camion recule jusque dans l’eau,
pour que les employés sur le bateau y
transbordent leur récolte : plusieurs
dizaines de sacs-poubelles noirs et
bleus. L’un des hommes ôte sa chemise
et en profite pour piquer une tête dans
le fleuve. Juste à côté, un jeune garçon
douche son dromadaire.
A Gourna, sur la rive ouest du Nil, il
faut prendre le chemin de Ramlah, le
“chemin du sable”, pour arriver jusquelà. Il passe entre des villas et de beaux
jardins fleuris. Une centaine de mètres
plus loin, un petit sentier bifurque vers
le Nil. Une trentaine de gros sacspoubelles sont entassés sur la rive. Des
gens s’activent sur de petits bateaux
croulants sous les ordures. C’est le site
de déchargement des éboueurs. Dans
une petite cabane à proximité sont stockés les bidons d’huile de moteur des
bateaux de croisière, huile qui sera
revendue à des usines.
14
Le Calame / juin 2008
Trois compagnies privées se chargent
de la collecte des déchets des bateaux
de croisière à Louxor : Alhuda, Redaco
et Ahl El-Beit. Hajj Sayed est le propriétaire d’Alhuda. “J’ai commencé à travailler dans ce domaine il y a dix-huit
ans”, raconte l’homme, habillé à
l’occidentale et coiffé d’une calotte
La tournée
des éboueurs passe
en moyenne par
35 navires par jour
blanche. “J’ai deux bateaux. C’est moi
qui les ai fait construire. J’ai été mécanicien et chauffeur avant de travailler
dans la collecte des ordures.”
Maintenant il passe sa journée assis sur
son canapé, à l’ombre d’un arbre. Il boit
son thé et supervise ses ouvriers en les
houspillant. “J’ai signé un contrat avec
le comité de la ville de Louxor pour collecter les déchets des croisières. Dans ce
contrat, il y a toutes les instructions :
mes bateaux récupèrent les ordures,
des camions les transportent vers une
montagne, très loin dans le désert. Et là,
on les brûle. Les bouteilles en plastique
sont mises dans des sacs à part et sont
recyclées”, explique le propriétaire
d’Alhuda. “Les responsables de
l’environnement viennent inspecter
notre travail, et tout va bien chez nous.
Il n’y a pas de problème», affirme-t-il,
sûr de lui.
La tournée des éboueurs passe en
moyenne par 35 bateaux par jour. Mais
le lundi est une journée particulièrement chargée. Les zabalines qui travaillent pour Hajj Sayyed font deux
tournées, une le matin, et l’autre l’aprèsmidi, et récoltent les ordures de près de
65 navires. “Beaucoup de croisières
arrivent le lundi à Louxor. C’est pour
cela que l’on doit passer deux fois”,
explique Rabie, 61 ans, l’un des zabalines d’Alhuda. “Je travaille sur ce genre
de bateaux depuis douze ans, et le
mécanicien, c’est mon fils Mohammed”,
dit l’homme avec une certaine fierté. Je
gagnais 170 LE, mais avec l’inflation des
prix, on a augmenté nos salaires, maintenant je gagne 200 LE”, ajoute t-il.
Hajaj, 26 ans, a les cheveux en bataille
et la peau tannée par des heures passées
sur l’eau. Il a commencé enfant à
décharger les ordures, puis a été au chômage pendant longtemps. “J’ai cherché
du travail partout, dans toute l’Egypte.
Je suis allé à Charm El-Cheikh et à
Alexandrie, mais je n’ai rien trouvé.
Finalement je suis revenu avec les zabalines”, confie-t il l’air résigné.
Il est midi, et comme tous les lundis,
les bateaux commencent à se mouvoir
pour leur deuxième tournée. Saïd,
60 ans, en galabeyya, est le capitaine de
l’un d’entre eux. L’embarcation a été
fabriquée à partir de pièces récupérées.
Sur le Nil, une petite brise frappe les
visages, mais elle ne suffit pas à recouvrir la puanteur dont est imprégné le
bateau, pourtant vide.
Voilà le premier navire de croisière à
vouloir se débarrasser de ses ordures :
le “Regency”. Avec adresse, Saïd se rapproche de l’arrière de l’énorme bâtiment. Une petite secousse : les deux
bateaux se cognent, mais le choc est
amorti par les pneus usagés accrochés
sur leurs flancs. Accostage réussi.
Une épaisse fumée noire sort des gros
pots d’échappements à l’arrière du
“Regency” et irrite les bronches. L’un
des zabalines grimpe sur le vaisseau et
échange quelques mots en riant avec ses
employés. Il prend les sacs-poubelles
stockés dans un grand frigo et les passe
à Mahmoud. En moins de cinq minutes,
l’affaire est réglée. Mahmoud a 17 ans.
“Je suis encore au lycée. Je rêve d’être
ingénieur. Je ne continuerai pas avec les
déchets”, espère le jeune homme.
Le contenu des sacs est sommairement trié : les cartons sont mis dans un
coin du bateau, les bouteilles en plastique atterrissent dans des sacs à part.
Les autres poubelles sont entassées sur
le pont avec soin pour ne prendre qu’un
minimum de place.
Mission accomplie. Le travail auprès
du “Regency” est terminé. Des morceaux de pain, des pelures de légumes,
des bouteilles flottent dans l’eau à
l’arrière du bateau. Mais déjà Saïd et
son équipage s’éloignent dans l’ombre
du géant de fer. Sur le pont, quelques
mètres plus haut, les touristes ne se sont
aperçus de rien. Shahinaz Abdel Salam et Nadia Shahine
NADIA SHAHINE
Un premier tri
est effectué
sur le navire.
Les déchets sont
ensuite acheminés
dans le désert
pour être brûlés.
Ramadan Seddik Ahmed, directeur adjoint du bureau de l’Environnement
“Les navires qui polluent encourent
des amendes ou des retraits de permis”
Comment sont traités les déchets
produits par les bateaux ?
Les eaux usées sont traitées à bord,
puis pompées par les égouts de la
ville. A Louxor, il y a une vingtaine
de bornes de pompage. Trois bateaux
peuvent se raccorder à chacune
d’entres elles. Certaines de ces
bornes appartiennent à des sociétés
privées, d’autres au ministère du
Tourisme. Il y en a aussi à Qena
et à Assouan.
Quelles sont les sanctions en cas
d’infraction ?
Les contrevenants s’exposent à des
amendes de 1000 à 20 000 LE, ou à
un retrait du permis quand il s’agit
d’un bateau. En avril 2008, il y a eu
vingt-deux infractions sur des navires
de croisière : eaux non traitées,
bateaux non connectés aux bornes de
pompage, appareils de traitement
défectueux, etc. C’est un bon résultat
quand on sait qu’il y a 280 bateaux
entre Louxor et Assouan. En 2007,
quatre permis ont été retirés, et les
touristes ont été transférés sur
d’autres bateaux. Il faut deux mois de
procédures pour refaire un permis. Recueilli par Nadia Shahine
Le Calame / juin 2008
15
Comment une vie peut en
Le tourisme et le monde rural, deux univers opposés ?
Pas si simple. A Louxor, certains passent sans cesse
de l’un à l’autre. Rencontre avec Hussein, qui partage
son temps entre navire de croisière et travail de la terre.
16
Le Calame / juin 2008
A trois heures de l'après-midi, une fois le travail en cuisine achevé, Hussein rentre chez lui
pour déjeuner avec sa femme. Le bateau ne partira en croisière que demain. “J'aide ma femme à
préparer le repas mais elle reste toujours la reine
de notre cuisine", avoue-t-il en souriant. Une
heure plus tard, Hussein enfile un nouveau
costume, sa gallabeyah. Et part s’occuper de sa
terre. Pour y accéder, il faut traverser un chemin
étroit que longe un canal bordé de dattiers.
Sur le trajet, Hussein récolte les saluts des
habitants du village. “Hé, viens boire un thé à la
maison", l'apostrophe sa cousine. Puis passent
Ahmed, un petit garçon sur son dromadaire,
puis Abdallah et son petit-fils sur une charrette
débordant de cannes à sucre.
“La terre, c’est la sécurité”
Après deux kilomètres, la terre de Hussein se
dessine, verte et fertile. Ses yeux sont brillants de
joie, comme un père devant ses enfants. Le jeune
paysan caresse ses plantes, il les observe attentivement pour s’assurer que tout pousse bien : “Je
cultive la terre quatre fois par an, des légumes,
de la canne à sucre et de la luzerne”, précise le
jeune homme, qui possède également une vache,
un âne et quelques canards. Hussein saisit sa
faucille et s’en va récolter de la luzerne pour ses
animaux. “La terre est très importante pour moi.
C’est la sécurité. Le tourisme, ce n'est pas stable.
Après les attentats de Louxor en 1997, je suis
resté deux ans au chômage, comme la plupart
des habitants ici. C'est la terre qui m'a sauvé la
vie”, assure Hussein.
La journée de travail est finie. Le jeune homme
passe une partie de la soirée à boire le thé et à
discuter avec ses amis dans un café populaire, le
seul de son petit village.
Hussein reste attaché à ses deux vies, avec,
nuance-t-il, une préférence pour le monde des
touristes étrangers. “Pour moi, c’est une porte
qui me permet de rencontrer les autres et
d’apprendre plus". Asmaa Abd El Fattah
et Shahinaz Abdel Salam
DR
I
l est fort comme la terre ; sa peau est brunie
par le soleil. Hussein porte sur lui l'empreinte
du Saïd, la Haute-Egypte. Et sa vie incarne
l’ambivalence de cette région où l’émergence du
tourisme n’a pas effacé les traditions rurales. Car
Hussein est de ces habitants de Louxor qui partagent leur vie entre deux univers distincts mais
entremêlés. Paysan, il quitte plusieurs jours par
semaine ses champs verdoyants de la rive ouest
pour les cuisines d’un bateau de croisière.
A 31 ans, c'est un homme prolixe, le visage
fendu d'un sourire qui ne le quitte jamais. “J’ai
passé mon enfance sur les terres de ma famille et
étudié l'agriculture. Puis je suis allé apprendre
mon métier de chef à Alexandrie, à Mansoura et
au Caire”, raconte-t-il. “Le tourisme a enrichi ma
culture, je suis devenu ouvert, plus souple, plus
tolérant...”
Jeune marié, il habite depuis un an au
deuxième étage de la maison familiale avec sa
femme Iman, âgée de 22 ans. A huit heures du
matin, le chef affiche une tenue décontractée,
jeans, tee-shirt, casquette vissée sur la tête. Après
avoir mené sa vache paître au champ, il attrape
un taxi collectif sur le bord de la route. Une
heure plus tard, Hussein est dans sa cuisine flottante, sur le bateau. Il endosse son uniforme
blanc de chef garniture. Chef garniture ? “Je
sculpte des petites statues de beurre et avec les
légumes, je fais des bouquets de fleurs”,
explique Hussein. “Dans la cuisine, je me sens
comme un artiste”, s'enthousiasme-t-il.
Le chef artiste pétrit le beurre pour le rendre
plus souple. De son couteau ciselé, il commence
à lui donner forme. Quarante-cinq minutes plus
tard, la décoration maîtresse pour le déjeuner est
achevée : c'est une tête d'âne. Pour le dîner,
Hussein fera un bouquet de fleurs avec des courgettes, des carottes, des tomates et des concombres. Un travail minutieux qui exige de la patience
et beaucoup de temps. “Les touristes aiment mes
décorations. Parfois, ils me demandent même de
rester avec moi pour voir comment je m’y
prends”, relate Hussein.
cacher une autre
SHAHINAZ ABDEL SALAM
Fils de la terre, Hussein continue de s’occuper
de son champ et de ses bêtes. Une vie rurale
qu’il met entre parenthèses quand il s’embarque
comme cuisinier sur un luxueux navire de croisière.
Deux sœurs,
deux philosophies
M
arwa et Ola ont grandi dans
la même maison en terre du
village d'Al-Haddadin, sur la rive
ouest de Louxor. Les deux sœurs ont
presque le même âge, presque les
mêmes traits. Pourtant elles sont
radicalement différentes.
Marwa, l'aînée est catégorique :
elle n'ira pas à l'université. Et
qu'importent les conseils de son père,
un ancien ouvrier du bâtiment qui
aimerait que sa fille obtienne un
diplôme. A 20 ans, son objectif à elle
est clair. “Je veux fonder un foyer et
les études vont me faire prendre du
retard. En plus, si je suis instruite,
j'aurais dû mal à trouver un bon
mari”, explique la jeune fille à voix
basse. Un avenir à l'image du destin
tout tracé de la plupart des filles de la
campagne que Marwa affirme choisir
sans hésiter.
Ola sourit tranquillement. Du haut
de ses 18 ans, la cadette paraît plus
mûre que sa sœur. Elle veut
continuer ses études. Pragmatique,
elle sait déjà quel métier elle souhaite
exercer. “Je veux devenir guide
touristique. Louxor est une des villes
les plus visitées au monde", affirme
Ola, sûre d'elle. Elle ne cesse de
critiquer les traditions “arriérées” qui
régissent la vie de son village et qui
“n'ont aucun rapport avec la religion”.
Marwa aime à s'occuper de la
maison, ce que Ola déteste. “J'aime
être servie par les autres”, insiste
cette dernière, qui voit dans le
ménage une forme de bassesse.
Même distinguo quant au choix du
futur mari : Marwa aspire à épouser
“un homme fort”, qui prend les
décisions pour elle et assume les
responsabilités pour la famille. Ola
préfère “un homme gentil et libéral”,
avec qui le dialogue est la règle.
Aujourd'hui les deux sœurs ont un
point commun : elles sont
amoureuses de deux garçons du
village. Mais chacune à sa façon. “Si
mon père n'accepte pas le mariage,
ce n'est pas grave, je suivrai sa
décision”, affirme Marwa. Ola, elle,
est bien décidée à se battre pour que
sa famille accepte celui qu'elle aime
Asmaa Abd El Fattah
aujourd'hui. Le Calame / juin 2008
17
Pour trancher leurs
litiges, les habitants
de Haute-Egypte ont
parfois recours à la
justice coutumière.
A Gourna, c’est
le cheikh El-Tayeb
qui officie. Fenêtre
sur cour.
18
Le Calame / juin 2008
S
itôt la prière du vendredi finie, une
file se forme. Des hommes, des
femmes mais aussi des enfants se
rangent devant la cour du cheikh ElTayeb. “Grand-papa, n'oubliez pas de
prier pour moi. Mes examens approchent”, s'inquiète une jeune fille en
se présentant face au cheikh. Avec un
sourire bienveillant, Mohammed ElTayeb reçoit demandes et prodigue
conseils, attentif et patient. Le défilé se
poursuit. Vient un homme qui se plaint
du comportement de son fils. L’enfant
serait selon lui trop peu enclin aux études. Il cherche conseil. “À l'adolescence,
FATMA AHMAD KAMEL
Journée d’audience
au tribunal du cheikh
il te faut être plutôt son ami que son
père”, admoneste le cheikh. “Souvienstoi comme tu étais à son âge !”
Double casquette
Ici, dans la Sahet El-Cheikh, une
bâtisse annexe à la mosquée, les gens
défilent pour consulter leur “père,
oncle, grand-père, cheikh…” A chacun
sa manière de nommer Mohammed ElTayeb. Les uns viennent voir l'homme
de religion, d'autres demandent le
secours du chef du conseil municipal.
Car le cheikh a de nombreuses casquettes. “Il possède tous les attributs
d’un chef : le respect, le pouvoir et
l’argent”, juge Mahmoud, un habitant
de Louxor. Avant lui, son grand-père,
son père remplirent ce rôle d’autorité
locale. Mais avec Mohammed El-Tayeb,
la charge est passée d’un ordre purement coutumier à un registre plus officiel quand, membre éminent du PND,
le parti au pouvoir, il est devenu chef
du conseil municipal. Des postes qui lui
permettent de traiter des affaires plus
importantes. Lors de la crise du pain
ou, plus récemment, quand les chauffeurs de transports collectifs ont voulu
augmenter leurs tarifs, il s’est posé en
intercesseur. “Être à la fois homme politique et homme de religion n’est pas
contradictoire tant que l’on s’en sert
pour aider les gens", assure le cheikh.
Un nouveau requérant l’interrompt. Ali
a besoin d'un traitement médical gratuit : “Viens demain me voir au bureau
avec les papiers nécessaires”.
“Être à la fois homme
politique et homme
de religion n’est pas
contradictoire”
Mohammed El-Tayeb règne aussi sur
la grande salle attenante à Sahet elcheikh, le Magles El-'Arab, cour traditionnelle que beaucoup d'habitants de
la Haute-Egypte préfèrent à la justice
officielle. Des différends familiaux aux
arnaques en tous genres, le Magles
règle tous types de litiges.
Sous les ventilateurs, une brochette
de citoyens assis sur des bancs fait face
à un trio de notables. Le plus âgé, le
cheikh Fathy, est au milieu, la tête
enturbannée et lui-même entouré de
deux conseillers. Ce sont les assistants
du cheikh El-Tayeb : ils devront lors de
cette séance trancher les conflits. Sinon,
ce sera au cheikh d’intervenir en dernier
recours. Face aux trois arbitres, un vieil
homme se tient debout. Avec chagrin et
espérance, il plaide la cause de sa fille :
jeune mariée, elle veut avoir une maison indépendante car elle “ne peut plus
supporter de vivre avec la famille de
son mari, surtout que ce dernier ne lui
accorde pas assez d'attention, ni à elle,
ni à leur fils.” En réponse à une question du cheikh Fathy, le père précise
que son gendre ”n’assume plus les dépenses de sa femme et de leur bébé”.
De son côté, le mari met en avant le
fait qu'il n'a “pas les moyens d'avoir
une autre maison”. Tout au long de
l'audience, les trois magistrats écoutent
attentivement, n’interviennent qu’en
vue de plus d’éclaircissements et de
détails, et refusent sévèrement toute
interruption de la partie adverse.
L’ordre est garanti, chacun parle à son
tour. Après avoir écouté, analysé et
révisé les preuves de chacun, le verdict
tombe : “La fille reste chez son mari, à
condition qu'il s'occupe bien d'elle et de
leur bébé, et que la jeune femme reste
indépendante de ses beaux-parents.”
Père et gendre promettent de
l'appliquer. Si le mari ne tient pas sa
parole, le père pourra toujours revenir
exposer le problème devant le Magles.
Pour cette fois, les juges n'ont pas eu
besoin de recourir à Mohammed El-
Tous types de litiges
FATMA AHMAD KAMEL
Page de gauche : le cheikh Mohammed
El-Tayeb pendant une audience.
Page de droite : ses assistants écoutent
un citoyen plaider la cause de sa fille.
Tayeb, déjà très occupé par des visites
dans l’autre salle.
Le fait que le cheikh soit musulman
n’empêche pas les chrétiens de venir le
consulter. “J’ai déjà jugé une musulmane qui avait pris l’argent d’un chrétien”, se souvient Mohammed ElTayeb. Parfois, même des étrangers ont
recours à ses lumières. Et le cheikh de
raconter l’histoire de cet Egyptien et de
cet Allemand qui avaient monté un projet commun qui s’est finalement soldé
par un différend financier. Faute de
détenir les papiers officiels, et après
avoir été éconduit par la police touristique, l’étranger s'est tourné vers le
Magles El-’Arab. Il a finalement pu
récupérer l’argent qui lui était dû.
Si le cheikh jouit d’une réelle popularité, son autorité n’est toutefois pas
incontestée. “Je respectais son père.
Mais lui, il a tout perdu depuis qu’il a
accédé au pouvoir officiel”, lâche
Ahmad, habitant de Gourna. Fatma Ahmad Kamel et Mavie Maher
Le Calame / juin 2008
19
D’une rive à l’autre, des
En dessin, en photo ou en peinture, ils immortalisent Louxor et
ntre palmeraie et désert,
le dessinateur français
Golo vit depuis 2000 au
pied de la montagne thébaine
à Gourna. Celui qui a mis en
bulles les romans de Naguib
Mahfouz et d’Albert Cossery
ne pouvait rester indifférent
à la destruction des maisons
de la colline, construites sur
des tombes destinées à être
fouillées par les égyptologues.
“Ces demeures étaient
magnifiques, décorées de
toutes les couleurs. Et elles
ont été détruites à coup de
bulldozers”, regrette-t-il. En
dessins, en aquarelles, il fixe
la mémoire de Gourna avant
démolition. “Mais je ne lui ai
pas encore consacré de BD.
Ça va venir”, promet Golo. Mohamed El-Had et Sara Hesham
ALI HASSAN
Les couleurs de la colline inspirent les Beaux-Arts
D
20
Le Calame / juin 2008
ans les années 1950
déjà, des étudiants des
Beaux-Arts du Caire venaient
peindre à Gourna. En 1999,
lors d'une expédition
solitaire sur la rive ouest, Ali
Hassan, enseignant à la
faculté des Beaux-Arts de
Louxor, décide de reprendre
l’idée. Depuis, chaque année
pendant une dizaine de
jours, ses étudiants posent
leurs chevalets à Gourna.
Avec la démolition des
maisons aux mille couleurs
de la colline, la nécessité
d’immortaliser ce qui
bientôt ne sera plus s'est
renforcée. “Les habitants
GOLO
Un pinceau contre les bulldozers
E
sont touchés par notre
initiative, des enfants nous
ont même entraînés vers
leur maison pour qu'on la
peigne”, raconte Ali Hassan.
Les toiles sont ensuite
exposées et trouvent parfois
acquéreurs. A défaut, elles
sont rendues aux étudiants.
Ce qui au final ne laisse
aucune trace au sein de la
faculté. “Ce travail de
mémorisation n’est effectué
par aucune institution
officielle”, regrette Ali
Hassan. “Il aurait dû être
prioritaire de tout dessiner
avant la démolition.” Pacynthe Sabri
images pour mémoire
Chez Gaddis, un siècle d’histoire locale en photos
A
u pied du Winter Palace, face au Nil,
le magasin de Gaddis ressemble
à la caverne d'Ali Baba. L'endroit est
exigu, les murs recouverts de photographies
de différentes tailles. Dans des vitrines sont
exposés des appareils photos d’un autre âge.
Au garde à vous devant son bureau, l’héritier
veille sur le trésor de sa famille, un fonds
photographique d'environ deux mille clichés que
son grand-père Ateyya Gaddis a commencé à
prendre dès 1907.
Né à Louxor en 1887, Ateyya a tiré sur papier
glacé l'histoire de l'Egypte, depuis les tribus
nubiennes au sud jusqu'aux pyramides de Guizeh
au Nord. Aujourd'hui dépositaire des travaux de
son aïeul, Gaddis sait bien, depuis tout petit,
FONDS GADDIS
Gourna. Rencontres avec des auteurs et leurs œuvres.
que la profession de photographe est une
mission de mémorisation. “J’ai vu mes parents
se lever dès quatre heures du matin simplement
pour prendre une photo. Ils grimpaient les
montagnes avec leurs appareils, lourds à
l’époque. Dès mon jeune âge, j’ai appris
profondément le sens de ce métier”, souligne
l’homme qui préfère s’effacer derrière ses
images. Sur quatre générations, la passion des
Gaddis a contribué à préserver le patrimoine du
pays. Parmi les clichés les plus célèbres, il y a
celui de 1922, où Ateyya Gaddis immortalise la
découverte de la tombe de Toutankhamon. Ses
photos ont également une valeur scientifique à
laquelle ont parfois recours des missions
archéologiques. Mavie Maher
Le Calame / juin 2008
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Un jour pour découvrir les trésors de Louxor ? Ce n'est pas sérieux !
Pourtant, la plupart des touristes venus de la mer Rouge se frottent à
l'exercice. Nous avons tenté de relever le défi. Rapport de mission.
D
epuis la veille, nous sommes sur le pied
de guerre. Pour visiter tout Louxor, la
journée doit être longue. Nous avons donc
prévu de nous lever à l’aube. Mais le réveil en a
décidé autrement. Ça commence mal...
9 HEURES, GOURNA, RIVE OUEST. Un solide petitdéjeuner avalé, nous nous mettons en route. Déjà
32 degrés à l'ombre. Mon collègue Ramy et moi,
Youssouf, avons en tête de visiter sept sites. Le
guide de voyage assure que c'est possible. Nous
décidons de suivre à la lettre le parcours recommandé. Nous jouons la prudence et achetons
deux bouteilles d'eau à 1,5 LE avant d'attraper un
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Le Calame / juin 2008
Ramy (à gauche)
et Youssouf (à droite)
dans le petit train
de la vallée des Rois.
DR
Louxor express
taxi, direction la vallée des Rois. L'entrée du site
est obstruée par un troupeau de touristes entassés dans la caféteria. Tous attendent le signal de
leurs guides pour se mettre en route. A vos
marques ! Trois, deux, un… partez ! Les retardataires restent coincés dans la queue. Première
leçon : le touriste d'un jour se doit d'être réactif.
Le guide de voyage loue les merveilles de la
tombe de Thoutmosis IV. Hélas, nous nous
trompons et nous engouffrons dans celle de
Toutankhamon. A 15 mètres sous le sol, au bas
d’un long escalier, il y a foule dans la chambre
funéraire. Et presque plus d'oxygène. On étouffe.
Mais, motivés, nous nous mêlons
aux groupes et volons quelques
explications en arabe, en russe ou
encore en français. A ce rythme, je me
demande toutefois si nous allons arriver au bout de nos sept travaux du
jour. Pour sortir de la tombe, c'est la
bousculade. Nous parvenons tant bien
que mal à la surface. Loin d’être découragés, nous filons vers la tombe de
Ramsès III. A l’entrée, le gardien
remarque que je possède le même
billet que mon collègue. Pour les
étrangers comme moi, il coûte 50 LE,
tandis que le ticket pour les Egyptiens
est à 4 LE. Ramy s’interpose : “Il est
africain et arabe. Il vient des
Comores.” Ça passe. Cette fois-ci, nous
apercevons à peine les fresques de la
tombe tant il y a du monde. Mon collègue achève déjà sa dernière bouteille
d’eau. Teint blafard, pupille trouble,
le doute n’est plus permis : il frôle la
déshydratation. Mais le cours de la précieuse boisson est très élevé dans la
vallée des Rois, et donc très dissuasif.
Deuxième leçon : le touriste d’un jour
se doit d’être prévoyant.
Nous décidons sur le champ de
rejoindre le temple d’Hatshepsout.
Mais comment faire sans moyen
de transport ? Sur le parking, il n’y
a que bus et minibus privés climatisés : où sont
les microbus et les taxis collectifs ? Mon acolyte
Ramy me propose alors de négocier avec un
chauffeur privé. Après discussion, nous nous
mettons d'accord. Pour 15 LE, il nous emmène
au temple d’Hatshepsout, pendant que sa cliente
officielle visite la vallée des Rois.
11 H ,
TEMPLE D ’ HATSHEPSOUT , RIVE OUEST .
Tickets en poche, nous grimpons jusqu’à l’édifice
creusé dans la montagne. Le soleil est maintenant
au zénith. Il fait 42 degrés à l'ombre. Ramy se
tourne vers moi. Son visage est cramoisi. “Je suis
fatigué”, m’annonce-t-il. J’avais deviné. Comme
il parle russe, il choisit de s’asseoir à l’ombre et de
tailler le bout de gras avec de charmantes touristes. Dans ces conditions, je ne m’attarde pas
sous les plafonds étoilés du temple.
En Chiffres
Température : 32 à 42°C
Boissons : 3 à 4 litres par personne, soit 20 à 30 LE
Billets : 1 à 4 LE (Egyptiens et arabes), 30 à 50 LE (étrangers).
Transports (par trajet) : taxi 10 à 15LE, microbus : 50 pt
A la sortie, nous tombons nez à nez avec le
chauffeur qui nous a dépannés jusqu'ici. Il
accepte de nous emmener à la vallée des
Nobles, pour une course cette fois-ci un peu
moins chère. Nous sommes devenus ses
clients parallèles et jamais nous ne croiserons la touriste qu’il transporte officiellement. Mais la combine a ses limites. Le
chauffeur est pressé et nous lâche au
milieu de nulle part. Nous marchons le
long de la route sous les rayons du soleil, à
la recherche de la billetterie des tombes des
Nobles et du temple de Medinet Habou.
Nous dépassons les tombes et le temple,
sans jamais trouver le kiosque. Maalesh !
Ramy n’en peut plus. Il exige une pause
casse-croûte. Je cède de bonne grâce, moi
aussi éreinté. Un taxi collectif, le bac : en
deux temps trois mouvements, nous voilà
au Snack Time, cantine branchée de la rive
est, une grosse pizza dans l’assiette.
Troisième leçon : le touriste d’un jour doit
acheter ses tickets à l’avance et surtout
déjeuner dans un endroit climatisé.
14 H, LOUXOR, RIVE EST. Enfin rassasiés,
nous décidons de nous attaquer à Karnak.
Un gros morceau. Nous passons par le
souk, pour d’éventuelles emplettes. Le
prix de la bouteille d’eau connaît une inflation galopante : 5 LE ! Ramy s’énerve. Mais
à ce stade du parcours, il faut préserver ses
forces. Et de fait, dès l'entrée du temple de
Karnak, mon collègue abandonne. Il préfère
se reposer à l’ombre des colonnes. Je ferai donc
la visite seul. Encore...
Une heure, un trajet de microbus et quelques
lampées d’eau plus tard, nous voilà devant le
temple de Louxor. Les yeux me brûlent ; mes
talons sont en feu. Mais je m’accroche, nous ne
pouvons faillir à notre mission.
16H30, COLOSSES DE MEMNON, RIVE OUEST. Le
chemin du retour, enfin ! Nous retraversons le
Nil. En route, nous nous arrêtons devant les
Colosses de Memnon. Ramy me raconte qu’il y
a très longtemps, un tremblement de terre fissura les blocs de pierre dans lesquels étaient
taillés les Colosses. Ce qui faisait siffler celui de
gauche tous les matins. Selon la légende, c'était
sa façon à lui de dire bonjour à sa mère.
Nous arrivons enfin au bercail. Il est temps de
faire nos valises, car ce soir nous prenons le train
pour rentrer au Caire. Nous sommes rincés.
Moralité : visiter Louxor en une journée n’est
pas mission impossible. Mais c’est décidément
une affaire de professionnels ! Youssouf Abdallah et Ramy El Kalyouby
Le Calame / juin 2008
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La Faculté de Communication de l’Université du Caire,
le Centre de Formation et de Perfectionnement des Journalistes
l’Institut Français de Presse et le Centre français de Culture et de
Coopération proposent aux francophones une formation professionnelle :
LE DIPLOME SUPERIEUR DE JOURNALISME
FRANCO-EGYPTIEN
Profil
Formation pratique
Enseignements
Une scolarité adaptée
Débouchés
Sélection ouverte aux étudiants et aux salariés
francophones égyptiens et étrangers
Diplôme requis : licence égyptienne ou
équivalence, dans quelque matière que ce soit
Pas de limite d’âge
Des cours et des équipements adaptés à
l’apprentissage des techniques du journalisme :
presse écrite, radio, télévision, agence
Des cours assurés par des enseignants français et
des professeurs de l’Université du Caire
Des sessions pratiques d’une à deux semaines
animées par des journalistes professionnels issus des
plus grands médias français
Formation d’une année dispensée de 16 h à 20 h
20 heures de cours par semaine
Possibilité de poursuivre une activité
professionnelle
Une formation reconnue par les médias français
et égyptiens en langue française ou arabe
Stages dans les médias francophones et
arabophones en Egypte (AFP, Al-Ahram Hebdo,
Nile TV, Radio le Caire) et à l’étranger (France 24,
Monte Carlo Doualiya Maghreb Arab Press) et
bourses de formation au CFPJ
Renseignements et inscriptions : 012 74 84 936
ou par e-mail : [email protected], ou à Edufrance au CFCC,
rue Madrasat Al-Huquq Al-Frinseya, Mounira, Le Caire
Site web : ou www.ambafrance-eg.org/cfcc/

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