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828 UNE gauche OK 12/09/06 18:45 Page 1 Indonésie Le journal intime d’un terroriste UN SUPPLÉMENT EN V.O. Courrier in English PORTRAIT Autiste et savant www.courrierinternational.com N° 828 du 14 au 20 septembre 2006 - 3 € E R T Ê ’ D , R U D , R U D E H C U A G E D Europe, Amériques Les idées, les débats pp. 42-51 France Ségolène et ses rivaux épinglés pp. 13-15 AFRIQUE CFA : 2 200 FCFA - ALLEMAGNE : 3,20 € AUTRICHE : 3,20 € - BELGIQUE : 3,20 € - CANADA : 5,50 $CAN DOM : 3,80 € - ESPAGNE : 3,20 € - E-U : 4,75 $US - G-B : 2,50 £ GRÈCE : 3,20 € - IRLANDE : 3,20 € - ITALIE : 3,20 € - JAPON : 700 ¥ LUXEMBOURG : 3,20 € - MAROC : 25 DH - PORTUGAL CONT. : 3,20 € SUISSE : 5,80 FS - TOM : 700 CFP - TUNISIE : 2,600 DTU M 03183 - 828 - F: 3,00 E 3:HIKNLI=XUXUU[:?k@s@c@i@a; 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 828p05 12/09/06 19:36 Page 5 s o m m a i re ● 39 ■ Afrique e n c o u ve r t u re ● DUR, DUR, D’ÊTRE DE GAUCHE E N Q U Ê T E E T R E P O R TA G E S 42 ■ en couverture Dur, dur, d’être de Otto Dettmer Qu’est-ce que la gauche aujourd’hui ? Les travaillistes britanniques sont déçus par Blair, les démocrates américains ne savent pas comment battre Bush, et la percée de Royal désoriente le PS français. Même le modèle nordique ne fournit plus de solutions toutes prêtes, pas plus que la gauche latino-américaine. Ni résignation devant le marché, ni retour aux vieilles recettes socialistes : plus que jamais l’imagination pp. 42 à 51 est nécessaire. Dessin d’Otto Dettmer paru dans The Independent, Londres. 52 ■ portrait L’autiste qui aimait le nombre π Il déclame de mémoire les 22 500 premières décimales de π, mais ignore presque tout des émotions : tel est l’Anglais Daniel Tammet, autiste et surdoué. 57 ■ “Courrier in English” 6 ■ les sources de cette semaine 8 ■ l’éditorial Au-delà du cynisme du marché, par Philippe Thureau-Dangin ■ ■ ■ ■ gauche En Europe comme en Amérique – du Nord et du Sud –, il existe différentes façons d’être “de gauche”. Mais partout la voie est étroite, et les vieilles recettes battues en brèche. 54 ■ enquête La datcha, cet objet de convoitise Une ode à la maisonnette en bois et à son lopin de terre si chers au cœur des Russes, par l’écrivain Nikolaï Klimontovitch. RUBRIQUES 8 8 68 70 Z I M B A B W E On peut tr uquer les élections mais pas l’économie LIBYE Kadhafi père et fils, même combat OUGANDA 28 millions d’habitants aujourd’hui, 130 millions en 2050 C Ô T E - D ’ I V O I R E Déchets toxiques et faillite politique Sur RFI Retrouvez l’émission Retour sur info, animée par Hervé Guillemot. Cette semaine “Daniel Tammet, l’autiste savant”, avec Eric Maurice, de CI, et Barbara Donville, psychothérapeute. Cette émission sera diffusée sur 89 FM le samedi 16 septembre à 19 h 40 et le dimanche 17 septembre à 0 h 10 sur 89 FM, puis disponible sur <www.rfi.fr>. l’invité Al-Asfar, Amin, Ramallah le dessin de la semaine voyage Qu’elle était verte, ma savane le livre La petite fille silencieuse, INTELLIGENCES de Peter Høeg 70 ■ épices et saveurs 61 ■ économie Arabie Saoudite : la kebsa fait de la résistance 71 ■ insolites Des momies celtes en Chine pp. 62 à 64 D’UN CONTINENT À L’AUTRE A G R I C U LT U R E Une nouvelle crise alimentaire menace le monde dossier Fonds spéculatifs : les nouveaux maîtres de la finance mondiale • La recherche du profit comme seule règle • Une industrie victime de son succès • Pourquoi les marchés sont maniaco-dépressifs 65 ■ multimédia TÉLÉVISION 13 ■ france dossier La gauche française ? Ce n’est pas tout rose • Les socialistes spécialistes en autodestruction • Le PS encore malade de Mitterrand • “De gauche”, “de droite”, ça n’existe plus ! • La Grèce louche vers l’Hexagone • Seule contre tous trop vieille pour le Net 16 ■ europe gigantesque volcan de boue 66 ■ sciences ARCHÉOLOGIE Le mystère des momies celtes du Xinjiang 67 ■ écologie R OYA U M E - U N I Tony Blair, l’optimiste trahi par la réalité • duel • Gordon Brown ne mérite pas encore le pouvoir ALLEMAGNE Berlin, ville “pauvre mais sexy” A U T R I C H E Vers une grande coalition viennoise ? R U S S I E Le planning familial ? Pas de ça chez nous BULGARIE - ROUMANIE Entrer dans l’UE, mais avec dignité TRANSDNIESTRIE Qui est réellement aux commandes à Tiraspol ? RÉPUBLIQUE TCHÈQUE La faute à l’anticommunisme 22 ■ amériques É TAT S - U N I S Dick Cheney ne fait plus la pluie et le beau temps ÉTATS - UNIS Silence, la torture continue MEXIQUE Impossible de sortir du bourbier politique N I C A R A G U A Vent d’espoir pour Daniel Or tega, l’éternel candidat ÉQUATEUR Un musée pour épingler corrupteurs et corrompus 29 ■ asie A F G H A N I S TA N - PA K I S TA N Cinq ans après, le grand bond en arrière N É PA L Mieux vaut l’ordre maoïste que l’anarchie ! dossier I NDONÉSIE Les islamistes marquent des points Le journal intime d’un fabricant de bombes • Imposer la charia sans violence • Les yeux braqués sur les hanches d’Inul • Les anti-islamistes s’organisent aussi CHINE Le barrage des Trois-Gorges a-t-il détraqué le climat ? 35 ■ moyen-orient I R A K Le fondamentalisme fait son chemin chez les Kurdes S Y M B O L E S Arrêtons la guerre des drapeaux ! ISRAËL Personne ne pourra dire qu’il ne savait pas PA L E S T I N E Ayez pitié de Gaza ! S Y R I E Quand l’opposition s’aligne sur le régime A 25 ans, MTV est GÉOLOGIE Un forage réveille un C H AT Quelle gauche pour le XXIe siècle ? La datcha, une passion russe pp. 54-55 Rendez-vous jeudi 14 septembre à 15 heures sur courrierinternational.com LA SEMAINE PROCHAINE belgique Les Flamands veulent-ils la partition ? chine Eloge du mandarinat presse Les quotidiens coincés entre le Net et les gratuits COURRIER INTERNATIONAL N° 828 5 DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 12/09/06 19:48 Page 6 l e s s o u rc e s ● CETTE SEMAINE DANS COURRIER INTERNATIONAL ABC 267 000 ex., Espagne, quotidien. Journal monarchiste et conservateur depuis sa création en 1903, ABC a un aspect un peu désuet unique en son genre : une centaine de pages agrafées, avec une grande photo à la une. AFRIQUE DESTINATIONS 2 000 ex., Bénin, mensuel. Fondé en février 2005, c’est le premier mensuel béninois consacré au tourisme et à la culture. Il met l’accent sur les reportages et les enquêtes consacrés aux traditions africaines. AMIN <http://www.amin.org>, Ramallah. Site palestinien, fondé en 1993 grâce à la fondation Soros et à Internews Moyen-Orient, une ONG américaine qui aide des centaines de médias indépendants dans les pays qui s’ouvrent sur la démocratie, Amin propose une sélection d’articles en arabe et en anglais sur Israël, la Palestine et la Jordanie. HA’ARETZ 80 000 ex., Israël, quotidien. Premier journal publié en hébreu sous le mandat britannique, en 1919. “Le Pays” est le journal de référence chez les politiques et les intellectuels israéliens. ASIA TIMES ONLINE <http://www.atimes.com>, Chine. Lancée fin 1995, l’édition papier de ce journal anglophone s’est arrêtée en juillet 1997 et a donné naissance, en 1999, à un véritable journal en ligne régional. Alors que la presse d’actualité régionale a perdu ses principaux représentants, ce webzine étend son champ d’action au MoyenOrient. AL-AYYAM 6 000 ex., Israël (Territoires palestiniens), quotidien. Fondé en 1995, “Les Jours” est le premier quotidien palestinien de Ramallah et est perçu comme le journal des intellectuels palestiniens modérés. Ses éditorialistes sont souvent bien informés. Plusieurs de ses articles sont repris sur le site d’information Amin. BERLINGSKE TIDENDE 152 000 ex., Danemark, quotidien. “Les Nouvelles de M. Berlin” parurent pour la première fois en 1749 ! Le journal appartient à la maison Berlingske Officin, qui publie aussi le quotidien du soir B.T. et l’hebdomadaire Weekendavisen. Berlingske Tidende se situe au centre droit. EKANTIPUR.COM <http://www.kantipuronline.com> , Népal. Ce webzine d’information lancé en 2005 permet aux lecteurs d’accéder à des analyses sans concessions écrites par des journalistes indépendants à un moment où le pays traverse de profonds bouleversements politiques. ELEFTHEROTYPIA 80 000 ex., Grèce, quotidien. Créé juste après la chute de la dictature militaire en 1974, avec pour devise “Le journal des journalistes”, “Liberté de la presse” a toujours été marqué au centre gauche. Il appartient au groupe Tegopoulos SA. EXPRESSEN 305 000 ex., THE INDIAN EXPRESS 550 000 ex., Suède, quotidien. Créé en 1944, porte-parole de la lutte contre le nazisme, le titre a été le plus grand quotidien suédois jusqu’aux années 1990. Aujourd’hui dépassé par Aftonbladet, il se partage entre des pages politiques et culturelles sérieuses et des pages plus typiques d’un tabloïd. Inde, quotidien. S’autoproclamant “India’s only national newspaper”, l’Indian Express est le grand rival du Times of India. Il est connu pour son ton combatif et son “journalisme du courage”, ainsi que pour ses enquêtes sur des scandales politico-financiers. Son supplément Sunday Magazine comporte d’intéressants articles culturels. FINANCIAL TIMES 439 000 ex., Royaume-Uni, quotidien. Le journal de référence, couleur saumon, de la City et du reste du monde. Une couverture exhaustive de la politique internationale, de l’économie et du management. KOMMERSANT-VLAST 73 000 ex., FOLHA DE SÃO PAULO 420 000 ex., Brésil, quotidien. Née en 1921, la “Feuille de São Paulo” a fait, au début des années 80, une cure de jouvence ayant pour maîtres mots : objectivité, modernité, ouverture. Le quotidien est devenu ensuite le plus influent journal du pays, attirant l’intérêt, entre autres, d’une jeune élite qui se bat pour la consolidation de la démocratie. FOREIGN AFFAIRS 110 000 ex., Etats-Unis, bimestriel. Publié à New York depuis 1922, ce magazine est une référence mondiale en matière de relations internationales. Organe de l’influent Council on Foreign Relations, il contribue à confronter analyses de chercheurs et de politiciens… et à faire émerger la prochaine politique étrangère américaine. FRATERNITÉ MATIN 25 000 ex., Côte-d’Ivoire, quotidien. Propriété de l’Etat depuis l’indépendance, Frat’Mat’, comme on l’appelle à Abidjan, a toujours été un organe gouvernemental pur et dur. Il représente un symbole fort en Côte-d’Ivoire et dans toute l’Afrique francophone. Aujourd’hui, le titre n’hésite pas à publier des analyses critiques vis-à-vis du pouvoir. THE GUARDIAN 380 000 ex., Royaume-Uni, quotidien. Depuis le 12 septembre 2005, il est le seul quotidien national britannique imprimé au format berlinois (celui du Monde) et tout en couleur. L’indépendance, la qualité et la gauche caractérisent depuis 1821 ce titre, qui abrite certains des chroniqueurs les plus respectés du pays. AL-HAYAT 110 000 ex., Arabie Saoudite (siège à Londres), quotidien. “La Vie” est sans doute le journal de référence de la diaspora arabe et la tribune préférée des intellectuels de gauche ou des libéraux arabes qui veulent s’adresser à un large public. THE INDEPENDENT ON SUNDAY 204 000 ex., Royaume-Uni, hebdomadaire. Créé en 1990, le titre est la version dominicale du grand quotidien The Independent. Composé des suppléments Entreprise, Sport, Culture et d’un magazine, il propose des articles orientés sur des problèmes de société. Offre spéciale d’abonnement Bulletin à retourner sans affranchir à : revue politique, aussi réputée pour le sérieux de ses analyses que pour la férocité de ses commentaires, est le forum de la gauche indépendante. Russie, hebdomadaire. Vlast, “Le Pouvoir”, lancé en 1997, est l’hebdomadaire phare du groupe Kommersant. Ce magazine vise un public de “décideurs” – chefs d’entreprise, “nouveaux Russes”… – avec des informations et des analyses spécifiques, mais publie aussi de bons reportages sur divers sujets et offre de nombreuses photos de grande qualité. KRISTELIGT DAGBLAD 37 200 ex. Danemark, quotidien. Fondé en 1896, au Jutland dans les milieux missionnaires, le journal, aujourd’hui indépendant d’intérêts politiques, traite de toutes les questions religieuses et philosophiques. AL-MADA Irak, quotidien. Ce journal, fondé à Bagdad sept mois après la chute du régime de Saddam Hussein, n’a pu voir le jour qu’à partir du 5 août 2003. Il affiche une tendance libérale, et plusieurs de ses journalistes sont des ex-marxistes. MAIL & GUARDIAN 30 000 ex., Afrique du Sud, hebdomadaire. Fondé en 1985, l’ancien Weekly Mail n’a plus d’attache avec le grand patronat libéral, au contraire de la plupart des autres publications anglophones sud-africaines, depuis que le Guardian de Londres est entré dans son capital. Résolument à gauche, il milite pour une Afrique du Sud plus tolérante. EL MUNDO 310 000 ex., Espagne, quotidien. “Le Monde” a été lancé en 1989 par Pedro J. Ramírez et d’autres anciens de Diario 16. Pedro Jota, comme on appelle familièrement le directeur d’El Mundo, a toujours revendiqué le modèle du journalisme d’investigation à l’américaine bien qu’il ait tendance à privilégier le sensationnalisme au sérieux des informations. THE NATION 117 000 ex., Etats-Unis, hebdomadaire. Fondé par des abolitionnistes en 1865, résolument à gauche, The Nation est l’un des premiers magazines d’opinion américains. Des collaborateurs tels que Henry James, Jean-Paul Sartre ou Martin Luther King ont contribué à sa renommée. NEUE ZÜRCHER ZEITUNG 155 000 ex., Suisse, quotidien. Publié dans la capitale financière suisse, c’est un titre de référence, à tendance centriste et libérale. En pointe sur l’international, il est lu par l’ensemble des germanophones. NEW STATESMAN 26 000 ex., Royaume-Uni, hebdomadaire. Depuis sa création, en 1913, cette Courrier international Al-Awsat, il n’est pas détenu par des capitaux saoudiens. LA REPUBBLICA 650 000 ex., Italie, quotidien. Née en 1976, La Repubblica se veut le quotidien de l’élite intellectuelle et financière du pays. Le titre est orienté à gauche, avec une sympathie affichée pour les Démocrates de gauche (ex-Parti communiste), et fortement critique vis-à-vis de l’actuel président du Conseil, Silvio Berlusconi. Son supplément féminin, hebdomadaire, s’intitule D. RÉDACTION 64-68, rue du Dessous-des-Berges, 75647 Paris Cedex 13 Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01 Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02 Site web www.courrierinternational.com Courriel [email protected] Directeur de la rédaction Philippe Thureau-Dangin Assistante Dalila Bounekta (16 16) Rédacteur en chef Bernard Kapp (16 98) Rédacteurs en chef adjoints Odile Conseil (16 27), Isabelle Lauze (16 54), Claude Leblanc (16 43) Rédacteur en chef Internet Marco Schütz (16 30) Chef des informations Anthony Bellanger (16 59) RZECZPOSPOLITA 264 000 ex., NEWSWEEK 3 000 000 ex., EtatsUnis, hebdomadaire. Le regard des Etats-Unis sur le monde. Avec sa diffusion totale de 4 millions d’exemplaires à l’international, le rapide et professionnel Newsweek utilise l’actualité pour révéler les tendances du monde contemporain. THE NEW YORK REVIEW OF BOOKS 119 000 ex., Etats-Unis, mensuel. La grande revue littéraire et politique de l’intelligentsia new-yorkaise. Créée en 1963, la NewYork Review of Books doit sa renommée au prestige et à la diversité de ses grandes signatures. Articles fouillés, authentiquement critiques et très longs sont une marque de fabrique. OGONIOK 50 000 ex., Russie, hebdomadaire. Après plus d’un siècle d’une histoire mouvementée, “La Petite Flamme” se présente aujourd’hui comme un magazine d’informations générales et de reportages richement illustré. THE OTTAWA CITIZEN 152 000 ex., Canada, quotidien. Journal de langue anglaise, fondé en 1845, dont le lectorat se situe dans la tranche d’âge des 40-50 ans. Plutôt progressiste et très respecté pour la qualité de ses éditoriaux. EL PAÍS 457 000 ex. (831 000 ex. le dimanche), Espagne, quotidien. Né en mai 1976, six mois après la mort de Franco, “Le Pays” est une institution en Espagne. Il est le plus vendu des quotidiens d’information générale et s’est imposé comme l’un des vingt meilleurs journaux du monde. Il appartient au groupe de communication PRISA, actionnaire du groupe Le Monde dont fait partie Courrier international. Pologne, quotidien. Le titre a été créé juste après la loi martiale décrétée le 13 décembre 1981 par le général Jaruzelski en tant que quotidien de la nomenklatura. Après la chute du communisme, “La République” ne s’est jamais privée de critiquer les gouvernements successifs. Contrôlé par Robert Hersant de 1991 à 1996, le quotidien est depuis la propriété du groupe norvégien Orkla, associé au Trésor public. Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25) Directrice artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31) Europe de l’Ouest Eric Maurice (chef de service, Royaume-Uni, 16 03), GianPaolo Accardo (Italie, 16 08), Anthony Bellanger (Espagne, France, 16 59), Danièle Renon (chef de rubrique Allemagne, Autriche, Suisse alémanique, 16 22), Suzi Vieira (Portugal), Wineke de Boer (Pays-Bas), Léa de Chalvron (Finlande), Rasmus Egelund (Danemark, Norvège), Philippe Jacqué (Irlande), Alexia Kefalas (Grèce, Chypre), Mehmet Koksal (Belgique), Kristina Rönnqvist (Suède), Laurent Sierro (Suisse) Europe de l’Est Alexandre Lévy (chef de service, 16 57), Laurence Habay (chef de rubrique, Russie, ex-URSS, 16 79), Iwona Ostapkowicz (Pologne, 16 74), Sophie Chergui (Etats baltes), Andrea Culcea (Roumanie, Moldavie), Kamélia Konaktchiéva (Bulgarie), Larissa Kotelevets (Ukraine), Marko Kravos (Slovénie), Ilda Mara (Albanie, Kosovo), Miklos Matyassis (Hongrie), Miro Miceski (Macédoine), Zbynek Sebor (Tchéquie), Gabriela Kukurugyova (Slovaquie), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie, BosnieHerzégovine), Amériques Jacques Froment (chef de service, Amérique du Nord, 16 32), Bérangère Cagnat (Etats-Unis, 16 14), Marianne Niosi (Canada), Christine Lévêque (chef de rubrique, Amérique latine, 16 76), Paul Jurgens (Brésil) Asie Hidenobu Suzuki (chef de service, Japon, 16 38), Agnès Gaudu (chef de rubrique, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Ingrid Therwath (Asie du Sud, 16 51), Christine Chaumeau (Asie du Sud-Est, 16 24), Marion Girault-Rime (Australie, Pacifique), Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées), Hemal Store-Shringla (Asie du Sud), Kazuhiko Yatabe (Japon) Moyen-Orient Marc Saghié (chef de service, 16 69), Nur Dolay (Turquie), Alda Engoian (Asie centrale, Caucase), Pascal Fenaux (Israël), Guissou Jahangiri (Iran), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Moyen-Orient) Afrique Pierre Cherruau (chef de service, 16 29), Chawki Amari (Algérie), Gina Milonga Valot (Angola, Mozambique), Fabienne Pompey (Afrique du Sud) Débat, livre Isabelle Lauze (16 54) Economie Pascale Boyen (chef de rubrique, 16 47) Multimédia Claude Leblanc (16 43) Ecologie, sciences, technologie Olivier Blond (chef de rubrique, 16 80) Insolites, tendance Claire Maupas (chef de rubrique, 16 60) Epices & saveurs, Ils et elles ont dit Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, 16 74) SME 80 000 ex., Slovaquie. En 1993, la rédaction du journal Smena (“Le Changement”) s’est scindée en deux, d’où la naissance de Sme. “Nous sommes” est le plus important quotidien slovaque de tendance libérale. TALCUAL Venezuela, quotidien. Quotidien d’opposition créé en 2000, “TelQuel” est connu pour ses prises de position politiques. Profondément opposé au président Chávez, il est dirigé par l’ancien guérillero marxiste Teodoro Petkoff, tout aussi connu pour son engagement politique que pour son rôle dans le journal. TEMPO 160 000 ex., Indonésie, Site Internet Marco Schütz (rédacteur en chef, 16 30), Eric Glover (chef de service, 16 40), Anne Collet (documentaliste, 16 58), Jean-Christophe Pascal (1661) Philippe Randrianarimanana (16 68), Hoda Saliby (16 35),Pierrick Van-Thé (webmestre, 16 82), Julien Didelet (chef de projet) hebdomadaire. Publié pour la première fois en avril 1971 par P.T. Grafitti Pers, dans l’intention d’offrir au public indonésien des matériaux nouveaux de lecture de l’information, avec une liberté d’analyse et le respect des divergences d’opinion. Agence Courrier Sabine Grandadam (chef de service,16 97),Caroline Marcelin (16 62) Traduction Raymond Clarinard (chef de service, anglais, allemand, roumain, 16 77), Nathalie Amargier (russe), Catherine Baron (anglais, espagnol), Isabelle Boudon (anglais, allemand), Ngoc-Dung Phan (anglais, vietnamien), Françoise Escande-Boggino (japonais, anglais), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois), Marie-Françoise Monthiers (japonais), Mikage Nagahama (japonais), MarieChristine Perraut-Poli (anglais, espagnol), Olivier Ragasol (anglais, espagnol), Danièle Renon (allemand), Mélanie Sinou (anglais, espagnol) THE WALL STREET JOURNAL 2 000 000 ex., Etats-Unis, quotidien. C’est la bible des milieux d’affaires. Mais à manier avec précaution : d’un côté, des enquêtes et reportages de grande qualité ; de l’autre, des pages éditoriales tellement partisanes qu’elles tombent trop souvent dans la mauvaise foi la plus flagrante. PROCESO Mexique, hebdomadaire. Crée en 1976 par Julio Scherer García, vieux routier du journalisme mexicain, le titre reste fidèle à son engagement à gauche. Ses reportages et son analyse de l’actualité en font un magazine de qualité. AL-WATAN 40 000 ex., Arabie Saoudite, quotidien. Fondé en 2000. Comme la majorité des médias saoudiens, “La Patrie” exprime les positions officielles du royaume. Depuis le 11 septembre 2001 et ses retombées négatives sur la monarchie saoudienne, le journal participe aux débats politiques qui secouent le pays. AL-QUDS AL-ARABI 50 000 ex., Royaume-Uni, quotidien. “La Jérusalem arabe” est l’un des trois grands quotidiens panarabes édités à Londres. Toutefois, contrairement à ses confrères Al-Hayat et Asharq WELT AM SONNTAG 401 000 ex., Allemagne, quotidien. L’édition du dimanche de Die Welt, aussi conservatrice que la version quotidienne mais beaucoup plus illustrée, comporte des rubriques légères. Révision Elisabeth Berthou (chef de service, 16 42), Pierre Bancel, Philippe Czerepak, Fabienne Gérard, Philippe Planche Photographies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41), Lidwine Kervella (16 10), Cathy Rémy (16 21), assistés d’Agnès Mangin (16 91) Maquette Marie Varéon (chef de ser vice, 16 67), Catherine Doutey, Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia, Denis Scudeller Cartographie Thierry Gauthé (16 70) Infographie Catherine Doutey (16 66), Emmanuelle Anquetil (colorisation) Calligraphie Yukari Fujiwara Informatique Denis Scudeller (1684) Documentation Iwona Ostapkowicz 33 (0)1 46 46 16 74, du lundi au vendredi de 15 heures à 18 heures Fabrication Jean-Marc Moreau (chef de fabrication, 16 49). Impression, brochage : Maury, 45191 Malesherbes. Routage : France-Routage, 77183 Croissy-Beaubourg Ont participé à ce numéro Torunn Amiel, Chloé Baker, Iulia Badea-Guéritée, Gilles Berton, Marc-Olivier Bherer, Jean-Baptiste Bor, Olivier Bras, Valérie Brunissen, Gaëlle Charrier, Valérie Defert, Valéria Dias de Abreu, Marc Fernandez, Lola Gruber, Natacha Haut, Magali Lagrange, Rivière Lelaurin, Françoise Lemoine-Minaudier, Julie Marcot, Hamdam Mostafavi, Anne Proenza, Jonnathan Renaud-Badet, Hélène Rousselot, Emmanuel Tronquart, Janine de Waard, Zaplangues ADMINISTRATION - COMMERCIAL Directrice administrative et financière Chantal Fangier (16 04). Assistantes : Sophie Jan (16 99), Agnès Mangin. Contrôle de gestion : Stéphanie Davoust (16 05). Comptabilité : 01 57 28 27 30, fax : 01 57 28 21 88 Relations extérieures Anne Thomass (responsable, 16 44), assistée de Kristine Bergström (16 73) Diffusion Le Monde SA ,80,bd Auguste-Blanqui,75013 Paris,tél.: 01 57 28 20 00.Directeur commercial : Jean-Claude Harmignies. Responsable publications : Brigitte Billiard. Marketing : Pascale Latour (01 46 46 16 90). Direction des ventes au numéro : Hervé Bonnaud. Chef de produit : Jérôme Pons (01 57 28 33 78), fax : 01 57 28 21 40 Publicité Publicat, 17, boulevard Poissonnière, 75002 Paris, tél. : 01 40 39 13 13, courriel : <[email protected]>. Directeur général adjoint : Henri-Jacques Noton. Directeur de la publicité : Alexis Pezerat (14 01). Directrice adjointe : Lydie Spaccarotella (14 05). Directrices de clientèle : Karine Epelde (13 46) ; Stéphanie Jordan (13 47) ; Hedwige Thaler (14 07). Exécution : Géraldine Doyotte (01 41 34 83 97). Publicité site Internet : i-Régie, 16-18, quai de Loire, 75019 Paris, tél. : 01 53 38 46 63. Directeur de la publicité : Arthur Millet, <[email protected]> ❏ Je désire profiter de l’offre spéciale d’abonnement (52 numéros + 4 hors-séries), au prix de 114 euros au lieu de 178 euros (prix de vente au numéro), soit près de 35 % d’économie. Je recevrai mes hors-séries au fur et à mesure de leur parution. Je désire profiter uniquement de l’abonnement (52 numéros), au prix de 94 euros au lieu de 150 euros (prix de vente au numéro), soit près de 37 % d’économie. Tarif étudiant (sur justificatif) : 79,50 euros. (Pour l’Union européenne : 138 euros frais de port inclus /Autres pays : nous consulter.) ❏ ABONNEMENTS ET RÉASSORTS Abonnements Tél. depuis la France : 0 825 000 778 ; de l’étranger : 33 (0)3 44 31 80 48.Fax : 03 44 57 56 93.Courriel : <[email protected]> Adresse abonnements Courrier international, Service abonnements, 60646 Chantilly Cedex Commande d’anciens numéros Boutique du Monde, 80, bd Auguste-Blanqui, 75013 Paris. 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Directoire : Philippe Thureau-Dangin, président et directeur de la publication ; Chantal Fangier Conseil de surveillance : Jean-Marie Colombani, président, Fabrice Nora, vice-président Dépôt légal : septembre 2006 - Commission paritaire n° 0707C82101 ISSN n° 1 154-516 X – Imprimé en France / Printed in France 60VZ1102 827p06 Courrier international (USPS 013-465) is published weekly by Courrier international SA at 1320 route 9, Champlain N. Y. 12919. Subscription price is 199 $ US per year. Periodicals postage paid at Champlain N. Y. and at additional mailing offices. POSTMASTER: send address changes to Courrier international, c/o Express Mag., P. O. BOX 2769, Plattsburgh, N. Y., U. S. A. 12901 - 0239. For further information, call at 1 800 363-13-10. Ce numéro comporte un encart Armani broché pour l’ensemble du tirage, un encart “Ulysse” et un encart Faton jetés pour les abonnés. 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 12/09/06 19:47 Page 8 l’invité ÉDITORIAL Au-delà du cynisme du marché L E D E S S I N D E L A ● Imad Al-Asfar Amin, Ramallah e gouvernement d’union nationale que nous savons tous que les écueils seront nombreux. Les avons tant attendu comportera donc pour fonctionnaires mettront du temps avant de cesla première fois des membres du Hamas, du ser leurs grèves parce qu’ils ne veulent pas que Fatah et d’autres groupes parlementaires. leurs revendications soient oubliées, ni ne veulent Pour la première fois, les deux principaux confirmer l’accusation d’avoir mené des grèves partis politiques palestiniens se sont mis purement politiques. Les réactions des têtes brûd’accord sur un programme. Pour la pre- lées du Hamas et du Fatah – à la base mais égamière fois, il n’y aura pas d’opposition forte ; lement parmi les dirigeants – risquent par ailleurs le gouvernement représentera la totalité des élus d’être à la hauteur de leur déception. Ils pourraient du peuple, la compétition entre les forces politiques exploiter n’importe quel incident pour provoquer se fera autour d’un travail concret, au sein des ins- des tensions et avancer n’importe quel prétexte titutions, plutôt que dans pour venger les morts des la rue au milieu des disderniers mois. Tous ceux cours tonitruants, des sloqui se retrouveront frusgans équivoques et des ratrés dans leurs espoirs fales de kalachnikovs. ministériels abreuveront La situation ne manquera le gouvernement de cricertes pas d’inconvénients. tiques, l’accuseront L’absence d’opposition séd’avoir trahi les ministres rieuse n’est pas quelque enlevés par Israël et chose de sain ; la reseront tentés de se servir cherche permanente de des branches militaires compromis peut aboutir à respectives du Hamas et un blocage du processus ■ Correspondant permanent de la du Fatah pour leurs petits télévision palestinienne à Ramallah, calculs factionnels. de décision : le gouverneImad Al-Asfar collabore également Quant à Israël, il s’appliment risque de se diviser au journal en ligne Amin, qui a publié quera à mettre des bâtons et les députés peuvent être cet éditorial, ainsi qu’à plusieurs dans les roues et fera tout obligés d’avaler beaucoup titres de la presse écrite palesti- pour remettre son soldat de couleuvres au lieu de nienne. sur veiller efficacement enlevé à la une des jourl’exécutif. Mais, face à la naux. Il pourrait fermer les peur d’une guerre civile, à la dégradation de l’éco- points de passage. Il jouera sur les contradictions nomie, à la prise en otages de nos ministres et dé- internes du gouvernement en communiquant avec putés emprisonnés dans les geôles de l’occupant tel ministre mais pas avec tel autre et en se coorisraélien, un gouvernement d’union nationale ap- donnant avec celui-ci mais pas avec celui-là. Le paraît comme la seule solution possible. La ques- reste du monde examinera longuement le protion est de savoir s’il s’agit d’un choix stratégique gramme gouvernemental pour voir s’il remplit les ou simplement d’un raccommodage temporaire trois conditions posées par la communauté interpermettant de passer un cap difficile et d’éviter da- nationale pour reprendre son aide, notamment la vantage de grèves de fonctionnaires [leurs salaires reconnaissance d’Israël [les deux autres étant l’arn’ont pas été versés depuis des mois pour cause rêt des combats et le respect des accords signés d’interruption des aides internationales à la suite par l’OLP, dont ceux d’Oslo]. de la victoire du Hamas aux élections législatives]. Et, si l’argent tarde à arriver ou si les négociations S’ils ont tiré les leçons du passé, ceux qui com- s’enlisent, certains se précipiteront pour nous dire : posent ce gouvernement savent qu’ils doivent impé- “Vous voyez, rien n’a vraiment changé.Vous nous avez rativement réussir à se mettre d’accord sur une obligés à faire des concessions pour rien.” Les défis qui ligne politique claire afin de pouvoir maintenir leur attendent ce prochain gouvernement sont innomcoalition même dans la pire des situations. Et nous brables. Que Dieu lui vienne en aide. ■ L Un nouveau défi pour la Palestine DR L’heure est aux révisions idéologiques. Cinq ans après le 11 septembre, près de deux décennies après la chute du mur de Berlin, près de vingt-cinq ans après l’abandon (c’était en 1983) d’une politique économique de rupture en France, la gauche se cherche toujours une ligne de pensée et une ligne de conduite. On lira dans notre dossier central quelques interventions, nouveaux manifestes et espoirs qui parcourent la presse aux Etats-Unis et en Europe. Que garder de l’Etat-providence des Trente Glorieuses ? Jusqu’où rendre flexible le marché de l’emploi ? Comment faire passer la société avant le marché ? Comment assurer la sécurité sans aller vers le tout-sécuritaire ? Voilà des interrogations que l’on retrouve pratiquement dans tous les débats sur ce qu’on appelle la “gauche de gouvernement” (l’extrême gauche est peu présente dans notre dossier, nous y reviendrons dans un prochain numéro). On s’aperçoit, en Italie, en Slovaquie, mais aussi en France avec Ségolène Royal, que les camps sont flous et que des idées peuvent trouver à s’incarner à gauche ou à droite, selon les circonstances. Mais il y a des limites à la dérive de la gauche vers la droite. Deux événements viennent de le démontrer. D’abord le probable congé donné par le Parti travailliste à Tony Blair l’atlantiste. Ensuite, aux Etats-Unis, la victoire assez inattendue cet été d’un inconnu, Ned Lamont, sur le sénateur Joe Lieberman lors de la primaire interne au Parti démocrate. Lieberman, souvenez-vous, était colistier d’Al Gore lors de la présidentielle de 2000. Il est surtout le meilleur partisan, avec Blair, de la politique de George Bush en Irak. Or le businessman Ned Lamont a précisément expliqué aux électeurs américains du Connecticut que cette guerre était une aberration et jouait contre leurs intérêts. Sa victoire fut d’ailleurs obtenue avec l’aide du réseau d’internautes militants Daily Kos (voir p. 48). Voilà peut-être ce qu’on pourrait souhaiter au minimum de la gauche : un retour à la politique, au-delà du Philippe Thureau-Dangin cynisme économique. Benjamin Kanarek 828p08 S E M A I N E et la FNAC Paris Forum ■ Un immense champ de pétrole a été découvert dans le golfe du Mexique. Chevron, Statoil et Devon vont prochainement commencer à forer à quelque 8 600 mètres de profondeur. On estime que ce champ abrite de 3 milliards à 15 milliards de barils de pétrole et de gaz. vous invitent à assister jeudi 21 septembre à la prochaine rencontre REGARDS CROISÉS OLIVIER BLOND, chef de la rubrique Sciences et technologie, et ses invités débattront du thème “Les nouvelles technologies et Internet” et répondront à toutes vos questions. Oncle Sam :“Je t’avais bien dit que je n’aurais pas besoin d’arrêter.” Sur le journal : On a trouvé du pétrole près de chez nous ! Dessin de Signe Wilkinson paru dans Philadelphia Daily News, Etats-Unis. Jeudi 21 septembre à 18 heures à la FNAC Forum des Halles Espace rencontres, niveau 2 - 75001 Paris - Entrée libre Chaque jour, retrouvez un nouveau dessin d’actualité sur www.courrierinternational.com COURRIER INTERNATIONAL N° 828 8 DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 828 p.13-15 12/09/06 18:30 Page 13 f ra n c e DOSSIER LA GAUCHE FRANÇAISE ? CE N’EST PAS TOUT ROSE ■ Pour la presse étrangère, l’affaire est entendue : l’opposition se réduit au seul Parti socialiste. ■ Et de celui-ci n’émerge qu’une figure crédible, celle de Ségolène Royal. Les socialistes spécialistes en autodestruction L’université d’été de La Rochelle a montré l’infinie capacité des socialistes français à ruiner leurs chances électorales, estime la chroniqueuse britannique Mary Dejevsky. THE INDEPENDENT (extraits) Londres rganisée chaque année à La Rochelle, l’université d’été du Parti socialiste est l’occasion pour la gauche française de montrer à la fois l e meilleur d’elle-même et ses pires tendances autodestructrices. Le meilleur, c’est cette efficacité et cet égalitarisme qui lui permettent d’organiser un repas assis pour plusieurs centaines de personnes, au cours duquel tout le monde s’entretient chaleureusement avec tout le monde. Le pire, c’est l’égocentrisme vachard dans lequel les participants sombrent le reste du temps. L’édition 2006 de l’université d’été du parti a en tout cas illustré la capacité illimitée des socialistes français – jeunes et moins jeunes – à réduire à néant leurs chances électorales, au moment où tout indique qu’ils devraient avoir le vent en poupe. Il y a onze ans, Lionel Jospin avait réussi à se faire désigner par le PS comme candidat à la présidentielle, après des semaines d’âpres luttes intestines dans le prolongement d’un scandale lié au financement du parti. La probité et l’austérité protestante de M. Jospin lui avaient permis d’obtenir l’investiture, mais n’avaient pas pour autant fait de lui un bon cheval. La France se laissa séduire par les charmes plus manifestement gaulois d’un Jacques Chirac. Lors de la dernière présidentielle, en 2002, M. Jospin n’a même pas réussi à se qualifier pour le second tour, un échec dû tout à la fois à sa campagne hésitante, à l’autosatisfaction de son parti et au malaise général qu’éprouvent les Français face au monde actuel. Aujourd’hui, à huit mois seulement de la présidentielle, les socialistes français semblent n’avoir pas tiré la moindre leçon du passé. L’université d’été de La Rochelle était pourtant l’occasion d’afficher leur unité et leur volonté de gagner. Elle aurait aussi pu être l’occasion de passer élégamment le relais à une nouvelle génération. Quel meilleur endroit pour témoigner publiquement du renouveau du parti que la dernière université d’été avant la campagne ? Bien entendu, rien de tout cela ne s’est pro- O duit. M. Jospin est, pour une fois, apparu très émotif, cherchant à tirer profit de sa responsabilité et de celle de son parti dans la débâcle de 2002. Il aurait pu se jeter dans l’arène en se déclarant candidat à l’investiture, mais, une fois de plus, il a refusé de lever le voile sur ses intentions. Il a axé son discours sur la fidélité – fidélité à l’identité de gauche du parti. Mais il visait aussi Ségolène Royal, de quatorze ans sa cadette, une modernisatrice dynamique dans le style de Tony Blair, qui a bien moins d’inhibitions que M. Jospin quand il s’agit d’exprimer ses ambitions politiques. Mme Royal se met en avant depuis plusieurs mois, plantant le décor pour un duel parfait avec Nicolas Sarkozy, le modernisateur de la droite, qui s’y entend tout autant qu’elle en matière d’autopromotion. Le processus de désignation du candidat sera compliqué des deux côtés de l’échiquier politique, mais il le sera Dessin de Sean Mackaoui paru dans El Mundo, Madrid. ■ Voir aussi Notre dossier de une, pp. 42 à 51 doublement à gauche, du fait de ce que l’on pourrait pudiquement qualifier de “raisons personnelles”. François Hollande, compagnon de longue date de Mme Royal et père de ses enfants, n’est autre que le premier secrétaire du Parti socialiste. Et, pour compléter ce triangle infernal, M. Hollande est, ou était, réputé nourrir lui aussi des ambitions présidentielles. Une chose est sûre, le rassemblement socialiste n’a guère contribué à éclaircir l’avenir de la gauche française, il l’a même plutôt obscurci. Après s’être divisé sur la Constitution européenne, le Parti socialiste est à présent scindé en deux blocs, voire davantage. Et on voit mal comment il peut éviter de se déchirer un peu plus dans les semaines à venir. Un duel qui opposerait M. Jospin et Mme Royal pour l’investiture reviendrait à un affrontement classique entre traditionalistes et modernisateurs. L’accueil chaleureux réservé à M. Jospin à La Rochelle montre de quel côté pencheraient les socialistes s’ils votaient avec leur cœur. Mais la vraie question est de savoir s’ils ont suffisamment envie de remporter les prochaines élections pour se choisir un candidat modernisateur. Et là, non seulement la réponse pourrait être différente de celle que le Labour avait donnée à contrecœur à Tony Blair [avant les législatives de 1997], mais elle pourrait aussi être fondée sur ce qu’ils savent de l’expérience britannique. Mme Royal et son entourage sont convaincus que la Grande-Bretagne de M. Blair représente la réussite socio-économique de la “troisième voie” que la France pourrait devenir. Mais, à l’heure où les taux de croissance français et britannique sont peut-être en train de s’inverser, et où la Grande-Bretagne est en disgrâce sur la scène internationale en raison de son engagement en Irak, l’attrait du blairisme n’est plus tout à fait ce qu’il était. En politique, comme dans tant d’autres domaines, la France et la Grande-Bretagne semblent curieusement condamnées à ne pas être en phase. Mary Dejevsky, Retrouvez cet article en v.o. page 57 dans Courrier in English H É R I TA G E Le parti encore malade de Mitterrand Pour le très conservateur quotidien espagnol ABC, le PS français est en crise depuis le début des années 1980. a crise que traverse le socialisme français est la preuve que les problèmes non résolus à temps finissent par engendrer des maux bien plus graves, qui peuvent même devenir incurables. La candidature de Ségolène Royal, portée par les remous des mouvements sociaux, témoigne de ce parasite qui dévore les structures traditionnelles de son parti et de l’incapacité des socialistes à se mettre en phase avec ce que pensent les franges de la société qu’ils sont censés emmener derrière eux. Royal est une personnalité politique vide d’idéologie, un pur produit marketing chargé de dire à chacun ce qu’il a envie d’entendre, sans autre objectif que de grappiller des voix, et qui n’a guère de scrupules à proposer plusieurs solutions contradictoires au même problème. Il n’est L pas concevable qu’elle soit la personne dont la France a besoin pour se lancer dans les réformes qui lui sont nécessaires depuis plus de trente ans. Même ses propres compagnons de la vieille garde socialiste s’inquiètent de la tournure que prend la candidature de la compagne du secrétaire général du parti. Le socialisme de François Mitterrand semble être l’un des principaux responsables des problèmes sociopolitiques français ; il est donc normal que l’expression politique de cette crise touche particulièrement le PS. Les deux septennats mitterrandiens ont jeté les bases de la décadence française. Le conservateur Jacques Chirac, avec son “ni socialisme, ni libéralisme, ni droite ni gauche”, n’a pas su sortir le pays de la crise dans laquelle il est embourbé et n’a pas non plus réussi à éviter que le mal ne se propage à toute l’Europe. L’échec du référendum sur la Constitution européenne, dans lequel les divergences fratricides des socialistes ont COURRIER INTERNATIONAL N° 828 13 DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 joué un rôle déterminant et funeste, a bloqué le programme institutionnel de l’Union. Il est donc impératif qu’émerge de la prochaine élection présidentielle un nouveau président doté d’une véritable envergure politique et qui sache relancer le processus européen de réforme. Mais rien ne pousse à se réjouir de la confusion dans laquelle est plongé le socialisme français. Car, dans pareil système électoral, cette situation n’a d’autre effet que de donner des ailes au Front national, qui pourrait bien, comme en 2002, être présent au second tour, livrant à nouveau la société française à une combinaison de traumatismes dont elle n’a nullement besoin. C’est un risque que n’ignore pas Lionel Jospin, qui, battu par Le Pen au premier tour de la présidentielle, avait abandonné la politique, consterné par une telle humiliation. Il faut que les choses aillent bien mal pour que Jospin décide de revenir afin de remettre ABC, Madrid Ségolène Royal à sa place. 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 828 p.13-15 12/09/06 18:31 Page 15 f ra n c e DOSSIER “De gauche”, “de droite”, ça n’existe plus ! Ségolène Royal en veston autoritaire, Nicolas Sarkozy en pardessus social : voilà à quoi ressemble la campagne électorale française vue de l’autre côté de la Manche. sciences politiques à l’université de New York, a comparé les résultats de différents types de leaders : le chasseur (qui traque les électeurs selon un algorithme simple, du type “gagne-reste ; perd-dégage”) ; l’obstiné (qui fait campagne sur un programme invariable) ; et le rassembleur (qui reflète les préférences moyennes des partisans de son parti). La catégorie des chasseurs semble bien plus efficace pour remporter des élections que celle des obstinés ou des rassembleurs. FINANCIAL TIMES (extraits) Londres a toute dernière mode en provenance de Paris, c’est le cross-dressing [travestissement] – du moins au sein de la classe politique. Les candidats les plus séduisants à l’élection présidentielle se pavanent actuellement sur les podiums de la politique en se volant mutuellement leurs oripeaux. Ségolène Royal, la très glamour prétendante à la candidature du Parti socialiste, a revêtu la tenue qu’on associe traditionnellement à la droite avec son discours sévère sur la loi et l’ordre. Nicolas Sarkozy, le top-modèle de l’UMP, a fait son petit effet dans ses frusques socialistes – même s’il s’est heureusement abstenu d’enfiler le bikini turquoise de Mme Royal. Les rivaux de Ségolène l’accusent déjà de ne pas être une vraie socialiste, tandis que certains fans de M. Sarkozy reprochent à leur poulain de trop insister sur le social par rapport à l’économie. Mme Royal et M. Sarkozy ne sont pas, bien entendu, les premiers responsables politiques à ne vouloir dire que ce que les électeurs veulent entendre. En 1848 déjà, Alexandre Ledru-Rollin déclarait : “Voilà la foule. Je suis son chef. Je dois la suivre.” Il n’en reste pas moins qu’une telle flexibilité idéologique a de quoi surprendre, à un stade aussi précoce de la campagne électorale. M. Sarkozy et Mme Royal considèrent apparemment que les règles traditionnelles ne s’appliquent plus. Les électeurs en ont marre de leurs dirigeants – comme le montrent la montée en puissance des partis extrémistes et le rejet de la Constitution européenne lors du référendum de l’année dernière – et rêvent d’un style politique différent. M. Sarkozy a tenté de répondre à cette frustration en appelant à une “rupture” avec les politiques ratées du passé (même s’il a occupé deux ministères de premier plan ces quatre dernières années). Mme Royal affiche également une volonté d’élargir le débat en abordant volontiers des sujets du quotidien. Tous deux font passer le pragmatisme avant l’idéologie, les résultats avant les promesses, la modernité avant la tradition. Le blairisme est peut-être à l’agonie en Grande-Bretagne, mais son écho est encore vivace de l’autre côté de la Manche. A en juger par ce qu’ont vécu d’autres démocraties, Mme Royal et M. Sarkozy ont peut-être raison. Comme le faisait remarquer lord Dahrendorf, le célèbre sociologue et politologue britannique, dans le journal Les Echos la semaine dernière, l’ère des systèmes politiques bipartites, avec ses partis très marqués idéologiquement, s’est achevée dans plusieurs démocra- L LES MODES PASSENT, LE STYLE DEMEURE Dessin de Mix et Remix paru dans L’Hebdo, Lausanne. ■ Éléphants Pour la presse internationale, la campagne électorale se résume au duel entre Ségo et Sarko. C’est à peine si les noms des autres candidats socialistes apparaissent dans ses colonnes. Seuls les quotidiens allemands s’en font l’écho, mais c’est pour mieux railler le “retour des vieux messieurs” ou la “parade des éléphants”. ties occidentales à la suite de la disparition du prolétariat et de la bourgeoisie. Les sociétés les plus développées se composent aujourd’hui d’une immense classe moyenne, avec une élite constituée de très riches au-dessus, et un sous-prolétariat pauvre très loin en dessous. Les électeurs ne se reconnaissent plus dans les partis de classe et font leurs choix électoraux en fonction de leur humeur, de facteurs contingents, de sentiments et de ressentiments. Cette indécision les rend particulièrement vulnérables aux populistes beaux parleurs, comme Silvio Berlusconi en Italie. Par ailleurs, d’après plusieurs chercheurs qui ont expérimenté des modèles mathématiques pour déterminer les stratégies électorales les plus efficaces au sein de groupes d’électeurs choisis au hasard, la flexibilité est aujourd’hui la clé du succès électoral. Michael Laver, qui enseigne les Le paradoxe, fait cependant remarquer M. Laver, c’est qu’une fois élus les chasseurs ont beaucoup moins de probabilités de satisfaire leurs administrés parce que leur politique demeure coincée au centre et donc forcément moins proche du citoyen moyen que l’éventail des positions des obstinés et des rassembleurs. Transposé dans le monde réel, cela signifie que les populistes ne restent pas souvent populaires longtemps. Leur volonté de dire aux électeurs ce qu’ils veulent entendre coïncide rarement avec une vision de ce qui doit être fait. Les talents politiques nécessaires pour se faire élire ne sont donc pas les mêmes que ceux qu’il faut pour gouverner. L’homme – ou la femme – politique idéal est évidemment celui ou celle qui sait associer adaptabilité tactique et objectifs stratégiques. Les électeurs français décideront dans sept mois s’ils pensent que M. Sarkozy, Mme Royal ou un autre candidat possède ces précieuses qualités. Car, s’il est une chose que les Français savent bien, c’est que les modes passent et que seul le style demeure. John Thornhill À LA UNE Seule contre tous ■ Ségolène Royal “fait clairement cavalier seul dans cette campagne, en grande partie parce que c’est une femme”, affirme Time, qui consacre cette semaine la une de son édition européenne à la candidate à l’investiture socialiste. L’hebdomadaire s’amuse au passage de la complexité des questions posées aux prétendants socialistes lors de l’université d’été du PS – “Doit-on trouver un nouvel équilibre entre le travail et le capital ? L’Amérique latine représente-t-elle le nouvel horizon du socialisme ?” – en rappelant que Mme Royal “n’a pas pris la peine d’y répondre”. Time la prend comme prétexte pour souligner la situation contrastée que la France réserve à la gent féminine. sitif. Mais le pays est plus apte à honorer ses femmes qu’à leur permettre d’accéder au pouvoir. Le magazine rappelle, entre autres, le droit de vote obtenu seulement en 1944 et la faible représentation féminine (12 %) à l’Assemblée nationale malgré la loi sur la parité. Il égratigne au passage “les dinosaures du PS” qui s’acharnent à mettre des bâtons dans les roues de Ségolène Royal. “Tôt ou tard, les machos grisonnants du Parti socialiste français vont bien devoir reconnaître que l’on peut être femme sans être faible.” “Dans aucun autre pays européen, mis à part en Scandinavie, les femmes ne sont aussi nombreuses à travailler que dans l’Hexagone.” Ça, c’est pour le po- COURRIER INTERNATIONAL N° 828 15 En couverture : Ségolène Royal secoue la France.“Pourquoi faudraitil être triste, laide et ennuyeuse pour faire de la politique ?” DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 MODÈLE La Grèce louche vers l’Hexagone t si les élections françaises de 2007 influençaient une fois encore le choix des Grecs en 2008 ? Si la campagne électorale commence aujourd’hui en France, chez les Grecs, elle n’a pas cessé depuis le dernier scrutin présidentiel, en mars 2004, et tant le gouvernement que l’oppos i tion préparent les élections de mars 2008, qui pourraient être avancées au mois de novembre 2007. Dans l’Hexagone, la gauche revient résolument sur le devant de la scène. Le Parti socialiste s’est même enrichi de nouveaux visages, comme celui de Ségolène Royal. Elle n’a peut-être pas encore été désignée comme candidate du PS, mais elle incarne déjà une nouvelle gauche qui va certainement franchir les frontières hexagonales. Face à la pléthore des candidats habituels, comme Lionel Jospin, Dominique Strauss-Kahn ou Jack Lang, personne n’a vu arriver Ségolène. Mais c’est elle qui fait aujourd’hui de l’ombre à Nicolas Sarkozy qui se voulait le chantre du renouveau dans cette campagne. A présent, c’est plutôt Ségolène qui incarne le renouveau d’une gauche assoupie, et elle n’a pas peur de se faire des ennemis dans son propre parti en faisant le ménage. C’est justement ce qui attire tant les socialistes grecs. L’Histoire a souvent prouvé que le choix électoral des Français influençait celui des Grecs, notamment au moment des grands tournants politiques. Ainsi, quelques mois à peine après l’élection de François Mitterrand en 1981, c’est le socialiste Andréas Papandréou qui était élu à son tour à Athènes et le socialisme s’est installé pendant vingt ans en Grèce. Mais depuis l’arrivée des conservateurs au pouvoir en 2004, la gauche grecque peine à reprendre du poil de la bête. On reproche au chef de l’opposition Georges Papandréou [petit-fils du précité], de ne pas avoir de charisme et de ne pas avoir restructuré le parti en le débarrassant des seniors qui ont causé la désaffection des électeurs. Pourtant Georges Papandréou a, comme Ségolène Royal, toutes les cartes en main pour donner une image moderne du parti. Ministre des Affaires étrangères sous le gouvernement Simítis, il était le seul à se rendre en réunion avec son ordinateur portable et l’un des rares à opter pour de nouvelles méthodes de communication avec les médias. Mais Georges Papandréou n’a pas la popularité de Ségolène Royal et celle-ci n’a pas encore été nommée candidate du Parti socialiste français, et encore moins élue à la tête du pays. Avec ou sans Ségolène Royal, si les socialistes français remportent les élections, Papandréou aura-t-il une chance ? Il est trop tôt pour le dire, mais une chose est sûre : le résultat des élections en France sera très suivi et certainement très utilisé en Grèce. Gioula Zahioti, Eleftherotypia, Athènes E 828p16 12/09/06 19:09 Page 16 e u ro p e ● R O YAU M E - U N I Tony Blair, l’optimiste trahi par la réalité Contesté par une partie croissante du Labour, le Premier ministre britannique a annoncé qu’il quitterait le pouvoir d’ici un an. Le prix à payer pour une politique qui n’aura pas été à la hauteur de ses ambitions. THE GUARDIAN (extraits) énonce la longue liste des réalisations les plus sociales-démocrates de son gouvernement : “Tous les salariés ont droit aux congés payés, les parents peuvent prendre des jours pour gérer des problèmes familiaux… L’allocation maternité a doublé… Sept millions de familles bénéficient de la plus importante augmentation des allocations jamais enregistrée en Grande-Bretagne.” A la lecture de chacun de ces exploits, Gordon Brown, impassible, se tourne vers son voisin et lâche : “Il était contre !” Londres e projet de tournée d’adieu du Premier ministre – dépeint dans le désormais légendaire “mémo de Downing Street” [rédigé par des conseillers de Tony Blair et révélé le 5 septembre par le Daily Mirror] et qui prévoyait que le Premier ministre se servirait de tout, des transports, de l’architecture, des émissions pour enfants et de [l’animateur télé] Chris Evans pour asseoir définitivement le “triomphe du blairisme” – masquait un objectif bien précis. Aussi délirants que ces plans aient pu paraître, ils se fondaient au moins en partie sur l’idée qu’il fallait ressusciter quelque chose qui a déjà eu lieu. “Il lui faut de grands espaces, les arts, les entreprises, expliquait le document. On doit le voir avec des gens qui étonneront… Dans tout ce qu’il fera, il devra glisser des références reflétant son énergie et son enthousiasme”. Les médias s’en sont donné à cœur joie, mais ils sont passés à côté du fait que nous avons déjà connu tout ça, et que ça avait d’ailleurs marché. C’était en 1997, quand Blair s’affirmait dans le mirage de la cool Britannia, et qu’il débordait tellement d’orgueil qu’il avait lancé cette affirmation : “Le New Labour n’est rien de moins que le bras politique de l’ensemble du peuple britannique.” L LE PAYS A AUJOURD’HUI L’AIR VIEUX ET GRINCHEUX Assertion onirique que l’on retrouve dans le manifeste travailliste de cette année-là, un texte épuré et truffé de photographies du Grand Timonier en compagnie de personnalités de premier plan : Blair et Mandela, Blair et Clinton, Blair et Alex Ferguson, Blair et John Prescott (à l’époque, c’était encore une bonne idée). Le but en était l’avènement d’une nation qui “n’entrerait pas dans le nouveau millénaire en ayant peur de l’avenir, mais d’un pas fier et confiant”. Bien sûr, il est rare qu’une rhétorique aussi boursouflée se réalise. Blair n’y a pas échappé. Le pays n’est peut-être plus déchiré entre la droite et la gauche, mais l’ambition, l’idéalisme et l’unité semblent être autant d’espoirs perdus. Pour ne rien dire du terrorisme et de ses conséquences, comme l’émiettement du multiculturalisme autrefois au cœur du scintillement bariolé de la cool Britannia. Et il y a aussi toutes ces abominables menaces qui rôderaient à tous les coins de rue : les immigrés illégaux, les sauvageons, les mères célibataires dont les poussettes, nous laisse-t-on entendre, pourraient bien abriter des assassins en devenir. Il suffit de feuilleter la presse à scandales pour se dire QUE GARDERA L’HISTOIRE DE CES DIX DERNIÈRES ANNÉES ? Dessin de JAS paru dans The Daily Telegraph, Londres. ■ A la une “Le combat final” titrait The Independent, le jour où Tony Blair cédait à Gordon Brown et annonçait son départ d’ici un an. que la Grande-Bretagne ne fait pas particulièrement jeune. Elle a plutôt l’air vieille et grincheuse, regorgeant de tensions que la bouffée d’optimisme du milieu des années 1990 a seulement dissimulées sous une couche de vernis. On comprend pourquoi le Premier ministre veut un dernier sursaut de relations publiques. Le dernier congrès travailliste de Blair aura lieu à Manchester [du 24 au 28 septembre], ce qui est peut-être approprié. Modèle de renaissance urbaine et de renouveau de la fierté citoyenne, la ville est dirigée par un conseil municipal travailliste qui met un point d’honneur à rappeler que la ville a joué un rôle de pionnier dans la politique de “respect”. Conséquence d’un recours massif aux “ordonnances de comportement anti- social” [anti-social behaviour order (ASBO), un type de procès-verbal interdisant à une personne connue pour un comportement de ce genre d’effectuer telle ou telle action, comme porter une arme ou s’approcher d’un lieu déterminé], Manchester est désormais “la capitale britannique des ASBO”. Tony Blair a sa part de responsabilité dans le torpillage des réussites de son gouvernement. En 2003, l’universitaire Stuart Hall a accouché de l’idée du “double jeu” du New Labour. Selon lui, on trouve, “en parallèle à un alignement sinistre sur le monde des affaires, un autre programme subalterne, plus social-démocrate, qu’il gère en même temps”. Une anecdote apocryphe illustre parfaitement cela. Lors du congrès travailliste de 1999, Blair DUEL Gordon Brown n’a pas encore mérité le pouvoir ■ D’un côté, Gordon Brown, le chancelier de l’Echiquier qui estime que l’heure est venue pour le Premier ministre de lui céder la place comme promis ; de l’autre, Tony Blair, qui aurait souhaité choisir le moment où il quitterait le pouvoir. “L’assassin et le canard boiteux”, résume The Daily Telegraph à la fin d’une semaine qui a vu le chef du gouvernement accuser son ministre le plus important de “chantage” avant d’annoncer son départ dans l’année à venir. “Si nous n’avions pas un Premier ministre boiteux, nous l’avons désormais, écrit le quotidien conser vateur. Un dirigeant de valeur aurait relevé le défi de M. Brown et l’aurait invité à quitter le gouvernement. Que M. Blair ait été incapable de le faire témoigne amplement du déclin de son pouvoir.” “Le comportement du chancelier, lui, a été honteux et augure mal du futur s’il devait un jour devenir Premier ministre”, ajoute COURRIER INTERNATIONAL N° 828 The Daily Telegraph, qui estime que Gordon Brown “a brandi la dague contre son chef, et l’histoire indique qu’en politique, l’assassin conquiert rarement la couronne”. En attendant le départ de Tony Blair, que la plupart des observateurs annoncent pour juste avant les élections locales de mai 2007, “aucun politicien n’est en mesure de contenir la venimeuse querelle qui s’est emparée du Labour”, remarque The Independent. En échange de l’annonce du départ du Premier ministre, Brown a finalement accepté le principe d’une élection interne au Labour. Le ministre de l’Intérieur John Reid et surtout celui de l’Education Alan Johnson pourrait contester ses ambitions. Brown pourrait-il perdre ? “Très improbable”, estime The Guardian, qui prévient des dangers qui guettent le Labour : “Ne sous-estimez jamais les passions déchaînées du schisme”. 16 DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 Malheureusement, le New Labour est tributaire de la règle postthatchérienne qui veut qu’un gouvernement soit toujours en mouvement. Craignant tellement que le New Labour ne succombe au sort terrible d’une apparente suffisance, Blair et ses alliés n’en finissent plus de développer une politique de contradiction désespérée. Nos services publics ne se sont jamais si bien portés, mais ils ont besoin d’être réformés en profondeur. Nos jeunes sont admirés pour leur réussite record aux examens, puis qualifiés de voyous incarnant une menace d’une exceptionnelle modernité. Dans l’ensemble, le taux de criminalité est stable, les homicides ont progressé de 1 % par an depuis vingt ans, cambriolages et vols de voitures ont chuté, et pourtant le ministre de l’Intérieur nous annonce l’urgence d’un nouveau tour de vis. Pour chaque prétendu triomphe, il y a un échec supposé. Si le bilan de Blair nous semble si flou, c’est peut-être parce que Blair lui-même ne sait plus où il en est. Et – mais est-il utile de le rappeler ? – il y a l’Irak, cet horrible exemple de l’ambition blairiste d’atteindre des objectifs progressistes par les moyens les plus impensables. Il faudra sans doute des années pour effacer les effets insidieux de la guerre sur les relations entre gouvernement et population. Quel espoir peut-on nourrir à vanter ses propres mérites en matière de santé et d’éducation, quand tant de gens pensent qu’ils sont dirigés par un menteur chronique ? “Il doit s’en aller en laissant les foules sur leur faim”, faisait miroiter l’un des passages les plus cités du mémo de Downing Street. “Il doit être la vedette qui ne jouera pas le dernier rappel.” En février ou en mai, ou en septembre de l’an prochain, on voit mal qui pourrait constituer ces foules rêvées. Ils seront bien quelques-uns, peut-être, mais pas de quoi faire une fanfare. Blair risque fort de partir très discrètement, en se demandant si l’Histoire gardera des dix dernières années un souvenir plus précis que le sien. John Harris 828p17 11/09/06 20:18 Page 17 e u ro p e ALLEMAGNE Berlin, ville “pauvre mais sexy” Klaus Wowereit, le très populaire maire social-démocrate de la capitale allemande, s’apprête à remporter une nouvelle victoire le 17 septembre et à reconduire sa coalition de gauche. Portrait. Klaus Wowereit. Dessin paru dans Die Welt, Berlin. WELT AM SONNTAG (extraits) Berlin uel teint resplendissant ! En pleine grisaille de septembre, par-dessus le marché. Et au beau milieu d’une campagne électorale. Il faut le dire en toute franchise : face à Klaus Wowereit, la concurrence* fait pâle figure. Mardi, début de soirée. “Wowi” fait campagne dans le quartier de Schöneweide. Il fait 16 degrés dehors, le vent souffle et s’engouffre dans les drapeaux rouges du stand du SPD [Parti social-démocrate], à le faire vaciller. Une centaine de Berlinois ont fait le déplacement. Par ce temps, c’est un signe – d’autant que Schöneweide se trouve dans l’est de la capitale, une terre d’élection du PDS [héritier du Parti communiste d’ex-RDA, refondu en parti de gauche avec l’arrivée d’une fraction de gauche des sociaux-démocrates]. Aujourd’hui, les affiches du NPD et des républicains [partis néonazis] qui fleurissent dans les rues ne laissent planer aucun doute : il y en a d’autres qui espèrent aussi obtenir des voix aux élections du 17 septembre. “Wowi” porte un costume bleu marine, une chemise à carreaux bleu ciel, une cravate rouge et arbore son insolent sourire, conquérant et impertinent. “Il est toujours si élégant”, s’extasie une femme aux cheveux grisonnants et aux dents clairsemées. Elle se fraie un chemin à travers la rangée de gardes du corps et lui tend un papier pour un autographe. “Il y en a un à la Q ■ radio qui essaie de m’imiter”, glisse Wowereit pendant qu’il signe l’autographe. Il lui rend son papier. “Mais il n’y arrive pas. Personne n’y arrive”, poursuit-il. Il déborde de confiance en lui. Pris tous ensemble, les gens en jeans et baskets qui l’entourent n’en ont probablement pas autant. A Berlin, personne ou presque ne doute de la réélection de Klaus Wowereit. Si les élections se déroulent comme le prévoient les sondages [voir ci-contre], la coalition de gauche sera reconduite pour un deuxième mandat. Sondages Depuis des semaines, les sondages accordent invariablement au SPD 32 % ou 33 % des intentions de vote. Le Parti de gauche, son partenaire de coalition à la tête de la mairie de Berlin, se maintient solidement à 15-16 %. La CDU atteint le plus souvent 21-22 %, les Verts tournent autour de 14 % et les libéraux du FDP arrivent à 9 %. Fort de sa popularité, Klaus Wowereit envisage d’entrer dans les instances dirigeantes du SPD. Ce n’est plus le soutien des électeurs qui inquiète Klaus Wowereit et son équipe, mais la crainte que beaucoup jugent inutile de se rendre aux urnes. C’est pourquoi ces sorties à Schöneweide, Marzahn ou Friedrichshain [quartiers de l’Est berlinois] sont importantes. “Retentez votre chance !” conseille Klaus Wowereit à une jeune femme dont la demande d’aide sociale a été refusée. “Déposez un nouveau dossier”, répète-t-il. Elle s’éclipse, l’air contrit. Il sourit. UN TAUX DE CHÔMAGE DE 10% ET 60 MILLIARDS DE DETTES Le maire de Berlin veut répandre l’optimisme. Il aime sa ville mais il sait qu’elle est sacrément mal en point. C’est pour cela qu’il a inventé le slogan “Pauvre, mais sexy”. Il reprend ainsi une tendance de la culture pop qui fait de la décadence un mode de vie. Plus de 40 % des 3,4 millions de Berlinois vivent aujourd’hui d’aides publiques, 290 000 d’entre eux sont au chômage, soit environ 10 % de la population. S’ajoutent à ce chiffre 35 000 titulaires d’emplois payés 1 euro de l’heure et 60 000 bas salaires. La ville elle-même compte 60 milliards d’euros de dettes, soit presque 18 000 euros par tête d’habitant, en comptant les vieillards et les nourrissons. Une ville aussi mal en point a peut-être besoin de quelqu’un comme Klaus Wowereit : parti de rien, il s’est retrouvé en couverture du magazine Time. Sa mère faisait des ménages pour élever ses cinq enfants. L’actuel maire de Berlin est le dernier de la fratrie, et le seul à avoir poursuivi des études. Il a vu son père pour la première fois à 12 ans. Quand, comme lui, on a dû se battre pour exister face à ses grands frères, on a appris très jeune à s’en sortir.Tous ses collaborateurs socialistes sans exception ne tarissent pas d’éloges à son égard. “J’ai toujours pu compter sur lui”, affirme Thomas Flierl, chargé de la science et de la culture, dont la conception de la culture est très différente de celle du maire. Pour tous, Wowereit est un vrai dirigeant : “Il sait être un chef. C’est vraiment quelqu’un.” Le “quelqu’un” en question est citoyen d’honneur de la ville de Buenos Aires et commandeur de la Légion d’honneur. En 2004, un magazine branché de Cologne l’a élu “homo de l’année”.Wouah ! En politique, c’est tout sauf un idéologue. Son alliance avec le Parti de gauche est purement pragmatique. Cela lui a permis de séduire l’est de la ville et de pouvoir compter aveuglément sur les socialistes. Avec Harald Wolf, chargé de l’économie dans l’équipe municipale, ils forment les piliers de la coalition. Le succès de Wowereit ne serait pas pensable sans l’existence d’un réseau de personnes de confiance. Ils ne sont pas nombreux, mais ils disposent tous de bonnes relations au siège du SPD. Et là aussi on l’aime, cette star de la politique. Günther Lachmann * Allusion au manque de charisme du candidat de la CDU (Union chrétiennedémocrate), Friedbert Pflüger. AUTRICHE Vers une grande coalition viennoise ? La multiplicité des petits partis aux élections législatives du 1er octobre pourrait permettre aux deux grands de dominer à nouveau la vie politique. n le connaît surtout à cause du bal de l’opéra et on est un peu troublé de voir subitement surgir son portrait sur les affiches de campagne : Thomas Schäfer-Elmayer, le gentleman de la nation, le spécialiste du savoir-vivre qui, chaque année en février, ouvre le bal le plus prestigieux de la métropole danubienne avec son école de danse, présente sur fond rouge-blanc-rouge [les couleurs du drapeau autrichien] son programme électoral : “Pour plus de style et de correction dans notre pays”. Cet appel quelque peu vieille mode ne devrait guère avoir d’impact sur le scrutin national du 1er octobre et cette candidature risque de ne pas peser plus lourd qu’une plume dans la balance. Il s’agit pourtant d’un solo symptomatique de la présence des petits partis, qui dans cette campagne donnent du fil à retordre aux deux grands – le Parti social-démocrate [SPÖ, dirigé par Al- O fred Gusenbauer], dans l’oplions aux demandeurs position, et le Parti du peuple d’asile”. Dans cette guerre autrichien [ÖVP, de tendance fratricide, Strache a réussi à chrétienne-démocrate], du marquer des points sur son chancelier Wolfgang Schüsrival. Mais ce qui fragilise ensel. Juste à côté du souriant core plus ce dernier, c’est la professeur de danse, deux encandidature du singulièrenemis jurés, les visages calés ment critique député eurodans le coin droit de leurs afpéen Hans-Peter Martin, qui fiches, ne cachent pas leur encible lui aussi les électeurs vie d’en découdre : Peter Wesprotestataires et affaiblit le tenthaler, le chef de l’Alliance par ti de Haider au point de pour le futur de l’Autriche rendre incertaine son entrée [BZÖ, le nouveau parti de Jörg au Parlement. Les deux ■ A la une Haider], et Heinz-Christian grands partis vont d’ailleurs “Campagne brutale”, titre Strache, le président du Parti eux aussi y laisser des l’hebdomadaire News. A la libéral [FPÖ, l’ancien parti de plumes. Martin pourrait pasmanière de Zidane, le chef Haider], ne sont pas entrés ser la barre des 4 % [qui perde l’opposition Gusenbauer en piste en queue-de-pie, met d’être représenté sur les (SPÖ) donne un coup de tête mais en tenue de boxe. Et ils bancs du Nationalrat, l’Asau chancelier Schüssel (ÖVP). distribuent les coups bas. semblée nationale]. A cela Strache, avec son regard bleu azur, assène s’ajoute, comme une curiosité politique, ses rimes pour défendre la patrie “plutôt l’entrée des communistes [KPÖ] dans la baque Schüssel et Bruxelles”, une politique taille, même s’ils n’ont aucune chance de sociale “plutôt que brutale” et des retraites réussir mieux qu’en 2002 [0,56 %]. De toute assurées “plutôt que l’attribution de milévidence, le chancelier ne croit plus à l’ave- COURRIER INTERNATIONAL N° 828 17 DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 nir politique de son problématique partenaire et sait que sa coalition noir-orange [ÖVP-BZÖ] n’est plus que de pure forme. Schüssel, qui tenait des propos bien différents en d’autres temps, n’a plus que mépris pour “ce quelqu’un”, dont il ne prononce plus le nom [Westenthaler]. Que les Ver ts autrichiens, également en campagne, veuillent entrer dans le prochain gouvernement n’est un secret pour personne. Ils visent la troisième place. Leur chef de file, Alexander Van der Bellen, est la personnalité politique la plus populaire dans les sondages. Les sociaux-démocrates seraient disposés à constituer une coalition avec eux tout autant qu’avec les chrétiensdémocrates du chancelier Schüssel. Mais les petits partis en lice pourraient bien les faire échouer. Si tous (hormis les communistes) entrent au Parlement, il est fort probable que les deux grands partis forment ensemble une coalition. Une solution qui est certes la plus prisée par les électeurs dans les sondages, mais qui serait un désastre politique pour les Verts. Neue Zürcher Zeitung (extraits), Zurich 828p18 11/09/06 20:05 Page 18 e u ro p e RUSSIE Le planning familial ? Pas de ça chez nous Malgré la baisse de la fertilité due aux avortements répétés et la menace du sida, l’information sur la contraception et les préservatifs est quasi nulle. La désinformation prévaut pour satisfaire les milieux nationalistes. OGONIOK Moscou ujourd’hui, en Russie, sept grossesses sur dix se termineraient par un avortement. Depuis que Vladimir Poutine a consacré une allocution au problème démographique, en annonçant des mesures financières pour encourager la natalité, tout le monde semble s’être intéressé au faible taux de natalité du pays [10 pour 1 000 en 2005, contre 14 pour 1 000 aux Etats-Unis]. Cependant, on oublie de citer l’une des causes principales de ce fléchissement, à savoir le nombre élevé d’avortements, qui empêcheraient les femmes, par la suite, d’avoir beaucoup d’enfants. La Russie occupe en effet le deuxième rang mondial après la Roumanie pour le taux des avortements et le premier pour l’âge auquel ils sont pratiqués, celui de l’adolescence, ce qui n’est pas sans conséquences désastreuses sur la fertilité future de la jeune fille. Pour éviter le recours massif à l’avortement, il faudrait que plus de 70 % des femmes se protègent de manière moderne, explique l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Or les décomptes les plus optimistes établissent que seules 20 à 25 % des femmes russes prennent des précautions. Cette situation s’explique par l’histoire chaotique de la contraception en Russie. Au début des années 1980, lorsque l’URSS a vu apparaître des pilules contraceptives à peu près correctes, le ministère de la Santé était persuadé que, compte tenu du faible niveau d’éducation sexuelle de la population, la diffusion de la pilule allait entraîner une propagation catastrophique des maladies vénériennes et A Dessin de Kopelnitsky, Etats-Unis. une dépravation généralisée. C’est ainsi que les directives du ministère ont interdit aux médecins de la prescrire en tant que contraceptif. A la fin de la décennie, l’ampleur de la tragédie des avortements était devenue irréfutable et le sida commençait à faire des ravages. En 1991, l’Association russe de planning familial a vu le jour. “Le budget prévisionnel soviétique pour 1992 devait consacrer d’énormes moyens à la lutte contre le sida, en mettant notamment l’accent sur la contraception. Mais, lors de l’effondrement du régime, en 1991, on s’est aperçu que les caisses étaient vides”, se souvient Vadim Pokrovski, directeur du Centre scientifique fédéral de prévention et de lutte contre le sida. La situation a commencé à changer, en 1993, avec l’élection d’un Parlement relativement libéral. Cela a permis de créer un Prog ra m m e f é d é r a l d e planning familial, avec un réseau de centres locaux et un travail sur les manuels scolaires afin que soient enseignées les bases de l’éducation sexuelle. La presse a aussi publié une quantité sans précédent d’articles sur les conséquences négatives des avortements et les bienfaits de la contraception hormonale, contribuant à favoriser l’usage de la contraception moderne. Mais, comme cela arrive souvent, les scientifiques ont été dépassés par les politiques. Les conservateurs, qui avaient, dès 1992, accusé les démocrates de dépeupler la Russie, n’attendaient qu’une nouvelle preuve d’une “conspiration internationale” [visant à affaiblir la Russie]. En 1997, même les médias libéraux ont fini par parler de “dépravation des enfants russes”, et les auteurs d’un projet d’éducation sexuelle à l’école ont été convoqués devant les juges. Cette même année, le ministère de l’Education a cessé les campagnes d’information sur la contraception. A l’automne, à l’initiative du LDPR [parti de Vladimir Jirinovski, populiste et nationaliste] et du Parti communiste, le financement du Programme fédéral de planning familial fut supprimé du budget 1998. Outrée, la députée Ekaterina Lakhova, qui est aussi médecin, avait lancé à ses homologues qu’ils venaient de condamner à mort 148 femmes, car tel était le nombre moyen de décès annuels dus à des avortements. L’argument n’a eu aucun effet. EN RUSSIE, LES PRÉSERVATIFS NE SERAIENT PAS EFFICACES Depuis près de dix ans, l’Etat russe ne donne plus un sou pour encourager la contraception. En 2002, Iouri Altoukhov, directeur de l’Institut de génétique de l’Académie des sciences russe, a d’ailleurs appelé les dirigeants à interdire les activités de l’Association de planning familial russe, sous prétexte que la limitation des naissances “porte atteinte au fonds génétique national”. Le père Andreï Kouraev a déclaré, en 2005, que nous n’avions pas besoin d’organismes faisant la propagande du contrôle des naissances compte tenu de la situation démographique russe. La nouvelle loi sur les organisations non gouvernementales (ONG), adoptée en janvier 2006, permet désormais de faire fermer tout et n’importe quoi, même si, pour l’instant, l’Association de planning familial et plusieurs ONG médicales continuent à fonctionner comme avant [la loi complique l’obtention de financements étrangers]. Toutefois, personne ne sait si cela va durer. Par ailleurs, ceux qui voudraient développer des pratiques sexuelles sans risques sont de plus en plus pris pour cible. A Novossibirsk, des fidèles ont exigé que la ville soit débarrassée des publicités pour les préservatifs, tandis qu’à Moscou la mairie a lancé une campagne de discrédit des préservatifs avec le slogan “L’amour sans danger n’existe pas”. Au printemps 2006, l’Union eurasienne de la jeunesse et d’autres organisations du même genre se sont rassemblées à Saint-Pétersbourg contre le planning familial, en scandant : “Pas de ça en Russie !” La mobilisation contre la prévention est aussi présente dans les manuels scolaires. On tente comme on peut de faire peur aux adolescents. Le livre de classe de biologie de huitième [pour les jeunes de 14 ans, équivalent de la classe de troisième en France] exige que les enseignants parlent aux élèves “moins des moyens de contraception que de leur manque de fiabilité”. On suggère à ces adolescents que le préservatif n’est pas efficace. “Les médecins estiment que les virus sont si minuscules qu’ils peuvent traverser le caoutchouc. Ainsi, le danger de contamination est proportionnel à la quantité et à la fréquence de rapports sexuels”, peut-on notamment lire. C’est évidemment un mensonge. Les virus ne traversent pas le latex, et ce n’est pas la quantité de rapports qui est dangereuse, mais le fait de changer souvent de partenaire. Quant aux avortements et à leurs conséquences, les manuels n’en disent presque rien. A quoi bon ? Quand les adolescents grandiront, ils verront bien par eux-mêmes… Boris Gordon et Vladimir Tikhomirov BULGARIE-ROUMANIE Entrer dans l’UE, mais avec dignité Bruxelles, comme à Sofia et à Bucarest, la tension est montée d’un cran après que le Financial Times a révélé, le 5 septembre, que l’entrée dans l’UE de la Bulgarie et de la Roumanie était bien prévue pour le début de l’année 2007, mais assortie de “conditions d’une sévérité sans précédent”. “A vrai dire, la Roumanie n’était pas suffisamment préparée”, reconnaît le quotidien Ziua, de Bucarest, pour qui le pire, à savoir “le report d’un an, une mesure qui aurait ralenti les réformes”, a ainsi été évité aux Roumains. Le ton de la presse bulgare est beaucoup moins conciliant. Les journaux de Sofia rappellent que, alors que Bucarest n’est menacé “que” de clauses de sauvegarde dans le domaine de l’agriculture, le gouvernement bulgare est accusé de ne pas avoir été en A mesure de juguler la criminalité organisée ainsi que la corruption, endémique à tous les niveaux de la société. “Puisque nous ne pouvons ou ne voulons pas attaquer de front ces fléaux, Bruxelles a décidé de prendre les choses en main en imposant à la Bulgarie une adhésion au rabais”, estime l’hebdomadaire Sega. Placée sous “sur veillance très stricte”, menacée de sanctions financières, voire d’exclusion des instances judiciaires communautaires, la Bulgarie risque de se transformer en une sor te de “protectorat de l’UE”, s’insurge Sega. “Tout cela parce que nous avons prouvé à plusieurs reprises notre incapacité à nous gérer nous-mêmes”, poursuit l’hebdomadaire, qui fustige “l’optimisme déplacé” des dirigeants bulgares sur la question de l’adhésion européenne. De passage à COURRIER INTERNATIONAL N° 828 Bruxelles, le 7 septembre, le Premier ministre bulgare, Sergueï Stanichev, a tenté de minimiser la por tée des conditions posées par l’UE, plaidant toutefois pour une “entrée digne” dans l’Union. “J’espère que les efforts et les sacrifices des Bulgares en vue d’entrer dans l’Union seront respectés par les Européens”, a-t-il dit. “Le Premier ministre a supplié en vain que l’on ne nous humilie pas”, a décrypté la presse bulgare. Pour le quotidien Monitor, ces derniers développements finiront par donner raison aux eurosceptiques dans le pays, qui considèrent que la Bulgarie devrait revoir ou, du moins, reporter sa candidature. “On nous accuse de ne pas avoir mis fin à la criminalité et à la corruption au plus haut niveau, poursuit le journal, à savoir celle qui règne parmi les ministres, les députés et les 18 DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 magistrats. Or tous les commissaires qui, depuis neuf ans, viennent de Bruxelles pour nous voir leur tombent dans les bras et nous conseillent de ne surtout pas provoquer d’élections anticipées – qui, justement, nous auraient permis de nous débarrasser d’eux – au nom de la stabilité du pays. Comment pourrions-nous venir à bout de ces hauts fonctionnaires corrompus, puisque Bruxelles nous interdit de les mettre à la porte ?” Dans ces conditions, il vaut mieux reporter l’adhésion de Sofia plutôt que de se plier à des injonctions aussi “contradictoires qu’humiliantes”, conclut Monitor. Dans un rapport très attendu, et qui devrait être rendu public le 26 septembre, la Commission rendra officiellement son verdict sur la date et les conditions d’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie. 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 11/09/06 19:20 Page 20 e u ro p e TRANSDNIESTRIE Qui est réellement aux commandes à Tiraspol ? Le petit territoire sécessionniste s’apprête à se proclamer “indépendant” après le référendum du 17 septembre. Mais le président Smirnov, soutenu par le Kremlin, doit faire face à un nouveau concurrent… KOMMERSANT VLAST (extraits) 0 80 km Moscou ■ Enclave MOLDAVIE UKRAINE Dn t tr ROUMANIE ies Du temps de l’URSS, la région russophone de Transdniestrie faisait partie de la république socialiste de Moldavie. En 1990, à l’occasion de la proclamation par Chisinau du roumain comme langue officielle, elle a déclaré unilatéralement son indépendance. La Moldavie devenait à son tour indépendante en 1991. Un an plus tard, des miliciens des deux républiques se livraient, le long du Dniestr, à de violents combats qui ont fait plusieurs centaines de morts. Officiellement investies d’une mission de paix, les troupes envoyées alors par Moscou pour mettre fin au conflit stationnent toujours sur le territoire de la république séparatiste, qui n’est reconnue à ce jour que par la Russie. ou A Pr la veille d’importantes échéances, les attentats de cet été ont ébranlé les fragiles fondements de la Transdniestrie [deux attentats à la bombe dans les transports publics ont fait dix morts] : le 17 septembre aura lieu un référendum sur l’autodétermination, et, en décembre, ce sera le tour de l’élection présidentielle. Indéboulonnable, Igor Smirnov s’apprête à faire campagne pour la quatrième fois. Aujourd’hui, sa candidature convient à la plupart des hauts fonctionnaires, puisque les postes à responsabilité sont occupés par des hommes arrivés au pouvoir avec lui. Le président Smirnov satisfait également la Russie. Il a su gagner les bonnes grâces de Moscou non seulement en protégeant les intérêts russes dans le monde des affaires (au moment des privatisations en Transdniestrie, les businessmen russes ont acquis les plus grosses entreprises), mais aussi en agissant comme un allié fidèle du Kremlin face à Chisinau [capitale de la Moldavie]. Alors que l’issue du référendum fait peu de doute [la Transdniestrie optera certainement pour l’“indépendance”, à savoir le droit de rejoindre la Fédération de Russie], la campagne présidentielle va être très différente des précédentes. Tout d’abord, ces derniers mois, la situation économique s’est fortement dégradée. En mars, la Moldavie et l’Ukraine ont établi de nouvelles normes douanières à l’intention de Tiraspol et, depuis, toutes les importations et exportations de produits ne peuvent se faire qu’avec des documents douaniers moldaves. Le ministère de l’Economie estime que le budget national a ainsi perdu plus de 250 millions de dollars. Cette situation pourrait compliquer la réélection de Smirnov. Des stratèges moscovites sont donc TRANSDNIESTRIE (ou République moldave du Dniestr, autoproclamée depuis 1990) Chisinau Tiraspol Russie Ukr. UKRAINE Courrier international 828p20 Mer Noire Roumanie venus au secours de leur “poulain” du Dniestr. D’après nos informations, le Conseil de sécurité russe et le FSB [services secrets russes] auraient élaboré un plan de soutien au régime et l’auraient soumis à Vladimir Poutine. Ce plan prévoirait un don d’un montant de 20 millions de dollars et le financement de la campagne électorale de Smirnov, qui devrait coûter plusieurs dizaines de millions de dollars. LA SOCIÉTÉ SHERIF SE MET À LA POLITIQUE Mais, s’il a l’assurance d’une aide extérieure, le président en place se heurte désormais à de sérieux problèmes intérieurs. Après les incidents tragiques de cet été, beaucoup se sont demandé, à juste titre, pourquoi le pouvoir était incapable d’assurer la sécurité de ses citoyens. Si, lors des précédentes élections, les autres candidats ne représentaient pas une grande menace, cette année, le président Smirnov a un sérieux adversaire, Evgueni Chevtchouk, un politicien jeune et ambitieux, soutenu par un entrepreneur local, la société Sherif. Fondée en 1993 par d’anciens agents des services secrets, cette société a mis la main sur tout ce qui rapporte de l’argent en Transdniestrie. Elle possède une chaîne de supermarchés et d’entrepôts, contrôle le commerce des produits pétroliers, le business des jeux et des télécommunications, et possède une équipe de foot dont le budget n’a rien à envier à celui d’un club international. Sherif a également monté un puissant empire médiatique – un sérieux concurrent pour les médias d’Etat – et dispose de services de sécurité bien équipés. A mesure que ses affaires se développaient, cette société voyait ses relations avec le pouvoir se dégrader à toute vitesse. Pour promouvoir ses intérêts, Sherif s’est alors lancée dans la politique, fondant un mouvement nommé Renouveau, qui a remporté une belle victoire lors des législatives de l’année dernière, obtenant 23 des 43 sièges du Parlement local. Cela lui a permis d’installer un homme lige à la présidence du “soviet” (deuxième poste de la République). Cet homme n’est autre qu’Evgueni Chevtchouk ; au passage, l’un des fondateurs de Sherif, Ilia Kazmaly, a été élu député. Moscou a bien pris conscience de la menace que les oligarques représentaient pour Smirnov. En juin, Chevtchouk aurait été invité à Moscou, où on lui aurait demandé avec insistance de ne pas se hâter de présenter sa candidature à la présidence. Peu après sa visite à Moscou, un premier attentat a eu lieu à Tiraspol. Au moment du second, Chevtchouk était en vacances à l’étranger, mais il a commenté l’événement, se faisant le porteparole des habitants de la Transdniestrie. Il a également promis que le Parlement, compte demander des comptes aux services de sécurité. Ces derniers se sont alors empressés d’annoncer l’arrestation d’un suspect et ont promis des mesures de sécurité “exceptionnelles” à la rentrée. Les jeux sont loin d’être faits à Tiraspol. Vladimir Soloviov A N A LY S E Le Kremlin pris à son propre piège eux parrains lointains, la Russie et la Roumanie, et deux voisins immédiats, l’Ukraine et la Moldavie, suivront de près les événements en Transdniestrie, bande de terre de 200 kilomètres de long peuplée par un demi-million de personnes. Kiev et Chisinau ont d’ores et déjà annoncé qu’ils ne reconnaîtront pas les résultats du référendum du 17 septembre. Pour les instances européennes, il s’agit également d’un “non-événement”, et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a refusé d’y envoyer des observateurs. Le Kremlin étant resté curieusement silencieux à l’approche du vote, ce sont les autorités de Tiraspol [“capi- D tale” du territoire] qui se sont félicitées du soutien de Moscou. Le quotidien Ziua de Bucarest s’est étonné, en revanche, de la volonté affichée par le gouvernement roumain de conduire vers l’Europe cette enclave improbable. “Le président Basescu a invité les Moldaves et les Transdniestriens à entrer, avec les Roumains, dans la maison européenne qui n’est, à ce jour, même pas la sienne”, écrit le journal. La presse en langue roumaine tire également à boulets rouges sur le président moldave, le communiste Vladimir Voronine, accusé d’avoir “abandonné la Transdniestrie aux Russes”, comme l’affirme l’hebdomadaire Timpul de Chisinau. COURRIER INTERNATIONAL N° 828 “La Russie a entretenu ce conflit par peur d’une Grande Roumanie née de l’union avec la Moldavie, mais, maintenant que cette hypothèse s’éloigne, elle ne sait que faire de Tiraspol”, poursuit le magazine. Le succès du référendum pourrait néanmoins être un précédent pour d’autres régions séparatistes de l’ex-URSS où s’exerce l’influence russe, telles l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud (en Géorgie). Dans ce domaine, la politique russe n’est pas totalement cohérente : tout en défendant le droit à l’autodétermination de ces régions, le Kremlin s’oppose farouchement à celle du Kosovo, actuellement en discussion à Vienne. 20 DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 R É P U B L I QU E T C H È QU E La faute à l’anticommunisme ourquoi la formation du nouveau gouvernement a-t-elle, une fois de plus, tourné à la pagaille ? Essayons de voir ce qui bloque la politique tchèque en général, et pas seulement depuis les législatives de juin. [Vainqueur des législatives, Mirek Topolanek (ODS, droite libérale) n’a pu former un gouvernement qu’après trois mois de négociations chaotiques, qui se sont soldées par des échecs, à gauche comme à droite. Son gouvernement, minoritaire, devrait organiser de nouvelles élections au printemps.] Le problème, c’est avant tout l’anticommunisme des acteurs de la vie politique tchèque. Au Parlement, par exemple, il existe deux pôles irréconciliables : les partis “démocratiques” et les communistes. Une telle division est aussi hypocrite que stupide. Hypocrite, parce que nous avons déjà un président élu avec le soutien des communistes et personne n’y trouve rien à redire ; en revanche, composer un gouvernement avec le soutien des communistes relève du tabou. Et stupide parce que, dans le club démocratique conçu de la sorte, c’est uniquement l’ODS, l’opposant historique des communistes, qui tire son épingle du jeu, ses autres associés de circonstances ne jouant que le rôle d’idiots utiles. Le Parti social-démocrate (CSSD), lui, ne tire désormais sa raison d’être que de sa capacité à proposer une alternative à l’ODS. Or la période électorale écoulée a justement montré à ceux qui ne l’avaient pas compris auparavant que les sociaux-démocrates ne peuvent appliquer leur programme qu’à condition d’avoir une ouverture sur les deux côtés, vers les communistes et vers le centre. Cette règle s’adresse tout autant aux petits partis qui veulent mener leur politique à l’écart des grands. Leur anticommunisme les pousse vers la droite, or, sur cette partie du spectre politique, l’ODS les maintiendra toujours hors jeu. Leur seul véritable avenir est dans l’espace vacant du centre, mais cela sous-entend une coopération égale avec l’ODS et les sociaux-démocrates. Un autre phénomène bloque la démocratie tchèque – peut-être moins directement mais sans doute plus gravement. C’est le fossé grandissant entre le monde de la politique et les électeurs – tout juste bons à voter pour les représentants des grands partis, ceux qui disent fièrement être passés par l’épreuve du feu des élections à répétition. Une épreuve bien artificielle d’ailleurs puisqu’ils ne doivent leur ascension qu’à leur position dans l’organigramme de leur formation politique. Les Tchèques ont peur de toute forme de grande coalition parce qu’elle risque d’approfondir encore ce fossé. Et de contribuer à l’isolement des élites politiques qui ne trouveront alors de consolation que dans leurs liens de plus en plus étroits avec le monde des affaires. Jaromir Prochazka Literarni Noviny, Prague P 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 828p22et24 12/09/06 16:20 Page 22 amériques ● É TAT S - U N I S Dick Cheney ne fait plus la pluie et le beau temps Cinq ans après le 11 septembre, le vice-président a perdu de son influence. Il n’a plus les moyens d’imposer la concentration des pouvoirs dans les seules mains de Bush. THE NEW YORK TIMES (extraits) New York ès l’instant où des agents des ser vices secrets ont débarqué dans le bureau du vice-président Dick Cheney, le 11 septembre 2001, et se sont engouffrés avec lui dans le Centre souterrain des opérations d’urgence, on a cru qu’il serait impossible de l’arrêter dans son entreprise visant à bouleverser les pouvoirs de la présidence. En quelques minutes, Cheney avait pris les commandes pour réagir aux attentats. En quelques semaines, il avait pris le contrôle du programme d’écoutes téléphoniques et de surveillance électronique sans mandat. En quelques mois, son équipe et lui avaient défendu le principe d’une réinterprétation des lois de la guerre afin de pouvoir détenir indéfiniment les “combattants ennemis” et de les interroger dans des installations secrètes de la CIA disséminées dans le monde entier. Cependant, au moment où le pays célèbre le cinquième anniversaire des attentats, l’influence du vice-président et les pouvoirs qu’il s’est arrogés sont remis en question. Le Congrès et la Cour suprême ont rejeté ses exigences quand il a demandé que seul le président, en tant que chef des forces armées, puisse établir les règles de dé- Car toonists & Writers Syndicate D De gauche à droite, Dick Cheney, George W. Bush, Donald Rumsfeld. “– L’Irak fait partie de la guerre mondiale contre le terrorisme. – Et c’est grâce à nous.” Dessin de Telnaes, Etats-Unis. tention et d’interrogatoire des terroristes présumés, comme celles de la surveillance nationale. Il est évident que Bush et Cheney n’ont pas renoncé à accroître les pouvoirs de la présidence, comme en témoigne la nouvelle loi qu’ils viennent de soumettre au Congrès. Cette dernière devrait leur permettre d’établir ce qui constitue une preuve, de continuer à définir les techniques d’interrogatoire comme ils l’entendent et à in- tercepter les communications privées comme ils le font déjà depuis cinq ans. Mais, alors qu’ils espéraient simplement s’arroger ces pouvoirs sans intervention du législatif, leurs efforts ont échoué. Pour Cheney, il s’agissait clairement de redonner à la présidence une autorité qui, selon lui, avait été dangereusement amoindrie après la guerre du Vietnam et l’affaire du Watergate. Sur les questions de sécurité nationale, Cheney, qui fut autrefois le conseiller privilégié d’un président néophyte dans le domaine des affaires étrangères, demeure un personnage clé. Mais il doit désormais lutter avec d’autres responsables influents, comme la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice, pour préserver son pouvoir. Au cours de ces dix-huit derniers mois, il semble avoir cédé, non sans rechigner, sur la question de la détention et, pour le moment tout du moins, sur la ligne à adopter avec l’Iran et la Corée du Nord. Le 8 septembre, la commission du Sénat sur le renseignement – pourtant contrôlée par des alliés républicains du vice-président – a déclaré que les affirmations réitérées de Cheney sur les liens entre Saddam Hussein et Al-Qaida étaient infondées. La mesure de l’accumulation du pouvoir ou de son érosion n’est pas une science exacte. Mais, après des entretiens menés ces cinq derniers mois avec divers acteurs, parmi lesquels d’anciens ou d’actuels conseillers à la MaisonBlanche, des diplomates étrangers, des membres du Congrès et des proches de Cheney, il est possible d’ébaucher un tableau de la situation du vice-président, dont les pouvoirs semblent désormais s’étioler. Avec la démission, à l’automne 2005, de son plus proche adjoint, J. Lewis Libby Jr., qui a été inculpé dans l’affaire des fuites de la CIA, Cheney a perdu ce radar d’alerte avancée qui lui conférait son contrôle sur la bureaucratie fédérale. De source gouvernementale, on affirme que Cheney et ses assistants sont obligés de se battre pour s’occuper de dossiers dont ils se seraient emparés sans problème il y a quelques années. Bush aurait appris à moins dépendre de Cheney pour ce qui est de l’information. Quand Joshua B. Bolten est devenu secrétaire général de la Maison-Blanche, au début de 2006, il a déclaré qu’il tenait à ce que le président entende des sons de cloche différents. Mais c’est peut-être au Capitole que la perte d’influence de Dick Cheney est la plus sensible. Le temps est révolu où il pouvait imposer ses vues sans être contredit, avantage qu’il avait connu tout au long du premier mandat. Qu’il s’agisse du traitement des terroristes présumés ou de la E TAT S - U N I S Silence, la torture continue L’armée a officiellement renoncé à mener des interrogatoires musclés. Mais Bush permet à la CIA de recourir à des méthodes plus brutales encore. a nouvelle politique américaine sur le traitement des personnes suspectées de terrorisme implique que dorénavant l’armée ne pourra plus recourir à des méthodes brutales ou extrêmes pour extorquer des informations à des ter roristes présumés. La CIA, elle, peut continuer. Cette nouvelle approche, fruit d’un âpre débat au sein du gouvernement sur la meilleure façon d’obtenir des renseignements utiles auprès de suspects, a été présentée par le président Bush en personne lors de son discours du 6 septembre dernier [au cours duquel il a également reconnu l’existence de prisons secrètes de la CIA à l’étranger et a annoncé le transfer t de 14 suspects à Guanta- L namo Bay]. Mais, en autorisant la CIA à avoir recours à des méthodes musclées avec certains détenus, Bush risque de susciter une nouvelle fois des questionnements sur les pratiques américaines et de déclencher les foudres des défenseurs des droits de l’homme. Au cours des cinq années qui ont suivi le 11 septembre 2001, les responsables du gouvernement ont toujours défendu l’utilisation de méthodes brutales pendant les interrogatoires, af firmant que celles-ci permettaient d’obtenir des informations susceptibles d’éviter de futurs attentats et donc de sauver des vies. Mais les militaires ont, au contraire, assuré que ces techniques étaient contreproductives et qu’elles finissaient toujours par engendrer des abus. L’annonce du 6 septembre n’a donc été qu’un compromis censé réconcilier les par tisans de la méthode dure et les militaires, plus attachés à la tradition. Culturellement et moralement, l’armée répugne en effet à employer des méthodes d’interrogation non orthodoxes. Elle se voit donc, par ce compromis, dégagée de l’éventualité de recourir à de telles techniques sur ses prisonniers. Le nouveau manuel du soldat n’autorise que dix-neuf procédures d’interrogatoire et proscrit les pratiques les plus controversées – encapuchonner les détenus, mettre en scène de fausses exécutions, utiliser de l’eau pour simuler la noyade. La CIA, en revanche, se réser ve le droit d’employer des techniques plus br utales. Geor ge Bush affirme que ces méthodes ont été efficaces puisqu’elles ont permis de faire parler cer taines des 14 personnes soupçonées d’appartenir à d’Al-Qaida qui viennent d’être transférés à Guantanamo Bay. Les responsables du gouvernement ont par ailleurs souli- COURRIER INTERNATIONAL N° 828 22 gné que les pratiques de la CIA se déroulent dans un cadre légal et n’ont rien à voir avec la torture. Mais le président et son entourage ont systématiquement refusé de révéler quelles étaient ces fameuses méthodes. L’armée peut être satisfaite de ce compromis. Elle peut désormais soutenir que ses soldats agissent en totale conformité avec les traités internationaux et qu’ils s’abstiennent de tout acte de torture. Les défenseurs des droits de l’homme ont, de leur côté, salué la volonté de l’armée de respecter les garanties des conventions de Genève et la décision de l’étatmajor de rendre publiques ses procédures d’interrogatoire. Mais ils craignent que le compromis soit en réalité un pas en arrière. “Ils ont décidé de dégager l’armée de tout ce qui touche à la torture, et de laisser ça à la CIA. Voilà le problème”, s’of fusque Jumana Musa, d’Amnesty International. DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 Le nouveau manuel du soldat comporte toutefois une technique d’usage restreint, réservée à ceux que l’on appelle les “ennemis combattants”, comme les personnes soupçonnées d’appartenir à Al-Qaida, et non aux prisonniers de guerre traditionnels. Cette technique, dite de la “séparation”, consiste à séparer un détenu de ses congénères. D’après l’étatmajor, cette séparation n’équivaut pas à la mise à l’isolement, et respecte donc les conventions de Genève. Elle nécessite, de plus, d’obtenir l’autorisation d’un général, afin d’éviter les abus. Pour la CIA, baignée dans la culture du secret, le grand déballage de l’armée sur ses procédures d’interrogatoire frise l’anathème. Les responsables de la CIA considèrent en effet que le simple fait d’évoquer les méthodes autorisées sape leurs capacités à interroger Julian E. Barnes les terroristes. Los Angeles Times, Los Angeles 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 828p22et24 12/09/06 16:23 Page 24 amériques supervision par le Congrès de la sur- veillance nationale, le vice-président a dû faire marche arrière. La Cour suprême lui a récemment porté un coup terrible en refusant d’accroître les pouvoirs présidentiels. A la mijuillet, elle a exigé de la Maison-Blanche qu’elle reconnaisse aux terroristes présumés le droit à un traitement humain et à une protection juridique, conformément aux conventions de Genève. Le discours prononcé par Bush le 6 septembre [où il a annoncé que 14 terroristes présumés venaient d’être transférés à Guantanamo pour y être jugés] revient à proposer des négociations avec le Congrès sur la question des tribunaux devant lesquels doivent être traduits les suspects. Autrement dit, il s’agit d’un marchandage sur l’étendue des pouvoirs de Bush. A partir de 2004, Bush a commencé à reconnaître devant des dirigeants étrangers en visite dans le bureau ovale que bien des choses s’étaient mal passées pendant son premier mandat, et il a confié à Condoleezza Rice le soin de gérer la consultation et la collaboration avec les alliés. La nouvelle secrétaire d’Etat a rapidement imposé son autorité. En septembre 2005, elle a envoyé son émissaire personnel négocier avec la Corée du Nord, ce qui, jusqu’à présent, n’a pas porté ses fruits. Au printemps 2006, elle a estimé que le seul moyen de maintenir la coalition internationale contre l’Iran était d’accepter de discuter avec Téhéran, à la condition que l’Iran accepte au préalable de suspendre sa production d’uranium, ce qu’il refuse toujours. Cette évolution mérite d’être soulignée, car, pendant le premier mandat de George W. Bush, c’est en vain que les principaux conseillers de Colin Powell s’étaient efforcés de promouvoir l’idée de contacts directs avec l’Iran. “LES GENS ME VOIENT COMME LE DARK VADOR DU GOUVERNEMENT” Les proches de Cheney le reconnaissent, le départ de Libby a été un coup particulièrement dur pour le vice-président. En tant que directeur de cabinet, Libby était les yeux et les oreilles de Cheney à Washington. Passé maître dans l’art de se faufiler dans le labyrinthe bureaucratique, il étouffait les idées qui déplaisaient à Cheney avant qu’elles n’atteignent le bureau Ovale. “Scooter [Libby] a été une grosse perte”, admet un proche de la vice-présidence. Cheney, quant à lui, ne veut rien savoir des sondages, qui ne lui donnent plus que 20 % d’opinions favorables. “Parfois, j’imagine que les gens pensent que je suis le DarkVador du gouvernement”, at-il récemment déclaré sur l’antenne de CNN. “Je ne suis candidat à rien. Politiquement, ma carrière va prendre fin avec ce gouvernement. J’ai la liberté et le luxe, tout comme le président, de faire ce qui,selon nous,est bien pour le pays.” Cheney apparaît toujours en public, surtout devant des parterres de militaires ou de militants républicains. Ses interventions se résument à dénoncer les démocrates qui appellent à un retrait des troupes américaines d’Irak. Ce qui compte avant tout pour lui, c’est de convaincre les Américains qu’ils sont bel et bien en guerre, et que la défaite n’est pas envisageable. David E. Sanger et Eric Schmitt M E X I QU E Impossible de sortir du bourbier politique Felipe Calderón entrera-t-il en fonctions ? La crise des institutions est telle que le président nouvellement élu aura bien du mal à trouver une légitimité. “Je suis le président du Mexique.” Dessin de Boligan paru dans El Universal, Mexico. désormais incapable de gouverner, car les partis et les institutions se disputent le pouvoir en privilégiant le clientélisme au détriment des valeurs démocratiques. Faute d’un cadre institutionnel efficace pour les résoudre, les conflits se sont déplacés dans la rue, notamment à Oaxaca [voir CI n° 827, du 7 septembre 2006] et à Mexico [où les partisans du candidat malheureux à l’élection Andrés Manuel López Obrador occupent le centre-ville], et le grand banditisme dépèce un pays qui a renoncé à garantir tant soit peu la cohésion sociale, des emplois correctement rémunérés, une justice impartiale et la sécurité pour tous. BIEN PLUS QU’UN SIMPLE DRAME RÉPUBLICAIN Fuyons ! PROCESO Mexico e Mexique semble s’engager dans la voie qui a coûté la présidence de l’Equateur à Jamil Muhammad en janvier 2000, celle de l’Argentine à Fernando de la Rúa en décembre 2001, et celle de la Bolivie à Javier Sánchez Lozada en octobre 2003. En destituant des présidents démocratiquement élus, la rue semblait, à première vue, vouloir mettre un coup d’arrêt à des processus de normalisation institutionnelle entamés depuis près de vingt ans en Amérique latine. Il s’agissait en fait d’un appel à davantage de démocratie. Aujourd’hui, au Mexique, la mobilisation suscitée par les accusations de fraude électorale pourrait bien aller jusqu’à empêcher l’entrée en fonctions du président, prévue le 1er décembre. Car, même en imaginant que Felipe Calderón [PAN, droite catholique, désigné président le 6 septembre après le recomptage partiel des votes de l’élection du 2 juillet] réussisse à revêtir l’écharpe présidentielle, il est d’ores et déjà probable qu’il aura bien du mal à terminer son mandat de six ans. Alors que d’autres pays d’Amérique latine traversent des crises de gouvernabilité, le Mexique connaît, lui, une crise de la démocratie. La présidence de la République, l’Institut fédéral électoral (IFE) et le Tribunal électoral du pouvoir judiciaire étaient chargés à divers titres d’assurer la normalité démocratique dans la première succession de l’après-Parti révolutionnaire institutionnel (PRI). Aucune de ces institutions n’a été à la hauteur. Le président Vicente Fox a utilisé jusqu’à l’obsession tous les recours possibles et imaginables – pour la plupart illégaux –, non pour soutenir le candidat de son parti, mais pour empêcher l’arrivée au pouvoir d’Andrés Manuel López Obrador dans la mesure où L celui-ci faisait planer une menace sur le gouvernement de la République que Fox avait transformé en entreprise. Fox n’a par ailleurs pas hésité à coopter le Conseil citoyen de l’IFE – avec la complicité du PAN et du PRI –, lui imposant des directives au mépris de toute transparence, de toute légalité et de toute impartialité. Quant au Tribunal électoral, il a opté pour le formalisme juridique, ce qui, loin de dissiper les doutes sur la fraude électorale, revenait à donner un certificat d’impunité au pouvoir politique et au pouvoir économique, aussi bien pour cette élection que pour celles à venir. LES CONFLITS SE SONT DÉPLACÉS DANS LA RUE En résumé, le pays est plongé dans la plus grande crise de gouvernabilité de ces quarante dernières années. Les institutions ne fonctionnent plus et le tissu social est en lambeaux. Pendant plusieurs décennies, le Mexique a connu une gouvernance sans démocratie, et ce système a fonctionné grâce à l’autoritarisme présidentiel qui a caractérisé les soixante-douze ans de règne du PRI. Ce régime de parti unique a cédé la place à une parodie de démocratie, Plusieurs entrepreneurs et employés d’Oaxaca ont décidé de partir, souvent à l’étranger, pour fuir la minirévolution qui sévit depuis plus de cent jours dans la ville (voir CI n° 827, du 7 septembre 2006). Selon José Escobar, président de l’entreprise publique COPARMEX, plus de trente familles ont déjà décidé d’abandonner la ville. Selon lui, ce sont “le manque de sécurité et le climat de terreur” qui sont à l’origine de ces départs. Les entrepreneurs sont la cible de l’Assemblée populaire du peuple d’Oaxaca (APPO), qui les accuse d’exploiter le peuple, affirme le quotidien Milenio. Dès lors, les citoyens ne croient plus qu’aucune de leurs institutions politiques puisse satisfaire leurs revendications et, surtout, leurs besoins. Cela se manifeste par la division de l’électorat en trois tiers presque égaux : ceux qui ont voté pour un changement réel dans les relations entre pouvoir politique, pouvoir économique et pouvoir social, incarné par López Obrador ; ceux qui ont voté avec Felipe Calderón pour que rien ne change ; et, enfin, ceux qui ont égaré leurs voix dans l’inertie autoritaire que représente le PRI ou dans des formations politiques qui n’ont aucun programme à proposer mais qui se disputent une partie du budget. On ne peut donc pas reprocher à López Obrador d’avoir critiqué les institutions, tant elles ont fait preuve de leur incapacité à contenir et à résoudre pacifiquement les conflits. Le Mexique se convulse pour ce qui est bien plus qu’un simple drame républicain. La mobilisation postélectorale à Mexico, la violence de la crise politique et sociale à Oaxaca, les assassinats quotidiens dans tout le pays, le discrédit des partis politiques et la méfiance des citoyens envers les institutions fondamentales du pays, voilà qui compromet tout l’équilibre institutionnel de notre système politique. Gerardo Albarrán de Alba V I VA M E X I C O Le cri d’Amlo ■ Chaque année, à l’occasion de la fête nationale du Mexique (les 15 et 16 septembre), le président mexicain pousse le “cri de l’indépendance”, “¡Viva México!” devant le peuple réuni sur la place centrale de la capitale, le Zócalo. Cette année s’annonçait un peu particulière. Depuis plusieurs semaines, Andrés COURRIER INTERNATIONAL N° 828 24 Manuel López Obrador (dit Amlo), le candidat de l’opposition à la présidentielle qui a eu lieu le 2 juillet, occupe cette place avec ses partisans pour contester sa défaite. Amlo a d’ores et déjà annoncé son intention de pousser son propre cri sur le Zócalo devant ses partisans. Il a toutefois précisé qu’il DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 se retirerait à 2 heures du matin pour laisser la place au traditionnel défilé militaire, explique le quotidien La Jornada. Mais le répit sera de courte durée, car, dès l’après-midi, Amlo reviendra. Il a en ef fet appelé les Mexicains à se rassembler sur le Zócalo pour une “convention nationale démocratique”. 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 828p26 12/09/06 14:39 Page 26 amériques NICARAGUA Vent d’espoir pour Daniel Ortega, l’éternel candidat Le 5 novembre, ce sera la cinquième fois que le leader sandiniste se présente à une élection présidentielle. Cette fois-ci avec l’aide non dissimulée du président vénézuélien Hugo Chávez… diaque, Daniel Ortega critique toujours aussi vivement le gouvernement américain. Son aversion pour le clan Somoza et les Etats-Unis remonte à loin : tout a commencé par la mort de deux de ses frères – due, selon lui, aux conditions sanitaires précaires du pays. Né en 1945, Ortega intègre la Juventud Patriótica Nicaragüense, un mouvement d’opposition à la dictature des Somoza, alors qu’il est à peine âgé de 15 ans, puis rejoint le tout jeune Front sandiniste de libération nationale (FSLN). En 1967, sous le gouvernement d’Anastasio Somoza fils, Ortega est arrêté par la garde nationale et emprisonné. TALCUAL Caracas J e me sens très proche de Kadhafi, de Chávez, de Fidel, de Lula et d’Evo (Morales).” C’est par ces paroles que Daniel Ortega a lancé, en avril dernier, sa cinquième campagne pour l’élection présidentielle [qui aura l i e u l e 5 n ove m b r e ] , d é c i d é à convaincre le peuple du Nicaragua de le réélire à la présidence du pays [qu’il a assurée de 1985 à 1990]. Avec ce “discours de confrontation”, le chef historique de la révolution sandiniste semble avoir oublié que, en 1990, à quelques jours de l’élection, ses déclarations intransigeantes avaient amené les électeurs indécis à élire Violeta Chamorro. Il compte évidemment sur l’aide non négligeable de son ami Hugo Chávez, qui a déjà promis d’envoyer du pétrole bon marché aux municipalités sandinistes et qui l’a soutenu au cours de deux émissions d’Aló Presidente [le talk-show hebdomadaire du président vénézuélien]. Daniel Ortega a cependant peaufiné son discours – il se réfère de moins en moins souvent à Augusto Sandino [leader révolutionnaire qui luttait contre l’occupation américaine dans les années 1920 et qui fut assassiné en 1934] – et montre désormais l’image rajeunie d’un nouveau leader de la gauche régionale – ou d’un socialdémocrate qui se donnerait des airs de gauche. Il a ainsi troqué son uniforme vert olive et son foulard rouge et noir contre d’élégantes chemises à IL EST CONSIDÉRÉ COMME UN BOURREAU DE TRAVAIL Ortega. Dessin de Cajas, Equateur. carreaux. Il continue pourtant d’attiser les craintes des Etats-Unis, qui le placent dans “l’axe socialiste du mal” aux côtés du chef de la révolution bolivarienne [Hugo Chávez], de Fidel Castro et d’Evo Morales. Et il est vrai que, à 60 ans, malgré quelques cheveux blancs et un léger problème car- En 1974, le FSLN l’échange contre des otages au gouver nement de Somoza. En février 1979, alors que le Front patriotique national prend le pas sur la dictature, Ortega représente le FSLN dans la junte de reconstruction nationale, une coalition majoritairement sandiniste. Lorsque, le 17 juillet 1979, les Somoza fuient à Miami, Ortega a 33 ans et n’a plus rien du campagnard renfermé. Plutôt mince, il porte de grandes lunettes qui soulignent son air intellectuel. La coalition dirigée par Ortega, entouré d’un g roupe bigar ré de sandinistes, d’hommes d’affaires et de Violeta Barrios de Chamorro, prend les commandes du gouvernement. Il modère alors son discours et est, en 1984, élu président avec 60 % des voix. Face à un pays dévasté par la guerre, Ortega demande l’aide de la communauté internationale et signe un traité de paix avec les militaires américains. Il espère ainsi sauvegarder la neutralité du Nicaragua et préserver l’économie nationale mixte. Alor s que l’élection du 25 février 1990 semblait lui être acquise, il reprend lors de son dernier meeting de Managua ses accents intransigeants des années 1980, et perd ainsi la masse décisive des électeurs indécis qui craignent un retour à la violence. La candidate de l’Union nationale de l’opposition, Violeta Chamorro, est élue présidente avec 15 points d’avance. Daniel Ortega prend alors la direction du FSLN, et c’est en tant que secrétaire général du parti qu’il se présente à l’élection de 1996, où il perd de nouveau, face à Arnoldo Alemán. Cette défaite ne le décourage pas : il réitère sa candidature en 2001 et est largement battu par le candidat du parti libéral de droite, Enrique Bolaños. Grand pour un Centraméricain (il mesure 1,80 m), Daniel Ortega est considéré par ses sympathisants comme par ses adversaires comme un bourreau de travail. A deux mois de l’élection, l’économie qui bat de l’aile et l’essor de la gauche sur le continent sud-américain ont fait légèrement remonter sa cote dans les sondages. On ne peut quand même pas perdre quatre fois de suite aux élections ? Jolguer Rodríguez Costa É QU AT E U R Un musée pour épingler corrupteurs et corrompus Buenos Aires compte déjà son musée de la Dette. Quito aura bientôt son musée de la Corruption, où seront présentés la plupart des actes honteux dont les dirigeants du pays se sont rendus coupables. EL MUNDO Madrid elon le dernier rapport de l’ONG Transparence internationale, l’Equateur est l’un des trois pays les plus corrompus d’Amérique, avec Haïti et le Paraguay. Les Equatoriens euxmêmes sont convaincus que leur pays est le plus vendu de la planète, et lui donnent une note de 4,9 sur une échelle de 5. Comme si cela ne suffisait pas, 27 % d’entre eux répondent spontanément par l’affirmative lorsqu’on leur demande s’ils ont eu recours aux pots-de-vin dans les douze derniers mois pour régler un problème. Pour remédier à ce qu’il considère comme une “véritable maladie contagieuse”, le médecin équatorien S ■ Elections Le 15 octobre prochain se tiendront les élections présidentielle et législatives en Equateur. Les Equatoriens, qui ont l’obligation d’aller voter, devront choisir entre 11 candidats. Le candidat de centre gauche, León Roldós, est en tête du dernier sondage, indique le quotidien La Hora. Ney Dolberg a décidé d’ouvrir dans la capitale équatorienne le musée de la Corruption. “L’objectif est de ne pas oublier notre histoire, commente-t-il. Ces dernières années, nous avons eu pas moins de huit présidents accusés de corruption, qui ont souvent été contraints à l’exil. Cela ne sert à rien de les faire partir si le suivant est encore pire.” LA PLUPART DES ANCIENS PRÉSIDENTS SONT VISÉS Le musée – qui devrait ouvrir ses portes avant l’élection présidentielle du 15 octobre – s’inspire du musée de la Dette de Buenos Aires [ouvert en octobre 2003, voir CI n° 670, du 4 septembre 2003]. C’est un projet mûri de longue date, pour lequel Dolberg s’est entouré d’intellectuels, d’avocats, de journalistes et d’artistes équatoriens. Il s’est aussi adjoint la COURRIER INTERNATIONAL N° 828 26 collaboration de la municipalité (qui a fourni le local) et de l’université catholique de Quito (qui rassemblera la documentation historique nécessaire). Il a par ailleurs créé une chaire sur la prévention de la corruption. Le musée sera aussi financé par des institutions publiques, comme l’ambassade du Venezuela. Les faits les plus honteux de l’histoire du pays seront présentés à travers des expositions, des photos, des dessins d’humour, des figures de cire, des décisions de justice, des vidéos ou des coupures de presse. Le tout sera divisé en trois sections : les pratiques des gouvernants et celles de la population – car, pour qu’il y ait des gouvernants corrompus, il faut qu’il y ait des citoyens corrompus, rappelle Dolberg –, une galerie d’images montrant les cas les plus scandaleux et le DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 Coin de l’ignominie. Dans cette dernière section, on présentera les personnages les plus honteux de l’année, du mois ou de la semaine. “Il y a de quoi faire”, affirme Dolberg. Pour faire partie de la liste noire, il faudra passer au préalable par le “corruptomètre”, qui qualifiera les actes les plus indécents. “La plupart des anciens présidents équatoriens” seront épinglés, note Dolberg, qui n’exclut pas de compléter le tout par une section internationale comprenant, par exemple, “la famille de Pinochet”. Selon les calculs de Dolberg, le coût social de la corruption s’élève en Equateur à 2,3 millions d’euros par an. L’équivalent des dépenses du pays pour alimenter en électricité toute sa population pendant un an. Isabel García 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 *828 p29 12/09/06 14:23 Page 29 asie ● A F G H A N I S TA N - PA K I S TA N Cinq ans après, le grand bond en arrière Islamabad vient de conclure un pacte avec les chefs tribaux du Waziristan, la région pakistanaise où les talibans afghans ont installé leurs bases arrière. De quoi nourrir les inquiétudes de New Delhi. Interrogatoire.“Il dit qu’il ne sait rien sur les talibans. Il dit qu’il n’est qu’un honnête cultivateur de pavot.” Dessin de Danziger, Etats-Unis. THE INDIAN EXPRESS New Delhi l y a cinq ans, les attentats du 11 septembre ramenaient l’Afghanistan sur le devant de la scène et entraînaient la chute du régime taliban. Mais ce succès est le seul souvenir positif de cette période. Car l’Inde ne peut que s’inquiéter. Les talibans sont sur le chemin du retour et, une fois encore, les avertissements indiens ne trouvent pas d’écho. Si l’on ajoute l’accord du 5 septembre dernier entre Islamabad et les chefs tribaux du Waziristan [région occidentale du Pakistan, à la frontière de l’Afghanistan], aux termes duquel l’armée pakistanaise devait se retirer en échange de la paix civile, on a là une recette garantie pour un futur désastre. L’Inde ne manquera pas d’aborder cette question lors de l’assemblée générale des Nations unies, qui s’est ouverte le 12 septembre mais aussi au cours de ses consultations avec les grandes puissances. Depuis l’an dernier, on a recensé en Afghanistan 52 attentats suicides, 36 enlèvements, 264 explosions de mines et 122 attaques à la roquette. Au cours des huit derniers mois, près de 2 000 personnes ont trouvé la mort, talibans compris.Tout cela est certes alarmant, mais ce qui inquiète surtout New Delhi, depuis quelques mois, c’est la façon qu’ont les talibans d’orchestrer leurs opérations. En effet, on n’assiste plus à de simples coups de main. Ce sont désormais des groupes de 70 à 100 hommes (parfois 150) qui lancent des opérations conventionnelles contre les forces de la coalition.Vu de l’Inde, il s’agit pratiquement d’une répétition de ce qui s’était passé au début des années 1990, quand les talibans s’efforçaient de gagner du terrain et qu’ils I Terrorisme se réorganiser et de se préparer.Troisièmement, les équipes de reconstruction provinciales, qui comprennent également des unités de l’OTAN, répondent davantage aux préoccupations politiques de leurs pays respectifs qu’aux besoins locaux. Quatrièmement, la culture du pavot a atteint des records, ce qui a encouragé l’économie de la drogue, au cœur de la stratégie de financement des talibans. 0 250 km Faizabad Ligne PA K I S TA N Durand Mazar-e-Charif Bamiyan Herat Kaboul A F G H A N I S TA N PFNO* Peshawar Waziristan AH ND KA LM AN IRAN AR D Kandahar HE * Province-de-la-Frontière-du-Nord-Ouest. Courrier international avaient fini par prendre le contrôle de la plus grande partie de l’Afghanistan. Depuis 2001, il est arrivé que les talibans prennent des villages et qu’ils y imposent leurs diktats pendant plusieurs jours avant d’être repoussés par des forces de la coalition ou de l’OTAN. C’est cette méthode conventionnelle de combat qui inquiète. Les attaques se sont multipliées ces derniers mois, après le remplacement des 4 500 soldats américains par des forces sous commandement de l’OTAN. Selon plusieurs sources, c’est précisément le retrait des troupes américaines qui encourage la témérité des attaques des talibans. Les raisons du retour des talibans sont multiples. Premièrement, les forces de l’OTAN appliquent des règles d’engagement différentes, qui favorisent le combat défensif plutôt que l’assaut. Deuxièmement, la base arrière des “étudiants en religion” au Pakistan (dans les environs de Quetta) leur a donné la possibilité de Alors que le Waziristan est montré du doigt par la communauté internationale comme un refuge pour les talibans, la porteparole du ministère des Affaires étrangères pakistanais réaffirme l’importance de la lutte contre le terrorisme pour son pays. Ses propositions : favoriser l’éducation et le développement sur le long terme, et, à court terme, envisager une solution militaire. BALOUTCHISTAN INDE Quetta Pour l’Inde, il est certain que ces derniers vont se montrer de plus en plus téméraires et qu’ils vont tenter de lancer des opérations plus ambitieuses dans le sud de l’Afghanistan. Cette évolution est imminente, et, dans le même temps, ils préparent le terrain au Waziristan, conformément à l’accord conclu par le président Pervez Musharraf. Ce dernier a beau affirmer que la Ligne Durand [frontière contestée qui sépare le Pakistan de l’Afghanistan depuis 1893] ne sera pas violée, cette promesse suscite le doute en Inde. A la différence du sud et du sud-est de l’Afghanistan, dominés par les talibans, cette région, selon nos sources, est également en partie contrôlée par les responsables d’Al-Qaida. LA MACHINE DE GUERRE TALIBAN SE RÉORGANISE L’accord va donc faciliter la réorganisation des talibans, comme il y a quinze ans. Nos sources affirment que les forces terrestres américaines sont parfaitement conscientes du problème, mais, manifestement, les responsables indiens considèrent qu’il y a comme une “déconnexion politique” à Washington, la Maison-Blanche ne s’étant pas opposée au pacte de Musharraf. Officiellement, les EtatsUnis disent ne pas vouloir appliquer au Pakistan une politique du “bâton sans carotte”. Mais, derrière tout cela, la réalité incontournable est la résurgence des talibans en tant que machine de guerre organisée et consolidée, alors que la mise en place d’une armée nationale afghane n’en est toujours qu’au stade embryonnaire. Alors que nous venons de fêter le cinquième anniversaire des attentats du 11 septembre, tout cela n’augure rien de bon. Pranab Dhal Samanta NÉPAL Mieux vaut l’ordre maoïste que l’anarchie ! Les autorités de Katmandou voudraient désarmer les rebelles. Mais les soldats, très impopulaires, sont incapables de garantir la sécurité publique. e Népal est certainement à l’un des tournants majeurs de son Histoire, et le moindre faux pas peut mener au désastre. Le 16 juin dernier, l’alliance des sept partis qui forment la coalition gouvernementale a réussi à conclure avec les maoïstes une série d’accords qui ont toutes les chances de conduire le pays à la paix et à la liberté [voir CI n° 816, du 22 juin 2006]. Mais les L Etats-Unis, en voulant à tout prix désarmer les insurgés, qu’ils assimilent à des terroristes, bloquent leur application. Le gouvernement a donc modifié son discours et ne laisse désormais planer aucun doute sur sa volonté de désarmer d’abord les rebelles. Il faudra bien sûr que les maoïstes y viennent un jour ou l’autre ; mais, dans l’état actuel des choses, alors que l’armée népalaise n’est pas encore complètement professionnalisée, les conséquences de ce désarmement seraient catastrophiques. Le Mouvement populaire II [qui a secoué le pays en avril dernier, seize ans après le premier soulè- vement en faveur de la démocratie] a donné de nouveaux espoirs à la population, notamment grâce à la restauration du Parlement et à l’affaiblissement de la monarchie. Depuis, quelques violents incidents isolés ont eu lieu, mais le conflit pourrait prendre des proportions inquiétantes pendant la période de transition, au cours de laquelle doit être élue une Assemblée constituante. Il faut se poser la question : les forces régulières seront-elles capables de maintenir l’ordre si de tels conflits éclatent ? L’histoire montre que l’armée népalaise, avec sa culture d’obéissance aveugle, COURRIER INTERNATIONAL N° 828 29 même à des ordres illégaux, est très vulnérable. Un dirigeant politique fort pourrait donc se servir d’elle. Pour les Népalais, les forces régulières sont davantage au service de la monarchie que du pays ou même du peuple. On les a d’ailleurs déjà accusées de violations des droits de l’homme envers les rebelles pendant les soulèvements de 1990 et de 2006. Par ailleurs, tout le monde sait qu’aujourd’hui encore les officiers issus de minorités ethniques ne peuvent espérer monter en grade. Le peuple doute donc de sa capacité à se montrer impartiale face à d’éventuels DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 soulèvements ou face aux réclamations pour l’égalité des droits sur les plans ethnique et linguistique. Il est temps, à présent, que l’armée se professionnalise. Car, si la situation devait dégénérer pendant la période de transition, on ne pourrait pas se reposer sur l’ONU. Les insurgés doivent être désarmés et les forces régulières professionnalisées. En attendant ce jour, chacun doit accepter le fait que les maoïstes demeurent le bouclier qui protège les minorités, qui d’ailleurs les considèrent souvent comme Uday Bajracharya, des sauveurs. eKantipur.com, Katmandou 828p30-32 12/09/06 11:39 Page 30 asie DOSSIER INDONÉSIE Les islamistes marquent des points ■ Le plus grand pays musulman du monde est connu pour pratiquer un islam tolérant. Mais des groupes radicaux tentent d’y introduire peu à peu leur doctrine. ■ Les militants de la Jamaah Islamiyah, proche de la mouvance d’Al-Qaida, multiplient les attentats, tandis que d’autres mouvements essaient de faire entrer certains préceptes coraniques dans la législation. Le journal intime d’un fabricant de bombes Dans le cahier du jeune terroriste Jabir, des poèmes dédiés à sa mère voisinent avec des réflexions sur le djihad. Extraits. TEMPO Jakarta “Pour ma maman chérie Des bonjours tendres… et aimants… Toujours patient et pieux… Avec ces quelques lignes, je me console de maman qui me manque tant. Dimanche soir, 4 septembre 2005, 21 h 47, dans l’ouest de l’Indonésie. C’est assez pour ce soir, j’ai sommeil…” Il s’agit d’un extrait du journal intime de Gempur Budi Angkoro, alias Jabir. Selon la police, ce jeune homme de 27 ans était le fabricant de bombes du groupe terroriste dirigé par Azahari et Noordin M. Top [ce dernier est toujours en fuite]. Ce document a été découvert dans la maison d’un village de Wonosobo, dans le centre de Java, lors de l’assaut des forces de l’ordre du 29 avril dernier, où Jabir a été tué par balle. Ce journal, qui couvre la période qui va de janvier 2005 à mars 2006, a été écrit à la main d’une écriture appliquée, dans un petit cahier de 106 pages. Chaque paragraphe est soigneusement aligné sur les marges de gauche et de droite. Presque tous les écrits portent une date, parfois un titre, mais aucune mention n’est jamais faite du lieu précis de leur rédaction. Il n’est noté que “Terre d’Allah” ou “Terre d’Hégire” [hijrah, fuite du Prophète de La Mecque pour Médine]. Certains textes sont longs de dix pages, d’autres se limitent à quelques phrases courtes disposées sur plusieurs lignes, comme un poème. Certains commencent par “bismillah [au nom de Dieu]”, d’autres par une citation d’un verset du Coran ou d’un hadith [faits et paroles du Prophète rapportés par la tradition]. ■ Ordinateur Malgré l’arrestation récente d’Agung Setyadi, un professeur d’économie et de techniques bancaires d’un institut de Semarang, qui a fait parvenir un ordinateur portable dans la cellule d’Imam Samudra, l’un des cerveaux du premier attentat de Bali en 2002, la police n’a pas encore pu prouver que ce dernier avait dirigé la deuxième série d’attentats à Bali en 2005 depuis sa cellule. En revanche, il a été prouvé que Samudra a utilisé cet ordinateur pour “chatter” avec des gens à l’extérieur de sa prison située sur l’île de Nusa Kembangan, au large de la côte méridionale de Java. Jabir médite sur la direction que sa vie a prise, il parle de ses souvenirs d’enfance avec sa famille à Madium, dans l’est de Java. Il exprime aussi toute son admiration pour Azahari, qui lui a appris à fabriquer des bombes. Ce dernier était d’origine malaisienne. Il est mort en se faisant exploser lorsque la police a pris d’assaut la maison où il se cachait à Malang, dans l’est de Java, en novembre 2005. Il était soupçonné d’être le chef d’orchestre de tous les attentats en Indonésie, depuis celui commis à Bali en octobre 2002. Jabir décrit les agissements de son groupe comme un djihad. Pour cette guerre sainte, ils doivent vivre en état de hijrah : sacrifier tous leurs biens matériels, quitter femme et enfants, renoncer à tous les plaisirs de la vie. “En vérité, la voie du djihad est jonchée de ronces et d’épines, elle est hantée par la peur, la faim et la mort…” écrit-il, parfaitement conscient des risques qu’il prend. ÉLÈVE ENTÊTÉ ET OUVERTEMENT CONTRE LA DÉMOCRATIE Jabir est né dans le village de Mojorejo, dans la région de Madium. Il est le troisième d’une famille de quatre enfants. Sa mère est institutrice. Son père, un petit éleveur de poulets. “C’est volontairement que mon souvenir va d’abord à maman, avant papa. Outre l’amour que je lui porte, c’est aussi parce que l’Envoyé de Dieu nous commande par trois fois de vénérer notre mère avant notre père. Je me souviens encore lorsque j’avais… oh, je ne sais plus quel âge… mais je n’allais pas encore à l’école. A cette époque, la vie de notre famille était assez harmonieuse, on avait un élevage de poulets, plus des poissons-chats et autres. Nous n’avions pas encore de maison Dessin d’Ajubel paru dans El Mundo, Madrid. COURRIER INTERNATIONAL N° 828 Lors de l’assaut de sa planque, un matin de fin avril, la police a découvert une bombe prête à exploser, sans doute fabriquée par lui. Elle a aussi trouvé un cahier où étaient consignés diverses techniques de fabrication des explosifs, ainsi que des croquis de détonateurs et la liste de tous les produits chimiques nécessaires. Ce manuel pratique était également rédigé avec soin, même si ici et là Jabir avait fait de petits dessins dans la marge. Par exemple, à côté de la liste des produits chimiques, il avait dessiné une tête de mort telle qu’on en trouve habituellement sur les bouteilles de produits toxiques. Il s’était amusé à des fantaisies du même genre dans son journal intime, mais sous forme de commentaires. Ainsi, à la page datée du 20 janvier 2005 : “A ma droite et à ma gauche ils crient Mais mes yeux demeurent étourdis Ils n’arrêtent pas de bavarder… Leur bouche pleine d’injures, de blâmes, de mépris Oh… mon Dieu… fais entrer ton serviteur que voici… Dans le paradis éternel… aux côtés des anges…” Dans la marge était ajouté : “Ma parole ! quelle poésie !” 30 DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 et habitions chez grand-mère. Lentement mais sûrement, Allah attendait l’heure pour nous éprouver.Trois poulaillers nouvellement construits prirent feu. Les rides de la douleur sont encore visibles aujourd’hui sur le visage de papa et de maman.Trois jours après l’incendie, maman pleurait toujours tout en cuisinant. […] Lorsque papa partit en Malaisie chercher du travail, maman a dû se tuer au labeur pour nourrir notre famille. A cette époque, mes deux frères aînés étudiaient déjà au pensionnat coranique Al-Mukmin, à Ngruki [près de Solo, dans le centre de Java]. Bientôt je les rejoignis.” Le pensionnat coranique en question est dirigé par Abu Bakar Ba’asyir, l’émir du Conseil des moudjahidin d’Indonésie. Il vient d’être libéré après avoir été condamné à deux ans et demi de prison pour avoir été impliqué dans les attentats de Bali en 2002. “Je me souviens encore lorsque maman m’accompagna pour m’inscrire au pensionnat Al-Mukmin. Elle se fit détrousser à la descente du bus en arrivant à Solo. Elle était si triste qu’elle ne pouvait cacher ses larmes. Je ne savais pas quoi faire. J’ai étudié pendant plus de trois ans dans cette école. Lorsque maman venait me rendre visite, elle m’apportait 10 000 roupies [1 euro]. Je lui disais : ‘Dieu merci, cela suffit.’ En réalité, c’était très loin de suffire, mais jamais je ne le lui ai dit. Les arriérés de ma pension atteignirent bientôt sept mois. J’ai été contraint de dormir sur la terrasse, avec les élèves qui ne pouvaient pas non plus payer leur chambre. Mais j’acceptais cette sanction de bon cœur, car je savais que maman ne pouvait pas me donner plus d’argent.” En 1985, Jabir a quitté Al-Mukmin pour le pensionnat coranique Darusysyahadah [dans l’est de Java]. Ses professeurs se souviennent de lui comme d’un élève entêté dans ses convictions. Mustaquiem, le directeur de cette école, évoque le jour où Jabir, lors d’une discussion, n’a pas voulu démordre de ses positions contre la démocratie. Pourtant, ses 828p30-32 12/09/06 11:39 Page 31 asie DOSSIER Imposer la charia sans violence Dans la province de Sulawesi-Sud, les comités en faveur de la loi coranique imposent leurs vues aux institutions locales. Une tactique reprise dans d’autres provinces. TEMPO (extraits) Jakarta uhammad Muchsin est stupéfait. Adjoint au maire de la ville de Bulukumba, dans la province de Sulawesi-Sud (CélèbesSud), il vient d’apprendre que le fouet est appliqué dans le village de Padang, qui fait partie de sa municipalité. C’est le chef du village qui a imaginé ce nouveau châtiment ; et il a été soutenu par le comité d’insertion sociale et par quelques personnalités locales. Adopté au début de l’année, ce nouvel usage a déjà fait plusieurs victimes : Nasir a été fouetté parce qu’il avait frappé un enfant ; la même peine a été appliquée à Arifin, qui avait commis des violences sur quelqu’un ; quant à Suharman, il a été puni en mars dernier pour avoir envoyé à une femme mariée une lettre qui a vexé son mari. Le maire de Bulukumba a convoqué le chef du village de Padang pour qu’il s’explique. Au dire de ce dernier, l’application de cette punition découlerait de décrets municipaux fondés sur la charia. Depuis trois ans, la municipalité de Bulukumba a en effet pris des décrets inspirés de la loi coranique. Il s’agit de l’obligation de pratiquer l’aumône, de porter des vêtements musulmans, de savoir lire le Coran (pour tous les étudiants et pour les candidats au mariage) et de l’interdiction de vendre des boissons alcoolisées. Mais aucun de ces préceptes ne s’accompagne d’une peine de fouet pour les contrevenants. M arguments étaient vigoureusement démontés par les élèves et les jeunes professeurs de lecture du Coran. Après avoir terminé ses études à Darusysyahadah, Jabir n’est pas rentré chez lui. Il est resté trois ans dans cet établissement comme enseignant. Puis il a disparu. Quelques années plus tard, la police a soudain débarqué à l’école coranique pour demander où il se trouvait. C’était au moment du violent attentat devant l’ambassade d’Australie à Jakarta, le 9 septembre 2004. SA TOMBE EST À L’ABANDON DANS SON VILLAGE NATAL Jabir a écrit ce journal pendant les mois de cavale où son groupe était poursuivi par le détachement 88 de la police. Lorsque Azahari meurt [en novembre 2005], cela fait un an et demi que Jabir le fréquente. Avec Noordin Mohammad Top, ils vivent en se déplaçant constamment d’une ville à l’autre. Ils dorment parfois tous les trois dans la même chambre. “Lorsque la chambre que nous partagions à trois était pleine,Azahari sortait humblement faire sa prière dehors, avec la terre battue et quelques feuilles de journal comme tapis de prière.” Azahari était connu pour savoir assembler des substances explosives avec des produits courants comme du savon pour fabriquer des bombes très puissantes. Il arrive en Indonésie en 1996. Quatre ans plus tard, il part en Afghanistan pour apprendre à fabriquer des explosifs, et rencontre Oussama Ben Laden. D’après Jabir, Azahari n’a jamais pu oublier cette rencontre. Un jour, Ben Laden le prie de prendre place à ses côtés avec les autres dirigeants d’Al-Qaida. “Si un satellite ennemi avait photographié cette assemblée, les Américains se seraient sans doute demandé : ‘Qui est ce type assis à côté d’Oussama ?’” rapporte Jabir dans son carnet. Dans son journal, le jeune homme évoque à plusieurs reprises ses convictions au sujet du djihad. Il estime que le monde musulman est devenu la cible “des infidèles, des sionistes et des apostats. […] Depuis le viol de la terre et de l’honneur des musulmans, en Palestine, en Afghanistan, au Cachemire et en Tchétchénie, tous les croyants ont l’obligation de pratiquer le djihad. […] Et, à cet effet, nous devons dépenser beaucoup d’argent pour acheter les instruments de notre amaliah.” Le philosophe musulman Komaruddin Hidayat explique que, de manière générale, amaliah signifie “action juste”. Toutefois, selon Nasir Abbas, auteur du livre Le Démantèlement de la Jamaah Islamiyah, les moudjahidin d’Afghanistan utilisent ce terme pour désigner la guerre. Ils l’utilisent aussi dans les zones de conflit religieux, par exemple aux Moluques ou à Sulawesi [Célèbes]. Il est certain que, pour Jabir, le mot amaliah désigne les attentats. Dans une courte note non datée, Jabir décrit sa vision des attentats : “En commettant un attentat, le fidèle de la vérité donne un exemple du plus beau sacrifice, à savoir le courage de mourir pour défendre la religion…” Il s’accroche toujours à cette certitude un mois avant de mourir. Comme s’il voulait faire ses adieux, Jabir écrit sur une page intitulée “Lettre ouverte à ma famille et à mes amis” :“Si le corps a été créé pour rencontrer la mort, mieux vaut être tué pour Allah par l’épée…” Après avoir été tué par balle à Wonosobo, Jabir a été enterré à côté d’Al-Ghozi [principal accusé dans le double attentat de Bali, en 2002, et originaire du même village que Jabir] dans le cimetière de son village natal de Mojorejo. Il n’y a pas de pierre tombale sur son caveau. Pour tout signe, une simple pierre de la taille d’une noix de coco. Les deux tombes semblent aujourd’hui à l’abandon et la terre, sur un des côtés, commence à les ensevelir. Budi Setyarso et Ami Afriatni (à Jakarta), Fatkhurrohman Taufik (à Madium), Imron Rosyid (à Boyolali), Agung Rulianto et Nurlis Meuko UNE PRÉSENCE QUI S’ÉTEND À TOUTES LES CIRCONSCRIPTIONS Les règlements fondés sur la loi coranique sont en effet très populaires en ce moment dans plusieurs localités de cette province. Pas moins de vingtquatre d’entre elles ont adopté des textes de ce genre. Un sondage réalisé par le gouvernement provincial début 2002 montrait que 91,1 % des personnes interrogées approuvaient l’application de la charia. Cette approbation ne peut être étrangère au rôle que joue le Comité de préparation au renforcement de la charia en SulawesiSud. Cet organisme est né lors d’un congrès de la communauté musulmane de la province en l’an 2000, et c’est Abdul Aziz Kahar Muzakkar qui a été choisi pour le présider. Or Abdul Aziz est le fils de Kahar Muzakkar, le dirigeant du mouvement Darul IslamTentara Islam Indonesia [Demeure de l’islam – Armée musulmane d’Indonésie, un mouvement islamiste séparatiste actif dans les années 1950 à Sulawesi]. En moins d’une année, ce COURRIER INTERNATIONAL N° 828 31 Dessin de Garland paru dans The Daily Telegraph, Londres. ■ Condamnation Abdul Aziz, 31 ans, professeur d’informatique et membre de la Jamaah Islamiyah, vient d’être condamné à huit ans de prison par la cour de justice de Denpasar (Bali) pour avoir travaillé pour Noordin M. Top. A la demande de ce Malaisien, cerveau des attentats de Bali, Abdul Aziz a configuré un site Internet encourageant les attaques contre les “infidèles”. “Allah est grand”, a répondu Aziz lorsqu’on lui a demandé de commenter le verdict. Près de 150 militants ont été arrêtés et accusés de terrorisme en Indonésie depuis 2002. Trois ont déjà été condamnés à mort. Mais Noordin M. Top est toujours en cavale. DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 comité a réussi à former des délégations dans toutes les circonscriptions de la province. Depuis, elles ont tenu trois congrès, à l’issue desquels ont été prises, entre autres, les décisions de pousser les instances exécutives et législatives à procéder à l’instauration de la charia dans toute la province. La popularité de ce comité a toutefois chuté après la série d’attentats qui ont ébranlé la province. Celui de 2002 a été particulièrement marquant : deux bombes ont explosé dans deux bâtiments appartenant à Jusuf Kalla [aujourd’hui vice-président de la République] à Makassar, faisant 3 morts et 14 blessés. Depuis ce jour-là, la police a commencé à surveiller les agissements des membres du comité. Résultat : sur dix personnes suspectées d’être impliquées dans l’attentat, huit entretenaient des liens avec le comité et avec le Laskar Jundullah, sa branche armée. Cette milice a été formée en réaction au massacre, en l’an 2000, de 200 musulmans dans le pensionnat coranique Walisongo de Poso, dans la province de Sulawesi-Centre. Agus Dwikarna, le commandant en chef des miliciens, est également une figure charismatique du Comité de la charia. Le 13 mars 2002, Agus a été arrêté avec Jamal Balfas et Tamsil Linrung à l’aéroport de Manille, accusé de transporter des explosifs. Tamsil, le conseiller du Comité de la charia et député national du Parti de la justice et de la prospérité (PKS), a été libéré un mois plus tard avec Jamal, tandis qu’Agus est encore détenu dans une prison philippine. Ces événements ont considérablement terni l’image du Comité de la charia auprès de la population, et, pendant deux ans, il a semblé être réduit à néant. Mais, lentement, il s’est réorganisé. Sa milice a changé de nom : elle s’appelle désormais le Corps des jeunes musulmans. Ses membres ont troqué leurs uniformes noirs pour des vêtements tout blancs. La renaissance du comité a été confirmée par le troisième congrès de la communauté musulmane, qui s’est tenu à Bulukumba en 2005. A l’occasion de ce rassemblement, la municipalité a été montrée en exemple aux centaines de participants. Depuis l’application de la loi coranique dans cette ville, la criminalité aurait chuté de 80 % et l’aumône [ou zakât, l’un des cinq piliers de l’islam] aurait atteint une somme quatre à cinq fois plus importante que celle collectée habituellement par les impôts. Les participants au congrès sont repartis avec, comme petits cadeaux-souvenirs, plusieurs exemples de décrets inspirés de la charia à populariser auprès des citoyens de leur région respective. Selon nos sources, les groupes de pression pour l’application de la charia font partie du réseau de la Jamaah Islamiyah [considéré comme proche d’Al-Qaida]. Ils ont choisi la voie légale pour arriver à leurs fins et considèrent que les attentats contre l’Occident ternissent leur image et desservent leur cause. Plus accommodants, ils 828p30-32 12/09/06 11:40 Page 32 asie DOSSIER savent trouver des soutiens et combattre auprès d’autres organisations musulmanes plus modérées. Cependant, ils continuent à rêver de faire de l’Indonésie une république islamique, si bien que leur combat visant à influencer les règlements régionaux n’est qu’un premier pas. LE COMITÉ FAIT PEU DE CAS DE LA CONSTITUTION Le Comité de la charia n’existe pour l’instant qu’à Sulawesi-Sud, mais d’autres régions en Indonésie ont déjà opté pour des règlements inspirés de la loi coranique. Dans l’ouest de Java, plusieurs collectivités locales ont instauré des décrets “contre la fornication”. Lorsque la réforme constitutionnelle a été adoptée, en l’an 2000, au Congrès du peuple [l’équivalent du Sénat], le Conseil des moudjahidin n’a pas réussi à imposer la charte qui imposerait tous les musulmans d’Indonésie de pratiquer la charia. Depuis, l’organisation a décidé de passer outre la constitution. D’après son secrétaire, Ustad Wahyuddin, il est toujours prêt à aider les régions désireuses d’instaurer la loi islamique. “A leur demande”, précise Wahyuddin, qui est également le directeur du pensionnat coranique Al-Mukmin, à Ngruki, près de Solo [dans le centre de Java]. Alors qu’il a rencontré l’adhésion dans les provinces de Java-Ouest et de Sulawesi-Sud, ce mouvement n’est pas populaire dans celle de Java-Est. Peutêtre est-ce dû à l’influence considérable de la Nahdlatul Ulama [NU, l’une des deux plus grandes organisations musulmanes de tendance soufie] dans cette région. Selon Ali Maschan Moesa, directeur de cette organisation pour la province de Java-Est, les maîtres religieux de la NU tiennent pour définitive la base sur laquelle a été fondée la république d’Indonésie. Jamais ils ne se sont battus pour réclamer l’application de la loi coranique dans un contexte national. Les groupes de pression pour l’application de la charia tels que le Conseil des moudjahidin ou le Front de défense de l’islam (FPI) comptent très peu de membres. Selon Ali Maschan Moesa, ces groupes considèrent l’islam comme universel : “S’ils parviennent à imposer la charia ici, ils formeront alors un califat, à savoir un gouvernement islamique mondial qui ignore les frontières régionales et nationales.” Agung Rulianto, Purwanto, Irmawati, Verianto Madjowa, Febrianti, Ivansyah BFM et Courrier international présentent l’émission ”GOOD MORNING WEEKEND” animée par Fabrice Lundy, rédacteur en chef de BFM, et les journalistes de la rédaction de Courrier international. Tous les samedis de 9 heures à 10 heures et les dimanches de 8 heures à 9 heures Fréquence parisienne : 96.4 Les yeux braqués sur les hanches d’Inul Les intégristes réclament une loi très restrictive en matière de mœurs. Ils ont pris pour cible une célèbre danseuse dont les mouvements leur semblaient trop suggestifs… ASIA TIMES ONLINE Bangkok et Hong Kong es Occidentaux qui ont vu la grande star indonésienne Inul Daratista en concert ou en vidéo se demandent pourquoi on en fait toute une histoire. La plus grande chanteuse et danseuse de dangdut [un genre de pop indonésienne] de l’archipel se produit tout habillée. Certes, elle se trémousse dans son pantalon en Lycra et ses déhanchements sont assez suggestifs. Mais, par rapport à ce qui se fait en Occident, il n’y a là rien qu’on puisse qualifier d’“osé”. On a un autre point de vue en Indonésie, où les gardiens de la morale veulent purger la société des influences prétendument occidentales. Le dangdut, pourtant, n’a rien à avoir avec Hollywood : cette musique très rythmée et stridente puise dans les traditions indiennes, arabes et malaises. C’est le ngebor, le fameux mouvement giratoire des hanches d’Inul, qui est à l’origine du mécontentement des religieux musulmans. Ils le jugent obscène et y voient une atteinte à la morale. Irrités par la popularité croissante d’Inul et par son indépendance d’esprit, ils militent pour un projet de loi visant à criminaliser un certain nombre de comportements. S’ils obtenaient gain de cause, Inul ne pourrait plus se produire en public. L Dessin de Lauzan, Chili. La plupart des mesures proposées visent les modes vestimentaires et les comportements féminins. Les libéraux voient dans ce projet une tentative d’imposer la charia dans le pays, où 90 % des 240 millions d’habitants se considèrent musulmans. Mais ce n’est là que la partie visible du problème ; en réalité, le débat porte sur la condition des femmes, la liberté artistique et l’avenir de la toute jeune démocratie indonésienne. Le projet de loi contre la pornographie et les “actes pornographiques”, visant notamment à interdire aux femmes de dévoiler certaines parties de leur corps, est clairement dirigé contre Inul et ses émules de plus en plus nombreuses. Pour les commentateurs politiques, ce débat houleux a mis en évidence le fossé qui sépare la majorité rurale, peu instruite et très influençable, de la population urbaine, plus for mée et plus ouverte. C’est cette dernière qui se fait le plus entendre, mais, comme elle pèse moins lourd numériquement, ce projet de loi controversé a des chances d’être adopté. Le président Susilo Bambang Yudhoyono a rassuré les partisans du texte en renvoyant du palais une danseuse qui devait se produire ventre nu. Il a également condamné publiquement les femmes qui exhibent leur nombril. Les défenseurs du projet accusent leurs contradicteurs d’être des dépravés. Des groupes ethniques comme les Balinais [qui ne sont pas musulmans mais hin- RÉACTION Les anti-islamistes s’organisent aussi ■ Face à la montée de groupes fanatiques, comme le Front de défense de l’islam ou le Forum Betawi Rempug (FBR), qui veulent imposer leur loi à la population au nom de l’islam, plus de dix-neuf organisations de citoyens ont formé, le 25 mai dernier, l’Alliance de la jeunesse indonésienne pour la protection de la nation. Ils entendent ainsi lutter contre les pratiques violentes des fanatiques, qui terrorisent les citoyens et menacent la démocratie. L’organisation la plus impor tante de cette alliance est la Garda Bangsa, la “garde de la nation”, fondée en 1999 sous l’aile du Par ti du renouveau national, un par ti soutenu par la très grande organisation musulmane de tendance soufie, le Nahdlatul Ulama. Elle compte 100 000 membres, qui ont pour mission d’assurer la transition de l’Indonésie vers la démocratie. COURRIER INTERNATIONAL N° 828 A Jakar ta, 1 250 de ses hommes ont été formés aux ar ts mar tiaux d’autodéfense et à des techniques magiques qui doivent les rendre invulnérables. La Garda Bangsa, ainsi que toutes les organisations de l’Alliance, récuse cependant le recours à la violence. Pour mener leur lutte, ses militants préfèrent utiliser ce qu’ils appellent la “guerre de l’opinion”. Ils accrochent des banderoles dans les rues de Jakarta, distribuent des tracts, manifestent devant les quartiers généraux de la police pour réclamer la dissolution des groupes qu’ils qualifient de “groupes violents voilés” et pour l’application de la loi républicaine par le gouvernement. Ils diffusent aussi gratuitement sur DVD un film documentaire montrant les razzias et autres actions violentes conduites au nom de l’islam par les formations intégristes. Eduardus Karel Dewanto, Tempo, Jakarta 32 DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 dous], dont la tenue traditionnelle qui laisse apparaître les épaules serait interdite si la loi était votée, se sont associés à plusieurs reprises aux artistes de Jakarta pour manifester. Inul était en première ligne. Pour la danseuse et son entourage, il y a déjà suffisamment de lois qui protègent la société, et cette loi antipornographie n’a pas sa place dans une démocratie. Parce qu’elle s’est exprimée publiquement sur le sujet, Inul a été déclarée persona non grata à Jakarta par le Forum Betawi, un groupe de fondamentalistes qui prétend représenter les habitants de Jakarta attachés aux traditions. Une des boîtes de karaoké d’Inul a été saccagée par un groupe de partisans du Front des défenseurs de l’islam, un groupe de casseurs qui prétend agir au nom des musulmans, et elle-même a été condamnée publiquement par plusieurs autres extrémistes. LES ACTES DE VIOLENCE GRATUITES SONT CHOSE COURANTE Sous le régime de Suharto, les manifestations et autres mouvements de protestation étaient sous haute surveillance et souvent brutalement réprimés. Mais, depuis l’instauration de la démocratie, les gens ont commencé à descendre dans la rue à tout propos et les actes de violence gratuits sont devenus chose courante, souvent sous le regard indifférent des policiers.Yudhoyono a récemment déclaré qu’il allait prendre des mesures contre les groupes religieux violents, mais jusqu’à présent ses paroles n’ont pas été suivies d’effet. Contrairement à d’autres célébrités, qui s’installent dans des quartiers huppés, Inul est restée fidèle à ses origines. Si elle a engagé des vigiles à Jakarta, elle compte sur le voisinage pour assurer la protection de sa résidence de Gempol, à Java-Est. “Je suis une musulmane croyante”, a-t-elle assuré dans une interview. “Je déplore ce que disent certains religieux. Pourquoi se préoccupent-ils tant de lutte contre la pornographie ? Pourquoi faut-il qu’ils parlent toujours des femmes ? Les priorités, dans ce pays, devraient être l’emploi et l’éducation.” Inul emploie plus de 750 personnes dans ses sept karaokés. On lui a également proposé de se lancer dans la politique, mais elle a décliné toutes les offres qui lui ont été faites jusqu’à présent. “Le système est trop corrompu”, explique-t-elle. Grâce à son combat contre le projet de loi antipornographie, Inul est devenue une des militantes des droits de la femme les plus en vue d’Indonésie. “Je veux améliorer le statut des femmes, assure-t-elle. Je veux qu’elles soient suffisamment courageuses pour prendre des risques.” Au-delà des mots, la danseuse prêche d’exemple. Duncan Graham Retrouvez cet article en v.o. page 58 dans Courrier in English 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 12/09/06 13:46 Page 34 asie CHINE Le barrage des Trois-Gorges a-t’il détraqué le climat ? Une sécheresse exceptionnelle a frappé cet été le Sichuan, affectant la vie de dizaines de millions de personnes. Pour les militants écologistes, le phénomène est lié à l’aménagement du Yangtsé-kiang. ASIA TIMES ONLINE (extraits) Projet de canaux de transfert d’eau du Sud vers le Nord Fleuve uc La nouvelle voie ferrée Qinghai-Tibet Lhassa t-O ues SICHUAN Chongqing 0 500 km Pont NanjingChangjiang t” Projet de canal du Tibet vers le Huanghe s Ya n g t i é-k a gh “Es Golmud Tianjin an zod Pékin ng I Ga Courrier international C H I N E Jaune l aura fait chaud, cet été, à Chongqing. Battant un record datant de cinquante-trois ans, la température a atteint 44,5 degrés dans la municipalité autonome [anciennement incluse dans la province du Sichuan, dans le sud-ouest du pays]. Une question se pose : le barrage des Trois-Gorges, tout proche, est-il responsable de cette forte chaleur ? Les écologistes en sont convaincus, affirmant que chaleur et sécheresse sont des conséquences environnementales typiques de la construction d’un grand barrage. Selon Wang Hongqi, un géographe environnementaliste de Pékin, le barrage des Trois-Gorges [achevé en 2006] est comme un gigantesque écran qui empêche la vapeur d’eau du Yangtsé-kiang de circuler librement dans la région. Sur le plan topographique, le Sichuan est un vaste bassin. Quand les flux de vapeur d’eau sont bloqués, la température dans le bassin augmente, ce qui se traduit à terme par des périodes de sécheresse. Cette hypothèse est rejetée par Zhang Qiang, chef du bureau d’étude des effets cli- ai Hong Kong, Bangkok Sh 828p34 Barrage des Trois-Gorges La politique chinoise de grands travaux matiques de l’Administration météorologique chinoise. Pour lui, la vague de chaleur qui a sévi dans le Sichuan est à imputer au réchauffement climatique de la planète, et il n’y a pas suffisamment de preuves scientifiques pour accepter la théorie de Wang. Quoi qu’il en soit, alors que cette opération de 200 milliards de yuans [20 milliards d’euros] touche plusieurs millions de personnes, aucune évaluation scientifique visant à déterminer les conséquences sur le climat de la région n’a été réalisée au préalable. ■ Venise Le réalisateur chinois Jia Zhangke a remporté le Lion d’or de la Mostra de Venise pour son film Still Life (titre original : Sanxia Haoren – “Le Bon Homme des TroisGorges”), un film dépeignant le drame des riverains du fleuve déplacés. COURRIER INTERNATIONAL N° 828 34 Malheureusement, le projet des Trois-Gorges a été utilisé comme une vitrine par l’ancien Premier ministre Li Peng, alors au faîte du pouvoir. Malgré le tollé provoqué en Chine et la méfiance manifestée à l’étranger, Pékin a interdit tout débat public et lancé le projet à la légère, ne fournissant que des évaluations faussées. LES GRANDS TRAVAUX, SOURCE DE CORRUPTION Les dirigeants chinois, quel que soit leur échelon, n’ont cessé de manifester leur goût pour les projets pharaoniques. Les grands travaux facilitent la corruption et contribuent à accroître le PIB, éléments déterminants pour favoriser la promotion des intéressés. La centrale électrique de Xinfeng, en Mongolie-Intérieure, a récemment fourni un exemple de ces travers. Des dirigeants locaux qui voulaient à tout prix faire progresser le PIB de leur province avaient en effet mis en œuvre le projet, contre la volonté du gouvernement central, désireux d’éviter une surchauffe économique. D’autres projets d’un coût faramineux ont été lancés ces dernières années, parmi lesquels le plan de diver- DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 sion de l’eau du Sud au Nord [un canal est en construction et devrait relier le Yangtsé-kiang à Pékin d’ici à 2008], le gazoduc Est-Ouest [traversant la Chine du Xinjiang au Zhejiang] et le tout nouveau chemin de fer Qinghai-Tibet, mis en service en juillet 2006 [voir CI n° 820, du 20 juillet 2006]. Récemment, un projet de canal a également été présenté pour acheminer les eaux du Tibet vers le fleuve Jaune, dont le lit est souvent à sec. Le plus souvent, la procédure d’étude environnementale se révèle une pure formalité. Une fois ces projets hasardeux menés à terme, les problèmes qu’ils posent deviennent autant de bombes à retardement pour l’environnement, à l’instar du complexe hydroélectrique de la gorge de Sanmen, sur le fleuve Jaune. En l’absence d’une étude scientifique appropriée, le problème de sédimentation n’a jamais été résolu, et ce complexe jadis acclamé comme une réalisation majeure est devenu purement ornemental, incapable de produire de l’électricité ou de contrôler le niveau des eaux. On peut se demander si ce n’est pas le sort qui attend le barrage des Trois-Gorges. Poon Siu-tao 828p35-37 12/09/06 14:42 Page 35 m oye n - o r i e n t ● IRAK Le fondamentalisme fait son chemin chez les Kurdes L’idée que le Kurdistan irakien, contrairement au reste du pays, est stable, prospère et démocratique semble fallacieuse devant la montée des mouvements islamistes, écrit un intellectuel kurde. AL-HAYAT Londres u Kurdistan irakien, des islamistes ont récemment demandé “l’application de la loi divine”. En réaction, le président de cette région quasi indépendante, Massoud Barzani, a mis en garde contre le risque de voir apparaître un “mouvement kurde semblable au Hamas palestinien”. Les islamistes y bénéficient en effet d’une popularité grandissante. Cela ne traduit pas toujours forcément une adhésion idéologique, mais s’explique en grande partie par la déception qu’ont provoquée les deux partis kurdes laïcs qui dominent la scène politique régionale depuis des décennies, c’est-à-dire le Parti démocratique du Kurdistan (PDK), dirigé par le président du Kurdistan, Massoud Barzani, et l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), dirigée par le président irakien, Jalal Talabani. Il faut dire que la région est rongée par la corruption, souffre d’un taux de chômage important et peine à attirer les investisseurs internationaux en raison de la violence qui ravage le reste du pays. L’UPK et le PDK ne nient pas les faits, mais soulignent que les islamistes ne disposent pas non plus de la baguette magique qui permettrait de résoudre tous les problèmes. Au parlement régional, les islamistes sont représentés par une quinzaine de députés, répartis entre le Groupe du Kurdistan islamique (GKI) et l’Union islamique du Kurdistan (UIK). Ils s’opposent vigoureusement à toute initiative qui leur paraît Dessin paru dans The Economist, Londres. A Al-Anbar contraire à l’islam. Ils ont par exemple rejeté [une première version de] la réforme de la Constitution parce qu’elle ne faisait pas référence à Dieu, n’instaurait pas l’islam comme religion officielle et ne faisait pas de la loi divine la seule source de droit. Cette participation à la vie parlementaire pose la question du rapport qu’ont ces partis à la démocratie. Dans un livre publié en kurde, le chef du GKI, Ali Bapir, reprend le discours habituel des mouvements islamistes et dénonce la démocratie parce qu’elle permet de voter des lois contraires à celles de Dieu. Si son parti a malgré tout participé aux élections, expliquet-il, c’est que nécessité peut faire loi. Quant à l’UIK, si elle ne croit pas en la démocratie, elle affirme le droit du peuple à prendre le pouvoir politique par des moyens démocratiques. Elle mentionne également le principe de la liberté de conscience affirmé par l’islam pour justifier le pluralisme politique et idéologique. Sa conception de la démocratie est toutefois particulière : son programme indique que “la consultation [la choura, un concile de juges musulmans] permet d’atteindre la justice du gouvernement et garantit les libertés publiques” en éludant la question de savoir si la loi est votée par les hommes ou révélée par Dieu. L’UIK bénéficie d’une assez grande popularité, surtout en milieu urbain. Créée en juin 1994, elle se considère comme l’héritière des Frères Dimanche 10 septembre 2001, un rapport du Pentagone sur l’Irak révélé par The Washington Post venait confirmer le marasme américain dans ce pays. Selon ce rapport, les marines auraient perdu tout contrôle sur la vaste province désertique d’Al-Anbar, dans l’ouest de l’Irak, qui sert de plus en plus de base arrière aux groupes d’Al-Qaida. musulmans, dont la branche irakienne remonte aux années 1950. Elle se définit comme “un parti politique réformateur qui s’applique à trouver des solutions à toutes les questions politiques, sociales et culturelles d’un point de vue islamique”. Par ailleurs, elle entretient d’étroites relations avec les Frères musulmans égyptiens et avec les islamistes turcs. Les mouvements islamistes du Kurdistan affirment être victimes d’ostracisme. Selon Ali Bapir, “les laïcs kurdes occupent tous les terrains – forces de sécurité, ressources financières, postes d’influence, pouvoir politique et médias. Il ne reste donc rien d’autre aux islamistes que leur religion et leur Coran.” Cela dit, ils peuvent militer ouvertement et s’organiser librement. Certains ont même reçu près de 50 000 dollars du gouvernement régional kurde, entretiennent une vingtaine de bureaux dans la plupart des villes kurdes du pays et contrôlent des chaînes de télévision locales. Bapir lui-même vit dans un quartier résidentiel d’Erbil, surnommé le “quartier des dollars” en raison de la richesse de ses habitants. Selon Jost Hiltermann, le directeur de la section Moyen-Orient de l’International Crisis Group [une ONG consacrée à la prévention et à la résolution des conflits], ces mouvements pourraient se transformer en pépinière pour radicaux et en lieu de passage vers des organisations plus extrémistes. Sarah Keeler, spécialiste britannique des affaires kurdes, écarte par contre cette hypothèse. Selon elle, il est peu probable que les Kurdes répondent aujourd’hui favorablement aux appels des fondamentalistes. Nizar Agri SYMBOLES Arrêtons la guerre des drapeaux La polémique sur le refus des Kurdes de hisser le drapeau irakien dans leur territoire autonome déchire la société irakienne. Al-Mada, le grand quotidien de Bagdad, prône l’apaisement. a polémique sur notre drapeau national n’a cessé d’enfler. En 2004 [date à laquelle un modèle entièrement nouveau a été proposé], notre pays s’était déjà divisé en deux camps sur cette question. Le premier insistait sur le maintien de l’ancien drapeau en disant qu’il avait toujours symbolisé notre Etat, depuis sa création, quel que fût le régime au pouvoir [en réalité, il a connu d’importantes évolutions], que nos soldats avaient combattu sous lui, qu’il avait servi de linceul à nos mar tyrs, qu’il nous reliait aux deux plus grands Etats de l’histoire arabe et musulmane, ceux des Omeyyades [pour la couleur blanche] et des Abbassides L [pour la couleur noire], et, finalement, qu’il comportait une dimension sacrée puisqu’il portait l’inscription “Allah akbar” [Dieu est grand]. Le second camp voulait remplacer l’ancien drapeau en faisant valoir que ladite inscription avait été ajoutée par décision solitaire de Saddam Hussein [en 1991, reproduisant l’écriture de l’ancien président, remplacée depuis par une typographie neutre], qu’il était associé à la tyrannie, qu’il avait été brandi quand des Irakiens s’étaient fait massacrer au Kurdistan à la fin de la guerre Iran-Irak [notamment dans la ville de Halabja, dont la population a été gazée en 1988], dans le Sud chiite [notamment après la première guerre du Golfe de 1991] et ailleurs, qu’il rappelait trop de drames, que les trois étoiles qu’il comportait étaient une référence évidente au mot d’ordre baasiste “Unité, liber té, socialisme”… bref, qu’il constituait un hommage implicite à l’ancien COURRIER INTERNATIONAL N° 828 régime de Saddam Hussein, alors que les Irakiens voulaient tourner la page et oublier leurs cauchemars. Personne n’est prêt à céder, et le sujet est susceptible de déclencher les pires polémiques. Si, en plus, tel ou tel parti s’aventurait à vouloir imposer un symbole religieux ou ethnique, les Irakiens en profiteraient pour s’entredéchirer de plus belle. Pourtant, un drapeau doit être fait pour permettre à chacun de s’y reconnaître. Il faut donc choisir des symboles qui soient communs à tous. Et notre mémoire collective est riche d’une histoire longue et glorieuse, qui nous permet de trouver suffisamment d’éléments capables de faire consensus. Nous proposons pour notre part de mettre en exergue trois symboles qui distinguent tout particulièrement notre pays. C’est en Irak qu’a été inventé l’alphabet cunéiforme [par les Sumériens, au IVe millénaire avant 35 DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 notre ère], symbole de science et de culture. L’Irak a ensuite été le premier à mettre en forme ses lois [1 700 ans avant notre ère] avec le Code d’Hammourabi, symbole de droit, de justice et d’ordre. Il a enfin produit l’une des sept merveilles du monde, les jardins suspendus de Sémiramis, à Babylone, symbole de civilisation, d’art et de prospérité. Si le drapeau irakien pouvait faire référence à ces héritages, il réussirait à toucher l’inconscient de tous et à faire vibrer à l’unisson chacun de nos compatriotes, qui comprendraient alors qu’ils appartiennent tous à une seule et même patrie. Il ne nous reste plus qu’à ajouter que les Irakiens sont épuisés par les guerres. Tout ce qui pourrait les leur rappeler doit être éliminé de leur drapeau, surtout les couleurs noir et rouge [étroitement associées à l’histoire du nationalisme arabe]. Qassem Hussein Saleh, Al-Mada, Bagdad 828p35-37 12/09/06 14:43 Page 36 m oye n - o r i e n t ISRAËL Personne ne pourra dire qu’il ne savait pas Comment des démocrates peuvent-ils accepter que tant d’injustices soient faites aux Palestiniens ? Spécialiste des Territoires palestiniens, la journaliste israélienne Amira Hass s’interroge. HA’ARETZ Tel-Aviv aissons de côté ces Israéliens qui, par idéologie, soutiennent la dépossession du peuple palestinien parce que “Tu [Dieu] nous as choisis”. Laissons de côté ces juges qui couvrent la politique militaire de meurtre et de destruction. Laissons de côté ces officiers qui emprisonnent sciemment tout un peuple entre des murs, des tours de guet fortifiées, des mitrailleuses, des barbelés et des projecteurs aveuglants. Et laissons de côté nos ministres et tous ces gens qui comptent – les architectes, les planificateurs et, plus généralement, les concepteurs et les exécutants de la politique gouvernementale. Parlons plutôt des autres. Des historiens et des mathématiciens, des éditeurs, des vedettes médiatiques, des psychologues et des médecins, des avocats qui ne soutiennent pas le Goush Emounim [l’extrême droite religieuse] ou Kadima [le parti au pouvoir], des enseignants et des éducateurs, des amoureux de la nature, des magiciens des hautes technologies. Où êtes-vous ? Et vous, les spécialistes du nazisme, de la Shoah et du goulag ? Etes-vous vraiment en faveur de ces lois discriminatoires qui décrètent que, pour les ravages provoqués par la dernière guerre, les Arabes de Galilée ne recevront pas les mêmes indemnisations que leurs voisins juifs ? Se peut-il que vous souteniez ce code de la nationalité raciste qui interdit à un Israélien arabe de vivre avec sa famille dans son propre logis ? Se peut-il que vous souteniez les expro- L Dessin de Habib Haddad paru dans Al-Hayat, Londres. ■ Sondage Selon un sondage effectué auprès de la population palestinienne de Gaza et de Cisjordanie par l’université Al-Najah, à Naplouse, 84,9 % des Palestiniens soutiennent la formation d’un gouvernement d’union nationale. Parmi les personnes interrogées, 88 % avouent ne pas se sentir en sécurité dans les circonstances actuelles, 60,4 % souhaitent la tenue de nouvelles élections législatives, et 56 % d’une nouvelle élection présidentielle. (voir aussi p. 8) priations programmées en Cisjordanie pour créer un nouveau quartier d’implantation juive et une nouvelle route, le “yehudim bilvad” [pour Juifs seulement] ? Se peut-il que vous soyez d’accord pour qu’un tiers de la Cisjordanie soit désormais inaccessible aux Palestiniens ? Que vous acceptiez une politique qui empêche des dizaines de milliers de citoyens étrangers d’origine palestinienne de rendre visite à leur famille dans les Territoires ? Pensez-vous réellement vous en sortir avec l’argument de la sécurité pour trouver normal d’interdire aux étudiants gazaouites d’étudier l’ergothérapie à Bethléem et la médecine à Ramallah, ou aux malades de Rafah de recevoir des soins à Ramallah ? Pensez-vous pouvoir vous réfugier derrière le “lo yadanou” [“nous ne savions pas”] lorsqu’on vous parlera de la discrimination pratiquée dans l’accès à l’eau [sous le contrôle exclusif d’Israël] et qui laisse des milliers d’immeubles palestiniens sans eau durant les canicules ? Ou du fait que Tsahal a pu impunément ceinturer les villages par des barrages empêchant les habitants d’aller s’approvisionner en eau ? UN RÉGIME SPOLIATEUR ET OPPRESSEUR INSATIABLE Il n’est pas possible que vous ne voyiez pas les lourds portiques d’acier qui jalonnent la Nationale 344, cette route qui traverse l’ouest de la Cisjordanie, mais sans accès aux villages palestiniens. Il n’est pas possible que vous souteniez l’interdiction faite à des milliers de fermiers d’accéder à leurs champs. Ou que vous souteniez la quarantaine imposée à Gaza et qui empêche la livraison de médicaments aux hôpitaux et la fourniture d’électricité et d’eau à 1,5 million d’êtres humains. Se peut-il que vous ne sachiez pas ce qui se passe à quinze minutes de vos cabinets et de vos universités ? Se peut-il que vous souteniez ce système qui voit des soldats hébreux dresser des barrages au cœur de la Cisjordanie et bloquer des dizaines de milliers de civils des heures durant sous un soleil de plomb et trier les habitants selon leur âge ou selon qu’ils viennent de Naplouse ou de Tulkarem ? Ou, pour l’exemple, placer en détention une femme malade qui a eu le tort de sortir de la file ? Le site <www.machsomwatch.org> [ONG israélienne chargée de surveiller les agissements des soldats israéliens aux postes de contrôle] est accessible à tous et regorge de témoignages et de documents qui rendent compte de ces horribles pratiques. Il n’est pas possible que ceux qui s’insurgent à la moindre croix gammée sur une tombe juive en France ou au moindre titre antisémite dans un journal local espagnol ne soient pas informés de ce qui se passe en Cisjordanie et ne s’insurgent pas. Comme Juifs, nous jouissons tous du privilège que représente pour nous Israël et c’est pourquoi nous sommes tous, bon an mal an, des collaborateurs [du système]. La question est : que fait chacun d’entre nous pour minimiser sa collaboration avec un régime spoliateur et oppresseur insatiable ? Il ne suffit pas de signer des pétitions et de se plaindre. Israël est une démocratie pour ses Juifs. Nos vies ne sont pas en danger, nous ne risquons pas d’être placés en camp d’internement et nous pourrons toujours nous détendre à la campagne ou à l’étranger. C’est pourquoi le poids de notre collaboration et de notre responsabilité directe est terriblement lourd. Amira Hass PA L E S T I N E Ayez pitié de Gaza ! Le porte-parole du gouvernement islamiste palestinien dresse un étonnant réquisitoire contre la lutte des factions, l’anarchie et la corruption qui gangrènent la bande de Gaza. u’avons-nous fait de notre territoire ? Gaza est à présent blessée, maussade, exsangue, à cause des coups de poignard que lui ont infligés l’anarchie et les multiples guerres de clans aux prétextes aussi divers que fallacieux. Ses rues sont envahies d’ordures nauséabondes. Quand les forces d’occupation [israéliennes] s’étaient totalement retirées de la bande de Gaza [le 12 septembre 2005], nous laissant seuls derrière des portes fermées à double tour, les Palestiniens s’étaient réunis pour fêter l’événement, toutes factions confondues, certaines parlant de retrait israélien, d’autres de déroute de l’occupation ou de victoire de la résistance. Ce jour-là, beaucoup parmi nous évoquaient l’“avenir radieux”, prédisaient la croissance et échafaudaient des projets Q de développement de l’industrie et du commerce. Ce jour-là, optimistes, nous pensions que nos souf frances n’avaient pas été vaines et que nos sacrifices porteraient bientôt leurs fruits. Mais, un an plus tard, à cause de notre amateurisme, le rêve a viré au cauchemar. Il me faut tout mon courage pour me demander pourquoi la bande de Gaza est de nouveau gagnée par le désespoir. La réponse semble évidente : “C’est parce que les forces d’occupation sont de retour !” [allusion aux nombreux raids israéliens sur la bande de Gaza]. Mais, plutôt que de parler de l’occupation et de dénoncer ses crimes, arrêtons-nous un instant sur nousmêmes et sur nos erreurs. Plutôt que de nous en tenir à des explications toutes faites, demandons-nous si l’anarchie, l’insécurité, les meurtres, les luttes de clans, les terrains que certains s’approprient, les passe-droits… si tout cela est la faute de l’occupation. COURRIER INTERNATIONAL N° 828 Nous avions toujours affirmé que nous nous battions pour la libération de chaque pouce de notre terre. Voici que nous avons entre nos mains un bon et grand bout de cette terre, précisément 365 kilomètres carrés [superficie de la bande de Gaza], et que nous le dilapidons parce que nous ne savons pas quoi en faire. Tenons-nous simplement aux chiffres. Depuis le retrait israélien, plus de 500 Palestiniens ont été tués, plus de 3 000 ont été blessés, plus de 200 sont devenus handicapés. A cela s’ajoutent plus de 150 maisons détruites et nos infrastructures laminées. Dans le même temps, le nombre d’Israéliens tués par les roquettes tirées à par tir de Gaza a été de trois ou quatre. En marchant dans les rues de Gaza, vous avez du mal à croire vos yeux. Il y règne un chaos sans nom. Des adolescents se pavanent en armes devant des policiers qui restent mains dans les poches. Malgré tout le respect que je dois à la résistance, je dois dire qu’elle aussi a commis des erreurs avec 36 DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 ses multiples règlements de comptes et en croyant que tous les citoyens devaient se plier à sa volonté. Quand une faction juge nécessaire l’accalmie, une autre s’y oppose et tire une roquette [contre Israël]. Quand d’énormes efforts sont déployés pour alléger les souffrances de la population palestinienne en rouvrant Rafah [unique point de passage entre Gaza et l’Egypte], il se trouve toujours quelqu’un pour tirer une roquette justement sur Rafah. Je me demande quelle utilité peut avoir la résistance tant que notre pays est miné par l’anarchie. Résister, cela devrait aussi signifier construire notre pays, respecter la propreté, l’ordre, les lois et les aspects de la vie sociale. Ayez pitié de Gaza ! Epargnez-lui votre démagogie et votre désordre, vos armes et vos bandits, vos luttes intestines et vos surenchères. Laissez-la vivre un peu, permettez-lui de respirer. Et qu’enfin la raison prime sur l’émotion. Ghazi Hamad, Al-Ayyam (extraits), Ramallah 828p35-37 12/09/06 14:44 Page 37 m oye n - o r i e n t SYRIE Quand l’opposition s’aligne sur le régime La guerre au Liban a une fois de plus poussé les opposants syriens à jouer la carte du patriotisme et à mettre en sourdine leurs revendications en matière de libertés publiques, de pluralisme et de démocratie. AL-HAYAT Londres ucun des opposants syriens sensibles à la question des réformes politiques en Syrie n’est sorti indemne des répercussions de la dernière guerre israélienne contre le Liban. De manière sanglante, celleci a contraint tous les acteurs de l’opposition à s’interroger sur la solidité de leurs positions démocratiques, sur leur détermination et sur leur engagement. Ils ont ainsi été ramenés à l’éternelle question du monde arabe : comment articuler patriotisme et démocratie ? Cette question doit être abordée aujourd’hui en termes plus clairs, entre ceux qui considèrent qu’il faut mobiliser toutes les forces pour libérer les terres occupées et ceux qui accordent la priorité au développement de la démocratie, meilleur moyen selon eux d’atteindre une véritable indépendance vis-à-vis de l’étranger ; entre ceux qui misent sur les armes et le langage de la force et ceux qui croient aux moyens politiques, civils et pacifiques ; entre ceux qui raillent la communauté internationale et lui dénient toute légitimité et ceux qui souhaitent s’inscrire dans le cadre de la légalité internationale, le moins mauvais selon eux pour garantir l’équité et l’obtention des droits nationaux. Durant cette guerre, beaucoup d’opposants ont soutenu sans réserve chaque tir susceptible de toucher l’“ennemi sioniste” [Israël]. Certains sont allés très loin dans l’esprit de résistance et de mobilisation patriotique, et ont demandé que la Syrie déclare la guerre et ouvre un front supplémentaire sur le plateau du Golan. Les uns étaient convaincus que l’on tenait là une occasion unique d’infliger une défaite à Israël, les autres y voyaient un moyen d’embarrasser le régime syrien et de mettre à nu la vacuité de ses slogans nationalistes. Faisons abstraction des petits calculs d’intérêts et des divisions qui existent entre nous et reconnaissons que cette guerre a amené de nombreux opposants à donner nettement la priorité à la “cause nationale” au détriment de leurs engagements démocratiques. Cela a trait à une problématique fondamentale, toujours aussi insoluble, dont la persistance s’explique notamment par trois éléments essentiels. Premièrement, la majeure partie de l’opposition s’inscrit dans une longue histoire de résistance au colonialisme et surtout au projet sioniste. Quant à ses dirigeants, la plupart se sont engagés dans la vie politique sous la bannière d’idéologies totalitaires, qu’elles soient nationalistes ou marxistes. Malgré les années écoulées depuis l’effondrement du bloc socialiste, ils comprennent encore imparfaitement les changements survenus A Dessin d’Ajubel paru dans El Mundo, Madrid. à l’échelle mondiale. Ils n’ont pas suffisamment assimilé toutes les leçons des expériences démocratiques pour passer à d’autres modes de pensée et d’action et n’ont pas développé une conception moderne du patriotisme, persistant à promouvoir une forme de souveraineté nationale – chimérique et passéiste – qui équivaut à un isolationnisme total. Deuxièmement, la population syrienne se caractérise par une grande sensibilité à la question nationale et par une hostilité particulière vis-à-vis d’Israël. Il n’est pas exagéré de dire que les intellectuels se sont en quelque sorte retrouvés prisonniers de la rue syrienne, de ses émotions et de sa sympathie pour la résistance libanaise. Certains se sont laissés entraîner par cette ambiance et se sont mis à flatter l’humeur populaire, qui veut venger les Palestiniens et en découdre avec l’ennemi israélien. Ils sont parfois allés jusqu’à épouser si étroitement ses positions qu’ils ont fini par contredire leurs propres combats passés pour la démocratie. Pour être juste, il faut dire que ces intellectuels étaient soumis à une forte pression de la part d’une société qui n’admet pas les divergences d’opinion, surtout en temps de guerre. De tout temps, l’attitude prédominante à Damas a été de vouloir réprimer ceux qui pensent autrement, de les dénigrer et de les accuser de tous les maux. Et cela est encore plus vrai lorsque cela concerne la “cause sacrée” du patriotisme. sont jugées bonnes, il est normal que la lutte pour la démocratie et pour les libertés individuelles soit mise en sourdine au profit d’une mobilisation des foules qui nécessite une volonté collective sans faille et une adhésion idéologique totale, afin de donner le coup de grâce au mythe d’une armée israélienne invincible. L’INTÉRÊT POUR LES RÉFORMES DÉMOCRATIQUES EST EN RECUL Troisièmement, la faiblesse des réactions internationales, l’incapacité du Conseil de sécurité de l’ONU de faire respecter les droits des Arabes, la partialité pro-israélienne de la plupart des grandes puissances et le caractère débridé de l’agression israélienne ont largement contribué au développement d’une logique de force brute. L’illusion d’avoir remporté une victoire au Liban rend la chose encore plus compliquée. En effet, si les méthodes du Hezbollah COURRIER INTERNATIONAL N° 828 37 DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 Force est de constater que l’intérêt pour les réformes démocratiques est en recul en Syrie. Demain, ceux qui défendent les libertés publiques, les droits de l’homme et le pluralisme risquent de prêcher dans le désert. Dans le même temps, un discours plus démagogique se répand, encouragé par le régime, qui consiste à lancer des slogans comme “La résistance d’abord” afin d’exciter les foules et de rallumer en permanence les passions. Il est vrai que les événements qui viennent de se dérouler sont une occasion en or pour enchaîner de nouveau la société en la maintenant dans l’état de mobilisation générale contre un danger imminent venu de l’extérieur, afin que personne ne se préoccupe des problèmes qui se posent à l’intérieur. Akram Al-Bounni WEB+ Plus d’infos sur le site Les troubles en Syrie vus par la presse arabe 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 828p39-40 12/09/06 14:24 Page 39 afrique ● ZIMBABWE On peut truquer les élections mais pas l’économie L’économie du Zimbabwe est dévastée : l’inflation y dépasse les 1 000 % par an et son PIB a diminué de 40 %, mettant plus de 70 % de la population au chômage. En cause : la politique désastreuse du régime Mugabe. MAIL & GUARDIAN Johannesburg ébut août, dans les rues de Harare comme dans tout le Zimbabwe, des gens de toutes races et de tous milieux trimbalaient de grands sacs à bandoulière, des sacs à dos et des valises bourrés d’argent liquide. Pris d’une frénésie d’achat, beaucoup d’entre eux s’offraient des voitures, des cuisinières, des vaches. Fallait-il y voir le signe d’une embellie pour l’économie zimbabwéenne ? Loin de là. La population cherchait uniquement à se débarrasser de ses anciens billets avant le passage à la nouvelle monnaie : les billets actuels allaient être remplacés par de nouvelles coupures avec trois zéros de moins. Le billet de 20 000 dollars zimbabwéens allait ainsi laisser la place à un nouveau billet, un billet de 20, la valeur de la monnaie restant inchangée : 0,031 euro. Cette opération a été pompeusement baptisée “De zéro à héros” par Gideon Gono, gouverneur de la Banque centrale du Zimbabwe. Selon des économistes, retirer des zéros ne va rien changer quant au fond. Le billet de 100 000 aura beau être devenu un billet de 1 000, cela ne réduira pas l’inflation, qui atteint des sommets : plus de 1 000 % par an, au dire de John Robertson, économiste à Harare. “Il faudrait un vrai changement de politique économique, soutient-il, à commencer par la maîtrise du déficit budgétaire.” Depuis le 21 août, les vieux billets n’ont plus de cours légal, d’où la ruée vers les commerces ou les banques. Mais, avant le passage à la nouvelle monnaie, le régime du président Robert Mugabe, avec l’autoritarisme qu’on lui connaît, a traité les gens Robert Mugabe, le président du Zimbabwe. Dessin de Gado paru dans The Nation, Nairobi. D Pauvreté transportant du cash comme des criminels. Aux barrages routiers, aux postes-frontières, dans les aéroports, les policiers fouillaient les sacs pour s’assurer que personne ne détenait plus de 100 millions de dollars z i m babwéens. D’énormes quantités de billets ont été confisquées, en particulier à des paysans venus en ville déposer leur argent à la banque. Plus de 3 200 Zimbabwéens ont été arrêtés à des barrages routiers et 700 milliards ont été saisis, selon les médias d’Etat. Des centaines d’entreprises font aussi l’objet d’enquêtes. Les contrôles ont parfois pris un tour macabre. Les familles qui transportaient leurs morts aux enterrements devaient ouvrir les cercueils pour prouver que des espèces ne voisinaient pas avec les restes de leurs chers disparus. Peu avant le changement de monnaie, la police a saisi à l’aéroport de Harare plusieurs grands récipients où étaient cachés plus de 1 000 milliards de dollars zimbabwéens. Cet argent était réacheminé en contrebande dans le pays par trois grandes institutions financières, à en croire le quotidien progouvernemental The Herald, afin d’être échangé contre la nouvelle monnaie. Le dollar zimbabwéen a connu son heure de gloire, mais l’inflation galopante l’a rendu presque sans valeur. Dans les supermarchés, la clientèle devait pousser un chariot plein d’argent pour s’en acheter un de provisions. Les calculettes, les caisses enregistreuses et les chéquiers n’arrivaient plus à suivre : les prix des produits de consommation courante atteignaient des millions, les biens immobiliers et les voitures coûtaient des milliards et les budgets des entreprises se chiffraient en billions. Retirer trois zéros va rendre la monnaie zimbabwéenne plus facile à manier, mais l’inflation ne tardera pas à rajouter les zéros manquants. Selon le Mail & Guardian, “la population zimbabwéenne, autrefois l’une des plus prospères d’Afrique, est appauvrie et affamée”. Il y a dix ans, environ 30 % des Zimbabwéens vivaient en dessous du seuil de pauvreté. Aujourd’hui, le taux est supérieur à 70 %, estime l’hebdomadaire sud-africain. Avant le 21 août, au taux de change officiel, 250 000 dollars zimbabwéens valaient 1 dollar américain. Mais, en réalité, le dollar zimbabwéen vaut encore moins que cela, car on ne trouve pas de dollars [US] au taux officiel. Sur le marché parallèle, illégal mais florissant, il faut 600 000 dollars zimbabwéens pour acheter 1 dollar. “Notre dollar ne sert à rien”, assurait Iddah Mandaza, un ouvrier de Harare, à la veille du changement de monnaie. “Ça coûte 600 000 dollars de prendre son bus pour aller au travail. On paie des millions pour s’acheter un cassecroûte. Retirer des zéros, ça ne va rien changer.Tout le monde le sait. On aura moins de billets sur nous, mais ça ne va pas arrêter l’inflation, ni faire disparaître les pénuries de nourriture et de carburant.” Le passage à la nouvelle monnaie met à nu la gravité de la crise économique que traverse le Zimbabwe. En huit ans, le PIB a perdu plus de 40 %, un effondrement sans précédent pour un pays qui n’est pas en guerre, selon la Banque mondiale. D’autres indicateurs économiques sont tout aussi consternants. Le chômage est estimé à 70 % ou 80 %. La production agricole a plongé de 60 % et les usines fonctionnent à moins de 20 % de leur capacité, d’après certains économistes. “Les pauvres et les moins instruits auront été les plus pénalisés”, commente John Makumbe, professeur de sciences politiques. “On les a traités comme des saboteurs économiques. Ils sont censés être les plus solides partisans de Mugabe, et pourtant ils se souviendront amèrement du jour où les autorités leur ont confisqué leur argent. Mugabe peut truquer les élections, il peut museler la presse, mais il ne peut pas truquer l’économie. Elle refuse d’obéir à ses ordres.” Andrew Meldrum LIBYE Kadhafi père et fils, même combat Sayf Al-Islam Kadhafi se livre à de violentes attaques contre le régime libyen. Pour Al-Quds-Al-Arabi, c’est juste une manière de préparer en douceur la succession familiale. er tains des discours récemment prononcés en Libye pourraient être qualifiés de putschistes s’ils n’étaient le fait du propre fils de Kadhafi. Sayf Al-Islam Kadhafi n’a pas hésité à dire que le pays était dans un état pitoyable, que la politique économique était mauvaise, que le système de santé était insuffisant et que l’attitude vis-à-vis de la presse était incorrecte, avant de se faire l’avocat des réformes et de la démocratisation, comme s’il voulait balayer les idées révolu- C tionnaires, les pratiques des congrès populaires, les rêves de grandeur, les projets de “fleuves ar tificiels” [chantier géant d’adduction d’eau des nappes phréatiques du désert vers les villes côtières], et en finir avec les divagations du Livre vert [programme idéologique de la révolution libyenne] qui a assommé deux générations entières de Libyens. Depuis la fameuse “révolution de septembre” [coup d’Etat de 1969], le pays a été transformé en une sorte de théâtre géant pour que le Guide puisse s’y donner en spectacle dans une mise en scène permanente, à laquelle le peuple est gratuitement convié. Et, si la population en a assez du père, le fils se propose comme solution de rechange, prêt à enterrer tous les “acquis” COURRIER INTERNATIONAL N° 828 du passé. Soyez assurés qu’il a la bénédiction de son géniteur, car l’important, c’est que le pouvoir reste dans la famille. Je n’ai pas de boule de cristal et je ne sais pas lire dans les pensées réformatrices de Kadhafi fils, mais ces discours ne sont rien d’autre que les slogans publicitaires du seul et unique candidat à la succession au pouvoir. Le scénario manque presque d’originalité, dans ce monde arabe où les “dynasties républicaines” ne choquent plus personne. Quoi qu’on dise sur la modernité de ses idées, sur sa bonne volonté et sur son désir sincère de faire entrer son pays dans le monde contemporain, les discours du jeune Kadhafi ne seront jamais autre chose qu’une campagne publicitaire des- 39 DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 tinée à lui assurer un règne aussi long que celui de son père. Pendant trente-sept ans, on a fait perdre leur temps aux Libyens et dilapidé des millions en voulant leur inculquer les valeurs du Livre vert, en organisant des festivals de “poésie panégyrique” à la gloire du Guide, en passant du panarabisme au panafricanisme et vice versa, en prêchant une vaine résistance face aux boycotts internationaux pour finalement revenir à la case départ. Les Libyens ont accordé leur confiance au père. Qu’ils ne se trompent pas à nouveau aujourd’hui ! Qu’ils ne descendent pas dans la rue pour donner un nouveau blanc-seing à l’héritier, quels que soient ses slogans ! Hakam Baba, Al-Quds Al-Arabi, Londres 828p39-40 12/09/06 14:24 Page 40 afrique OUGANDA 28 millions d’habitants aujourd’hui, 130 millions en 2050 L’Ouganda connaît la plus forte croissance démographique du monde. Pour le président Yoweri Museveni, il ne faut rien faire pour la limiter car c’est une chance pour le développement du pays… THE GUARDIAN Londres ’Ouganda compte aujourd’hui 27,7 millions d’habitants. Mais, d’ici à 2025, sa population aura pratiquement doublé pour atteindre 56 millions de personnes, un chiffre proche de celui de la Grande-Bretagne pour une superficie similaire. En quarantequatre ans, ce pays aura connu une croissance démographique presque aussi élevée que celle de la Chine. “Quand on voit ces chiffres, on se dit que c’est impossible”, déclare Carl Haub, du Population Reference Bureau, une organisation américaine dont les dernières projections font de l’Ouganda le pays à la croissance démographique la plus rapide du monde. Au milieu du XXIe siècle, le pays aura la douzième population de la planète : 130 millions d’habitants, plus que la Russie ou le Japon. Aussi stupéfiantes qu’elles soient, ces projections tiennent la route, et il suffit d’examiner certaines des variables pour en connaître la raison. Une Ougandaise donne en général naissance à sept enfants – un taux de fécondité extraordinairement élevé, qui n’a pratiquement pas varié depuis trente ans. La moitié de la population a moins de 15 ans et sera bientôt en âge de procréer. Moins d’une femme sur cinq a accès à la contraception. Pris dans leur ensemble, ces facteurs annoncent une explosion démographique qui, selon les experts, condamne d’avance la lutte contre la pauvreté si l’on ne prend pas des mesures de toute urgence. Et pas seulement en Ouganda. La plus grande partie de l’Afrique subsaharienne connaît une expansion tellement foudroyante que la carte démographique du monde est en train de changer. Dans le reste du monde, y compris dans les pays en développement d’Asie et d’Amérique du Sud, le taux de fécondité n’a cessé de baisser, pour atteindre en moyenne 2,3 enfants par femme. La plupart de ces pays ne connaîtront qu’une croissance modeste dans les décennies à venir. Certains, en particulier en Europe de l’Est, verront même leur population décliner. En revanche, le Tchad, le Mali, la Guinée-Bissau, le Liberia, le Niger, le Burundi et le Malawi – qui comptent tous parmi les pays les plus pauvres du monde – devraient voir leur population tripler d’ici à 2050. Le Nigeria sera le quatrième pays le plus peuplé du monde, la république démocratique du Congo et l’Ethiopie entreront pour la première fois dans les dix premiers. L’Afrique regroupera près du quart de la population mondiale – au lieu du septième aujourd’hui. “C’est inquiétant et déprimant”, confie Jotham Musinguzi, le directeur du secrétariat à la population du minis- Dessin de Riber paru dans Svenska Dagbladet, Stockholm. L ■ tère des Finances ougandais, qui rappelle que taux de fécondité élevé et pauvreté sont liés. “Allons-nous vraiment pouvoir donner travail, logement et éducation à tous ces gens ?” NOMBRE DE DIRIGEANTS PENSENT QUE LEUR PAYS EST SOUS-PEUPLÉ Le développement risque de ne pas être la seule victime de cette explosion démographique. La compétition va s’accroître pour les ressources limitées, la terre par exemple, et les conflits vont probablement se multiplier. Les conséquences se feront sentir bien au-delà de l’Afrique : l’envie d’émigrer – qui est déjà pressante – ne pourra que s’accentuer. Mais tout n’est pas encore perdu. L’expérience montre qu’avec une forte volonté politique on peut freiner la croissance démographique en Afrique. La population sud-africaine devrait rester stable grâce à une politique constante visant à réduire le taux de fécondité – même si le sida est aussi un facteur. En 1978, le Kenya, pays voisin de l’Ouganda, avait le taux de fécondité le plus élevé du monde – plus de huit enfants par femme. Le gouvernement a fait du planning familial une priorité nationale, et le chiffre est tombé à moins de cinq au milieu des années 1990. Nombre de dirigeants africains, dont Yoweri Museveni, le président de l’Ouganda, considèrent cependant que leur pays est sous-peuplé et qu’un marché intérieur et une main-d’œuvre plus importants doperaient ses perspectives Contraception Selon The Guardian, en Ouganda, le principal problème, ce n’est pas le prix des moyens de contraception – trois mois de pilules reviennent à 10 centimes d’euro, et les préservatifs sont gratuits pour les hommes. “C’est plutôt l’accès à l’information et aux contraceptifs : ce genre de clinique n’existe tout simplement pas dans la plus grande partie du pays.” économiques. Museveni a déclaré aux députés en juillet : “Je ne suis pas de ceux qui s’inquiètent de l’‘explosion démographique’. C’est une grande ressource.” Les études effectuées en Afrique montrent que les gens continuent à souhaiter une grande famille. Au Nigeria, seules 4 % des femmes ayant deux enfants déclarent ne pas en vouloir d’autres, selon une enquête récente. Cela s’explique en partie par des raisons culturelles : les grandes familles sont considérées comme un signe de sécurité, et l’on redoute la mortalité infantile élevée. Quant au contrôle des naissances, il reste mal vu. Selon les experts, le public manque d’information et les femmes de contraceptifs. En Ethiopie, 8 % des femmes mariées utilisent un contraceptif. En Ouganda, plus du tiers des femmes déclarent souhaiter arrêter de faire des enfants ou, au moins, ralentir le rythme. Les pays donateurs ont leur part de responsabilité, affirme Steven Sinding, directeur général de la Fédération internationale des plannings familiaux. Le monde a crié victoire trop tôt dans la bataille contre le taux de fécondité. La réduction de la croissance de la population mondiale ne figure pas parmi les “objectifs du millénaire pour le développement” des Nations unies, qui entendent réduire la pauvreté de moitié d’ici à 2015, et est à peine évoquée dans le rapport de la commission pour l’Afrique lancée par Tony Blair. “La population reste un problème très sérieux en Afrique, mais les pays donateurs se sont concentrés sur le sida et personne n’en parle plus, déclare Steven Sinding. La démographie est exclue du programme de développement, et c’est une tragédie pour l’Afrique.” Xan Rice CÔTE-D’IVOIRE Déchets toxiques et faillite politique Six personnes ont été tuées et plus de 6 000 autres intoxiquées par les produits chimiques déversés dans des décharges publiques d’Abidjan. Le témoignage d’un journaliste contaminé. e vendredi 18 août 2006, un communiqué du district d’Abidjan faisait état d’une opération de démoustication de la ville d’Abidjan par pulvérisation aérienne. Le lendemain, c’est-à-dire le samedi 19 août 2006, nous sommes réveillés par une odeur indescriptible. Nous avons pensé que cette odeur était due à l’opération de démoustication annoncée. Le 25 août, je me réveille avec la gorge sèche et je crache du sang. Une visite à l’hôpital n’a pas permis de connaître l’origine de mon mal. C’est le journal télévisé qui va nous apprendre qu’un liquide dangereux aurait été déversé à divers endroits de la ville d’Abidjan, provoquant des vapeurs d’une particulière nocivité, et que cette situation aurait déjà fait des victimes L dans la population. Nous nous rendons alors compte qu’une partie de ce liquide a été déversée derrière notre demeure, à Abobo [quartier d’Abidjan]. Aujourd’hui, c’est toute ma famille, composée de huit personnes, qui est infectée, sans assistance médicale. [Ces déchets toxiques ont été déversés par un navire battant pavillon panaméen.] Nous avons abandonné notre domicile. Ma famille est aujourd’hui éparpillée : deux enfants sont à Adjamé [quartier d’Abidjan], un autre à Yopougon [autre quartier d’Abidjan] ; deux neveux vivant chez moi se retrouvent l’un à Yopougon et l’autre à Grand-Bassam [ville portuaire] ; mon épouse a pu être accueillie dans une famille à Abobo, avec mon dernier-né. Et moi-même, le chef de famille, toujours malade et ne voulant pas surcharger les amis qui ont bien voulu recevoir les autres membres de la famille, j’ai choisi de passer mes nuits sur mon lieu de travail [la rédaction du quotidien Fraternité Matin]. Dans le souci COURRIER INTERNATIONAL N° 828 40 DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 d’améliorer les conditions de vie de ma famille, j’avais acquis un logement après plusieurs années de sacrifice. Aujourd’hui, je suis obligé de dormir dans mon bureau, ma famille étant éparpillée dans la ville à la suite d’une situation indépendante de ma volonté. L’odeur des déchets continue de monter… et on ne par vient toujours pas à situer les responsabilités et à désigner les coupables. Le peuple, lui, reste très attentif à ce qui s’est passé et à ce qui se passera cette semaine à propos des déchets toxiques déposés dans notre pays par un bateau ivre. [Après cette affaire, le gouvernement ivoirien a démissionné.] Le nouveau gouvernement sera-t-il connu assez vite ? Les déchets seront-ils enlevés assez vite ? Les populations serontelles rassurées assez vite et à tout point de vue ? A ce stade, le peuple ne veut et ne peut regarder que le président Gbagbo et le Premier ministre Konan Banny… Alfred Moussa Dan, Fraternité Matin (extraits), Abidjan 709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13 828p42-43 12/09/06 16:31 Page 42 e n c o u ve r t u re ● E R T Ê ’ D R U D R U D E H C U A G E D ■ Qu’est-ce que la gauche aujourd’hui ? Les travaillistes britanniques sont déçus par Tony Blair, les démocrates américains ne savent pas comment battre George Bush, et la percée de Ségolène Royal pousse le PS à s’interroger sur les valeurs qu’il défendra lors de l’élection présidentielle. ■ Même le modèle nordique ne fournit plus de solutions toutes prêtes, pas plus que la gauche latino-américaine. Pour autant, les militants, les intellectuels et les blogueurs ouvrent de nouvelles pistes : ni résignation devant le marché ni retour aux vieilles recettes socialistes. COURRIER INTERNATIONAL N° 828 42 Ce qui res t Préserver l’Etat-providence et l’environnement, soutenir la cause de la liberté … Pour l’éditorialiste britannique John Lloyd, être de gauche garde son sens. LA REPUBBLICA Rome e Parti des socialistes européens (PSE) a pour slogan : “Socialiste, et fier de l’être !” Il peut certes en être fier, mais qu’il se dise socialiste est une offense au vocabulaire. Car, si “socialiste” a un sens, alors le PSE ne peut plus être décrit comme tel. Il est quelque chose d’autre : il est tout à fait différent d’un parti de droite, mais il n’est pas socialiste. Et la politique européenne ne s’en porterait que mieux si on l’admettait. Où en sont les principaux partis de la gauche en Europe ? Le Parti travailliste britannique est celui qui a été au pouvoir le plus longtemps, et aucun de ses chefs de file, en tout cas pas Tony Blair, ne le définirait comme socialiste. Les sociaux-démocrates allemands, membres de la coalition dirigée par la démocrate-chrétienne Angela Merkel, ne peuvent pas faire grand-chose tout seuls. Même les socialistes espagnols, dont la victoire en 2004 était inattendue, mais qui ont su remarquablement consolider leur assise sous la férule de José Luis Rodríguez Zapatero, s’intéressent davantage à la libéralisation sociale qu’à des réformes économiques socialisantes. Si en Suède les sociaux-démocrates se trouvent presque constamment aux commandes, c’est parce qu’ils ont adopté une position de plus en plus centriste. Aux Pays-Bas, le Parti travailliste, exclu du pouvoir, est en quête de nouvelles idées, en particulier à propos de l’immigration. En France, les socialistes sont encore sous le coup d’une défaite traumatisante en 2002 et sont profondément divisés sur l’Europe. Quant à leur candidate potentielle à la présidentielle, la populaire Ségolène Royal, elle affiche des opinions centristes, pour ne pas dire de droite, qui expliquent justement sa popularité. En Italie, l’Union de la gauche [élue en avril 2006] a déjà entrepris ce que n’avait pas fait le gouvernement de la droite : libéraliser l’économie. Dans le même temps, la gauche s’est attelée à une tâche ardue : l’unification des principaux partis qui la composent. Ce qui devrait déclencher un débat sur ce qu’est la gauche. Un débat qui, même s’il se déroule dans un environnement moins propice, ne sera pas sans rappeler celui qui a accouché du New Labour en Grande-Bretagne dans les années 1990. Tous les partis de la gauche européenne, bien que de traditions extrêmement diverses et étant confrontés à des problèmes nationaux différents, se ressemblent sur certains points clés : ils ne croient plus ou, du moins, ils ne fondent plus leurs actions sur la conviction que des mesures L DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 828p42-43 12/09/06 16:31 Page 43 s te aux partis socialistes socialistes sur le plan économique peuvent favoriser la croissance, voire l’emploi à long terme ; dans toute l’Europe, ils doivent faire face à un retour de bâton vis-à-vis de l’immigration et à la peur de l’islam radical, et doivent développer des politiques en conséquence ; enfin, leur électorat traditionnel, la classe ouvrière syndiquée, ne cesse de s’éroder. Pour les partis démocratiques de gauche des anciens Etats communistes, la vie après le communisme n’a pas été tendre, et ils ont dû lutter pour accéder au pouvoir. Qu’espérons-nous, en réalité, quand nous élisons un gouvernement de gauche ? Nous n’attendons plus de transformation économique, ni une approche automatiquement progressiste des questions sociales et de l’immigration, ni même que les classes laborieuses soient favorisées. Ce que nous voulons, c’est une approche plus sociale, une attitude plutôt plus progressiste sur les questions sociales et personnelles. Nous voulons que l’accent soit davantage mis sur la justice, qu’il y ait davantage de volonté de légiférer en faveur des droits des femmes. Toutes ces distinctions sont importantes, elles peuvent être synonymes d’une véritable amélioration des droits et des vies des gens. Mais ces distinctions sont également relatives, car nous ne nous attendons pas à ce que des gouvernements de droite s’opposent à ces notions, du moins pas trop radicalement. Bien sûr, les partis ne peuvent pas revenir brutalement sur leurs convictions officielles, même s’ils n’en tiennent plus compte dans leurs actions. Ils ne peuvent tirer un trait à la légère sur leur tradition, bien souvent une tradition de lutte, parfois contre l’oppression. C’est peutêtre parce que le Parti travailliste britannique n’a jamais été mis au ban par des forces totalitaires de droite – comme cela a été le cas de partis sociaux-démocrates en Allemagne, en Italie et en Espagne – qu’il a pu ouvertement entreprendre des changements aussi radicaux. Nombre de ces partis comptent encore ■ L’auteur John Lloyd, éditorialiste au Financial Times, a notamment écrit pour l’hebdomadaire de gauche New Statesman. Dernier ouvrage paru : What the Media Are Doing to Our Politics (Comment les médias sapent la démocratie, éd. Constable & Robinson, 2004). des membres qui continuent de croire que le socialisme peut réussir. Et ils se heurtent à des oppositions de droite qui ont tendance à les obliger à se définir contre la droite, et donc à s’accrocher au mot “socialisme”. L’une des meilleures explications à cela, c’est que le socialisme démocratique a accompli beaucoup de choses en un peu plus d’un siècle d’existence. Ses deux distorsions totalitaires, le nationalsocialisme et le communisme, ne peuvent faire oublier la force de progrès qu’a été le socialisme, de façon mineure avant la Seconde Guerre mondiale, mais de façon éclatante après. La pression populaire en faveur d’une société plus équitable s’est exprimée par le biais des formations socialistes démocratiques, et s’est concrétisée une fois ces dernières au pouvoir. Là où des dirigeants autoritaires se sont maintenus au sommet dans la seconde moitié du XXe siècle, comme en Espagne, en Grèce et au Portugal, les socialistes se sont opposés à eux. Puis, arrivés au pouvoir après la chute des dictateurs, ils ont largement contribué à réparer les dégâts que les autocrates avaient infligés à leurs sociétés. Grâce à eux, les ouvriers ont vécu dans la dignité et la sécurité. Les socialistes ont défendu les valeurs de tolérance et de liberté sur les questions sociales. Sur le plan international, ils ont milité en faveur de la paix et de la réconciliation. Le simple fait que le centre droit ne puisse plus vraiment remettre ces acquis en question est la preuve de leur succès. Dessin de Richard McGuire paru dans The New York Times Book Review, Etats-Unis. Mais, pour réussir, ils ont dû constamment changer. L’essence du centre gauche, c’est sa flexibilité, que ses adversaires dénoncent comme de l’opportunisme, alors qu’elle n’est en fait qu’une manifestation de maturité, la reconnaissance de bouleversements sociaux et économiques. A ce stade de l’histoire européenne, le socialisme, si ce terme est appliqué à une série d’accords économiques et sociaux plutôt qu’à une tradition historique, n’a plus aucun sens. Il demeure toutefois un aspect de la politique progressiste dont la gauche est l’héritière. Une politique qui a recours à des moyens divers, dont les mécanismes de l’économie de marché, pour veiller à ce que les prestations sociales dans des secteurs comme la santé, l’éducation, les retraites soient à la fois efficaces et correctement financées. Concernant les questions sociales, la gauche a eu tendance à se montrer ouverte, et elle peut continuer. En tant que force laïque, elle peut offrir un espace à une expression personnelle et artistique préférant la participation active à la passivité. Elle peut être l’expression d’un optimisme social qui encourage l’effort commun afin d’améliorer l’environnement, de soutenir les plus vulnérables et d’aider toutes les régions du monde qui souffrent encore de la misère. Elle peut idéalement devenir la voix de l’opposition à la tyrannie, et ouvrir la voie, même alors que le projet de libération de l’Irak est dans l’impasse, à une meilleure façon de libérer de l’oppression les peuples qui ploient encore sous le fardeau du totalitarisme. Par-dessus tout, la gauche a la capacité d’incarner la conception d’une société qui a toujours besoin de valeurs. Elle doit continuer à lutter pour davantage de démocratie. En Europe, il ne s’agit pas de se battre, aujourd’hui, contre la dictature, mais contre l’apathie et la fragmentation de la société.Tout cela fait partie de son héritage, et pourrait être indissociable de son futur. John Lloyd R O YA U M E - U N I Le manifeste de la gauche anti-antiaméricaine ■ Depuis plusieurs décennies, et surtout depuis le 11 septembre et le début de la guerre contre la terreur, un vide se faisait sentir sur l’échiquier politique. Il était devenu plus difficile pour la gauche dite démocratique ou non communiste de se trouver une patrie intellectuelle et politique. Ceux qui aspiraient à la fois à une politique intérieure progressiste et à une politique étrangère énergique et prodémocratique n’avaient nulle part où aller, à moins de sacrifier l’une ou l’autre de leurs aspirations. Pour combler ce vide, un groupe d’intellectuels et d’universitaires britanniques menés par Norman Geras, professeur émérite de sciences politiques à l’université de Manchester, a publié au printemps dernier le manifeste de Euston. Son but est de proposer un support cohérent susceptible de rallier la gauche socialiste et d’autres progressistes déçus par les tendances antidémocratiques, néo-iso- lationnistes et antiaméricaines d’une partie de la gauche actuelle. A l’issue de plusieurs rencontres dans un pub proche de la station de métro Euston, à Londres, d’échanges de courriels et de navigation dans la blogosphère, un document a fini par émerger, que l’on peut lire – et signer – sur le site du groupe, <www.eustonmanifesto.org>*[2 500 personnes l’ont déjà signé à travers le monde]. Après avoir énuméré quinze grands principes sociopolitiques, le manifeste offre un complément d’explication sur certains points. Ses signataires qualifient les attentats du 11 septembre de crime de masse et rejettent l’idée que les EtatsUnis les aient en quelque sorte mérités. Ils s’opposent à ceux à gauche qui, sous prétexte d’antisionisme, font cause commune avec des groupes antisémites. Ils rejettent enfin la pratique du deux poids, deux mesures, qui conduit à dénoncer les violations des droits de l’homme imputables à des COURRIER INTERNATIONAL N° 828 43 démocraties et à rester discret ou silencieux sur celles commises par des Etats ou des mouvements antidémocratiques. Le manifeste a été mal accueilli par une grande partie de la gauche, qui y a vu une apologie de l’impérialisme angloaméricain. Cette hostilité a sans doute été exacerbée par les commentaires élogieux venus de droite. Le néoconservateur William Kristol, directeur de la rédaction de l’hebdomadaire Weekly Standard, a ainsi qualifié le manifeste d’exemple de “courage politique et de clar té morale” [d’autres publications de droite comme le Spectator au Royaume-Uni, Il Foglio en Italie et les pages éditoriales du Wall Street Journal se sont fait l’écho du manifeste]. Morton Weinfeld**, The Ottawa Citizen (extraits), Ottawa * Pour lire la version française du manifeste : <www.eustonmanifesto.org/joomla/translations/manifesto/fr/euston_manifesto.html>. ** Professeur de sociologie à l’université McGill de Montréal, il est l’un des signataires canadiens du manifeste de Euston. DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 828p42-51 12/09/06 15:59 Page 44 e n c o u ve r t u re La citoyenneté, avec un soupçon de nationalisme dans un monde où l’interconnexion est plus importante (et compte tenu de nos engagements vis-à-vis de l’Union européenne), la citoyenneté doit exclure autant qu’elle inclut. Les sociétés ne sont pas que des assemblages aléatoires d’individus. Les cultures nationales existent bel et bien, et il leur faut du temps pour s’adapter. Les coûts et les avantages de l’immigration ne sont pas équitablement répartis. Les nouveaux citoyens devraient être traités avec justice, et il serait bon de les aider à s’intégrer. Mais les citoyens existants comptent également, surtout les plus démunis, qui ont le plus à perdre face à l’immigration. Il peut y avoir des manières légitimes, tout comme il y en a de xénophobes, de s’opposer à l’arrivée d’un grand nombre de nouveaux venus dans une région donnée. Pour apaiser les tensions inévitables entre l’immigration et les Etats-providence, il faudrait que tout avantage et la citoyenneté elle-même soient autant que possible perçus comme “mérités”. Les communautés robustes, sur le plan local et national, reposent sur une expérience partagée. Les sociétés libérales et diverses ne parviennent généralement pas à engendrer cette expérience et à préserver des identités collectives. Sans une histoire nationale inclusive, on court le risque d’une balkanisation, les gens votant et s’identifiant en fonction de la race et de la religion plutôt qu’en fonction d’intérêts économiques et sociaux. David Goodhart* Pour réconcilier élites et classe ouvrière, les travaillistes britanniques devront redonner un sens à l’idée de nation, argumente le rédacteur en chef de la revue Prospect. THE GUARDIAN Londres es dernières années, l’opinion publique s’est trouvée de plus en plus partagée entre, d’un côté, une minorité cosmopolite défendant une idéologie universaliste, postnationale, fondée sur les droits de l’homme, parfaitement à l’aise dans une société plus fluide et pluraliste, et, de l’autre, un groupe plus traditionnel, qui doute du bien-fondé des changements rapides et s’inquiète davantage de ses racines et du concept de réciprocité. L’ennui, pour le Parti travailliste, c’est que ces deux groupes font historiquement partie de sa coalition. Dans le camp cosmopolite, on retrouve l’essentiel de la classe moyenne de gauche, et, dans le camp traditionnel, une grande partie de l’ancienne classe laborieuse. Pour tenter de satisfaire les deux (ainsi que les minorités qui se sont établies au RoyaumeUni, présentes à peu près à tous les niveaux du spectre des valeurs), la rhétorique du Labour a oscillé, de façon parfois alarmante, entre ces deux pôles, vantant les mérites de l’immigration massive, de Cool Britannia et du Human Rights Act [la loi de 1998 introduisant la Convention européenne des droits de l’homme dans le droit britannique], puis durcissant son discours sur la délinquance, parlant d’immigration choisie et de cartes d’identité. C SANS HISTOIRE NATIONALE PARTAGÉE, UNE SOCIÉTÉ SE BALKANISE Il est difficile de créer une “troisième voie” crédible sur les questions de sécurité et d’identité, et susceptible de plaire à la fois aux progressistes et aux inquiets. Difficile, mais pas impossible. Contrairement aux caricatures gauchistes, les citoyens qui redoutent ces bouleversements ne sont pas tous xénophobes. Et, contrairement aux caricatures de la droite, la plupart des gens raisonnables à gauche reconnaissent que des frontières nationales sont nécessaires et qu’il faut parvenir à un équilibre entre droits individuels et sécurité nationale. Les intérêts des citoyens britanniques, de toutes origines et de toutes croyances, doivent avoir la préséance. Cela peut sembler évident, mais cette idée se heurte souvent aux convictions de la gauche internationaliste, de l’élite du monde des affaires et de la droite xénophobe (qui refuse de reconnaître le non-autochtone comme un citoyen à part entière). Il nous faut des frontières pour protéger ce caractère particulier. Même * David Goodhart vient de publier Progressive Nationalism:Citizenship and the Left [Le nationalisme progressiste : la citoyenneté et la gauche], éd. Demos, Londres. Tony Blair. Dessin de Mayk paru dans Sydsvenskan, Malmö. POST-SOCIALISME Le socialisme sera œcuménique ou n Pour Anthony Giddens, théoricien de la “troisième voie” chère à Tony Blair, la gauche a un avenir si elle sait s’approprier des concepts comme le libéralisme et la sécurité. ue reste-t-il après la fin du socialisme ? Ou, pour le dire autrement, que reste-t-il de la gauche ? La gauche a survécu à la disparition du socialisme. On perçoit clairement le fil qui relie le socialisme réformiste aux actuels par tis de gauche, mais plus en termes de valeurs qu’en termes de politiques. La gauche défend les valeurs d’égalitarisme et de solidarité, la protection des plus faibles et l’idée que l’action collective est indispensable pour défendre ces valeurs. Cette “action collective” implique que l’Etat mais aussi d’autres acteurs de la société civile ont un rôle à jouer. La gauche ne peut plus se donner simplement pour mission, comme le faisaient autrefois les socialistes, de limiter les dégâts dûs aux marchés. Le capitalisme a toujours besoin de régulation. Pourtant, aujourd’hui, la fonction de l’Etat doit parfois être d’accroître le rôle des marchés Q COURRIER INTERNATIONAL N° 828 44 et non de le réduire ; ou d’aider les marchés à fonctionner de manière plus efficace. La gauche ne peut plus se définir comme étant opposée à la réforme de l’Etat-providence. Celuici, rappelons-le, a été conçu à l’origine comme un filet de sécurité. Cer tains de ses objectifs demeurent, mais aujourd’hui le système de protection doit tendre à devenir un véritable mécanisme d’investissement social. Nous devons investir dans les individus afin de les aider à subvenir à leurs propres besoins dans une époque qui laisse une place bien plus grande qu’autrefois à la liberté et aux aspirations individuelles. Le système éducatif doit être radicalement rénové afin d’être en mesure d’affronter un monde de plus en plus compétitif ; l’enseignement supérieur, lui aussi du meilleur niveau possible, doit être beaucoup plus largement accessible. La gauche ne peut plus se définir en fonction d’une vision classique des libertés individuelles. Ce n’est pas être de droite que de dire que la criminalité est un problème majeur pour de nombreux citoyens. Ce n’est pas être de droite que DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 828p42-51 12/09/06 16:00 Page 45 DUR DUR D’ÊTRE DE GAUCHE ● Le modèle suédois, un projet individualiste Dessin de Sean Mackaoui paru dans El Mundo, Madrid. Contrairement aux idées reçues, l’Etat-providence scandinave est avant tout un contrat entre l’Etat et le citoyen. ■ EXPRESSEN Stockholm es Suédois forment une masse atone qui évolue dans les labyrinthes de l’administration pendant que le modèle suédois se désagrège lentement. L’image du Suédois est double. D’un côté l’ermite, de l’autre le disciple effacé de la loi de Jante [sorte de code de conduite scandinave selon lequel personne n’a le droit de se sentir supérieur aux autres]. Les historiens Henrik Berggren et Lars Trägårdh tentent de résoudre l’équation dans un nouveau livre intitulé Le Suédois est-il un homme ?*. La droite suédoise, qui n’en revient pas de voir les sociaux-démocrates accaparer le pouvoir depuis aussi longtemps, explique volontiers ses insuccès politiques en soutenant que les Suédois ont été victimes d’un lavage de cerveau et transformés en collectivistes totalement dénués d’esprit critique. L’hégémonie socialedémocrate aurait tant fait douter les Suédois de leurs capacités qu’ils ne seraient même plus sûrs de pouvoir survivre dans une société privée de médiateurs et d’Arbetarnas Bildningsförbund [association de bénévoles proposant des cours gratuits pour adultes]. D’après la thèse soutenue par Berggren et Trägårdh, la société suédoise est caractérisée par la vieille tradition de libre arbitre qui prévaut dans les relations entre individus. L’Etat-providence est un projet individualiste dont les racines plongent profondément dans l’histoire suédoise. L Le modèle suédois se fonde sur une relation directe entre l’Etat et l’individu en matière de droits et d’obligations, un individualisme d’Etat qui vise à libérer le citoyen des relations de dépendance. Ainsi, grand-mère pourra emménager dans une maison de retraite financée par l’Etat si elle sent qu’elle est un poids pour ses enfants. Grâce à une bourse du gouvernement, Sven pourra payer ses études et ne se sentira donc pas obligé de devenir médecin comme son père. Et, puisqu’elle gagne sa vie, Mona sera libre de quitter son mari si elle le souhaite. Henrik Berggren et Lars Trägårdh expliquent habilement que l’Etat-providence suédois a toujours souhaité libérer l’individu. Le succès du modèle suédois ne résulte pas de la manipulation d’un peuple endormi par les sociaux-démo- Mouvements “De plus en plus conscients de leurs limites, les partis de la gauche radicale européenne tentent de se refonder en coopérant avec les mouvements sociaux radicaux en pleine expansion”, constate The Nation. Une tendance favorisée, selon l’hebdo de la gauche américaine, par le contexte européen qui permet l’enrichissement réciproque des différentes cultures politiques et intellectuelles. WEB+ Plus d’infos sur le site La crise des sociauxdémocrates danois vue par le quotidien “Information” ALLEMAGNE u ne sera pas Les Grünen pensent au social d’affirmer que l’immigration doit être contrôlée et que les immigrés doivent accepter une série de devoirs citoyens, dont l’obligation d’apprendre la langue du pays d’accueil. Ce n’est pas être de droite que de vouloir réagir avec fermeté face au terrorisme. Les nouvelles menaces terroristes auxquelles sont confrontées les sociétés occidentales ne sont plus les mêmes qu’à l’époque où sévissaient les Brigades rouges – et pas non plus les mêmes que celles que constituait le “terrorisme local” de l’IRA ou d’ETA. Le droit de se sentir protégé de la violence terroriste est en soi une liberté fondamentale, qui doit être équilibrée par rapport aux autres. Je suis convaincu que la gauche de l’après-socialisme peut et devrait être plus œcuménique que ne l’était la gauche traditionnelle. Nous devons continuer à trouver de nouvelles politiques pour être en mesure de faire avancer les valeurs de gauche ; et l’innovation en politique découle non des dogmatismes, mais du libre-échange des idées. Anthony Giddens, La Repubblica (extraits), Rome ■ “Les Grünen ne sont plus asociaux”, clamait le 4 septembre Die Tageszeitung, au lendemain du “congrès sur l’avenir” qui a rassemblé quelque 2 000 personnes à Berlin. Et le quotidien alternatif d’ajouter : “Le plus petit parti d’opposition découvre la question sociale. La base du parti déplore l’Agenda 2000 du gouvernement Schröder et exige une politique de l’emploi qui ne se résume pas à la réforme du marché du travail (Hartz IV). Elle plaide aussi pour un revenu minimum. Des revendications que les dirigeants n’entendent pas volontiers : eux, ils préfèrent parler écologie.” Pour l’éditorialiste Jens König, “la classe politique allemande est dépassée. Les partis ont perdu le contact avec la réalité, et les électeurs, déçus, se détournent d’eux. S’il existe un parti qui peut changer quelque chose, ce sont les Grünen. Ils en ont donné la preuve à leur congrès. Par des débats d’une haute tenue sur des questions sociales controversées et par l’aveu de leurs incertitudes politiques et conceptuelles. Rafraîchissant. Mais des questions restent ouvertes. A quoi est dû l’échec du gouvernement rouge-vert, si la faute n’en revient pas à Schröder ? Et quelles conséquences en tirer dans la définition d’une politique verte qui intègre écologie, justice et formation ? Ce congrès pourrait être, pour les Grünen, le début d’une nouvelle réflexion et d’une remise en question radicale.” crates. Simplement, la majeure partie de la population apprécie l’indépendance que lui confère l’alliance entre l’Etat et l’individu, même si le prix à payer est un pouvoir central fort. Un à un, Berggren et Trägårdh déracinent les mythes suédois et les jettent gaiement par-dessus leur épaule sans se retourner. Les auteurs, constatant que c’est dans la relation de l’individu à la famille que l’on peut voir les grandes différences entre les régimes sociaux d’un pays à l’autre, se livrent à une analyse ambitieuse de la politique d’égalité en Suède, en commençant par examiner la tentative de l’Etat de permettre aux femmes d’être des individus à part entière sans recours immodéré à la dialectique féministe. L’ouvrage comporte cependant un certain nombre de contradictions. Par exemple, les auteurs constatent que le marché du travail suédois est l’un de ceux où la ségrégation sexuelle est la plus présente, mais claironnent que ce n’est ni par obligation ni par devoir mais de leur propre chef que les Suédois s’occupent de leurs proches. Comment expliquent-ils que ce soient majoritairement les femmes qui exercent des métiers d’assistance ? On ne le saura pas. L’alliance entre l’Etat et les femmes n’empêche pas ces dernières de continuer à s’user à la tâche dans un secteur public où les postes sont mal rémunérés. Les deux historiens suggèrent que c’est peutêtre l’homme qui a tiré le meilleur parti de la politique suédoise de l’égalité. L’Etat assiste désormais les hommes, alors que ceux-ci étaient autrefois seuls à faire vivre leur famille. Les devoirs moraux qui découlaient de ce rôle ont disparu sans que les hommes ne reprennent la responsabilité de la maison et des enfants, toujours dévolue aux femmes. Berggren et Trägårdh décrivent une masculinité suédoise libérée de ses devoirs mais toujours détentrice de la majeure partie de ses privilèges patriarcaux. Pour beaucoup, le revers du modèle suédois, comme les stérilisations forcées, tient au fait que l’individu doit se sacrifier pour la collectivité. Le Suédois est-il un homme ? propose un tableau plus nuancé. Les faces sombres du modèle suédois ne sont pas le produit du collectivisme, mais de l’individualisme. La culture du pays place sur le même plan la dignité humaine et l’indépendance de l’individu : toujours battant, le Suédois estime dégradant d’avoir besoin de l’autre. Sans cet individualisme forcené, on n’est pas suédois et on n’a rien à faire dans le modèle suédois. Et si l’on est une femme, l’Etat peut nous faire ligaturer les trompes. Si les Suédois ont choisi d’être une masse atone dans un Etat central fort, c’est uniquement pour pouvoir décortiquer tranquillement des crevettes en pleine nature. Nous déléguons le pouvoir à l’État pour ne pas dépendre de la bienveillance des autres. L’ouvrage de Henrik Berggren et Lars Trägårdh arrive à point nommé dans la dernière ligne droite d’une campagne électorale [les élections législatives ont lieu le 17 septembre] pendant laquelle l’ensemble des partis représentés au Parlement rivalisent pour faire l’apologie de l’Etat-providence. A moins que ce ne soit l’apologie de la mentalité suédoise ? Katrine Kielos * Är svensken människa ? éd. Norstedts, Stockholm. COURRIER INTERNATIONAL N° 828 45 DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 828p46 12/09/06 16:33 Page 46 e n c o u ve r t u re La société avant le marché Comme Thatcher, Clinton et Blair ont accepté la prédominance de l’économie. Le laboratoire d’idées Compass, créé au Royaume-Uni en 2003, veut renverser les priorités. NEW STATESMAN (extraits) Londres l n’y a pas d’alternative” – la fille naturelle de Margaret Thatcher,TINA (There Is No Alternative), a assujetti la gauche pendant vingt-cinq ans en soutenant que l’on ne peut pas contrer le marché. Bill Clinton et Tony Blair en ont dit autant :“C’est l’économie, idiot !” [“It’s the economy, stupid !” Mot d’ordre de la campagne de Clinton en 1992]. Puisqu’ils savaient que les marchés ne sont pas naturels mais qu’ils doivent être créés, les néolibéraux ont inventé leur propre monde.Tout a commencé à la fin des années 1960, lorsqu’ils ont lancé des idées aussi “folles” que les privatisations. En dix ans, ils se sont installés dans le champ politique jusqu’à prendre le pouvoir aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Pour Margaret Thatcher, “l’économie était le moyen, alors que le but était de changer les mentalités”. Elle savait que la population devait adhérer au marché, c’est pourquoi elle a mis en place des institutions qui plaçaient la concurrence avant la coopération. Le New Labour aurait pu commencer à affirmer le rôle de la démocratie dans l’économie. Mais cela n’a pas été le cas. Avec lui, vous n’aurez pas plus que ce que vous voyez autour de vous : un secteur public qui ressemble à une rue commerçante ; un durcissement face I Dessin d’Ivan Steiger paru dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung, Allemagne. à la délinquance ; une économie encore plus flexible ; et plus d’argent pour acheter des choses superflues. C’est mieux que le thatchérisme, mais ça ne suffit pas pour faire vivre un parti, encore moins un courant de pensée. Nous vivons toujours dans un monde qui échappe à notre contrôle et cherchons des solutions aux problèmes que la société crée. Face à la frustration qu’a suscitée le New Labour, une nouvelle gauche démocratique est en train d’émerger. Elle associe le réalisme solide de plusieurs anciens modernisateurs du New Labour à la politique plus idéaliste des intellectuels, qui doutent à juste titre du travaillisme. Le 17 juin dernier, plus d’un millier de personnes se sont rassemblées pour discuter d’un manifeste pour la gauche qui incarne la notion de réalisme utopique. L’utopisme a mauvaise réputation : fantaisiste et irrationnel, ou chargé de la menace de l’autoritarisme. Les deux critiques sont valables, mais le point de départ d’une politique de gauche florissante est la croyance non seulement dans un monde meilleur mais aussi dans un monde différent. Pour adhérer au pragmatisme, il faut savoir sur quoi se montrer pragmatique. L’essence d’un nouveau réalisme utopique repose sur l’idée que la société passe avant l’économie. Un monde meilleur, ne peut pas se fonder sur le néolibéralisme. Les marchés doivent être réglementés. C’est une leçon que nous a enseignée la Suède, pays qui mêle la concurrence internationale à une plus grande égalité [voir p. 45]. Nous devons croire que nous pourrons décrocher non pas un salaire minimum, mais un salaire décent. Cette utopie d’une nouvelle gauche est apparue chez des citoyens autonomes – libres de créer leur monde ensemble parce qu’ils sont plus égaux. Ce n’est pas un projet d’ensemble, mais le dynamisme d’une prise de décision collective démocratique, qui est une utopie de gauche. Cela implique un secteur public fort, protégé du marché et de la société civile florissante, associé à un Etat qui doit rendre des comptes à sa population. Nous sommes plus riches et vivons plus longtemps que jamais. Nous avons accès à des technologies incroyables. Nous comprenons l’esprit, la nature et la science des hommes comme jamais. Et pourtant, nous ne nous sommes jamais sentis capables de diriger notre monde. Nous vivons dans une utopie – mais pas la nôtre. C’est l’utopie des néolibéraux et des marchés déréglementés. Nous vivons dans l’utopie des rêves des autres parce que nous n’en avons pas. Neal Lawson* * Président de Compass, “le groupe de pression de la gauche démocratique”, dont le but est de réfléchir à “un programme de renouveau” du travaillisme. RÉFLEXION L’égalité, une idée à redécouvrir La Fabian Society, vénérable cercle de réflexion lié au Labour, propose aux travaillistes de lutter un peu plus contre les inégalités. e Parti travailliste redécouvre l’égalité. La Fabian Society, gardienne de l’âme du par ti*, a publié une “clause quatre” – déclaration symbolique des principes de base du Labour – révisée, qui intègre un engagement à faire du Royaume-Uni “une société plus juste et plus égalitaire”. L’idée est astucieuse. En prélude à l’ère Blair, le parti avait renoncé aux nationalisations. Une décennie plus tard, la Fabian Society avance qu’une ère Gordon Brown [possible successeur de Tony Blair] devrait également s’ouvrir par une réécriture historique de la constitution du parti. Ce nouveau désir de réduire le fossé entre riches et pauvres, qui s’est élargi sous le Labour, a de quoi laisser sceptique. Le gouvernement, qui s’était fixé pour objectif d’abolir la pauvreté des enfants d’ici à 2020, n’y L par viendra probablement pas. Ceux qui appellent le parti à retourner à ses racines égalitaires devraient étudier soigneusement la formulation de la nouvelle “clause quatre” : “Nous croyons que les chances des citoyens ne doivent pas être déterminées par les circonstances dans lesquelles ils ou elles sont nés.” Ce n’est pas vraiment révolutionnaire, et le terme de “chances” n’est pas très heureux. Cependant, les choses commencent à bouger dans le parti. La Fabian Society est tout à fait indiquée pour ce débat. La “clause quatre” originelle avait été rédigée en 1917 par Sidney Webb, qui avait participé à la constitution de cette organisation (comme d’ailleurs de la London School of Economics et du New Statesman). En 1992, c’est une publication de la Fabian Society que Tony Blair avait choisie pour annoncer son intention de récrire la “clause” et déclarer que le parti devait s’unir autour d’un ensemble de valeurs progressistes plutôt que de chercher à établir “la propriété commune COURRIER INTERNATIONAL N° 828 des moyens de production”. La dernière version de la clause quatre émane de la Commission sur les chances et la pauvreté des enfants de la Fabian Society. Après avoir reconnu l’apparition de certains progrès, la commission a jugé inacceptable que 2,6 millions d’enfants vivent toujours sous le seuil de pauvreté. Plus important, elle ajoute qu’il y a encore beaucoup trop de personnes dont les “chances” (c’està-dire le niveau d’éducation, l’état de santé et la situation vis-à-vis de l’emploi) sont déterminées par la géographie et la naissance. Elle recommande que l’égalité devienne le sujet de la Comprehensive Spending Review 2007 [les prévisions de dépenses des divers ministères pour les trois ans à venir]. Les néosocialistes (ou nouveaux “égalitariens”, comme ils préfèrent se qualifier) envahissent les lieux les plus surprenants. De fait, les politiciens et les têtes pensantes du Labour qui veulent lutter contre la pauvreté des enfants, l’échec scolaire 46 DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 des garçons noirs ou l’obésité des enfants des cités pauvres commencent à se bousculer. Ceux qui s’empressaient jadis de montrer leur soutien aux entreprises cherchent aujourd’hui à démontrer leur engagement en faveur des classes défavorisées. Gordon Brown a tout intérêt à présenter rapidement sa propre vision de l’égalité des chances s’il ne veut pas que les gens s’imaginent qu’il ne s’y intéresse pas. Le plus grand risque, pour le Par ti travailliste, c’est la définition. En s’engageant à fond dans la lutte contre la pauvreté des enfants, le chef des conservateurs David Cameron et son conseiller politique Oliver Letwin ont montré que cette aspiration n’était plus le monopole du Par ti travailliste. Celui-ci doit désormais convaincre le public qu’il a un programme distinct de celui des conser vateurs pour améliorer les chances de la population. Martin Bright, New Statesman (extraits), Londres * Créée en 1884, la Fabian Society a participé à la fondation du Parti travailliste, en 1900. 828p42-51 12/09/06 16:01 Page 47 DUR DUR D’ÊTRE DE GAUCHE ● Sociaux-démocrates, les Polonais ? Jamais A Varsovie, le débat se joue entre libéraux et populistes. Les sociaux-démocrates sont vus comme un frein au progrès. RZECZPOSPOLITA (extraits) Varsovie l n’y aura probablement pas en Pologne dans un avenir proche – ni peut-être même jamais – de parti social-démocrate tel qu’on en connaît en Occident. Les décennies d’“édification du socialisme” ont à tout jamais compromis et le terme et l’idée. Aucune formation dirigée par les gens qui, à cette époque, faisaient partie de l’appareil du Parti ouvrier unifié polonais (POUP, communiste) ou de celui de son mouvement de jeunesse ne peut devenir la base d’un tel parti. Or toutes les autres tentatives de fonder un parti social-démocrate chez nous n’ont pas pris racine et se sont soldées par un échec. Aujourd’hui, il n’y a aucune raison valable pour que la Pologne ne continue pas à fonctionner avec le type de configuration politique qui lui est propre, et qui résulte de notre expérience du communisme et du postcommunisme. On peut bien imaginer que, dans les années à venir, la scène politique polonaise soit dominée par la lutte entre le parti Droit et justice [PiS, droite populiste, au pouvoir] et la Plate-Forme civique [libéraux, opposition], ou entre les formations qui en seraient issues. Le PiS va probablement continuer à insister sur sa sensibilité à la problématique sociale et sur son attachement aux valeurs traditionnelles, et la Plate-Forme civique va davantage évoquer la modernisation du pays et la hausse de la productivité. La première formation sera plus proche de la démocratie-chrétienne occidentale ; la seconde, par son programme et la structure de son électorat, sera affiliée aux formations libérales occidentales. Mais toutes deux vont se réclamer de l’héritage de Solidarnosc et de la tradition de la lutte contre le communisme. A ce stade, on doit alors se poser la question : la Pologne a-t-elle vraiment besoin d’une socialdémocratie ? Durant plus d’un siècle, la gauche a été l’acteur majeur du changement et du progrès. Aujourd’hui, dans les principaux pays d’Europe continentale, elle est devenue synonyme de conservatisme et de marasme. Au lieu de les combattre, elle défend des égoïsmes corporatifs. Elle témoigne d’un manque d’idées flagrant face aux problèmes brûlants du XXIe siècle, et n’hésite pas à faire preuve de démagogie pour arriver ou pour pour se maintenir au pouvoir. I Dessin de Peter Till paru dans The Guardian, Londres. ■ L’auteur Ancien recteur (1972-1990) du collège d’Europe, à Bruges, puis ambassadeur de Pologne à Paris (1990-1996). A l’ère de la mondialisation, à l’époque où la Chine et l’Inde acquièrent une puissance grandissante, face à la pénurie d’énergie et à la flambée des prix du pétrole, les socialistes d’Europe occidentale persistent à vouloir maintenir un modèle social obsolète et à défendre des privilèges que les salariés ont acquis à l’époque de la prospérité, au temps où l’énergie était bon marché. Il s’agit parfois de privilèges qui heurtent carrément le bon sens – par exemple la retraite à 50 ans alors que l’espérance de vie atteint 80 ans ! La société ne peut continuer à supporter le coût de ces privilèges, qui mène droit à la ruine les finances publiques et empêche le progrès et le développement. Aujourd’hui, dans la majorité des pays d’Europe occidentale, grâce à sa représentation parlementaire, à ses liens avec les syndicats et à sa capacité de faire descendre les gens dans la rue, la social-démocratie est le principal frein aux réformes, et elle porte la responsabilité d’une confusion intellectuelle et d’une montée des tensions sociales. Le New Labour britannique constitue une exception notable mais, de plus en plus souvent, il n’est même plus considéré comme social-démocrate – tant par ses supporters que par ses adversaires. Les tentatives des sociaux-démocrates allemands d’abandonner leurs positions revendicatives et d’entreprendre des réformes ont divisé leurs rangs et ont finalement provoqué la défaite électorale du SPD. Une rhétorique usée et l’incapacité à formuler des propositions concrètes pour stimuler la croissance et pour diminuer le chômage font que la social-démocratie perd sa base traditionnelle. En France, par exemple, l’électorat du Front national est beaucoup plus ouvrier que celui du Parti socialiste. Ce dernier semble de plus en plus devenir une formation d’intellectuels, d’enseignants et de fonctionnaires. La Pologne n’a pas besoin de tels artifices. Jerzy Lukaszewski HONGRIE Minimum de gauche ou minimum de droite ? ■ Quelle position prendre face aux projets de réformes du gouvernement de centre gauche lorsqu’on se considère soi-même comme un intellectuel de gauche ? Selon le philosophe G. M. Tamás, il faut adopter une posture “quasi révolutionnaire”, parce que ces réformes sont “certes éclectiques, mais profondément réactionnaires, fondées sur la poursuite des privatisations, sur l’augmentation des impôts et des charges, sur le gel des salaires et sur les licenciements”, écrit-il dans les colonnes du quotidien Népszabadság. Cet ancien opposant appelle à boycotter les municipales de cet automne, et il propose “un minimum” pour créer un consensus à gauche, composé de “trois points indissociables” : 1) loyauté aux syndicats ; 2) lutte contre toute discrimination ; 3) soutien inconditionnel de la protection de l’environnement (bien que les Verts hongrois refusent d’être assimilés à la gauche…). Les réactions à l’article de G.M. Tamás ne se sont pas fait attendre. Pour l’histo- COURRIER INTERNATIONAL N° 828 47 rienne Mária Schmidt, proche de la FIDESZ, le principal parti de droite, “les propositions démagogiques de Tamás, formulées dans un langage vulgairement marxiste, font naître un sacré sentiment de déjà-vu”. “Tamás veut que l’homme de gauche soit à la fois politiquement indifférent et qu’il n’aille pas voter, et qu’il soit en même temps politiquement engagé en allant manifester dans la rue. Ça veut dire quoi ?” L’économiste Zoltán Krasznai, également ancien dissident, propose, lui, dans le quotidien Magyar Nemzet un “minimum de droite” : 1) solidarité nationale ; 2) politique économique et de développement au service du pays ; 3) gouvernement d’union nationale. Bref, un “minimum national”. Cette formule n’est-elle pas mise en application par la gauche en Amérique latine, remarque Krasznai ? Selon lui, la gauche hongroise est en réalité “de droite, étant sonné sa réticence à l’égard de l’utilisation du mot ‘nation’, surtout en tant que catégorie politique”. Un débat loin d’être clos. DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 828p48_49 12/09/06 16:51 Page 48 e n c o u ve r t u re La nouvelle gauche des internautes Aux Etats-Unis, un site s’est donné pour objectif de faire gagner les démocrates. En tissant des liens, en ouvrant des forums de discussion et en levant de l’argent pour les candidats. THE NEW YORK REVIEW OF BOOKS (extraits) New York uand, il y a moins d’une dizaine d’années, Internet a commencé à prendre une place importante, beaucoup se sont demandé si, à l’instar de la télévision, le réseau des réseaux allait entraîner un désengagement social ; ou si au contraire, grâce à sa nature interactive, il allait devenir un instrument susceptible de reconstruire du lien entre les gens et les organisations, voire de raviver le sentiment d’appartenance à une communauté ? La réponse n’est toujours pas claire. Mais ceux qui sont d’avis que le web peut avoir un effet politique revigorant visiteront avec intérêt le site <dailykos.com>, lancé en 2002 par Markos Moulitsas Zúñiga. Avec plus de un demi-million de visiteurs quotidiens, le site est devenu le lieu de rencontre de gens parfaitement ordinaires (c’est-à-dire pas seulement de politiciens, journalistes, universitaires, avocats ou gros donateurs) qui veulent réformer le Parti démocrate. Attaché à mettre au point des stratégies pour faire battre les républicains, le site a participé activement à la campagne de Howard Dean pour obtenir l’investiture démocrate en 2004, et a relayé sa vigoureuse opposition à la guerre en Irak. La structure technologique sophistiquée du site, élaborée par Moulitsas, permet à ses visiteurs de lever des fonds pour des politiciens qu’ils apprécient, de repenser et de débattre de questions d’actualité, de harceler des journalistes ou commentateurs paresseux ou partiaux, et même de fournir des informations que la presse traditionnelle préfère passer sous silence. Ce faisant, le site tente d’esquisser un nouvel avenir pour les démocrates – c’est le sujet du livre écrit par son fondateur, Markos Moulitsas Zúñiga, et Jerome Armstrong [voir ci-contre] – et il propose de nouvelles pistes qui pourraient aider le système politique américain à se débarrasser de l’emprise des grandes puissances financières. De mon point de vue, c’est l’événement le plus intéressant qui se soit produit depuis longtemps dans la politique américaine. Q ÔTER DU POUVOIR AUX ASSOCIATIONS MILITANTES ET LE RESTITUER AU PARTI Crashing the Gate s’attache avant tout à élaborer des tactiques qui permettront de définir une nouvelle stratégie pour le Parti démocrate. Ces tactiques impliquent tout d’abord d’ôter leur pouvoir aux groupes axés sur un problème unique, comme le mouvement pour le droit à l’avortement, les organisations écologistes ou encore les syndicats, afin de le restituer à un Parti démocrate revivifié. Ces différents groupes, qui constituent de longue date la clientèle de nombreux démocrates actifs dans les coulisses de Washington, pour lesquels ils représentent à la fois une réserve d’argent et un vivier de volontaires, ont Dessin de Lauzan, Chili. ■ Biblio Crashing the Gate : Netroots, Grassroots, and the Rise of PeoplePowered Politics [Forcer l’entrée : les cybermilitants, les militants et la montée d’une politique propulsée d’en bas], Jerome Armstrong et Markos Moulitsas Zúñiga, éd. Chelsea Green, New York, 2006. fini par imposer au parti leurs approches. Or, remarquent les auteurs, donner une place aussi importante à ces groupes ne fait que confirmer les stéréotypes républicains. Pis, on ne peut compter sur les militants qui se consacrent à une seule cause pour obtenir des victoires électorales. Les auteurs du livre sont également impatients de voir les démocrates rompre avec certaines de leurs positions passées afin d’attirer de nouveaux sympathisants – l’opposition de Dean, gouverneur d’un Etat rural, au contrôle des armes à feu leur a plu, par exemple, et ils ont trouvé un politicien digne d’admiration en la personne de Brian Schweitzer, gouverneur démocrate de l’Etat traditionnellement républicain du Montana, qui est favorable à un certain nombre de réformes progressistes mais qui a aussi soutenu le programme de la National Rifle Association. Les auteurs veulent également mettre un terme au règne des consultants politiques basés à Washington, lesquels, soulignent-ils, ont perdu des dizaines de campagnes et dilapidé des centaines de millions de dollars. Ils s’opposent en particulier au consensus en vogue dans la capitale fédérale, selon lequel les démocrates devraient se concentrer sur les Etats où ils bénéficient d’un avantage. Avec Dean, ils recommandent une stratégie pour l’ensemble des cinquante Etats de l’Union, soutenant que le parti est capable de créer une dynamique nationale en disputant des circonscriptions réputées ingagnables, en attirant de nouveaux électeurs démocrates et en les encourageant à verser de l’argent et à prendre une part active à la campagne. Ils entendent également définir un message simple mais puis- COURRIER INTERNATIONAL N° 828 48 sant susceptible de rivaliser avec les idées développées par le Parti républicain sur la sécurité nationale, la limitation du rôle de l’Etat, la baisse des impôts et les “valeurs morales”. Ils sont favorables à un large message économique populaire mettant l’accent sur l’amélioration des systèmes de retraite et de santé, et sur la mise en place d’une fiscalité plus équitable. LES CYBERMILITANTS ONT TOUS UN IMMENSE DÉSIR DE GAGNER C’est pour sa vision des possibilités politiques d’Internet que Crashing the Gates me paraît être l’initiative la plus ambitieuse et la plus intéressante à laquelle nous ayons assisté depuis plusieurs décennies. Mais ce n’est pas un modèle qui peut l’emporter du jour au lendemain. Au cours des dix-huit mois écoulés depuis la défaite de John Kerry, les cybermilitants ont testé leur nouvelle approche avec un certain succès lors d’élections partielles. Ce fut par exemple le cas en août 2005, lors du scrutin visant à pourvoir le siège vacant de la deuxième circonscription de l’Ohio, un bastion républicain depuis 1974, que Bush avait conservé en 2004 avec 64 % des voix. Habituellement, les démocrates ne se seraient même pas donné la peine de disputer ce siège si Paul Hackett, un novice en politique qui venait d’effectuer une rotation en tant que commandant des marines en Irak, ne s’était pas lancé dans une vigoureuse campagne antiguerre du genre de celles qu’appellent de leurs vœux les cybermilitants. Hackett, écrivent les auteurs, “s’exprimait avec audace et n’a pas hésité à croiser le fer avec les républicains”. Interrogé sur le mariage homosexuel, il a répondu : “Le mariage homo, on s’en fiche. Si vous êtes homo, vous êtes homo, tant mieux pour vous. Ce que vous voulez, c’est que la loi vous traite équitablement, et, franchement, tout Américain qui n’est pas d’accord avec ça n’est pas un vrai américain.” Sur les 850 000 dollars qu’a coûté la campagne, les cybermilitants ont collecté 500 000 dollars – soit 9 000 personnes qui avaient versé en moyenne un peu plus de 50 dollars chacune. Le jour même du scrutin, la nouvelle se répandit à 10 h 30 que Hackett avait besoin de 60 000 dollars pour des dépenses de dernière minute. Six heures plus tard, les 60 000 dollars avaient été collectés. Les responsables du site durent demander aux gens de cesser leurs dons. Au final, Hackett parvint à un cheveu de la victoire : son adversaire, Jean Schmidt, ne l’emporta que de 3,5 % des voix. Le Parti démocrate a passé plus d’une génération à surfer sur la dynamique qu’il avait enclenchée dans les années 1960 et au début des années 1970, et cette dynamique est en train de s’essouffler. Mais les sites liés à Daily Kos et leurs millions d’utilisateurs ont confié aux démocrates une nouvelle responsabilité. Il serait prématuré d’attribuer au niveau national un pouvoir politique fort à ces voix nouvelles – la plupart des électeurs n’en ont même jamais entendu parler. Mais le plus frappant, c’est qu’elles expriment toutes un immense désir de gagner, et qu’elles disposent de moyens nouveaux pour que ce désir soit pris en compte. Bill McKibben* * Ce journaliste et écologiste militant américain est l’auteur, entre autres, de La Nature assassinée (Fixot, 1990). DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 828p48_49 12/09/06 16:50 Page 49 DUR DUR D’ÊTRE DE GAUCHE ● Ciel, la mondialisation fait des ravages ! Robert Rubin, l’ex-ministre des Finances de Clinton, a viré sa cuti ! Toujours aussi orthodoxe sur le budget, il s’inquiète désormais de la baisse de revenus des Américains. Trois types d’idées apparaissent dans le projet Hamilton. Les idées “modérées” qui y figurent n’ont pour la plupart rien de nouveau : améliorer l’éducation et les reconversions, fournir une “assurance salaire” aux travailleurs en situation instable [il s’agit de verser aux travailleurs qui ont été licenciés une part de la différence de salaire entre le dernier emploi et le nouveau] et augmenter les investissements publics dans le développement industriel et les infrastructures. De bonnes idées, certes, mais qui semblent à certains égards un peu approximatives. Comme le fait remarquer Ron Blackwell, économiste en chef au syndicat américain AFLCIO, “ce qu’ils ont en tête, ce sont de petites idées qui donnent l’impression qu’ils vont de l’avant et s’efforcent de traiter le problème du niveau de vie, mais ils ne s’adressent pas aux dirigeants”. THE NATION (extraits) New York orsque Robert Rubin prend la parole, ses vues en matière de politique économique sont parole d’Evangile pour le Parti démocrate. L’ancien ministre du Trésor, aujourd’hui coprésident du groupe financier Citigroup, s’est acquis les faveurs du parti dans les années 1990 en devenant le principal artisan de la stratégie de Bill Clinton, une approche conservatrice surnommée “Rubinomics” ou, plus rarement, “Clintonomics” [motvalise composé du nom propre et du mot economics, qui désigne la science économique]. Sa volonté d’équilibrer le budget et d’inciter vigoureusement à la libéralisation des échanges avait vivement heurté les sensibilités de gauche et la base ouvrière de la formation démocrate. Mais, comme le second mandat de Clinton s’est terminé sur une phase d’expansion, de plein emploi et de hausse des salaires, la plupart des démocrates ont conclu qu’il leur suffisait d’écouter ce que disait Bob Rubin pour que de bonnes choses arrivent. Ainsi donc, Rubin crée l’événement aujourd’hui quand il change son fusil d’épaule et se met à parler des inégalités de revenus comme d’un “phénomène profondément troublant de la vie économique américaine”, laquelle menace le système d’échanges et la stabilité même de “la société capitaliste et démocratique”. L LA PROSPÉRITÉ DES PLUS RICHES N’A PAS BÉNÉFICIÉ AUX PLUS PAUVRES Plus étonnant encore, Rubin met désormais ouvertement en avant ce que l’establishment américain nie ou minimise depuis des années : le rôle de la mondialisation dans la stagnation des salaires aux Etats-Unis depuis trente ans et la détérioration du niveau de vie des classes moyennes et inférieures, conjuguées à une croissance des revenus qui profite surtout aux plus aisés. Pour beaucoup d’Américains, cela n’a rien d’une découverte. Les détracteurs du libreéchange le disent depuis des années. Mais cette fois c’est Bob Rubin qui en parle, et ses paroles peuvent peser sur le monde politique, voire sur les marchés financiers. Robert Rubin a lancé le Hamilton Project, un groupe de réflexion politique qui réunit des économistes et des financiers de même tendance. Leur objectif : mettre au point des mesures destinées à aider et à améliorer le sort des travailleurs menacés et, espère Rubin, à créer un plus vaste groupe politique s’attachant à la défense du système commercial contre un rejet populaire brutal. Le problème clé est décrit dans une étude stratégique coécrite par l’ancien ministre du Trésor : “La prospérité des “Les idéologies fossiles arrivent à épuisement. Nous devons développer des idéologies renouvelables.” Dessin d’El Roto paru dans El País, Madrid. ■ Bien commun Dans un grand article de la revue American Prospect, Michael Tomasky, le rédacteur en chef, rappelle que de 1930 à 1960 les démocrates ont donné la priorité à l’intérêt général des citoyens, mais qu’au milieu des années 1960 ils ont abandonné l’idée que le “bien commun” était l’un des principes essentiels de leur politique et ils l’ont remplacé par des préoccupations plus individuelles comme le droit à l’avortement ou celui d’être gay. Le problème, explique Tomasky, est que cette importance donnée aux droits individuels éloigne les électeurs qui ne partagent pas ces intérêts particuliers. Le seul moyen pour les démocrates de s’en sortir serait, selon lui, de remettre le bien commun au centre de leur programme. plus riches n’a pas bénéficié aux plus pauvres, ni eu d’onde bénéfique sur la société. Entre 1973 et 2003, le PIB par habitant en termes réels a progressé de 73 %, alors que le salaire horaire médian réel n’augmentait que de 13 %.” Craignant que le pire ne soit à venir, Robert Rubin appelle à un nouveau débat national sur ces questions. Lors d’une interview, il nous a présenté les menaces qui, selon lui, pèsent sur le commerce mondial : “Avec une insécurité omniprésente, une quasi-stagnation des salaires médians réels et 55 % d’Américains qui pensent que leurs enfants vivront moins bien qu’eux, je crois qu’il existe un véritable danger de voir des enjeux déjà problématiques le devenir davantage encore, notamment en matière d’échanges commerciaux. Il suffit de regarder les problèmes en matière d’immigration.” Quelle doit être notre réaction face à l’inquiétude exprimée par Robert Rubin à l’égard de ces “perdants” qui, dit-il, forment une large frange de la population ? Pour beaucoup, le projet Hamilton n’est qu’une énième occasion de bavardage. A mes yeux, c’est un événement de taille, un changement de trajectoire dans la pensée des élites, qui, étant donné l’influence de Rubin, pourrait bien bouleverser le débat routinier sur le commerce, du moins chez les démocrates. Mais Rubin souhaite garder la main sur les modalités du débat : d’accord pour se pencher sur les disparités économiques engendrées par la mondialisation, mais sans troubler le fonctionnement fondamental du système mondial. Son groupe de réflexion a reçu un accueil politique chaleureux. Lors du lancement du projet Hamilton, en avril dernier, le sénateur démocrate Barack Obama l’a salué comme “l’un des organes de pensée politique les plus innovants. C’est exactement, je crois, le genre de bouffée d’air frais dont nous avons besoin.” Les discours sur l’économie prononcés ces derniers temps par la sénatrice Hillary Clinton s’avèrent naturellement en phase avec les opinions de Robert Rubin – leurs affinités politiques ne sont d’ailleurs un secret pour personne. Les candidats démocrates qui cherchent à faire payer leurs frais de campagne par les financiers espèrent tous obtenir la bénédiction de Robert Rubin, un blanc-seing qui ouvre de nombreuses portes. COURRIER INTERNATIONAL N° 828 49 DE QUOI ENDIGUER LA CONVERGENCE MONDIALE DES SALAIRES ? La tendance centre droit du groupe, ensuite, transparaît dans d’autres propositions qui ne manqueront pas de troubler l’électorat démocrate : elle propose une réforme de l’éducation par une réduction des postes d’enseignants, un rôle plus important des résultats des élèves, ou encore la réforme du système juridique des recours collectifs, pour éliminer ce que Rubin appelle les “graves excès actuels” (sa société en a été victime et a dû payer des milliards pour régler un recours collectif intenté par les actionnaires pour le rôle joué par Citigroup dans les fraudes d’Enron et d’autres scandales financiers). Enfin, les propositions économiques “radicales” de Rubin sont identiques, pour l’essentiel, à celles qu’il avait imposées au gouvernement de Bill Clinton : un équilibrage du budget de l’Etat destiné à stimuler l’épargne nationale et, du même coup – selon la théorie de l’ancien ministre des Finances –, une diminution de l’effrayant déficit commercial et des colossaux emprunts à l’étranger, les principaux créanciers étant la Chine et le Japon. Et, si possible, de nouveaux accords commerciaux qui ne touchent pas pour autant aux règles commerciales ni aux institutions internationales régissant le système actuel. Je doute que ces propositions du projet Hamilton soient très efficaces dans la lutte contre les forces mondiales qui grignotent les revenus d’au moins la moitié des travailleurs amér icains. Rubin lui-même n’est pas convaincu. Son programme aura-t-il un quelconque effet sur la convergence mondiale des salaires (autrement dit, sur leur nivellement par le bas) ? “Eh bien, répond Rubin, c’est une question à laquelle personne, je pense, ne peut répondre. Je crois que notre approche est le moyen pour les Etats-Unis d’obtenir les meilleurs revenus possible dans ce monde complexe. Quant à savoir si elle endiguera la convergence des salaires à l’échelle mondiale, je n’en sais rien. J’imagine que la réponse est non.” Si les idées de Rubin me laissent sceptique, je crois néanmoins que l’homme ouvre une voie intéressante pour les démocrates. Notamment en les amenant à critiquer plus profondément la mondialisation. William Greider DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 828p42-51 12/09/06 16:02 Page 50 e n c o u ve r t u re Ces caudillos qui nous trompent L’Amérique latine a changé de cap, dit-on. En fait, les Chávez et autres Morales ne sont pas de gauche. Une analyse engagée de l’économiste Luis de Sebastián. EL PAÍS Madrid es gouvernements a priori de gauche ont été élus en Bolivie, au Brésil, au Chili, en Uruguay et au Venezuela ; d’autres, comme en Argentine et au Pérou, montrent un certain penchant pour cette couleur politique. A eux tous, ces pays comptabilisent plus des trois quarts de la population et de la richesse de la région. En ce sens, on pourrait dire que l’Amérique latine vire majoritairement à gauche. Mais cette affirmation est exagérée et superficielle. Ce qu’on voit se former n’est ni un nouveau bloc ni une entité de gauche au sens traditionnel du terme. Aucune des différentes gauches latino-américaines ne ressemble à celle de Castro. Mais elles ne ressemblent pas non plus à celles de Salvador Allende [socialiste élu président du Chili le 4 novembre 1970, renversé par le coup d’Etat militaire du 11 septembre 1973] ou du premier gouvernement de Daniel Ortega [sandiniste, président du Nicaragua de 1985 à 1990]. L’effervescence politique que l’on observe dans la région correspond à un rejet calme et partiel de l’ordre établi par le “consensus de Washington” dans les années 1980 et 1990. Cet ordre – ou plutôt ce système – résulte de l’intégration de l’Amérique latine dans le processus de la mondialisation ; une mondialisation qui, certes, a créé beaucoup de richesses D (quoique mal réparties) dans la région, mais qui a aussi engendré un fort mécontentement parmi les majorités populaires. Les mesures prescrites par le consensus de Washington ont laissé des traces : ouverture commerciale et financière des pays, acquisitions massives de banques et d’entreprises de services et d’énergie par des acheteurs étrangers. Ces acquisitions ont eu pour conséquence une augmentation considérable de la présence des multinationales dans la région. Cependant, la réaction de la population ne traduit pas une volonté d’implanter le socialisme – ni dans sa version plus dure, le communisme, ni sous sa forme plus douce, la social-démocratie. Les gens acceptent l’économie de marché avec la même neutralité – ou la même résignation – que celle qu’ils affichent face à la démocratie parlementaire. L’agitation politique du moment ressemble plus à une lutte, quelque peu spontanée et désorganisée, pour une meilleure répartition des avantages de la mondialisation, un désir qu’exprime la devise : “Une autre mondialisation est possible”. AGIR DANS LE CADRE DE LA DÉMOCRATIE PARLEMENTAIRE Dire que des mouvements populaires comme ceux des sans-terre, des producteurs de coca ou d’ethnies longuement ignorées, dirigés par des caudillos qui se croient élus non pas par les citoyens mais par la Providence, dépourvus de toute conception d’ensemble cohérente de la société qu’ils veulent créer, dire que de tels mouvements sont “de gauche” revient à dire que le soulèvement de Spartacus [révolte des esclaves contre l’Empire romain, 71-73 av. J.-C.], la révolte des paysans allemands à l’époque de Luther ou encore la révolte des Sioux étaient “de gauche”. Etre de gauche ne signifie pas monter les pauvres contre les riches et les impuis- sants contre les puissants, pas plus que cela ne signifie semer la haine et le désordre dans la société. En politique, être de gauche repose sur le respect de la dignité humaine, sur une conception de l’Etat solidaire, et sur la priorité accordée par les dirigeants à l’égalité de tous devant la loi et à la juste répartition des biens et valeurs créés par le travail et le capital. Et même si, dans la pratique, la défense de ces principes implique la limitation des privilèges des riches et des puissants, la gauche moderne doit agir dans le cadre de la démocratie parlementaire, c’est-à-dire en respectant les autres partis politiques qui lui disputent le pouvoir et en condamnant avantages, manœuvres politiques et abus. Par définition, les caudillos ne sont pas de gauche. La gauche latino-américaine a appris pendant la “décennie perdue” des années 1980 que la stabilité économique, sans inflation galopante, assortie d’une monnaie crédible au niveau international, d’un équilibre budgétaire raisonnable et d’un environnement favorable aux échanges commerciaux est une condition sine qua non du progrès. Cette gauche a également appris que la redistribution de la richesse devait constituer la priorité absolue des dirigeants, si ceux-ci voulaient construire une société plus égalitaire, plus juste et plus solidaire. La stabilité macroéconomique et la redistribution des revenus résument le modèle que la gauche latino-américaine applique désormais avec succès. Lula au Brésil et Bachelet au Chili incarnent une gauche authentique qui s’intègre efficacement à la mondialisation. Luis de Sebastián* * Professeur à l’Ecole supérieure d’administration et de direction des entreprises (ESADE) de Barcelone. A N A LY S E Les deux visages de la gauche latino-américaine D’un côté, d’anciens bolcheviques devenus réformistes, de l’autre des populistes volontiers nationalistes… L’analyse de l’ancien ministre et intellectuel mexicain Jorge G. Castañeda. epuis plusieurs années déjà, l’Amérique latine vire à gauche, après avoir été dirigée par des gouvernements plutôt centristes il y a une dizaine d’années. Le changement est particulièrement marqué. A l’élection d’Hugo Chávez au Venezuela (1998, réélu en 2000) a succédé celle de Luiz Inácio Lula da Silva au Brésil (2002), puis de Néstor Kirchner (2003) en Argentine, de Tabaré Vázquez en Uruguay (2004) et enfin d’Evo Morales en Bolivie (2005). Sans oublier la possibilité que le leader sandiniste Daniel Ortega (président du Nicaragua de 1985 à 1990) remporte bientôt une nouvelle fois l’élection présidentielle (voir p. 26). D Virage à gauche, donc, mais dans deux directions bien distinctes. Car il n’y a plus aujourd’hui une gauche latino-américaine, mais bien deux. La première voie, celle du Chili [dirigé par la socialiste Michelle Bachelet, élue en décembre 2005 et qui succède au socialiste Ricardo Lagos, qui avait été élu en 2000], de l’Uruguay et du Brésil, est moderne, ouverte, réformiste et internationaliste. Paradoxalement issue de la révolution bolchevique, cette gauche a bien pris note des erreurs et défaites du passé, et a changé de couleur. La seconde, présente de tout temps dans la quasi-totalité de l’Amérique latine, a elle aussi fréquemment été au pouvoir. Née de la grande tradition du populisme, elle est nationaliste et persévère dans son culte du passé, sa nostalgie de la révolution mexicaine et son attachement à Fidel Castro. Parce que, contre toute attente, l’Union soviétique n’a pas entraîné dans sa chute COURRIER INTERNATIONAL N° 828 son homologue latino-américaine, Cuba. Utilisant des instruments démocratiques, la gauche populiste cherche souvent à concentrer ses pouvoirs par le biais de nouvelles Constitutions et en prenant le contrôle des branches législatives du gouvernement. Ses thèmes récurrents sont l’intégration des exclus et un nationalisme aigu. Le président vénézuélien Hugo Chávez en tête, elle tend à séparer le monde en deux hémisphères : les proaméricains d’un côté, les pro-Chávez de l’autre. Les relations avec les EtatsUnis, qui semblaient avoir pris un nouveau tournant avec Bill Clinton, se sont donc progressivement détériorées. Les explications à ce virage à gauche ne manquent pas. Après la fin de la guerre froide, les partis de gauche ont pu reprendre le dessus sans risquer de se faire accuser d’être des têtes de pont de l’URSS. A cela s’ajoutent les inégalités, la pauvreté et la concentration des richesses, qui caracté- 50 DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 risent la région. Autant de facteurs qui ne pouvaient qu’entraîner ce retournement. Mais, s’il est vrai que beaucoup s’attendaient à cette résurgence, la plupart d’entre nous se sont trompés sur le type de gauche qui allait émerger. Nous pensions, naïvement peut-être, que l’Amérique latine suivrait la tendance des partis socialistes français et espagnol. Dans certains cas – celui du Chili, et dans une certaine mesure du Brésil –, c’est bien ce qui s’est passé. La gauche issue du bolchevisme a suivi la voie de la gauche du reste du monde. L’autre a, quant à elle, suivi sa propre voie. Mais, plutôt que de continuer à se plaindre de la montée de la gauche en Amérique latine, mieux vaudrait l’accepter pour aider la région à enfin se positionner comme elle l’entend et, comme aurait pu le dire Gabriel García Márquez, mettre un terme à ses centaines d’années de solitude. Jorge G. Castañeda, Foreign Affairs (extraits), New York 828p51 12/09/06 16:39 Page 51 DUR DUR D’ÊTRE DE GAUCHE ● D’abord s’opposer au populisme Pour Giuliano Amato, actuel ministre de l’Intérieur italien, le socialisme ne se résume pas à un libéralisme social. Et il doit promouvoir la liberté du plus grand nombre. LA REPUBBLICA (extraits) Rome n vieux socialiste réformateur, je me suis toujours battu contre les conceptions autoritaires et étatiques qui ont, sous des formes variées, prévalu dans ma famille politique au cours du XXe siècle. Aujourd’hui, je ressens le besoin de revendiquer ces traits identitaires qui font que le socialisme se reconnaît davantage dans la gauche des droits et du pluralisme d’aujourd’hui que dans celle de l’étatisme d’hier. Ce sont là d’ailleurs ses traits constitutifs, car la grande aspiration dont le mouvement socialiste sut se faire historiquement l’interprète, l’aspiration à l’égalité, était génétiquement liée à la liberté. Elle exprimait le sacro-saint désir de tous d’avoir ce bien – la liberté –, dont seuls quelques-uns avaient pu jouir jusque-là. Je sais bien qu’en raison précisément des idéologies qui se sont par la suite imposées au sein du mouvement socialiste, égalité et liberté ont fini par se contredire, jusqu’à faire du “socialisme libéral” un oxymoron longtemps cultivé par une minorité et considéré par la grande majorité (de la famille socialiste) comme une capitulation face à l’ennemi de classe. Mais la vérité des choses est que nous E Dessin d’Angel Boligan paru dans El Universal, Mexico. étions partis de cet oxymoron et que nous y sommes désormais revenus, après bien des erreurs, voire de véritables tragédies, et que cette majorité en a finalement accepté les postulats. Au cours de l’histoire, des Grecs jusqu’à la Révolution française, l’égalité a toujours eu pour pierre de touche la liberté et le droit. C’est précisément pour cela qu’obtenir l’égalité a toujours signifié arriver à partager une liberté et des droits dont on était jusque-là exclus. Ce qui est certain, aujourd’hui, c’est que ce sont les postulats de l’oxymoron libéral-socialiste qui prévalent : l’histoire n’est pas guidée par des règles scientifiques, mais par des actions et interactions à l’issue imprévisible. L’avenir n’est écrit d’avance pour personne. Garantir la liberté à ceux qui ne l’ont pas veut dire mettre ces derniers en condition de marcher sur leurs deux jambes et non pas leur servir sempiternellement d’anges gardiens. La nationalisation n’est pas un meilleur moyen de limiter le rôle du secteur privé dans l’économie que les règles anticoncentration. Ce n’est pas le crépuscule du socialisme, je dirais même que c’est sa victoire. Je tiens à ce qu’on le lise ainsi, sinon on risque de tomber dans la même erreur que Lloyd [voir page 42], c’est-à-dire de voir s’évanouir les différences les plus saillantes entre la gauche et la droite. N’oublions pas, en effet, la boussole fondatrice des socialistes : la liberté pour tous et non pour quelques-uns. Suivre cette boussole peut faire apparaître des différences qui, dans bien des cas, sont quantitatives. Mais il y a aussi, c’est indiscutable, autre chose. Certes, je suis conscient que l’Histoire présente toujours l’addition : non pas seulement l’histoire communiste (qui n’est pas celle de mon socialisme) mais aussi l’histoire de la social-démocratie. Car cette social-démocratie a fini par se confondre, en grande partie, avec un rôle accru de l’Etat dans l’économie. Après la crise de 1929, cette pratique a eu des effets Strasbourg, les socialistes européens ont signifié à Robert Fico que son parti ne pourrait être considéré comme socialdémocrate tant que durerait sa coalition avec le SNS [le nouveau Premier ministre slovaque, issu d’un parti “social-démocrate” (SMER), s’est allié avec le Parti nationaliste slovaque (SNS, extrême droite xénophobe)]. Pour sa défense, Fico a fait valoir que les socialistes occidentaux avaient des priorités différentes et ne comprenaient pas que les électeurs de SMER soient intéressés en premier lieu par des considérations de stabilité économique. Son collaborateur Boris Zala a quant à lui expliqué que ceux qui s’en prenaient aux homosexuels et aux étrangers n’étaient A Jeux de miroir Des intellectuels du “premier monde” ont signé un appel contre Lula. En méconnaissant la réalité sud-américaine, explique l’universitaire et philosophe brésilien Ruy Fausto. français au référendum sur la Constitution européenne. L’électeur de gauche fustige de plus en plus l’étranger, cesse de croire aux idéaux de la solidarité et réclame de la sécurité tous azimuts. Deux cents ans après la Révolution française, il commence à se comporter comme l’aristocratie française qui, par peur de perdre ses biens, a perdu la tête. Le Français a peur pour ses acquis sociaux, le Néerlandais du catholicisme, et le Slovaque des Roms et des Hongrois ainsi que de la perte d’un niveau de vie déjà humiliant. Comme le montrent Fico et Royal, le conservatisme de gauche est devenu une idéologie autonome. Dans les sociétés qui ont cru à l’idée que l’homme était réductible à un indice boursier, les alliances entre le conser vatisme de gauche et de droite deviendront de plus en plus fréquentes et banales. Michal Havran Jr, Sme, Bratislava Ruy Fausto, Folha de São Paulo, São Paulo Aussi conservateur que Ségolène Royal… que de “jeunes militants” un peu trop enthousiastes du SNS. Les responsables, eux, seraient mobilisés pour résoudre les problèmes sociaux de la population. Devant les socialistes européens, Robert Fico a même évoqué le soutien qu’apporte l’Eglise slovaque au programme de sa coalition. Il aurait pu également ajouter à sa décharge que, en France, Ségolène Royal, la candidate socialiste la plus en vue, propose que les jeunes délinquants soient rééduqués par l’armée. Ségolène est issue d’une famille dont le père était un militaire colonialiste. Le dimanche, elle assiste à la messe, et elle croit en la vertu disciplinaire de l’armée, à l’ordre et à la famille. En fait, entre Fico et Royal, il y a davantage de points communs que de différences. Ils représentent tous les deux une première génération de politiciens qui ont compris la mobilisation réactionnaire de la gauche, qui s’est traduite par le “non” VU DU BRÉSIL n manifeste rédigé par des intellectuels du premier monde [le monde occidental développé], dont le linguiste Noam Chomsky et le cinéaste Ken Loach, et signé par plus de trois cents personnes de diverses professions et nationalités soutient la candidature aux prochaines élections présidentielles brésiliennes de la sénatrice Heloísa Helena. [Exclue du Parti des travailleurs (PT), Heloísa Helena se présente contre Lula pour le nouveau Parti pour le socialisme et la liberté (PSOL), dissident du PT]. Le ton du manifeste révèle un radicalisme simpliste qui montre à quel point l’Amérique latine continue à représenter un mythe pour l’extrême gauche mondiale, et notamment celle du premier monde. Mais il permet d’étayer un certain nombre de réflexions sur la situation des gauches et de l’extrême gauche, en particulier dans le premier monde et dans le tiers-monde. Il est intéressant de noter que l’extrême gauche brésilienne s’appuie fréquemment sur l’extrême gauche intellectuelle des pays riches. Il y a là un curieux jeu de miroir. Une bonne partie des lecteurs des revues d’extrême gauche européennes appartiennent en fait à l’extrême gauche des pays sous-développés. Celle-ci tire de son côté sa légitimité de ce qui est censé être la “presse révolutionnaire du monde développé”. Le manifeste pro-Heloísa Helena s’insère pour ainsi dire dans ce jeu de miroir. La candidate n’est pas sans mérites (parmi lesquels sa critique de la corruption du PT). Mais sa candidature serait encore plus crédible sans le chœur radical qui lui fait écho, de l’“Europe, [de] la France et [de] Bahia”. V U D E S L O VA Q U I E Pour le quotidien Sme, il n’y a pas loin entre la socialiste française et ces sociaux-démocrates slovaques qui s’allient avec l’extrême droite. stabilisateurs positifs, mais elle est aujourd’hui largement dépassée. Une telle confusion pèse encore sur l’identité socialiste, sur la lecture que les autres en donnent, et donc sur sa propre capacité d’attraction. De plus, le socialisme libéral, en raison de son caractère historiquement minoritaire, ne pourrait jamais à lui seul réaliser l’objectif de la “liberté égale”. Il doit se tenir à l’écart des dérives individualistes qui empoisonnent nos sociétés et doit, pour cette raison, se lier aux mouvements, en général d’inspiration religieuse, fortement orientés vers la solidarité collective et la responsabilité envers les autres. Il s’agit, avec eux et avec d’autres, de créer un réseau qui, dans chaque partie du monde, enracine la liberté et lui permette de s’opposer, non seulement aux facteurs traditionnels d’exploitation et de marginalisation, mais aussi aux idéologies radicales et aux populismes qui, au nom de l’émancipation, menacent de générer de nouveaux esclavages et de déstabiliser le monde. Je suis donc socialiste et fier de l’être. Giuliano Amato COURRIER INTERNATIONAL N° 828 51 U DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 *828 p52-53 11/09/06 18:47 Page 52 p o r t ra i t Daniel Tammet L’autiste qui aimait le nombre π THE DAILY TELEGRAPH Londres Quand il m’ouvre la porte de son domicile de Herne Bay, dans le Kent, Daniel Tammet me fixe un peu trop longtemps. Il me semble un peu raide. “Vous voulez boire quelque chose ?” me demande-t-il d’une voix inexpressive. Il n’est pas à l’aise, mais se tire fort bien de ces civilités. C’est un soulagement, car Tammet, aujourd’hui âgé de 26 ans, est un autiste savant dont les capacités prodigieuses ne sont pas sans rappeler celles du personnage joué par Dustin Hoffman dans Rain Man. Ils sont une cinquantaine comme lui dans le monde, tous des hommes. Mais ce qui rend Tammet unique, c’est qu’il est en mesure de décrire le fonctionnement de son esprit. “J’ai de la chance, convient-il, parce que la plupart des autres qui ont des capacités exceptionnelles sont aussi gravement handicapés.” Il y a deux ans, Tammet est devenu célèbre pour avoir déclamé le nombre π jusqu’à 22 514 décimales, avec la même facilité que nous lorsque nous citons 3,142. Mieux encore, il affirme pouvoir le refaire : non seulement sa mémoire est immense, mais elle retient tout. Dans un documentaire diffusé l’an dernier, il a une nouvelle fois démontré son pouvoir avec les chiffres, cette fois en faisant sauter la banque à Las Vegas alors qu’il n’avait jamais joué au black jack auparavant. Et il vient de faire une chose encore plus remarquable pour un homme qui ne considère les mots que comme “sa deuxième langue” : il a écrit un livre. Dans Born on a Blue Day [Né un jour bleu, éd. Hodder & Stoughton, Londres],Tammet raconte son enfance, quand les nombres étaient ses seuls amis. Son style est si élégant que l’étrangeté de l’œuvre ne transparaît que lentement : il n’y a pas de dialogues, pas d’humour, pas de retour amusé sur soi-même. Il attaque son récit sans fioritures, mû par le désir ardent de s’expliquer. Il lui arrive parfois de se noyer dans les détails quand il aborde ses passions, telle la structure du langage. Il est capable de dominer, avec une facilité qui frise l’osmose, ces domaines qui posent problème à la plupart des gens, les maths et la syntaxe (il a maîtrisé l’islandais en une semaine). En revanche, il a dû lutter pour acquérir des compétences qui semblent évidentes aux autres : la communication, l’empathie, la capacité à avoir une vue d’ensemble sans se perdre dans les détails. “Mon cerveau décompose tout en éléments concrets et tangibles, explique-t-il. C’est l’intangible que j’ai du mal à comprendre.” Tammet est atteint du syndrome d’Asperger, forme d’autisme manifeste dès la naissance. Bébé, il pleurait sans cesse et seul un mouvement répétitif parvenait à le calmer. Il ne jouait jamais avec d’autres enfants, ni avec des jouets. “Mes jouets, c’étaient les chiffres”, dit-il. Pour lui, les chiffres ont des couleurs, des formes, de la texture, une personnalité. Cette connexion entre des sens sans aucun rapport porte le nom de synesthésie. Tammet ne sait pas si elle est la cause ou le résultat des crises d’épilepsie dont il a souffert à l’âge de 4 ans, mais la tangibilité des nombres lui permet de voyager dans son esprit à travers le paysage ondulant que constitue le nombre π. “Pour moi, c’est aussi beau que la Joconde.” Cela ne nous dit pas pourquoi les réponses à des calculs complexes jaillissent dans sa tête : calcule-t-il ou se souvient-il ? Pas plus que nous ne savons pourquoi il a eu plus de succès au black jack dès qu’il a abandonné toute méthode pour faire confiance à son intuition. “Enfant, les limites de la logique étaient l’une des choses avec lesquelles j’ai dû me débattre”, glisse-t-il en guise d’explication. Il répond sans difficulté à mes questions, même à mes interrogations indirectes. Comme il l’écrit dans son livre, il donne souvent l’impression d’être grossier parce qu’il ne répond généralement pas quand ■ Langues les questions ne sont pas directes et Daniel Tammet explicites. “Je réponds parce que je est aussi doué pour sais, d’après le contexte, que vous devez les langues que être en train de me poser des questions pour les chiffres. “Il parle dix langues, et que je dois parler”, remarque-tdont le lituanien il. Réponse qui nous rappelle qu’il et le gallois, rapporte est loin d’être aussi normal qu’il le The Independent, semble. Il possède plusieurs des et il a inventé talents associés à l’autisme : il peut sa propre langue, recopier un dessin avec autant de le ‘mänti’, qui compte précision que s’il le décalquait et il environ 1 000 mots” a construit le plan de son livre sans et qui s’inspire prendre une seule note. Mais il est des langues plus encore conscient de tout ce scandinaves. “Pour un documentaire sur qu’il ne peut pas faire. “Fonder une lui intitulé L’Homme famille, cuisiner, enseigner sont des cerveau, il a appris capacités fascinantes. Le génie ne se l’islandais en une limite pas aux maths.” semaine devant Les capacités des autistes savants les caméras. Le défi sont extrêmement spécifiques. a culminé avec Tammet peut, par exemple, calcuun entretien en ler un nombre à n’importe quelle direct à la télévision puissance, mais il est nul dans le islandaise, dont domaine des racines carrées, où les il s’est brillamment sorti.” “L’islandais inconnues sont des lettres, ce qui, est parfait pour à ses yeux, n’a plus aucun sens. Il un autiste parce a également du mal à utiliser que c’est une un DVD ou à appeler un taxi. langue très visuelle, Comme la plupart des autistes, il explique le jeune est hypersensible au bruit, au touhomme. Je pense cher et aux stimuli visuels. Il lui était en images, impossible de se brosser les dents et l’islandais jusqu’à ce qu’il découvre la brosse fonctionne comme cela, les mots à dents électrique, plus rythmique. abstraits sont décrits Il ne passera jamais son permis de en termes concrets.” conduire, il se laisse trop distraire Daniel Tammet a par tout ce qui l’entoure. Mais l’ascréé un site Internet, pect le plus perturbant de sa condioptimnem.co.uk, sur tion est la difficulté qu’il éprouve à lequel il écrit un blog comprendre les émotions. “Je suis et propose une obligé de faire semblant de manifesméthode pour ter de l’émotion, comme le sentiment apprendre le français de triomphe quand j’ai gagné contre et l’espagnol. COURRIER INTERNATIONAL N° 828 52 le casino à Las Vegas. Je n’aime pas les films parce que je ne comprends pas les expressions des personnages. L’humour verbal ne m’amuse pas, mais j’aime bien les tartes à la crème. J’ai toujours su que j’étais différent des autres enfants, mais je n’ai pris conscience de ma solitude que vers 8 ou 9 ans. Autrefois, je rêvais d’être normal, mais, comme j’ai tendance à décomposer les choses, la conscience que j’avais de moi-même était comme des milliers de fragments de souvenirs que je m’efforçais de reconstituer. Je ne peux avoir de relations avec les autres que si je les vois comme uniques, ce qui ne m’est arrivé que lorsque je me suis moi-même perçu comme une personne unique. Le changement a eu lieu à la puberté. Je voulais qu’on m’apprécie, qu’on m’aime. Je me sentais un peu plus humain.” La chance et la volonté ont toutes deux joué un rôle dans le parcours qui l’a arraché à la solitude imposée par l’autisme. “J’ai eu la chance de faire partie d’une grande famille et d’être l’aîné de neuf enfants. J’étais obligé d’interagir avec les autres. Je ne pouvais pas me contenter de me réfugier dans les chiffres. Ma mère travaillait tout le temps avec moi. Elle me rappelait qu’il fallait regarder devant moi quand je marchais. Et regarder les gens dans les yeux, même si ça m’était pénible.” Conscient de son homosexualité depuis l’âge de 11 ans,Tammet a pris un risque en acceptant de rencontrer Neil, un programmeur avec qui il correspondait sur Internet. “Quand je suis tombé amoureux, j’ai compris pour la première fois que l’on pouvait m’aimer. Je n’en avais aucune idée.” Peu à peu, il a élargi la gamme de ses émotions. Récemment, quand son chat est mort, il a pleuré et compris le chagrin pour la première fois. Mais il sait qu’il est difficile à vivre car il n’est pas en mesure de saisir ce que ressentent les autres. C’est en rédigeant son livre qu’il a pour la première fois perçu ses parents comme des personnes, mais il ne cesse de découvrir à quel point il est différent des autres. “Il n’y a pas longtemps, j’ai expliqué à Neil quelque chose qui s’était passé pendant nos vacances. Je n’avais pas compris qu’il s’en souvenait lui aussi, puisqu’il était là.” Il y a quelque temps, il a rencontré Kim Peek, l’autiste savant qui a inspiré Rain Man. L’événement l’a marqué. Peek est incapable de mener une existence indépendante, mais il peut lire deux pages d’un livre en même temps, chacune avec un œil, et en retenir chaque mot. “Nous avons échangé des faits et des chiffres comme d’autres échanges des ragots, raconte Tammet. Peek parcourt l’Amérique et diffuse le message que la différence n’est pas forcément une mauvaise chose.” Il a réussi à comprendre que l’enthousiasme qu’il a ressenti lors de cette rencontre était de la joie. Pour la première fois, il n’avait pas honte de lui. Comme Peek, il aimerait pouvoir faire usage de ses talents. Son génie des mathématiques pourrait lui permettre de gagner de l’argent, mais il préférerait aider les scientifiques à comprendre le fonctionnement du cerveau. “Autrefois, je rêvais d’être comme les autres, conclut-il. Mais ils me disent que j’ai sur eux le même effet que le Pr Stephen Hawking. Que c’est dans la contradiction entre capacités et handicap qu’ils voient l’humanité.” DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 Cassandra Jardine *828 p52-53 11/09/06 19:10 Page 53 COURRIER INTERNATIONAL N° 828 Toby Madolen/The Independent ■ Dans son autobiographie, Né un jour bleu, Daniel Tammet raconte sa vie d’handicapé surdoué. Toby Madolen/The Independent Toby Madolen/The Independent ● 53 DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 ■ Parce qu’il est l’un des rares autistes à pouvoir expliquer comment son esprit fonctionne, Daniel Tammet est considéré par les scientifiques comme la pierre de Rosette de la recherche sur l’autisme. Il a notamment accepté d’être étudié par le Centre des neurosciences de Californie. 828p54-55 11/09/06 18:52 Page 54 enquête ● DERNIER REFUGE DU CITADIN La datcha, cet objet de convoitise Tous les ans à la belle saison, armés de leurs binettes, les citadins russes investissent leur petit lopin de terre agrémenté d’une maisonnette. L’écrivain Nikolaï Klimontovitch croit savoir pourquoi. OGONIOK Moscou A depuis si longtemps, tellement vous étiez las d’inhaler la poussière et les gaz d’échappement. Bien sûr, vous êtes découragé, vous versez des larmes invisibles sur les objets disparus, tirés de leurs cachettes secrètes par des mains malintentionnées. Vous regrettez le passé, l’avenir est incertain. Mais courage, vous serez bientôt consolé par toute une série de nouvelles que vous allez apprendre petit à petit et qui font toujours le bonheur de tout habitant d’une maisonnette entourée d’une parcelle de terrain. En février, une tronçonneuse cassée a été dérobée dans la véranda du voisin ; votre voisine a été délestée du gigantesque divan dont elle était si fière, et sa commode, censée lui être venue de sa grand-mère jacobine, a probablement servi de bois de chauffage à des sans-abri des environs pendant les grands froids. Fin novembre, il y avait parmi eux bon nombre d’intellectuels. Dans la rue d’à côté, une datcha a été incendiée, le kiosque en planches dévalisé, on a emporté un tube de mayonnaise à la date limite de consommation indéterminée, un chat castré a été écorché, deux porte-monnaie et un portefeuille contenant une carte de fidélité ont été volés, un pékinois dévoré. Mais c’est loin d’être tout. La beauté fatale au manteau de queues d’écureuil du cottage voisin (portail en Haulot/Planet Repor ters-REA vant de partir, n’oubliez surtout pas les graines à semer et les plants à repiquer : aneth, persil, petits radis roses, gros radis noirs, oignons, petit pois et maïs. Prenez aussi votre pull favori. Tout le reste – la râpe, la binette, le masque d’apiculteur, la canne à pêche, sans oublier le calendrier –, vous le trouverez pour pas cher au magasin du village. Si vous suivez cet avis sincère et désintéressé, vous oublierez le pesant manque de liberté et les menus tracas du quotidien. Et peut-être, même, les pénibles images de vos ustensiles disparus. Car, pendant votre absence hivernale, le bric-à-brac entassé à la datcha se sera notablement réduit. Vos outils – ceux-là mêmes que vous aviez soigneusement cachés sous les lits des enfants, en vous prenant pour ce brave vieux Freud, censé avoir une influence jusque sur l’esprit des voleurs – se seront éclipsés. Votre cher mug à fleurs ébréché a rejoint des rives inconnues, l’évier a disparu, la bêche s’est envolée de la véranda, la bassine n’est plus là, la hache non plus et le marteau s’est fait la belle. Il ne reste plus rien pour travailler la terre. Fait très surprenant, l’arrosoir s’est également volatilisé : l’utiliser comme carafe est plutôt laborieux (si vous avez déjà essayé) et, l’hiver, il n’y a rigoureusement rien à arroser. Cette pensée vous apaisera. Surtout quand vous vous souviendrez que vous avez toujours votre portefeuille et que la banque n’a pas fait faillite.Tout va bien, votre femme n’a aucune raison de croire que vous la trompez, et d’ailleurs vous êtes encore assez jeune. Inspirez l’air frais à pleins poumons en admirant les alentours. Parce que, désormais, vous êtes à la datcha, là où vos rêves vous portaient COURRIER INTERNATIONAL N° 828 54 DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 Haulot/Planet Repor ters-REA Haulot/Planet Repor ters-REA 828p54-55 11/09/06 18:53 Page 55 Datchas à la mode traditionnelle. Scènes de la vie quotidienne. bronze ouvragé et médaillons dorés, petit coq sur un pilier) a été abandonnée par son mari, qui est parti avec la Mercedes, probablement à tout jamais. En outre, la saison des champignons ne va pas tarder, et le magasin du village a fait rentrer de la crème fraîche et des pinces plates. Ça pourra aller. Certes, le gel a eu raison de la pompe, le câble d’alimentation électrique s’est décroché, le toit de la véranda fuit, mais cela ne doit pas vous affecter outre mesure. Parce que la saison vient juste de commencer et que l’électricien devrait pouvoir passer aux alentours de septembre. Nous touchons ici une question de fond. Qu’est-ce qu’un intellectuel, qui parle aisément plusieurs langues et a toujours vécu dans un milieu urbain, peut bien faire d’une datcha ? A quoi bon se donner du mal à tenter de conserver sa dignité allongé dans un hamac, étouffant sous un panama de petit-bourgeois ? A quoi bon faire semblant de lire Schopenhauer dans le texte ? Et, surtout, pourquoi déterrer les bulbes des glaïeuls avant l’hiver ? Qu’est-ce qui fait que, dans les bourrasques de neige de février, le citadin russe pense avec autant d’affection à la petite cheminée pour laquelle il n’a qu’une pile de bois humide ? Pourquoi, dès le mois de mars, coincé au volant de son Audi dans les bouchons du centre de Moscou, commence-t-il à se demander avec angoisse si la pompe voudra bien fonctionner et si les pruniers auront fleuri ? La réponse est qu’il nourrit des rêves de fuite. La datcha est son château, sa façon de se mettre à l’abri, de s’évader. C’est un domaine féodal dont la frontière intouchable ne peut être fran- CONTEXTE A chacun son royaume ■ S’il recouvre des réalités historiques et immobilières très différentes, le terme intraduisible de datcha a traversé les âges, s’ancrant profondément dans les us et coutumes des Russes d’hier et d’aujourd’hui. Dans l’imagerie collective, il y a certainement les datchas décrites par Tchekhov et Gorki dans La Cerisaie ou Les Estivants, celle de Pasternak, qui y vécut quasi reclus non loin de Moscou, celles des pontes du régime soviétique, dont Staline, qui s’éteignit dans la sienne en 1953. Il y a encore celle, bien plus modeste, de Moscou ne croit pas aux larmes, un film exaltant les mérites d’une famille bien soviétique qui parvient à tirer une récolte miraculeuse de son petit lopin de terre. Au cours de la dernière décennie, un autre type de datcha a fait son apparition, celle du nouveau riche, appelée désormais “cottage”, tout en marbre et colonnades. L’avancée endémique de ces constructions d’un goût approximatif, souvent facilitée par des pots-de-vins ou des expropriations douteuses, menace de plus en plus les petits propriétaires traditionnels. Ainsi, pendant l’été 2006, en plein milieu de la “saison des datchas” – qui dure du 1er mai à fin septembre –, les médias russes ont donné une large place à la “bataille de Boutovo”. Les habitants de ce lotissement de vieilles maisons en bois à la périphérie de Moscou, menacés d’expulsion en raison des plans immobiliers de la mairie, refusaient d’être relogés dans des appartements exigus. COURRIER INTERNATIONAL N° 828 chie que par l’inspecteur du fisc. Mais c’est justement un inspecteur avec qui il est facile de s’entendre. La datcha vous rehausse à vos propres yeux. Ici, vous devenez véritablement un être privé, unique. Le langage ne trompe pas.Vous disposez enfin d’un espace privatif, à vous, ce qui, en langage courant, signifie que vous êtes propriétaire.Vous n’êtes plus le consciencieux locataire d’un appartement, ni un emprunteur, ni quelqu’un en attente d’un logement, vous êtes un être humain à part entière. Un citoyen. Avec vos droits inaliénables de propriété.Vous pouvez planter des choux de Bruxelles sous un film plastique dans votre jardin. Et, si quelqu’un vous recommande de planter plutôt des choux-fleurs, vous pouvez parfaitement l’envoyer balader. Mais n’oubliez pas que, si certains sont attirés par la terre, vous, vous serez toujours prisonnier de l’asphalte.Vous aurez envie de respirer des gaz d’échappement, de sentir sur vous la poussière de la grande ville, de prendre un bain et de téléphoner à une copine. Et pas avec un portable.Vous aurez envie de descendre dans la petite cour ombragée de votre immeuble et de dire bonjour à la voisine qui promène sa petite-fille, son labrador et son mari. Et, en regardant le coucher de soleil qui flamboie entre les hautes barres d’immeubles, vous penserez avec tristesse que, le lendemain, il faudra prendre le petit train qui vous conduira à la datcha, votre femme portera un panama, votre beaupère repiquera des plants, il y aura le branle-bas du matin et un livre à terminer dans le hamac. Nikolaï Klimontovitch 55 DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 MUSÉE NEW YORK DR San Rafael, une ville du sud de la province de Mendoza, capitale argentine de l’olive, propose un circuit pour voyageurs gastronomes : l’“Olivo Tour”. Durant trois jours, vous partez à la découverte des secrets de l’huile d’olive produite ici, l’une des meilleures du monde. Entre deux balades au milieu de magnifiques oliveraies, des dégustations vous sont proposées. Grâce à un cli- mat tempéré et semiaride, au pourcentage d’humidité et à la luminosité, les olives de San Rafael sont d’un goût unique. Pour les férus d’histoire, le musée de l’Olive fait partie intégrante du tour.Vous saurez tout sur ses racines millénaires, sur l’arrivée de l’olive en Argentine par les immigrés italiens, après être passée par l’Égypte ou la Grèce. Vous verrez les instru- ments anciens servant à la cueillette. Des excursions sont prévues, au Cañón del Atuel ou à Valle Grande, un immense miroir d’eau vert émeraude au pied de la Cordillère, dans lequel vous pourrez nager, plonger ou naviguer. Au troisième jour, l’escale à El Nihuil, un lac de 9 600 hectares coincé entre deux montagnes, vous impressionnera par sa beauté et son calme. Mais ne l’oubliez PRATIQUE Y aller Il faut aller à Buenos Aires et prendre un vol intérieur. Compter 1 200 € pour Paris-Mendoza. Se loger L’“Olivo Tour”, 3 jours, deux nuits, pension complète, visites, spa et transferts depuis Mendoza coûte 258 €.Vous logerez au Tower Inn & Suites de San Rafael (www.towersanrafael.com). ÉCO-TOURISME PANAMA Chez les Kunas La forêt borde les côtes d’une cinquantaine de petites îles, une barrière de corail intacte, quelques maisons en bambou et des pontons de bois. C’est ici que vivent les Kunas, dans un coin perdu du Panamá, une région autonome qu’ils ont su jusqu’à présent préserver. Vivant de l’artisanat et de l’agriculture, les Indiens ont mis en place un écotourisme, afin de lutter contre les tentations des opérateurs. Aujourd’hui, 160 000 visiteurs annuels ont la chance de partager un moment avec eux. Ils gèrent tout : petits hôtels, circuits avec guides, balades en barque, vente d’étoffes, etc. Si les anciens redoutent la perte de leurs valeurs, les plus jeunes estiment qu’il s’agit de la meilleure solution pour eux. D’accord pour accueillir des voyageurs, mais à leur manière. En savoir + ordinateurs des années soixante-dix, vous verrez fonctionner (une prouesse des techniciens) le tout premier jeu d’arcade de l’histoire, Computer Space, créé en 1971, mais aussi le fameux Pong d’Atari, Space Invaders, véritable mythe chez les joueurs ou une version d’Adventureland de 1978 pour Apple II. Cette exposition marque la recon- ENQUÊTE naissance du jeu vidéo non comme une industrie et un business, mais véritablement comme un art à part entière. Si le cinéma est le 7e art et la BD le 8e, à n’en pas douter, le jeu vidéo est devenu le 9e art. En savoir+ yorouba. Forcément, ma famille voit mon activité d’un très mauvais œil, surtout ma mère. Mais j’en ai rien à foutre.» Même dans les villages non islamisés, Tunde prétend trouver des complices. « Au fond, quelle que soit la religion, tout le monde aime l’argent, n’est-ce pas ?» Pourtant, le vol de fétiche reste un métier à risque. «Parfois, les villageois tuent ceux qui les dépossèdent. Surtout en pays Ibo, ils ne rigolent pas avec ça», reconnaît Tunde, qui s’aventure rarement dans l’ex-Biafra. Les sculptures Nok font fureur. Il y en a même dans le musée du quai Branly. Mais comment sont-elles arrivées là ? Enquête, du Nigeria à Paris, en passant par Cotonou. De l’art ou du business ? www.movingimage.us/site/exhibitions/ index.html www.movingimage.us/exhibitions/cs9 8/Default.htm T VAUCLUSE Détours au pays du Ventoux Peter Aaron/Esto pas, vous êtes à Mendoza, où l’on produit l’un des meilleurs vins du pays. Un petit détour par une bodega locale s’avère judicieux. Et, après avoir marché, bu et visité, une halte au spa s’impose. Là, il est temps de se laisser faire et de profiter des bienfaits de l’olive, comme les Égyptiens, qui disaient que deux ou trois gouttes d’huile dans le cou et sur le visage suffisaient à en préserver la jeunesse. Un“Olivo Tour” intelligent, écologique et qui vous fera rajeunir. Marc Fernandez Le MOMI (Musée de l’image en mouvement) de NewYork fut le premier à intégrer les jeux vidéo dans une exposition au début des années quatrevingt-dix. Il poursuit aujourd’hui son travail en créant la première exposition permanente sur l’histoire et l’industrie de cette populaire forme d’expression ludo-artistique. Interacting with the Screen est dédiée à Ralph Bauer, le père du jeu vidéo qui, à 83 ans, s’est dit ravi d’une telle initiative, intégrée dans un projet plus vaste intitulé Behind the Screen, qui retrace les grands moments de l’image sous toutes ses formes (cinéma, télévision, etc.). Pour les nostalgiques du joystick, une visite au MOMI s’impose donc. Vous y découvrirez de nombreuses machines et Mythique pour les amateurs de vélo, magique pour les fervents de promenades solitaires, écologique pour les fous de nature et de points de vue, le mont Ventoux règne, du haut de ses 1 912 m, sur le Vaucluse. Christine Coste en a fait le tour. DÉCOUVERTE MEXIQUE Taxco, un coin de paradis Jose Fuste Raga/Age Fotostock À San Rafael, un circuit au goût d’olives REPORTAGE Une exposition sur le 9e art Danny Lehman/Corbis Les favoris d’Ulysse De quoi donner envie d’aller se balader au Venezuela www.venezuelatuya.com/ Un diaporama sur l’île de Pâques et ses gigantesques statues www.linternaute.com/voyager/destination/chili/ diaporama-ile-de-paques/1.shtml Préparer un trek en Patagonie, en février 2007 www.lapatagonie.com/ DESTINATION ARGENTINE 12 Page 1 Découverte en 1529 par les conquistadores, Taxco de Alarcón fut l’une des principales cités de la Nouvelle Espagne. Or et argent sortait par tonnes de ses mines. Durant un siècle, plus de 17 000 tonnes partiront vers l’Europe. L’histoire de cette ville, située à 170 kilomètres de Mexico, dans l’État du Guerrero, se confond avec celle du pays. Aujourd’hui, le temps semble s’être arrêté ici. Les balcons fleuris offrent une belle vue sur le mont Atatzin, que l’on devine au loin. Les Indiens náhualt, qui vivent là depuis des millénaires, l’appellent le “seigneur des eaux”. La légende dit aussi que Cuahutémoc, le dernier empereur aztèque, a vécu dans cette ville. Á visiter absolument. Comment y aller Des bus partent de México toutes les heures depuis le Terminal Sur. Le trajet dure un peu plus de deux heures et coûte 10 dollars US. 13 www.sanblassailing.com/fr/kuna.php 104 105 32 La France inédite Des infos continent par continent out commence par un bel après-midi parisien, sur les bords de Seine. En flânant dans le quartier latin, votre regard est attiré par l’une des devantures qui exposent de l’art africain. Une belle femme, habillée du dernier chic, vous adresse un discret sourire destiné à vous mettre à l’aise dans ce temple dévoué à la culture.Vous déambulez paisiblement dans la boutique où règne un silence propre à la méditation. La belle femme, une jeune métisse, se propose de vous renseigner sur le prix de ces objets éblouissants. Elle vous flatte en vous disant que vous avez l’air d’être connaisseur. Et puis, brusquement le masque tombe. La voix devient dure. Les mots se veulent blessants. « Mais cela ne vous regarde pas. Qu’estce que cela peut vous foutre d’où viennent ces objets. Allez sortez. On ferme.»Vous avez osé la question qui fâche : d’où viennent ces ces belles têtes Nok, originaires du Nigeria ? Comment peut-on être sûr qu’elles sont sorties légalement de leur pays d’origine ? Dans la plupart des boutiques, la provenance des objets n’est jamais indiquée. Comme s’ils avaient été déposés sur cette terre par des extraterrestres. Le mystère Nok Mais qui sont ces artistes qui ont réalisé ces figurines en terre cuite, 500 ans avant notre ère ? Les premières découvertes d’objets d’art en terre cuite de ce qu’on appelle aujourd’hui la culture Nok, du nom d’un village, datent de 1928, dans la région de Jos, au centre du du Nigeria. Dans les décennies suivantes, des fouilles ont permis de mettre au jour toute une série de magnifiques statues en terre cuite, de tailles diverses, datant de 500 ans avant notre ère, échos d’une civilisation dont on ignorait jusqu’alors l’existence. La statuaire Nok présente de fortes parentés avec l’art égyptien. Cette mystérieuse civilisation se serait éteinte à la suite d’une épidémie ou d’une famine dévastatrice. Ces terres cuites constituent la seule mémoire de ce qui fut sans doute une des civilisations les plus sophistiquées du continent noir. P.C. Dans la boutique, j’avais surpris une conversation téléphonique. La galeriste avait demandé à son interlocuteur si son voyage à Cotonou (Bénin) avait été fructueux, s’il avait ramené des têtes Nok. Renseignement pris auprès de Béninois vivant à Cotonou, la capitale économique de leur pays était en effet une des places fortes du trafic. D’après la rumeur, les têtes rouges venues clandestinement du Nigeria échouaient dans le port de Cotonou, les antiquaires de New York, Bruxelles ou Paris, préférant faire leur shopping au “paisible Bénin”plutôt que dans le “féroce Nigeria”. Dès mon arrivée à Cotonou, j’ai pu constater que la réputation de cette ville n’était pas usurpée. Des têtes rouges ? Tous les antiquaires de Cotonou en proposent. Depuis les cours intérieures du quartier Zongo, les antiquaires suivent avec intérêt les nuages de poussière soulevés par les taxis des acheteurs blancs qui sillonnent au ralenti les rues cahoteuses. Ils distinguent de loin le profil d’un habitué, un Espagnol. Chacun se demande où il s’arrêtera cette foisci. L’un des jeunes Nigérians, Tunde, Yorouba au sourire de gamin et aux épaules de docker, On ne plaisante pas avec les têtes Nok Hugues Dubois/Musée du quai Branly 20:33 Gilles Rigoulet 11/09/06 amérique 56 ulysse Sculpture Nok, terre cuite, 50 cm Cette statue Nok est visible dans le nouveau musée des Arts premiers, quai Branly, à Paris. D’après le site (www.quaibranly.fr/index.php? id=551), elle est « en dépôt de la République fédérale du Nigeria ». porte de guingois une casquette de cuir bariolée. En parlant l’anglais, il imite l’accent américain. Tunde est fier. Grâce au commerce de l’art, il vient d’acheter sa première voiture, une 504 Peugeot (neuves, elles valent 1,8 million de naira au Nigeria, environ 12 millions de CFA, soit l’équivalent de soixante ans de salaire pour un professeur du secondaire). «Il y a deux ans, j’avais du mal à faire deux repas par jour. Je vendais des fripes sur les marchés du sud Nigeria. Et puis un jour, un ami m’a initié !», explique le jeune Tunde, encore tout surpris de sa bonne fortune. Installé à Benin City, ville du Sud Nigeria, qui tire une grande partie de ses ressources de “l’exportation”de femmes en Italie et en Espagne, Tunde paie des gamins de la région pour“ramasser” les fétiches des villages. «Parfois, ils ont peur de les déterrer, ils croient encore aux dieux anciens. Alors je leur demande de m’indiquer l’endroit. Et la nuit venue, j’y vais.» Récemment converti à l’islam, Tunde avoue qu’il a dû attendre la mort de son père pour se lancer dans ce «business» : «Mon grand-père était un dignitaire important dans l’ancien culte La plupart des antiquaires refusent de communiquer leur adresse. «Il faut être sûr de pouvoir faire confiance. On ne plaisante pas avec les têtes Nok», menace Omar. Pour justifier sa prudence, il invoque les pouvoirs occultes des Nok : «Avant de les remettre à un Blanc, il est nécessaire de faire des ablutions, de verser le sang d’un animal, un mouton ou un poulet. Sinon la Nok risque de se briser pendant le voyage ou de libérer ses pouvoirs maléfiques. » Les antiquaires restent discrets sur les contacts dont ils disposent pour se jouer des frontières. « Le fait d’être haoussa (ethnie dominante dans le nord du Nigeria) nous facilite la tâche, reconnaît Ibrahim, un jeune collègue de Omar. Au Nigeria, beaucoup de dirigeants de la Douane et de la Police appartiennent à notre ethnie. Des douaniers acceptent même de transporter les Nok de la frontière à Cotonou dans leurs propres véhicules. » A Cotonou, certains antiquaires sont même accusés de mettre à profit leurs bonnes relations avec la Douane pour dealer autre chose que de la terre cuite. «Les rumeurs de trafics de 33 Des enquêtes sur le tourisme e l l e v u o N e l u m r fo d n a h c r a m e r t o v Cchez rnaux de jou LE GUIDE d’Ulysse ■ Le Qhapac Ñan, chemin de l’Inca Chemin de l’Inca 1. Préparer son voyage QUAND PARTIR ? Situées dans l’hémisphère sud, les Andes se visitent surtout à la saison sèche, en hiver, c’est-à-dire en été chez nous. De juin à fin septembre/début octobre, les nuits peuvent être très froides, surtout en altitude. Les journées sont généralement chaudes et ensoleillées. Il est toutefois conseillé de consulter la météo locale avant de s’aventurer en randonnée. Le Qhapac Ñan, entre Cochasqui et Otavalo, en Équateur. Qhapac Ñan, le chemin de l’empire Inca Long de plus de 5 000 km, de la frontière colombienne au Chili, en passant par l’Équateur, le Pérou et la Bolivie, le Qhapac Ñan est un gigantesque réseau routier unifié par l’empire Inca. Longtemps oublié, il est en pleine résurrection. arbe poivre et sel, pipe, veste et chapeau en peau, rien ne manque à la panoplie d’Antonio Fresco, archéologue espagnol, spécialiste du Qhapac Ñan, le “Grand Chemin”, et sosie du père d’Indiana Jones. Depuis le début de la matinée, nous suivons des bouts du sentier à travers les banlieues de Quito, en Équateur. Les quelques tronçons encore B 40 visibles sont pavés de lauzes volcaniques. Ici, le chemin était emprunté par la population il y a encore deux générations à peine. Large de 6 à 8 mètres, il était bordé de murs en pierres, ou en terre. Apparemment, les archéologues en sont à la phase de repérage, la trace se perdant dans les travaux d’élargissement de la Panaméricaine. Nouvelle tentative du côté de la Quebrada Jalapana, toujours dans les environs de la capitale équatorienne. Ici, le paysage évoque le Massif Central. Au fond du vallon coule un ruisseau que franchit un pont fragile appuyé sur un bloc de pierre orné d’un pétroglyphe. Un homme s’avance vers nous, plutôt costaud. Il porte une machette à l’épaule. La famille de Jacobo Loachamin vit ici depuis des temps très reculés. « Le Camino Inca ? Mes ancêtres l’ont vu construire», affirme Jacobo. Frisson. L’homme nous Des cartes et des reportages le cas contraire, il vous faudra vous acquitter d’une amende. Enfin, lors de votre départ, il vous faudra régler une taxe d’aéroport de 25 $ US. Chili, Équateur, Pérou Passeport en cours de validité. Le visa n’est pas nécessaire pour un séjour touristique égal ou inférieur à 90 jours. ADRESSES UTILES FORMALITÉS 41 94 Bolivie Les Français séjournant 90 jours en Bolivie par période de six mois n’ont pas besoin de visa. Un cachet d’entrée valant autorisation de séjour de 30 jours est apposé sur le passeport à l’arrivée dans le pays. Cette autorisation peut être prolongée gratuitement à 90 jours par les services de l’immigration (à La Paz : avenida Camacho, 1433, tél. : 211.09.60.). Attention, exigez ce cachet dès votre entrée sur le territoire bolivien, même par voie terrestre. En effet, dans En France - Consulat du Pérou, 25, rue de l’Arcade, 75008 Paris. Tél. : 01.42.65.25.10. [email protected] - Ambassade de Bolivie, 12, avenue du Président-Kennedy, 75016 Paris. Tél. : 01.42.24.93.44. embolivia.paris@ wanadoo.fr - Ambassade du Chili, 2, avenue de la MottePicquet, 75007 Paris. Tél. : 01.44.18.59.60. www.amb-chili.fr mail [email protected] - Consulat et ambassade d’Équateur, 34, avenue de Messine, 75008 Paris. Tél. : 01.45.61.10.04. www.ambassadeequateur.fr À Lima Ambassade de France, Avenida Arequipa 3415, San Isidro. Tél. : (00.51) 1.215.84.00. Office du tourisme : www.peru.info/perufra.asp Pratique, complet et doté d’une version française. À La Paz Ambassade de France, Siles 5390 & Calle 8, Obrajes. Tél. : (00.591) 02.278.61.14. www.ambafrancebo.org/ Office du tourisme : http://www.bolivia. gov.bo/ À Santiago du Chili. Consulat de France, Condell 65. Tél. : (00.56) 470.80.00. Office du tourisme : http://www.visitchile.org/abcfrances/in dex.php?id=25 Tout ou presque pour boucler une escapade au Chili. À Quito. Ambassade de France, av. Leonidas Plaza 107 y Patria. Tél. : (00.593) 256.07.89. www.ambafrance-ec.org/ Office du tourisme : www.vivecuador.com/ En anglais et en espagnol. Des infos sur le calendrier des fêtes locales. L E EN LIBRAIRIE D E S G U I D E S POINTS FORTS POINTS FAIBLES ENFANTS Destiné aux voyageurs exigeants. Idéal pour ceux qui veulent éviter les mauvaises surprises dans les adresses et les prix. Sa mise à jour annuelle et la qualité du travail des auteurs. Peu de guides sont aussi précis dans la description des hébergements et des lieux à visiter. Rédigé en anglais, il demande un effort supplémentaire. Par ailleurs, son poids peut dissuader ceux qui aiment voyager léger. Pas d’approche spécifique. Les enfants pourront réviser leur anglais en voyageant avec les grands. “Bolivie”, Lonely planet, 23 €. Pour le voyageur qui cherche de l’information pratique et culturelle. Bonne couverture du pays, à l’image de la grande carte d’ouverture. À souligner : la place consacrée à la situation contemporaine de la Bolivie. Cette édition traduite date de 2004, un petit défaut pour une région où les choses vont souvent vite. Ils restent à la maison pour lire Tintin et les 7 boules de cristal. “Pérou-Bolivie”, le Guide du Routard 2005-2006, Hachette 14,90 €. Guide grand public qui est devenu une des bases de la bibliothèque du voyageur. Idéal pour préparer un budget ou un itinéraire. Ce volume couvre deux pays, il vous permet de partir plus léger. Le “Routard” ratisse large. Sur une telle destination, on souhaiterait des illustrations de qualité et un contenu culturel un peu plus haut de gamme. Ce sont les grands oubliés. Il est vrai que ces destinations ne sont pas forcément simples pour des voyages en famille. “Pérou”, Lonely planet, 22 €. Pour le voyageur qui cherche de l’information pratique, culturelle et sociétale du pays visité. Une véritable petite encyclopédie de voyage. Des cartes un peu grises mais indispensables aux voyageurs. Le rappel des règles à respecter lors de la visite des sites. Cette édition traduite date de 2004. Dommage que les photographies en couleur ne soient pas plus nombreuses. Ils restent à la maison pour lire Tintin et le Temple du soleil. “Chili, île de Pâques, Patagonie”, Petit Futé, 2005/2006, 15 €. Pour ceux qui recherchent des informations “impersonnelles” sur le Chili. Un lexique des mots et expressions spécifiquement chiliens. La maquette est vraiment tristoune, et les plans, très insuffisants. Très peu d’entrées de chapitres thématiques. Adresses peu commentées. Rien de rien. Ils pourront toujours rester à la maison pour regarder la télé. “Chili et île de Pâques,” Raphaël Motte, éd. La Manufacture, 23 €. Les voyageurs qui souhaitent une approche plus culturelle et moins portée sur la consommation. L’auteur est aussi photographe, les illustrations sont nombreuses. Elles donnent un bon avant-goût du voyage. Le désert d’Atacama est bien traité. La partie pratique est inexistante. Elle se réduit à une simple liste d’adresses. De fait, ce guide est un bon complément culturel. Ils pourront toujours regarder les images. COMMENT Y ALLER ? À partir de l’Europe, Iberia, KLM et Air France sont sans doute les compagnies les plus attractives. Il n’existe aucun vol direct depuis Paris et il vous faudra changer au moins une fois, sauf pour ceux qui se rendent directement au Chili par le vol Paris-Buenos AiresSantiago d’Air France. Au retour comme pour les vols intérieurs, des taxes d’aéroport sont à acquitter sur place (environ 50 US $/pers.) Iberia. Vols quotidiens Paris Orly/Lima via Madrid. Tél. : 0.820.075.075. www.iberia.fr KLM. Cinq vols hebdomadaires Paris/ Lima via Amsterdam. Tél. : 0.890.710.710. www.klm.fr Air France. Tél. : 0.820.820.820. www.airfrance.fr Lan Peru. www.lanperu.com Lan Chile. www.lanchile.com G U I D E POUR QUI “South American Handbook 2007”, Footprint, 29,19 €. Un guide pratique complet L’INVITÉ Artiste peintre chinois, navigateur, cinéaste à ses heures, Zhai Mo a découvert la voile dans les années 2000. Depuis, il n’a plus lâché la barre, d’un océan à l’autre. Epris de liberté, il navigue de défi en défi. Avec, toujours à l’esprit, l’envie de faire découvrir la Chine aux yeux des étrangers. Zhai Mo « Je me suis pris à rêver de navigation le long des berges de la Seine, à Paris » À 95 28 37 ans, les cheveux noués au creux de la nuque, la taille haute et les épaules carrées, Zhai Mo a l’allure de l’aventurier et la nonchalance de l’artiste. Originaire du Shandong, une province du nord-est de la Chine, rien ne le prédisposait pourtant à l’appel de l’océan. Sa première vocation sera d’ailleurs celle de la peinture. Élève studieux et appliqué, dispensé de toute activité sportive car atteint de bronchite chronique, Zhai Mo a très tôt montré des dispositions pour la calligraphie et le dessin. Après ses années de formation, il intègre une école de peinture puis poursuit par des études de cinéma. Mais tout commence réellement pour lui dans les années quatre-vingt-dix. « Je travaillais alors dans des ateliers de production de films et je peignais en parallèle. » Spécialisé dans l’art indigène, inspiré par des courants comme le cubisme et le fauvisme, Zhai Mo mêle dans sa peinture ces influences avec l’art de la calligraphie chinoise. En 1995, il vit modestement et fréquente assidûment le milieu artistique pékinois. Notamment à Song Zhuang, un quartier de la grande banlieue est de la capitale où, sur à peine 10 km2, vivent et travaillent plus de 200 artistes et étudiants de l’Institut des Beaux-arts. Est-ce le fruit du hasard ? Alors que la Chine, du- Conseils aux voyageurs ■ Naviguer. « La navigation suppose une totale liberté d’esprit. Il faut être bien dans sa tête et dans son corps et ne pas avoir de ressentiment envers la mer et ses caprices. Bref, il faut être humble face à cet élément naturel et toujours imprévisible. » ■ Voyager. « Apprendre à connaître les coutumes locales rencontrées, éviter les jugements et le conflit, multiplier les rencontres. La barrière de la langue ne m’a jamais posé de problème, je dialogue par les gestes et l’intermédiaire de ma peinture. Il ne faut donc lui donner aucune importance sinon vous ne serez jamais prêt à échanger avec les autres.» rant les années quatre-vingt-dix, s’ouvre peu à peu vers l’extérieur, Zhai Mo est pris d’une soudaine envie d’évasion. Au cours de l’année 1999, un de ses amis expose dans une galerie parisienne… Il ne lui en faut pas plus, il prend un billet et part le rejoindre. De Pékin à Paris, XIIe arrondissement, le choc est frontal. P endant six mois, le peintre va écumer les musées de la capitale et errer le long des berges de la Seine. « Je me suis pris à rêver de navigation devant ce fleuve. Pour moi l’eau et l’art sont liés. » Un des responsables du Centre d’art national de NouvelleZélande apprécie ses peintures et l’invite à poursuivre son périple vers le sud-ouest de l’océan Pacifique. « Je suis resté 10 mois en tout dans ce pays, dont 9 à naviguer.» De la peinture à la voile, la transition n’était pourtant pas aisée. Là encore, Zhai Mo ne planifie rien, il se laisse porter par ses rencontres. Quand un reporter d’une chaîne de télévision locale lui propose de l’accompagner filmer un navigateur norvégien, forcé d’accoster en Nouvelle- DR Le chemin de l’Inca Zélande pour éviter le passage d’un typhon, le peintre suit le mouvement. Une fois embarqué dans ce petit voilier de 8 mètres de long, naviguant au large des côtes, c’est la révélation. «J’ai eu pour la première fois un vrai sentiment de liberté et la prémonition que j’avais l’occasion de me surpasser dans un domaine précis.» Border, lofer, manœuvrer l’écoute… L’artiste prend ses premières leçons et s’achète un petit voilier. Sa première traversée ne l’éloigne pas beaucoup des côtes de la Nouvelle-Zélande, mais bientôt l’apprenti navigateur prend le large. Pendant des mois, Zhai Mo va voguer dans l’océan Pacifique et faire halte dans des archipels aux noms pour lui inconnus. Il accoste successivement à Vanuatu, Fiji, Tonga et Samoa. Chaque fois, les habitants s’étonnent de voir débarquer ce grand asiatique. Zhai Mo ne parle que chinois mais établit le dialogue par des expositions de sa peinture. Les insulaires ne sont pas les seuls surpris. D e retour en Chine, Zhai Mo tente d’attiser l’intérêt de ses concitoyens pour la voile. Le pari est loin d’être gagné. Peu attirés par la mer, la plupart des Chinois se désintéressent des loisirs nautiques. Zhai Mo entreprend de les initier. En 2003, il projette de réaliser un long périple en mer de Chine. Mais la recherche de sponsors s’avère ardue. « Aucune entreprise chinoise n’a voulu associer son nom à un projet aussi risqué.» L’artiste emprunte alors un petit voilier à un ami navigateur et part seul. Pendant un mois, il parcourt 18 000 km, de Dalian aux îles Nansha en passant par Qing Dao, la prochaine ville de régate des Jeux olympiques, Shanghai,Whenzou et Hong Kong, etc. Il devient ainsi, quelques siècles après Zhen He, grand explorateur de la dynastie Ming (XVe siècle), le premier navigateur chinois à la voile. Cette traversée et l’affrontement en mer d’un ouragan lui valent sa première médiatisation sur les chaînes de télévision nationales. Les reportages sur son parcours se multiplient. Le navigateur a pour la première fois capté l’attention du public chinois et rêve déjà d’autres exploits. Mais Zhai Mo ne recherche pas la célébrité. Modeste et peu bavard, ce qui le motive c’est de faire savoir au monde que les Chinois aussi vont bientôt entrer dans la compétition. Patriote, fier de son pays et de sa culture, il envisage déjà de réaliser un vrai tour du Le portrait d’un grand voyageur 29 57-58-59-60 courrier english 12/09/06 18:33 Page 57 Pendant cinq semaines, Courrier international se met à l’anglais, tel qu’il s’imprime sur les cinq continents. Un voyage en v.o. dans les presses anglophones. in English For the next five weeks, practise your English with us! Discover articles by English-speaking journalists from all five continents – in their own words. Will France’s Socialists learn from Britain ? Mary Dejevsky THE INDEPENDENT (excerpts) London he Socialist Party “summer university”, held annually at La Rochelle, shows the French Left at its glorious best and its most self-destructive worst. Its best face is the egalitarian efficiency with which it can organise a fourcourse sit-down lunch for several hundred people, with everyone talking cheerfully to everyone else. Its worst face is the bitchy/1 self-absorption into which the gathering descends at every other time of day.The “summer university” illustrates the limitless capacity of France’s Socialists – young and old – to ruin their electoral chances, just as every other indicator would suggest that they should logically be on the rise. Eleven years ago Lionel Jospin won the party’s presidential nomination after weeks of bitter infighting in the wake/2 of, yes, a party-funding scandal. M. Jospin’s sombre Protestant probity put him on the ballot ; but it could not make him into a campaigner. France was seduced by the more obviously Gallic/3 charms of Jacques Chirac. At the last presidential election, in 2002, M. Jospin disastrously failed to qualify for the run-off, defeated by a combination of his own hesitant campaigning (again), the party’s complacency/4 and a general French unease with the world.This time around, with the presidential election only eight months away, France’s Socialists seem yet again to have started their campaign as they mean to go on. La Rochelle was an opportunity to show unity of purpose and hunger for power. It might also have been the occasion for an elegant passing of the baton/5 to a new generation. What better forum for a public act of party renewal than the last “summer university” before the campaign ? T 1/ Bitchy L’équivalent le moins élégant serait vraisemblablement “vachard”. Le terme bitch (chienne) est assez fréquent comme expression de mépris dans les bouches masculines. 2/ Wake Il s’agit, au sens propre, du sillage d’un navire. 3/ Gallic Terme qui renvoie de façon générique, avec une pointe de condescendance, à la sphère culturelle française. 4/ Complacency Mélange de suffisance, d’arrogance et d’autosatisfaction. 5/ Baton Il s’agit ici du témoin que Of course, this is not what happened. M. Jospin turned up, all emotional for once, seeking to tap into his own and his party’s guilt for the previous debacle. He may have been throwing his hat into the ring/6 for the nomination ; as ever, though, he was disinclined to reveal his ambition. His pitch/7 was about fidelity – to the party’s leftwing soul. But it was also about Ségolène Royal, 14 years his junior, an ebullient/8 moderniser in the Blair mould, who has fewer inhibitions than M. Jospin about political ambition. Ms Royal has been putting herself about for several months, setting up the perfect pre- se transmettent les membres d’une équipe de course de relais et non de la baguette du chef d’orchestre. 6/ Throwing his hat into the ring Allusion à l’ancienne pratique qui consistait à défier le champion (de lutte ou de boxe) en lançant son chapeau sur le ring ou, plus métaphoriquement, dans l’arène. 7/ Pitch Terme musical désignant la tonalité d’une œuvre et par extension la thématique d’un propos public. 8/ Ebullient “Dynamique”, “tonique”, “plein(e) d’énergie”. 9/ Umpteen Désigne une quantité importante et indéterminée. 10/ To harbour Tout comme le port abrite les navires, F. Hollande préserve les projets qu’il “nourrit”. 11/ If anything “A tout le moins”, “en fait”. 12/ Pitted Le verbe to pit évoque l’affrontement de deux adversaires dressés l’un contre l’autre. 13/ Grudgingly “A contrecœur”, “avec réticence”, “du bout des lèvres”. To bear a sidential match with Nicolas Sarkozy, her peer in self-promotion on the modernising right. The nomination process will be complicated on both sides of the political divide. But on the left, it will be doubly so, for what might be described delicately as “personal reasons”. Ms Royal’s partner for the past umpteen/9 years and the father of her children is none other than the party’s first secretary, François Hollande.To complete the infernal triangle, M. Hollande is, or was, reputed to harbour/10 presidential aspirations of his own. The Socialists’ gathering did nothing to illuminate the way ahead for the French Left. If anything/11, it obscured things further. Having split over the European constitution, the party is now divided at least in two, and possibly more. It is hard to see how it can avoid debilitating itself further in the weeks to come. A contest that pitted/12 M. Jospin against Ms Royal for the party’s presidential nomination would make for a classic contest between traditionalists grudge against somebody signifie que l’on en veut à quelqu’un. 14/ Doghouse Equivalent américain de kennel (“niche”). C’est, au sens figuré, dans cette niche que se retrouvent ceux qui ont été exclus de la communauté ou ont été ostracisés. 15/ Fated Le verbe fait explicitement référence au fatum, au destin qui condamne la France et le Royaume-Uni à être perpétuellement en désaccord. 16/ Out of sync Les deux pays ne sont pas synchronisés et ne marchent donc pas d’un même pas. COURRIER INTERNATIONAL N° 828 57 and modernisers.The warm reception M. Jospin received at La Rochelle suggests which way France’s Socialists would go if they voted from the heart. The bigger question is whether they want to win the presidency enough to nominate a moderniser. And here the answer may not just be different from the one the British Labour Party grudgingly/13 gave Mr Blair. It may also be informed by the British experience. To Ms Royal and her entourage, Blair’s Britain has been the social and economic “third-way” success that they believe France could become. With French and British growth rates perhaps changing places and Britain in the international doghouse/14 over Iraq, the appeal of Blairism may not be all it was. In politics, as in so much else, France and Britain somehow seem fated/15 to remain out of sync/16. CHRONIQUE Trop tard pour sauver l’anglais des médias ? Au Royaume-Uni aussi, on s’inquiète de la qualité et du style dans les journaux, explique l’universitaire Jean-Claude Sergeant. ans une récente édition de Press Gazette, l’hebdomadaire de référence des professionnels de la presse au Royaume-Uni, un journaliste employé dans une rédaction régionale s’inquiétait de la dégradation de la qualité de l’anglais employé par ses confrères. “Est-il trop tard pour sauver l’anglais qu’on lit dans les journaux et qu’on entend à la radio ?” s’interrogeait-il, citant l’emploi, selon lui abusif, de ahead of, ongoing, upcoming, following, et de due to. Si, comme le disait Jonathan Swift, le style consiste à employer les mots adéquats là où ils sont nécessaires, il est vraisemblable que l’essentiel de la presse d’aujourd’hui ne trouverait pas grâce aux yeux de l’auteur des Voyages de Gulliver, qui fut journaliste à ses heures. Trois siècles plus tard, Keith Waterhouse, prestigieuse plume du Daily Mirror, définissait le style journalistique comme “l’ar t de choisir une D DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 suite p. 58 Retrouvez la traduction de l’article page 13 Ségolène Royal. Dessin de Peter Schrank paru dans The Economist, Londres. ■ Remerciements Pour réaliser ce supplément, nous avons bénéficié de la précieuse collaboration de Jean-Claude Sergeant, professeur de civilisation britannique à l’université Paris III. Spécialiste de la politique et des médias britanniques, il a notamment publié L’Angleterre à travers sa presse (Presses Pocket, 1991) et Les Médias britanniques (Ophrys-Ploton, 2004). Directeur de la Maison française d’Oxford de 2000 à 2003, Jean-Claude Sergeant dirige à Paris III le master Langues, civilisations étrangères et médias, qui a succédé en 2005 au DESS de journalisme bilingue français-anglais. THE INDEPENDENT 252 000 ex., Royaume-Uni, quotidien. Créé en 1986, ce journal est devenu l’un des grands titres de la presse de qualité. Il se distingue de ses concurrents par son indépendance d’esprit (il n’est proche ni des conservateurs, ni des travaillistes), son engagement proeuropéen et ses positions libertaires sur les questions de société. 57-58-59-60 courrier english 18:34 Page 58 English SOUTHEAST ASIA CHRONIQUE Indonesian dancer, clerics/1 go toe-to-toe/2 suite de la p. 57 poignée de mots parmi le demi million de termes disponibles et de les disposer dans le meilleur ordre possible” (Daily Mirror Style, 1981). C’est évidemment faire un crédit excessif au savoir-faire des journalistes. Dans la pratique, on observe une pluralité de styles, selon que l’on a affaire à la presse populaire ou à la presse dite de qualité, et également selon le type d’article : les features (articles de fond) ont une tonalité différente des articles d’information, plus stéréotypés. lire régulièrement la presse, on ne peut que constater l’appauvrissement de l’anglais journalistique évoqué plus haut. Ainsi, comme le notait le texte de Press Gazette, la locution due to semble s’être imposée au détriment des autres formes linguistiques marquant la causalité. L’extrait suivant emprunté au Daily Telegraph du 7 septembre 2006, consacré à la prise de fonctions du nouveau patron de Ford, est, à cet égard, exemplaire : “Ford is facing the most serious crisis in its history, partly due to events outside its control, but mostly due to years of mismanagement” (Ford est confronté à la plus grave crise de son histoire, en partie du fait d’événements échappant à son contrôle, mais surtout du fait de nombreuses années de mauvaise gestion). Il suffit de regarder attentivement les titres de la presse haut de gamme (upmarket, dirait l’anglais) pour s’apercevoir qu’ils s’organisent majoritairement autour de marqueurs temporels tels as, qui indique la simultanéité, et after, qui se borne à traduire la successivité de deux événements, sans pour autant poser de lien de causalité entre eux. Les exemples qui suivent sont éclairants : “Blair crisis as party feuds” (The Times du 7 septembre 2006). Il ne s’agit évidemment pas de deux événements concomitants isolés, la crise que traverse le Premier ministre britannique étant nécessairement liée aux déchirements que connaît le Parti travailliste. “Anger as Omagh bomb trial halts” (The Daily Telegraph du 7 septembre 2006). Là encore, le lien entre la colère des familles des vingt-neuf victimes de l’attentat d’Omagh, en 1998 – le plus meurtrier de tous les attentats commis en Irlande du Nord – et la suspension du procès des auteurs présumés n’est qu’implicitement posé par ce titre. A n peut substituer la postériorité (after) à la simultanéité (as) pour par venir au même constat détaché, qui exclut tout ef fet de causalité directe entre les événements relatés, ainsi que l’illustre ce titre du Guardian du 2 septembre 2005 : “Petrol to hit £1 after US buy up supplies.” En termes plus clairs, le rédacteur informe les lecteurs que le prix de l’essence à la pompe va passer à 1 livre sterling le litre, du fait de l’achat par les autorités américaines de grandes quantités de pétrole auprès des pays européens. O Jean-Claude Sergeant Duncan Graham ASIA TIMES ONLINE Hong Kong Retrouvez la traduction de l’article page 32 La grande star de la pop indonésienne Inul Daratista, en concert à Kuala Lumpur, en Malaisie. ASIA TIMES ONLINE <www.atimes.com>, Chine. Ce journal en ligne fondé en 1999 offre un panorama très complet de l’actualité asiatique et moyenorientale. Publié en anglais et en chinois, ce site basé à Hong Kong et à Bangkok se targue d’être devenu un must pour les Asiatiques et les Occidentaux qui s’intéressent à l’Asie. Près de 80 000 personnes le lisent quotidiennement. GEMBOL, East Java – Westerners who have seen concerts or videos featuring Indonesia’s top entertainer Inul Daratista wonder what the fuss/3 is all about. The archipelago’s No 1 dangdut singer and dancer performs fully dressed. Sure, her pants test Lycra’s stretch ratings/4 and she does a wiggle/5 that leaves lots to the imagination. By Western standards of risque/6 however, it’s a bit of a bum/7 show. But not in Indonesia, where the nation’s moral guardians are fighting to purge the land of so-called Western influences. Ironically, perhaps, dangdut has no Hollywood antecedents ; it’s a mix of thumping/8 , jangling/9 Indian, Malay and Arab music. It’s Inul’s bottom-rotating ngebor dance style that the country’s Muslim clerics say they find lewd/10 and a threat to national morals. Infuriated by her growing popularity, success and independence, they are now pushing for new legislation outlawing a range of codes and behaviors, which, if implemented, would throw a cold blanket/11 on her act. Most of the proposed legal provisions concern the way women dress and behave. Liberals see the bill/12 as a bid to impose strict Islamic sharia law on the nation, where an estimated 90 % of the 240 million population consider themselves Muslim. The proposed bill against pornography and “pornographic acts” – which includes the exposure of female flesh – is clearly directed at the likes of Inul and her multiplying imitators. These are just bubbles on the surface; below is a seething cauldron of gender politics, state control of the arts, and the future shape of Indonesia’s infant democracy. 1/ Clerics Les “clercs”, c’est-à-dire, dans ce contexte, les “religieux”. 2/ Toe-to-toe La danseuse et les religieux sont au bord de l’affrontement, au point que leurs orteils se touchent, du moins métaphoriquement. Pour rester dans le registre, on se risquera à proposer le titre suivant : “La danseuse et les religieux sont à deux doigts de l’affrontement”. 3/ The fuss Ce qui fait du bruit dans l’opinion. A fussy person est un (une) faiseur (faiseuse) d’embarras. 4/ Her pants test Lycra’s stretch ratings Le Lycra est une matière extensible ; cette propriété, pourtant attestée par l’attribution d’un coefficient (rating), semble être mise à rude épreuve (tested) par les contorsions de la danseuse. 5/ Wiggle “Contorsion”, “ondulation”, “frétillement”. 6/ By Western standards of risque Selon les normes occidentales en matière de spectacle audacieux ; selon l’idée COURRIER INTERNATIONAL N° 828 58 Ahmad Yusni/EPA/Sipa in 12/09/06 Political commentators claim that the raging debate has exposed a national fault line/13 – pitching the insular, poorly educated, easily led majority in the countryside versus/14 the more urbane, better-schooled city folk with liberal pretensions. The latter are the noisier group – but they don’t have the numbers, so the controversial bill may yet become law. The president, Susilo Bambang Yudhoyono, has given some comfort to the bill’s supporters by throwing out of the state palace a dancer who planned to expose her midriff/15 during a performance. He has also publicly condemned the public display of female navels. The bill’s backers have branded opponents broadly as moral corruptors. Such ethnic groups as the Balinese, whose bare-shouldered traditional dress would be banned under the planned legislation, have joined Jakarta entertainers in protest rallies where Inul has been prominent. Her group says there are already plenty of laws on the statutes to protect society and that the anti-pornography law is unnecessary for a democratic society. For speaking out on the issue, though, Inul has been ordered out of Jakarta by the Betawi Brotherhood – a fundamentalist group that claims to act on behalf of the city’s traditional folk. One of Inul’s karaoke lounges has already been attacked by a mob from the Islamic Defenders’ Front – another band of thugs/16 in Muslim garb/17 – and she has been publicly condemned by various other hardliners. During Suharto’s rule demonstrations were tightly controlled and protests rapidly suppressed – often brutally. Under democracy, street rallies and random/18 acts of violence have become commonplace – often under the passive gaze of police officials. Recently,Yudhoyono indicated that he would move against violent religious groups, but so far there have been no significant round-ups/19 or arrests. Unlike many other successful celebrities who flee their origins for an exclusive address, Inul has remained loyal to her roots. Although she employs security guards in Jakarta, her home in Gempol relies on neighborhood support for protection, she said. “I’m a Muslim, serious about my faith. I regret the things some Muslim clerics are saying,” Inul said in an interview. “Why are they bothering with antipornography ? Why are they always talking about women ? The priorities in this country should be getting people jobs and a better education.” Inul said she employed more than 750 staff at her seven karaoke lounges. She has also been approached by a number of political parties to consider a career in politics, but so far she has declined all of the offers. “It’s too corrupt”, she said. Through her spirited fight against the anti-pornography bill, she has fast emerged as one of Indonesia’s most visible women’s rights activists/20. “I want to lift the status of women. I want them to be brave enough to take risks.” More than words, it’s an example by which the dancer lives. 13/ Fault line “Ligne de faille”. 14/ Versus To pitch (a group) versus que l’on se fait dans les pays occidentaux de l’audace en matière de spectacle. 7/ Bum “Postérieur”, “derrière” ou encore “fesses”. Les photos déshabillées de la page 3 du Sun relèvent de la catégorie tits and bums (du nichon et de la fesse…). 8/ Thumping Littéralement, “frapper”, “donner des coups sur une table”, “marteler”. 9/ Jangling Le terme dénote un bruit métallique. 10/ Lewd “Lascif”. 11/ Throw a cold blanket Au sens figuré, “étouffer”. Une personne qualifiée de wet blanket est un rabat-joie. 12/ Bill “Projet de loi”. DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 (another one), “opposer, dresser (un groupe) contre (un autre). 15/ Midriff La partie du corps comprise entre la poitrine et le nombril (navel), partie qu’il est aujourd’hui de bon ton d’exhiber. 16/ Thugs “Voyous”. 17/ Garb “Tenue”, “accoutrement”. 18/ Random “Aléatoire”. A prendre ici au sens de violence aveugle, gratuite. 19/ Round-ups Désigne le fait de rassembler, de regrouper. On pourrait dans le cas présent aller jusqu’à “rafles”. 20/ Activists Ce faux ami signifie “militants” et non “activistes” (partisans de l’action violente). 57-58-59-60 courrier english 12/09/06 18:36 Page 59 in English BUSINESS Up in the Sky, It’s… … the spectacle of plummeting/1 hedge funds/2, burdened by new scrutiny and weakening returns. Rana Foroohar NEWSWEEK NEWSWEEK New York hen Sumner Redstone, the much-respected head of media conglomerate Viacom, unceremoniously booted/3 megastar Tom Cruise from his perch at Paramount earlier this month, there was plenty of talk about how studios are finally looking to offload/4 the risk of super expensive actors, who often milk/5 millions from a film before producers can take their own cuts. Less well covered were the new players looking to pick up that risk – namely, hedge funds. While it’s unclear whether a reported $100 million offer of support from hedge funds to Cruise’s production company will actually/6 materialize, hedge funds are already backing films in a big way. Larry Ulman, head of the entertainment practice/7 at L.A. law firm Gibson, Dunn & Crutcher, estimates that there’s as much as $4 billion in hedge-fund money in Hollywood, and the number is growing. The very fact that they are willing to try their hand at such a notoriously capricious business says a lot about the evolution of the hedge-fund industry itself. Once a niche/8 investment for ultra wealthy individuals, hedge funds have in the last five years gone mainstream/9 with pension funds, endowments/10 and other big institutional investors pouring money into them. The Hennessee Group, a New Yorkbased investment adviser that tracks/11 hedge funds, estimates that the global market has grown from $130 billion in 1997 to $1.5 trillion today, with 56 per- W 1/ Plummeting Le verbe to plummet signifie “plonger”, “couler à pic”, comme un objet lesté de plomb. 2/ Hedge funds “Fonds spéculatifs” ; le terme anglais est communément utilisé par les professionnels français. 3/ Booted Le verbe to boot évoque, de façon assez visuelle, la mise à la porte d’un employé accompagnée d’un coup de pied au derrière. 4/ Offload Littéralement, “se délester”. 5/ To milk : référence à la traite des vaches. 6/ Actually Faux-ami notoire : “réellement”, “véritablement”. 7/ Entertainment practice Service chargé des comptes des clients du showbiz. 8/ Niche Désigne un segment réduit de population ; terme surtout utilisé par les publicitaires, les spécialistes des médias et les analystes financiers. 9/ Mainstream C’est le pendant symétrique de niche ; le terme évoque la généralité, le grand public. To go mainstream : “se généraliser”. 10/ Endowments Contrats d’assurance-vie. 11/ Track Le verbe to track, proche du français “traquer”, évoque la surveillance et le dépistage. 12/ Breed Groupe d’individus, génération, descendance. cent of that money held by companies and institutions.That means that if you have money in pension funds, mutual funds or any number of high-profile public companies, part of your future is invested in hedge-fund managers, a breed/12 now desperate enough to seek returns in actor-run movie studios. The upshot/13 is clear : the party is over/14. After the dot-com bubble/15 collapsed, hedge funds (which tend to bet against conventional market wisdom) were one of the few investments that still offered the promise of doubledigit returns/16.The problem is that as more and more investors have gotten into them, their power has diminished. The mainstreaming of hedge funds has resulted in two important partypopping trends. First, there’s been a worldwide push toward greater regulation and rating/17 of these largely opaque investments, so that small investors won’t get burned. Of course, it was in many ways the lack of regulation – including the ability to engage in complicated options, futures/18 and swap deals/19 that are forbidden to mutual funds – that gives hedge funds their power to mitigate/20 risk. If they are treated like any other investment, their power, and their returns, will continue to diminish. At the same time, the big credit-ratings agencies plan to begin rating hedge funds ; Moody’s will begin publishing its first ratings in the next few weeks. Some analysts worry that greater transparency will make it even tougher to generate returns. But it should also make it tougher for unrated, marginal funds, including many small shops with $25 million or less in assets, to sell themselves to the public. And a good thing, too : this is where most of the outright/21 fraud and abuse lie. That brings us back to those diminishing returns. As Joel Schwab, managing director of hedgefund.net, points out, traditional hedging techniques are no longer working so easily. Consider convertible arbitrage, which involves exploiting market inefficiencies, like unjustified differences in value between a company’s stocks/22 and its bonds/23. Once/24 the bread-and-butter/25 of hedge funds, convertible arbitrage is down even more than the industry as a whole. According to hedgefund.net statistics, yearly returns for arbitrage funds were 18.3 percent in 1999 ; last year those funds lost 1.3 percent. “As more people do these sorts of trades, the arbitrage opportunities just go away,” says Schwab. This is painful in the extreme for hedge funds, which often promise “absolute returns,” i.e./26, no negative years. les accords permettant d’échanger des créances ou des actions entre sociétés. 20/ To mitigate “Atténuer”, “minimiser”. 21/ Outright “Visible”, “patent”, “avéré”. 22/ Stocks “Actions”. 23/ Bonds “Obligations” mais aussi, aux Etats-Unis, “bons du Trésor”. 24/ Once “Autrefois”. 25/ Bread-and-butter Expression renvoyant aux activités de base d’une entreprise, qui désigne également la routine professionnelle. 26/ i.e Abréviation de id est, “c’est-à-dire”, “à savoir”. 27/ To tread “S’engager (dans un chemin)”. 28/ Draw “Attraction”. So, what’s a hedge fund to do ? Go where others fear to tread/27. Over the last two years, that has meant Hollywood – recent big-budget films like Superman Returns,V forVendetta, Poseidon and many others have been produced with hedge-fund cash. Few have been hits, a strong reminder that only the risk of high-risk, high-return strategies is guaranteed. Energy has been another big draw/28 for hedge-fund managers, and few others. Given the rocky/29 geopolitical landscape, banks have been slow to provide the trillions of dollars oil and gas companies need over the next decade to ramp up/30 production in the face of growing demand. So hedge funds have stepped in to fill the void : Schwab estimates that there is now $70 billion in hedge-fund money in energy, making it the biggest single industrial sector for hedge-fund investment. 29/ Rocky Terme américain évoquant la difficulté d’une entreprise. 30/ To ramp up Façon métaphorique de désigner l’accroissement d’un phénomène. 13/ Upshot Equivalent américain de outcome ; “résultat”, “issue”. 14/ The party is over “La fête est finie”. 15/ Dot-com bubble La fameuse bulle spéculative née de l’engouement des investisseurs pour les valeurs des sociétés spécialisées dans les nouvelles technologies ; dot fait référence au point (.) qui figure dans les adresses électroniques. 16/ Double-digit returns “Rendement à deux chiffres”, c’est-à-dire d’au moins 10 %. 17/ Ratings Notation des agences chargées d’apprécier la santé financière des sociétés. 18/ Futures “Marchés à terme”. 19/ Swap deals L’expression désigne COURRIER INTERNATIONAL N° 828 59 DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 3 000 000 ex., Etats-Unis, hebdomadaire. Le regard des EtatsUnis sur le monde. Avec sa diffusion totale de 4 millions d’exemplaires à l’international, le rapide et professionnel Newsweek utilise l’actualité pour révéler les tendances du monde contemporain. Retrouvez la traduction de l’article page 63 57-58-59-60 courrier english in 12/09/06 18:36 Page 60 English Ne w Yor k T R AV E L A Rolling Shout-Out To Hip-Hop History Jody Rosen Hip-hoping around Harlem ■ Hush’s four-hour Harlem bus tour led by pioneering legends of rap costs $70. Each tour departs on Saturdays at 11 AM from 292 Fifth Avenue, between 30th and 31st Streets in Manhattan. hushtours.com Harlem Hip-Hop Tours (H3 Tours) operates day and night excursions from Monday through Saturday. The day tour costs $600 per person (minimum of four). Tour participants will see some of Harlem’s most famous attractions. In addition, Harlem Hip-Hop Tours provides personal instruction in hip-hop dance and slang. harlemhiphoptours.com Retrouvez la traduction de l’article sur le site courrierinternational.com THE NEW YORK TIMES 1 160 000 ex. (1 700 000 le dimanche), Etats-Unis, quotidien. Avec 1 000 journalistes, 29 bureaux à l’étranger et plus de 80 prix Pulitzer, le New York Times est de loin le premier quotidien du pays, dans lequel on peut lire “all the news that’s fit to print” (toute l’information digne d’être publiée). THE NEW YORK TIMES (excerpts) New York J ust before noon on a raw/1, wet Saturday, two dozen tourists piled off of a bus at Frederick Douglass Boulevard and 155th Street in Harlem and made their way into Rucker Park. In the otherwise empty park, they were greeted by Wonder Rock and Mouse, two break dancers from Brooklyn, who hooked up an MP3 player to a Pignose portable amplifier and were soon moving across the rain-slickened asphalt, demonstrating moves like the toprock, the coffee grinder and the windmill/2.When the show was over, the audience was invited to clamber down from the bleachers/3 for a quick tutorial.That elicited whoops/4 from the tour guide, a burly 45-year-old named Curtis Fisher, better known as Grandmaster Caz. Caz is a renowned figure in early hip-hop, a member of the venerated Bronx rap crew the Cold Crush Brothers and the ghostwriter/5 of some famous verses of Rapper’s Delight, the 1979 Sugarhill Gang song that became rap’s breakthrough/6 single. Today, he has gone from making history to teaching it. Caz is one of several hip-hop pioneers – including Kurtis Blow, Doug E. Fresh and D.J. Red Alert – who work for Hush Tours (www.hushtours.com), a Manhattan company that since June 2002 has run hip-hop-centric sightseeing tours of Harlem and the Bronx. The success of Hush Tours is a sign that hip-hop has become part of New York’s official cultural heritage – for younger visitors especially, a tourist magnet/7 right up there with the Brooklyn Bridge or the Statue of Liberty. But Hush Tours offers something more than just sightseeing : an opportunity, in the words of its promotional literature, to “see, hear and feel the true meaning of the elements of hip-hop.” In so doing, the tour reflects debates about history, memory and “the real hip-hop” that have become more pronounced and contentious/8 as the years have passed. As Hush Tours takes pains to point out, hip-hop history stretches back to the early-1970’s, years before the first rap records were even recorded. “This is the 32nd year of the culture of hip-hop,” said Caz, as the bus rolled north on Madison Avenue, adding, “This is my 33rd year in the game.” 1/ Raw Evoque des conditions atmosphériques difficiles (froid et vent). 2/ Coffee grinder, windmill Littéralement, “moulin à café” et “moulin à vent” : noms de figures de break dance. 3/ Bleachers Le terme désigne les gradins non couverts, dans un stade. 4/ Elicited whoops To elicit signifie “susciter”, “faire naître” ; whoops est une onomatopée qui exprime généralement l’embarras. 5/ Ghostwriter Personne qui écrit pour le compte d’une autre, “nègre”. 6/ Breakthrough To make a breakthrough signifie “faire une percée”, “innover”. Michael Nagle/Redux-REA Manhattan, angle de la 106e Rue et de Park Avenue. Le rappeur Grandmaster Caz raconte les débuts du hip-hop à un groupe de touristes. Hush Tours is the brainchild/9 of a 38-year-old Bronx native, Debra Harris. Several years ago, Ms. Harris, a legal secretary, began taking members of her family on impromptu driving tours to places like the former site of Harlem World Entertainment Complex on 116th Street, where rival rap crews had faced off/10 in rhyme battles a quarter-century ago. Ms. Harris was motivated, she said, by a desire to pass along knowledge of hip-hop’s roots to her children. She soon realized that she had stumbled/11 on an untapped/12 tourist market. “When you go to Nashville,you know that’s the home of country music,” Ms. Harris said. “New York needed to step up to the plate/13, to say officially that this is the birthplace of hip-hop. I discovered that younger visitors who loved rap music were eager for more knowledge, for a different kind of tourist experience that would get them out of Times Square.” Today, for the price of $70, the Hush Tours bus whisks visitors to the Grand Concourse in the Bronx, 7/ Magnet Au sens propre, “aimant” ; dans le contexte, “attraction”. 8/ Contentious Qui suscite la controverse. 9/ The brainchild Littéralement, “l’enfant du cerveau” ; le terme désigne toute initiative ou projet conçus par une personne. 10/ Faced off To face off signifie “se mesurer à un adversaire”, “rivaliser”. 11/ To stumble on “Trébucher” ; par extension, to stumble on something signifie “tomber sur quelque chose par hasard”. 12/ Untapped “Inexploité”. On trouve à l’origine de cet adjectif le substantif tap, “robinet”. 13/ To step up to the plate Au baseball (auquel est emprunté cette expression), le joueur doit retourner le plus vite possible à sa base (home plate) après avoir fait le tour du terrain. Ici, cela signifie que New York doit renouer avec ses origines. 14/ Strike B-boy stances “Prendre des poses de danseur de break” pour la photo. COURRIER INTERNATIONAL N° 828 60 making stops at, among other places, the Graffiti Hall of Fame at 106th Street and Park Avenue, a schoolyard featuring enormous murals by some of the city’s top graffiti artists, and Bobby’s Happy House, a record store owned by Bobby Robinson, the onetime proprietor of Enjoy Records, which released some of the earliest hiphop singles. At the Graffiti Hall of Fame, there is a Disneyish touch : Caz distributes Kangol hats and fake gold chains with dangling dollar-sign pendants to the tourists, who cross their arms and strike B-boy stances/14 for snapshots in front of the spray-painted walls. Harlem residents have seen a lot over the years, but a gaggle/15 of white tourists dressed like LL Cool J circa/16 1985 is something new. The real action, though, takes place on the bus, where the tour guides play music, reminisce, instruct and proselytize. “This is an opportunity to pass on the truth,” said the rapper Kurtis Blow, who is also host of Backspin, a radio program devoted to old-school hip-hop. Leading bus tours is not exactly the standard afterlife for onetime stars/17 like Mr. Blow, whose 1980 single The Breaks was the first rap record to go gold/18. But 15/ Gaggle Groupe désordonné de personnes bruyantes. the hip-hop pioneers regard the tours as a way to ensure their legacies. On that chilly Saturday, Caz was a jovial, blunt tour guide. “Today you’re going to learn what hip-hop is and what it’s not,” he announced at the tour’s outset. “It’s not just rap music, and it’s definitely not just the 10 records you hear over and over again on the radio.” He peppered/19 his talk with oft-told hip-hop tales and intriguing nuggets/20 of cultural history. He described how the looting/21 of hifi stores during the 1977 New York City blackout propelled D.J. culture. He played charmingly primitive early rap records, like the Fatback Band’s “King Tim III (Personality Jock)” and songs by the Sequence, one of the earliest all-female rap ensembles. He waxed/22 rhapsodic over hip-hop’s humble beginnings, when the biggest rap shows in New York were announced on hand-lettered Xeroxed fliers (Caz distributed several vintage examples), and D.J.’s powered their sound systems for outdoor block parties by tapping into/23 the wiring of street lamps. “The rappers today who can drive around in Bentleys, with their jewelry and million-dollar homes,” Caz told the tour group. “They’re able to live like that because cats like me and Bambaataa” – the famous rapper and D.J. Afrika Bambaataa – “were in the trenches /24 back in the day, laying the groundwork and getting chased off the block by the police.” 16/ Circa Terme latin signifiant “environ” (souvent abrégé en ca.). 17/ The standard afterlife L’accompagnement des touristes n’est pas l’activité traditionnelle (standard) des anciennes gloires du hip-hop à la retraite (afterlife). 18/ To go gold Le disque d’or récompense les productions vendues à plus de 1 million d’exemplaires. 19/ Peppered To pepper signifie “saupoudrer” et par extension “entrelarder”, “inclure”, “mélanger”. DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 20/ Nuggets A l’origine, a nugget est une pépite d’or. Le terme désigne aujourd’hui un petit bloc, un amas de substances diverses. 21/ Looting “Pillage”. 22/ (He) waxed Equivalent très littéraire de he grew. 23/ By tapping into “En se raccordant”, “en se branchant”. 24/ The trenches “Les tranchées” évoquent un combat dans des conditions difficiles. 12/09/06 13:47 Page 61 économie ■ économie Dossier : les fonds spéculatifs : les nouveaux maîtres de la finance mondiale pp. 62 à 64 ■ multimédia A 25 ans, MTV est trop vieille pour le Net p. 65 i n t e l l i g e n c e s Une nouvelle crise alimentaire menace le monde AGRICULTURE On n’avait pas connu Le mystère des momies celtes du Xinjiang p. 66 ■ écologie Un forage réveille un gigantesque volcan de boue i n t e l l i ge n c e s p. 67 buée. Certes, les habitants des pays riches mangent trop et ceux des pays pauvres pas assez. Mais des quantités énormes de céréales servent également à nourrir les vaches – et les voitures. A mesure que les gens s’enrichissent, ils consomment plus de viande, et les animaux d’abattoir sont souvent nourris au grain. Ainsi, il faut 14 kilos de céréales pour produire 2 kilos de bœuf, et 8 kilos de céréales pour 2 kilos de porc. Plus d’un tiers de la récolte mondiale sert ainsi à engraisser les animaux. Les voitures sont devenues un autre sujet de préoccupation, depuis que l’on encourage la production de carburants verts pour combattre le réchauffement climatique. Une “ruée vers le maïs” s’est déclenchée aux Etats-Unis, avec l’utilisation d’une partie de la récolte pour produire un biocarburant, l’éthanol – grâce aux subventions considérables du gouvernement Bush qui voudrait de cette façon contrer les critiques concernant son refus de ratifier le protocole de Kyoto. Un seul plein d’éthanol pour un gros 4 x 4, rappelle Lester Brown, nécessite autant de céréales qu’il en faut pour nourrir une personne pendant une année entière. En 2006, la quantité de maïs américain utilisée pour fabriquer du carburant sera égale à celle vendue à l’étranger. Traditionnellement, les exportations américaines contribuent à nourrir cent pays, pour la plupart pauvres. ■ cela depuis trente ans : les stocks de céréales n’assurent plus que cinquante-sept jours de nourriture à la population mondiale. THE INDEPENDENT ON SUNDAY (extraits) Londres a réduction dramatique de l’approvisionnement alimentaire risque de plonger le monde dans la plus grave crise qu’il ait connue depuis trente ans. De nouvelles statistiques montrent que les récoltes de cette année seront insuffisantes pour nourrir tous les habitants de la Terre, pour la sixième fois depuis sept ans. Les hommes ont jusqu’ici mangé à leur faim en prélevant sur les stocks constitués durant les années de vaches grasses, mais ceux-ci sont désormais tombés audessous du seuil critique. En 2006, selon les estimations de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et du ministère américain de l’Agriculture, la récolte de céréales diminuera pour la deuxième année consécutive. Selon la FAO, elle dépassera à peine 2 milliards de tonnes, contre 2,38 milliards en 2005 et 2,68 milliards en 2004, alors que l’appétit de la planète ne cesse de croître, à mesure que sa population augmente. Les estimations du gouvernement américain sont encore plus pessimistes : 1 984 milliards de tonnes, soit 58 millions de tonnes de moins que la consommation prévue pour cette année. Les stocks alimentaires sont passés d’un niveau suffisant pour nourrir le monde pendant cent seize jours en 1999 à cinquante-sept jours seulement à la fin de cette saison, bien en deçà du niveau officiel de sécurité [soixante-dix jours]. Les prix ont d’ores et déjà grimpé d’au moins 20 % cette année. L ■ sciences ● LA PRODUCTION A BAISSÉ DANS LES PAYS RICHES La crise qui se dessine est passée largement inaperçue parce que, pour une fois, les récoltes ont chuté dans les pays riches comme les Etats-Unis et l’Australie, qui, en temps normal, sont exportateurs de denrées alimentaires, et non dans les pays les plus affamés du monde. Aussi, ni l’Afrique ni l’Asie n’ont-elles souffert de grande famine. L’effet du déficit se fera sentir progressivement, lorsque les populations pauvres ne pourront plus acheter des aliments devenus trop chers, ou lorsque leurs propres récoltes baisseront. A travers le monde, plus de 800 millions de personnes souffrent de la faim. De 1950 à 1990, les rendements céréaliers ont plus que doublé, et la production est passée de 630 millions à 1,78 milliard de tonnes. Mais, depuis quinze ans, les rendements progressent bien plus lentement, et la production atteint péniblement 2 milliards de tonnes. “Les paysans ont obtenu un résultat extraordinaire en triplant quasiment la récolte mondiale”, note Lester Dessin de Krauze paru dans The Guardian, Londres. Brown, qui préside actuellement l’Earth Policy Institute, un institut de recherche respecté de Washington. “En une seule génération, ils ont presque doublé la production céréalière par rapport aux 11 000 années qui avaient précédé, depuis le début de l’agriculture. Mais maintenant, le ressort est cassé”. Outre l’amélioration des rendements, une autre méthode traditionnelle pour doper la production consiste à agrandir la superficie des terres arables. Mais cela n’est plus possible. A mesure que la population s’accroît et que les terres cultivables servent à la construction de routes ou de villes – et s’épuisent en raison de la surexploitation –, la quantité de terres disponible pour chaque habitant de la planète diminue. Elle a chuté de plus de moitié depuis 1950 [de 0,23 à 0,11 hectare par personne]. Pourtant, la production alimentaire permettrait de nourrir correctement tout le monde si elle était bien distri- FAVORISER LES PRATIQUES RESPECTANT L’ENVIRONNEMENT Les réserves s’amenuisent Production et consommation mondiales de céréales (en millions de tonnes) 2,5 2,0 Production Consommation 1,5 1996 2006 Stocks mondiaux de céréales (en jours de consommation) 120 100 80 60 40 COURRIER INTERNATIONAL N° 828 1996 61 2006 DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 Sources : ministère de l’Agriculture américain, Earth Policy Institute *828 p61-62-63-64 A partir de l’année prochaine, le volume consommé par les automobiles américaines sera supérieur à celui des exportations, et la part disponible pour nourrir les pays pauvres risque bientôt de se réduire. Les usines de production d’éthanol existantes ou en projet dans l’Iowa, la grande région céréalière des Etats-Unis, absorberont pratiquement toute la récolte de cet Etat. Les pauvres affamés seront alors mis en concurrence avec les propriétaires de voitures. Un combat perdu d’avance, si l’on considère qu’ils consacrent déjà 70 % de leurs maigres revenus à la nourriture. Fabriquer des voitures moins gourmandes et manger moins de viande atténuerait le problème, mais la seule solution à long terme est de permettre aux pays pauvres – et particulièrement à leurs populations les plus défavorisées – d’accroître les cultures vivrières. Le meilleur moyen d’y parvenir est d’encourager les petits paysans à privilégier des cultures respectueuses de l’environnement. Les études menées par l’université de l’Essex montrent que cela permet de doubler les rendements. Mais le monde doit prendre conscience de l’urgence de la situation. “Nous sommes au bord du gouffre”, met en garde Lester Brown. “L’Histoire juge les dirigeants sur leur capacité à faire face aux grands problèmes. Et pour notre génération, le grand problème risque fort d’être la sécurité alimentaire.” Geoffrey Lean *828 p61-62-63-64 12/09/06 13:48 Page 62 économie F O N D S S P É C U L AT I F S - F O N D S S P É C U L AT I F S - F Les nouveaux maîtres de la finance Les fonds spéculatifs, qui adorent le risque, bénéficient d’une liberté dangereuse : ils brassent tellement d’argent qu’ils pourraient provoquer un krach planétaire. La recherche du profit comme seule règle Les fonds d’arbitrage ne sont soumis à aucune réglementation. C’est d’ailleurs la clé de leur succès. n’est pas le cas. Quand Enron, l’énorme courtier en énergie américain qui avait beaucoup misé sur les fonds spéculatifs, a fait faillite, en 2001, 4 500 personnes ont perdu à la fois leur emploi et leur pension de retraite (1 milliard de dollars au total). “Les 100 sociétés de l’indice boursier FTSE vivent dans la peur des fonds spéculatifs, m’a confié un banquier britannique. Si ceux-ci décident de vendre vos actions à découvert [les actions sont empruntées pour une durée déterminée en faisant le pari que leur cours baissera, puis elles sont rachetées, moins cher avec un peu de chance, et remboursées à l’institution qui les a prêtées], vous êtes foutu.” NEW STATESMAN (extraits) Londres n danger menace la finance mondiale – un de plus. Le 10 mai dernier, la Réserve fédérale (Fed), la banque centrale américaine, a relevé ses taux directeurs.Wall Street a chancelé et les marchés d’actions dans les économies émergentes ont carrément plongé. Depuis, ils ont cédé 42 % en Colombie, 38 % en Turquie, 28 % au Pakistan et en Egypte et 25 % en Inde. Certes, l’économie américaine reste la première au monde et l’évolution des taux d’intérêt américains touche l’ensemble du système financier. Mais au cœur de cette histoire se tapit quelque chose de très sombre – l’industrie des fonds spéculatifs (hedge funds). Face à ces seigneurs de l’apocalypse, qui ont la capacité de provoquer le prochain krach, nul ne sait quoi faire. En l’an 2000, Howard Davies, alors président de la Financial Services Authority (FSA), l’autorité des marchés britanniques, a reconnu que les décideurs et les autorités de contrôle ne comprenaient pas très bien les fonds spéculatifs. “Ce qui en un sens n’est pas très surprenant, ajoutait-t-il, car, si nous ne les réglementons pas, nous n’avons pas besoin d’en savoir trop sur eux. Mais à l’évidence, si nous nous intéressons à la stabilité systémique, nous ne pouvons pas ignorer un secteur qui peut mobiliser à peu près le même volume d’actifs que le secteur bancaire commercial américain.” Interrogé par la commission bancaire du Sénat américain sur l’éventuelle nécessité de réglementer les produits dérivés – de complexes instruments financiers utilisés par les fonds spéculatifs –, Ben Bernanke, le président de la Fed, a fait ce commentaire : “Les produits dérivés sont pour l’essentiel négociés entre des institutions financières et des particuliers extrêmement pointus qui ont tout intérêt à les comprendre et à s’en servir correctement.” Ce qui revient peu ou prou à admettre que les autorités de tutelle ignorent totalement ce qui se passe. Compte tenu de la taille et de la puissance de ces fonds, il y a de quoi s’étonner – et avoir peur. Les fonds spéculatifs, également appelés fonds de couverture ou fonds d’arbitrage, sont des fonds d’investissement privés, principalement organisés comme sociétés en commandite simple. Ce sont en quelque sorte des paris mutuels pour les très riches. Ils U Dessin de Ford paru dans le New Statesman, Londres. SELON BRUXELLES, CE SECTEUR EST SUFFISAMMENT ENCADRÉ ■ Le magazine New Statesman a consacré récemment sa couverture aux fonds spéculatifs qui vont, selon l’hebdomadaire britannique, “détruire le monde”. brassent des quantités d’argent faramineuses, autant qu’on puisse les estimer. Le Fonds monétaire international (FMI) avance le chiffre de 1 000 milliards de dollars, les professionnels du secteur celui de 1 500 milliards. Si ces fonds étaient un pays, celui-ci se classerait au huitième rang mondial par sa richesse. Pour investir dans l’un d’eux, la mise minimale est de 1 million de dollars, une bagatelle, comparé à ce qu’on peut gagner – si c’est le verbe à employer pour ce qui correspond à un pari à l’échelle planétaire. Les fonds de couverture ne sont pas nouveaux, ils ont simplement gagné en notoriété. Ils ont vraiment décollé à partir de la fin des années 1970, quand les taux de change flottants et l’instabilité des taux d’intérêt ont transformé les marchés de capitaux. Ils se sont ensuite développés à mesure que les méthodes électroniques de négociation se perfectionnaient. On estime leur nombre actuel à 9 000, et ce qui n’était qu’un phénomène américain s’étend au reste du monde, même si d’après la FSA il n’en existe que 325 au Royaume-Uni. Leur principal outil est l’effet de levier : ils empruntent pour jouer sur les marchés. Un investisseur de ce type peut fort bien contrôler 100 millions COURRIER INTERNATIONAL N° 828 62 de dollars d’actions avec seulement 5 millions de dollars d’acompte. Cela signifie que, lorsque le pari est perdu, il l’est de manière spectaculaire. Si les positions de l’ensemble des fonds spéculatifs sont vingt fois supérieures aux liquidités qu’ils détiennent réellement, leur impact potentiel sur le système financier mondial est à peu près égal au PIB des Etats-Unis. C’est pourquoi les marchés d’actions des pays émergents ont été si maltraités ces derniers mois. Les fonds d’arbitrage y ont investi en masse dans l’espoir de rendements élevés, empruntant pour cela des milliards de dollars à relativement bon compte alors que les taux d’intérêt étaient bas. Mais, dès que le loyer de l’argent a augmenté, ils ont dû se désengager rapidement, laissant aux pays en développement le soin de faire le ménage. On pourrait penser qu’il est normal que les vainqueurs se partagent les dépouilles. Si ces investisseurs sont prêts à prendre des risques, pourquoi n’en cueilleraient-ils pas les fruits ? S’ils vivent du risque, ils devraient aussi avoir le droit d’en mourir : en janvier, le fonds japonais Eifuku a ainsi perdu 300 millions de dollars en une semaine. L’argument se défendrait si ce pari était une affaire purement privée. Mais ce DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 Dans un monde où le moindre de nos faits et gestes tombe sous le coup d’une réglementation quelconque, ces organismes de placement constituent une exception remarquable. Les autorités de tutelle soutiennent dur comme fer que ces fonds, en prenant les risques dont d’autres ne veulent pas, mettent de l’huile dans les rouages des marchés. Elles commencent cependant à craindre elles aussi qu’ils ne provoquent bientôt une crise systémique. Mais les efforts qu’elles déploient, souvent à contrecœur, pour mettre un peu d’ordre dans la profession ont pour l’instant été déjoués. En février dernier, la SEC, l’autorité des marchés financiers américains, a enfin demandé aux gérants de tous les fonds spéculatifs de s’enregistrer s’ils avaient plus de 14 investisseurs dans le pays et au moins 30 millions de dollars d’actifs. Mais, en juin, la cour d’appel fédérale pour le district de Columbia a annulé cette décision au motif qu’elle était “arbitraire”. Deux ténors démocrates du Sénat essaient maintenant de faire passer une loi pour contrer ce verdict. L’Europe, dernier bastion contre l’ultralibéralisme anglo-saxon, viendra-t-elle à la rescousse ? Rien n’est moins sûr. Le commissaire aux Services et au Marché intérieur, Charlie McCreevy, a récemment rejeté l’idée de réglementer les fonds spéculatifs, affirmant qu’ils jouent un rôle essentiel en semant la “peur de Dieu” au sein des conseils d’administration, pour le plus grand bien de tous. Un comité chargé d’étudier la question pour la Commission européenne a de son côté soutenu que le secteur était correctement encadré en Europe et devait être protégé contre les menaces de nouvelles et coûteuses règles en provenance des Etats-Unis. Jason Ford *828 p61-62-63-64 12/09/06 13:49 Page 63 - F O N D S S P É C U L AT I F S - F O N D S S P É C U L AT I F S - F O N D S S P É C U L AT I F S ● i n t e l l i g e n c e s mondiale tuaient l’un des rares placements qui promettaient encore des rendements à deux chiffres. Mais plus les investisseurs accourent, plus ces fonds perdent de leur attrait. Comme ils sont plus nombreux à chercher sur le marché des bonnes occasions qui se raréfient, leur rentabilité diminue depuis quelques années. LE CINÉMA ET LE PÉTROLE SONT LES DEUX SECTEURS À LA MODE Une industrie victime de son succès Pour contrer la baisse de leurs rendements, les fonds d’arbitrage doivent prendre encore plus de risques. NEWSWEEK (extraits) New York uand Sumner Redstone, le très respecté président du groupe de communication Viacom, a déboulonné sans ménagement la mégastar Tom Cruise de son piédestal chez Paramount début septembre, on a beaucoup dit que les studios cherchaient désormais à se défaire du risque représenté par des comédiens surpayés, qui ponctionnent souvent des millions de dollars sur un film avant même que les producteurs n’aient touché leur part. Mais on a moins parlé des nouveaux acteurs désireux de prendre ce risque Q Les gains diminuent Rendement annuel moyen des fonds spéculatifs (en %) 30 Sources : Channel Capital Group - Hedgefund.net et Newsweek 25 20 15 10 5 0 1990 1995 2000 2005 à leur charge, à savoir les fonds spéculatifs. Même s’il n’est pas certain que l’offre de 100 millions de dollars censément faite par des fonds spéculatifs à la société de production de Tom Cruise se concrétisera, les organismes de ce type soutiennent déjà fortement l’industrie du cinéma. Selon Larry Ulman, chef du secteur divertissement au cabinet d’avocats Gibson, Dunn & Crutcher, de Los Angeles, ils ont déjà investi 4 milliards de dollars à Hollywood, et ce montant ne cesse de croître. Le fait qu’ils s’essaient à une activité aussi notoirement capricieuse en dit long sur l’évolution des fonds spéculatifs. Autrefois supports d’investissement de niche pour particuliers très fortunés, ils se sont depuis cinq ans démocratisés, au fur et à mesure que les fonds de pension, les fondations et autres investisseurs institutionnels y plaçaient leurs capitaux. Hennessee Group, une société de conseil en placements de New York, estime que le marché mondial des hedge funds est passé de 130 milliards de dollars en 1997 à 1 500 milliards aujourd’hui, 56 % de ce montant étant détenus par des entreprises et des institutions. Cela signifie que, si vous avez placé de l’argent dans des fonds de pension, des fonds communs de placement ou d’autres sociétés cotées en Bourse, une partie de votre avenir se trouve entre les mains des gérants de fonds spéculatifs, une espèce maintenant suffisamment aux abois pour courir après les rendements que pourraient offrir des studios de cinéma dirigés par des acteurs. La conclusion est évidente : la fête est finie. Après l’éclatement de la bulle Internet, les fonds spéculatifs (qui misent généralement à contre-courant du marché) consti- Dessin de Ford paru dans le New Statesman, Londres. COURRIER INTERNATIONAL N° 828 63 La démocratisation des fonds de couverture a eu deux conséquences. Tout d’abord, la tendance dans le monde entier est à l’évaluation et à une réglementation plus stricte de ces investissements très opaques, afin que les petits investisseurs ne s’y brûlent pas les ailes. Bien sûr, c’est en grande partie l’absence de réglementation – et notamment la possibilité de s’engager dans de complexes contrats d’options, contrats à terme et opérations d’échange qui sont interdits aux fonds communs de placement – qui permet aux fonds spéculatifs d’atténuer le risque. S’ils étaient traités comme n’importe quel autre investissement, leur attrait et leurs rendements continueraient de diminuer. Parallèlement, les grandes agences de notation financière envisagent d’évaluer ces fonds. Ainsi, DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 Moody’s publiera ses premières évaluations dans les semaines à venir. Certains analystes craignent qu’une plus grande transparence ne rende encore plus difficile la production de rendements. Mais il sera également moins facile pour des fonds marginaux, non notés, dont beaucoup n’ont pas plus de 25 millions de dollars d’actifs, de se vendre auprès du public. Ce qui n’est pas plus mal : c’est dans cette catégorie que l’on trouve les fraudes et les abus les plus criants. Ce qui nous ramène à la baisse des rendements. Comme le souligne Joel Schwab, administrateur délégué du site <hedgefund.net>, les techniques classiques de couverture ne marchent plus aussi bien. En témoigne, par exemple, l’arbitrage de titres convertibles, qui exploite les inefficacités du marché, comme les écarts injustifiés de valeur entre les actions d’une société et ses obligations. Cette activité, qui autrefois constituait la vache à lait des fonds alternatifs, accuse une baisse encore plus accentuée que le secteur dans son ensemble. D’après les statistiques de <hedgefund.net>, le rendement annuel des fonds d’arbitrage se situait à 18,3 % en 1999. L’année dernière, ils ont affiché un rendement négatif de 1,3 %. “Comme plus de gens font ce *828 p61-62-63-64 12/09/06 13:49 Page 64 économie F O N D S S P É C U L AT I F S - F O N D S S P É C U L AT I F S ● i n t e l l i g e n c e s genre d’opérations, les occasions d’ar- bitrage disparaissent”, explique Joel Schwab. C’est extrêmement dommageable pour les fonds spéculatifs, qui font souvent miroiter des “rendements absolus”, c’est-à-dire aucune année négative. Que doivent faire, dès lors, les fonds spéculatifs ? Aller là où les autres n’osent pas s’aventurer. C’est ainsi que, depuis deux ans, des films à gros budget comme Super man Returns, V pour Vendetta ou Poséidon ont été produits avec l’argent des hedge funds. Peu d’entre eux ont été des succès au box-office, ce qui nous rappelle que, en définitive, seul le risque des stratégies à haut risque et à fort rendement est garanti. L’énergie a également la faveur des gérants de ces fonds. Dans le contexte géopolitique instable du moment, les banques rechignent à débourser les milliers de milliards de dollars dont ont besoin les compagnies pétrolières et gazières pour accroître leur production. Aussi les fonds spéculatifs sont-ils venus combler un vide : Joel Schwab estime à 70 milliards de dollars leurs investissements dans l’énergie, ce qui en fait leur secteur industriel de prédilection. Rana Foroohar Retrouvez cet article en v.o. p. 59 dans notre supplément Courrier in English CONFESSION D’UN GESTIONNAIRE Pourquoi les marchés sont maniaco-dépressifs n octobre 2005, dans le monde entier, les cours ont commencé à monter. Fin avril 2006, les choses prenaient une tournure un peu folle. Les professionnels plaçaient de l’argent dans des obligations et des actions exotiques, en Turquie, en Russie et au Brésil. Les épargnants japonais, qui n’avaient pas acheté d’actions depuis dix ans, souscrivaient pour 1 milliard de dollars à un nouveau fonds indien. Le 9 mai, les actifs à risque avaient engrangé des gains très importants. Le lendemain, tous les marchés, de New York à Tombouctou, plongèrent brutalement. Les cours se sont stabilisés à la fin juin mais, depuis, les marchés sont maniaco-dépressifs. Pourquoi ? Certes, le nouveau président de la Réserve fédérale aux Etats-Unis doit encore faire ses preuves, et le Moyen-Orient s’embrase de nouveau. Mais l’économie mondiale est juste comme il faut – ni trop chaude, ni trop froide. En réalité, la volatilité des marchés est en grande partie imputable à la montée en puissance des fonds spéculatifs et au comportement de leurs gestionnaires. Ces organismes, qui contrôlent une infime fraction des placements en Bourse, représentent probablement 40 % des transactions à la Bourse de New York. Ils empruntent des montants considérables, de l’ordre de deux à cinq fois leurs capitaux. Ce sont des négociateurs hyperactifs, avec un taux de rotation des capitaux allant de 500 à 1 000 %. C’est-àdire que le montant de leurs achats et de leurs ventes en une année représentent cinq à dix fois leurs capitaux. Ils touchent en outre des commissions bien supérieures à celles des sociétés de gestion de portefeuilles – 2 % sur les actifs et 20 % sur les gains –, ce qui rend leurs investisseurs très sensibles à la performance. Fait aggravant, 35 % de ces investisseurs sont représentés par des fonds de fonds. E En effet, même les particuliers richissimes et les institutions de taille moyenne n’ont pas les moyens de sélectionner et de surveiller ces organismes ésotériques. C’est donc un fonds de fonds qui s’en charge, en constituant un portefeuille de fonds spéculatifs, prélevant au passage 1 % sur les actifs et 10 % sur les gains (en plus des 2 % et 20 % précédemment évoqués). Leur boniment est du genre : “Notre fonds devrait rapporter, tous frais déduits, 6 % à 8 % par an. Pas très enthousiasmant, dites-vous ? Donnez-nous 1 million de dollars et nous vous prêterons 2 millions supplémentaires. Après paiement des intérêts, si notre fonds fait 7 %, votre rendement sera proche de 20 %.” Ce type d’arrangement tient la route tant que les fonds spéculatifs gagnent de l’argent mais, quand ils sont à la peine, le paiement des intérêts alourdit le poids de la double commission. Les investisseurs mécontents se rebellent. Résultat, les fonds de fonds ne supportent pas les pertes mensuelles et trimestrielles. En mai s’est produit une réaction en chaîne de ce genre : soudain, pour une raison quelconque, les marchés vacillent. Les fonds spéculatifs commencent à perdre de l’argent, et leur première réaction est de vendre pour réduire les risques. Ce qui aggrave la faiblesse des marchés, laquelle à son tour accélère les ventes. Nous, gérants de fonds de couverture, sommes actuellement dans une position inconfortable. Nous avons perdu l’essentiel de nos gains de l’année et nous voulons éviter coûte que coûte de perdre davantage. Pourtant, si une forte remontée des marchés s’amorce, nous devrons rentrer dans le jeu car nos clients ne nous pardonneraient pas d’avoir raté le coche. Barton Biggs*, Newsweek, New York * Associé gérant chez Traxis Partners, un fonds spéculatif new-yorkais. 828p65 12/09/06 11:45 Page 65 multimédia i n t e l l i g e n c e s ● A 25 ans, MTV est trop vieille pour le Net TÉLÉVISION Lancée en 1981, ■ la chaîne musicale a réussi à imposer sa marque sur les petits écrans du monde entier. Elle a en revanche bien du mal à séduire les internautes. THE WALL STREET JOURNAL (extraits) New York epuis qu’elle existe, la chaîne musicale MTV aura au moins prouvé qu’elle connaissait ses téléspectateurs. Tout au long de ses vingt-cinq années d’existence, elle est restée la chaîne préférée des adolescents, un public pourtant insaisissable par définition. MTV est passée des vidéos de Madonna à l’émission Pimp My Ride, dont le but est de transformer une voiture à l’état d’épave en un objet de convoitise, du heavy metal au hip-hop. Aussi, quand les jeunes se sont rués sur le Net, MTV s’est aussi lancée dans l’aventure. Mais, cette fois, les gamins n’ont pas suivi. MTV Overdrive, son site gratuit, qui propose entre autres des vidéoclips et des infos, attire moins de 4 millions de visiteurs uniques par mois, soit bien moins que les 82 millions de téléspectateurs comptabilisés chaque mois par la chaîne aux Etats-Unis. Plus inquiétant pour la chaîne, l’ensemble de ses sites Internet sont malmenés par des concurrents comme MySpace, le nouveau rendez-vous de la génération MTV. MySpace comptabilise environ 55 millions de visiteurs uniques par mois aux Etats-Unis, tandis que YouTube, un site en pleine expansion, en draine 16 millions [voir CI n° 826, du 31 août 2006]. Le revers de MTV est riche d’enseignements pour les grands groupes médiatiques qui assistent à l’explosion de la vidéo sur la Toile. Dans le secteur finalement peu concurrentiel de la télévision par câble, MTV a su protéger sa part de marché en cultivant son image de franc-tireur. Mais Internet ressemble à une mêlée générale, et la liste des concurrents s’allonge de jour en jour. Aujourd’hui, MTV fait partie du système et elle n’est entrée en lice que tardivement, croyant à tort que la notoriété de sa marque et de ses produits lui assurerait le succès sur le réseau mondial. “On pouvait croire qu’ils avaient verrouillé le marché des ados.Mais aujourd’hui YouTube et d’autres sites sont en train de faire sauter ce verrou”, assure Dan Nova, associé gérant chez Highland Capital Partners, une société d’investissement qui a financé des entreprises développant des technologies pour diffuser de la vidéo en ligne. “Ils vont perdre leur monopole”, prédit-il. Taylor Spicuzza, un lycéen de 16 ans vivant à Virginia Beach, en Virginie, aime regarder, sur MTV, une émission de télé-réalité comme Next, et aussi Pimp My Ride. Mais il n’est pas fan du site Overdrive. “Ça ne m’a pas l’air très intéressant”, explique l’adolescent. Il préfère visiter MySpace, où il a créé sa propre page. Il D Dessin d’Igor Kiïko paru dans Obchtchaïa Gazeta, Moscou. ■ Ambitions Depuis dix ans MTV s’est lancée dans une stratégie tous azimuts, créant notamment VH1, chaîne qui diffuse de la musique des années 1980 et 1990, et CMT, spécialisée dans la musique country, sans oublier Logo, dont les programmes s’adressent à la communauté homosexuelle. Si MTV Overdrive n’a pas réussi à convaincre les internautes (lire article), les dirigeants de MTV parient désormais sur Urge, dont la version bêta a été lancée en mai 2006. Selon Van Toffler, l’un des principaux dirigeants du groupe, il s’agit de surfer sur la vague des sites de vente en ligne, en mettant à disposition quelque 2 millions de titres, tout en permettant aux fans de musique de “s’immerger dans un site à forte valeur ajoutée en termes d’information musicale” et d’en profiter à partir de leurs objets nomades (téléphone mobile, assistant personnel numérique, lecteur MP3 ou console de jeux portable). y consacre environ une heure par semaine. MTV n’a pas tardé à s’apercevoir que plus de la moitié des visiteurs d’Overdrive ne recherchaient pas a priori de vidéos musicales. Et, même dans ce domaine, qui constitue la vocation première de MTV, la chaîne reçoit moins de visiteurs que Yahoo!, AOL ou MSN, à un moment où YouTube et MySpace étoffent aussi leur offre musicale. “MTV est censée être LA télévision musicale, mais en fait, ce n’est pas ce qu’ils font le mieux. Ils ont beaucoup d’émissions de télé-réalité”, déplore Carter Rountree, 15 ans. “Comme la plupart des gens, je vais sur MySpace.” Carter Rountree, un lycéen athlétique de Virginia Beach, explique qu’il aime aussi YouTube pour ses “vidéos marrantes”. Pour la musique, il surfe sur Pandora.com, qui propose de la musique gratuite en ligne, ainsi que sur Yahoo! avec Google lui permet de tester différentes méthodes. Viacom pensait que sa place de choix dans le monde des médias serait un avantage. Il n’en a rien été. Pour de nombreux internautes, l’attrait de sites comme YouTube tient à leur programmation souvent dérangeante ou obscène, générée par les utilisateurs eux-mêmes. MTV, avec ses annonceurs grand public, ne peut pas se le permettre. Judy McGrath, présidente de MTV Networks, estime que Viacom n’a pas à devenir racoleur pour faire plus d’audience. L’avenir de l’entreprise, assure-t-elle, LES INTERNAUTES PRÉFÈRENT LES SITES YOUTUBE OU MYSPACE Incapable d’attirer suffisamment de visiteurs sur ses propres sites, le groupe Viacom, qui détient MTV, a essayé de revendre ses contenus à des sites concurrents. Début août 2006, il a autorisé Google à diffuser sur des centaines de sites des clips vidéo de MTV et de Nickelodeon, accompagnés de publicités pour la chaîne musicale. Ainsi, pour regarder un extrait vidéo de My Block, la série documentaire de MTV, disponible sur Concreteloop, un site Internet consacré aux célébrités noires, les fans doivent regarder une publicité de 30 secondes pour MTV. Des publicités du même genre apparaissent sur Overdrive.YouTube, de son côté, a exclu l’utilisation de ce genre de publicités. Un dirigeant de Viacom fait valoir que sa société est ouverte à d’autres formes de publicité avec ses partenaires, et que l’accord conclu COURRIER INTERNATIONAL N° 828 65 DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 repose sur sa capacité à innover. Par exemple, MTV prévoit de donner aux consommateurs la possibilité de sélectionner des extraits vidéo pour s’en servir dans leurs propres clips. Pourtant, la tension est palpable. Au début du mois d’août, un dessin animé parodique sur le rappeur Snoop Dogg diffusé sur le site Overdrive a déclenché un petit tollé dans les médias, MTV étant accusée de véhiculer des stéréotypes raciaux. On y voyait Snoop Dogg promener deux femmes noires au bout d’une laisse et les emmener dans un magasin d’animaux domestiques ; l’une d’elles défèque sur le sol. “Femmes noires en laisse – satire ou misogynie raciste ?” demandait une internaute sur blogher.org, un site consacré aux blogueuses. Quand les grands médias se sont emparés de l’affaire, MTV a retiré la vidéo. Une porte-parole de la chaîne musicale a déclaré que le retrait du clip s’était fait dans le cadre d’un renouvellement normal et n’était lié qu’à sa faible audience. De son côté, la société informatique HewlettPackard, qui a financé le film sur Overdrive, explique qu’elle n’a reçu aucune plainte, mais ajoute que, d’une manière générale, elle “fait en sorte que ses publicités ne soient pas diffusées dans le cadre de programmes choquants”. A bon entendeur, salut. Matthew Karnitschnig W W W. Toute l’actualité internationale au jour le jour sur courrierinternational.com *828 p66 12/09/06 11:42 Page 66 sciences i n t e l l i g e n c e s ● Le mystère des momies celtes du Xinjiang ARCHÉOLOGIE La ■ découverte de cadavres de type européen à des milliers de kilomètres de distance permet d’entrevoir l’existence d’un lien jusque-là inconnu entre l’Orient et l’Occident à l’âge du bronze. THE INDEPENDENT Londres ’homme a des cheveux d’un brun roux parsemés de gris, des pommettes saillantes, un long nez, des lèvres pleines et une barbe rousse. Quand il vivait, il y a 3 000 ans, il mesurait près de 2 mètres. Il a été enterré dans une tunique rouge croisée et des chausses à carreaux. On dirait un Européen de l’âge du bronze. En fait, il a tout d’un Celte – même son ADN le dit. Mais il ne s’agit pas là d’un habitant primitif du centre de l’Ecosse. C’est le cadavre momifié de l’homme de Cherchen, découvert dans les étendues désolées du désert du Taklamakan, dans le Xinjiang, région inaccessible de l’ouest de la Chine. Il repose désormais dans un nouveau musée de la capitale provinciale d’Urumqi. Dans la langue que parlent les Ouïgours du Xinjiang, Taklamakan signifie : “on entre pour ne pas ressortir”. Ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est que l’homme de Cherchen a été retrouvé – ainsi que les momies de trois femmes et d’un bébé – sur un site funéraire situé à des milliers de kilomètres à l’est des principales implantations celtiques, en France et dans les îles Britanniques. Les tests d’ADN confirment que, tout comme des centaines d’autres momies du bassin du Tarim, dans le Xinjiang, il est originaire d’Europe. Personne ne sait comment il est arrivé là, ni pourquoi, ni combien de temps les siens et lui y ont vécu. Mais, comme le laisse entendre le nom du désert, il n’en est jamais ressorti. L’une des femmes partageant sa tombe a des cheveux châtain clair qui donnent l’impression d’avoir été brossés et tressés hier à peine, pour ses funérailles. Son visage est orné de symboles peints, et sa magnifique robe funéraire rouge n’a rien perdu de son éclat au fil des trois millénaires durant lesquels cette grande femme aux traits fins a reposé sous le sable de la route de la soie. Les corps sont nettement mieux conservés que les momies égyptiennes, et le spectacle des nourrissons a quelque chose de poignant. Le bébé a été enveloppé dans une somptueuse étoffe brune attachée par des cordelettes rouges et bleues, et on a placé une pierre bleue sur chaque œil. A ses côtés se trouvait un biberon doté d’une tétine fabriquée avec le pis d’une brebis. A partir de la momie, le musée a Toru Yamanaka/AFP L La momie d’un enfant exhumée dans la ville de Qarqan dans le Xinjiang. reconstitué l’aspect de l’homme de Cherchen et son mode de vie. Les ressemblances avec les Celtes de l’âge de bronze traditionnel sont frappantes. Les analyses ont par ailleurs montré que le tissage des étoffes était comparable à celui des vêtements portés par les mineurs de sel vivant en Autriche en 1300 av. J.-C. UN PEUPLE PACIFIQUE ET ÉGALITAIRE Passionné Victor Mair est professeur de littérature chinoise à l’université de Pennsylvanie, mais il s’est découvert une passion pour les momies du Taklamakan. Il a écrit avec l’archéologue irlandais James Mallory le seul livre consacré à ce sujet, The Tarim Mummies : Ancient China and the Mystery of the Earliest Peoples from the West, éd.Thames & Hudson, non traduit en français. Leur hypothèse d’un peuplement celte au Xinjiang est contestée. Mais l’histoire de l’ensemble de la région et de ceux qui l’habitaient – les Tokhariens – reste mal connue. 0 500 km MONGOLIE KAZAKHSTAN Région autonome ouïgoure du XINJIANG Urumqi N TADJ Courrier international ■ A leur apogée, vers 300 av. J.-C., l’influence des Celtes s’étendait de l’Irlande au sud de l’Espagne, à l’ouest, ainsi qu’à la vallée du Pô, à la Pologne, à l’Ukraine et à la plaine centrale de Turquie, à l’est. Mais ces momies semblent suggérer que les Celtes avaient pénétré profondément en Asie centrale, atteignant les marches du Tibet. Les Celtes se sont installés peu à peu en Bretagne [la Grande-Bretagne actuelle] entre 500 et 100 av. J.-C. On ne peut pas à proprement parler d’invasion organisée : ils sont arrivés à des époques différentes, et sont considérés comme un groupe de peuples vaguement liés par une même langue, une même religion et une même culture. Ceux de Cherchen étaient apparemment pacifiques : les sépultures contenaient fort peu d’armes, et les indices qui attestent l’existence de castes sont rares. Avec ses 4 000 ans, la Beauté de Loulan est encore plus ancienne que les trouvailles de Cherchen. Elle a de longs cheveux blonds et fait partie d’une série de momies découvertes près de la ville de Loulan. L’une d’entre elles était la momie d’un enfant de 8 ans drapé dans une étoffe de laine à motifs, fermée par des boutons en os. Les traits de la Beauté de Loulan sont nordiques. Elle était âgée de 45 ans à sa mort, et a été enterrée avec un panier de vivres pour sa vie dans l’au-delà, panier qui contenait du blé, des peignes et une plume. Au cours des vingt-cinq dernières années, le désert du Taklamakan a rendu des centaines de cadavres desséchés. Les découvertes effectuées dans le bassin du Tarim comptent parmi les plus importantes du quart de siècle écoulé. “A partir des alentours de 1800 av. J.-C., les plus anciennes momies du bassin du Tarim sont exclusivement caucasoïdes”, déclare le Pr Victor Mair, de l’université de Pennsylvanie, fasciné par ces momies depuis qu’il les a aperçues, en 1988, presque oubliées, dans l’arrière-salle de l’ancien musée. Le sujet l’obsède, et il n’a reculé devant rien, même pas les pires imbroglios politiques, pour en savoir toujours plus sur ces personnes remarquables. Il explique que des immigrants d’Asie de l’Est sont arrivés dans les régions orientales du bassin du Tarim il y a à peu près 3 000 ans. Les Ouïgours, eux, sont arrivés après l’effondrement du royaume ouïgour d’Orkhon, situé en Mongolie actuelle, vers l’an 842. Cette partie de l’antique route de la soie est l’une des contrées les plus désolées du monde. C’est l’endroit le plus éloigné de la mer de toute la planète, et la Chine l’a choisi pour y procéder à ses essais nucléaires. Des camps de travail y sont éparpillés un peu partout – qui oserait s’en évader ? Mais cet éloignement est une bénédiction pour les archéologues. Du fait de l’extrême sécheresse des sols alcalins, les corps ont échappé à la décomposition. Ils ont beau être là depuis des milliers d’années, la moindre fibre parfaitement conservée des vêtements a fait l’objet d’une politisation incessante. KIR IKI I GH ZI ST AN Ch Yining n Shan a i T u ed aîn Loulan Kachgar Tar im Désert du Taklamakan AFGHAN. PAKISTAN COURRIER INTERNATIONAL N° 828 Qiemo (Cherchen) Chaîne du Kunlun Sh an 66 Différents tronçons de la route de la soie. DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 En Chine, on affirme traditionnellement que, deux siècles avant la naissance du Christ, l’empereur Wu Di envoya un émissaire vers l’ouest afin d’établir une alliance contre les Huns, alors installés en Mongolie. La route qu’emprunta Zhang Qian, l’ambassadeur, à travers l’Asie devint plus tard la route de la soie. Des siècles plus tard, Marco Polo fit le chemin inverse et l’ouverture de la Chine commença. La seule idée que des Blancs aient pu s’installer dans une région de Chine des milliers d’années avant les premiers contacts de Wu Di avec l’Occident et les voyages de Marco Polo a des conséquences politiques considérables. Quant au fait que ces Européens auraient vécu dans la province rétive du Xinjiang des centaines d’années avant les Asiatiques de l’Est, c’est une hypothèse explosive. LES MOMIES REGROUPÉES SUR DES CRITÈRES POLITIQUES Ji Xianlin, historien chinois, dans sa préface au livre de l’archéologue Wang Binhua, Les Sépultures antiques du Xinjiang, traduit par Mair, affirme que la Chine “soutient et admire” les recherches effectuées par des spécialistes étrangers sur les momies. “Toutefois, en Chine même, un petit groupe de séparatistes ethniques ont profité de cette occasion pour fomenter des troubles et se comportent comme des bouffons.Certains se présentent comme les descendants de ces antiques ‘Blancs’ et n’ont d’autre but que de diviser la patrie. Mais ces actes pervers sont voués à l’échec.” Il n’est donc pas surprenant que le gouvernement n’ait que lentement fait part de ces découvertes historiques d’une grande importance, craignant d’attiser les courants séparatistes dans le Xinjiang. La Beauté de Loulan est ainsi revendiquée par les Ouïgours, qui ont fait d’elle leur figure emblématique, que célèbrent des chants et des portraits. Même si les tests génétiques démontrent désormais qu’en réalité elle était européenne. En tout, on recense 400 momies à divers stades de dessèchement et de décomposition. A cela s’ajoutent des milliers de crânes. Les momies ont de quoi occuper les scientifiques pendant longtemps. Seules quelques-unes des mieux conservées sont présentées dans le nouveau et impressionnant musée du Xinjiang. Les travaux sur ce dernier avaient commencé en 1999, mais avaient été interrompus en 2002 à l’issue d’un scandale de corruption et de l’emprisonnement d’un ancien directeur, impliqué dans un trafic d’antiquités. L’institution a enfin ouvert ses portes pour le cinquantième anniversaire de l’annexion de la région par la Chine, et les momies sont présentées dans des vitrines de verre. On trouve dans la même salle des momies han [l’ethnie dominante en Chine], beaucoup plus récentes. Elles sont tout aussi intéressantes, mais ne font que susciter la confusion, puisque les momies se retrouvent ainsi regroupées. La décision est logique sur le plan politique. Clifford Coonan 828p67 12/09/06 11:43 Page 67 écologie i n t e l l i g e n c e s ● Un forage réveille un gigantesque volcan de boue GÉOLOGIE A Java, des centaines de milliers de mètres cubes de boue et des gaz pestilentiels jaillissent des entrailles de la Terre. Personne ne sait comment les arrêter. ■ TEMPO (extraits) Jakarta ercredi 16 août 2006. A la veille du jour de l’Indépendance, au moment de la prière de l’après-midi, un appel à la résistance se fait entendre de la mosquée de Nurul Huda. Le haut-parleur du muezzin enjoint aux habitants du village de Renokenongo Timur de se diriger en toute hâte vers l’autoroute Surabaya-Gempol. Une centaine de personnes sortent en courant de leur maison, armées de pieds-de-biche, de barres de fer et de gourdins. Les cris gagnent tout le village et ne cessent pas jusqu’à l’arrivée sur l’autoroute. Là, plus de cinquante habitants des villages voisins, Besuki et Jatirejo, sont en train de défoncer une digue avec une pelleteuse volée. Les habitants de Renokenongo brandissent leurs armes pour empêcher le sabotage. Leur avenir dépend en effet de cette digue de sable et de pierres. Plusieurs centaines de milliers de mètres cubes de boue, dépassant les toits de leurs maisons, ne cessent de s’accumuler, vomissant une infecte puanteur. Ces boues ont déjà englouti 428 habitations du village de Balongkenongo et les 700 maisons du village de Jatirejo. Si la digue est détruite, elle va envahir Renokenongo. Cette guerre entre deux villages est juste un petit exemple de la cascade de problèmes provoqués par la boue brûlante qui, depuis le 29 mai, jaillit du site d’exploration gazière de la compagnie Lapindo Brantas, dans la circonscription de Sidoarjo, dans l’est de Java. Plus de 8 000 personnes ont déjà dû fuir leurs maisons. M Lorsque la boue a commencé à se répandre hors du puits Banjar Panji-1, le volume quotidien des rejets était d’environ 5 000 mètres cubes. Aujourd’hui, il a décuplé. Si le débit continue d’augmenter au même rythme, on dépassera les 10 millions de mètres cubes à la fin de l’année 2006. UNE POCHE DE BOUE SITUÉE À 2700 MÈTRES DE PROFONDEUR Trois équipes ont été formées pour tenter d’arrêter ce jaillissement de boue et de réduire son impact. Elles sont composées de représentants de la compagnie Lapindo Brantas, du gouvernement et d’un certain nombre d’experts issus d’universités de renom, telles que l’Institut de technologie Sepuluh Nopember (ITS) de Surabaya, l’institut technologique de Bandung et l’université Gadjah Mada de Jogjakarta. Toutes trois ont échoué, pour l’instant, car elles sont parties de l’hypothèse que la boue provient de fissures dans les parois du puits Banjar Panji-1. Or il pourrait s’agir en fait d’un volcan de boue. [Selon les scientifiques, ce volcan serait gigantesque. Il serait également particulièrement 0 150 km INDONÉSIE M ER DE J AVA 7° Sud Madura Surabaya Dt de Madura J AVA Sidoarjo PROVINCE DE JAVA-EST Pasuruan Probolinggo Besuki Malang Banyuwangi Courrier international Jember O CÉAN I NDIEN 112° Est 113° Est 114° Est 8° Sud Bali chaud – peut-être à cause de la conjonction de phénomènes géothermiques complexes. Les sédiments et la boue proviendraient d’un réservoir situé à 2700 mètres sous terre.] Rudi Rubiandini, membre de la première équipe, explique qu’un volcan de boue ne peut être endigué qu’en forant quatre ou cinq relief wells (puits de secours) à la fois. Tous ces puits seraient utilisés pour encercler les failles à travers lesquelles s’écoule la boue. Le problème, c’est que cette opération est coûteuse et prend du temps, et une partie des experts ont perdu tout optimisme. “Je doute que l’on puisse arrêter la boue dans les mois qui viennent”, estime Amin Widodo, géologue et directeur du département d’études des catastrophes à l’ITS de Surabaya. D’autres spécialistes sont d’avis que toute l’affaire est déjà une cause perdue. Rovicky Dwi Putrohari, un géologue indépendant, a écrit que le site du puits Porong-1, à 7 kilomètres à l’est du puits problématique, montrerait des signes géologiques indiquant que de précédents débordements de lave ont eu lieu dans des temps très anciens. Il ajoute que le jaillissement de boue à Porong-1 s’est produit pendant des dizaines, voire des centaines d’années. La ville de Sidoarjo, qui compte 19 puits de la compagnie Lapindo Brantas, est la cité satellite de Surabaya, à la fois sa clef de voûte et le filtre par lequel passent tous les nouveaux arrivants. Elle connaît la plus forte croissance de population de l’est de Java. Avec près de 500 “cités” alentour, elle regroupe quelque 1,5 million d’habitants. Chaque matin, 700 000 d’entre eux partent travailler dans la capitale de la province. Ce rôle de Sidoarjo comme porte d’entrée de Surabaya est devenu encore plus manifeste lorsque la boue chaude a commencé à se répandre, et, comme une infection, à obstruer les principales voies de communication entre le grand port de Surabaya et les autres villes de l’est de COURRIER INTERNATIONAL N° 828 67 Dessin de Stephff, Thaïlande. DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 Java. L’autoroute est pratiquement coupée, ce qui freine les exportations de produits fabriqués à Jember, Banyuwangi, Probolinggo, Pasuruan, Malang, Batu, et paralyse Sidoarjo, dont les crevettes sont connues pour leur grande valeur commerciale à l’exportation. Ce qui inquiète le plus le maire de Sidoarjo, c’est le mois de décembre à venir, la période de l’année où les pluies sont les plus violentes. “Quand les digues des bassins de retenue seront arrivées à saturation, on sera obligé de jeter la boue à la mer via le fleuve Porong”, explique-t-il. Les responsables de Lapindo Brantas font la même analyse. Selon eux, plutôt que d’attendre que les canalisations de rejet soient terminées, mieux vaut utiliser le fleuve pour drainer la boue, pendant trois mois par exemple. “Ce n’est pas la meilleure méthode, mais c’est la moins mauvaise”, estime Bambang Istadi, chef d’exploration de Lapindo Brantas. Le problème, c’est que cette boue va détruire l’écosystème du fleuve Porong. Puis, lorsqu’elle se jettera dans la mer, elle polluera automatiquement le détroit de Madura et les eaux environnantes. Les 1 600 hectares de littoral de Sidoarjo seront également touchés par cette pollution. “Laissons faire la nature”, rétorque Amin Widodo. Une recette vieille comme le monde, qui laisse à la nature le soin de restaurer la vie. En attendant, les villageois qui vivent autour du site doivent prendre les armes pour repousser l’invasion de boue. Untung Widyanto, Sunudyantoro, Rohman Taufiq, Zed Abidien, Yosep Suprayogi, Agung Rulianto 828p68_69 SA 11/09/06 18:55 Page 68 voya ge ● SUR LES RIVES DU LAC LÉRÉ Qu’elle était verte ma savane Alors que l’est du Tchad s’enfonce dans l’instabilité en raison du conflit au Darfour voisin, l’Ouest reste une zone accueillante. Le regard nostalgique d’un Africain sur cet éden méconnu. NIGER Lac Tchad NIGERIA N’Djamena Maiduguri Kousseri AFRIQUE DESTINATIONS Cotonou Mora Maroua J Figuil TCHAD Léré Yola Lac Léré Courrier international ’attendais ce voyage sur les berges du lac Léré depuis plus de dix ans. Après ma découverte du lac Tchad, en 1992, Léré devait me permettre de plonger dans le Tchad profond, toujours à la recherche de mes origines lointaines, car, à une certaine époque, ce qui constitue l’actuel Tchad fut un corridor de migrations depuis l’Afrique de l’Ouest et en direction de celle-ci. L’ouvrage d’Enoch Djondang, Au pays des Mundang [éd. L’Harmattan, 2004], ne me démentira pas. Bien au contraire. “Les Mundang formaient avec les Mboum et d’autres peuplades linguistiquement et culturellement proches un même peuple qui aurait connu une vague de migrations depuis l’Ouest africain. Certains prétendent que le groupe se serait scindé à la faveur de la traversée d’une chaîne de montagnes. D’autres affirment qu’au cours d’une guerre l’une des composantes du groupe aurait lancé le mot d’ordre “Mundang !” (Mourons ensemble !), devenu le nom de l’ethnie qui le porte aujourd’hui”, rapporte-t-il. Cette chaîne de montagnes d’Afrique de l’Ouest doit être la chaîne de l’Atacora, qui va du Bénin au Togo. Mais laissons les historiens à leur histoire, même s’il est vrai que le tata mundang n’est rien d’autre que la réplique des tatas sombas [petits châteaux forts en terre séchée], qui constituent l’habitat typique des peuples se trouvant de part et d’autre de cette chaîne montagneuse. De N’Djamena, pour se rendre à Léré, deux possibilités s’offrent au visiteur. Parcourir quelque 600 kilomètres, dont 200 non encore asphaltés, à l’intérieur du Tchad, ou 400 kilomètres en traversant le Cameroun voisin, dont une quarantaine de kilomètres seulement de route non bitumée entre la frontière du Cameroun et Léré. C’est cette dernière option que nous choisissons avec mes hôtes de la famille Gong-Non Moundou. Elle a en outre l’avantage de me faire découvrir une partie du Cameroun. Nous partons de N’Djamena, la capitale du Tchad, en fin de matinée. Nous traversons Kousseri, au Cameroun, où règne une animation typique des villes frontalières africaines, pour nous enfoncer dans le pays. A mesure que nous avançons – lentement, le minibus qui nous transporte ayant quelques ennuis mécaniques –, une savane plus herbeuse et boisée succède au paysage désertique d’épineux solitaires. Parc national de Waza Cha ri CAMEROUN Aire linguistique du mundang Pêcheurs du lac Léré. 300 km RÉP. CENTRAFR. C’est sous une pluie battante que nous faisons la traversée jusqu’aux portes du parc national de Waza. Dieu devait certainement avoir entendu mes desiderata : il fit momentanément cesser la pluie pour le trajet à l’intérieur du parc. Mieux, alors que nous roulons à la vitesse de 40 km/h, recommandée par différents panneaux indiquant les points de passage de girafes, de bubales [antilopes africaines à cornes en U] et d’éléphants, notamment, je découvre un troupeau de bubales. Puis nous rencontrons tour à tour des babouins et des antilopes. A partir de Waza, le couvert végétal est de plus en plus abondant. Des herbes et des arbustes luxuriants ont droit de cité de part et d’autre de la route, au bord de laquelle se dressent par endroits des Alain Pinoges/Ciric Concession du gong (chef suprême des Mudang) de Léré. Les nombreuses femmes du chef disposent d’une case et d’un grenier. 0 COURRIER INTERNATIONAL N° 828 68 DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 collines en forme de dômes ou de pics. Des heures de route après, au sortir du parc, nous faisons une halte à Mora pour réparer le moteur du minibus, qui peine à gravir les pentes. Celui-ci reprend ensuite de l’allure et nous atteignons Maroua, l’une des métropoles de cette région du Cameroun. Même dans la nuit profonde, Maroua, avec ses lumières et ses bâtisses qui se détachent sur l’horizon, se signale comme une étape de choix pour le voyageur. Nous longeons la ville par une corniche et mettons le cap sur Figuil, dernière ville frontière du Cameroun, dans laquelle nous entrons vers minuit, sous une fine pluie. La petite localité, célèbre pour son animation, est déjà assoupie. Inutile de chercher à aller plus loin. Le temps est idéal pour les gardiens des “barrières de pluie” [des hommes de la région qui établissent des barrages routiers quand les pistes sont devenues impraticables]. Ils peuvent dormir à poings fermés, après s’être assurés que leurs barrières sont correctement cadenassées. Elles sont si nombreuses sur la route Figuil-Léré que nous décidons de passer le restant de la nuit à deux encablures de là. Aux premières lueurs de l’aube, nous reprenons la route, c’est-à-dire les 40 kilomètres de piste dont l’entretien serait incroyablement difficile et onéreux sans les fameuses barrières, qui empêchent les poids lourds de laisser la route derrière eux dans le même état qu’après une bataille d’éléphants. Ici, nous sommes déjà en pays mundang, car ce groupe ethnolinguistique vit de part et d’autre des frontières camerounaise et tchadienne, comme c’est le cas de bien d’autres, dans nombre de pays ayant hérité des frontières de la colonisation. Sur la route de Léré, le pays mundang se décline en une succession de falaises plus superbes les unes que les autres, avec leurs versants et leurs vallées verdoyants et fertiles d’apparence. Ainsi qu’on peut s’en rendre compte, l’habitation traditionnelle mundang, le tata, a été quasiment remplacée par des cases rondes ou rectangulaires en petites briques de terre cuite. Si rien n’est fait dans les années à venir pour réhabiliter cette construction traditionnelle, le tata mundang sera bientôt un souvenir. Pour moi qui pensais étudier les similitudes de celui-ci avec les tatas sombas du Bénin, la déception est de taille. Elle est tout de même atténuée par la vaste étendue d’eau qui s’offre au loin, majestueuse, dès qu’on s’approche du centre de Léré. Le lac que j’aperçois est au-delà de mes attentes. Il est aujourd’hui encore l’un deux seuls lacs au monde à abriter des lamantins, une espèce rare et protégée. Léré est célèbre pour ses carpes. Chaque jour, une flottille de pirogues menées par des pêcheurs ramène le précieux poisson, qui sera fumé, frit ou braisé pour agrémenter les repas des habitants. Le lac est non seulement un endroit où se croisent les pêcheurs, mais aussi les lavandières et les baigneurs. Léré est aussi célèbre pour ses rites traditionnels fortement empreints d’animisme et son attachement aux valeurs ancestrales, que le gong 11/09/06 18:56 Page 69 Alain Pinoges/Ciric 828p68_69 SA [le “chef”, en mundang] doit préserver et pérenniser, à l’instar des danses des jeunes filles et des danses guerrières des jeunes garçons, qui ont lieu une ou deux fois par génération. Ces traditions culturelles spectaculaires risquent de disparaître avec leurs derniers gardiens : la vieille garde a porté à son paroxysme le culte du secret. Lorsqu’on est en face d’une impressionnante étendue d’eau qui s’étend sur plusieurs kilomètres et d’une profondeur atteignant par endroits 20 mètres, on imagine aisément que ceux qui se sont installés sur ses berges ont dû livrer des batailles homériques pour garder le privilège de Dans la région du lac Léré, le temps ne compte pas son accès. L’histoire raconte en effet que, au début du XIXe siècle, Modibo Zoubeiro, l’un des lieutenants du chef peul Ousman Dan Fodio, tenta à maintes reprises de s’emparer de la région mundang à partir de Yola [grande ville de l’est du Nigeria], qui appartenait alors à l’empire de Sokoto, au Nigeria. Outre l’érection des murailles pour se protéger des djhadistes d’Ousman Dan Fodio, il fallait repousser les troupes peules, dont l’objectif n’était pas uniquement de dominer et d’islamiser le pays mundang, mais de s’y implanter. Le pays mundang est encore fier de sa victoire, dont le récit se transmet de génération en génération. A peine avons-nous posé nos sacs dans la maison Gong-Non Moundou qu’elle connaît un incessant va-et-vient de visiteurs. Les uns précèdent les autres pour les interminables salutations d’usage, et les entretiens en aparté n’en finissent plus avec mes hôtes. Dans une région comme Léré, où les hommes ont gardé intacte une partie de leur cul- ture africaine, le temps ne compte pas. Ce qui importe, c’est l’homme, dans son rapport avec les autres et avec son environnement. Il ne faut donc pas s’étonner de voir la maison pleine de monde tandis que des plateaux de nourriture circulent tous azimuts. Ici, les mots solidarité et communauté prennent tout leur sens. Avant la tombée de la nuit, je me rends au bord du lac Léré. Une petite île, de toute beauté, attire mon attention. Elle n’est pas très loin des rives et les piroguiers la contournent pour aller vers des zones certainement plus poissonneuses dont eux seuls détiennent les secrets. J’aimerais voguer sur ce lac qui, dès le premier contact, vous invite à la découverte. Entre le lac mineur et le lac majeur, l’ensablement réduit d’année en année le cours d’eau qui les fait communiquer. Préserver le potentiel halieutique et l’écosystème environnant est une nécessité. Un travail auquel s’attelle le Programme de développement décentralisé du Mayo Kebbi Ouest, dans le but de contrôler les zones protégées du lac. Ce dernier n’est pas la seule attraction de la région. A moins de 80 kilomètres, des paysages d’une rare beauté sont tout aussi reposants et propices aux randonnées. Les paysages panoramiques et verdoyants qu’offrent les falaises de la région invitent à l’escalade. Et, dans les vallons, les amateurs de dépaysement ne bouderont certainement pas le plaisir du camping ou du pique-nique. Au cœur de cet éden, on trouve les chutes Gauthiot. Elles portent le nom d’un explorateur qui a disparu, probablement noyé, et dont le corps n’a jamais été retrouvé. Au lendemain de ma nuit passée à Léré, je me rends tôt au bord du lac, comme pour le surprendre au réveil. Mais il est déjà trop tard. Les lavandières sont en pleine activité, et les piroguiers, munis de leurs filets, sont aussi en train de remplir le contrat qui les lie à la nature environnante. Il me faudra renouveler une prochaine fois cette tentative, et revenir sur ces terres qui n’ont pas fini de me révéler tous leurs mystères. Marcus Boni Teiga COURRIER INTERNATIONAL N° 828 69 carnet de route Y ALLER ■ Air France propose quatre vols par ■ Afrique Destinations Fondé en février 2005, ce magazine est le premier mensuel béninois consacré au tourisme et à la culture. Réalisé à Cotonou, il met l’accent sur les enquêtes et les reportages qui permettent de découvrir les traditions de l’Afrique subsaharienne. DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 semaine au départ de Paris à destination de N’Djamena à partir de 1 500 euros. Depuis la capitale tchadienne, on peut se rendre à Léré en cinq heures de taxi pour 10 000 francs CFA (15 euros). Une agence de voyages installée à N’Djamena (Africa Tours Tchad, tél : 00 235 51 87 27) organise également des visites. Si l’aventure du taxi-brousse ne vous tente pas, il est aussi possible de louer un véhicule toutterrain à N’Djamena. Plusieurs agences de location proposent leurs services, notamment Diagnose Autos. SE LOGER ■ A Léré, non loin du lac, l’Hôtel du lac Léré pr opose des chambr es entr e 10 000 francs CFA et 15 000 francs CFA par nuit pour deux personnes. On peut également loger chez l’habitant ou dans l’une ou l’autre des auberges du coin. SE RESTAURER ■ Les carpes du lac Léré, le bœuf, le poulet accompagné de la “boule” (pâte de mil) sont renommés dans cette région. On peut aussi déguster dans les restaurants locaux un excellent riz accompagné de poulet ou de pintade, ou encore de la soupe de poisson. Ne manquez surtout pas la sauce aux feuilles d’oseille accompagnant la “boule” – mais vous ne la trouverez que chez l’habitant. Le bili-bili (bière de mil locale) est de bien meilleure qualité ici que dans d’autres régions d’Afrique. Avec un peu de chance, vous tomberez sur des réjouissances locales. La gastronomie y est une véritable invitation à la découverte de la culture africaine. À VOIR ■ Le départ et le retour des pêcheurs au bord du lac Léré et le kaléidoscope chatoyant de la vie qui s’épanouit sur ses rives. ■ Retrouvez tous nos Voyages sur courrierinternational.com 12/09/06 16:26 Page 70 l e l i v re épices & saveurs ● UN THRILLER SPIRITUALISTE Peter Høeg, le revenant L’auteur danois le plus vendu au monde après Andersen n’avait pas publié depuis dix ans. Mais son nouveau roman a agacé pas mal de critiques. ARABIE SAOUDITE La kebsa ■ fait de la résistance BERLINGSKE TIDENDE Copenhague u milieu de Den stille pige* [La petite fille silencieuse], son nouveau roman attendu depuis longtemps, Peter Høeg écrit que beaucoup de gens dans cette vie pensent avoir acheté des places pour une opérette de Gilbert et Sullivan, et découvrent, un peu tard, que l’existence n’est qu’un morceau de musique triste et décadent d’Alfred Schnittke. Ce qu’on obtient en achetant le nouveau livre de Høeg est au moins aussi déroutant et malheureusement beaucoup moins fascinant. Le lecteur doit lire environ 200 pages avant que l’intrigue ne se matérialise, et ce n’est qu’aux alentours de la page 350 qu’il commence à s’y retrouver un peu dans la trame décousue du livre.Tous les personnages restent jusqu’au bout des esquisses floues d’hommes et de femmes aux bouches pleines de références obscures. La pilule aurait été moins dure à avaler si le moteur du thriller – l’effet de suspense – avait agi sur le lecteur. Mais, dans Den stille pige, cela n’arrive jamais ; et c’est là que l’on s’étonne et que l’on se demande combien de fois, au cours des dix dernières années, Peter Høeg a dû mettre au rebut ce monstrueux manuscrit. Que diable essaie-t-il de nous dire ? Nous sommes à Copenhague, à notre époque. Un séisme a frappé le centre, qui a été évacué, et l’état d’urgence a été instauré. En marge de ce séisme, nous rencontrons Kasper Krone, artiste de cirque mondialement connu, joueur de poker et musicien – un homme dont l’ouïe extraordinaire est capable de capter à distance aussi bien l’atmosphère d’une pièce (“pastorale,vert clair,en fa majeur, comme dans la 6e Symphonie de Beethoven”) que l’âme et la sexualité de ses semblables. Kasper, 42 ans, célibataire et sans enfants, est depuis longtemps fatigué de vivre une vie de saltimbanque. Il est de retour au Danemark, où son père, atteint d’un cancer, est mourant. Il a annulé tous ses contrats à l’étranger. Quand, un jour, Kasper rencontre KlaraMaria, 10 ans, une profonde nostalgie naît soudain en lui, qui le rend encore plus sensible à la part divine de l’existence. La silencieuse KlaraMaria, qui se trouve avoir des dons de voyance, prend des cours particuliers avec Kasper afin de stimuler ses pouvoirs surnaturels. Ce ne sont pas ses parents mais des étrangers qui l’y amènent. Ces gens, qui s’avèrent avoir de mauvaises intentions, ont kidnappé plusieurs autres “enfants silencieux” dans le but de se servir de leurs dons extraordinaires pour lire l’avenir et essayer de prédire les futurs séismes à Copenhague, voire les déclencher et influer ainsi sur les prix du foncier et de l’immobilier dans la capitale et sur le marché des options, dont un grand syndicat du A ■ Biographie Peter Høeg est né à Copenhague en 1957. Il débute en 1988 avec le roman L’Histoire des rêves danois. Très vite, il devient un véritable phénomène littéraire, et ses œuvres paraissent dans une trentaine de pays (dont la France, aux éditions du Seuil). Smilla et l’amour de la neige (1992) est porté à l’écran par Bille August en 1997. En 1996, la parution de La Femme et le Singe déclenche une polémique sur les qualités du romancier et sur son honnêteté intellectuelle. La même année, Peter Høeg disparaît de la vie publique. Ce silence qui aura duré presque dix ans alimente toute une série de spéculations à son sujet. L’année dernière, une journaliste suédoise le retrouve dans un centre de développement spirituel, dans la petite ville de province où il vit depuis dix ans. Il lui laisse entendre qu’il travaille sur le manuscrit d’un nouveau roman. Ce sera Den stille pige, paru en mai au Danemark. es bouis-bouis populaires n’ont plus le monopole de la kebsa, le plat traditionnel saoudien par excellence. Ils subissent de plus en plus la concurrence des fast-food à l’occidentale, qui l’ont adoptée pour faire authentique. Et les grands restaurants classiques se mettent eux-mêmes à en proposer. Plat de pauvre, la kebsa devient – comme les dattes – une nourriture appréciée des classes favorisées. C’est surtout en été, à la saison des mariages, que les commandes explosent. Nos ancêtres mijotaient leur kebsa sur des braises de palmier pendant au moins deux heures. Aujourd’hui, on la prépare plutôt dans des récipients métalliques qui peuvent atteindre jusqu’à un mètre et demi de longueur et quatrevingts centimètres de large. Traditionnellement, la kebsa est faite de riz auquel on ajoute de la viande de mouton, mais il est de plus en plus fréquent d’y trouver du poulet. Le plus souvent, on la prépare avec du beurre ou des graisses animales, mais les huiles végétales sont préférables afin d’éviter des excès de cholestérol et de sucre, principales causes de l’obésité. Selon la nutritionniste Rim Salman, la kebsa est un plat équilibré à condition de le servir avec des légumes et de… ne pas trop en manger ! Si nos ancêtres en consommaient abondamment, ils ne disposaient pas d’autant de confort que nous et ils avaient surtout beaucoup plus d’activité physique. Mais les adeptes de la kebsa restent sourds à ces mises en garde et tiennent à la tradition, considérant qu’elle nuit moins à la santé que la restauration rapide occidentale. L Niels Hougaard/Ekstra Bladet/Abaca 828p70 crime (en guerre contre l’Etat et les caisses de retraite) est en train de prendre le contrôle. Il s’agit donc de big business, n’impliquant pas seulement la Bourse et les banques, la police, le ministère de la Justice, celui des Finances et les services de renseignements, mais aussi les milieux religieux de Copenhague et de sa région. Nous ne sommes donc pas très loin de la conspiration haute en couleurs et codée qui constitue la formule des best-sellers à la Dan Brown. Le problème, dans le roman de Høeg, c’est qu’aucun contrat n’est établi entre l’auteur et le lecteur. Au lieu de cela, il y a en arrière-plan un bavardage incessant, et rien ne permet de souffler un peu dans cette histoire qui semble ne jamais vouloir prendre fin. Il y a quelques rares perles, comme : “La véritable liberté est d’être dispensé de choisir parce que tout est déjà parfait” ou “L’amour n’est jamais sans condition ;il y a toujours quelque chose d’écrit en tout petits caractères”. Mais, le plus souvent, ce bavardage aphoristique donne des expressions métaphoriques du type : “La prière est comme un bateau de lucidité en papier naviguant sur un flot fatigué de laïcité.” Une chose est sûre, en tout cas : le roman de Høeg traite moins de la petite KlaraMaria que d’un artiste d’âge moyen, Kasper Krone, qui a volontairement fait ses adieux au grand art pour s’adonner au silence et à une vie moins active, plus simple, mais consacrée à l’esprit. Sans doute est-ce assez proche de la vie de Høeg. Un silence littéraire de dix ans imprime forcément sa marque à une œuvre. Den stille pige aurait pu être le come-back réussi que la plupart d’entre nous auraient souhaité au sympathique et humble Peter Høeg. Mais beaucoup de lecteurs, me semble-t-il, seront très déçus par son thriller spiritualiste, une œuvre qui ne peut – et ne veut ? – masquer le fait que l’auteur s’est perdu dans sa quête intérieure. Jens Andersen * Ed. Rosinante, Copenhague, 2006. Pas encore traduit en français. COURRIER INTERNATIONAL N° 828 70 DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006 Kebsa (pour 7 personnes) Ingrédients ■ 1 kg de riz, 1 kg de mouton ou de poulet, 5 grosses tomates, 1/2 litre de beurre fondu ou d’huile, 5 oignons, 4 citrons séchés, 4 piments rouges piquants, 3 bâtons de cannelle, 5 à 10 grains de cardamome, 3 feuilles de laurier, 1/2 cuillerée à soupe de safran, 2 cuillerées à soupe d’eau de rose, du sel. Préparation ■ Laisser tremper le riz dans de l’eau tiède pendant une heure. Couper la viande en petits dés, les faire revenir brièvement dans la graisse. Hacher les oignons, les faire dorer. Placer la viande, les oignons et les tomates finement coupées dans une casserole. Couvrir d’eau et laisser cuire à feu doux pendant une heure. Assaisonner, ajouter la cardamome, la cannelle, le citron, le laurier et le piment, remuer. Mettre le riz dans une casserole suffisamment grande, ajouter l’eau de rose et le safran, remuer. Poser pardessus la viande avec son jus, laisser cuire à couvert et à feu doux jusqu’à cuisson complète du riz. Mohammed Mleifi et Abdallah Al-Salman, Al-Watan (extraits), Abha *828 p71 12/09/06 19:10 Page 71 insolites ● Au Kenya, on prend le viol à bras-le-corps En Vision Marketing group F elle peut se servir de sa morve pour l’aveugler. Elle peut aussi utiliser de la boue ou du sable.” Depuis la création de l’association en 1998, suite à un viol particulièrement sauvage dans la ville natale de Bomba, Eldoret, à l’ouest du Kenya, le g roupe a for mé environ 350 000 jeunes à l’autodéfense. “Cet homme, c’est un meurtrier, c’est le sida, c’est tomber enceinte, c’est comme ça qu’il faut le voir.” Les élèves de Bomba estiment que les cours portent leurs fruits. En juillet, Molly Adhiambo s’est retrouvée face à deux hommes armés. Elle a bondi hors de sa voiture, a donné un coup de coude dans le ventre d’un de ses agresseurs et a appelé à l’aide. “D’habitude, à Nairobi, on ne résiste pas à ses agresseurs”, explique cette femme de 41 ans. “Je ne l’aurais pas fait si je n’avais pas été sûre que je pouvais leur faire mal.” Plus les filles sont jeunes, plus elles risquent de se faire violer. Pourtant, dans le bidonville tristement célèbre de Kibera, une fillette de 8 ans, qui avait suivi la formation de Dolphin, a réussi à repousser son assaillant en lui plantant les doigts dans les yeux. L’autodéfense ne doit être utilisée qu’en dernier recours, insiste Duncan Bomba, qui consacre la moitié de ses cours à apprendre à ses élèves à éviter les situations dangereuses, comme se promener seule la nuit ou monter en voiture avec des inconnus. Mail and Guardian (extraits), Johannesburg Reuters aut lui arracher les yeux, le frapper entre les jambes”, crie le karateka à son auditoire. Deux cents petites Kényanes, éberluées, le regardent fondre sur son partenaire, qui joue le rôle du violeur. Deux élèves en uniforme bleu marine et blanc, cheveux bien tressés et chaussettes jusqu’aux genoux, tentent timidement de mettre en pratique les mouvements enseignés par Duncan Bomba, qui a repris le rôle de l’agresseur. Sous les rires et les applaudissements bruyants de ses camarades, les deux filles réussissent à se débarrasser de lui. Dans un pays où, selon les militants, une femme est violée toutes les demiheures, un nombre croissant de femmes et de jeunes filles kényanes apprennent à se défendre contre ces agressions. “C’est un nouveau concept”, explique Duncan Bomba à l’agence Reuters, juste avant de commencer son cours dans une école primaire de Nairobi. “Ça semble bizarre, mais nous avons réussi à faire baisser le nombre de viols.” Duncan Bomba est à la tête de l’association Dolphin, la seule, selon lui, à enseigner l’autodéfense aux femmes pour qu’elles puissent se protéger de leurs agresseurs. Le groupe intervient dans tout le pays, dans les écoles, les églises et les associations de femmes, où il enseigne les arts martiaux, les bases de la lutte et le bon sens. “Nous leur montrons comment utiliser ce qu’elles ont sous la main pour frapper leur agresseur,explique Bomba. Si une fille a le rhume, Horror vacui Vous faites le pied de grue entre deux chariots de supermarché ? C’est du temps de cerveau disponible. La pub investit les tapis roulants des caisses de supermarchés. Une société américaine a breveté un système permettant d’y imprimer directement des photos hautes définition. “Prenez une supérette [sans pub] de huit à dix caisses : c’est 30 mètres carrés de support publicitaire gâché”, indique le président d’EnVision Marketing Group, Frank Cox. Le système est d’ores et déjà testé dans l’Ohio, l’Arkansas, le Mississippi et le Tennessee, indique Advertising Age Magazine. C’est le bouquet Du balai e sommelier n’a pas de papilles gustatives, mais il peut distinguer une trentaine de cépages. Il analyse le vin du bout de son bras gauche, doté d’un capteur à infrarouges. D’une voix enfantine, il annonce “chardonnay” ou “chiraz”, commente le goût du vin testé – moelleux ou plein en bouche –, et recommande tel ou tel met en accompagnement. Le robot-œnologue conçu par les chercheurs nippons du laboratoire de NEC System Technologies et de la Mie University identifie les composés organiques du vin en trente secondes. Chaque cépage a sa composition chimique, mais les variations d’empreinte spectrale d’un vin à l’autre sont infimes. “C’était un vrai défi. Les différences que détecte le robot sont très subtiles”, commente Hideo Shimazu, de NEC Sys- Shizuo Kambayashi/Ap-Sipa tem Technologies. L’analyse se fait sur des échantillons, mais, à terme, il ne sera pas nécessaire de déboucher les bouteilles. Une aubaine pour les douaniers et les négociants, qui pourront ainsi contrôler les appellations et détecter d’éventuelles fraudes – même si la machine est encore loin de pouvoir identifier les milliers de variétés existant sur le marché. Outre le vin, ce “nez” peut identifier différents fromages et distinguer la plus sucrée de trois pommes sans en manger une bouchée. En matière de charcuterie, il lui reste quelques progrès à faire : il a confondu la main d’un journaliste avec du jambon, et celle d’un cameraman avec du bacon. (Mainichi Daily News, Tokyo, New Scientist, Londres) la demande de la Commission pour la promotion de la vertu et de la prévention du vice, les autorités saoudiennes ont interdit la vente de chats et de chiens, rapporte ArabNews. Les jeunes gens qui, “sous influence occidentale”, se promè- C A nent dans la rue avec leurs quadrupèdes violent la culture et les traditions du royaume, estime la police religieuse. Cette dernière a ordonné la fermeture définitive de l’ensemble des animaleries et cliniques vétérinaires de Djeddah. Vikings Le roi de Norvège se rendra en Irlande le 17 septembre prochain. C’est la première fois qu’un souverain norvégien se rend sur l’île en voyage officiel – “hormis une visite non sollicitée il y a mille deux cents ans”, écrit The Irish Times. COURRIER INTERNATIONAL N° 828 71 DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006