Louxor, le temps est une affaire sérieuse. Dans l`ancienne
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Louxor, le temps est une affaire sérieuse. Dans l`ancienne
A Edito Louxor, le temps est une affaire sérieuse. Dans l'ancienne Thèbes où certains temples n'ont pas d'âge, les journées des touristes sont précisément comptées : un jour et demi en moyenne sur place et quatre à cinq pour une croisière sur PHOTO DE COUVERTURE : CHRISTINE BANAY le Nil ; pas plus. Ce Calame hors du Caire, une première historique, était donc l'occasion pour les étudiants de la Filière francophone de journalisme de passer cinq jours entiers sur place, histoire de tâter le pouls de la ville. Hormis quelques instants volés, ils n'ont consacré que peu de temps aux splendeurs des dynasties passées et ont préféré arpenter le Louxor d'aujourd'hui. C'est une ville en chantier qu'ils ont découverte. Le plan prévu par les autorités est d'en faire d'ici 2030 un gigantesque musée à ciel ouvert. Un projet qui suppose que certains habitants quittent boutiques et maisons et restent à l’écart des circuits touristiques. Les étudiants ont écouté leurs Faculté de communication inquiétudes, ils ont été revoir ceux qui, à Gourna, avaient déjà déménagé et ont exploré les nouveaux territoires. Ce voyage, ces rencontres les ont émus, surpris, dérangés parfois. Des sentiments qui les ont incités à sortir des sentiers balisés. Au fil des pages du magazine, ils vous proposent d'emprunter ces chemins de traverse. Stéphanie WENGER 2 Le Calame / juin 2008 Sommaire 04• Grand entretien “Louxor 2030”: sous ce nom de code, un ambitieux projet qui vise à faire de la ville un musée à ciel ouvert. Sur le papier, l’idée a tout pour plaire. Mais sur le terrain ? Décryptage en trois volets. Sandrine Gamblin, politologue : “Les touristes sont tenus à l’écart des habitants.” 06• Le réaménagement controversé de l’allée des Béliers. Reportage. 06 DOSSIER 10• Retour à Gourna, 14 Chaque jour, de curieuses embarcations délestent les bateaux de croisière de leurs détritus. Reportage sur le fleuve, à bord avec les zabalines du Nil. chez les déplacés de la colline. 13• New Theba met le cap sur l’avenir. 14• A bord, avec les zabalines du Nil Pendant que la croisière s’amuse, NADIA SHAHINE Louxor, la métamorphose DR EN COUVERTURE 18 des éboueurs sillonnent le fleuve. Un jour paysan, un jour employé dans le tourisme : rencontre avec Hussein, à la croisée de deux univers. 18• Quand les cheikhs délibèrent A la découverte du Magles El-’Arab, FATMA AHMAD KAMEL 16• Une vie peut en cacher une autre Plutôt que de faire appel à la justice officielle, les habitants de HauteEgypte ont parfois recours à un système alternatif : le Magles El-’Arab. Le Calame, juin 2008 – Magazine réalisé par les étudiants de la promotion 2007- 2008 de la Filière francophone de journalisme, issue de la coopération entre une cour de justice alternative. l’Université du Caire, l’Institut français de presse de l’Université Paris-II et le 20• Des images pour mémoire Remerciements : Agence France-Presse, Christine Banay, Arnaud du Dessin, peinture, photo : trois auteurs immortalisent la ville et ses alentours. 22• Louxor express Tout visiter en un jour par plus de 40°C ? Nos reporters ont relevé le défi. Centre de formation et de perfectionnement des journalistes, avec le soutien du Service culturel de l’Ambassade de France au Caire. Boistesselin, Cris Bouroncle, le Centre Français de Culture et de Coopération, la Faculté de communication de l’Université du Caire, Hanaa Farouq, Golo, Roland Loche, Alain Navarro, Clément Régulier, Alexandre Sorrentino ainsi que Jean-Jacques et Joëlle, Adam et Mariam et toute l’équipe du Snack Time. Directrice de la publication : Dr Laila Abdul Maguid. Rédaction en chef : Marion Guénard et Stéphanie Wenger. Rédaction en chef technique : Ludovic Gonty. Impression : Lumina (40, rue Gazirat Al-’Arab, Mohandessine, Le Caire). Rédaction : Asmaa Abd El Fattah, Youssouf Abdallah, Shahinaz Abdel Salam, Fatma Ahmad Kamel, Mohamed El-Had, Ahmed Gamal, Ihab Hassan, Sara Hesham, Ramy El Kalyouby, Mavie Maher, Pacynthe Sabri, Nadia Shahine. Le Calame / juin 2008 3 “Les touristes sont tenus Grand entretien Politologue et arabisante, Sandrine Gamblin vient de soutenir sa thèse sur l’impact du tourisme international à Louxor. Elle revient pour Le Calame sur les transformations de cette ville. Pourquoi, en tant que chercheuse, s'intéresser à Louxor ? Les autorités égyptiennes affirment que l’Egypte concentre les deux tiers des antiquités du monde ; or Louxor abrite quelques-uns des plus prestigieux monuments égyptiens. Sans être une très grande ville, elle est le centre du développement touristique du pays. Une autre raison qui m’a poussée à me pencher sur Louxor, c’est le manque de documentation et de statistiques sur l'impact social, économique, politique, et culturel du développement touristique sur cette ville. La ville et les villages aux alentours connaissent depuis cinq ans une urbanisation croissante. Pourquoi ? A cause de l'augmentation du flux touristique en Egypte – nous sommes passés de 2 millions de touristes en 1992 à quelque 10 millions aujourd’hui. Mais aussi en raison de l'augmentation de la population. Or Louxor et les villages de la rive ouest sont en partie classés zones archéologiques. D’où des mesures prises par le gouvernement pour déplacer la population de ces sites. Cette idée n'est pas nouvelle : elle date du dixneuvième siècle. Aujourd'hui, deux zones sont concernées : sur la rive est, il s'agit des habitations le long de l'allée des sphinx à tête de bélier, allée qui relie le temple de Louxor à celui de Karnak. Cet espace est en cours de transformation. Et de l'autre côté du Nil, rive ouest, on trouve le village de Gourna construit sur la montagne thébaine, où 1 500 à 2 000 tombes ont été recensées par les égyptologues. Il y a plus d’un an, les habi- 4 Le Calame / juin 2008 NADIA SHAHINE Quelles sont les principales mutations en cours à Louxor ? Chercheuse et consultante auprès d’organisations internationales, Sandrine Gamblin s’est appuyée pour sa thèse sur une fréquentation assidue du terrain depuis plusieurs années. tants ont été déplacés puis relogés quelques kilomètres plus loin, dans des cubes de béton, dans le désert, à New Gourna [cf. reportage page 10]. Quelle relation les habitants de Louxor entretiennent-ils avec le tourisme ? Au premier abord, on pourrait imaginer qu’il y a deux mondes séparés : celui des habitants et celui des touristes. Mais ce n’est pas si simple, les deux mondes sont entrelacés. D’un point de vue économique, la terre ne rapporte pas, et avec l’augmentation du nombre de constructions, il y a de moins en moins de terres à cultiver. Le tourisme est donc la première source de revenus à Louxor. L’ensemble de la population vit du tourisme, directement ou indirectement. Dans chaque famille, il y a toujours quelqu'un qui travaille dans ce secteur. La relation entre le touriste et l’autochtone est d'abord économique. Comment les habitants de Louxor appréhendent-ils le patrimoine ? L’islam ne donne pas une image très valorisante de l’époque pharaonique. à l’écart des habitants” A quoi ressemblait Louxor au début du siècle dernier ? Louxor était un petit village banal, un village comme tant d’autres. Sa seule réelle spécificité résidait dans sa forte population copte. Mais deux facteurs déterminants vont intervenir : l’intérêt scientifique pour l'égyptologie, et l'attraction touristique, avec cette fascination naissante pour l’Orient. L'un des moments forts du changement, ce sont les années vingt, avec en point d'orgue la découverte en 1922 du tombeau de Toutankhamon. Louxor se transforme : le village entame alors sa mue et adopte des caractéristiques urbaines. Y'a-t-il d'autres moments-clés ? Oui, l'autre date importante, c'est l’inscription de Louxor au patrimoine mondial de l’humanité de l’Unesco [Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture], en 1979. A partir de ce moment-là, le pouvoir politique va s’intéresser aux sites archéologiques et va percevoir leur important potentiel économique. Cette période marque aussi le début des études sur les plans d’aménagement. Comment imaginez-vous Louxor dans vingt ans ? Le réaménagement de la ville se fait en réponse à de supposées attentes étrangères, sans prendre en considération la population locale. Il y a à Louxor, comme ailleurs en Egypte, une vision “La demande touristique entraîne une hausse des prix sur le marché local” hygiéniste des autorités : tout doit être “propre”, et il faut présenter ce que l’on a de mieux. C’est une politique d’aménagement général qui va faire que l’on enferme les touristes dans une enclave bien déterminée. Ils sont tenus à l’écart de la population locale. Ceci risque de susciter du ressentiment au sein de la population, et d'engendrer un développement inégalitaire. La ville de Louxor peut-elle supporter le tourisme de masse ? D’un point de vue écologique, on a probablement déjà touché les limites. Il y a une véritable dégradation de l’environnement, ce qui entraîne inévitablement des dommages aux sites archéologiques. Regardez le nombre grandissant d’autocars qui stationnent sur les parkings, souvent à proximité des temples : on peut imaginer l’impact du dioxyde de carbone sur les pierres et sur la santé. La demande touristique entraîne aussi une augmentation des prix sur le marché local. Ainsi, les fruits et légumes à Louxor sont souvent plus chers qu’au Caire. Le pouvoir d’achat est déjà en baisse chez les Egyptiens, mais à Louxor, ce problème s’accentue. Il y a le risque que les habitants, surtout les enfants, ne puissent accéder aux aliments de base, et qu’ils mettent ainsi leur santé en péril. Quels sont les objectifs touristiques prévus pour Louxor ? A l’horizon 2020, l’Egypte compte accueillir dix-sept millions de touristes. Et en la matière, la politique du gouvernement égyptien est basée sur l'offre. On pourrait résumer son credo par la formule suivante : “Construisons un maximum de complexes pour attirer un maximum de touristes”. La mode en ce moment est à la pluralité touristique. On veut maintenir le touriste sur place le plus longtemps possible, et pour ce faire on lui présente un paquet complet : tourisme culturel, de loisir, sportif, etc. A Louxor se développent des projets globaux de résidence de villégiature et de complexes de loisir. Quelle est l’alternative ? Il aurait été préférable que l’Egypte se tienne à l’écart de cette tendance mondiale au tourisme de masse, et qu’elle travaille sur la qualité plutôt que sur la quantité. Sinon, elle risque de perdre sa spécificité. Je pense au contraire que le pays a plus à gagner en se distinguant sur le marché méditerranéen et en travaillant sur la qualité de ses services. Recueilli par Mohamed El-Had, Pacynthe Sabri et Nadia Shahine NADIA SHAHINE Abu Hajaj, le saint patron de la ville de Louxor, aurait vaincu le Pharaon. Les temples et tombeaux ont cependant toujours été utilisés par la population locale. Les temples ont longtemps servi de lieux de rassemblement, et des villages y étaient construits. Mais il y a aussi un ensemble de croyances qui persistent autour de certains monuments ; ainsi, le temple de Karnak assurerait la fertilité. Le Calame / juin 2008 5 La mise au jour de l’allée des Béliers, à quel prix ? PAGE 6 Des béliers et des hommes L ouxor, un jour de 2030. Des groupes de touristes parcourent les 2700 mètres qui séparent les deux joyaux de la Thèbes antique, le temple de Louxor au sud et celui de Karnak au nord. Le long du trajet, ils peuvent contempler les statues qui bordent cette voie historique, de majestueux sphinx à tête de bélier que les archéologues ont sortis de terre et reconstitués. De part et d’autre de cette allée, sur une largeur de 76 mètres, s'élèvent des bâtiments modernes. Une fiction ? Un projet pour l’heure, qui compte parmi les volets principaux de “Louxor 2030”, vaste plan de réaménagement qui vise à faire de la ville un musée à ciel ouvert. "Formidable ! On verra Louxor comme elle était au temps des Pharaons. Ça nous permettra de mieux connaître ce grand patrimoine de l'humanité”, s'exclame Clément, touriste français 6 Le Calame / juin 2008 DR Le réaménagement de l’allée des Béliers, qui relie les temples de Karnak et de Louxor, est l’un des volets phares du projet de transformation de la ville en musée à ciel ouvert. Sur le papier, ce plan d’envergure a tout pour plaire. Mais sur le terrain, il suscite l’inquiétude et la colère des habitants contraints à déménager. Reportage. COURTESY OF AFP D’UNE VILLE EN MUTATION COURTESY OF AFP dossier LOUXOR, PORTRAIT de 23 ans croisé à Karnak en ce printemps 2008. Le plan, piloté du Caire par le Conseil suprême des antiquités (CSA) et sur place par le gouvernorat de Louxor, “rendra à Thèbes sa dignité et les traces de sa gloire passée”, explique Gihane Zaki, archéologue au CSA. Une restauration ambitieuse D'après les documents communiqués par le gouvernorat de Louxor, le projet s’ouvrira par une vaste place de plusieurs centaines de mètres carrés au sud de Karnak, puis mènera jusqu'au temple de Louxor via la percée incluant l'allée des Béliers. Une restauration estimée à 240 millions de LE, selon ce qu'annonçait le gouverneur de Louxor Samir Farag en janvier 2007. Mais cette restauration aura également un coût humain. Car l'ambition de faire renaître l'allée New Theba : la banlieue du futur existe déjà. PAGE 13 REK FAK Reportage à Gourna, avec les déplacés de la colline. PAGE 10 PACYNTHE SABRI “COMMENT RETROUVER UN TRAVAIL ?” Khaled, 28 ans, craint pour son atelier de vélos, sa seule source de revenus. SARA HESHAM “JE NE DORS PLUS, JE NE RÊVE PLUS.” Hajj Mohammed a manifesté le 28 mars. Il ne peut imaginer sa maison détruite. des Béliers suppose de déplacer des centaines de familles : un rapport de l’Unesco de 2007 évoquait le chiffre de trois cents maisons à détruire. Sur le terrain, le chantier est à peine commencé. Au sud du temple de Karnak, le long de l'enceinte, bien au-delà du parking réservé aux autocars, un bloc d'immeubles est encerclé par des barrières de police. A l'intérieur, les quelques cafétérias et magasins sont déserts. Au-delà de cette zone bouclée, le curieux arrive dans un petit quartier dérobé au regard des touristes. Les rues y sont calmes et arborées, vides en ce milieu d'après-midi. Quelques pas plus loin, aux pieds de maisons colorées, une quinzaine de statues de béliers affleurent de terre. En fait de béliers, il n'en reste que des blocs de pierre, qui attendent d'être restaurés. Si ce tronçon semble pour l'instant délaissé, deux rues plus loin, une partie PACYNTHE SABRI “DÉFENDRE MA PROPRIÉTÉ, C’EST COMME DÉFENDRE MON HONNEUR.” Hala, 26 ans, mère de trois enfants, vit dans une maison qui appartient à sa famille depuis plusieurs décennies. “J’ai grandi ici, entourée de mes parents et grands-parents. Je ne me vois pas vivre ailleurs.” de la future allée est en train d'être excavée. Le sol descend en pente douce. Deux mètres plus bas, on commence à apercevoir les socles des statues, encore recouverts de terre. Autour, des chèvres, bien vivantes elles, broutent les ordures qui traînent çà et là. Les riverains vaquent à leurs occupations : des femmes attendent un bus, des gamins jouent, des hommes bavardent sur des petits bancs. Tout semble normal. Pourtant, il suffit de discuter un peu pour que la colère perce. La plupart des habitants est bien décidée à ne pas quitter les lieux. Hala, mère de trois enfants, entraîne le visiteur chez elle et désigne “Ce plan rendra à Thèbes sa dignité et les traces de sa gloire passée” Gihane Zaki, du Conseil suprême des antiquités Le Calame / juin 2008 7 VIE EST ICI.” Mohammed vit avec enfants et petitsenfants dans sa maison d’un étage. A 73 ans, ce modeste artisan refuse de partir. Il juge l’indemnisation proposée insuffisante. ”JE VOULAIS AJOUTER UN ÉTAGE POUR MON FILS. MAIS CE RÊVE EST DEVENU IRRÉALISABLE.” D’une maison en terre et au toit de palmes, Mohammed Mustafa a fait au fil des ans un immeuble de plusieurs étages. Le plan de réaménagement de son quartier porte un coup d’arrêt à ses projets. d'un geste son intérieur tout neuf qu'elle ne veut pas abandonner, puis lance avec emphase : “Je préfère mourir au milieu des pelleteuses”. Exagération ? La phrase, récurrente, décrit pourtant bien l'atmosphère qui règne dans le quartier. Le 28 mars dernier, la tension est montée d'un cran lors d'une manifestation d'habitants devant le temple de Karnak. Forces de l'ordre et manifestants ont échangé gaz lacrymogènes et pierres. Bilan : plusieurs arrestations, et des dommages dans les commerces alentours, selon les autorités citées alors dans la presse. Youssouf, la trentaine, était ce jour-là au pre- Le 28 mars dernier, signe d’une colère croissante, une manifestation d’habitants a eu lieu devant le temple de Karnak. 8 Le Calame / juin 2008 MOHAMED EL-HAD MOHAMED EL-HAD “LE DÉVELOPPEMENT DU TOURISME, OUI, MAIS PAS À NOS DÉPENS.” La petite épicerie de Hajj Nasser, au-dessus de laquelle il vit, est située en plein sur l’allée des Béliers. Il s’était résolu à collaborer avec les autorités mais considère que celles-ci l’ont lésé en sous-estimant le prix de sa propriété. SARA HESHAM “NOTRE mier rang. Il s'en est tiré avec un bras cassé et quinze jours de prison : “Ce devait être une manifestation pacifique, mais cela a vite dégénéré. Les gaz lacrymogènes ont provoqué un mouvement de panique, même parmi les touristes présents.” Il est assis dans son café, presque vide, qu'il a ouvert il y a un an et demi seulement. Selon le plan de réaménagement, croit-il savoir, l'endroit devrait laisser la place à un grand jardin pour ouvrir la perspective sur cette fameuse allée. Depuis la manifestation, le calme est revenu. Mais la colère, la peur et l’incompréhension sont toujours là et les sensibilités s’exacerbent. Plusieurs habitants disent craindre de quitter leur domicile. Khodari Abeid, 65 ans, est l'un d'entre eux. Sa maison a plus de deux cents ans. “Nous y restons jour et nuit, les dix membres de MOHAMED EL-HAD “NOS MAISONS AUSSI SONT DES MONUMENTS.” Preuve de la valeur de leurs demeures : les touristes se promènent dans le quartier lorsqu’ils se rendent au temple de Karnak, affirme Khodari Abeid, 65 ans. Sa demeure, dit-il, a plus de deux cents ans. ma famille et moi, de peur que les autorités ne détruisent tout en notre absence. Je me sens comme en Palestine, où l’on expulse les gens de chez eux…” “Bénéfices à long terme” Du côté des autorités locales, les questions sur le sort des habitants rencontrés sur le terrain sont éludées et une porte-parole du gouverneur de Louxor se borne à mettre en avant “les bénéfices à long terme” et les compensations prévues pour les habitants : “Chacun s'est vu proposer un relogement dans un appartement ou une somme de 40 000 à 50 000 LE”, souligne-t-elle. Très insuffisant, pour Hajj Nasser, qui vit avec 27 personnes de sa famille, oncles, tantes, cousins et cousines qui tous partagent sa maison de briques de 175 mètres carrés : “Avec ce que l'on me propose, je ne pourrais pas payer un loyer, encore moins rebâtir ma propre demeure. Il est inacceptable que les autorités se comportent avec nous comme avec des parasites qui ne savent pas se conduire face aux touristes”. Entre la population et les officiels, le dialogue semble rompu. Et le manque de transparence des autorités locales ne fait qu'alimenter la profonde méfiance des habitants à leur égard. Au Caire, Gihane Zaki, du CSA, dit comprendre le désarroi des habitants. Mais l’archéologue promet “des retombées positives pour tout le monde, même à court terme”. Hajj Nasser, lui, ne demande qu'à être convaincu : “Ici, à Louxor, nous avons toujours dépendu de Dieu d'abord et du tourisme ensuite.” Mohamed El-Had, Ihab Hassan, Sara Hesham, Pacynthe Sabri Le Calame / juin 2008 9 A New Gourna, les déplac Expropriés parce qu’ils vivaient sur des vestiges archéologiques, les habitants de la colline de Gourna ont été relogés dans un nouveau village. Etat des lieux, dix-huit mois après un transfert de population controversé. 10 Le Calame / juin 2008 D es gravats, des travaux... New Gourna est encore en chantier. Le village s’ouvre par une large route, déserte la plupart du temps. “Les hommes travaillent dans les ateliers d’albâtre sur la colline et ne rentrent pas avant la nuit. Je ne peux pas monter jusqu’ici avec une seule personne", explique un chauffeur de “voiture ouverte”, ces pickups aménagés en taxis collectifs qui sillonnent la rive ouest. Ce site accueille les habitants des maisons anciennement accrochées sur le flanc de la colline de Gourna. Depuis des décennies, ces villageois se voyaient reprocher de détériorer les tombes antiques sur lesquelles étaient bâties leurs demeures. Et ce n’est qu’en 2006 que New Gourna a vu le jour, à quelques kilomètres. “On leur a offert des maisons mieux équipées, et l’on a respecté la répartition des hameaux”, explique Mahmoud El-Chahat, chargé de l’urbanisme au conseil local. Un argument qui n’a pas suffi, et le transfert de nombre d’habitants s’est effectué sous la contrainte. Couleurs monotones A gauche de la grand-route, une série de magasins, le conseil municipal, un poste de police, un club de jeunes et une école. Seule l’école semble animée que les élèves se pressent de quitter une fois la journée finie. “Je ne supporte pas la chaleur, il n’y a aucun arbre dans la cour, même pas d’eau”, confie Asmaa, une petite fille de dix ans. De l’autre côté, les maisons se rangent en ligne droite jusqu’à la montagne. Des maisons d’un seul étage, toutes de la même forme. Elles sont marron, brique ou jaunes, couleurs que les habitants nostalgiques jugent “monotones”. Des teintes chaudes mais de tonalité unique qui tranche avec la débauche de couleurs des bâtisses de l’ancienne Gourna. “Si vous saviez comme les couleurs de ma Page de gauche : New Gourna, la ville construite pour les habitants déplacés. (PHOTO FATMA AHMAD KAMEL) Page de droite : vues de l’ancienne Gourna après destruction.(PHOTOS FATMA AHMAD KAMEL ET AHMED GAMAL) és réapprennent à vivre maison me manquent”, soupire Samah, habitante d’une trentaine d’années. A cette heure étouffante de l’aprèsmidi, seule une porte est ouverte. Le son d’une télévision s’en échappe, accompagné du ronronnement d’un ventilateur fatigué. “J’utilise cette pièce de ma maison comme épicerie, les gens en ont besoin car le centre commercial n’est pas en service”, indique Mohammed, assis sur un petit banc posé parmi quelques rayons qui ne contiennent que l’essentiel. “Ils nous ont confié des murs vides en échange de notre maison”, raconte Zeinab. “C’était à nous de payer les lampes, le raccordement au réseau électrique, 1000 LE, le compteur, 500 LE, le transport des meubles, 70 LE, la voiture... Beaucoup de frais à débourser en une fois”, énumère-t-elle en affirmant n’avoir reçu aucune compensation. Une fois les soucis d’installation réglés, d’autres problèmes se sont présentés pour certains des habitants. “Ma maison s’est effondrée au bout d’un mois”, se souvient Okaz, qui vit près de la montagne. Depuis quatorze mois, il doit loger ailleurs et donc payer un loyer. L’Etat a pris en charge les réparations, mais quatre mois plus tard, de nouvelles fissures ont mis la maison par terre. Finalement des experts dépêchés par le gouvernement ont découvert que le terrain, creux, ne pouvait supporter des constructions. Eau courante et électricité En dépit des difficultés, les habitants de New Gourna tentent de s’approprier leur nouveau logement. En dépit des restrictions aussi... Des petites pancartes, de timides dessins ou quelques arbres permettent à peine de distinguer une maison d’une autre. Quelques plantes égayent les quatre mètres carrés de la cour d’Am Mansour. “C’est mon petit jardin”, dit-il fièrement, relevant la tête au dessus des feuilles vertes qu’il vient d’arroser. “D’abord les autorités nous en ont empêché. Plusieurs fois, ils ont détruit ce que nous avions cultivé. Mais ils ont cédé enfin...”, raconte sa femme, l’air décidé. En revanche, tout ajout ou modification des maisons est pour l’instant proscrit. Dans le journal El-Gourna, Mohammed Saïd Soliman, chef de la ville, l’expliquait : “Il faut attendre un an pour vérifier la stabilité des constructions. Ensuite, les habitants pourront demander d’ajouter des étages à condition de respecter les critères artistiques du lieu. C’est un village qui fera partie de notre patrimoine.” Les services comme l’eau courante et l’électricité, s’ils représentent un incontestable progrès par rapport aux anciennes conditions de vie, ont un prix qui s’avère prohibitif pour certains ménages modestes. “Mon mari touche 200 LE , il est gardien de l’école, Le Calame / juin 2008 11 explique Aicha. On paye 30 LE pour l’eau et 40 LE pour l’électricité, et l’on doit se débrouiller avec le reste.” FATMA A. KAMEL Parce qu’ils ont refusé le logement proposé, qu’ils jugent trop exigu, Om Fathy et sa famille demeurent sur la colline. Retour dans l’un des hameaux de l’ancienne Gourna. Seule se dresse sur le sommet de la colline la maison d’Abou Hod. Le projet de déplacement de Gourna avait été pensé pour sauver les tombes endommagées par les habitants qui vivaient dessus. Pourtant, la seule maison debout qui reste à El ‘Atayat, l’un des hameaux, est située sur une tombe. La famille d’Abou Hod ne refuse pas de partir. “J’espère m’en aller le plus tôt possible”, affirme Om Fathy, mère de famille. “Mais pas dans ces conditions.” “Nous revendiquons juste notre droit légitime”, continue son fils. La loi leur donne droit à huit maisons, mais lors de la distribution, le comité ne leur en a proposé qu’une seule, affirment-ils. “Comment une maison de deux étages peut-elle être remplacée par deux pièces ? Comment dix-sept personnes peuvent-elles y vivre ?”, s’indigne Fathy. Faute de toit, ils doivent rester jusqu’à nouvel ordre dans leur ancien logement. En deux ans, ils n’ont eu la visite des autorités qu’à deux reprises, assurent-ils. La dernière fois, c’était il y a trois mois, pour raser les quelques arpents qu’ils avaient n reconnaît le village Hassan Fathy de loin, aux dômes de la mosquée et des maisons. Ce jour-là, le silence règne dans cet îlot rêvé puis bâti par l'architecte égyptien (1900-1989). Dans les années 1940 déjà, du temps du Roi Farouk, la présence d'habitants au dessus des tombeaux dérange. La peur des pillages et des dommages faits aux tombes poussent les autorités à envisager un relogement des populations concernées. Pour “construire avec le peuple”, titre de son fameux ouvrage, Hassan Fathy vit une année avec les gens de Gourna, pour étudier avec précision leurs besoins. En 1948, il achève la construction, aidé par des étudiants venus du monde entier. Soixante ans plus tard, le village a cédé de son authenticité aux signes de la modernité : paraboles, extensions en béton ou climatiseurs tranchent avec la simplicité des matériaux et des formes utilisées par Fathy. Des familles ont aussi ajouté des étages pour loger leurs enfants qui se marient. Sur soixante-dix maisons de brique crue, une vingtaine sont encore debout, et beaucoup ont été transformées. Sur place, Mahmoud Abdel Rady est notre guide. Cet étudiant en tourisme, dont le grand-père travaillait aux côtés de Hassan Fathy, utilise sa maison comme un musée pour les visiteurs. “J'aime ce genre d'architecture”, dit le jeune homme de 22 ans, qui détaille : “Un système ingénieux fait circuler “La loi doit être respectée” cultivés face à leur maison. “La loi doit être respectée. Leur présence sur une tombe est déjà une sorte d’agression”, explique Mahmoud El-Chahat, du conseil local, qui précise par ailleurs que “vingt maisons sur quatre cents seront préservées pour garder la mémoire de leur architecture particulière.” Le projet, largement médiatisé et qui visait à déplacer tous les hameaux qui vont d’El ‘Atayat jusqu’à Gourna Mar’y, s’est arrêté il y a plus d’un an. Les fouilles qui devaient révéler les secrets d’un millier de tombes antiques n’ont toujours pas commencé. L’idée même du déplacement total des habitants est contestable pour certains. “Gourna était un musée ouvert. Pourquoi isoler les gens dans des ghettos ? Le pays appartient d’abord à ses habitants avant d’être celui des touristes. L’héritage, le patrimoine doivent avoir combien d’années pour être appréciés ?”, demande Mariam, une journaliste qui a suivi le dossier et assisté aux premières expulsions sur la colline. Colline où ne subsistent que quelques murs de différentes couleurs, vestiges d’une vie passée qui tente de continuer ailleurs. Fatma Ahmad Kamel Retour au village de Hassan Fathy, première tentative de relogement O 12 Le Calame / juin 2008 l'air, les coins du plafond empêchent les araignées de tisser leur toile et un trou dans le toit évacue la poussière.” Face à cette “maison témoin”, la mosquée et la route asphaltée qui longe les terres agricoles. Çà et là, d'autres maisons, traversées de fissures, et des immeubles modernes entre lesquels des enfants jouent. Akazy Mohammed, 58 ans, est maçon et gardien de la mosquée : “Les fissures sont dues à l'humidité qui imprègne la chaux et fragilise l'édifice. Ceux qui ont de l'argent peuvent faire des travaux, mais les autres comme moi attendent la mort de leur maison...” “L'architecture des pauvres est devenue celle des riches”, résume Mahmoud Abdel Rady. Ahmed Gamal Thèbes en route vers l’avenir T rois mille ans et quelque quinze kilomètres. Voilà ce qui sépare la Thèbes antique de la Thèbes moderne, le temple de Louxor, vestige de l'époque pharaonique, de New Theba, ville nouvelle encore en chantier. New Theba est une cité paisible, perdue dans la campagne. Située au nord de Louxor, on y arrive à travers champs. Il y a beaucoup de verdure, à commencer par le golf, à l'entrée de la ville. Une fois passé le panneau indiquant le nom du lieu, ce sont les couleurs des bâtiments qui sautent aux yeux. Verts, bleus, jaunes et blancs, les immeubles d'architecture moderne sont à taille humaine : cinq ou six étages, pas plus. Quasiment désertes, les rues sont larges, bordées d'arbres. Tout est calme. En cette après-midi écrasée de soleil, New Theba ressemble à la ville idéale d'un jeu vidéo. “Tout est déjà loué. Mais les gens n'ont pas encore tous emménagé”, assure Hassan Abdel Samiar, le responsable de la ville, pour justifier cette impression de vide. Pour l'instant, ce sont surtout des familles qui habitent New Theba. Les jeunes recherchent également le calme loin de l'agitation de Louxor : “Je suis venue spécialement étudier ici car c'est tranquille”, confie une jeune femme. Flambée des prix Depuis une dizaine d'années, les activités touristiques de Louxor ont attiré les populations des villages alentours. Du coup, la demande en logements ne cesse d'augmenter, tandis que l'offre immobilière de la ville reste la même. Ce déséquilibre a récemment entraîné une hausse vertigineuse des prix. “Un appartement de 60 mètres carrés sur le Nil coûtait moins de 50 000 LE il y a cinq ans, mais maintenant le prix peut avoisiner les 400 000 LE”, affirme Kamal Hafez, directeur d’Osiris, société spécialisée dans les investissements immobiliers. La construction de villes RAMY EL KALYOUBY Visite d’un projet vanté comme la préfiguration du Louxor de demain. En dix ans, plus de 2 000 logements sont sortis de terre à New Theba pour accueillir le trop plein d’habitants de Louxor. nouvelles est devenue une priorité pour les autorités et compte parmi les grands projets du plan “Louxor 2030”. La ville est scindée en trois parties : l'habitat “jeunesse”, réservé aux 25-35 ans, dont les revenus ne dépassent pas les 400 LE par mois ; l'habitat “avenir”, réservé aux foyers les plus modestes, qui gagnent moins de 400 LE par mois ; et enfin la zone libre, sans critères d'âge ni de revenus. Pour chaque appartement, le prix du mètre carré est standard, à 1 000 LE. En revanche, c'est l'apport initial qui diffère : 3 000 LE pour un logement “jeunesse”, 5 000 LE pour un logement “avenir” et 10 000 LE en zone libre. Les habitants ont alors quarante ans au plus pour devenir propriétaires de leur appartement. Sur les 2 200 apparte- ments construits, 1 500 sont réservés aux jeunes ou aux plus modestes. Anouar Mohammed habitait auparavant à Louxor avec sa famille et travaillait comme le chauffeur de bus touristique. “Nous n’avions pas assez d'argent là-bas”, se souvient-il. Depuis 2002, il habite la zone “avenir” de New Theba, dans un appartement luxueux qu’il n’aurait pas pu s’offrir à Louxor. Il en a profité pour changer de métier : il est aujourd’hui le propriétaire du seul supermarché de la nouvelle ville. Selon le Conseil suprême de Louxor, New Theba devrait encore se développer dans les années à venir. Elle promet d’être une terre riche d’enseignements pour les archéologues du cinquième millénaire. Youssouf Abdallah et Ramy El Kalyouby Le Calame / juin 2008 13 Ce sont des éboueurs un peu particuliers. Leur mission : collecter les ordures des bateaux de croisière qui naviguent sur le Nil entre Louxor et Assouan. Reportage. NADIA SHAHINE Avec les zabalines du Nil I l est 11h du matin. A bord de leur bateau, les zabalines – éboueurs – viennent de finir leur première tournée sur le Nil. Le ramassage des ordures des navires de croisière a duré trois heures. Le confort des touristes se paye aussi au prix de la disparition discrète des centaines de kilos de déchets qu’un navire produit. C’est l’affaire de cette flotte d’éboueurs très organisée. Un camion recule jusque dans l’eau, pour que les employés sur le bateau y transbordent leur récolte : plusieurs dizaines de sacs-poubelles noirs et bleus. L’un des hommes ôte sa chemise et en profite pour piquer une tête dans le fleuve. Juste à côté, un jeune garçon douche son dromadaire. A Gourna, sur la rive ouest du Nil, il faut prendre le chemin de Ramlah, le “chemin du sable”, pour arriver jusquelà. Il passe entre des villas et de beaux jardins fleuris. Une centaine de mètres plus loin, un petit sentier bifurque vers le Nil. Une trentaine de gros sacspoubelles sont entassés sur la rive. Des gens s’activent sur de petits bateaux croulants sous les ordures. C’est le site de déchargement des éboueurs. Dans une petite cabane à proximité sont stockés les bidons d’huile de moteur des bateaux de croisière, huile qui sera revendue à des usines. 14 Le Calame / juin 2008 Trois compagnies privées se chargent de la collecte des déchets des bateaux de croisière à Louxor : Alhuda, Redaco et Ahl El-Beit. Hajj Sayed est le propriétaire d’Alhuda. “J’ai commencé à travailler dans ce domaine il y a dix-huit ans”, raconte l’homme, habillé à l’occidentale et coiffé d’une calotte La tournée des éboueurs passe en moyenne par 35 navires par jour blanche. “J’ai deux bateaux. C’est moi qui les ai fait construire. J’ai été mécanicien et chauffeur avant de travailler dans la collecte des ordures.” Maintenant il passe sa journée assis sur son canapé, à l’ombre d’un arbre. Il boit son thé et supervise ses ouvriers en les houspillant. “J’ai signé un contrat avec le comité de la ville de Louxor pour collecter les déchets des croisières. Dans ce contrat, il y a toutes les instructions : mes bateaux récupèrent les ordures, des camions les transportent vers une montagne, très loin dans le désert. Et là, on les brûle. Les bouteilles en plastique sont mises dans des sacs à part et sont recyclées”, explique le propriétaire d’Alhuda. “Les responsables de l’environnement viennent inspecter notre travail, et tout va bien chez nous. Il n’y a pas de problème», affirme-t-il, sûr de lui. La tournée des éboueurs passe en moyenne par 35 bateaux par jour. Mais le lundi est une journée particulièrement chargée. Les zabalines qui travaillent pour Hajj Sayyed font deux tournées, une le matin, et l’autre l’aprèsmidi, et récoltent les ordures de près de 65 navires. “Beaucoup de croisières arrivent le lundi à Louxor. C’est pour cela que l’on doit passer deux fois”, explique Rabie, 61 ans, l’un des zabalines d’Alhuda. “Je travaille sur ce genre de bateaux depuis douze ans, et le mécanicien, c’est mon fils Mohammed”, dit l’homme avec une certaine fierté. Je gagnais 170 LE, mais avec l’inflation des prix, on a augmenté nos salaires, maintenant je gagne 200 LE”, ajoute t-il. Hajaj, 26 ans, a les cheveux en bataille et la peau tannée par des heures passées sur l’eau. Il a commencé enfant à décharger les ordures, puis a été au chômage pendant longtemps. “J’ai cherché du travail partout, dans toute l’Egypte. Je suis allé à Charm El-Cheikh et à Alexandrie, mais je n’ai rien trouvé. Finalement je suis revenu avec les zabalines”, confie-t il l’air résigné. Il est midi, et comme tous les lundis, les bateaux commencent à se mouvoir pour leur deuxième tournée. Saïd, 60 ans, en galabeyya, est le capitaine de l’un d’entre eux. L’embarcation a été fabriquée à partir de pièces récupérées. Sur le Nil, une petite brise frappe les visages, mais elle ne suffit pas à recouvrir la puanteur dont est imprégné le bateau, pourtant vide. Voilà le premier navire de croisière à vouloir se débarrasser de ses ordures : le “Regency”. Avec adresse, Saïd se rapproche de l’arrière de l’énorme bâtiment. Une petite secousse : les deux bateaux se cognent, mais le choc est amorti par les pneus usagés accrochés sur leurs flancs. Accostage réussi. Une épaisse fumée noire sort des gros pots d’échappements à l’arrière du “Regency” et irrite les bronches. L’un des zabalines grimpe sur le vaisseau et échange quelques mots en riant avec ses employés. Il prend les sacs-poubelles stockés dans un grand frigo et les passe à Mahmoud. En moins de cinq minutes, l’affaire est réglée. Mahmoud a 17 ans. “Je suis encore au lycée. Je rêve d’être ingénieur. Je ne continuerai pas avec les déchets”, espère le jeune homme. Le contenu des sacs est sommairement trié : les cartons sont mis dans un coin du bateau, les bouteilles en plastique atterrissent dans des sacs à part. Les autres poubelles sont entassées sur le pont avec soin pour ne prendre qu’un minimum de place. Mission accomplie. Le travail auprès du “Regency” est terminé. Des morceaux de pain, des pelures de légumes, des bouteilles flottent dans l’eau à l’arrière du bateau. Mais déjà Saïd et son équipage s’éloignent dans l’ombre du géant de fer. Sur le pont, quelques mètres plus haut, les touristes ne se sont aperçus de rien. Shahinaz Abdel Salam et Nadia Shahine NADIA SHAHINE Un premier tri est effectué sur le navire. Les déchets sont ensuite acheminés dans le désert pour être brûlés. Ramadan Seddik Ahmed, directeur adjoint du bureau de l’Environnement “Les navires qui polluent encourent des amendes ou des retraits de permis” Comment sont traités les déchets produits par les bateaux ? Les eaux usées sont traitées à bord, puis pompées par les égouts de la ville. A Louxor, il y a une vingtaine de bornes de pompage. Trois bateaux peuvent se raccorder à chacune d’entres elles. Certaines de ces bornes appartiennent à des sociétés privées, d’autres au ministère du Tourisme. Il y en a aussi à Qena et à Assouan. Quelles sont les sanctions en cas d’infraction ? Les contrevenants s’exposent à des amendes de 1000 à 20 000 LE, ou à un retrait du permis quand il s’agit d’un bateau. En avril 2008, il y a eu vingt-deux infractions sur des navires de croisière : eaux non traitées, bateaux non connectés aux bornes de pompage, appareils de traitement défectueux, etc. C’est un bon résultat quand on sait qu’il y a 280 bateaux entre Louxor et Assouan. En 2007, quatre permis ont été retirés, et les touristes ont été transférés sur d’autres bateaux. Il faut deux mois de procédures pour refaire un permis. Recueilli par Nadia Shahine Le Calame / juin 2008 15 Comment une vie peut en Le tourisme et le monde rural, deux univers opposés ? Pas si simple. A Louxor, certains passent sans cesse de l’un à l’autre. Rencontre avec Hussein, qui partage son temps entre navire de croisière et travail de la terre. 16 Le Calame / juin 2008 A trois heures de l'après-midi, une fois le travail en cuisine achevé, Hussein rentre chez lui pour déjeuner avec sa femme. Le bateau ne partira en croisière que demain. “J'aide ma femme à préparer le repas mais elle reste toujours la reine de notre cuisine", avoue-t-il en souriant. Une heure plus tard, Hussein enfile un nouveau costume, sa gallabeyah. Et part s’occuper de sa terre. Pour y accéder, il faut traverser un chemin étroit que longe un canal bordé de dattiers. Sur le trajet, Hussein récolte les saluts des habitants du village. “Hé, viens boire un thé à la maison", l'apostrophe sa cousine. Puis passent Ahmed, un petit garçon sur son dromadaire, puis Abdallah et son petit-fils sur une charrette débordant de cannes à sucre. “La terre, c’est la sécurité” Après deux kilomètres, la terre de Hussein se dessine, verte et fertile. Ses yeux sont brillants de joie, comme un père devant ses enfants. Le jeune paysan caresse ses plantes, il les observe attentivement pour s’assurer que tout pousse bien : “Je cultive la terre quatre fois par an, des légumes, de la canne à sucre et de la luzerne”, précise le jeune homme, qui possède également une vache, un âne et quelques canards. Hussein saisit sa faucille et s’en va récolter de la luzerne pour ses animaux. “La terre est très importante pour moi. C’est la sécurité. Le tourisme, ce n'est pas stable. Après les attentats de Louxor en 1997, je suis resté deux ans au chômage, comme la plupart des habitants ici. C'est la terre qui m'a sauvé la vie”, assure Hussein. La journée de travail est finie. Le jeune homme passe une partie de la soirée à boire le thé et à discuter avec ses amis dans un café populaire, le seul de son petit village. Hussein reste attaché à ses deux vies, avec, nuance-t-il, une préférence pour le monde des touristes étrangers. “Pour moi, c’est une porte qui me permet de rencontrer les autres et d’apprendre plus". Asmaa Abd El Fattah et Shahinaz Abdel Salam DR I l est fort comme la terre ; sa peau est brunie par le soleil. Hussein porte sur lui l'empreinte du Saïd, la Haute-Egypte. Et sa vie incarne l’ambivalence de cette région où l’émergence du tourisme n’a pas effacé les traditions rurales. Car Hussein est de ces habitants de Louxor qui partagent leur vie entre deux univers distincts mais entremêlés. Paysan, il quitte plusieurs jours par semaine ses champs verdoyants de la rive ouest pour les cuisines d’un bateau de croisière. A 31 ans, c'est un homme prolixe, le visage fendu d'un sourire qui ne le quitte jamais. “J’ai passé mon enfance sur les terres de ma famille et étudié l'agriculture. Puis je suis allé apprendre mon métier de chef à Alexandrie, à Mansoura et au Caire”, raconte-t-il. “Le tourisme a enrichi ma culture, je suis devenu ouvert, plus souple, plus tolérant...” Jeune marié, il habite depuis un an au deuxième étage de la maison familiale avec sa femme Iman, âgée de 22 ans. A huit heures du matin, le chef affiche une tenue décontractée, jeans, tee-shirt, casquette vissée sur la tête. Après avoir mené sa vache paître au champ, il attrape un taxi collectif sur le bord de la route. Une heure plus tard, Hussein est dans sa cuisine flottante, sur le bateau. Il endosse son uniforme blanc de chef garniture. Chef garniture ? “Je sculpte des petites statues de beurre et avec les légumes, je fais des bouquets de fleurs”, explique Hussein. “Dans la cuisine, je me sens comme un artiste”, s'enthousiasme-t-il. Le chef artiste pétrit le beurre pour le rendre plus souple. De son couteau ciselé, il commence à lui donner forme. Quarante-cinq minutes plus tard, la décoration maîtresse pour le déjeuner est achevée : c'est une tête d'âne. Pour le dîner, Hussein fera un bouquet de fleurs avec des courgettes, des carottes, des tomates et des concombres. Un travail minutieux qui exige de la patience et beaucoup de temps. “Les touristes aiment mes décorations. Parfois, ils me demandent même de rester avec moi pour voir comment je m’y prends”, relate Hussein. cacher une autre SHAHINAZ ABDEL SALAM Fils de la terre, Hussein continue de s’occuper de son champ et de ses bêtes. Une vie rurale qu’il met entre parenthèses quand il s’embarque comme cuisinier sur un luxueux navire de croisière. Deux sœurs, deux philosophies M arwa et Ola ont grandi dans la même maison en terre du village d'Al-Haddadin, sur la rive ouest de Louxor. Les deux sœurs ont presque le même âge, presque les mêmes traits. Pourtant elles sont radicalement différentes. Marwa, l'aînée est catégorique : elle n'ira pas à l'université. Et qu'importent les conseils de son père, un ancien ouvrier du bâtiment qui aimerait que sa fille obtienne un diplôme. A 20 ans, son objectif à elle est clair. “Je veux fonder un foyer et les études vont me faire prendre du retard. En plus, si je suis instruite, j'aurais dû mal à trouver un bon mari”, explique la jeune fille à voix basse. Un avenir à l'image du destin tout tracé de la plupart des filles de la campagne que Marwa affirme choisir sans hésiter. Ola sourit tranquillement. Du haut de ses 18 ans, la cadette paraît plus mûre que sa sœur. Elle veut continuer ses études. Pragmatique, elle sait déjà quel métier elle souhaite exercer. “Je veux devenir guide touristique. Louxor est une des villes les plus visitées au monde", affirme Ola, sûre d'elle. Elle ne cesse de critiquer les traditions “arriérées” qui régissent la vie de son village et qui “n'ont aucun rapport avec la religion”. Marwa aime à s'occuper de la maison, ce que Ola déteste. “J'aime être servie par les autres”, insiste cette dernière, qui voit dans le ménage une forme de bassesse. Même distinguo quant au choix du futur mari : Marwa aspire à épouser “un homme fort”, qui prend les décisions pour elle et assume les responsabilités pour la famille. Ola préfère “un homme gentil et libéral”, avec qui le dialogue est la règle. Aujourd'hui les deux sœurs ont un point commun : elles sont amoureuses de deux garçons du village. Mais chacune à sa façon. “Si mon père n'accepte pas le mariage, ce n'est pas grave, je suivrai sa décision”, affirme Marwa. Ola, elle, est bien décidée à se battre pour que sa famille accepte celui qu'elle aime Asmaa Abd El Fattah aujourd'hui. Le Calame / juin 2008 17 Pour trancher leurs litiges, les habitants de Haute-Egypte ont parfois recours à la justice coutumière. A Gourna, c’est le cheikh El-Tayeb qui officie. Fenêtre sur cour. 18 Le Calame / juin 2008 S itôt la prière du vendredi finie, une file se forme. Des hommes, des femmes mais aussi des enfants se rangent devant la cour du cheikh ElTayeb. “Grand-papa, n'oubliez pas de prier pour moi. Mes examens approchent”, s'inquiète une jeune fille en se présentant face au cheikh. Avec un sourire bienveillant, Mohammed ElTayeb reçoit demandes et prodigue conseils, attentif et patient. Le défilé se poursuit. Vient un homme qui se plaint du comportement de son fils. L’enfant serait selon lui trop peu enclin aux études. Il cherche conseil. “À l'adolescence, FATMA AHMAD KAMEL Journée d’audience au tribunal du cheikh il te faut être plutôt son ami que son père”, admoneste le cheikh. “Souvienstoi comme tu étais à son âge !” Double casquette Ici, dans la Sahet El-Cheikh, une bâtisse annexe à la mosquée, les gens défilent pour consulter leur “père, oncle, grand-père, cheikh…” A chacun sa manière de nommer Mohammed ElTayeb. Les uns viennent voir l'homme de religion, d'autres demandent le secours du chef du conseil municipal. Car le cheikh a de nombreuses casquettes. “Il possède tous les attributs d’un chef : le respect, le pouvoir et l’argent”, juge Mahmoud, un habitant de Louxor. Avant lui, son grand-père, son père remplirent ce rôle d’autorité locale. Mais avec Mohammed El-Tayeb, la charge est passée d’un ordre purement coutumier à un registre plus officiel quand, membre éminent du PND, le parti au pouvoir, il est devenu chef du conseil municipal. Des postes qui lui permettent de traiter des affaires plus importantes. Lors de la crise du pain ou, plus récemment, quand les chauffeurs de transports collectifs ont voulu augmenter leurs tarifs, il s’est posé en intercesseur. “Être à la fois homme politique et homme de religion n’est pas contradictoire tant que l’on s’en sert pour aider les gens", assure le cheikh. Un nouveau requérant l’interrompt. Ali a besoin d'un traitement médical gratuit : “Viens demain me voir au bureau avec les papiers nécessaires”. “Être à la fois homme politique et homme de religion n’est pas contradictoire” Mohammed El-Tayeb règne aussi sur la grande salle attenante à Sahet elcheikh, le Magles El-'Arab, cour traditionnelle que beaucoup d'habitants de la Haute-Egypte préfèrent à la justice officielle. Des différends familiaux aux arnaques en tous genres, le Magles règle tous types de litiges. Sous les ventilateurs, une brochette de citoyens assis sur des bancs fait face à un trio de notables. Le plus âgé, le cheikh Fathy, est au milieu, la tête enturbannée et lui-même entouré de deux conseillers. Ce sont les assistants du cheikh El-Tayeb : ils devront lors de cette séance trancher les conflits. Sinon, ce sera au cheikh d’intervenir en dernier recours. Face aux trois arbitres, un vieil homme se tient debout. Avec chagrin et espérance, il plaide la cause de sa fille : jeune mariée, elle veut avoir une maison indépendante car elle “ne peut plus supporter de vivre avec la famille de son mari, surtout que ce dernier ne lui accorde pas assez d'attention, ni à elle, ni à leur fils.” En réponse à une question du cheikh Fathy, le père précise que son gendre ”n’assume plus les dépenses de sa femme et de leur bébé”. De son côté, le mari met en avant le fait qu'il n'a “pas les moyens d'avoir une autre maison”. Tout au long de l'audience, les trois magistrats écoutent attentivement, n’interviennent qu’en vue de plus d’éclaircissements et de détails, et refusent sévèrement toute interruption de la partie adverse. L’ordre est garanti, chacun parle à son tour. Après avoir écouté, analysé et révisé les preuves de chacun, le verdict tombe : “La fille reste chez son mari, à condition qu'il s'occupe bien d'elle et de leur bébé, et que la jeune femme reste indépendante de ses beaux-parents.” Père et gendre promettent de l'appliquer. Si le mari ne tient pas sa parole, le père pourra toujours revenir exposer le problème devant le Magles. Pour cette fois, les juges n'ont pas eu besoin de recourir à Mohammed El- Tous types de litiges FATMA AHMAD KAMEL Page de gauche : le cheikh Mohammed El-Tayeb pendant une audience. Page de droite : ses assistants écoutent un citoyen plaider la cause de sa fille. Tayeb, déjà très occupé par des visites dans l’autre salle. Le fait que le cheikh soit musulman n’empêche pas les chrétiens de venir le consulter. “J’ai déjà jugé une musulmane qui avait pris l’argent d’un chrétien”, se souvient Mohammed ElTayeb. Parfois, même des étrangers ont recours à ses lumières. Et le cheikh de raconter l’histoire de cet Egyptien et de cet Allemand qui avaient monté un projet commun qui s’est finalement soldé par un différend financier. Faute de détenir les papiers officiels, et après avoir été éconduit par la police touristique, l’étranger s'est tourné vers le Magles El-’Arab. Il a finalement pu récupérer l’argent qui lui était dû. Si le cheikh jouit d’une réelle popularité, son autorité n’est toutefois pas incontestée. “Je respectais son père. Mais lui, il a tout perdu depuis qu’il a accédé au pouvoir officiel”, lâche Ahmad, habitant de Gourna. Fatma Ahmad Kamel et Mavie Maher Le Calame / juin 2008 19 D’une rive à l’autre, des En dessin, en photo ou en peinture, ils immortalisent Louxor et ntre palmeraie et désert, le dessinateur français Golo vit depuis 2000 au pied de la montagne thébaine à Gourna. Celui qui a mis en bulles les romans de Naguib Mahfouz et d’Albert Cossery ne pouvait rester indifférent à la destruction des maisons de la colline, construites sur des tombes destinées à être fouillées par les égyptologues. “Ces demeures étaient magnifiques, décorées de toutes les couleurs. Et elles ont été détruites à coup de bulldozers”, regrette-t-il. En dessins, en aquarelles, il fixe la mémoire de Gourna avant démolition. “Mais je ne lui ai pas encore consacré de BD. Ça va venir”, promet Golo. Mohamed El-Had et Sara Hesham ALI HASSAN Les couleurs de la colline inspirent les Beaux-Arts D 20 Le Calame / juin 2008 ans les années 1950 déjà, des étudiants des Beaux-Arts du Caire venaient peindre à Gourna. En 1999, lors d'une expédition solitaire sur la rive ouest, Ali Hassan, enseignant à la faculté des Beaux-Arts de Louxor, décide de reprendre l’idée. Depuis, chaque année pendant une dizaine de jours, ses étudiants posent leurs chevalets à Gourna. Avec la démolition des maisons aux mille couleurs de la colline, la nécessité d’immortaliser ce qui bientôt ne sera plus s'est renforcée. “Les habitants GOLO Un pinceau contre les bulldozers E sont touchés par notre initiative, des enfants nous ont même entraînés vers leur maison pour qu'on la peigne”, raconte Ali Hassan. Les toiles sont ensuite exposées et trouvent parfois acquéreurs. A défaut, elles sont rendues aux étudiants. Ce qui au final ne laisse aucune trace au sein de la faculté. “Ce travail de mémorisation n’est effectué par aucune institution officielle”, regrette Ali Hassan. “Il aurait dû être prioritaire de tout dessiner avant la démolition.” Pacynthe Sabri images pour mémoire Chez Gaddis, un siècle d’histoire locale en photos A u pied du Winter Palace, face au Nil, le magasin de Gaddis ressemble à la caverne d'Ali Baba. L'endroit est exigu, les murs recouverts de photographies de différentes tailles. Dans des vitrines sont exposés des appareils photos d’un autre âge. Au garde à vous devant son bureau, l’héritier veille sur le trésor de sa famille, un fonds photographique d'environ deux mille clichés que son grand-père Ateyya Gaddis a commencé à prendre dès 1907. Né à Louxor en 1887, Ateyya a tiré sur papier glacé l'histoire de l'Egypte, depuis les tribus nubiennes au sud jusqu'aux pyramides de Guizeh au Nord. Aujourd'hui dépositaire des travaux de son aïeul, Gaddis sait bien, depuis tout petit, FONDS GADDIS Gourna. Rencontres avec des auteurs et leurs œuvres. que la profession de photographe est une mission de mémorisation. “J’ai vu mes parents se lever dès quatre heures du matin simplement pour prendre une photo. Ils grimpaient les montagnes avec leurs appareils, lourds à l’époque. Dès mon jeune âge, j’ai appris profondément le sens de ce métier”, souligne l’homme qui préfère s’effacer derrière ses images. Sur quatre générations, la passion des Gaddis a contribué à préserver le patrimoine du pays. Parmi les clichés les plus célèbres, il y a celui de 1922, où Ateyya Gaddis immortalise la découverte de la tombe de Toutankhamon. Ses photos ont également une valeur scientifique à laquelle ont parfois recours des missions archéologiques. Mavie Maher Le Calame / juin 2008 21 Un jour pour découvrir les trésors de Louxor ? Ce n'est pas sérieux ! Pourtant, la plupart des touristes venus de la mer Rouge se frottent à l'exercice. Nous avons tenté de relever le défi. Rapport de mission. D epuis la veille, nous sommes sur le pied de guerre. Pour visiter tout Louxor, la journée doit être longue. Nous avons donc prévu de nous lever à l’aube. Mais le réveil en a décidé autrement. Ça commence mal... 9 HEURES, GOURNA, RIVE OUEST. Un solide petitdéjeuner avalé, nous nous mettons en route. Déjà 32 degrés à l'ombre. Mon collègue Ramy et moi, Youssouf, avons en tête de visiter sept sites. Le guide de voyage assure que c'est possible. Nous décidons de suivre à la lettre le parcours recommandé. Nous jouons la prudence et achetons deux bouteilles d'eau à 1,5 LE avant d'attraper un 22 Le Calame / juin 2008 Ramy (à gauche) et Youssouf (à droite) dans le petit train de la vallée des Rois. DR Louxor express taxi, direction la vallée des Rois. L'entrée du site est obstruée par un troupeau de touristes entassés dans la caféteria. Tous attendent le signal de leurs guides pour se mettre en route. A vos marques ! Trois, deux, un… partez ! Les retardataires restent coincés dans la queue. Première leçon : le touriste d'un jour se doit d'être réactif. Le guide de voyage loue les merveilles de la tombe de Thoutmosis IV. Hélas, nous nous trompons et nous engouffrons dans celle de Toutankhamon. A 15 mètres sous le sol, au bas d’un long escalier, il y a foule dans la chambre funéraire. Et presque plus d'oxygène. On étouffe. Mais, motivés, nous nous mêlons aux groupes et volons quelques explications en arabe, en russe ou encore en français. A ce rythme, je me demande toutefois si nous allons arriver au bout de nos sept travaux du jour. Pour sortir de la tombe, c'est la bousculade. Nous parvenons tant bien que mal à la surface. Loin d’être découragés, nous filons vers la tombe de Ramsès III. A l’entrée, le gardien remarque que je possède le même billet que mon collègue. Pour les étrangers comme moi, il coûte 50 LE, tandis que le ticket pour les Egyptiens est à 4 LE. Ramy s’interpose : “Il est africain et arabe. Il vient des Comores.” Ça passe. Cette fois-ci, nous apercevons à peine les fresques de la tombe tant il y a du monde. Mon collègue achève déjà sa dernière bouteille d’eau. Teint blafard, pupille trouble, le doute n’est plus permis : il frôle la déshydratation. Mais le cours de la précieuse boisson est très élevé dans la vallée des Rois, et donc très dissuasif. Deuxième leçon : le touriste d’un jour se doit d’être prévoyant. Nous décidons sur le champ de rejoindre le temple d’Hatshepsout. Mais comment faire sans moyen de transport ? Sur le parking, il n’y a que bus et minibus privés climatisés : où sont les microbus et les taxis collectifs ? Mon acolyte Ramy me propose alors de négocier avec un chauffeur privé. Après discussion, nous nous mettons d'accord. Pour 15 LE, il nous emmène au temple d’Hatshepsout, pendant que sa cliente officielle visite la vallée des Rois. 11 H , TEMPLE D ’ HATSHEPSOUT , RIVE OUEST . Tickets en poche, nous grimpons jusqu’à l’édifice creusé dans la montagne. Le soleil est maintenant au zénith. Il fait 42 degrés à l'ombre. Ramy se tourne vers moi. Son visage est cramoisi. “Je suis fatigué”, m’annonce-t-il. J’avais deviné. Comme il parle russe, il choisit de s’asseoir à l’ombre et de tailler le bout de gras avec de charmantes touristes. Dans ces conditions, je ne m’attarde pas sous les plafonds étoilés du temple. En Chiffres Température : 32 à 42°C Boissons : 3 à 4 litres par personne, soit 20 à 30 LE Billets : 1 à 4 LE (Egyptiens et arabes), 30 à 50 LE (étrangers). Transports (par trajet) : taxi 10 à 15LE, microbus : 50 pt A la sortie, nous tombons nez à nez avec le chauffeur qui nous a dépannés jusqu'ici. Il accepte de nous emmener à la vallée des Nobles, pour une course cette fois-ci un peu moins chère. Nous sommes devenus ses clients parallèles et jamais nous ne croiserons la touriste qu’il transporte officiellement. Mais la combine a ses limites. Le chauffeur est pressé et nous lâche au milieu de nulle part. Nous marchons le long de la route sous les rayons du soleil, à la recherche de la billetterie des tombes des Nobles et du temple de Medinet Habou. Nous dépassons les tombes et le temple, sans jamais trouver le kiosque. Maalesh ! Ramy n’en peut plus. Il exige une pause casse-croûte. Je cède de bonne grâce, moi aussi éreinté. Un taxi collectif, le bac : en deux temps trois mouvements, nous voilà au Snack Time, cantine branchée de la rive est, une grosse pizza dans l’assiette. Troisième leçon : le touriste d’un jour doit acheter ses tickets à l’avance et surtout déjeuner dans un endroit climatisé. 14 H, LOUXOR, RIVE EST. Enfin rassasiés, nous décidons de nous attaquer à Karnak. Un gros morceau. Nous passons par le souk, pour d’éventuelles emplettes. Le prix de la bouteille d’eau connaît une inflation galopante : 5 LE ! Ramy s’énerve. Mais à ce stade du parcours, il faut préserver ses forces. Et de fait, dès l'entrée du temple de Karnak, mon collègue abandonne. Il préfère se reposer à l’ombre des colonnes. Je ferai donc la visite seul. Encore... Une heure, un trajet de microbus et quelques lampées d’eau plus tard, nous voilà devant le temple de Louxor. Les yeux me brûlent ; mes talons sont en feu. Mais je m’accroche, nous ne pouvons faillir à notre mission. 16H30, COLOSSES DE MEMNON, RIVE OUEST. Le chemin du retour, enfin ! Nous retraversons le Nil. En route, nous nous arrêtons devant les Colosses de Memnon. Ramy me raconte qu’il y a très longtemps, un tremblement de terre fissura les blocs de pierre dans lesquels étaient taillés les Colosses. Ce qui faisait siffler celui de gauche tous les matins. Selon la légende, c'était sa façon à lui de dire bonjour à sa mère. Nous arrivons enfin au bercail. Il est temps de faire nos valises, car ce soir nous prenons le train pour rentrer au Caire. Nous sommes rincés. Moralité : visiter Louxor en une journée n’est pas mission impossible. Mais c’est décidément une affaire de professionnels ! Youssouf Abdallah et Ramy El Kalyouby Le Calame / juin 2008 23 La Faculté de Communication de l’Université du Caire, le Centre de Formation et de Perfectionnement des Journalistes l’Institut Français de Presse et le Centre français de Culture et de Coopération proposent aux francophones une formation professionnelle : LE DIPLOME SUPERIEUR DE JOURNALISME FRANCO-EGYPTIEN Profil Formation pratique Enseignements Une scolarité adaptée Débouchés Sélection ouverte aux étudiants et aux salariés francophones égyptiens et étrangers Diplôme requis : licence égyptienne ou équivalence, dans quelque matière que ce soit Pas de limite d’âge Des cours et des équipements adaptés à l’apprentissage des techniques du journalisme : presse écrite, radio, télévision, agence Des cours assurés par des enseignants français et des professeurs de l’Université du Caire Des sessions pratiques d’une à deux semaines animées par des journalistes professionnels issus des plus grands médias français Formation d’une année dispensée de 16 h à 20 h 20 heures de cours par semaine Possibilité de poursuivre une activité professionnelle Une formation reconnue par les médias français et égyptiens en langue française ou arabe Stages dans les médias francophones et arabophones en Egypte (AFP, Al-Ahram Hebdo, Nile TV, Radio le Caire) et à l’étranger (France 24, Monte Carlo Doualiya Maghreb Arab Press) et bourses de formation au CFPJ Renseignements et inscriptions : 012 74 84 936 ou par e-mail : [email protected], ou à Edufrance au CFCC, rue Madrasat Al-Huquq Al-Frinseya, Mounira, Le Caire Site web : ou www.ambafrance-eg.org/cfcc/