3:HIKNLI=XUXUU[:?k@s@c@i@a

Transcription

3:HIKNLI=XUXUU[:?k@s@c@i@a
828 UNE gauche OK
12/09/06
18:45
Page 1
Indonésie Le journal intime d’un terroriste
UN SUPPLÉMENT EN V.O.
Courrier in English
PORTRAIT Autiste et savant
www.courrierinternational.com
N° 828 du 14 au 20 septembre 2006 - 3
€
E
R
T
Ê
’
D
,
R
U
D
,
R
U
D
E
H
C
U
A
G
E
D
Europe,
Amériques
Les idées,
les débats
pp. 42-51
France
Ségolène
et ses rivaux
épinglés
pp. 13-15
AFRIQUE CFA : 2 200 FCFA - ALLEMAGNE : 3,20 €
AUTRICHE : 3,20 € - BELGIQUE : 3,20 € - CANADA : 5,50 $CAN
DOM : 3,80 € - ESPAGNE : 3,20 € - E-U : 4,75 $US - G-B : 2,50 £
GRÈCE : 3,20 € - IRLANDE : 3,20 € - ITALIE : 3,20 € - JAPON : 700 ¥
LUXEMBOURG : 3,20 € - MAROC : 25 DH - PORTUGAL CONT. : 3,20 €
SUISSE : 5,80 FS - TOM : 700 CFP - TUNISIE : 2,600 DTU
M 03183 - 828 - F: 3,00 E
3:HIKNLI=XUXUU[:?k@s@c@i@a;
709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13
709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13
709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13
828p05
12/09/06
19:36
Page 5
s o m m a i re
●
39 ■ Afrique
e n c o u ve r t u re
●
DUR, DUR, D’ÊTRE
DE GAUCHE
E N Q U Ê T E E T R E P O R TA G E S
42 ■ en couverture Dur, dur, d’être de
Otto Dettmer
Qu’est-ce que la gauche aujourd’hui ? Les travaillistes
britanniques sont déçus par Blair, les démocrates américains
ne savent pas comment battre Bush, et la percée de Royal
désoriente le PS français. Même le modèle nordique ne
fournit plus de solutions toutes prêtes, pas plus que la gauche
latino-américaine. Ni résignation devant le marché, ni retour
aux vieilles recettes socialistes : plus que jamais l’imagination
pp. 42 à 51
est nécessaire.
Dessin d’Otto Dettmer paru dans The Independent, Londres.
52 ■ portrait L’autiste qui aimait le nombre π
Il déclame de mémoire les 22 500 premières
décimales de π, mais ignore presque tout des
émotions : tel est l’Anglais Daniel Tammet, autiste
et surdoué.
57 ■ “Courrier in English”
6 ■ les sources de cette semaine
8 ■ l’éditorial Au-delà du cynisme du marché,
par Philippe Thureau-Dangin
■
■
■
■
gauche En Europe comme en Amérique – du Nord
et du Sud –, il existe différentes façons d’être “de
gauche”. Mais partout la voie est étroite, et les vieilles
recettes battues en brèche.
54 ■ enquête La datcha, cet objet de
convoitise Une ode à la maisonnette en bois et à
son lopin de terre si chers au cœur des Russes, par
l’écrivain Nikolaï Klimontovitch.
RUBRIQUES
8
8
68
70
Z I M B A B W E On peut tr uquer les
élections mais pas l’économie LIBYE Kadhafi père et fils,
même combat OUGANDA 28 millions d’habitants aujourd’hui,
130 millions en 2050 C Ô T E - D ’ I V O I R E Déchets toxiques et
faillite politique
Sur RFI Retrouvez l’émission Retour sur info, animée par Hervé Guillemot.
Cette semaine “Daniel Tammet, l’autiste savant”, avec Eric Maurice, de
CI, et Barbara Donville, psychothérapeute. Cette émission sera diffusée
sur 89 FM le samedi 16 septembre à 19 h 40 et le dimanche 17
septembre à 0 h 10 sur 89 FM, puis disponible sur <www.rfi.fr>.
l’invité Al-Asfar, Amin, Ramallah
le dessin de la semaine
voyage Qu’elle était verte, ma savane
le livre La petite fille silencieuse,
INTELLIGENCES
de Peter Høeg
70 ■ épices et saveurs
61 ■ économie
Arabie Saoudite : la kebsa fait de la résistance
71 ■ insolites
Des momies celtes en Chine pp. 62 à 64
D’UN CONTINENT À L’AUTRE
A G R I C U LT U R E Une nouvelle crise
alimentaire menace le monde dossier Fonds spéculatifs :
les nouveaux maîtres de la finance mondiale • La
recherche du profit comme seule règle • Une industrie
victime de son succès • Pourquoi les marchés sont
maniaco-dépressifs
65 ■ multimédia
TÉLÉVISION
13 ■ france dossier La gauche française ? Ce
n’est pas tout rose • Les socialistes spécialistes en
autodestruction • Le PS encore malade de Mitterrand •
“De gauche”, “de droite”, ça n’existe plus ! • La Grèce
louche vers l’Hexagone • Seule contre tous
trop vieille pour le Net
16 ■ europe
gigantesque volcan de boue
66 ■ sciences ARCHÉOLOGIE Le mystère des momies
celtes du Xinjiang
67 ■ écologie
R OYA U M E - U N I Tony Blair, l’optimiste
trahi par la réalité • duel • Gordon Brown ne mérite pas
encore le pouvoir ALLEMAGNE Berlin, ville “pauvre mais sexy”
A U T R I C H E Vers une grande coalition viennoise ? R U S S I E Le
planning familial ? Pas de ça chez nous BULGARIE - ROUMANIE
Entrer dans l’UE, mais avec dignité TRANSDNIESTRIE Qui est
réellement aux commandes à Tiraspol ? RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
La faute à l’anticommunisme
22 ■ amériques É TAT S - U N I S Dick Cheney ne fait
plus la pluie et le beau temps ÉTATS - UNIS Silence, la torture
continue MEXIQUE Impossible de sortir du bourbier politique
N I C A R A G U A Vent d’espoir pour Daniel Or tega, l’éternel
candidat ÉQUATEUR Un musée pour épingler corrupteurs et
corrompus
29 ■ asie
A F G H A N I S TA N - PA K I S TA N Cinq ans après, le
grand bond en arrière N É PA L Mieux vaut l’ordre maoïste
que l’anarchie ! dossier I NDONÉSIE Les islamistes marquent
des points Le journal intime d’un fabricant de bombes •
Imposer la charia sans violence • Les yeux braqués
sur les hanches d’Inul • Les anti-islamistes s’organisent
aussi CHINE Le barrage des Trois-Gorges a-t-il détraqué le
climat ?
35 ■ moyen-orient I R A K Le fondamentalisme
fait son chemin chez les Kurdes S Y M B O L E S Arrêtons la
guerre des drapeaux ! ISRAËL Personne ne pourra dire qu’il
ne savait pas PA L E S T I N E Ayez pitié de Gaza ! S Y R I E Quand
l’opposition s’aligne sur le régime
A 25 ans, MTV est
GÉOLOGIE
Un forage réveille un
C H AT
Quelle gauche pour le XXIe siècle ?
La datcha, une passion russe pp. 54-55
Rendez-vous jeudi 14 septembre à 15 heures
sur courrierinternational.com
LA SEMAINE PROCHAINE
belgique Les Flamands veulent-ils la partition ?
chine Eloge
du mandarinat
presse Les quotidiens coincés
entre le Net et les gratuits
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
5
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
12/09/06
19:48
Page 6
l e s s o u rc e s
●
CETTE SEMAINE DANS COURRIER INTERNATIONAL
ABC 267 000 ex., Espagne,
quotidien. Journal monarchiste
et conservateur depuis sa création
en 1903, ABC a un aspect un peu
désuet unique en son genre :
une centaine de pages agrafées,
avec une grande photo à la une.
AFRIQUE DESTINATIONS 2 000 ex.,
Bénin, mensuel. Fondé
en février 2005, c’est le premier
mensuel béninois consacré
au tourisme et à la culture.
Il met l’accent sur les reportages
et les enquêtes consacrés
aux traditions africaines.
AMIN <http://www.amin.org>,
Ramallah. Site palestinien, fondé
en 1993 grâce à la fondation Soros
et à Internews Moyen-Orient,
une ONG américaine qui aide
des centaines de médias
indépendants dans les pays
qui s’ouvrent sur la démocratie,
Amin propose une sélection
d’articles en arabe et en anglais sur
Israël, la Palestine et la Jordanie.
HA’ARETZ 80 000 ex., Israël,
quotidien. Premier journal publié
en hébreu sous le mandat
britannique, en 1919.
“Le Pays” est le journal
de référence chez les politiques
et les intellectuels israéliens.
ASIA TIMES ONLINE
<http://www.atimes.com>, Chine.
Lancée fin 1995, l’édition papier
de ce journal anglophone s’est
arrêtée en juillet 1997 et a donné
naissance, en 1999, à un véritable
journal en ligne régional.
Alors que la presse d’actualité
régionale a perdu ses principaux
représentants, ce webzine étend
son champ d’action au MoyenOrient.
AL-AYYAM 6 000 ex., Israël
(Territoires palestiniens),
quotidien. Fondé en 1995,
“Les Jours” est le premier
quotidien palestinien de Ramallah
et est perçu comme le journal
des intellectuels palestiniens
modérés. Ses éditorialistes sont
souvent bien informés. Plusieurs
de ses articles sont repris
sur le site d’information Amin.
BERLINGSKE TIDENDE 152 000 ex.,
Danemark, quotidien. “Les
Nouvelles de M. Berlin” parurent
pour la première fois en 1749 !
Le journal appartient à la maison
Berlingske Officin, qui publie aussi
le quotidien du soir B.T.
et l’hebdomadaire Weekendavisen.
Berlingske Tidende se situe
au centre droit.
EKANTIPUR.COM
<http://www.kantipuronline.com>
, Népal. Ce webzine d’information
lancé en 2005 permet aux lecteurs
d’accéder à des analyses sans
concessions écrites par
des journalistes indépendants
à un moment où le pays
traverse de profonds
bouleversements politiques.
ELEFTHEROTYPIA 80 000 ex., Grèce,
quotidien. Créé juste après la
chute de la dictature militaire en
1974, avec pour devise “Le journal
des journalistes”, “Liberté de
la presse” a toujours été marqué
au centre gauche. Il appartient
au groupe Tegopoulos SA.
EXPRESSEN 305 000 ex.,
THE INDIAN EXPRESS 550 000 ex.,
Suède, quotidien. Créé en 1944,
porte-parole de la lutte contre
le nazisme, le titre a été le plus
grand quotidien suédois jusqu’aux
années 1990. Aujourd’hui dépassé
par Aftonbladet, il se partage entre
des pages politiques et culturelles
sérieuses et des pages
plus typiques d’un tabloïd.
Inde, quotidien. S’autoproclamant
“India’s only national newspaper”,
l’Indian Express est le grand rival
du Times of India. Il est connu
pour son ton combatif
et son “journalisme du courage”,
ainsi que pour ses enquêtes sur
des scandales politico-financiers.
Son supplément Sunday Magazine
comporte d’intéressants
articles culturels.
FINANCIAL TIMES 439 000 ex.,
Royaume-Uni, quotidien.
Le journal de référence, couleur
saumon, de la City et du reste
du monde. Une couverture
exhaustive de la politique
internationale, de l’économie
et du management.
KOMMERSANT-VLAST 73 000 ex.,
FOLHA DE SÃO PAULO 420 000 ex.,
Brésil, quotidien. Née en 1921,
la “Feuille de São Paulo” a fait,
au début des années 80, une cure
de jouvence ayant pour maîtres
mots : objectivité, modernité,
ouverture. Le quotidien est
devenu ensuite le plus influent
journal du pays, attirant l’intérêt,
entre autres, d’une jeune élite
qui se bat pour la consolidation
de la démocratie.
FOREIGN AFFAIRS 110 000 ex.,
Etats-Unis, bimestriel. Publié
à New York depuis 1922,
ce magazine est une référence
mondiale en matière de relations
internationales. Organe
de l’influent Council on Foreign
Relations, il contribue à confronter
analyses de chercheurs
et de politiciens… et à faire
émerger la prochaine politique
étrangère américaine.
FRATERNITÉ MATIN 25 000 ex.,
Côte-d’Ivoire, quotidien. Propriété
de l’Etat depuis l’indépendance,
Frat’Mat’, comme on l’appelle
à Abidjan, a toujours été un
organe gouvernemental pur et dur.
Il représente un symbole fort
en Côte-d’Ivoire et dans toute
l’Afrique francophone.
Aujourd’hui, le titre n’hésite pas
à publier des analyses critiques
vis-à-vis du pouvoir.
THE GUARDIAN 380 000 ex.,
Royaume-Uni, quotidien. Depuis
le 12 septembre 2005, il est le seul
quotidien national britannique
imprimé au format berlinois
(celui du Monde) et tout en
couleur. L’indépendance,
la qualité et la gauche caractérisent
depuis 1821 ce titre, qui abrite
certains des chroniqueurs
les plus respectés du pays.
AL-HAYAT 110 000 ex., Arabie
Saoudite (siège à Londres),
quotidien. “La Vie” est sans doute
le journal de référence
de la diaspora arabe et la tribune
préférée des intellectuels
de gauche ou des libéraux arabes
qui veulent s’adresser
à un large public.
THE INDEPENDENT ON SUNDAY
204 000 ex., Royaume-Uni,
hebdomadaire. Créé en 1990,
le titre est la version dominicale
du grand quotidien
The Independent. Composé
des suppléments Entreprise,
Sport, Culture et d’un magazine,
il propose des articles orientés
sur des problèmes de société.
Offre spéciale
d’abonnement
Bulletin à retourner
sans affranchir à :
revue politique, aussi réputée
pour le sérieux de ses analyses
que pour la férocité de ses
commentaires, est le forum
de la gauche indépendante.
Russie, hebdomadaire. Vlast,
“Le Pouvoir”, lancé en 1997,
est l’hebdomadaire phare
du groupe Kommersant.
Ce magazine vise un public de
“décideurs” – chefs d’entreprise,
“nouveaux Russes”… – avec des
informations et des analyses
spécifiques, mais publie aussi
de bons reportages sur divers
sujets et offre de nombreuses
photos de grande qualité.
KRISTELIGT DAGBLAD 37 200 ex.
Danemark, quotidien. Fondé
en 1896, au Jutland dans les
milieux missionnaires, le journal,
aujourd’hui indépendant
d’intérêts politiques, traite de
toutes les questions religieuses
et philosophiques.
AL-MADA Irak, quotidien.
Ce journal, fondé à Bagdad sept
mois après la chute du régime
de Saddam Hussein, n’a pu voir
le jour qu’à partir du 5 août 2003.
Il affiche une tendance libérale,
et plusieurs de ses journalistes
sont des ex-marxistes.
MAIL & GUARDIAN 30 000 ex., Afrique
du Sud, hebdomadaire. Fondé
en 1985, l’ancien Weekly Mail
n’a plus d’attache avec le grand
patronat libéral, au contraire de la
plupart des autres publications
anglophones sud-africaines, depuis
que le Guardian de Londres est
entré dans son capital. Résolument
à gauche, il milite pour une
Afrique du Sud plus tolérante.
EL MUNDO 310 000 ex., Espagne,
quotidien. “Le Monde” a été lancé
en 1989 par Pedro J. Ramírez
et d’autres anciens de Diario 16.
Pedro Jota, comme on appelle
familièrement le directeur
d’El Mundo, a toujours revendiqué
le modèle du journalisme
d’investigation à l’américaine bien
qu’il ait tendance à privilégier
le sensationnalisme au sérieux
des informations.
THE NATION 117 000 ex., Etats-Unis,
hebdomadaire. Fondé
par des abolitionnistes en 1865,
résolument à gauche, The Nation
est l’un des premiers magazines
d’opinion américains.
Des collaborateurs tels que Henry
James, Jean-Paul Sartre ou Martin
Luther King ont contribué
à sa renommée.
NEUE ZÜRCHER ZEITUNG 155 000 ex.,
Suisse, quotidien. Publié dans
la capitale financière suisse, c’est
un titre de référence, à tendance
centriste et libérale. En pointe
sur l’international, il est lu par
l’ensemble des germanophones.
NEW STATESMAN 26 000 ex.,
Royaume-Uni, hebdomadaire.
Depuis sa création, en 1913, cette
Courrier international
Al-Awsat, il n’est pas détenu
par des capitaux saoudiens.
LA REPUBBLICA 650 000 ex., Italie,
quotidien. Née en 1976,
La Repubblica se veut le quotidien
de l’élite intellectuelle et financière
du pays. Le titre est orienté
à gauche, avec une sympathie
affichée pour les Démocrates
de gauche (ex-Parti communiste),
et fortement critique vis-à-vis
de l’actuel président du Conseil,
Silvio Berlusconi. Son supplément
féminin, hebdomadaire,
s’intitule D.
RÉDACTION
64-68, rue du Dessous-des-Berges, 75647 Paris Cedex 13
Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01
Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02
Site web www.courrierinternational.com Courriel [email protected]
Directeur de la rédaction Philippe Thureau-Dangin
Assistante Dalila Bounekta (16 16)
Rédacteur en chef Bernard Kapp (16 98)
Rédacteurs en chef adjoints Odile Conseil (16 27), Isabelle Lauze (16 54),
Claude Leblanc (16 43)
Rédacteur en chef Internet Marco Schütz (16 30)
Chef des informations Anthony Bellanger (16 59)
RZECZPOSPOLITA 264 000 ex.,
NEWSWEEK 3 000 000 ex., EtatsUnis, hebdomadaire. Le regard
des Etats-Unis sur le monde. Avec
sa diffusion totale de 4 millions
d’exemplaires à l’international,
le rapide et professionnel
Newsweek utilise l’actualité
pour révéler les tendances
du monde contemporain.
THE NEW YORK REVIEW OF BOOKS
119 000 ex., Etats-Unis, mensuel.
La grande revue littéraire
et politique de l’intelligentsia
new-yorkaise. Créée en 1963,
la NewYork Review of Books doit
sa renommée au prestige et à la
diversité de ses grandes signatures.
Articles fouillés, authentiquement
critiques et très longs sont
une marque de fabrique.
OGONIOK 50 000 ex., Russie,
hebdomadaire. Après plus
d’un siècle d’une histoire
mouvementée, “La Petite
Flamme” se présente aujourd’hui
comme un magazine
d’informations générales et
de reportages richement illustré.
THE OTTAWA CITIZEN 152 000 ex.,
Canada, quotidien. Journal
de langue anglaise, fondé en 1845,
dont le lectorat se situe dans la
tranche d’âge des 40-50 ans.
Plutôt progressiste et très respecté
pour la qualité de ses éditoriaux.
EL PAÍS 457 000 ex. (831 000 ex.
le dimanche), Espagne, quotidien.
Né en mai 1976, six mois après
la mort de Franco, “Le Pays”
est une institution en Espagne.
Il est le plus vendu des quotidiens
d’information générale et s’est
imposé comme l’un des vingt
meilleurs journaux du monde.
Il appartient au groupe
de communication PRISA,
actionnaire du groupe
Le Monde dont fait partie
Courrier international.
Pologne, quotidien. Le titre a été
créé juste après la loi martiale
décrétée le 13 décembre 1981
par le général Jaruzelski en tant
que quotidien de la nomenklatura.
Après la chute du communisme,
“La République” ne s’est jamais
privée de critiquer
les gouvernements successifs.
Contrôlé par Robert Hersant
de 1991 à 1996, le quotidien
est depuis la propriété
du groupe norvégien Orkla,
associé au Trésor public.
Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25)
Directrice artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31)
Europe de l’Ouest Eric Maurice (chef de service, Royaume-Uni, 16 03), GianPaolo Accardo (Italie, 16 08), Anthony Bellanger (Espagne, France, 16 59),
Danièle Renon (chef de rubrique Allemagne, Autriche, Suisse alémanique,
16 22), Suzi Vieira (Portugal), Wineke de Boer (Pays-Bas), Léa de Chalvron
(Finlande), Rasmus Egelund (Danemark, Norvège), Philippe Jacqué (Irlande),
Alexia Kefalas (Grèce, Chypre), Mehmet Koksal (Belgique), Kristina Rönnqvist
(Suède), Laurent Sierro (Suisse) Europe de l’Est Alexandre Lévy (chef de service,
16 57), Laurence Habay (chef de rubrique, Russie, ex-URSS, 16 79), Iwona
Ostapkowicz (Pologne, 16 74), Sophie Chergui (Etats baltes), Andrea Culcea
(Roumanie, Moldavie), Kamélia Konaktchiéva (Bulgarie), Larissa Kotelevets
(Ukraine), Marko Kravos (Slovénie), Ilda Mara (Albanie, Kosovo), Miklos Matyassis
(Hongrie), Miro Miceski (Macédoine), Zbynek Sebor (Tchéquie), Gabriela
Kukurugyova (Slovaquie), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie, BosnieHerzégovine), Amériques Jacques Froment (chef de service, Amérique du Nord,
16 32), Bérangère Cagnat (Etats-Unis, 16 14), Marianne Niosi (Canada), Christine
Lévêque (chef de rubrique, Amérique latine, 16 76), Paul Jurgens (Brésil)
Asie Hidenobu Suzuki (chef de service, Japon, 16 38), Agnès Gaudu (chef
de rubrique, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Ingrid Therwath (Asie du Sud,
16 51), Christine Chaumeau (Asie du Sud-Est, 16 24), Marion Girault-Rime
(Australie, Pacifique), Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées),
Hemal Store-Shringla (Asie du Sud), Kazuhiko Yatabe (Japon) Moyen-Orient
Marc Saghié (chef de service, 16 69), Nur Dolay (Turquie), Alda Engoian (Asie
centrale, Caucase), Pascal Fenaux (Israël), Guissou Jahangiri (Iran), Philippe
Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Moyen-Orient) Afrique Pierre
Cherruau (chef de service, 16 29), Chawki Amari (Algérie), Gina Milonga Valot
(Angola, Mozambique), Fabienne Pompey (Afrique du Sud) Débat, livre Isabelle
Lauze (16 54) Economie Pascale Boyen (chef de rubrique, 16 47) Multimédia
Claude Leblanc (16 43) Ecologie, sciences, technologie Olivier Blond (chef de
rubrique, 16 80) Insolites, tendance Claire Maupas (chef de rubrique, 16 60)
Epices & saveurs, Ils et elles ont dit Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, 16 74)
SME 80 000 ex., Slovaquie.
En 1993, la rédaction du journal
Smena (“Le Changement”) s’est
scindée en deux, d’où la naissance
de Sme. “Nous sommes” est le
plus important quotidien slovaque
de tendance libérale.
TALCUAL Venezuela, quotidien.
Quotidien d’opposition créé
en 2000, “TelQuel” est connu
pour ses prises de position
politiques. Profondément opposé
au président Chávez, il est dirigé
par l’ancien guérillero marxiste
Teodoro Petkoff, tout aussi connu
pour son engagement politique
que pour son rôle dans le journal.
TEMPO 160 000 ex., Indonésie,
Site Internet Marco Schütz (rédacteur en chef, 16 30), Eric Glover (chef de service,
16 40), Anne Collet (documentaliste, 16 58), Jean-Christophe Pascal (1661)
Philippe Randrianarimanana (16 68), Hoda Saliby (16 35),Pierrick Van-Thé (webmestre,
16 82), Julien Didelet (chef de projet)
hebdomadaire. Publié pour
la première fois en avril 1971 par
P.T. Grafitti Pers, dans l’intention
d’offrir au public indonésien des
matériaux nouveaux de lecture
de l’information, avec une liberté
d’analyse et le respect
des divergences d’opinion.
Agence Courrier Sabine Grandadam (chef de service,16 97),Caroline Marcelin (16 62)
Traduction Raymond Clarinard (chef de service, anglais, allemand, roumain,
16 77), Nathalie Amargier (russe), Catherine Baron (anglais, espagnol), Isabelle
Boudon (anglais, allemand), Ngoc-Dung Phan (anglais, vietnamien), Françoise
Escande-Boggino (japonais, anglais), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois),
Marie-Françoise Monthiers (japonais), Mikage Nagahama (japonais), MarieChristine Perraut-Poli (anglais, espagnol), Olivier Ragasol (anglais, espagnol),
Danièle Renon (allemand), Mélanie Sinou (anglais, espagnol)
THE WALL STREET JOURNAL
2 000 000 ex., Etats-Unis,
quotidien. C’est la bible
des milieux d’affaires. Mais
à manier avec précaution :
d’un côté, des enquêtes et
reportages de grande qualité ;
de l’autre, des pages éditoriales
tellement partisanes qu’elles
tombent trop souvent dans
la mauvaise foi la plus flagrante.
PROCESO Mexique, hebdomadaire.
Crée en 1976 par Julio Scherer
García, vieux routier
du journalisme mexicain, le titre
reste fidèle à son engagement
à gauche. Ses reportages
et son analyse de l’actualité
en font un magazine de qualité.
AL-WATAN 40 000 ex., Arabie
Saoudite, quotidien. Fondé
en 2000. Comme la majorité
des médias saoudiens, “La Patrie”
exprime les positions officielles du
royaume. Depuis le 11 septembre
2001 et ses retombées négatives
sur la monarchie saoudienne,
le journal participe aux débats
politiques qui secouent le pays.
AL-QUDS AL-ARABI 50 000 ex.,
Royaume-Uni, quotidien.
“La Jérusalem arabe” est l’un
des trois grands quotidiens
panarabes édités à Londres.
Toutefois, contrairement à ses
confrères Al-Hayat et Asharq
WELT AM SONNTAG 401 000 ex.,
Allemagne, quotidien. L’édition
du dimanche de Die Welt,
aussi conservatrice que la version
quotidienne mais beaucoup
plus illustrée, comporte
des rubriques légères.
Révision Elisabeth Berthou (chef de service, 16 42), Pierre Bancel, Philippe
Czerepak, Fabienne Gérard, Philippe Planche
Photographies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41), Lidwine
Kervella (16 10), Cathy Rémy (16 21), assistés d’Agnès Mangin (16 91)
Maquette Marie Varéon (chef de ser vice, 16 67), Catherine Doutey,
Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia, Denis Scudeller Cartographie Thierry
Gauthé (16 70) Infographie Catherine Doutey (16 66), Emmanuelle Anquetil
(colorisation) Calligraphie Yukari Fujiwara Informatique Denis Scudeller (1684)
Documentation Iwona Ostapkowicz 33 (0)1 46 46 16 74, du lundi au vendredi
de 15 heures à 18 heures
Fabrication Jean-Marc Moreau (chef de fabrication, 16 49). Impression, brochage :
Maury, 45191 Malesherbes. Routage : France-Routage, 77183 Croissy-Beaubourg
Ont participé à ce numéro Torunn Amiel, Chloé Baker, Iulia Badea-Guéritée,
Gilles Berton, Marc-Olivier Bherer, Jean-Baptiste Bor, Olivier Bras, Valérie Brunissen,
Gaëlle Charrier, Valérie Defert, Valéria Dias de Abreu, Marc Fernandez, Lola Gruber,
Natacha Haut, Magali Lagrange, Rivière Lelaurin, Françoise Lemoine-Minaudier,
Julie Marcot, Hamdam Mostafavi, Anne Proenza, Jonnathan Renaud-Badet, Hélène
Rousselot, Emmanuel Tronquart, Janine de Waard, Zaplangues
ADMINISTRATION - COMMERCIAL
Directrice administrative et financière Chantal Fangier (16 04). Assistantes :
Sophie Jan (16 99), Agnès Mangin. Contrôle de gestion : Stéphanie Davoust
(16 05). Comptabilité : 01 57 28 27 30, fax : 01 57 28 21 88
Relations extérieures Anne Thomass (responsable, 16 44), assistée de Kristine
Bergström (16 73)
Diffusion Le Monde SA ,80,bd Auguste-Blanqui,75013 Paris,tél.: 01 57 28 20 00.Directeur
commercial : Jean-Claude Harmignies. Responsable publications : Brigitte Billiard.
Marketing : Pascale Latour (01 46 46 16 90). Direction des ventes au numéro :
Hervé Bonnaud. Chef de produit : Jérôme Pons (01 57 28 33 78), fax : 01 57 28 21 40
Publicité Publicat, 17, boulevard Poissonnière, 75002 Paris, tél. : 01 40 39 13 13,
courriel : <[email protected]>. Directeur général adjoint : Henri-Jacques Noton. Directeur
de la publicité : Alexis Pezerat (14 01). Directrice adjointe : Lydie Spaccarotella
(14 05). Directrices de clientèle : Karine Epelde (13 46) ; Stéphanie Jordan (13 47) ;
Hedwige Thaler (14 07). Exécution : Géraldine Doyotte (01 41 34 83 97).
Publicité site Internet : i-Régie, 16-18, quai de Loire, 75019 Paris,
tél. : 01 53 38 46 63. Directeur de la publicité : Arthur Millet, <[email protected]>
❏ Je désire profiter de l’offre spéciale d’abonnement (52 numéros + 4 hors-séries),
au prix de 114 euros au lieu de 178 euros (prix de vente au numéro), soit près de 35 % d’économie. Je recevrai mes hors-séries au fur et à mesure de leur parution.
Je désire profiter uniquement de l’abonnement (52 numéros), au prix de 94 euros au lieu de
150 euros (prix de vente au numéro), soit près de 37 % d’économie. Tarif étudiant (sur justificatif) :
79,50 euros. (Pour l’Union européenne : 138 euros frais de port inclus /Autres pays : nous consulter.)
❏
ABONNEMENTS ET RÉASSORTS
Abonnements Tél. depuis la France : 0 825 000 778 ; de l’étranger :
33 (0)3 44 31 80 48.Fax : 03 44 57 56 93.Courriel : <[email protected]>
Adresse abonnements Courrier international, Service abonnements,
60646 Chantilly Cedex Commande d’anciens numéros Boutique du Monde,
80, bd Auguste-Blanqui, 75013 Paris. Tél. : 01 57 28 27 78 Modifications
de services ventes au numéro, réassorts Paris 0 805 05 01 47, province,
banlieue 0 805 05 0146
Courrier international
Libre réponse 41094
Voici mes coordonnées : Nom et prénom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
60731 SAINTE-GENEVIÈVE CEDEX
Adresse : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Pour joindre le service
abonnements, téléphonez
au 0 825 000 778
E-mail : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Date et signature obligatoires :
❑ Par chèque à l’ordre de Courrier international
❑ Par carte bancaire N°
Expire fin :
✂
Offre valable jusqu’au 31-12-2006. En application
de la loi du 6-1-1978, le droit d’accès et de rectification concernant les abonnés peut s’exercer auprès
du service abonnements. Ces informations pourront
être cédées à des organismes extérieurs sauf si vous
cochez la case ci-contre. ❐
Code postal : . . . . . . . . . . . . . Ville : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Téléphone : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Je choisis mon moyen de paiement :
mois
année
Cryptogramme
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
6
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
n° 828
Edité par Courrier international SA, société anonyme avec directoire
et conseil de surveillance au capital de 106 400 €
Actionnaire : Le Monde Publications internationales SA.
Directoire : Philippe Thureau-Dangin, président
et directeur de la publication ; Chantal Fangier
Conseil de surveillance : Jean-Marie Colombani, président, Fabrice Nora, vice-président
Dépôt légal : septembre 2006 - Commission paritaire n° 0707C82101
ISSN n° 1 154-516 X – Imprimé en France / Printed in France
60VZ1102
827p06
Courrier international (USPS 013-465) is published weekly by
Courrier international SA at 1320 route 9, Champlain N. Y. 12919.
Subscription price is 199 $ US per year. Periodicals postage paid
at Champlain N. Y. and at additional mailing offices. POSTMASTER:
send address changes to Courrier international, c/o Express Mag.,
P. O. BOX 2769, Plattsburgh, N. Y., U. S. A. 12901 - 0239. For further
information, call at 1 800 363-13-10.
Ce numéro comporte un encart Armani broché pour l’ensemble du tirage, un encart “Ulysse”
et un encart Faton jetés pour les abonnés.
709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13
12/09/06
19:47
Page 8
l’invité
ÉDITORIAL
Au-delà du cynisme
du marché
L E
D E S S I N
D E
L A
●
Imad Al-Asfar Amin, Ramallah
e gouvernement d’union nationale que nous savons tous que les écueils seront nombreux. Les
avons tant attendu comportera donc pour fonctionnaires mettront du temps avant de cesla première fois des membres du Hamas, du ser leurs grèves parce qu’ils ne veulent pas que
Fatah et d’autres groupes parlementaires. leurs revendications soient oubliées, ni ne veulent
Pour la première fois, les deux principaux confirmer l’accusation d’avoir mené des grèves
partis politiques palestiniens se sont mis purement politiques. Les réactions des têtes brûd’accord sur un programme. Pour la pre- lées du Hamas et du Fatah – à la base mais égamière fois, il n’y aura pas d’opposition forte ; lement parmi les dirigeants – risquent par ailleurs
le gouvernement représentera la totalité des élus d’être à la hauteur de leur déception. Ils pourraient
du peuple, la compétition entre les forces politiques exploiter n’importe quel incident pour provoquer
se fera autour d’un travail concret, au sein des ins- des tensions et avancer n’importe quel prétexte
titutions, plutôt que dans
pour venger les morts des
la rue au milieu des disderniers mois. Tous ceux
cours tonitruants, des sloqui se retrouveront frusgans équivoques et des ratrés dans leurs espoirs
fales de kalachnikovs.
ministériels abreuveront
La situation ne manquera
le gouvernement de cricertes pas d’inconvénients.
tiques, l’accuseront
L’absence d’opposition séd’avoir trahi les ministres
rieuse n’est pas quelque
enlevés par Israël et
chose de sain ; la reseront tentés de se servir
cherche permanente de
des branches militaires
compromis peut aboutir à
respectives du Hamas et
un blocage du processus
■ Correspondant permanent de la du Fatah pour leurs petits
télévision palestinienne à Ramallah, calculs factionnels.
de décision : le gouverneImad Al-Asfar collabore également Quant à Israël, il s’appliment risque de se diviser
au journal en ligne Amin, qui a publié quera à mettre des bâtons
et les députés peuvent être
cet éditorial, ainsi qu’à plusieurs dans les roues et fera tout
obligés d’avaler beaucoup
titres de la presse écrite palesti- pour remettre son soldat
de couleuvres au lieu de
nienne.
sur veiller efficacement
enlevé à la une des jourl’exécutif. Mais, face à la
naux. Il pourrait fermer les
peur d’une guerre civile, à la dégradation de l’éco- points de passage. Il jouera sur les contradictions
nomie, à la prise en otages de nos ministres et dé- internes du gouvernement en communiquant avec
putés emprisonnés dans les geôles de l’occupant tel ministre mais pas avec tel autre et en se coorisraélien, un gouvernement d’union nationale ap- donnant avec celui-ci mais pas avec celui-là. Le
paraît comme la seule solution possible. La ques- reste du monde examinera longuement le protion est de savoir s’il s’agit d’un choix stratégique gramme gouvernemental pour voir s’il remplit les
ou simplement d’un raccommodage temporaire trois conditions posées par la communauté interpermettant de passer un cap difficile et d’éviter da- nationale pour reprendre son aide, notamment la
vantage de grèves de fonctionnaires [leurs salaires reconnaissance d’Israël [les deux autres étant l’arn’ont pas été versés depuis des mois pour cause rêt des combats et le respect des accords signés
d’interruption des aides internationales à la suite par l’OLP, dont ceux d’Oslo].
de la victoire du Hamas aux élections législatives]. Et, si l’argent tarde à arriver ou si les négociations
S’ils ont tiré les leçons du passé, ceux qui com- s’enlisent, certains se précipiteront pour nous dire :
posent ce gouvernement savent qu’ils doivent impé- “Vous voyez, rien n’a vraiment changé.Vous nous avez
rativement réussir à se mettre d’accord sur une obligés à faire des concessions pour rien.” Les défis qui
ligne politique claire afin de pouvoir maintenir leur attendent ce prochain gouvernement sont innomcoalition même dans la pire des situations. Et nous brables. Que Dieu lui vienne en aide.
■
L
Un nouveau
défi pour
la Palestine
DR
L’heure est aux révisions idéologiques. Cinq ans après le 11 septembre, près de deux décennies
après la chute du mur de Berlin,
près de vingt-cinq ans après l’abandon (c’était en 1983) d’une politique économique de rupture en
France, la gauche se cherche toujours une ligne de
pensée et une ligne de conduite. On lira dans notre
dossier central quelques interventions, nouveaux
manifestes et espoirs qui parcourent la presse aux
Etats-Unis et en Europe. Que garder de l’Etat-providence des Trente Glorieuses ? Jusqu’où rendre
flexible le marché de l’emploi ? Comment faire passer la société avant le marché ? Comment assurer
la sécurité sans aller vers le tout-sécuritaire ? Voilà
des interrogations que l’on retrouve pratiquement
dans tous les débats sur ce qu’on appelle la “gauche
de gouvernement” (l’extrême gauche est peu présente dans notre dossier, nous y reviendrons dans
un prochain numéro). On s’aperçoit, en Italie, en
Slovaquie, mais aussi en France avec Ségolène
Royal, que les camps sont flous et que des idées
peuvent trouver à s’incarner à gauche ou à droite,
selon les circonstances.
Mais il y a des limites à la dérive de la gauche vers
la droite. Deux événements viennent de le démontrer. D’abord le probable congé donné par le Parti
travailliste à Tony Blair l’atlantiste. Ensuite, aux
Etats-Unis, la victoire assez inattendue cet été d’un
inconnu, Ned Lamont, sur le sénateur Joe Lieberman lors de la primaire interne au Parti démocrate.
Lieberman, souvenez-vous, était colistier d’Al Gore
lors de la présidentielle de 2000. Il est surtout le
meilleur partisan, avec Blair, de la politique de
George Bush en Irak. Or le businessman Ned
Lamont a précisément expliqué aux électeurs américains du Connecticut que cette guerre était une
aberration et jouait contre leurs intérêts. Sa victoire
fut d’ailleurs obtenue avec l’aide du réseau d’internautes militants Daily Kos (voir p. 48). Voilà
peut-être ce qu’on pourrait souhaiter au minimum
de la gauche : un retour à la politique, au-delà du
Philippe Thureau-Dangin
cynisme économique.
Benjamin Kanarek
828p08
S E M A I N E
et la FNAC Paris Forum
■ Un immense
champ de pétrole
a été découvert
dans le golfe
du Mexique.
Chevron, Statoil
et Devon vont
prochainement
commencer
à forer à quelque
8 600 mètres
de profondeur.
On estime que
ce champ abrite
de 3 milliards
à 15 milliards
de barils
de pétrole
et de gaz.
vous invitent à assister jeudi 21 septembre
à la prochaine rencontre REGARDS
CROISÉS
OLIVIER BLOND, chef de la
rubrique Sciences et technologie, et ses invités débattront du
thème “Les nouvelles technologies
et Internet” et répondront à
toutes vos questions.
Oncle Sam :“Je t’avais bien dit que je n’aurais pas besoin d’arrêter.”
Sur le journal : On a trouvé du pétrole près de chez nous !
Dessin de Signe Wilkinson paru dans Philadelphia Daily News, Etats-Unis.
Jeudi 21 septembre à 18 heures à la FNAC Forum des Halles
Espace rencontres, niveau 2 - 75001 Paris - Entrée libre
Chaque jour, retrouvez un nouveau dessin d’actualité sur www.courrierinternational.com
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
8
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13
709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13
709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13
709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13
828 p.13-15
12/09/06
18:30
Page 13
f ra n c e
DOSSIER
LA GAUCHE FRANÇAISE ?
CE N’EST PAS TOUT ROSE
■ Pour la presse étrangère, l’affaire
est entendue : l’opposition se réduit
au seul Parti socialiste. ■ Et de
celui-ci n’émerge qu’une figure
crédible, celle de Ségolène Royal.
Les socialistes spécialistes en autodestruction
L’université d’été de La Rochelle a montré l’infinie capacité des socialistes français à ruiner leurs chances
électorales, estime la chroniqueuse britannique Mary Dejevsky.
THE INDEPENDENT (extraits)
Londres
rganisée chaque année à
La Rochelle, l’université
d’été du Parti socialiste est
l’occasion pour la gauche
française de montrer à la fois
l e meilleur d’elle-même et ses pires
tendances autodestructrices.
Le meilleur, c’est cette efficacité et cet
égalitarisme qui lui permettent d’organiser un repas assis pour plusieurs
centaines de personnes, au cours
duquel tout le monde s’entretient chaleureusement avec tout le monde. Le
pire, c’est l’égocentrisme vachard dans
lequel les participants sombrent le reste
du temps. L’édition 2006 de l’université d’été du parti a en tout cas illustré
la capacité illimitée des socialistes français – jeunes et moins jeunes – à
réduire à néant leurs chances électorales, au moment où tout indique qu’ils
devraient avoir le vent en poupe.
Il y a onze ans, Lionel Jospin avait
réussi à se faire désigner par le PS
comme candidat à la présidentielle,
après des semaines d’âpres luttes intestines dans le prolongement d’un scandale lié au financement du parti. La
probité et l’austérité protestante de
M. Jospin lui avaient permis d’obtenir l’investiture, mais n’avaient pas
pour autant fait de lui un bon cheval. La France se laissa séduire par les
charmes plus manifestement gaulois
d’un Jacques Chirac.
Lors de la dernière présidentielle, en
2002, M. Jospin n’a même pas réussi
à se qualifier pour le second tour, un
échec dû tout à la fois à sa campagne
hésitante, à l’autosatisfaction de son
parti et au malaise général qu’éprouvent les Français face au monde
actuel. Aujourd’hui, à huit mois seulement de la présidentielle, les socialistes français semblent n’avoir pas tiré
la moindre leçon du passé. L’université d’été de La Rochelle était pourtant l’occasion d’afficher leur unité et
leur volonté de gagner. Elle aurait aussi
pu être l’occasion de passer élégamment le relais à une nouvelle génération. Quel meilleur endroit pour
témoigner publiquement du renouveau du parti que la dernière université d’été avant la campagne ? Bien
entendu, rien de tout cela ne s’est pro-
O
duit. M. Jospin est, pour une
fois, apparu très émotif, cherchant à tirer profit de sa responsabilité et de celle de son
parti dans la débâcle de 2002.
Il aurait pu se jeter dans l’arène
en se déclarant candidat à l’investiture, mais, une fois de
plus, il a refusé de lever le voile
sur ses intentions. Il a axé son
discours sur la fidélité – fidélité à l’identité de gauche du
parti. Mais il visait aussi
Ségolène Royal, de quatorze ans sa cadette, une
modernisatrice dynamique dans le style de
Tony Blair, qui a bien
moins d’inhibitions que
M. Jospin quand il s’agit
d’exprimer ses ambitions politiques. Mme Royal se met en avant
depuis plusieurs mois, plantant le
décor pour un duel parfait avec Nicolas Sarkozy, le modernisateur de la
droite, qui s’y entend tout autant
qu’elle en matière d’autopromotion.
Le processus de désignation du candidat sera compliqué des deux côtés
de l’échiquier politique, mais il le sera
Dessin de Sean
Mackaoui paru
dans El Mundo,
Madrid.
■
Voir aussi
Notre dossier
de une, pp. 42 à 51
doublement à gauche, du fait de ce que
l’on pourrait pudiquement qualifier de
“raisons personnelles”. François Hollande, compagnon de longue date de
Mme Royal et père de ses enfants, n’est
autre que le premier secrétaire du Parti
socialiste. Et, pour compléter ce triangle infernal, M. Hollande est, ou
était, réputé nourrir lui aussi des ambitions présidentielles.
Une chose est sûre, le rassemblement
socialiste n’a guère contribué à éclaircir l’avenir de la gauche française, il
l’a même plutôt obscurci. Après s’être
divisé sur la Constitution européenne,
le Parti socialiste est à présent scindé
en deux blocs, voire davantage. Et on
voit mal comment il peut éviter de se
déchirer un peu plus dans les
semaines à venir. Un duel qui opposerait M. Jospin et Mme Royal pour
l’investiture reviendrait à un affrontement classique entre traditionalistes
et modernisateurs. L’accueil chaleureux réservé à M. Jospin à La Rochelle
montre de quel côté pencheraient les
socialistes s’ils votaient avec leur cœur.
Mais la vraie question est de savoir
s’ils ont suffisamment envie de remporter les prochaines élections pour
se choisir un candidat modernisateur.
Et là, non seulement la réponse pourrait être différente de celle que le
Labour avait donnée à contrecœur à
Tony Blair [avant les législatives de
1997], mais elle pourrait aussi être
fondée sur ce qu’ils savent de l’expérience britannique. Mme Royal et
son entourage sont convaincus que la
Grande-Bretagne de M. Blair représente la réussite socio-économique de
la “troisième voie” que la France
pourrait devenir. Mais, à l’heure où
les taux de croissance français et britannique sont peut-être en train de
s’inverser, et où la Grande-Bretagne
est en disgrâce sur la scène internationale en raison de son engagement
en Irak, l’attrait du blairisme n’est plus
tout à fait ce qu’il était. En politique,
comme dans tant d’autres domaines,
la France et la Grande-Bretagne semblent curieusement condamnées à ne
pas être en phase.
Mary Dejevsky,
Retrouvez cet article en v.o.
page 57 dans Courrier in English
H É R I TA G E
Le parti encore malade de Mitterrand
Pour le très conservateur quotidien espagnol
ABC, le PS français est en crise depuis
le début des années 1980.
a crise que traverse le socialisme français
est la preuve que les problèmes non résolus à temps finissent par engendrer des maux
bien plus graves, qui peuvent même devenir
incurables. La candidature de Ségolène Royal,
portée par les remous des mouvements sociaux,
témoigne de ce parasite qui dévore les structures traditionnelles de son parti et de l’incapacité des socialistes à se mettre en phase avec
ce que pensent les franges de la société qu’ils
sont censés emmener derrière eux.
Royal est une personnalité politique vide d’idéologie, un pur produit marketing chargé de dire à
chacun ce qu’il a envie d’entendre, sans autre
objectif que de grappiller des voix, et qui n’a
guère de scrupules à proposer plusieurs solutions contradictoires au même problème. Il n’est
L
pas concevable qu’elle soit la personne dont la
France a besoin pour se lancer dans les
réformes qui lui sont nécessaires depuis plus
de trente ans. Même ses propres compagnons
de la vieille garde socialiste s’inquiètent de la
tournure que prend la candidature de la compagne du secrétaire général du parti.
Le socialisme de François Mitterrand semble
être l’un des principaux responsables des problèmes sociopolitiques français ; il est donc normal que l’expression politique de cette crise
touche particulièrement le PS. Les deux septennats mitterrandiens ont jeté les bases de la
décadence française. Le conservateur Jacques
Chirac, avec son “ni socialisme, ni libéralisme,
ni droite ni gauche”, n’a pas su sortir le pays
de la crise dans laquelle il est embourbé et n’a
pas non plus réussi à éviter que le mal ne se
propage à toute l’Europe. L’échec du référendum sur la Constitution européenne, dans lequel
les divergences fratricides des socialistes ont
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
13
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
joué un rôle déterminant et funeste, a bloqué le
programme institutionnel de l’Union. Il est donc
impératif qu’émerge de la prochaine élection
présidentielle un nouveau président doté d’une
véritable envergure politique et qui sache relancer le processus européen de réforme.
Mais rien ne pousse à se réjouir de la confusion dans laquelle est plongé le socialisme
français. Car, dans pareil système électoral,
cette situation n’a d’autre effet que de donner
des ailes au Front national, qui pourrait bien,
comme en 2002, être présent au second tour,
livrant à nouveau la société française à une
combinaison de traumatismes dont elle n’a
nullement besoin. C’est un risque que n’ignore
pas Lionel Jospin, qui, battu par Le Pen au premier tour de la présidentielle, avait abandonné
la politique, consterné par une telle humiliation. Il faut que les choses aillent bien mal pour
que Jospin décide de revenir afin de remettre
ABC, Madrid
Ségolène Royal à sa place.
709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13
828 p.13-15
12/09/06
18:31
Page 15
f ra n c e
DOSSIER
“De gauche”, “de droite”, ça n’existe plus !
Ségolène Royal en veston autoritaire, Nicolas Sarkozy en pardessus social : voilà à quoi
ressemble la campagne électorale française vue de l’autre côté de la Manche.
sciences politiques à l’université de
New York, a comparé les résultats de
différents types de leaders : le chasseur
(qui traque les électeurs selon un algorithme simple, du type “gagne-reste ;
perd-dégage”) ; l’obstiné (qui fait campagne sur un programme invariable) ;
et le rassembleur (qui reflète les préférences moyennes des partisans de
son parti). La catégorie des chasseurs
semble bien plus efficace pour remporter des élections que celle des obstinés ou des rassembleurs.
FINANCIAL TIMES (extraits)
Londres
a toute dernière mode en
provenance de Paris, c’est le
cross-dressing [travestissement] – du moins au sein de
la classe politique. Les candidats les
plus séduisants à l’élection présidentielle se pavanent actuellement sur les
podiums de la politique en se volant
mutuellement leurs oripeaux.
Ségolène Royal, la très glamour
prétendante à la candidature du Parti
socialiste, a revêtu la tenue qu’on associe traditionnellement à la droite avec
son discours sévère sur la loi et l’ordre.
Nicolas Sarkozy, le top-modèle de
l’UMP, a fait son petit effet dans ses
frusques socialistes – même s’il s’est
heureusement abstenu d’enfiler le
bikini turquoise de Mme Royal. Les
rivaux de Ségolène l’accusent déjà de
ne pas être une vraie socialiste, tandis que certains fans de M. Sarkozy
reprochent à leur poulain de trop insister sur le social par rapport à l’économie. Mme Royal et M. Sarkozy ne
sont pas, bien entendu, les premiers
responsables politiques à ne vouloir
dire que ce que les électeurs veulent
entendre. En 1848 déjà, Alexandre
Ledru-Rollin déclarait : “Voilà la foule.
Je suis son chef. Je dois la suivre.” Il n’en
reste pas moins qu’une telle flexibilité
idéologique a de quoi surprendre, à un
stade aussi précoce de la campagne
électorale.
M. Sarkozy et Mme Royal considèrent apparemment que les règles
traditionnelles ne s’appliquent plus.
Les électeurs en ont marre de leurs
dirigeants – comme le montrent la
montée en puissance des partis extrémistes et le rejet de la Constitution
européenne lors du référendum de
l’année dernière – et rêvent d’un style
politique différent. M. Sarkozy a tenté
de répondre à cette frustration en
appelant à une “rupture” avec les politiques ratées du passé (même s’il a
occupé deux ministères de premier
plan ces quatre dernières années).
Mme Royal affiche également une
volonté d’élargir le débat en abordant
volontiers des sujets du quotidien.
Tous deux font passer le pragmatisme
avant l’idéologie, les résultats avant
les promesses, la modernité avant la
tradition. Le blairisme est peut-être
à l’agonie en Grande-Bretagne, mais
son écho est encore vivace de l’autre
côté de la Manche.
A en juger par ce qu’ont vécu
d’autres démocraties, Mme Royal et
M. Sarkozy ont peut-être raison.
Comme le faisait remarquer lord Dahrendorf, le célèbre sociologue et politologue britannique, dans le journal
Les Echos la semaine dernière, l’ère des
systèmes politiques bipartites, avec ses
partis très marqués idéologiquement,
s’est achevée dans plusieurs démocra-
L
LES MODES PASSENT,
LE STYLE DEMEURE
Dessin de Mix
et Remix paru dans
L’Hebdo, Lausanne.
■
Éléphants
Pour la presse
internationale, la
campagne électorale
se résume au duel
entre Ségo et Sarko.
C’est à peine si les
noms des autres
candidats socialistes
apparaissent
dans ses colonnes.
Seuls les quotidiens
allemands s’en font
l’écho, mais
c’est pour mieux
railler le “retour
des vieux messieurs”
ou la “parade
des éléphants”.
ties occidentales à la suite de la disparition du prolétariat et de la bourgeoisie. Les sociétés les plus développées
se composent aujourd’hui d’une
immense classe moyenne, avec une
élite constituée de très riches au-dessus, et un sous-prolétariat pauvre très
loin en dessous. Les électeurs ne se
reconnaissent plus dans les partis de
classe et font leurs choix électoraux en
fonction de leur humeur, de facteurs
contingents, de sentiments et de ressentiments. Cette indécision les rend
particulièrement vulnérables aux populistes beaux parleurs, comme Silvio
Berlusconi en Italie.
Par ailleurs, d’après plusieurs chercheurs qui ont expérimenté des
modèles mathématiques pour déterminer les stratégies électorales les plus
efficaces au sein de groupes d’électeurs
choisis au hasard, la flexibilité est
aujourd’hui la clé du succès électoral. Michael Laver, qui enseigne les
Le paradoxe, fait cependant remarquer
M. Laver, c’est qu’une fois élus les
chasseurs ont beaucoup moins de probabilités de satisfaire leurs administrés parce que leur politique
demeure coincée au centre et donc forcément moins proche du citoyen
moyen que l’éventail des positions des
obstinés et des rassembleurs. Transposé dans le monde réel, cela signifie
que les populistes ne restent pas souvent populaires longtemps. Leur
volonté de dire aux électeurs ce qu’ils
veulent entendre coïncide rarement
avec une vision de ce qui doit être fait.
Les talents politiques nécessaires pour
se faire élire ne sont donc pas les
mêmes que ceux qu’il faut pour gouverner. L’homme – ou la femme – politique idéal est évidemment celui ou
celle qui sait associer adaptabilité tactique et objectifs stratégiques. Les électeurs français décideront dans sept
mois s’ils pensent que M. Sarkozy,
Mme Royal ou un autre candidat possède ces précieuses qualités. Car, s’il
est une chose que les Français savent
bien, c’est que les modes passent et que
seul le style demeure. John Thornhill
À LA UNE
Seule contre tous
■ Ségolène Royal “fait clairement
cavalier seul dans cette campagne, en grande partie parce que
c’est une femme”, affirme Time,
qui consacre cette semaine la une
de son édition européenne à la
candidate à l’investiture socialiste. L’hebdomadaire s’amuse au
passage de la complexité des
questions posées aux prétendants
socialistes lors de l’université
d’été du PS – “Doit-on trouver un
nouvel équilibre entre le travail et
le capital ? L’Amérique latine représente-t-elle le nouvel horizon
du socialisme ?” – en rappelant
que Mme Royal “n’a pas pris la peine d’y répondre”. Time la prend
comme prétexte pour souligner la
situation contrastée que la France réserve à la gent féminine.
sitif. Mais le pays est plus apte à
honorer ses femmes qu’à leur permettre d’accéder au pouvoir. Le
magazine rappelle, entre autres,
le droit de vote obtenu seulement
en 1944 et la faible représentation féminine (12 %) à l’Assemblée nationale malgré la loi sur la
parité. Il égratigne au passage “les
dinosaures du PS” qui s’acharnent à mettre des bâtons dans
les roues de Ségolène Royal. “Tôt
ou tard, les machos grisonnants
du Parti socialiste français vont
bien devoir reconnaître que l’on
peut être femme sans être faible.”
“Dans aucun autre pays européen, mis à part en Scandinavie,
les femmes ne sont aussi nombreuses à travailler que dans
l’Hexagone.” Ça, c’est pour le po-
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
15
En couverture : Ségolène Royal
secoue la France.“Pourquoi faudraitil être triste, laide et ennuyeuse pour
faire de la politique ?”
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
MODÈLE
La Grèce louche
vers l’Hexagone
t si les élections françaises de
2007 influençaient une fois encore le choix des Grecs en
2008 ? Si la campagne électorale commence aujourd’hui en France, chez les
Grecs, elle n’a pas cessé depuis le dernier scrutin présidentiel, en mars 2004,
et tant le gouvernement que l’oppos i tion préparent les élections de
mars 2008, qui pourraient être avancées au mois de novembre 2007. Dans
l’Hexagone, la gauche revient résolument sur le devant de la scène. Le Parti socialiste s’est même enrichi de nouveaux visages, comme celui de Ségolène Royal. Elle n’a peut-être pas
encore été désignée comme candidate du PS, mais elle incarne déjà une
nouvelle gauche qui va certainement
franchir les frontières hexagonales. Face
à la pléthore des candidats habituels,
comme Lionel Jospin, Dominique
Strauss-Kahn ou Jack Lang, personne
n’a vu arriver Ségolène. Mais c’est elle
qui fait aujourd’hui de l’ombre à Nicolas Sarkozy qui se voulait le chantre
du renouveau dans cette campagne. A
présent, c’est plutôt Ségolène qui incarne le renouveau d’une gauche assoupie, et elle n’a pas peur de se faire
des ennemis dans son propre parti en
faisant le ménage. C’est justement ce
qui attire tant les socialistes grecs.
L’Histoire a souvent prouvé que le
choix électoral des Français influençait celui des Grecs, notamment au
moment des grands tournants politiques. Ainsi, quelques mois à peine
après l’élection de François Mitterrand
en 1981, c’est le socialiste Andréas
Papandréou qui était élu à son tour à
Athènes et le socialisme s’est installé
pendant vingt ans en Grèce. Mais
depuis l’arrivée des conservateurs au
pouvoir en 2004, la gauche grecque
peine à reprendre du poil de la bête.
On reproche au chef de l’opposition
Georges Papandréou [petit-fils du précité], de ne pas avoir de charisme et de
ne pas avoir restructuré le parti en le
débarrassant des seniors qui ont causé
la désaffection des électeurs. Pourtant
Georges Papandréou a, comme Ségolène Royal, toutes les cartes en main
pour donner une image moderne du
parti. Ministre des Affaires étrangères
sous le gouvernement Simítis, il était
le seul à se rendre en réunion avec son
ordinateur portable et l’un des rares à
opter pour de nouvelles méthodes de
communication avec les médias. Mais
Georges Papandréou n’a pas la popularité de Ségolène Royal et celle-ci n’a
pas encore été nommée candidate du
Parti socialiste français, et encore moins
élue à la tête du pays. Avec ou sans
Ségolène Royal, si les socialistes français remportent les élections, Papandréou aura-t-il une chance ? Il est trop
tôt pour le dire, mais une chose est
sûre : le résultat des élections en France
sera très suivi et certainement très utilisé en Grèce.
Gioula Zahioti, Eleftherotypia, Athènes
E
828p16
12/09/06
19:09
Page 16
e u ro p e
●
R O YAU M E - U N I
Tony Blair, l’optimiste trahi par la réalité
Contesté par une partie croissante du Labour, le Premier ministre britannique a annoncé qu’il quitterait le
pouvoir d’ici un an. Le prix à payer pour une politique qui n’aura pas été à la hauteur de ses ambitions.
THE GUARDIAN (extraits)
énonce la longue liste des réalisations
les plus sociales-démocrates de son
gouvernement : “Tous les salariés ont
droit aux congés payés, les parents peuvent prendre des jours pour gérer des problèmes familiaux… L’allocation maternité a doublé… Sept millions de familles
bénéficient de la plus importante augmentation des allocations jamais enregistrée en Grande-Bretagne.” A la lecture de chacun de ces exploits, Gordon
Brown, impassible, se tourne vers son
voisin et lâche : “Il était contre !”
Londres
e projet de tournée d’adieu
du Premier ministre
– dépeint dans le désormais
légendaire “mémo de
Downing Street” [rédigé par des
conseillers de Tony Blair et révélé le
5 septembre par le Daily Mirror] et
qui prévoyait que le Premier ministre
se servirait de tout, des transports, de
l’architecture, des émissions pour
enfants et de [l’animateur télé] Chris
Evans pour asseoir définitivement le
“triomphe du blairisme” – masquait un
objectif bien précis. Aussi délirants
que ces plans aient pu paraître, ils se
fondaient au moins en partie sur
l’idée qu’il fallait ressusciter quelque
chose qui a déjà eu lieu.
“Il lui faut de grands espaces, les arts,
les entreprises, expliquait le document.
On doit le voir avec des gens qui étonneront… Dans tout ce qu’il fera, il devra
glisser des références reflétant son énergie
et son enthousiasme”. Les médias s’en
sont donné à cœur joie, mais ils sont
passés à côté du fait que nous avons
déjà connu tout ça, et que ça avait
d’ailleurs marché. C’était en 1997,
quand Blair s’affirmait dans le mirage
de la cool Britannia, et qu’il débordait
tellement d’orgueil qu’il avait lancé
cette affirmation : “Le New Labour
n’est rien de moins que le bras politique
de l’ensemble du peuple britannique.”
L
LE PAYS A AUJOURD’HUI L’AIR
VIEUX ET GRINCHEUX
Assertion onirique que l’on retrouve
dans le manifeste travailliste de cette
année-là, un texte épuré et truffé de
photographies du Grand Timonier en
compagnie de personnalités de premier plan : Blair et Mandela, Blair
et Clinton, Blair et Alex Ferguson,
Blair et John Prescott (à l’époque,
c’était encore une bonne idée). Le but
en était l’avènement d’une nation qui
“n’entrerait pas dans le nouveau millénaire en ayant peur de l’avenir, mais
d’un pas fier et confiant”.
Bien sûr, il est rare qu’une rhétorique aussi boursouflée se réalise.
Blair n’y a pas échappé. Le pays n’est
peut-être plus déchiré entre la droite
et la gauche, mais l’ambition, l’idéalisme et l’unité semblent être autant
d’espoirs perdus. Pour ne rien dire
du terrorisme et de ses conséquences,
comme l’émiettement du multiculturalisme autrefois au cœur du scintillement bariolé de la cool Britannia.
Et il y a aussi toutes ces abominables
menaces qui rôderaient à tous les
coins de rue : les immigrés illégaux,
les sauvageons, les mères célibataires
dont les poussettes, nous laisse-t-on
entendre, pourraient bien abriter des
assassins en devenir. Il suffit de feuilleter la presse à scandales pour se dire
QUE GARDERA L’HISTOIRE
DE CES DIX DERNIÈRES ANNÉES ?
Dessin de JAS
paru dans The Daily
Telegraph, Londres.
■
A la une
“Le combat final”
titrait The
Independent, le jour
où Tony Blair cédait
à Gordon Brown et
annonçait son
départ d’ici un an.
que la Grande-Bretagne ne fait pas
particulièrement jeune. Elle a plutôt
l’air vieille et grincheuse, regorgeant
de tensions que la bouffée d’optimisme du milieu des années 1990 a
seulement dissimulées sous une
couche de vernis. On comprend pourquoi le Premier ministre veut un dernier sursaut de relations publiques.
Le dernier congrès travailliste de
Blair aura lieu à Manchester [du 24
au 28 septembre], ce qui est peut-être
approprié. Modèle de renaissance
urbaine et de renouveau de la fierté
citoyenne, la ville est dirigée par un
conseil municipal travailliste qui met
un point d’honneur à rappeler que la
ville a joué un rôle de pionnier dans
la politique de “respect”. Conséquence d’un recours massif aux
“ordonnances de comportement anti-
social” [anti-social behaviour order
(ASBO), un type de procès-verbal
interdisant à une personne connue
pour un comportement de ce genre
d’effectuer telle ou telle action,
comme porter une arme ou s’approcher d’un lieu déterminé], Manchester est désormais “la capitale britannique des ASBO”.
Tony Blair a sa part de responsabilité dans le torpillage des réussites de son gouvernement. En 2003,
l’universitaire Stuart Hall a accouché de l’idée du “double jeu” du New
Labour. Selon lui, on trouve, “en parallèle à un alignement sinistre sur le monde
des affaires, un autre programme subalterne, plus social-démocrate, qu’il gère
en même temps”. Une anecdote apocryphe illustre parfaitement cela. Lors
du congrès travailliste de 1999, Blair
DUEL
Gordon Brown n’a pas encore mérité le pouvoir
■ D’un côté, Gordon Brown, le chancelier de l’Echiquier qui estime que l’heure est venue pour le Premier ministre de lui céder la place comme promis ;
de l’autre, Tony Blair, qui aurait souhaité choisir
le moment où il quitterait le pouvoir. “L’assassin et le canard boiteux”, résume The Daily Telegraph à la fin d’une semaine qui a vu le chef du
gouvernement accuser son ministre le plus important de “chantage” avant d’annoncer son départ
dans l’année à venir. “Si nous n’avions pas un Premier ministre boiteux, nous l’avons désormais,
écrit le quotidien conser vateur. Un dirigeant de
valeur aurait relevé le défi de M. Brown et l’aurait
invité à quitter le gouvernement. Que M. Blair ait
été incapable de le faire témoigne amplement du
déclin de son pouvoir.” “Le comportement du chancelier, lui, a été honteux et augure mal du futur s’il
devait un jour devenir Premier ministre”, ajoute
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
The Daily Telegraph, qui estime que Gordon Brown
“a brandi la dague contre son chef, et l’histoire
indique qu’en politique, l’assassin conquiert rarement la couronne”.
En attendant le départ de Tony Blair, que la plupart
des observateurs annoncent pour juste avant les
élections locales de mai 2007, “aucun politicien
n’est en mesure de contenir la venimeuse querelle
qui s’est emparée du Labour”, remarque The Independent. En échange de l’annonce du départ du
Premier ministre, Brown a finalement accepté le
principe d’une élection interne au Labour. Le
ministre de l’Intérieur John Reid et surtout celui de
l’Education Alan Johnson pourrait contester ses
ambitions. Brown pourrait-il perdre ? “Très improbable”, estime The Guardian, qui prévient des dangers qui guettent le Labour : “Ne sous-estimez
jamais les passions déchaînées du schisme”.
16
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
Malheureusement, le New Labour
est tributaire de la règle postthatchérienne qui veut qu’un gouvernement
soit toujours en mouvement. Craignant tellement que le New Labour
ne succombe au sort terrible d’une
apparente suffisance, Blair et ses alliés
n’en finissent plus de développer une
politique de contradiction désespérée. Nos services publics ne se sont
jamais si bien portés, mais ils ont
besoin d’être réformés en profondeur.
Nos jeunes sont admirés pour leur
réussite record aux examens, puis
qualifiés de voyous incarnant une
menace d’une exceptionnelle modernité. Dans l’ensemble, le taux de criminalité est stable, les homicides ont
progressé de 1 % par an depuis vingt
ans, cambriolages et vols de voitures
ont chuté, et pourtant le ministre de
l’Intérieur nous annonce l’urgence
d’un nouveau tour de vis. Pour
chaque prétendu triomphe, il y a un
échec supposé. Si le bilan de Blair
nous semble si flou, c’est peut-être
parce que Blair lui-même ne sait plus
où il en est.
Et – mais est-il utile de le rappeler ? – il y a l’Irak, cet horrible exemple
de l’ambition blairiste d’atteindre des
objectifs progressistes par les moyens
les plus impensables. Il faudra sans
doute des années pour effacer les effets
insidieux de la guerre sur les relations
entre gouvernement et population.
Quel espoir peut-on nourrir à vanter
ses propres mérites en matière de santé
et d’éducation, quand tant de gens
pensent qu’ils sont dirigés par un menteur chronique ?
“Il doit s’en aller en laissant les foules
sur leur faim”, faisait miroiter l’un des
passages les plus cités du mémo de
Downing Street. “Il doit être la vedette
qui ne jouera pas le dernier rappel.” En
février ou en mai, ou en septembre de
l’an prochain, on voit mal qui pourrait constituer ces foules rêvées. Ils
seront bien quelques-uns, peut-être,
mais pas de quoi faire une fanfare.
Blair risque fort de partir très discrètement, en se demandant si l’Histoire
gardera des dix dernières années un
souvenir plus précis que le sien.
John Harris
828p17
11/09/06
20:18
Page 17
e u ro p e
ALLEMAGNE
Berlin, ville “pauvre mais sexy”
Klaus Wowereit, le très populaire maire social-démocrate de la capitale allemande, s’apprête à remporter
une nouvelle victoire le 17 septembre et à reconduire sa coalition de gauche. Portrait.
Klaus Wowereit.
Dessin paru dans
Die Welt, Berlin.
WELT AM SONNTAG (extraits)
Berlin
uel teint resplendissant ! En
pleine grisaille de septembre,
par-dessus le marché. Et au
beau milieu d’une campagne
électorale. Il faut le dire en toute
franchise : face à Klaus Wowereit, la
concurrence* fait pâle figure.
Mardi, début de soirée. “Wowi” fait
campagne dans le quartier de Schöneweide. Il fait 16 degrés dehors, le
vent souffle et s’engouffre dans les drapeaux rouges du stand du SPD [Parti
social-démocrate], à le faire vaciller.
Une centaine de Berlinois ont fait le
déplacement. Par ce temps, c’est un
signe – d’autant que Schöneweide se
trouve dans l’est de la capitale, une
terre d’élection du PDS [héritier du
Parti communiste d’ex-RDA, refondu
en parti de gauche avec l’arrivée d’une
fraction de gauche des sociaux-démocrates]. Aujourd’hui, les affiches du
NPD et des républicains [partis néonazis] qui fleurissent dans les rues ne
laissent planer aucun doute : il y en a
d’autres qui espèrent aussi obtenir des
voix aux élections du 17 septembre.
“Wowi” porte un costume bleu
marine, une chemise à carreaux bleu
ciel, une cravate rouge et arbore son
insolent sourire, conquérant et impertinent. “Il est toujours si élégant”, s’extasie une femme aux cheveux grisonnants et aux dents clairsemées. Elle se
fraie un chemin à travers la rangée de
gardes du corps et lui tend un papier
pour un autographe. “Il y en a un à la
Q
■
radio qui essaie de m’imiter”, glisse
Wowereit pendant qu’il signe l’autographe. Il lui rend son papier. “Mais il
n’y arrive pas. Personne n’y arrive”,
poursuit-il. Il déborde de confiance en
lui. Pris tous ensemble, les gens en
jeans et baskets qui l’entourent n’en
ont probablement pas autant.
A Berlin, personne ou presque ne
doute de la réélection de Klaus Wowereit. Si les élections se déroulent
comme le prévoient les sondages [voir
ci-contre], la coalition de gauche sera
reconduite pour un deuxième mandat.
Sondages
Depuis des
semaines,
les sondages
accordent
invariablement
au SPD 32 % ou
33 % des intentions
de vote. Le Parti
de gauche, son
partenaire de
coalition à la tête
de la mairie de
Berlin, se maintient
solidement
à 15-16 %. La CDU
atteint le plus
souvent 21-22 %,
les Verts tournent
autour de 14 % et
les libéraux du FDP
arrivent à 9 %.
Fort de sa
popularité, Klaus
Wowereit envisage
d’entrer dans
les instances
dirigeantes du SPD.
Ce n’est plus le soutien des électeurs
qui inquiète Klaus Wowereit et son
équipe, mais la crainte que beaucoup
jugent inutile de se rendre aux urnes.
C’est pourquoi ces sorties à Schöneweide, Marzahn ou Friedrichshain
[quartiers de l’Est berlinois] sont
importantes. “Retentez votre chance !”
conseille Klaus Wowereit à une jeune
femme dont la demande d’aide sociale
a été refusée. “Déposez un nouveau dossier”, répète-t-il. Elle s’éclipse, l’air
contrit. Il sourit.
UN TAUX DE CHÔMAGE DE 10%
ET 60 MILLIARDS DE DETTES
Le maire de Berlin veut répandre l’optimisme. Il aime sa ville mais il sait
qu’elle est sacrément mal en point.
C’est pour cela qu’il a inventé le slogan “Pauvre, mais sexy”. Il reprend
ainsi une tendance de la culture pop
qui fait de la décadence un mode de
vie. Plus de 40 % des 3,4 millions de
Berlinois vivent aujourd’hui d’aides
publiques, 290 000 d’entre eux sont
au chômage, soit environ 10 % de la
population. S’ajoutent à ce chiffre
35 000 titulaires d’emplois payés
1 euro de l’heure et 60 000 bas salaires.
La ville elle-même compte 60 milliards
d’euros de dettes, soit presque
18 000 euros par tête d’habitant, en
comptant les vieillards et les nourrissons. Une ville aussi mal en point a
peut-être besoin de quelqu’un comme
Klaus Wowereit : parti de rien, il s’est
retrouvé en couverture du magazine
Time. Sa mère faisait des ménages pour
élever ses cinq enfants. L’actuel maire
de Berlin est le dernier de la fratrie,
et le seul à avoir poursuivi des études.
Il a vu son père pour la première fois
à 12 ans. Quand, comme lui, on a dû
se battre pour exister face à ses grands
frères, on a appris très jeune à s’en sortir.Tous ses collaborateurs socialistes
sans exception ne tarissent pas d’éloges
à son égard. “J’ai toujours pu compter
sur lui”, affirme Thomas Flierl, chargé
de la science et de la culture, dont la
conception de la culture est très différente de celle du maire. Pour tous,
Wowereit est un vrai dirigeant : “Il sait
être un chef. C’est vraiment quelqu’un.”
Le “quelqu’un” en question est
citoyen d’honneur de la ville de Buenos Aires et commandeur de la Légion
d’honneur. En 2004, un magazine
branché de Cologne l’a élu “homo de
l’année”.Wouah ! En politique, c’est
tout sauf un idéologue. Son alliance
avec le Parti de gauche est purement
pragmatique. Cela lui a permis de
séduire l’est de la ville et de pouvoir
compter aveuglément sur les socialistes.
Avec Harald Wolf, chargé de l’économie dans l’équipe municipale, ils forment les piliers de la coalition.
Le succès de Wowereit ne serait pas
pensable sans l’existence d’un réseau
de personnes de confiance. Ils ne sont
pas nombreux, mais ils disposent tous
de bonnes relations au siège du SPD.
Et là aussi on l’aime, cette star de la
politique.
Günther Lachmann
* Allusion au manque de charisme du
candidat de la CDU (Union chrétiennedémocrate), Friedbert Pflüger.
AUTRICHE
Vers une grande coalition viennoise ?
La multiplicité des petits partis aux
élections législatives du 1er octobre
pourrait permettre aux deux grands
de dominer à nouveau la vie politique.
n le connaît surtout à cause du bal de
l’opéra et on est un peu troublé de voir
subitement surgir son portrait sur les affiches
de campagne : Thomas Schäfer-Elmayer, le
gentleman de la nation, le spécialiste du
savoir-vivre qui, chaque année en février,
ouvre le bal le plus prestigieux de la métropole danubienne avec son école de danse,
présente sur fond rouge-blanc-rouge [les couleurs du drapeau autrichien] son programme
électoral : “Pour plus de style et de correction dans notre pays”.
Cet appel quelque peu vieille mode ne devrait guère avoir d’impact sur le scrutin national du 1er octobre et cette candidature
risque de ne pas peser plus lourd qu’une
plume dans la balance. Il s’agit pourtant d’un
solo symptomatique de la présence des petits partis, qui dans cette campagne donnent du fil à retordre aux deux grands – le
Parti social-démocrate [SPÖ, dirigé par Al-
O
fred Gusenbauer], dans l’oplions aux demandeurs
position, et le Parti du peuple
d’asile”. Dans cette guerre
autrichien [ÖVP, de tendance
fratricide, Strache a réussi à
chrétienne-démocrate], du
marquer des points sur son
chancelier Wolfgang Schüsrival. Mais ce qui fragilise ensel. Juste à côté du souriant
core plus ce dernier, c’est la
professeur de danse, deux encandidature du singulièrenemis jurés, les visages calés
ment critique député eurodans le coin droit de leurs afpéen Hans-Peter Martin, qui
fiches, ne cachent pas leur encible lui aussi les électeurs
vie d’en découdre : Peter Wesprotestataires et affaiblit le
tenthaler, le chef de l’Alliance
par ti de Haider au point de
pour le futur de l’Autriche
rendre incertaine son entrée
[BZÖ, le nouveau parti de Jörg
au Parlement. Les deux
■ A la une
Haider], et Heinz-Christian
grands partis vont d’ailleurs
“Campagne brutale”, titre
Strache, le président du Parti
eux aussi y laisser des
l’hebdomadaire News. A la
libéral [FPÖ, l’ancien parti de
plumes. Martin pourrait pasmanière de Zidane, le chef
Haider], ne sont pas entrés
ser la barre des 4 % [qui perde l’opposition Gusenbauer
en piste en queue-de-pie,
met d’être représenté sur les
(SPÖ) donne un coup de tête
mais en tenue de boxe. Et ils
bancs du Nationalrat, l’Asau chancelier Schüssel (ÖVP).
distribuent les coups bas.
semblée nationale]. A cela
Strache, avec son regard bleu azur, assène
s’ajoute, comme une curiosité politique,
ses rimes pour défendre la patrie “plutôt
l’entrée des communistes [KPÖ] dans la baque Schüssel et Bruxelles”, une politique
taille, même s’ils n’ont aucune chance de
sociale “plutôt que brutale” et des retraites
réussir mieux qu’en 2002 [0,56 %]. De toute
assurées “plutôt que l’attribution de milévidence, le chancelier ne croit plus à l’ave-
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
17
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
nir politique de son problématique partenaire
et sait que sa coalition noir-orange [ÖVP-BZÖ]
n’est plus que de pure forme. Schüssel,
qui tenait des propos bien différents en
d’autres temps, n’a plus que mépris pour
“ce quelqu’un”, dont il ne prononce plus le
nom [Westenthaler].
Que les Ver ts autrichiens, également en
campagne, veuillent entrer dans le prochain
gouvernement n’est un secret pour personne. Ils visent la troisième place. Leur
chef de file, Alexander Van der Bellen, est
la personnalité politique la plus populaire
dans les sondages. Les sociaux-démocrates
seraient disposés à constituer une coalition
avec eux tout autant qu’avec les chrétiensdémocrates du chancelier Schüssel. Mais
les petits partis en lice pourraient bien les
faire échouer. Si tous (hormis les communistes) entrent au Parlement, il est fort probable que les deux grands partis forment
ensemble une coalition. Une solution qui
est certes la plus prisée par les électeurs
dans les sondages, mais qui serait un
désastre politique pour les Verts.
Neue Zürcher Zeitung (extraits), Zurich
828p18
11/09/06
20:05
Page 18
e u ro p e
RUSSIE
Le planning familial ? Pas de ça chez nous
Malgré la baisse de la fertilité due aux avortements répétés et la menace du sida, l’information sur la
contraception et les préservatifs est quasi nulle. La désinformation prévaut pour satisfaire les milieux nationalistes.
OGONIOK
Moscou
ujourd’hui, en Russie,
sept grossesses sur dix se
termineraient par un avortement. Depuis que Vladimir Poutine a consacré une allocution
au problème démographique, en
annonçant des mesures financières
pour encourager la natalité, tout le
monde semble s’être intéressé au faible
taux de natalité du pays [10 pour 1 000
en 2005, contre 14 pour 1 000 aux
Etats-Unis]. Cependant, on oublie de
citer l’une des causes principales de ce
fléchissement, à savoir le nombre élevé
d’avortements, qui empêcheraient les
femmes, par la suite, d’avoir beaucoup
d’enfants. La Russie occupe en effet
le deuxième rang mondial après la
Roumanie pour le taux des avortements et le premier pour l’âge auquel
ils sont pratiqués, celui de l’adolescence, ce qui n’est pas sans conséquences désastreuses sur la fertilité
future de la jeune fille.
Pour éviter le recours massif à
l’avortement, il faudrait que plus de
70 % des femmes se protègent de manière moderne, explique l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Or
les décomptes les plus optimistes établissent que seules 20 à 25 % des
femmes russes prennent des précautions. Cette situation s’explique par
l’histoire chaotique de la contraception
en Russie. Au début des années 1980,
lorsque l’URSS a vu apparaître des pilules contraceptives à peu près correctes, le ministère de la Santé était
persuadé que, compte tenu du faible
niveau d’éducation sexuelle de la population, la diffusion de la pilule allait entraîner une propagation catastrophique des maladies vénériennes et
A
Dessin
de Kopelnitsky,
Etats-Unis.
une dépravation généralisée. C’est ainsi que les directives du ministère ont
interdit aux médecins de la prescrire
en tant que contraceptif. A la fin de
la décennie, l’ampleur de la tragédie
des avortements était devenue irréfutable et le sida commençait à faire des ravages. En 1991, l’Association
russe de planning familial a vu le jour.
“Le budget prévisionnel soviétique pour
1992 devait consacrer d’énormes
moyens à la lutte contre le sida, en
mettant notamment l’accent sur
la contraception. Mais, lors de
l’effondrement du régime, en
1991, on s’est aperçu que les
caisses étaient vides”, se souvient Vadim Pokrovski, directeur du Centre scientifique fédéral de prévention et de lutte
contre le sida. La situation
a commencé à changer,
en 1993, avec l’élection
d’un Parlement relativement libéral. Cela a permis de créer un Prog ra m m e f é d é r a l d e
planning familial, avec
un réseau de centres locaux et un travail sur les
manuels scolaires afin que
soient enseignées les bases de
l’éducation sexuelle. La presse a aussi publié une quantité sans précédent
d’articles sur les conséquences négatives des avortements et les bienfaits
de la contraception hormonale,
contribuant à favoriser l’usage de la
contraception moderne. Mais, comme
cela arrive souvent, les scientifiques ont
été dépassés par les politiques. Les
conservateurs, qui avaient, dès 1992,
accusé les démocrates de dépeupler la
Russie, n’attendaient qu’une nouvelle
preuve d’une “conspiration internationale” [visant à affaiblir la Russie].
En 1997, même les médias libéraux
ont fini par parler de “dépravation des
enfants russes”, et les auteurs d’un projet d’éducation sexuelle à l’école ont
été convoqués devant les juges. Cette
même année, le ministère de l’Education a cessé les campagnes d’information sur la contraception. A
l’automne, à l’initiative du LDPR
[parti de Vladimir Jirinovski, populiste et nationaliste] et du Parti communiste, le financement du Programme fédéral de planning familial
fut supprimé du budget 1998. Outrée, la députée Ekaterina Lakhova,
qui est aussi médecin, avait lancé à
ses homologues qu’ils venaient de
condamner à mort 148 femmes, car
tel était le nombre moyen de décès
annuels dus à des avortements. L’argument n’a eu aucun effet.
EN RUSSIE, LES PRÉSERVATIFS
NE SERAIENT PAS EFFICACES
Depuis près de dix ans, l’Etat russe ne
donne plus un sou pour encourager la
contraception. En 2002, Iouri Altoukhov, directeur de l’Institut de génétique de l’Académie des sciences russe,
a d’ailleurs appelé les dirigeants à interdire les activités de l’Association de
planning familial russe, sous prétexte
que la limitation des naissances “porte
atteinte au fonds génétique national”. Le
père Andreï Kouraev a déclaré, en
2005, que nous n’avions pas besoin
d’organismes faisant la propagande du
contrôle des naissances compte tenu
de la situation démographique russe.
La nouvelle loi sur les organisations
non gouvernementales (ONG), adoptée en janvier 2006, permet désormais
de faire fermer tout et n’importe quoi,
même si, pour l’instant, l’Association
de planning familial et plusieurs ONG
médicales continuent à fonctionner
comme avant [la loi complique l’obtention de financements étrangers].
Toutefois, personne ne sait si cela va
durer. Par ailleurs, ceux qui voudraient
développer des pratiques sexuelles sans
risques sont de plus en plus pris pour
cible. A Novossibirsk, des fidèles ont
exigé que la ville soit débarrassée des
publicités pour les préservatifs, tandis qu’à Moscou la mairie a lancé une
campagne de discrédit des préservatifs
avec le slogan “L’amour sans danger
n’existe pas”. Au printemps 2006,
l’Union eurasienne de la jeunesse et
d’autres organisations du même genre
se sont rassemblées à Saint-Pétersbourg contre le planning familial, en
scandant : “Pas de ça en Russie !”
La mobilisation contre la prévention est aussi présente dans les manuels
scolaires. On tente comme on peut de
faire peur aux adolescents. Le livre de
classe de biologie de huitième [pour
les jeunes de 14 ans, équivalent de la
classe de troisième en France] exige
que les enseignants parlent aux élèves
“moins des moyens de contraception que
de leur manque de fiabilité”. On suggère
à ces adolescents que le préservatif
n’est pas efficace. “Les médecins estiment que les virus sont si minuscules
qu’ils peuvent traverser le caoutchouc.
Ainsi, le danger de contamination est proportionnel à la quantité et à la fréquence
de rapports sexuels”, peut-on notamment lire. C’est évidemment un mensonge. Les virus ne traversent pas le
latex, et ce n’est pas la quantité de rapports qui est dangereuse, mais le fait
de changer souvent de partenaire.
Quant aux avortements et à leurs
conséquences, les manuels n’en disent
presque rien. A quoi bon ? Quand les
adolescents grandiront, ils verront bien
par eux-mêmes…
Boris Gordon et Vladimir Tikhomirov
BULGARIE-ROUMANIE
Entrer dans l’UE, mais avec dignité
Bruxelles, comme à Sofia et à Bucarest,
la tension est montée d’un cran après
que le Financial Times a révélé, le 5 septembre, que l’entrée dans l’UE de la Bulgarie et de la Roumanie était bien prévue
pour le début de l’année 2007, mais assortie de “conditions d’une sévérité sans précédent”. “A vrai dire, la Roumanie n’était
pas suffisamment préparée”, reconnaît le
quotidien Ziua, de Bucarest, pour qui le pire,
à savoir “le report d’un an, une mesure qui
aurait ralenti les réformes”, a ainsi été évité
aux Roumains.
Le ton de la presse bulgare est beaucoup
moins conciliant. Les journaux de Sofia rappellent que, alors que Bucarest n’est menacé
“que” de clauses de sauvegarde dans le
domaine de l’agriculture, le gouvernement
bulgare est accusé de ne pas avoir été en
A
mesure de juguler la criminalité organisée
ainsi que la corruption, endémique à tous
les niveaux de la société. “Puisque nous ne
pouvons ou ne voulons pas attaquer de
front ces fléaux, Bruxelles a décidé de
prendre les choses en main en imposant
à la Bulgarie une adhésion au rabais”,
estime l’hebdomadaire Sega. Placée sous
“sur veillance très stricte”, menacée de
sanctions financières, voire d’exclusion des
instances judiciaires communautaires, la
Bulgarie risque de se transformer en une
sor te de “protectorat de l’UE”, s’insurge
Sega. “Tout cela parce que nous avons
prouvé à plusieurs reprises notre incapacité
à nous gérer nous-mêmes”, poursuit l’hebdomadaire, qui fustige “l’optimisme déplacé”
des dirigeants bulgares sur la question de
l’adhésion européenne. De passage à
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
Bruxelles, le 7 septembre, le Premier
ministre bulgare, Sergueï Stanichev, a tenté
de minimiser la por tée des conditions
posées par l’UE, plaidant toutefois pour une
“entrée digne” dans l’Union. “J’espère que
les efforts et les sacrifices des Bulgares en
vue d’entrer dans l’Union seront respectés
par les Européens”, a-t-il dit. “Le Premier
ministre a supplié en vain que l’on ne nous
humilie pas”, a décrypté la presse bulgare.
Pour le quotidien Monitor, ces derniers développements finiront par donner raison aux
eurosceptiques dans le pays, qui considèrent que la Bulgarie devrait revoir ou, du
moins, reporter sa candidature. “On nous
accuse de ne pas avoir mis fin à la criminalité et à la corruption au plus haut niveau,
poursuit le journal, à savoir celle qui règne
parmi les ministres, les députés et les
18
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
magistrats. Or tous les commissaires qui,
depuis neuf ans, viennent de Bruxelles pour
nous voir leur tombent dans les bras et
nous conseillent de ne surtout pas provoquer d’élections anticipées – qui, justement,
nous auraient permis de nous débarrasser
d’eux – au nom de la stabilité du pays. Comment pourrions-nous venir à bout de ces
hauts fonctionnaires corrompus, puisque
Bruxelles nous interdit de les mettre à la
porte ?” Dans ces conditions, il vaut mieux
reporter l’adhésion de Sofia plutôt que de
se plier à des injonctions aussi “contradictoires qu’humiliantes”, conclut Monitor.
Dans un rapport très attendu, et qui devrait
être rendu public le 26 septembre, la Commission rendra officiellement son verdict sur
la date et les conditions d’adhésion de la
Bulgarie et de la Roumanie.
709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13
11/09/06
19:20
Page 20
e u ro p e
TRANSDNIESTRIE
Qui est réellement aux commandes à Tiraspol ?
Le petit territoire sécessionniste s’apprête à se proclamer “indépendant” après
le référendum du 17 septembre. Mais le président Smirnov, soutenu par le Kremlin,
doit faire face à un nouveau concurrent…
KOMMERSANT VLAST (extraits)
0
80 km
Moscou
■
Enclave
MOLDAVIE
UKRAINE
Dn
t
tr
ROUMANIE
ies
Du temps de
l’URSS, la région
russophone de
Transdniestrie
faisait partie
de la république
socialiste de
Moldavie. En 1990,
à l’occasion de la
proclamation par
Chisinau du roumain
comme langue
officielle, elle
a déclaré
unilatéralement son
indépendance.
La Moldavie
devenait à son tour
indépendante
en 1991. Un an plus
tard, des miliciens
des deux
républiques
se livraient, le long
du Dniestr, à de
violents combats qui
ont fait plusieurs
centaines de morts.
Officiellement
investies d’une
mission de paix,
les troupes envoyées
alors par Moscou
pour mettre fin au
conflit stationnent
toujours sur
le territoire
de la république
séparatiste,
qui n’est reconnue
à ce jour que
par la Russie.
ou
A
Pr
la veille d’importantes
échéances, les attentats de
cet été ont ébranlé les fragiles fondements de la
Transdniestrie [deux attentats à la
bombe dans les transports publics ont
fait dix morts] : le 17 septembre aura
lieu un référendum sur l’autodétermination, et, en décembre, ce sera le tour
de l’élection présidentielle. Indéboulonnable, Igor Smirnov s’apprête à faire
campagne pour la quatrième fois.
Aujourd’hui, sa candidature convient
à la plupart des hauts fonctionnaires,
puisque les postes à responsabilité sont
occupés par des hommes arrivés au
pouvoir avec lui. Le président Smirnov
satisfait également la Russie. Il a su
gagner les bonnes grâces de Moscou
non seulement en protégeant les intérêts russes dans le monde des affaires
(au moment des privatisations en
Transdniestrie, les businessmen russes
ont acquis les plus grosses entreprises),
mais aussi en agissant comme un allié
fidèle du Kremlin face à Chisinau
[capitale de la Moldavie].
Alors que l’issue du référendum
fait peu de doute [la Transdniestrie
optera certainement pour l’“indépendance”, à savoir le droit de rejoindre la
Fédération de Russie], la campagne
présidentielle va être très différente des
précédentes.
Tout d’abord, ces derniers mois, la
situation économique s’est fortement
dégradée. En mars, la Moldavie et
l’Ukraine ont établi de nouvelles
normes douanières à l’intention de
Tiraspol et, depuis, toutes les importations et exportations de produits ne
peuvent se faire qu’avec des documents
douaniers moldaves. Le ministère de
l’Economie estime que le budget national a ainsi perdu plus de 250 millions
de dollars. Cette situation pourrait
compliquer la réélection de Smirnov.
Des stratèges moscovites sont donc
TRANSDNIESTRIE
(ou République moldave
du Dniestr, autoproclamée
depuis 1990)
Chisinau
Tiraspol
Russie
Ukr.
UKRAINE
Courrier international
828p20
Mer
Noire
Roumanie
venus au secours de leur “poulain” du
Dniestr. D’après nos informations, le
Conseil de sécurité russe et le FSB
[services secrets russes] auraient élaboré un plan de soutien au régime et
l’auraient soumis à Vladimir Poutine.
Ce plan prévoirait un don d’un montant de 20 millions de dollars et le
financement de la campagne électorale de Smirnov, qui devrait coûter plusieurs dizaines de millions de dollars.
LA SOCIÉTÉ SHERIF SE MET
À LA POLITIQUE
Mais, s’il a l’assurance d’une aide extérieure, le président en place se heurte
désormais à de sérieux problèmes
intérieurs. Après les incidents tragiques de cet été, beaucoup se sont
demandé, à juste titre, pourquoi le
pouvoir était incapable d’assurer la
sécurité de ses citoyens. Si, lors des
précédentes élections, les autres candidats ne représentaient pas une
grande menace, cette année, le président Smirnov a un sérieux adversaire,
Evgueni Chevtchouk, un politicien
jeune et ambitieux, soutenu par un
entrepreneur local, la société Sherif.
Fondée en 1993 par d’anciens
agents des services secrets, cette
société a mis la main sur tout ce qui
rapporte de l’argent en Transdniestrie. Elle possède une chaîne de
supermarchés et d’entrepôts, contrôle
le commerce des produits pétroliers,
le business des jeux et des télécommunications, et possède une équipe
de foot dont le budget n’a rien à
envier à celui d’un club international. Sherif a également monté un
puissant empire médiatique – un
sérieux concurrent pour les médias
d’Etat – et dispose de services de
sécurité bien équipés.
A mesure que ses affaires se développaient, cette société voyait ses relations avec le pouvoir se dégrader à
toute vitesse. Pour promouvoir ses intérêts, Sherif s’est alors lancée dans la
politique, fondant un mouvement
nommé Renouveau, qui a remporté
une belle victoire lors des législatives
de l’année dernière, obtenant 23 des
43 sièges du Parlement local. Cela lui
a permis d’installer un homme lige à
la présidence du “soviet” (deuxième
poste de la République). Cet homme
n’est autre qu’Evgueni Chevtchouk ;
au passage, l’un des fondateurs de Sherif, Ilia Kazmaly, a été élu député.
Moscou a bien pris conscience de
la menace que les oligarques représentaient pour Smirnov. En juin,
Chevtchouk aurait été invité à Moscou, où on lui aurait demandé avec
insistance de ne pas se hâter de présenter sa candidature à la présidence.
Peu après sa visite à Moscou, un premier attentat a eu lieu à Tiraspol. Au
moment du second, Chevtchouk était
en vacances à l’étranger, mais il a commenté l’événement, se faisant le porteparole des habitants de la Transdniestrie. Il a également promis que le
Parlement, compte demander des
comptes aux services de sécurité. Ces
derniers se sont alors empressés d’annoncer l’arrestation d’un suspect et ont
promis des mesures de sécurité “exceptionnelles” à la rentrée. Les jeux sont
loin d’être faits à Tiraspol.
Vladimir Soloviov
A N A LY S E
Le Kremlin pris à son propre piège
eux parrains lointains, la Russie et la Roumanie, et deux voisins immédiats, l’Ukraine
et la Moldavie, suivront de près les événements
en Transdniestrie, bande de terre de 200 kilomètres de long peuplée par un demi-million de
personnes. Kiev et Chisinau ont d’ores et déjà
annoncé qu’ils ne reconnaîtront pas les résultats du référendum du 17 septembre. Pour les
instances européennes, il s’agit également d’un
“non-événement”, et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a refusé
d’y envoyer des observateurs. Le Kremlin étant
resté curieusement silencieux à l’approche du
vote, ce sont les autorités de Tiraspol [“capi-
D
tale” du territoire] qui se sont félicitées du soutien de Moscou. Le quotidien Ziua de Bucarest
s’est étonné, en revanche, de la volonté affichée par le gouvernement roumain de conduire
vers l’Europe cette enclave improbable. “Le président Basescu a invité les Moldaves et les
Transdniestriens à entrer, avec les Roumains,
dans la maison européenne qui n’est, à ce jour,
même pas la sienne”, écrit le journal. La presse
en langue roumaine tire également à boulets
rouges sur le président moldave, le communiste Vladimir Voronine, accusé d’avoir “abandonné la Transdniestrie aux Russes”, comme
l’affirme l’hebdomadaire Timpul de Chisinau.
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
“La Russie a entretenu ce conflit par peur d’une
Grande Roumanie née de l’union avec la Moldavie, mais, maintenant que cette hypothèse
s’éloigne, elle ne sait que faire de Tiraspol”,
poursuit le magazine. Le succès du référendum
pourrait néanmoins être un précédent pour
d’autres régions séparatistes de l’ex-URSS
où s’exerce l’influence russe, telles l’Abkhazie
et l’Ossétie du Sud (en Géorgie). Dans ce
domaine, la politique russe n’est pas totalement cohérente : tout en défendant le droit à
l’autodétermination de ces régions, le Kremlin
s’oppose farouchement à celle du Kosovo,
actuellement en discussion à Vienne.
20
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
R É P U B L I QU E
T C H È QU E
La faute à
l’anticommunisme
ourquoi la formation du nouveau gouvernement a-t-elle, une
fois de plus, tourné à la pagaille ?
Essayons de voir ce qui bloque la politique tchèque en général, et pas seulement depuis les législatives de juin.
[Vainqueur des législatives, Mirek Topolanek (ODS, droite libérale) n’a pu
former un gouvernement qu’après trois
mois de négociations chaotiques, qui
se sont soldées par des échecs, à gauche
comme à droite. Son gouvernement,
minoritaire, devrait organiser de nouvelles élections au printemps.]
Le problème, c’est avant tout l’anticommunisme des acteurs de la vie politique tchèque. Au Parlement, par
exemple, il existe deux pôles irréconciliables : les partis “démocratiques”
et les communistes. Une telle division
est aussi hypocrite que stupide. Hypocrite, parce que nous avons déjà un
président élu avec le soutien des communistes et personne n’y trouve rien à
redire ; en revanche, composer un gouvernement avec le soutien des communistes relève du tabou. Et stupide
parce que, dans le club démocratique
conçu de la sorte, c’est uniquement
l’ODS, l’opposant historique des communistes, qui tire son épingle du jeu,
ses autres associés de circonstances ne
jouant que le rôle d’idiots utiles.
Le Parti social-démocrate (CSSD),
lui, ne tire désormais sa raison d’être
que de sa capacité à proposer une alternative à l’ODS. Or la période électorale écoulée a justement montré à ceux
qui ne l’avaient pas compris auparavant que les sociaux-démocrates ne
peuvent appliquer leur programme
qu’à condition d’avoir une ouverture
sur les deux côtés, vers les communistes et vers le centre. Cette règle
s’adresse tout autant aux petits partis
qui veulent mener leur politique à
l’écart des grands. Leur anticommunisme les pousse vers la droite, or, sur
cette partie du spectre politique, l’ODS
les maintiendra toujours hors jeu. Leur
seul véritable avenir est dans l’espace
vacant du centre, mais cela sous-entend
une coopération égale avec l’ODS et
les sociaux-démocrates.
Un autre phénomène bloque la
démocratie tchèque – peut-être moins
directement mais sans doute plus gravement. C’est le fossé grandissant entre
le monde de la politique et les électeurs
– tout juste bons à voter pour les représentants des grands partis, ceux qui
disent fièrement être passés par
l’épreuve du feu des élections à répétition. Une épreuve bien artificielle
d’ailleurs puisqu’ils ne doivent leur
ascension qu’à leur position dans l’organigramme de leur formation politique. Les Tchèques ont peur de toute
forme de grande coalition parce qu’elle
risque d’approfondir encore ce fossé.
Et de contribuer à l’isolement des élites
politiques qui ne trouveront alors de
consolation que dans leurs liens de plus
en plus étroits avec le monde des
affaires.
Jaromir Prochazka
Literarni Noviny, Prague
P
709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13
828p22et24
12/09/06
16:20
Page 22
amériques
●
É TAT S - U N I S
Dick Cheney ne fait plus la pluie et le beau temps
Cinq ans après le 11 septembre, le vice-président a perdu de son influence. Il n’a plus les moyens
d’imposer la concentration des pouvoirs dans les seules mains de Bush.
THE NEW YORK TIMES (extraits)
New York
ès l’instant où des agents
des ser vices secrets
ont débarqué dans le
bureau du vice-président
Dick Cheney, le 11 septembre 2001,
et se sont engouffrés avec lui dans le
Centre souterrain des opérations
d’urgence, on a cru qu’il serait impossible de l’arrêter dans son entreprise
visant à bouleverser les pouvoirs de
la présidence. En quelques minutes,
Cheney avait pris les commandes
pour réagir aux attentats. En quelques
semaines, il avait pris le contrôle du
programme d’écoutes téléphoniques
et de surveillance électronique sans
mandat. En quelques mois, son
équipe et lui avaient défendu le principe d’une réinterprétation des lois
de la guerre afin de pouvoir détenir
indéfiniment les “combattants ennemis” et de les interroger dans des installations secrètes de la CIA disséminées dans le monde entier.
Cependant, au moment où le pays
célèbre le cinquième anniversaire des
attentats, l’influence du vice-président
et les pouvoirs qu’il s’est arrogés sont
remis en question. Le Congrès et la
Cour suprême ont rejeté ses exigences
quand il a demandé que seul le président, en tant que chef des forces armées, puisse établir les règles de dé-
Car toonists & Writers Syndicate
D
De gauche à
droite, Dick Cheney,
George W. Bush,
Donald Rumsfeld.
“– L’Irak fait partie
de la guerre mondiale
contre le terrorisme.
– Et c’est grâce
à nous.” Dessin de
Telnaes, Etats-Unis.
tention et d’interrogatoire des terroristes présumés, comme celles de la
surveillance nationale. Il est évident
que Bush et Cheney n’ont pas renoncé à accroître les pouvoirs de la
présidence, comme en témoigne la
nouvelle loi qu’ils viennent de soumettre au Congrès. Cette dernière
devrait leur permettre d’établir ce qui
constitue une preuve, de continuer
à définir les techniques d’interrogatoire comme ils l’entendent et à in-
tercepter les communications privées
comme ils le font déjà depuis cinq
ans. Mais, alors qu’ils espéraient
simplement s’arroger ces
pouvoirs sans intervention
du législatif, leurs efforts ont
échoué. Pour Cheney, il
s’agissait clairement de redonner à la présidence une
autorité qui, selon lui, avait
été dangereusement amoindrie
après la guerre du Vietnam et l’affaire du Watergate.
Sur les questions de sécurité nationale, Cheney, qui fut autrefois le
conseiller privilégié d’un président néophyte dans le domaine des affaires
étrangères, demeure un personnage
clé. Mais il doit désormais lutter avec
d’autres responsables influents, comme
la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice,
pour préserver son pouvoir. Au cours
de ces dix-huit derniers mois, il semble
avoir cédé, non sans rechigner, sur la
question de la détention et, pour le
moment tout du moins, sur la ligne à
adopter avec l’Iran et la Corée du
Nord. Le 8 septembre, la commission
du Sénat sur le renseignement – pourtant contrôlée par des alliés républicains du vice-président – a déclaré que
les affirmations réitérées de Cheney
sur les liens entre Saddam Hussein et
Al-Qaida étaient infondées.
La mesure de l’accumulation du
pouvoir ou de son érosion n’est pas une
science exacte. Mais, après des entretiens menés ces cinq derniers mois avec
divers acteurs, parmi lesquels d’anciens
ou d’actuels conseillers à la MaisonBlanche, des diplomates étrangers, des
membres du Congrès et des proches
de Cheney, il est possible d’ébaucher
un tableau de la situation du vice-président, dont les pouvoirs semblent
désormais s’étioler.
Avec la démission, à l’automne
2005, de son plus proche adjoint,
J. Lewis Libby Jr., qui a été inculpé
dans l’affaire des fuites de la CIA, Cheney a perdu ce radar d’alerte avancée
qui lui conférait son contrôle sur la
bureaucratie fédérale. De source gouvernementale, on affirme que Cheney
et ses assistants sont obligés de se battre
pour s’occuper de dossiers dont ils se
seraient emparés sans problème il y a
quelques années. Bush aurait appris à
moins dépendre de Cheney pour ce
qui est de l’information. Quand Joshua
B. Bolten est devenu secrétaire général de la Maison-Blanche, au début de
2006, il a déclaré qu’il tenait à ce que
le président entende des sons de cloche
différents. Mais c’est peut-être au Capitole que la perte d’influence de Dick
Cheney est la plus sensible. Le temps
est révolu où il pouvait imposer ses
vues sans être contredit, avantage qu’il
avait connu tout au long du premier
mandat. Qu’il s’agisse du traitement
des terroristes présumés ou de la E TAT S - U N I S
Silence, la torture continue
L’armée a officiellement renoncé
à mener des interrogatoires
musclés. Mais Bush permet
à la CIA de recourir à des
méthodes plus brutales encore.
a nouvelle politique américaine
sur le traitement des personnes suspectées de terrorisme
implique que dorénavant l’armée
ne pourra plus recourir à des
méthodes brutales ou extrêmes
pour extorquer des informations
à des ter roristes présumés.
La CIA, elle, peut continuer. Cette
nouvelle approche, fruit d’un âpre
débat au sein du gouvernement
sur la meilleure façon d’obtenir
des renseignements utiles auprès
de suspects, a été présentée par
le président Bush en personne
lors de son discours du 6 septembre dernier [au cours duquel
il a également reconnu l’existence
de prisons secrètes de la CIA à
l’étranger et a annoncé le transfer t de 14 suspects à Guanta-
L
namo Bay]. Mais, en autorisant la
CIA à avoir recours à des
méthodes musclées avec certains détenus, Bush risque de
susciter une nouvelle fois des
questionnements sur les pratiques américaines et de déclencher les foudres des défenseurs
des droits de l’homme.
Au cours des cinq années qui ont
suivi le 11 septembre 2001, les
responsables du gouvernement
ont toujours défendu l’utilisation
de méthodes brutales pendant les
interrogatoires, af firmant que
celles-ci permettaient d’obtenir
des informations susceptibles
d’éviter de futurs attentats et donc
de sauver des vies. Mais les militaires ont, au contraire, assuré
que ces techniques étaient contreproductives et qu’elles finissaient
toujours par engendrer des abus.
L’annonce du 6 septembre n’a
donc été qu’un compromis censé
réconcilier les par tisans de la
méthode dure et les militaires,
plus attachés à la tradition.
Culturellement et moralement, l’armée répugne en effet à employer
des méthodes d’interrogation non
orthodoxes. Elle se voit donc, par
ce compromis, dégagée de l’éventualité de recourir à de telles techniques sur ses prisonniers. Le
nouveau manuel du soldat n’autorise que dix-neuf procédures
d’interrogatoire et proscrit les pratiques les plus controversées
– encapuchonner les détenus,
mettre en scène de fausses exécutions, utiliser de l’eau pour
simuler la noyade.
La CIA, en revanche, se réser ve
le droit d’employer des techniques
plus br utales. Geor ge Bush
affirme que ces méthodes ont été
efficaces puisqu’elles ont permis
de faire parler cer taines des
14 personnes soupçonées d’appartenir à d’Al-Qaida qui viennent
d’être transférés à Guantanamo
Bay. Les responsables du gouvernement ont par ailleurs souli-
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
22
gné que les pratiques de la CIA
se déroulent dans un cadre légal
et n’ont rien à voir avec la torture.
Mais le président et son entourage ont systématiquement refusé
de révéler quelles étaient ces
fameuses méthodes. L’armée
peut être satisfaite de ce compromis. Elle peut désormais soutenir que ses soldats agissent en
totale conformité avec les traités
internationaux et qu’ils s’abstiennent de tout acte de torture.
Les défenseurs des droits de
l’homme ont, de leur côté, salué
la volonté de l’armée de respecter les garanties des conventions
de Genève et la décision de l’étatmajor de rendre publiques ses
procédures d’interrogatoire. Mais
ils craignent que le compromis
soit en réalité un pas en arrière.
“Ils ont décidé de dégager l’armée
de tout ce qui touche à la torture,
et de laisser ça à la CIA. Voilà le
problème”, s’of fusque Jumana
Musa, d’Amnesty International.
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
Le nouveau manuel du soldat
comporte toutefois une technique
d’usage restreint, réservée à ceux
que l’on appelle les “ennemis
combattants”, comme les personnes soupçonnées d’appartenir à Al-Qaida, et non aux prisonniers de guerre traditionnels. Cette
technique, dite de la “séparation”,
consiste à séparer un détenu de
ses congénères. D’après l’étatmajor, cette séparation n’équivaut
pas à la mise à l’isolement, et respecte donc les conventions de
Genève. Elle nécessite, de plus,
d’obtenir l’autorisation d’un général, afin d’éviter les abus. Pour
la CIA, baignée dans la culture du
secret, le grand déballage de l’armée sur ses procédures d’interrogatoire frise l’anathème. Les responsables de la CIA considèrent
en effet que le simple fait d’évoquer les méthodes autorisées
sape leurs capacités à interroger
Julian E. Barnes
les terroristes.
Los Angeles Times, Los Angeles
709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13
828p22et24
12/09/06
16:23
Page 24
amériques
supervision par le Congrès de la sur-
veillance nationale, le vice-président a
dû faire marche arrière. La Cour
suprême lui a récemment porté un
coup terrible en refusant d’accroître
les pouvoirs présidentiels. A la mijuillet, elle a exigé de la Maison-Blanche
qu’elle reconnaisse aux terroristes présumés le droit à un traitement humain
et à une protection juridique, conformément aux conventions de Genève.
Le discours prononcé par Bush le
6 septembre [où il a annoncé que
14 terroristes présumés venaient d’être
transférés à Guantanamo pour y être
jugés] revient à proposer des négociations avec le Congrès sur la question
des tribunaux devant lesquels doivent
être traduits les suspects. Autrement
dit, il s’agit d’un marchandage sur
l’étendue des pouvoirs de Bush.
A partir de 2004, Bush a commencé à reconnaître devant des dirigeants étrangers en visite dans le
bureau ovale que bien des choses
s’étaient mal passées pendant son premier mandat, et il a confié à Condoleezza Rice le soin de gérer la consultation et la collaboration avec les alliés.
La nouvelle secrétaire d’Etat a rapidement imposé son autorité. En
septembre 2005, elle a envoyé son
émissaire personnel négocier avec la
Corée du Nord, ce qui, jusqu’à présent, n’a pas porté ses fruits. Au printemps 2006, elle a estimé que le seul
moyen de maintenir la coalition internationale contre l’Iran était d’accepter
de discuter avec Téhéran, à la condition que l’Iran accepte au préalable de
suspendre sa production d’uranium,
ce qu’il refuse toujours. Cette évolution mérite d’être soulignée, car, pendant le premier mandat de George
W. Bush, c’est en vain que les principaux conseillers de Colin Powell
s’étaient efforcés de promouvoir l’idée
de contacts directs avec l’Iran.
“LES GENS ME VOIENT COMME LE
DARK VADOR DU GOUVERNEMENT”
Les proches de Cheney le reconnaissent, le départ de Libby a été un coup
particulièrement dur pour le vice-président. En tant que directeur de cabinet, Libby était les yeux et les oreilles
de Cheney à Washington. Passé maître
dans l’art de se faufiler dans le labyrinthe bureaucratique, il étouffait les
idées qui déplaisaient à Cheney avant
qu’elles n’atteignent le bureau Ovale.
“Scooter [Libby] a été une grosse perte”,
admet un proche de la vice-présidence.
Cheney, quant à lui, ne veut rien savoir
des sondages, qui ne lui donnent plus
que 20 % d’opinions favorables. “Parfois, j’imagine que les gens pensent que je
suis le DarkVador du gouvernement”, at-il récemment déclaré sur l’antenne
de CNN. “Je ne suis candidat à rien.
Politiquement, ma carrière va prendre fin
avec ce gouvernement. J’ai la liberté et
le luxe, tout comme le président, de faire ce
qui,selon nous,est bien pour le pays.” Cheney apparaît toujours en public, surtout devant des parterres de militaires
ou de militants républicains. Ses interventions se résument à dénoncer les
démocrates qui appellent à un retrait
des troupes américaines d’Irak. Ce qui
compte avant tout pour lui, c’est de
convaincre les Américains qu’ils sont
bel et bien en guerre, et que la défaite
n’est pas envisageable.
David E. Sanger et Eric Schmitt
M E X I QU E
Impossible de sortir du bourbier politique
Felipe Calderón entrera-t-il en fonctions ? La crise des institutions est telle que
le président nouvellement élu aura bien du mal à trouver une légitimité.
“Je suis
le président
du Mexique.”
Dessin de Boligan
paru dans
El Universal,
Mexico.
désormais incapable de gouverner,
car les partis et les institutions se disputent le pouvoir en privilégiant le
clientélisme au détriment des valeurs
démocratiques. Faute d’un cadre institutionnel efficace pour les résoudre,
les conflits se sont déplacés dans la
rue, notamment à Oaxaca [voir CI
n° 827, du 7 septembre 2006] et à
Mexico [où les partisans du candidat malheureux à l’élection Andrés
Manuel López Obrador occupent le
centre-ville], et le grand banditisme
dépèce un pays qui a renoncé à
garantir tant soit peu la cohésion
sociale, des emplois correctement
rémunérés, une justice impartiale et
la sécurité pour tous.
BIEN PLUS QU’UN SIMPLE
DRAME RÉPUBLICAIN
Fuyons !
PROCESO
Mexico
e Mexique semble s’engager dans la voie qui a coûté
la présidence de l’Equateur
à Jamil Muhammad en janvier 2000, celle de l’Argentine à Fernando de la Rúa en décembre 2001,
et celle de la Bolivie à Javier Sánchez
Lozada en octobre 2003. En destituant
des présidents démocratiquement élus,
la rue semblait, à première vue, vouloir mettre un coup d’arrêt à des processus de normalisation institutionnelle
entamés depuis près de vingt ans en
Amérique latine. Il s’agissait en fait
d’un appel à davantage de démocratie. Aujourd’hui, au Mexique, la mobilisation suscitée par les accusations de
fraude électorale pourrait bien aller jusqu’à empêcher l’entrée en fonctions
du président, prévue le 1er décembre.
Car, même en imaginant que Felipe
Calderón [PAN, droite catholique,
désigné président le 6 septembre après
le recomptage partiel des votes de
l’élection du 2 juillet] réussisse à revêtir l’écharpe présidentielle, il est d’ores
et déjà probable qu’il aura bien du mal
à terminer son mandat de six ans.
Alors que d’autres pays d’Amérique latine traversent des crises de
gouvernabilité, le Mexique connaît, lui,
une crise de la démocratie. La présidence de la République, l’Institut fédéral électoral (IFE) et le Tribunal électoral du pouvoir judiciaire étaient
chargés à divers titres d’assurer la normalité démocratique dans la première
succession de l’après-Parti révolutionnaire institutionnel (PRI). Aucune de
ces institutions n’a été à la hauteur. Le
président Vicente Fox a utilisé jusqu’à
l’obsession tous les recours possibles
et imaginables – pour la plupart illégaux –, non pour soutenir le candidat
de son parti, mais pour empêcher l’arrivée au pouvoir d’Andrés Manuel
López Obrador dans la mesure où
L
celui-ci faisait planer une menace sur
le gouvernement de la République que
Fox avait transformé en entreprise. Fox
n’a par ailleurs pas hésité à coopter
le Conseil citoyen de l’IFE – avec la
complicité du PAN et du PRI –, lui
imposant des directives au mépris de
toute transparence, de toute légalité et
de toute impartialité. Quant au Tribunal électoral, il a opté pour le formalisme juridique, ce qui, loin de dissiper
les doutes sur la fraude électorale, revenait à donner un certificat d’impunité
au pouvoir politique et au pouvoir économique, aussi bien pour cette élection que pour celles à venir.
LES CONFLITS SE SONT
DÉPLACÉS DANS LA RUE
En résumé, le pays est plongé dans
la plus grande crise de gouvernabilité de ces quarante dernières années.
Les institutions ne fonctionnent plus
et le tissu social est en lambeaux.
Pendant plusieurs décennies, le
Mexique a connu une gouvernance
sans démocratie, et ce système a
fonctionné grâce à l’autoritarisme
présidentiel qui a caractérisé les
soixante-douze ans de règne du PRI.
Ce régime de parti unique a cédé la
place à une parodie de démocratie,
Plusieurs
entrepreneurs et
employés d’Oaxaca
ont décidé de partir,
souvent à l’étranger,
pour fuir la
minirévolution qui
sévit depuis plus de
cent jours dans la
ville (voir CI n° 827,
du 7 septembre
2006). Selon José
Escobar, président
de l’entreprise
publique
COPARMEX, plus
de trente familles
ont déjà décidé
d’abandonner
la ville. Selon lui,
ce sont “le manque
de sécurité et
le climat de terreur”
qui sont à l’origine
de ces départs.
Les entrepreneurs
sont la cible
de l’Assemblée
populaire du peuple
d’Oaxaca (APPO),
qui les accuse
d’exploiter
le peuple, affirme
le quotidien Milenio.
Dès lors, les citoyens ne croient plus
qu’aucune de leurs institutions politiques puisse satisfaire leurs revendications et, surtout, leurs besoins. Cela
se manifeste par la division de l’électorat en trois tiers presque égaux :
ceux qui ont voté pour un changement réel dans les relations entre pouvoir politique, pouvoir économique
et pouvoir social, incarné par López
Obrador ; ceux qui ont voté avec
Felipe Calderón pour que rien ne
change ; et, enfin, ceux qui ont égaré
leurs voix dans l’inertie autoritaire
que représente le PRI ou dans des
formations politiques qui n’ont aucun
programme à proposer mais qui se
disputent une partie du budget.
On ne peut donc pas reprocher à
López Obrador d’avoir critiqué les
institutions, tant elles ont fait preuve
de leur incapacité à contenir et à
résoudre pacifiquement les conflits.
Le Mexique se convulse pour ce
qui est bien plus qu’un simple drame
républicain. La mobilisation postélectorale à Mexico, la violence de la
crise politique et sociale à Oaxaca,
les assassinats quotidiens dans tout
le pays, le discrédit des partis politiques et la méfiance des citoyens
envers les institutions fondamentales
du pays, voilà qui compromet tout
l’équilibre institutionnel de notre
système politique.
Gerardo Albarrán de Alba
V I VA M E X I C O
Le cri d’Amlo
■ Chaque année, à l’occasion
de la fête nationale du Mexique
(les 15 et 16 septembre), le président mexicain pousse le “cri de
l’indépendance”, “¡Viva México!”
devant le peuple réuni sur la
place centrale de la capitale, le
Zócalo. Cette année s’annonçait un peu particulière. Depuis
plusieurs semaines, Andrés
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
24
Manuel López Obrador (dit
Amlo), le candidat de l’opposition à la présidentielle qui a eu
lieu le 2 juillet, occupe cette
place avec ses partisans pour
contester sa défaite. Amlo a
d’ores et déjà annoncé son
intention de pousser son propre
cri sur le Zócalo devant ses partisans. Il a toutefois précisé qu’il
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
se retirerait à 2 heures du matin
pour laisser la place au traditionnel défilé militaire, explique
le quotidien La Jornada. Mais le
répit sera de courte durée, car,
dès l’après-midi, Amlo reviendra. Il a en ef fet appelé les
Mexicains à se rassembler sur
le Zócalo pour une “convention
nationale démocratique”.
709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13
828p26
12/09/06
14:39
Page 26
amériques
NICARAGUA
Vent d’espoir pour Daniel Ortega, l’éternel candidat
Le 5 novembre, ce sera la cinquième fois que le leader sandiniste se présente à une élection présidentielle.
Cette fois-ci avec l’aide non dissimulée du président vénézuélien Hugo Chávez…
diaque, Daniel Ortega critique toujours aussi vivement le gouvernement
américain. Son aversion pour le clan
Somoza et les Etats-Unis remonte à
loin : tout a commencé par la mort de
deux de ses frères – due, selon lui, aux
conditions sanitaires précaires du pays.
Né en 1945, Ortega intègre la Juventud Patriótica Nicaragüense, un mouvement d’opposition à la dictature des
Somoza, alors qu’il est à peine âgé de
15 ans, puis rejoint le tout jeune Front
sandiniste de libération nationale
(FSLN). En 1967, sous le gouvernement d’Anastasio Somoza fils, Ortega
est arrêté par la garde nationale et
emprisonné.
TALCUAL
Caracas
J
e me sens très proche de Kadhafi, de
Chávez, de Fidel, de Lula et d’Evo
(Morales).” C’est par ces paroles
que Daniel Ortega a lancé, en
avril dernier, sa cinquième campagne
pour l’élection présidentielle [qui aura
l i e u l e 5 n ove m b r e ] , d é c i d é à
convaincre le peuple du Nicaragua de
le réélire à la présidence du pays [qu’il
a assurée de 1985 à 1990]. Avec ce
“discours de confrontation”, le chef
historique de la révolution sandiniste
semble avoir oublié que, en 1990, à
quelques jours de l’élection, ses déclarations intransigeantes avaient amené
les électeurs indécis à élire Violeta Chamorro. Il compte évidemment sur
l’aide non négligeable de son ami
Hugo Chávez, qui a déjà promis d’envoyer du pétrole bon marché aux
municipalités sandinistes et qui l’a soutenu au cours de deux émissions d’Aló
Presidente [le talk-show hebdomadaire
du président vénézuélien].
Daniel Ortega a cependant peaufiné son discours – il se réfère de moins
en moins souvent à Augusto Sandino
[leader révolutionnaire qui luttait
contre l’occupation américaine dans
les années 1920 et qui fut assassiné en
1934] – et montre désormais l’image
rajeunie d’un nouveau leader de la
gauche régionale – ou d’un socialdémocrate qui se donnerait des airs
de gauche. Il a ainsi troqué son uniforme vert olive et son foulard rouge
et noir contre d’élégantes chemises à
IL EST CONSIDÉRÉ COMME UN
BOURREAU DE TRAVAIL
Ortega. Dessin
de Cajas, Equateur.
carreaux. Il continue pourtant d’attiser les craintes des Etats-Unis, qui le
placent dans “l’axe socialiste du mal”
aux côtés du chef de la révolution bolivarienne [Hugo Chávez], de Fidel
Castro et d’Evo Morales. Et il est vrai
que, à 60 ans, malgré quelques cheveux blancs et un léger problème car-
En 1974, le FSLN l’échange contre
des otages au gouver nement de
Somoza. En février 1979, alors que le
Front patriotique national prend le pas
sur la dictature, Ortega représente le
FSLN dans la junte de reconstruction
nationale, une coalition majoritairement sandiniste. Lorsque, le
17 juillet 1979, les Somoza fuient à
Miami, Ortega a 33 ans et n’a plus
rien du campagnard renfermé. Plutôt
mince, il porte de grandes lunettes qui
soulignent son air intellectuel. La coalition dirigée par Ortega, entouré d’un
g roupe bigar ré de sandinistes,
d’hommes d’affaires et de Violeta Barrios de Chamorro, prend les commandes du gouvernement.
Il modère alors son discours et
est, en 1984, élu président avec 60 %
des voix. Face à un pays dévasté par
la guerre, Ortega demande l’aide de
la communauté internationale et
signe un traité de paix avec les militaires américains. Il espère ainsi sauvegarder la neutralité du Nicaragua
et préserver l’économie nationale
mixte. Alor s que l’élection du
25 février 1990 semblait lui être
acquise, il reprend lors de son dernier meeting de Managua ses accents
intransigeants des années 1980, et
perd ainsi la masse décisive des électeurs indécis qui craignent un retour
à la violence. La candidate de
l’Union nationale de l’opposition,
Violeta Chamorro, est élue présidente avec 15 points d’avance.
Daniel Ortega prend alors la direction du FSLN, et c’est en tant que
secrétaire général du parti qu’il se
présente à l’élection de 1996, où il
perd de nouveau, face à Arnoldo
Alemán. Cette défaite ne le décourage pas : il réitère sa candidature en
2001 et est largement battu par le
candidat du parti libéral de droite,
Enrique Bolaños.
Grand pour un Centraméricain
(il mesure 1,80 m), Daniel Ortega
est considéré par ses sympathisants
comme par ses adversaires comme
un bourreau de travail. A deux mois
de l’élection, l’économie qui bat de
l’aile et l’essor de la gauche sur le
continent sud-américain ont fait légèrement remonter sa cote dans les
sondages. On ne peut quand même
pas perdre quatre fois de suite aux
élections ?
Jolguer Rodríguez Costa
É QU AT E U R
Un musée pour épingler corrupteurs et corrompus
Buenos Aires compte déjà son musée de la Dette. Quito aura bientôt son musée de la Corruption, où seront
présentés la plupart des actes honteux dont les dirigeants du pays se sont rendus coupables.
EL MUNDO
Madrid
elon le dernier rapport de
l’ONG Transparence internationale, l’Equateur est l’un
des trois pays les plus corrompus d’Amérique, avec Haïti et le
Paraguay. Les Equatoriens euxmêmes sont convaincus que leur pays
est le plus vendu de la planète, et lui
donnent une note de 4,9 sur une
échelle de 5. Comme si cela ne suffisait pas, 27 % d’entre eux répondent spontanément par l’affirmative
lorsqu’on leur demande s’ils ont eu
recours aux pots-de-vin dans les
douze derniers mois pour régler un
problème.
Pour remédier à ce qu’il considère comme une “véritable maladie
contagieuse”, le médecin équatorien
S
■
Elections
Le 15 octobre
prochain
se tiendront
les élections
présidentielle
et législatives
en Equateur.
Les Equatoriens,
qui ont l’obligation
d’aller voter,
devront choisir
entre 11 candidats.
Le candidat
de centre gauche,
León Roldós,
est en tête
du dernier sondage,
indique
le quotidien
La Hora.
Ney Dolberg a décidé d’ouvrir dans
la capitale équatorienne le musée de
la Corruption. “L’objectif est de ne pas
oublier notre histoire, commente-t-il.
Ces dernières années, nous avons eu pas
moins de huit présidents accusés de corruption, qui ont souvent été contraints à
l’exil. Cela ne sert à rien de les faire partir si le suivant est encore pire.”
LA PLUPART DES ANCIENS
PRÉSIDENTS SONT VISÉS
Le musée – qui devrait ouvrir ses
portes avant l’élection présidentielle
du 15 octobre – s’inspire du musée
de la Dette de Buenos Aires [ouvert
en octobre 2003, voir CI n° 670, du
4 septembre 2003]. C’est un projet
mûri de longue date, pour lequel
Dolberg s’est entouré d’intellectuels,
d’avocats, de journalistes et d’artistes
équatoriens. Il s’est aussi adjoint la
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
26
collaboration de la municipalité (qui
a fourni le local) et de l’université
catholique de Quito (qui rassemblera
la documentation historique nécessaire). Il a par ailleurs créé une chaire
sur la prévention de la corruption.
Le musée sera aussi financé par des
institutions publiques, comme l’ambassade du Venezuela.
Les faits les plus honteux de l’histoire du pays seront présentés à travers des expositions, des photos, des
dessins d’humour, des figures de cire,
des décisions de justice, des vidéos
ou des coupures de presse. Le tout
sera divisé en trois sections : les pratiques des gouvernants et celles de la
population – car, pour qu’il y ait des
gouvernants corrompus, il faut qu’il
y ait des citoyens corrompus, rappelle
Dolberg –, une galerie d’images montrant les cas les plus scandaleux et le
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
Coin de l’ignominie. Dans cette dernière section, on présentera les personnages les plus honteux de l’année,
du mois ou de la semaine. “Il y a de
quoi faire”, affirme Dolberg.
Pour faire partie de la liste
noire, il faudra passer au préalable
par le “corruptomètre”, qui qualifiera les actes les plus indécents.
“La plupart des anciens présidents
équatoriens” seront épinglés, note
Dolberg, qui n’exclut pas de compléter le tout par une section internationale comprenant, par exemple,
“la famille de Pinochet”.
Selon les calculs de Dolberg, le
coût social de la corruption s’élève
en Equateur à 2,3 millions d’euros
par an. L’équivalent des dépenses du
pays pour alimenter en électricité
toute sa population pendant un an.
Isabel García
709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13
709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13
*828 p29
12/09/06
14:23
Page 29
asie
●
A F G H A N I S TA N - PA K I S TA N
Cinq ans après, le grand bond en arrière
Islamabad vient de conclure un pacte avec les chefs tribaux du Waziristan, la région pakistanaise où les talibans
afghans ont installé leurs bases arrière. De quoi nourrir les inquiétudes de New Delhi.
Interrogatoire.“Il dit
qu’il ne sait rien sur
les talibans. Il dit qu’il
n’est qu’un honnête
cultivateur de pavot.”
Dessin de Danziger,
Etats-Unis.
THE INDIAN EXPRESS
New Delhi
l y a cinq ans, les attentats du
11 septembre ramenaient l’Afghanistan sur le devant de la
scène et entraînaient la chute du
régime taliban. Mais ce succès est le
seul souvenir positif de cette période.
Car l’Inde ne peut que s’inquiéter. Les
talibans sont sur le chemin du retour
et, une fois encore, les avertissements
indiens ne trouvent pas d’écho. Si l’on
ajoute l’accord du 5 septembre dernier
entre Islamabad et les chefs tribaux du
Waziristan [région occidentale du
Pakistan, à la frontière de l’Afghanistan], aux termes duquel l’armée pakistanaise devait se retirer en échange de
la paix civile, on a là une recette garantie pour un futur désastre.
L’Inde ne manquera pas d’aborder
cette question lors de l’assemblée générale des Nations unies, qui s’est ouverte
le 12 septembre mais aussi au cours de
ses consultations avec les grandes
puissances. Depuis l’an dernier, on a
recensé en Afghanistan 52 attentats suicides, 36 enlèvements, 264 explosions
de mines et 122 attaques à la roquette.
Au cours des huit derniers mois, près
de 2 000 personnes ont trouvé la mort,
talibans compris.Tout cela est certes
alarmant, mais ce qui inquiète surtout
New Delhi, depuis quelques mois, c’est
la façon qu’ont les talibans d’orchestrer leurs opérations. En effet, on n’assiste plus à de simples coups de main.
Ce sont désormais des groupes de 70 à
100 hommes (parfois 150) qui lancent
des opérations conventionnelles contre
les forces de la coalition.Vu de l’Inde,
il s’agit pratiquement d’une répétition
de ce qui s’était passé au début des
années 1990, quand les talibans s’efforçaient de gagner du terrain et qu’ils
I
Terrorisme
se réorganiser et de se préparer.Troisièmement, les équipes de reconstruction provinciales, qui comprennent également des unités de l’OTAN,
répondent davantage aux préoccupations politiques de leurs pays respectifs qu’aux besoins locaux. Quatrièmement, la culture du pavot a atteint
des records, ce qui a encouragé l’économie de la drogue, au cœur de la stratégie de financement des talibans.
0
250 km
Faizabad
Ligne
PA K I S TA N
Durand
Mazar-e-Charif
Bamiyan
Herat
Kaboul
A F G H A N I S TA N
PFNO*
Peshawar
Waziristan
AH
ND
KA
LM
AN
IRAN
AR
D
Kandahar
HE
* Province-de-la-Frontière-du-Nord-Ouest. Courrier international
avaient fini par prendre le contrôle de
la plus grande partie de l’Afghanistan.
Depuis 2001, il est arrivé que les talibans prennent des villages et qu’ils y
imposent leurs diktats pendant plusieurs jours avant d’être repoussés
par des forces de la coalition ou de
l’OTAN. C’est cette méthode conventionnelle de combat qui inquiète.
Les attaques se sont multipliées
ces derniers mois, après le remplacement des 4 500 soldats américains par
des forces sous commandement de
l’OTAN. Selon plusieurs sources, c’est
précisément le retrait des troupes américaines qui encourage la témérité des
attaques des talibans.
Les raisons du retour des talibans
sont multiples. Premièrement, les
forces de l’OTAN appliquent des
règles d’engagement différentes, qui
favorisent le combat défensif plutôt
que l’assaut. Deuxièmement, la base
arrière des “étudiants en religion”
au Pakistan (dans les environs de
Quetta) leur a donné la possibilité de
Alors que
le Waziristan est
montré du doigt
par la communauté
internationale comme
un refuge pour
les talibans, la porteparole du ministère
des Affaires
étrangères
pakistanais réaffirme
l’importance
de la lutte contre
le terrorisme
pour son pays.
Ses propositions :
favoriser l’éducation
et le développement
sur le long terme,
et, à court terme,
envisager une
solution militaire.
BALOUTCHISTAN
INDE
Quetta
Pour l’Inde, il est certain que ces
derniers vont se montrer de plus en
plus téméraires et qu’ils vont tenter de
lancer des opérations plus ambitieuses
dans le sud de l’Afghanistan. Cette évolution est imminente, et, dans le même
temps, ils préparent le terrain au Waziristan, conformément à l’accord conclu
par le président Pervez Musharraf. Ce
dernier a beau affirmer que la Ligne
Durand [frontière contestée qui sépare
le Pakistan de l’Afghanistan depuis
1893] ne sera pas violée, cette promesse suscite le doute en Inde. A la
différence du sud et du sud-est de
l’Afghanistan, dominés par les talibans,
cette région, selon nos sources, est également en partie contrôlée par les responsables d’Al-Qaida.
LA MACHINE DE GUERRE
TALIBAN SE RÉORGANISE
L’accord va donc faciliter la réorganisation des talibans, comme il y a
quinze ans. Nos sources affirment que
les forces terrestres américaines sont
parfaitement conscientes du problème,
mais, manifestement, les responsables
indiens considèrent qu’il y a comme
une “déconnexion politique” à
Washington, la Maison-Blanche ne
s’étant pas opposée au pacte de
Musharraf. Officiellement, les EtatsUnis disent ne pas vouloir appliquer
au Pakistan une politique du “bâton
sans carotte”. Mais, derrière tout cela,
la réalité incontournable est la résurgence des talibans en tant que machine
de guerre organisée et consolidée, alors
que la mise en place d’une armée
nationale afghane n’en est toujours
qu’au stade embryonnaire. Alors que
nous venons de fêter le cinquième
anniversaire des attentats du 11 septembre, tout cela n’augure rien de bon.
Pranab Dhal Samanta
NÉPAL
Mieux vaut l’ordre maoïste que l’anarchie !
Les autorités de Katmandou
voudraient désarmer les rebelles.
Mais les soldats, très
impopulaires, sont incapables
de garantir la sécurité publique.
e Népal est certainement à l’un
des tournants majeurs de son
Histoire, et le moindre faux pas peut
mener au désastre. Le 16 juin dernier, l’alliance des sept partis qui
forment la coalition gouvernementale a réussi à conclure avec les
maoïstes une série d’accords qui
ont toutes les chances de conduire
le pays à la paix et à la liberté [voir CI
n° 816, du 22 juin 2006]. Mais les
L
Etats-Unis, en voulant à tout prix
désarmer les insurgés, qu’ils assimilent à des terroristes, bloquent leur
application. Le gouvernement a donc
modifié son discours et ne laisse désormais planer aucun doute sur sa volonté
de désarmer d’abord les rebelles. Il
faudra bien sûr que les maoïstes y
viennent un jour ou l’autre ; mais, dans
l’état actuel des choses, alors que
l’armée népalaise n’est pas encore
complètement professionnalisée, les
conséquences de ce désarmement
seraient catastrophiques.
Le Mouvement populaire II [qui a
secoué le pays en avril dernier,
seize ans après le premier soulè-
vement en faveur de la démocratie]
a donné de nouveaux espoirs à la
population, notamment grâce à la
restauration du Parlement et à l’affaiblissement de la monarchie.
Depuis, quelques violents incidents
isolés ont eu lieu, mais le conflit
pourrait prendre des proportions
inquiétantes pendant la période de
transition, au cours de laquelle doit
être élue une Assemblée constituante. Il faut se poser la question :
les forces régulières seront-elles
capables de maintenir l’ordre si de
tels conflits éclatent ? L’histoire
montre que l’armée népalaise, avec
sa culture d’obéissance aveugle,
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
29
même à des ordres illégaux, est très
vulnérable. Un dirigeant politique
fort pourrait donc se servir d’elle.
Pour les Népalais, les forces régulières sont davantage au service
de la monarchie que du pays
ou même du peuple. On les a
d’ailleurs déjà accusées de violations des droits de l’homme envers
les rebelles pendant les soulèvements de 1990 et de 2006. Par
ailleurs, tout le monde sait qu’aujourd’hui encore les officiers issus
de minorités ethniques ne peuvent
espérer monter en grade. Le peuple
doute donc de sa capacité à se montrer impartiale face à d’éventuels
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
soulèvements ou face aux réclamations pour l’égalité des droits sur
les plans ethnique et linguistique.
Il est temps, à présent, que l’armée
se professionnalise. Car, si la situation devait dégénérer pendant la
période de transition, on ne pourrait pas se reposer sur l’ONU. Les
insurgés doivent être désarmés et
les forces régulières professionnalisées. En attendant ce jour, chacun doit accepter le fait que les
maoïstes demeurent le bouclier qui
protège les minorités, qui d’ailleurs
les considèrent souvent comme
Uday Bajracharya,
des sauveurs.
eKantipur.com, Katmandou
828p30-32
12/09/06
11:39
Page 30
asie
DOSSIER
INDONÉSIE Les islamistes
marquent des points
■ Le plus grand pays musulman du monde est connu pour pratiquer un islam
tolérant. Mais des groupes radicaux tentent d’y introduire peu à peu leur
doctrine. ■ Les militants de la Jamaah Islamiyah, proche de la mouvance
d’Al-Qaida, multiplient les attentats, tandis que d’autres mouvements
essaient de faire entrer certains préceptes coraniques dans la législation.
Le journal intime d’un fabricant de bombes
Dans le cahier du jeune terroriste
Jabir, des poèmes dédiés à sa mère
voisinent avec des réflexions
sur le djihad. Extraits.
TEMPO
Jakarta
“Pour ma maman chérie
Des bonjours tendres… et aimants…
Toujours patient et pieux…
Avec ces quelques lignes, je me console
de maman qui me manque tant.
Dimanche soir, 4 septembre 2005,
21 h 47, dans l’ouest de l’Indonésie. C’est
assez pour ce soir, j’ai sommeil…”
Il s’agit d’un extrait du journal
intime de Gempur Budi Angkoro,
alias Jabir. Selon la police, ce jeune
homme de 27 ans était le fabricant de
bombes du groupe terroriste dirigé
par Azahari et Noordin M. Top [ce
dernier est toujours en fuite]. Ce
document a été découvert dans la
maison d’un village de Wonosobo,
dans le centre de Java, lors de l’assaut
des forces de l’ordre du 29 avril dernier, où Jabir a été tué par balle.
Ce journal, qui couvre la période
qui va de janvier 2005 à mars 2006,
a été écrit à la main d’une écriture
appliquée, dans un petit cahier de
106 pages. Chaque paragraphe est soigneusement aligné sur les marges de
gauche et de droite. Presque tous les
écrits portent une date, parfois un
titre, mais aucune mention n’est
jamais faite du lieu précis de leur
rédaction. Il n’est noté que “Terre
d’Allah” ou “Terre d’Hégire” [hijrah,
fuite du Prophète de La Mecque pour
Médine]. Certains textes sont longs
de dix pages, d’autres se limitent à
quelques phrases courtes disposées
sur plusieurs lignes, comme un
poème. Certains commencent par
“bismillah [au nom de Dieu]”, d’autres
par une citation d’un verset du Coran
ou d’un hadith [faits et paroles du
Prophète rapportés par la tradition].
■
Ordinateur
Malgré l’arrestation
récente d’Agung
Setyadi,
un professeur
d’économie
et de techniques
bancaires
d’un institut de
Semarang, qui a fait
parvenir un
ordinateur portable
dans la cellule
d’Imam Samudra,
l’un des cerveaux
du premier attentat
de Bali en 2002,
la police n’a pas
encore pu prouver
que ce dernier avait
dirigé la deuxième
série d’attentats
à Bali en 2005
depuis sa cellule.
En revanche, il a été
prouvé que Samudra
a utilisé cet
ordinateur pour
“chatter” avec des
gens à l’extérieur
de sa prison située
sur l’île de Nusa
Kembangan,
au large de la côte
méridionale de Java.
Jabir médite sur la direction que
sa vie a prise, il parle de ses souvenirs
d’enfance avec sa famille à Madium,
dans l’est de Java. Il exprime aussi
toute son admiration pour Azahari,
qui lui a appris à fabriquer des
bombes. Ce dernier était d’origine
malaisienne. Il est mort en se faisant
exploser lorsque la police a pris d’assaut la maison où il se cachait à
Malang, dans l’est de Java, en novembre 2005. Il était soupçonné d’être
le chef d’orchestre de tous les attentats en Indonésie, depuis celui commis à Bali en octobre 2002.
Jabir décrit les agissements de son
groupe comme un djihad. Pour cette
guerre sainte, ils doivent vivre en état
de hijrah : sacrifier tous leurs biens
matériels, quitter femme et enfants,
renoncer à tous les plaisirs de la vie.
“En vérité, la voie du djihad est jonchée
de ronces et d’épines, elle est hantée par
la peur, la faim et la mort…” écrit-il,
parfaitement conscient des risques
qu’il prend.
ÉLÈVE ENTÊTÉ ET OUVERTEMENT
CONTRE LA DÉMOCRATIE
Jabir est né dans le village de Mojorejo, dans la région de Madium. Il
est le troisième d’une famille de
quatre enfants. Sa mère est institutrice. Son père, un petit éleveur de
poulets. “C’est volontairement que mon
souvenir va d’abord à maman, avant
papa. Outre l’amour que je lui porte,
c’est aussi parce que l’Envoyé de Dieu
nous commande par trois fois de vénérer notre mère avant notre père. Je me
souviens encore lorsque j’avais… oh,
je ne sais plus quel âge… mais je n’allais pas encore à l’école. A cette époque,
la vie de notre famille était assez harmonieuse, on avait un élevage de poulets, plus des poissons-chats et autres.
Nous n’avions pas encore de maison
Dessin d’Ajubel
paru dans
El Mundo, Madrid.
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
Lors de l’assaut de sa planque, un
matin de fin avril, la police a découvert une bombe prête à exploser, sans
doute fabriquée par lui. Elle a aussi
trouvé un cahier où étaient consignés
diverses techniques de fabrication des
explosifs, ainsi que des croquis de
détonateurs et la liste de tous les produits chimiques nécessaires. Ce manuel pratique était également rédigé
avec soin, même si ici et là Jabir avait
fait de petits dessins dans la marge.
Par exemple, à côté de la liste des produits chimiques, il avait dessiné une
tête de mort telle qu’on en trouve
habituellement sur les bouteilles de
produits toxiques. Il s’était amusé à
des fantaisies du même genre dans
son journal intime, mais sous forme
de commentaires. Ainsi, à la page
datée du 20 janvier 2005 :
“A ma droite et à ma gauche ils crient
Mais mes yeux demeurent étourdis
Ils n’arrêtent pas de bavarder…
Leur bouche pleine d’injures, de blâmes,
de mépris
Oh… mon Dieu… fais entrer ton serviteur que voici…
Dans le paradis éternel… aux côtés des
anges…”
Dans la marge était ajouté : “Ma
parole ! quelle poésie !”
30
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
et habitions chez grand-mère. Lentement mais sûrement, Allah attendait
l’heure pour nous éprouver.Trois poulaillers nouvellement construits prirent
feu. Les rides de la douleur sont encore
visibles aujourd’hui sur le visage de
papa et de maman.Trois jours après l’incendie, maman pleurait toujours tout en
cuisinant. […] Lorsque papa partit en
Malaisie chercher du travail, maman a
dû se tuer au labeur pour nourrir notre
famille. A cette époque, mes deux frères
aînés étudiaient déjà au pensionnat
coranique Al-Mukmin, à Ngruki [près
de Solo, dans le centre de Java]. Bientôt je les rejoignis.”
Le pensionnat coranique en question est dirigé par Abu Bakar Ba’asyir,
l’émir du Conseil des moudjahidin
d’Indonésie. Il vient d’être libéré après
avoir été condamné à deux ans et
demi de prison pour avoir été impliqué dans les attentats de Bali en 2002.
“Je me souviens encore lorsque maman
m’accompagna pour m’inscrire au pensionnat Al-Mukmin. Elle se fit détrousser à la descente du bus en arrivant à
Solo. Elle était si triste qu’elle ne pouvait
cacher ses larmes. Je ne savais pas quoi
faire. J’ai étudié pendant plus de trois ans
dans cette école. Lorsque maman venait
me rendre visite, elle m’apportait
10 000 roupies [1 euro]. Je lui disais :
‘Dieu merci, cela suffit.’ En réalité,
c’était très loin de suffire, mais jamais
je ne le lui ai dit. Les arriérés de ma pension atteignirent bientôt sept mois. J’ai
été contraint de dormir sur la terrasse,
avec les élèves qui ne pouvaient pas non
plus payer leur chambre. Mais j’acceptais cette sanction de bon cœur, car je
savais que maman ne pouvait pas me
donner plus d’argent.”
En 1985, Jabir a quitté Al-Mukmin pour le pensionnat coranique
Darusysyahadah [dans l’est de Java].
Ses professeurs se souviennent de lui
comme d’un élève entêté dans ses
convictions. Mustaquiem, le directeur de cette école, évoque le jour où
Jabir, lors d’une discussion, n’a pas
voulu démordre de ses positions
contre la démocratie. Pourtant, ses
828p30-32
12/09/06
11:39
Page 31
asie
DOSSIER
Imposer la charia sans violence
Dans la province de Sulawesi-Sud,
les comités en faveur de la loi
coranique imposent leurs vues aux
institutions locales. Une tactique
reprise dans d’autres provinces.
TEMPO (extraits)
Jakarta
uhammad Muchsin est
stupéfait. Adjoint au
maire de la ville de
Bulukumba, dans la
province de Sulawesi-Sud (CélèbesSud), il vient d’apprendre que le fouet
est appliqué dans le village de Padang,
qui fait partie de sa municipalité. C’est
le chef du village qui a imaginé ce nouveau châtiment ; et il a été soutenu par
le comité d’insertion sociale et par
quelques personnalités locales. Adopté
au début de l’année, ce nouvel usage
a déjà fait plusieurs victimes : Nasir a
été fouetté parce qu’il avait frappé un
enfant ; la même peine a été appliquée
à Arifin, qui avait commis des violences
sur quelqu’un ; quant à Suharman, il
a été puni en mars dernier pour avoir
envoyé à une femme mariée une lettre
qui a vexé son mari.
Le maire de Bulukumba a convoqué le chef du village de Padang pour
qu’il s’explique. Au dire de ce dernier,
l’application de cette punition découlerait de décrets municipaux fondés
sur la charia. Depuis trois ans, la
municipalité de Bulukumba a en effet
pris des décrets inspirés de la loi coranique. Il s’agit de l’obligation de pratiquer l’aumône, de porter des vêtements musulmans, de savoir lire le
Coran (pour tous les étudiants et pour
les candidats au mariage) et de l’interdiction de vendre des boissons
alcoolisées. Mais aucun de ces préceptes ne s’accompagne d’une peine
de fouet pour les contrevenants.
M
arguments étaient vigoureusement
démontés par les élèves et les jeunes
professeurs de lecture du Coran.
Après avoir terminé ses études à
Darusysyahadah, Jabir n’est pas rentré chez lui. Il est resté trois ans dans
cet établissement comme enseignant.
Puis il a disparu. Quelques années
plus tard, la police a soudain débarqué à l’école coranique pour demander où il se trouvait. C’était au
moment du violent attentat devant
l’ambassade d’Australie à Jakarta, le
9 septembre 2004.
SA TOMBE EST À L’ABANDON
DANS SON VILLAGE NATAL
Jabir a écrit ce journal pendant les
mois de cavale où son groupe était
poursuivi par le détachement 88 de
la police. Lorsque Azahari meurt [en
novembre 2005], cela fait un an et
demi que Jabir le fréquente. Avec
Noordin Mohammad Top, ils vivent
en se déplaçant constamment d’une
ville à l’autre. Ils dorment parfois tous
les trois dans la même chambre.
“Lorsque la chambre que nous partagions
à trois était pleine,Azahari sortait humblement faire sa prière dehors, avec la
terre battue et quelques feuilles de journal comme tapis de prière.” Azahari était
connu pour savoir assembler des
substances explosives avec des produits courants comme du savon pour
fabriquer des bombes très puissantes.
Il arrive en Indonésie en 1996. Quatre
ans plus tard, il part en Afghanistan
pour apprendre à fabriquer des explosifs, et rencontre Oussama Ben
Laden. D’après Jabir, Azahari n’a
jamais pu oublier cette rencontre. Un
jour, Ben Laden le prie de prendre
place à ses côtés avec les autres dirigeants d’Al-Qaida. “Si un satellite
ennemi avait photographié cette assemblée, les Américains se seraient sans doute
demandé : ‘Qui est ce type assis à côté
d’Oussama ?’” rapporte Jabir dans son
carnet.
Dans son journal, le jeune homme
évoque à plusieurs reprises ses convictions au sujet du djihad. Il estime que
le monde musulman est devenu la
cible “des infidèles, des sionistes et des
apostats. […] Depuis le viol de la terre
et de l’honneur des musulmans, en Palestine, en Afghanistan, au Cachemire et en
Tchétchénie, tous les croyants ont l’obligation de pratiquer le djihad. […] Et,
à cet effet, nous devons dépenser beaucoup d’argent pour acheter les instruments de notre amaliah.” Le philosophe
musulman Komaruddin Hidayat
explique que, de manière générale,
amaliah signifie “action juste”. Toutefois, selon Nasir Abbas, auteur du
livre Le Démantèlement de la Jamaah
Islamiyah, les moudjahidin d’Afghanistan utilisent ce terme pour désigner la guerre. Ils l’utilisent aussi dans
les zones de conflit religieux, par
exemple aux Moluques ou à Sulawesi
[Célèbes]. Il est certain que, pour
Jabir, le mot amaliah désigne les
attentats.
Dans une courte note non datée,
Jabir décrit sa vision des attentats :
“En commettant un attentat, le fidèle de
la vérité donne un exemple du plus beau
sacrifice, à savoir le courage de mourir
pour défendre la religion…” Il s’accroche toujours à cette certitude un
mois avant de mourir. Comme s’il
voulait faire ses adieux, Jabir écrit sur
une page intitulée “Lettre ouverte à ma
famille et à mes amis” :“Si le corps a été
créé pour rencontrer la mort, mieux vaut
être tué pour Allah par l’épée…”
Après avoir été tué par balle à
Wonosobo, Jabir a été enterré à côté
d’Al-Ghozi [principal accusé dans le
double attentat de Bali, en 2002, et
originaire du même village que Jabir]
dans le cimetière de son village natal
de Mojorejo. Il n’y a pas de pierre
tombale sur son caveau. Pour tout
signe, une simple pierre de la taille
d’une noix de coco. Les deux tombes
semblent aujourd’hui à l’abandon et
la terre, sur un des côtés, commence
à les ensevelir.
Budi Setyarso et Ami Afriatni
(à Jakarta), Fatkhurrohman Taufik
(à Madium), Imron Rosyid (à Boyolali),
Agung Rulianto et Nurlis Meuko
UNE PRÉSENCE QUI S’ÉTEND
À TOUTES LES CIRCONSCRIPTIONS
Les règlements fondés sur la loi coranique sont en effet très populaires en
ce moment dans plusieurs localités de
cette province. Pas moins de vingtquatre d’entre elles ont adopté des
textes de ce genre. Un sondage réalisé
par le gouvernement provincial début
2002 montrait que 91,1 % des personnes interrogées approuvaient l’application de la charia. Cette approbation ne peut être étrangère au rôle que
joue le Comité de préparation au renforcement de la charia en SulawesiSud. Cet organisme est né lors d’un
congrès de la communauté musulmane de la province en l’an 2000, et
c’est Abdul Aziz Kahar Muzakkar qui
a été choisi pour le présider. Or Abdul
Aziz est le fils de Kahar Muzakkar, le
dirigeant du mouvement Darul IslamTentara Islam Indonesia [Demeure de
l’islam – Armée musulmane d’Indonésie, un mouvement islamiste séparatiste actif dans les années 1950 à
Sulawesi]. En moins d’une année, ce
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
31
Dessin de Garland
paru dans The Daily
Telegraph, Londres.
■
Condamnation
Abdul Aziz, 31 ans,
professeur
d’informatique
et membre de la
Jamaah Islamiyah,
vient d’être
condamné à huit
ans de prison par
la cour de justice
de Denpasar (Bali)
pour avoir travaillé
pour Noordin M. Top.
A la demande de ce
Malaisien, cerveau
des attentats
de Bali, Abdul Aziz
a configuré
un site Internet
encourageant
les attaques contre
les “infidèles”.
“Allah est grand”,
a répondu Aziz
lorsqu’on
lui a demandé
de commenter
le verdict. Près
de 150 militants
ont été arrêtés
et accusés
de terrorisme
en Indonésie depuis
2002. Trois ont déjà
été condamnés à
mort. Mais Noordin
M. Top est toujours
en cavale.
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
comité a réussi à former des délégations dans toutes les circonscriptions
de la province. Depuis, elles ont tenu
trois congrès, à l’issue desquels ont été
prises, entre autres, les décisions de
pousser les instances exécutives et législatives à procéder à l’instauration de la
charia dans toute la province.
La popularité de ce comité a toutefois chuté après la série d’attentats
qui ont ébranlé la province. Celui de
2002 a été particulièrement marquant :
deux bombes ont explosé dans deux
bâtiments appartenant à Jusuf Kalla
[aujourd’hui vice-président de la République] à Makassar, faisant 3 morts et
14 blessés. Depuis ce jour-là, la police
a commencé à surveiller les agissements des membres du comité. Résultat : sur dix personnes suspectées d’être
impliquées dans l’attentat, huit entretenaient des liens avec le comité et avec
le Laskar Jundullah, sa branche armée.
Cette milice a été formée en réaction
au massacre, en l’an 2000, de 200 musulmans dans le pensionnat coranique
Walisongo de Poso, dans la province
de Sulawesi-Centre. Agus Dwikarna,
le commandant en chef des miliciens,
est également une figure charismatique
du Comité de la charia.
Le 13 mars 2002, Agus a été
arrêté avec Jamal Balfas et Tamsil Linrung à l’aéroport de Manille, accusé
de transporter des explosifs. Tamsil,
le conseiller du Comité de la charia et
député national du Parti de la justice
et de la prospérité (PKS), a été libéré
un mois plus tard avec Jamal, tandis
qu’Agus est encore détenu dans une
prison philippine. Ces événements ont
considérablement terni l’image du
Comité de la charia auprès de la population, et, pendant deux ans, il a semblé être réduit à néant. Mais, lentement, il s’est réorganisé. Sa milice a
changé de nom : elle s’appelle désormais le Corps des jeunes musulmans.
Ses membres ont troqué leurs uniformes noirs pour des vêtements tout
blancs. La renaissance du comité a été
confirmée par le troisième congrès de
la communauté musulmane, qui s’est
tenu à Bulukumba en 2005. A l’occasion de ce rassemblement, la municipalité a été montrée en exemple aux
centaines de participants. Depuis l’application de la loi coranique dans cette
ville, la criminalité aurait chuté de
80 % et l’aumône [ou zakât, l’un des
cinq piliers de l’islam] aurait atteint
une somme quatre à cinq fois plus
importante que celle collectée habituellement par les impôts. Les participants au congrès sont repartis avec,
comme petits cadeaux-souvenirs, plusieurs exemples de décrets inspirés de
la charia à populariser auprès des
citoyens de leur région respective.
Selon nos sources, les groupes de
pression pour l’application de la charia font partie du réseau de la Jamaah
Islamiyah [considéré comme proche
d’Al-Qaida]. Ils ont choisi la voie légale
pour arriver à leurs fins et considèrent
que les attentats contre l’Occident ternissent leur image et desservent leur
cause. Plus accommodants, ils 828p30-32
12/09/06
11:40
Page 32
asie
DOSSIER
savent trouver des soutiens et combattre auprès d’autres organisations
musulmanes plus modérées. Cependant, ils continuent à rêver de faire de
l’Indonésie une république islamique,
si bien que leur combat visant à
influencer les règlements régionaux
n’est qu’un premier pas.
LE COMITÉ FAIT PEU DE CAS
DE LA CONSTITUTION
Le Comité de la charia n’existe pour
l’instant qu’à Sulawesi-Sud, mais
d’autres régions en Indonésie ont déjà
opté pour des règlements inspirés de
la loi coranique. Dans l’ouest de Java,
plusieurs collectivités locales ont instauré des décrets “contre la fornication”.
Lorsque la réforme constitutionnelle
a été adoptée, en l’an 2000, au Congrès
du peuple [l’équivalent du Sénat], le
Conseil des moudjahidin n’a pas réussi
à imposer la charte qui imposerait tous
les musulmans d’Indonésie de pratiquer la charia. Depuis, l’organisation
a décidé de passer outre la constitution. D’après son secrétaire, Ustad
Wahyuddin, il est toujours prêt à aider
les régions désireuses d’instaurer la loi
islamique. “A leur demande”, précise
Wahyuddin, qui est également le directeur du pensionnat coranique Al-Mukmin, à Ngruki, près de Solo [dans le
centre de Java].
Alors qu’il a rencontré l’adhésion
dans les provinces de Java-Ouest et de
Sulawesi-Sud, ce mouvement n’est pas
populaire dans celle de Java-Est. Peutêtre est-ce dû à l’influence considérable
de la Nahdlatul Ulama [NU, l’une des
deux plus grandes organisations musulmanes de tendance soufie] dans cette
région. Selon Ali Maschan Moesa,
directeur de cette organisation pour la
province de Java-Est, les maîtres religieux de la NU tiennent pour définitive la base sur laquelle a été fondée la
république d’Indonésie. Jamais ils ne
se sont battus pour réclamer l’application de la loi coranique dans un
contexte national. Les groupes de pression pour l’application de la charia tels
que le Conseil des moudjahidin ou le
Front de défense de l’islam (FPI)
comptent très peu de membres. Selon
Ali Maschan Moesa, ces groupes considèrent l’islam comme universel : “S’ils
parviennent à imposer la charia ici, ils formeront alors un califat, à savoir un gouvernement islamique mondial qui ignore
les frontières régionales et nationales.”
Agung Rulianto, Purwanto, Irmawati,
Verianto Madjowa, Febrianti, Ivansyah
BFM et Courrier international
présentent l’émission
”GOOD MORNING WEEKEND”
animée par Fabrice Lundy,
rédacteur en chef de BFM,
et les journalistes de la rédaction
de Courrier international.
Tous les samedis de 9 heures à 10 heures
et les dimanches de 8 heures à 9 heures
Fréquence parisienne : 96.4
Les yeux braqués sur les hanches d’Inul
Les intégristes réclament une loi
très restrictive en matière
de mœurs. Ils ont pris pour cible
une célèbre danseuse dont les
mouvements leur semblaient
trop suggestifs…
ASIA TIMES ONLINE
Bangkok et Hong Kong
es Occidentaux qui ont vu
la grande star indonésienne
Inul Daratista en concert
ou en vidéo se demandent
pourquoi on en fait toute une histoire. La plus grande chanteuse
et danseuse de dangdut [un genre
de pop indonésienne] de l’archipel se produit tout habillée.
Certes, elle se trémousse dans
son pantalon en Lycra et ses
déhanchements sont assez suggestifs. Mais, par rapport à ce qui
se fait en Occident, il n’y a là rien
qu’on puisse qualifier d’“osé”.
On a un autre point de vue en
Indonésie, où les gardiens de la
morale veulent purger la société
des influences prétendument occidentales. Le dangdut, pourtant, n’a
rien à avoir avec Hollywood : cette
musique très rythmée et stridente
puise dans les traditions indiennes,
arabes et malaises. C’est le ngebor,
le fameux mouvement giratoire des
hanches d’Inul, qui est à l’origine du
mécontentement des religieux musulmans. Ils le jugent obscène et y voient
une atteinte à la morale. Irrités par la
popularité croissante d’Inul et par son
indépendance d’esprit, ils militent
pour un projet de loi visant à criminaliser un certain nombre de comportements. S’ils obtenaient gain de
cause, Inul ne pourrait plus se produire en public.
L
Dessin de
Lauzan, Chili.
La plupart des mesures proposées
visent les modes vestimentaires et les
comportements féminins. Les libéraux
voient dans ce projet une tentative
d’imposer la charia dans le pays, où
90 % des 240 millions d’habitants
se considèrent musulmans.
Mais ce n’est là que la partie visible du problème ; en
réalité, le débat porte sur
la condition des femmes,
la liberté artistique et l’avenir de la toute jeune démocratie indonésienne. Le
projet de loi contre la pornographie et les “actes pornographiques”, visant
notamment à interdire
aux femmes de dévoiler
certaines parties de leur
corps, est clairement
dirigé contre Inul et
ses émules de plus en
plus nombreuses.
Pour les commentateurs politiques, ce
débat houleux a mis
en évidence le fossé
qui sépare la majorité
rurale, peu instruite et
très influençable, de la
population urbaine,
plus for mée et plus
ouverte. C’est cette dernière qui se fait le plus
entendre, mais, comme
elle pèse moins lourd numériquement, ce projet de
loi controversé a des chances
d’être adopté.
Le président Susilo Bambang Yudhoyono a rassuré les partisans du texte
en renvoyant du palais une danseuse
qui devait se produire ventre nu. Il a
également condamné publiquement
les femmes qui exhibent leur nombril.
Les défenseurs du projet accusent leurs
contradicteurs d’être des dépravés. Des
groupes ethniques comme les Balinais
[qui ne sont pas musulmans mais hin-
RÉACTION
Les anti-islamistes s’organisent aussi
■ Face à la montée de groupes fanatiques,
comme le Front de défense de l’islam ou le
Forum Betawi Rempug (FBR), qui veulent imposer leur loi à la population au nom de l’islam,
plus de dix-neuf organisations de citoyens ont
formé, le 25 mai dernier, l’Alliance de la jeunesse indonésienne pour la protection de la
nation. Ils entendent ainsi lutter contre les
pratiques violentes des fanatiques, qui terrorisent les citoyens et menacent la démocratie. L’organisation la plus impor tante de
cette alliance est la Garda Bangsa, la “garde
de la nation”, fondée en 1999 sous l’aile du
Par ti du renouveau national, un par ti soutenu
par la très grande organisation musulmane de
tendance soufie, le Nahdlatul Ulama. Elle
compte 100 000 membres, qui ont pour mission d’assurer la transition de l’Indonésie vers
la démocratie.
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
A Jakar ta, 1 250 de ses hommes ont été formés aux ar ts mar tiaux d’autodéfense et à des
techniques magiques qui doivent les rendre invulnérables.
La Garda Bangsa, ainsi que toutes les organisations de l’Alliance, récuse cependant le recours
à la violence. Pour mener leur lutte, ses militants
préfèrent utiliser ce qu’ils appellent la “guerre de
l’opinion”. Ils accrochent des banderoles dans
les rues de Jakarta, distribuent des tracts, manifestent devant les quartiers généraux de la police
pour réclamer la dissolution des groupes qu’ils
qualifient de “groupes violents voilés” et pour l’application de la loi républicaine par le gouvernement. Ils diffusent aussi gratuitement sur DVD un
film documentaire montrant les razzias et autres
actions violentes conduites au nom de l’islam par
les formations intégristes.
Eduardus Karel Dewanto, Tempo, Jakarta
32
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
dous], dont la tenue traditionnelle qui
laisse apparaître les épaules serait interdite si la loi était votée, se sont associés
à plusieurs reprises aux artistes de
Jakarta pour manifester. Inul était en
première ligne. Pour la danseuse et son
entourage, il y a déjà suffisamment de
lois qui protègent la société, et cette loi
antipornographie n’a pas sa place dans
une démocratie. Parce qu’elle s’est
exprimée publiquement sur le sujet,
Inul a été déclarée persona non grata
à Jakarta par le Forum Betawi, un
groupe de fondamentalistes qui prétend représenter les habitants de
Jakarta attachés aux traditions. Une
des boîtes de karaoké d’Inul a été saccagée par un groupe de partisans du
Front des défenseurs de l’islam, un
groupe de casseurs qui prétend agir au
nom des musulmans, et elle-même a
été condamnée publiquement par plusieurs autres extrémistes.
LES ACTES DE VIOLENCE
GRATUITES SONT CHOSE COURANTE
Sous le régime de Suharto, les manifestations et autres mouvements de
protestation étaient sous haute surveillance et souvent brutalement réprimés. Mais, depuis l’instauration de la
démocratie, les gens ont commencé
à descendre dans la rue à tout propos
et les actes de violence gratuits sont
devenus chose courante, souvent sous
le regard indifférent des policiers.Yudhoyono a récemment déclaré qu’il
allait prendre des mesures contre les
groupes religieux violents, mais jusqu’à présent ses paroles n’ont pas été
suivies d’effet.
Contrairement à d’autres célébrités, qui s’installent dans des quartiers
huppés, Inul est restée fidèle à ses origines. Si elle a engagé des vigiles à
Jakarta, elle compte sur le voisinage
pour assurer la protection de sa résidence de Gempol, à Java-Est. “Je suis
une musulmane croyante”, a-t-elle
assuré dans une interview. “Je déplore
ce que disent certains religieux. Pourquoi
se préoccupent-ils tant de lutte contre la
pornographie ? Pourquoi faut-il qu’ils
parlent toujours des femmes ? Les priorités, dans ce pays, devraient être l’emploi et l’éducation.” Inul emploie plus
de 750 personnes dans ses sept karaokés. On lui a également proposé de se
lancer dans la politique, mais elle a
décliné toutes les offres qui lui ont été
faites jusqu’à présent. “Le système est
trop corrompu”, explique-t-elle. Grâce
à son combat contre le projet de loi
antipornographie, Inul est devenue
une des militantes des droits de la
femme les plus en vue d’Indonésie.
“Je veux améliorer le statut des femmes,
assure-t-elle. Je veux qu’elles soient suffisamment courageuses pour prendre des
risques.” Au-delà des mots, la danseuse
prêche d’exemple. Duncan Graham
Retrouvez cet article en v.o.
page 58 dans Courrier in English
709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13
12/09/06
13:46
Page 34
asie
CHINE
Le barrage des Trois-Gorges a-t’il détraqué le climat ?
Une sécheresse exceptionnelle a frappé cet été le Sichuan, affectant la vie de dizaines de millions de personnes.
Pour les militants écologistes, le phénomène est lié à l’aménagement du Yangtsé-kiang.
ASIA TIMES ONLINE (extraits)
Projet de canaux de transfert
d’eau du Sud vers le Nord
Fleuve
uc
La nouvelle
voie ferrée
Qinghai-Tibet
Lhassa
t-O
ues
SICHUAN
Chongqing
0
500 km
Pont
NanjingChangjiang
t”
Projet de
canal du Tibet
vers le Huanghe
s
Ya n g t
i
é-k
a
gh
“Es
Golmud
Tianjin
an
zod
Pékin
ng
I
Ga
Courrier international
C H I N E
Jaune
l aura fait chaud, cet été, à
Chongqing. Battant un record
datant de cinquante-trois ans, la
température a atteint 44,5 degrés
dans la municipalité autonome [anciennement incluse dans la province du
Sichuan, dans le sud-ouest du pays].
Une question se pose : le barrage des
Trois-Gorges, tout proche, est-il responsable de cette forte chaleur ? Les
écologistes en sont convaincus, affirmant que chaleur et sécheresse sont des
conséquences environnementales
typiques de la construction d’un grand
barrage. Selon Wang Hongqi, un géographe environnementaliste de Pékin,
le barrage des Trois-Gorges [achevé en
2006] est comme un gigantesque écran
qui empêche la vapeur d’eau du
Yangtsé-kiang de circuler librement
dans la région. Sur le plan topographique, le Sichuan est un vaste bassin.
Quand les flux de vapeur d’eau sont
bloqués, la température dans le bassin augmente, ce qui se traduit à terme
par des périodes de sécheresse. Cette
hypothèse est rejetée par Zhang Qiang,
chef du bureau d’étude des effets cli-
ai
Hong Kong, Bangkok
Sh
828p34
Barrage des Trois-Gorges
La politique chinoise de grands travaux
matiques de l’Administration météorologique chinoise. Pour lui, la vague
de chaleur qui a sévi dans le Sichuan
est à imputer au réchauffement climatique de la planète, et il n’y a pas suffisamment de preuves scientifiques pour
accepter la théorie de Wang.
Quoi qu’il en soit, alors que cette
opération de 200 milliards de yuans
[20 milliards d’euros] touche plusieurs
millions de personnes, aucune évaluation scientifique visant à déterminer
les conséquences sur le climat de la
région n’a été réalisée au préalable.
■
Venise
Le réalisateur
chinois Jia Zhangke
a remporté le Lion
d’or de la Mostra de
Venise pour son film
Still Life (titre
original : Sanxia
Haoren – “Le Bon
Homme des TroisGorges”), un film
dépeignant le drame
des riverains du
fleuve déplacés.
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
34
Malheureusement, le projet des
Trois-Gorges a été utilisé comme une
vitrine par l’ancien Premier ministre
Li Peng, alors au faîte du pouvoir. Malgré le tollé provoqué en Chine et la
méfiance manifestée à l’étranger, Pékin
a interdit tout débat public et lancé
le projet à la légère, ne fournissant que
des évaluations faussées.
LES GRANDS TRAVAUX,
SOURCE DE CORRUPTION
Les dirigeants chinois, quel que soit
leur échelon, n’ont cessé de manifester leur goût pour les projets pharaoniques. Les grands travaux facilitent la
corruption et contribuent à accroître
le PIB, éléments déterminants pour
favoriser la promotion des intéressés.
La centrale électrique de Xinfeng, en
Mongolie-Intérieure, a récemment
fourni un exemple de ces travers. Des
dirigeants locaux qui voulaient à tout
prix faire progresser le PIB de leur province avaient en effet mis en œuvre le
projet, contre la volonté du gouvernement central, désireux d’éviter une surchauffe économique.
D’autres projets d’un coût faramineux ont été lancés ces dernières
années, parmi lesquels le plan de diver-
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
sion de l’eau du Sud au Nord [un
canal est en construction et devrait
relier le Yangtsé-kiang à Pékin d’ici à
2008], le gazoduc Est-Ouest [traversant la Chine du Xinjiang au Zhejiang]
et le tout nouveau chemin de fer
Qinghai-Tibet, mis en service en
juillet 2006 [voir CI n° 820, du 20 juillet
2006]. Récemment, un projet de canal
a également été présenté pour acheminer les eaux du Tibet vers le fleuve
Jaune, dont le lit est souvent à sec. Le
plus souvent, la procédure d’étude
environnementale se révèle une pure
formalité. Une fois ces projets hasardeux menés à terme, les problèmes
qu’ils posent deviennent autant de
bombes à retardement pour l’environnement, à l’instar du complexe
hydroélectrique de la gorge de Sanmen, sur le fleuve Jaune. En l’absence
d’une étude scientifique appropriée,
le problème de sédimentation n’a
jamais été résolu, et ce complexe jadis
acclamé comme une réalisation majeure est devenu purement ornemental, incapable de produire de l’électricité ou de contrôler le niveau des eaux.
On peut se demander si ce n’est
pas le sort qui attend le barrage des
Trois-Gorges.
Poon Siu-tao
828p35-37
12/09/06
14:42
Page 35
m oye n - o r i e n t
●
IRAK
Le fondamentalisme fait son chemin chez les Kurdes
L’idée que le Kurdistan irakien, contrairement au reste du pays, est stable, prospère et démocratique semble
fallacieuse devant la montée des mouvements islamistes, écrit un intellectuel kurde.
AL-HAYAT
Londres
u Kurdistan irakien, des
islamistes ont récemment
demandé “l’application de
la loi divine”. En réaction,
le président de cette région quasi indépendante, Massoud Barzani, a mis en
garde contre le risque de voir apparaître un “mouvement kurde semblable
au Hamas palestinien”. Les islamistes
y bénéficient en effet d’une popularité
grandissante. Cela ne traduit pas toujours forcément une adhésion idéologique, mais s’explique en grande partie par la déception qu’ont provoquée
les deux partis kurdes laïcs qui dominent la scène politique régionale depuis
des décennies, c’est-à-dire le Parti
démocratique du Kurdistan (PDK),
dirigé par le président du Kurdistan,
Massoud Barzani, et l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), dirigée par
le président irakien, Jalal Talabani. Il
faut dire que la région est rongée par
la corruption, souffre d’un taux de
chômage important et peine à attirer
les investisseurs internationaux en raison de la violence qui ravage le reste
du pays. L’UPK et le PDK ne nient
pas les faits, mais soulignent que les
islamistes ne disposent pas non plus
de la baguette magique qui permettrait
de résoudre tous les problèmes.
Au parlement régional, les islamistes sont représentés par une quinzaine de députés, répartis entre le
Groupe du Kurdistan islamique (GKI)
et l’Union islamique du Kurdistan
(UIK). Ils s’opposent vigoureusement
à toute initiative qui leur paraît
Dessin paru dans
The Economist,
Londres.
A
Al-Anbar
contraire à l’islam. Ils ont par exemple
rejeté [une première version de] la
réforme de la Constitution parce
qu’elle ne faisait pas référence à Dieu,
n’instaurait pas l’islam comme religion
officielle et ne faisait pas de la loi divine
la seule source de droit.
Cette participation à la vie parlementaire pose la question du rapport
qu’ont ces partis à la démocratie. Dans
un livre publié en kurde, le chef du
GKI, Ali Bapir, reprend le discours
habituel des mouvements islamistes et
dénonce la démocratie parce qu’elle
permet de voter des lois contraires à
celles de Dieu. Si son parti a malgré
tout participé aux élections, expliquet-il, c’est que nécessité peut faire loi.
Quant à l’UIK, si elle ne croit pas en
la démocratie, elle affirme le droit du
peuple à prendre le pouvoir politique
par des moyens démocratiques. Elle
mentionne également le principe de la
liberté de conscience affirmé par l’islam pour justifier le pluralisme politique et idéologique. Sa conception de
la démocratie est toutefois particulière :
son programme indique que “la consultation [la choura, un concile de juges
musulmans] permet d’atteindre la justice du gouvernement et garantit les libertés publiques” en éludant la question de
savoir si la loi est votée par les hommes
ou révélée par Dieu.
L’UIK bénéficie d’une assez
grande popularité, surtout en milieu
urbain. Créée en juin 1994, elle se
considère comme l’héritière des Frères
Dimanche
10 septembre 2001,
un rapport
du Pentagone
sur l’Irak révélé
par The Washington
Post venait
confirmer
le marasme
américain dans
ce pays. Selon
ce rapport,
les marines
auraient perdu
tout contrôle
sur la vaste
province désertique
d’Al-Anbar, dans
l’ouest de l’Irak,
qui sert de plus
en plus de base
arrière aux groupes
d’Al-Qaida.
musulmans, dont la branche irakienne
remonte aux années 1950. Elle se définit comme “un parti politique réformateur qui s’applique à trouver des solutions
à toutes les questions politiques, sociales et
culturelles d’un point de vue islamique”.
Par ailleurs, elle entretient d’étroites
relations avec les Frères musulmans
égyptiens et avec les islamistes turcs.
Les mouvements islamistes du
Kurdistan affirment être victimes d’ostracisme. Selon Ali Bapir, “les laïcs
kurdes occupent tous les terrains – forces
de sécurité, ressources financières, postes
d’influence, pouvoir politique et médias.
Il ne reste donc rien d’autre aux islamistes
que leur religion et leur Coran.” Cela dit,
ils peuvent militer ouvertement et s’organiser librement. Certains ont même
reçu près de 50 000 dollars du gouvernement régional kurde, entretiennent une vingtaine de bureaux dans la
plupart des villes kurdes du pays et
contrôlent des chaînes de télévision
locales. Bapir lui-même vit dans un
quartier résidentiel d’Erbil, surnommé
le “quartier des dollars” en raison de
la richesse de ses habitants.
Selon Jost Hiltermann, le directeur
de la section Moyen-Orient de l’International Crisis Group [une ONG
consacrée à la prévention et à la résolution des conflits], ces mouvements
pourraient se transformer en pépinière
pour radicaux et en lieu de passage vers
des organisations plus extrémistes.
Sarah Keeler, spécialiste britannique
des affaires kurdes, écarte par contre
cette hypothèse. Selon elle, il est peu
probable que les Kurdes répondent
aujourd’hui favorablement aux appels
des fondamentalistes.
Nizar Agri
SYMBOLES
Arrêtons la guerre des drapeaux
La polémique sur le refus des Kurdes de
hisser le drapeau irakien dans leur territoire
autonome déchire la société irakienne.
Al-Mada, le grand quotidien de Bagdad,
prône l’apaisement.
a polémique sur notre drapeau national
n’a cessé d’enfler. En 2004 [date à
laquelle un modèle entièrement nouveau
a été proposé], notre pays s’était déjà divisé
en deux camps sur cette question. Le premier insistait sur le maintien de l’ancien drapeau en disant qu’il avait toujours symbolisé notre Etat, depuis sa création, quel que
fût le régime au pouvoir [en réalité, il a connu
d’importantes évolutions], que nos soldats
avaient combattu sous lui, qu’il avait servi
de linceul à nos mar tyrs, qu’il nous reliait
aux deux plus grands Etats de l’histoire
arabe et musulmane, ceux des Omeyyades
[pour la couleur blanche] et des Abbassides
L
[pour la couleur noire], et, finalement, qu’il
comportait une dimension sacrée puisqu’il
portait l’inscription “Allah akbar” [Dieu est
grand]. Le second camp voulait remplacer
l’ancien drapeau en faisant valoir que ladite
inscription avait été ajoutée par décision
solitaire de Saddam Hussein [en 1991,
reproduisant l’écriture de l’ancien président,
remplacée depuis par une typographie
neutre], qu’il était associé à la tyrannie, qu’il
avait été brandi quand des Irakiens s’étaient
fait massacrer au Kurdistan à la fin de la
guerre Iran-Irak [notamment dans la ville de
Halabja, dont la population a été gazée en
1988], dans le Sud chiite [notamment après
la première guerre du Golfe de 1991] et
ailleurs, qu’il rappelait trop de drames, que
les trois étoiles qu’il comportait étaient une
référence évidente au mot d’ordre baasiste
“Unité, liber té, socialisme”… bref, qu’il
constituait un hommage implicite à l’ancien
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
régime de Saddam Hussein, alors que les
Irakiens voulaient tourner la page et oublier
leurs cauchemars.
Personne n’est prêt à céder, et le sujet est
susceptible de déclencher les pires polémiques. Si, en plus, tel ou tel parti s’aventurait à vouloir imposer un symbole religieux
ou ethnique, les Irakiens en profiteraient
pour s’entredéchirer de plus belle. Pourtant,
un drapeau doit être fait pour permettre à
chacun de s’y reconnaître. Il faut donc choisir des symboles qui soient communs à tous.
Et notre mémoire collective est riche d’une
histoire longue et glorieuse, qui nous permet de trouver suffisamment d’éléments
capables de faire consensus.
Nous proposons pour notre part de mettre
en exergue trois symboles qui distinguent
tout particulièrement notre pays. C’est en
Irak qu’a été inventé l’alphabet cunéiforme
[par les Sumériens, au IVe millénaire avant
35
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
notre ère], symbole de science et de culture.
L’Irak a ensuite été le premier à mettre en
forme ses lois [1 700 ans avant notre ère]
avec le Code d’Hammourabi, symbole de
droit, de justice et d’ordre. Il a enfin produit
l’une des sept merveilles du monde, les jardins suspendus de Sémiramis, à Babylone,
symbole de civilisation, d’art et de prospérité. Si le drapeau irakien pouvait faire référence à ces héritages, il réussirait à toucher
l’inconscient de tous et à faire vibrer à l’unisson chacun de nos compatriotes, qui comprendraient alors qu’ils appartiennent tous
à une seule et même patrie.
Il ne nous reste plus qu’à ajouter que les Irakiens sont épuisés par les guerres. Tout
ce qui pourrait les leur rappeler doit être éliminé de leur drapeau, surtout les couleurs
noir et rouge [étroitement associées à l’histoire du nationalisme arabe].
Qassem Hussein Saleh, Al-Mada, Bagdad
828p35-37
12/09/06
14:43
Page 36
m oye n - o r i e n t
ISRAËL
Personne ne pourra dire qu’il ne savait pas
Comment des démocrates peuvent-ils accepter que tant d’injustices soient faites aux Palestiniens ?
Spécialiste des Territoires palestiniens, la journaliste israélienne Amira Hass s’interroge.
HA’ARETZ
Tel-Aviv
aissons de côté ces Israéliens
qui, par idéologie, soutiennent la dépossession du
peuple palestinien parce que
“Tu [Dieu] nous as choisis”. Laissons de
côté ces juges qui couvrent la politique
militaire de meurtre et de destruction.
Laissons de côté ces officiers qui
emprisonnent sciemment tout un
peuple entre des murs, des tours de
guet fortifiées, des mitrailleuses, des
barbelés et des projecteurs aveuglants.
Et laissons de côté nos ministres et tous
ces gens qui comptent – les architectes,
les planificateurs et, plus généralement,
les concepteurs et les exécutants de la
politique gouvernementale.
Parlons plutôt des autres. Des historiens et des mathématiciens, des éditeurs, des vedettes médiatiques, des
psychologues et des médecins, des avocats qui ne soutiennent pas le Goush
Emounim [l’extrême droite religieuse]
ou Kadima [le parti au pouvoir], des
enseignants et des éducateurs, des
amoureux de la nature, des magiciens
des hautes technologies. Où êtes-vous ?
Et vous, les spécialistes du nazisme, de
la Shoah et du goulag ? Etes-vous vraiment en faveur de ces lois discriminatoires qui décrètent que, pour les
ravages provoqués par la dernière
guerre, les Arabes de Galilée ne recevront pas les mêmes indemnisations
que leurs voisins juifs ?
Se peut-il que vous souteniez ce
code de la nationalité raciste qui interdit à un Israélien arabe de vivre avec
sa famille dans son propre logis ? Se
peut-il que vous souteniez les expro-
L
Dessin de Habib
Haddad paru dans
Al-Hayat, Londres.
■
Sondage
Selon un sondage
effectué auprès
de la population
palestinienne
de Gaza
et de Cisjordanie
par l’université
Al-Najah,
à Naplouse,
84,9 % des
Palestiniens
soutiennent
la formation
d’un gouvernement
d’union nationale.
Parmi les personnes
interrogées,
88 % avouent
ne pas se sentir
en sécurité dans
les circonstances
actuelles,
60,4 % souhaitent
la tenue
de nouvelles
élections
législatives,
et 56 % d’une
nouvelle élection
présidentielle.
(voir aussi p. 8)
priations programmées en Cisjordanie
pour créer un nouveau quartier d’implantation juive et une nouvelle route,
le “yehudim bilvad” [pour Juifs seulement] ? Se peut-il que vous soyez
d’accord pour qu’un tiers de la Cisjordanie soit désormais inaccessible
aux Palestiniens ? Que vous acceptiez
une politique qui empêche des dizaines
de milliers de citoyens étrangers d’origine palestinienne de rendre visite à
leur famille dans les Territoires ?
Pensez-vous réellement vous en
sortir avec l’argument de la sécurité
pour trouver normal d’interdire aux
étudiants gazaouites d’étudier l’ergothérapie à Bethléem et la médecine à
Ramallah, ou aux malades de Rafah
de recevoir des soins à Ramallah ? Pensez-vous pouvoir vous réfugier derrière
le “lo yadanou” [“nous ne savions pas”]
lorsqu’on vous parlera de la discrimination pratiquée dans l’accès à l’eau
[sous le contrôle exclusif d’Israël] et
qui laisse des milliers d’immeubles
palestiniens sans eau durant les canicules ? Ou du fait que Tsahal a pu
impunément ceinturer les villages par
des barrages empêchant les habitants
d’aller s’approvisionner en eau ?
UN RÉGIME SPOLIATEUR
ET OPPRESSEUR INSATIABLE
Il n’est pas possible que vous ne voyiez
pas les lourds portiques d’acier qui
jalonnent la Nationale 344, cette route
qui traverse l’ouest de la Cisjordanie,
mais sans accès aux villages palestiniens. Il n’est pas possible que vous
souteniez l’interdiction faite à des milliers de fermiers d’accéder à leurs
champs. Ou que vous souteniez la
quarantaine imposée à Gaza et qui
empêche la livraison de médicaments
aux hôpitaux et la fourniture d’électricité et d’eau à 1,5 million d’êtres
humains. Se peut-il que vous ne sachiez
pas ce qui se passe à quinze minutes
de vos cabinets et de vos universités ?
Se peut-il que vous souteniez ce système qui voit des soldats hébreux dresser des barrages au cœur de la Cisjordanie et bloquer des dizaines de
milliers de civils des heures durant sous
un soleil de plomb et trier les habitants
selon leur âge ou selon qu’ils viennent
de Naplouse ou de Tulkarem ? Ou,
pour l’exemple, placer en détention
une femme malade qui a eu le tort de
sortir de la file ? Le site <www.machsomwatch.org> [ONG israélienne
chargée de surveiller les agissements
des soldats israéliens aux postes de
contrôle] est accessible à tous et
regorge de témoignages et de documents qui rendent compte de ces horribles pratiques. Il n’est pas possible
que ceux qui s’insurgent à la moindre
croix gammée sur une tombe juive en
France ou au moindre titre antisémite
dans un journal local espagnol ne
soient pas informés de ce qui se passe
en Cisjordanie et ne s’insurgent pas.
Comme Juifs, nous jouissons tous
du privilège que représente pour nous
Israël et c’est pourquoi nous sommes
tous, bon an mal an, des collaborateurs
[du système]. La question est : que fait
chacun d’entre nous pour minimiser
sa collaboration avec un régime spoliateur et oppresseur insatiable ? Il ne
suffit pas de signer des pétitions et de
se plaindre. Israël est une démocratie
pour ses Juifs. Nos vies ne sont pas en
danger, nous ne risquons pas d’être
placés en camp d’internement et nous
pourrons toujours nous détendre à la
campagne ou à l’étranger. C’est pourquoi le poids de notre collaboration et
de notre responsabilité directe est terriblement lourd.
Amira Hass
PA L E S T I N E
Ayez pitié de Gaza !
Le porte-parole du gouvernement islamiste
palestinien dresse un étonnant réquisitoire
contre la lutte des factions, l’anarchie et la
corruption qui gangrènent la bande de Gaza.
u’avons-nous fait de notre territoire ?
Gaza est à présent blessée, maussade,
exsangue, à cause des coups de poignard
que lui ont infligés l’anarchie et les multiples
guerres de clans aux prétextes aussi divers
que fallacieux. Ses rues sont envahies d’ordures nauséabondes. Quand les forces d’occupation [israéliennes] s’étaient totalement
retirées de la bande de Gaza [le 12 septembre 2005], nous laissant seuls derrière
des portes fermées à double tour, les Palestiniens s’étaient réunis pour fêter l’événement, toutes factions confondues, certaines
parlant de retrait israélien, d’autres de
déroute de l’occupation ou de victoire de la
résistance. Ce jour-là, beaucoup parmi nous
évoquaient l’“avenir radieux”, prédisaient
la croissance et échafaudaient des projets
Q
de développement de l’industrie et du commerce. Ce jour-là, optimistes, nous pensions
que nos souf frances n’avaient pas été
vaines et que nos sacrifices porteraient bientôt leurs fruits. Mais, un an plus tard, à
cause de notre amateurisme, le rêve a viré
au cauchemar.
Il me faut tout mon courage pour me
demander pourquoi la bande de Gaza est
de nouveau gagnée par le désespoir. La
réponse semble évidente : “C’est parce que
les forces d’occupation sont de retour !”
[allusion aux nombreux raids israéliens sur
la bande de Gaza]. Mais, plutôt que de parler de l’occupation et de dénoncer ses
crimes, arrêtons-nous un instant sur nousmêmes et sur nos erreurs. Plutôt que de
nous en tenir à des explications toutes
faites, demandons-nous si l’anarchie, l’insécurité, les meurtres, les luttes de clans,
les terrains que certains s’approprient, les
passe-droits… si tout cela est la faute de
l’occupation.
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
Nous avions toujours affirmé que nous nous
battions pour la libération de chaque pouce
de notre terre. Voici que nous avons entre
nos mains un bon et grand bout de cette
terre, précisément 365 kilomètres carrés
[superficie de la bande de Gaza], et que nous
le dilapidons parce que nous ne savons pas
quoi en faire. Tenons-nous simplement aux
chiffres. Depuis le retrait israélien, plus de
500 Palestiniens ont été tués, plus de
3 000 ont été blessés, plus de 200 sont
devenus handicapés. A cela s’ajoutent
plus de 150 maisons détruites et nos infrastructures laminées. Dans le même temps,
le nombre d’Israéliens tués par les roquettes
tirées à par tir de Gaza a été de trois ou
quatre. En marchant dans les rues de Gaza,
vous avez du mal à croire vos yeux. Il y règne
un chaos sans nom. Des adolescents se
pavanent en armes devant des policiers qui
restent mains dans les poches. Malgré tout
le respect que je dois à la résistance, je dois
dire qu’elle aussi a commis des erreurs avec
36
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
ses multiples règlements de comptes et en
croyant que tous les citoyens devaient se
plier à sa volonté. Quand une faction juge
nécessaire l’accalmie, une autre s’y oppose
et tire une roquette [contre Israël]. Quand
d’énormes efforts sont déployés pour alléger les souffrances de la population palestinienne en rouvrant Rafah [unique point de
passage entre Gaza et l’Egypte], il se trouve
toujours quelqu’un pour tirer une roquette
justement sur Rafah.
Je me demande quelle utilité peut avoir la
résistance tant que notre pays est miné par
l’anarchie. Résister, cela devrait aussi signifier construire notre pays, respecter la propreté, l’ordre, les lois et les aspects de la
vie sociale. Ayez pitié de Gaza ! Epargnez-lui
votre démagogie et votre désordre, vos
armes et vos bandits, vos luttes intestines
et vos surenchères. Laissez-la vivre un peu,
permettez-lui de respirer. Et qu’enfin la raison prime sur l’émotion.
Ghazi Hamad, Al-Ayyam (extraits), Ramallah
828p35-37
12/09/06
14:44
Page 37
m oye n - o r i e n t
SYRIE
Quand l’opposition s’aligne sur le régime
La guerre au Liban a une fois de plus poussé les opposants syriens à jouer la carte du patriotisme et à mettre
en sourdine leurs revendications en matière de libertés publiques, de pluralisme et de démocratie.
AL-HAYAT
Londres
ucun des opposants
syriens sensibles à la question des réformes politiques en Syrie n’est sorti
indemne des répercussions de la dernière guerre israélienne contre le
Liban. De manière sanglante, celleci a contraint tous les acteurs de l’opposition à s’interroger sur la solidité
de leurs positions démocratiques, sur
leur détermination et sur leur engagement. Ils ont ainsi été ramenés à
l’éternelle question du monde arabe :
comment articuler patriotisme et
démocratie ? Cette question doit être
abordée aujourd’hui en termes plus
clairs, entre ceux qui considèrent qu’il
faut mobiliser toutes les forces pour
libérer les terres occupées et ceux qui
accordent la priorité au développement de la démocratie, meilleur
moyen selon eux d’atteindre une véritable indépendance vis-à-vis de
l’étranger ; entre ceux qui misent sur
les armes et le langage de la force et
ceux qui croient aux moyens politiques, civils et pacifiques ; entre ceux
qui raillent la communauté internationale et lui dénient toute légitimité
et ceux qui souhaitent s’inscrire dans
le cadre de la légalité internationale,
le moins mauvais selon eux pour
garantir l’équité et l’obtention des
droits nationaux.
Durant cette guerre, beaucoup
d’opposants ont soutenu sans réserve
chaque tir susceptible de toucher
l’“ennemi sioniste” [Israël]. Certains
sont allés très loin dans l’esprit de résistance et de mobilisation patriotique,
et ont demandé que la Syrie déclare
la guerre et ouvre un front supplémentaire sur le plateau du Golan. Les
uns étaient convaincus que l’on tenait
là une occasion unique d’infliger une
défaite à Israël, les autres y voyaient
un moyen d’embarrasser le régime
syrien et de mettre à nu la vacuité de
ses slogans nationalistes. Faisons abstraction des petits calculs d’intérêts et
des divisions qui existent entre nous
et reconnaissons que cette guerre a
amené de nombreux opposants à donner nettement la priorité à la “cause
nationale” au détriment de leurs engagements démocratiques. Cela a trait à
une problématique fondamentale, toujours aussi insoluble, dont la persistance s’explique notamment par trois
éléments essentiels.
Premièrement, la majeure partie
de l’opposition s’inscrit dans une
longue histoire de résistance au colonialisme et surtout au projet sioniste.
Quant à ses dirigeants, la plupart se
sont engagés dans la vie politique sous
la bannière d’idéologies totalitaires,
qu’elles soient nationalistes ou
marxistes. Malgré les années écoulées
depuis l’effondrement du bloc socialiste, ils comprennent encore imparfaitement les changements survenus
A
Dessin d’Ajubel
paru dans El
Mundo, Madrid.
à l’échelle mondiale. Ils n’ont pas suffisamment assimilé toutes les leçons
des expériences démocratiques pour
passer à d’autres modes de pensée et
d’action et n’ont pas développé une
conception moderne du patriotisme,
persistant à promouvoir une forme de
souveraineté nationale – chimérique
et passéiste – qui équivaut à un isolationnisme total. Deuxièmement, la
population syrienne se caractérise par
une grande sensibilité à la question
nationale et par une hostilité particulière vis-à-vis d’Israël. Il n’est pas exagéré de dire que les intellectuels se sont
en quelque sorte retrouvés prisonniers
de la rue syrienne, de ses émotions et
de sa sympathie pour la résistance libanaise. Certains se sont laissés entraîner par cette ambiance et se sont mis
à flatter l’humeur populaire, qui veut
venger les Palestiniens et en découdre
avec l’ennemi israélien. Ils sont parfois
allés jusqu’à épouser si étroitement ses
positions qu’ils ont fini par contredire
leurs propres combats passés pour la
démocratie. Pour être juste, il faut dire
que ces intellectuels étaient soumis à
une forte pression de la part d’une
société qui n’admet pas les divergences
d’opinion, surtout en temps de guerre.
De tout temps, l’attitude prédominante
à Damas a été de vouloir réprimer ceux
qui pensent autrement, de les dénigrer
et de les accuser de tous les maux. Et
cela est encore plus vrai lorsque cela
concerne la “cause sacrée” du patriotisme.
sont jugées bonnes, il est normal que
la lutte pour la démocratie et pour les
libertés individuelles soit mise en sourdine au profit d’une mobilisation des
foules qui nécessite une volonté collective sans faille et une adhésion idéologique totale, afin de donner le coup
de grâce au mythe d’une armée israélienne invincible.
L’INTÉRÊT POUR LES RÉFORMES
DÉMOCRATIQUES EST EN RECUL
Troisièmement, la faiblesse des réactions internationales, l’incapacité du
Conseil de sécurité de l’ONU de faire
respecter les droits des Arabes, la partialité pro-israélienne de la plupart des
grandes puissances et le caractère
débridé de l’agression israélienne ont
largement contribué au développement
d’une logique de force brute. L’illusion
d’avoir remporté une victoire au Liban
rend la chose encore plus compliquée.
En effet, si les méthodes du Hezbollah
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
37
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
Force est de constater que l’intérêt pour les réformes démocratiques
est en recul en Syrie. Demain, ceux
qui défendent les libertés publiques,
les droits de l’homme et le pluralisme
risquent de prêcher dans le désert.
Dans le même temps, un discours
plus démagogique se répand, encouragé par le régime, qui consiste à lancer des slogans comme “La résistance
d’abord” afin d’exciter les foules et de
rallumer en permanence les passions.
Il est vrai que les événements qui
viennent de se dérouler sont une
occasion en or pour enchaîner de
nouveau la société en la maintenant
dans l’état de mobilisation générale
contre un danger imminent venu de
l’extérieur, afin que personne ne se
préoccupe des problèmes qui se
posent à l’intérieur. Akram Al-Bounni
WEB+ Plus d’infos sur le site
Les troubles en Syrie
vus par la presse arabe
709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13
828p39-40
12/09/06
14:24
Page 39
afrique
●
ZIMBABWE
On peut truquer les élections mais pas l’économie
L’économie du Zimbabwe est dévastée : l’inflation y dépasse les 1 000 % par an et son PIB a diminué de 40 %,
mettant plus de 70 % de la population au chômage. En cause : la politique désastreuse du régime Mugabe.
MAIL & GUARDIAN
Johannesburg
ébut août, dans les rues
de Harare comme dans
tout le Zimbabwe, des
gens de toutes races et de
tous milieux trimbalaient de grands
sacs à bandoulière, des sacs à dos et
des valises bourrés d’argent liquide.
Pris d’une frénésie d’achat, beaucoup
d’entre eux s’offraient des voitures,
des cuisinières, des vaches. Fallait-il y
voir le signe d’une embellie pour l’économie zimbabwéenne ? Loin de là. La
population cherchait uniquement à se
débarrasser de ses anciens billets avant
le passage à la nouvelle monnaie : les
billets actuels allaient être remplacés
par de nouvelles coupures avec trois
zéros de moins. Le billet de
20 000 dollars zimbabwéens allait ainsi
laisser la place à un nouveau billet, un
billet de 20, la valeur de la monnaie
restant inchangée : 0,031 euro.
Cette opération a été pompeusement baptisée “De zéro à héros” par
Gideon Gono, gouverneur de la
Banque centrale du Zimbabwe. Selon
des économistes, retirer des zéros ne
va rien changer quant au fond. Le billet
de 100 000 aura beau être devenu un
billet de 1 000, cela ne réduira pas l’inflation, qui atteint des sommets : plus
de 1 000 % par an, au dire de John
Robertson, économiste à Harare. “Il
faudrait un vrai changement de politique
économique, soutient-il, à commencer par
la maîtrise du déficit budgétaire.”
Depuis le 21 août, les vieux billets
n’ont plus de cours légal, d’où la ruée
vers les commerces ou les banques.
Mais, avant le passage à la nouvelle
monnaie, le régime du président
Robert Mugabe, avec l’autoritarisme
qu’on lui connaît, a traité les gens
Robert Mugabe,
le président
du Zimbabwe.
Dessin de Gado paru
dans The Nation,
Nairobi.
D
Pauvreté
transportant du cash comme des criminels. Aux barrages routiers, aux
postes-frontières, dans les aéroports,
les policiers fouillaient les sacs pour
s’assurer que personne ne détenait plus
de 100 millions de dollars
z i m babwéens. D’énormes quantités
de billets ont été confisquées, en particulier à des paysans venus en ville
déposer leur argent à la banque. Plus
de 3 200 Zimbabwéens ont été arrêtés
à des barrages routiers et 700 milliards
ont été saisis, selon les médias d’Etat.
Des centaines d’entreprises font aussi
l’objet d’enquêtes.
Les contrôles ont parfois pris un
tour macabre. Les familles qui transportaient leurs morts aux enterrements
devaient ouvrir les cercueils pour prouver que des espèces ne voisinaient pas
avec les restes de leurs chers disparus.
Peu avant le changement de monnaie, la police a saisi à l’aéroport de
Harare plusieurs grands récipients où
étaient cachés plus de 1 000 milliards
de dollars zimbabwéens. Cet argent
était réacheminé en contrebande dans
le pays par trois grandes institutions
financières, à en croire le quotidien
progouvernemental The Herald, afin
d’être échangé contre la nouvelle
monnaie.
Le dollar zimbabwéen a connu
son heure de gloire, mais l’inflation
galopante l’a rendu presque sans
valeur. Dans les supermarchés, la
clientèle devait pousser un chariot
plein d’argent pour s’en acheter un
de provisions. Les calculettes, les
caisses enregistreuses et les chéquiers
n’arrivaient plus à suivre : les prix des
produits de consommation courante
atteignaient des millions, les biens
immobiliers et les voitures coûtaient
des milliards et les budgets des entreprises se chiffraient en billions. Retirer trois zéros va rendre la monnaie
zimbabwéenne plus facile à manier,
mais l’inflation ne tardera pas à rajouter les zéros manquants.
Selon le Mail
& Guardian,
“la population
zimbabwéenne,
autrefois
l’une des plus
prospères d’Afrique,
est appauvrie
et affamée”.
Il y a dix ans,
environ 30 %
des Zimbabwéens
vivaient en dessous
du seuil
de pauvreté.
Aujourd’hui, le taux
est supérieur
à 70 %, estime
l’hebdomadaire
sud-africain.
Avant le 21 août, au taux de
change officiel, 250 000 dollars zimbabwéens valaient 1 dollar américain.
Mais, en réalité, le dollar zimbabwéen
vaut encore moins que cela, car on ne
trouve pas de dollars [US] au taux officiel. Sur le marché parallèle, illégal mais
florissant, il faut 600 000 dollars zimbabwéens pour acheter 1 dollar.
“Notre dollar ne sert à rien”, assurait Iddah Mandaza, un ouvrier de
Harare, à la veille du changement de
monnaie. “Ça coûte 600 000 dollars de
prendre son bus pour aller au travail. On
paie des millions pour s’acheter un cassecroûte. Retirer des zéros, ça ne va rien
changer.Tout le monde le sait. On aura
moins de billets sur nous, mais ça ne va
pas arrêter l’inflation, ni faire disparaître
les pénuries de nourriture et de carburant.”
Le passage à la nouvelle monnaie
met à nu la gravité de la crise économique que traverse le Zimbabwe. En
huit ans, le PIB a perdu plus de 40 %,
un effondrement sans précédent pour
un pays qui n’est pas en guerre, selon
la Banque mondiale. D’autres indicateurs économiques sont tout aussi
consternants. Le chômage est estimé
à 70 % ou 80 %. La production agricole a plongé de 60 % et les usines
fonctionnent à moins de 20 % de leur
capacité, d’après certains économistes.
“Les pauvres et les moins instruits
auront été les plus pénalisés”, commente
John Makumbe, professeur de sciences
politiques. “On les a traités comme des
saboteurs économiques. Ils sont censés être
les plus solides partisans de Mugabe, et
pourtant ils se souviendront amèrement
du jour où les autorités leur ont confisqué leur argent. Mugabe peut truquer les
élections, il peut museler la presse, mais
il ne peut pas truquer l’économie. Elle
refuse d’obéir à ses ordres.”
Andrew Meldrum
LIBYE
Kadhafi père et fils, même combat
Sayf Al-Islam Kadhafi se livre à de
violentes attaques contre le régime libyen.
Pour Al-Quds-Al-Arabi, c’est juste
une manière de préparer en douceur
la succession familiale.
er tains des discours récemment prononcés en Libye pourraient être qualifiés
de putschistes s’ils n’étaient le fait du propre
fils de Kadhafi. Sayf Al-Islam Kadhafi n’a pas
hésité à dire que le pays était dans un état
pitoyable, que la politique économique était
mauvaise, que le système de santé était
insuffisant et que l’attitude vis-à-vis de la
presse était incorrecte, avant de se faire l’avocat des réformes et de la démocratisation,
comme s’il voulait balayer les idées révolu-
C
tionnaires, les pratiques des congrès populaires, les rêves de grandeur, les projets de
“fleuves ar tificiels” [chantier géant d’adduction d’eau des nappes phréatiques du
désert vers les villes côtières], et en finir avec
les divagations du Livre vert [programme idéologique de la révolution libyenne] qui a
assommé deux générations entières de
Libyens. Depuis la fameuse “révolution de
septembre” [coup d’Etat de 1969], le pays
a été transformé en une sorte de théâtre
géant pour que le Guide puisse s’y donner
en spectacle dans une mise en scène permanente, à laquelle le peuple est gratuitement convié. Et, si la population en a assez
du père, le fils se propose comme solution
de rechange, prêt à enterrer tous les “acquis”
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
du passé. Soyez assurés qu’il a la bénédiction de son géniteur, car l’important, c’est
que le pouvoir reste dans la famille.
Je n’ai pas de boule de cristal et je ne sais
pas lire dans les pensées réformatrices de
Kadhafi fils, mais ces discours ne sont rien
d’autre que les slogans publicitaires du seul
et unique candidat à la succession au pouvoir. Le scénario manque presque d’originalité, dans ce monde arabe où les “dynasties républicaines” ne choquent plus
personne. Quoi qu’on dise sur la modernité
de ses idées, sur sa bonne volonté et sur
son désir sincère de faire entrer son pays
dans le monde contemporain, les discours
du jeune Kadhafi ne seront jamais autre
chose qu’une campagne publicitaire des-
39
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
tinée à lui assurer un règne aussi long que
celui de son père. Pendant trente-sept ans,
on a fait perdre leur temps aux Libyens et
dilapidé des millions en voulant leur inculquer les valeurs du Livre vert, en organisant
des festivals de “poésie panégyrique” à
la gloire du Guide, en passant du panarabisme au panafricanisme et vice versa, en
prêchant une vaine résistance face aux boycotts internationaux pour finalement revenir à la case départ. Les Libyens ont accordé
leur confiance au père. Qu’ils ne se trompent pas à nouveau aujourd’hui ! Qu’ils ne
descendent pas dans la rue pour donner un
nouveau blanc-seing à l’héritier, quels que
soient ses slogans !
Hakam Baba, Al-Quds Al-Arabi, Londres
828p39-40
12/09/06
14:24
Page 40
afrique
OUGANDA
28 millions d’habitants aujourd’hui, 130 millions en 2050
L’Ouganda connaît la plus forte croissance démographique du monde. Pour le président Yoweri Museveni,
il ne faut rien faire pour la limiter car
c’est une chance pour le développement du pays…
THE GUARDIAN
Londres
’Ouganda compte aujourd’hui 27,7 millions d’habitants. Mais, d’ici à 2025, sa
population aura pratiquement doublé pour atteindre 56 millions de personnes, un chiffre proche
de celui de la Grande-Bretagne pour
une superficie similaire. En quarantequatre ans, ce pays aura connu une
croissance démographique presque
aussi élevée que celle de la Chine.
“Quand on voit ces chiffres, on se
dit que c’est impossible”, déclare Carl
Haub, du Population Reference
Bureau, une organisation américaine
dont les dernières projections font
de l’Ouganda le pays à la croissance
démographique la plus rapide du
monde. Au milieu du XXIe siècle, le
pays aura la douzième population de
la planète : 130 millions d’habitants,
plus que la Russie ou le Japon.
Aussi stupéfiantes qu’elles soient,
ces projections tiennent la route, et il
suffit d’examiner certaines des variables
pour en connaître la raison. Une
Ougandaise donne en général naissance à sept enfants – un taux de
fécondité extraordinairement élevé, qui
n’a pratiquement pas varié depuis
trente ans. La moitié de la population
a moins de 15 ans et sera bientôt en
âge de procréer. Moins d’une femme
sur cinq a accès à la contraception.
Pris dans leur ensemble, ces facteurs annoncent une explosion démographique qui, selon les experts,
condamne d’avance la lutte contre la
pauvreté si l’on ne prend pas des
mesures de toute urgence.
Et pas seulement en Ouganda.
La plus grande partie de l’Afrique
subsaharienne connaît une expansion tellement foudroyante que la
carte démographique du monde est
en train de changer.
Dans le reste du monde, y compris
dans les pays en développement d’Asie
et d’Amérique du Sud, le taux de
fécondité n’a cessé de baisser, pour
atteindre en moyenne 2,3 enfants par
femme. La plupart de ces pays ne
connaîtront qu’une croissance modeste
dans les décennies à venir. Certains,
en particulier en Europe de l’Est, verront même leur population décliner.
En revanche, le Tchad, le Mali, la
Guinée-Bissau, le Liberia, le Niger,
le Burundi et le Malawi – qui comptent tous parmi les pays les plus
pauvres du monde – devraient voir leur
population tripler d’ici à 2050. Le
Nigeria sera le quatrième pays le plus
peuplé du monde, la république démocratique du Congo et l’Ethiopie entreront pour la première fois dans les dix
premiers. L’Afrique regroupera près
du quart de la population mondiale
– au lieu du septième aujourd’hui.
“C’est inquiétant et déprimant”,
confie Jotham Musinguzi, le directeur
du secrétariat à la population du minis-
Dessin de Riber
paru dans Svenska
Dagbladet,
Stockholm.
L
■
tère des Finances ougandais, qui rappelle que taux de fécondité élevé et
pauvreté sont liés. “Allons-nous vraiment pouvoir donner travail, logement et
éducation à tous ces gens ?”
NOMBRE DE DIRIGEANTS PENSENT
QUE LEUR PAYS EST SOUS-PEUPLÉ
Le développement risque de ne pas
être la seule victime de cette explosion démographique. La compétition
va s’accroître pour les ressources limitées, la terre par exemple, et les
conflits vont probablement se multiplier. Les conséquences se feront
sentir bien au-delà de l’Afrique : l’envie d’émigrer – qui est déjà pressante –
ne pourra que s’accentuer.
Mais tout n’est pas encore perdu.
L’expérience montre qu’avec une forte
volonté politique on peut freiner la
croissance démographique en Afrique.
La population sud-africaine devrait
rester stable grâce à une politique
constante visant à réduire le taux de
fécondité – même si le sida est aussi
un facteur. En 1978, le Kenya, pays
voisin de l’Ouganda, avait le taux de
fécondité le plus élevé du monde
– plus de huit enfants par femme. Le
gouvernement a fait du planning familial une priorité nationale, et le chiffre
est tombé à moins de cinq au milieu
des années 1990.
Nombre de dirigeants africains,
dont Yoweri Museveni, le président de
l’Ouganda, considèrent cependant que
leur pays est sous-peuplé et qu’un marché intérieur et une main-d’œuvre plus
importants doperaient ses perspectives
Contraception
Selon The Guardian,
en Ouganda,
le principal
problème,
ce n’est pas le prix
des moyens
de contraception
– trois mois de
pilules reviennent
à 10 centimes
d’euro, et les
préservatifs sont
gratuits pour
les hommes.
“C’est plutôt l’accès
à l’information
et aux contraceptifs :
ce genre de clinique
n’existe tout
simplement pas
dans la plus grande
partie du pays.”
économiques. Museveni a déclaré aux
députés en juillet : “Je ne suis pas de
ceux qui s’inquiètent de l’‘explosion démographique’. C’est une grande ressource.”
Les études effectuées en Afrique
montrent que les gens continuent à
souhaiter une grande famille. Au Nigeria, seules 4 % des femmes ayant deux
enfants déclarent ne pas en vouloir
d’autres, selon une enquête récente.
Cela s’explique en partie par des raisons culturelles : les grandes familles
sont considérées comme un signe de
sécurité, et l’on redoute la mortalité
infantile élevée. Quant au contrôle des
naissances, il reste mal vu. Selon les
experts, le public manque d’information et les femmes de contraceptifs. En
Ethiopie, 8 % des femmes mariées utilisent un contraceptif. En Ouganda,
plus du tiers des femmes déclarent souhaiter arrêter de faire des enfants ou,
au moins, ralentir le rythme.
Les pays donateurs ont leur part
de responsabilité, affirme Steven Sinding, directeur général de la Fédération internationale des plannings familiaux. Le monde a crié victoire trop tôt
dans la bataille contre le taux de fécondité. La réduction de la croissance de
la population mondiale ne figure pas
parmi les “objectifs du millénaire pour
le développement” des Nations unies,
qui entendent réduire la pauvreté de
moitié d’ici à 2015, et est à peine évoquée dans le rapport de la commission
pour l’Afrique lancée par Tony Blair.
“La population reste un problème très
sérieux en Afrique, mais les pays donateurs se sont concentrés sur le sida et personne n’en parle plus, déclare Steven
Sinding. La démographie est exclue du
programme de développement, et c’est une
tragédie pour l’Afrique.”
Xan Rice
CÔTE-D’IVOIRE
Déchets toxiques et faillite politique
Six personnes ont été tuées et plus de
6 000 autres intoxiquées par les produits
chimiques déversés dans des décharges
publiques d’Abidjan. Le témoignage
d’un journaliste contaminé.
e vendredi 18 août 2006, un communiqué
du district d’Abidjan faisait état d’une opération de démoustication de la ville d’Abidjan par pulvérisation aérienne. Le lendemain,
c’est-à-dire le samedi 19 août 2006, nous
sommes réveillés par une odeur indescriptible.
Nous avons pensé que cette odeur était due
à l’opération de démoustication annoncée. Le
25 août, je me réveille avec la gorge sèche et
je crache du sang. Une visite à l’hôpital n’a
pas permis de connaître l’origine de mon mal.
C’est le journal télévisé qui va nous apprendre
qu’un liquide dangereux aurait été déversé à
divers endroits de la ville d’Abidjan, provoquant
des vapeurs d’une particulière nocivité, et que
cette situation aurait déjà fait des victimes
L
dans la population. Nous nous rendons alors
compte qu’une partie de ce liquide a été déversée derrière notre demeure, à Abobo [quartier
d’Abidjan]. Aujourd’hui, c’est toute ma famille,
composée de huit personnes, qui est infectée, sans assistance médicale. [Ces déchets
toxiques ont été déversés par un navire battant pavillon panaméen.]
Nous avons abandonné notre domicile. Ma
famille est aujourd’hui éparpillée : deux
enfants sont à Adjamé [quartier d’Abidjan],
un autre à Yopougon [autre quartier d’Abidjan] ; deux neveux vivant chez moi se retrouvent l’un à Yopougon et l’autre à Grand-Bassam [ville portuaire] ; mon épouse a pu être
accueillie dans une famille à Abobo, avec mon
dernier-né. Et moi-même, le chef de famille,
toujours malade et ne voulant pas surcharger
les amis qui ont bien voulu recevoir les autres
membres de la famille, j’ai choisi de passer
mes nuits sur mon lieu de travail [la rédaction
du quotidien Fraternité Matin]. Dans le souci
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
40
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
d’améliorer les conditions de vie de ma
famille, j’avais acquis un logement après plusieurs années de sacrifice. Aujourd’hui, je suis
obligé de dormir dans mon bureau, ma famille
étant éparpillée dans la ville à la suite d’une
situation indépendante de ma volonté.
L’odeur des déchets continue de monter…
et on ne par vient toujours pas à situer les
responsabilités et à désigner les coupables.
Le peuple, lui, reste très attentif à ce qui s’est
passé et à ce qui se passera cette semaine
à propos des déchets toxiques déposés dans
notre pays par un bateau ivre. [Après cette
affaire, le gouvernement ivoirien a démissionné.] Le nouveau gouvernement sera-t-il
connu assez vite ? Les déchets seront-ils
enlevés assez vite ? Les populations serontelles rassurées assez vite et à tout point
de vue ? A ce stade, le peuple ne veut et
ne peut regarder que le président Gbagbo et
le Premier ministre Konan Banny…
Alfred Moussa Dan, Fraternité Matin (extraits), Abidjan
709 6JUIN 44 1/06/04 19:49 Page 13
828p42-43
12/09/06
16:31
Page 42
e n c o u ve r t u re
●
E
R
T
Ê
’
D
R
U
D
R
U
D
E
H
C
U
A
G
E
D
■ Qu’est-ce que la gauche aujourd’hui ? Les travaillistes britanniques sont déçus
par Tony Blair, les démocrates américains ne savent pas comment battre George
Bush, et la percée de Ségolène Royal pousse le PS à s’interroger sur les valeurs
qu’il défendra lors de l’élection présidentielle. ■ Même le modèle nordique
ne fournit plus de solutions toutes prêtes, pas plus que la gauche latino-américaine.
Pour autant, les militants, les intellectuels et les blogueurs ouvrent de nouvelles
pistes : ni résignation devant le marché ni retour aux vieilles recettes socialistes.
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
42
Ce qui res t
Préserver l’Etat-providence et
l’environnement, soutenir la cause
de la liberté … Pour l’éditorialiste
britannique John Lloyd,
être de gauche garde son sens.
LA REPUBBLICA
Rome
e Parti des socialistes européens (PSE) a
pour slogan : “Socialiste, et fier de l’être !”
Il peut certes en être fier, mais qu’il se dise
socialiste est une offense au vocabulaire.
Car, si “socialiste” a un sens, alors le PSE
ne peut plus être décrit comme tel. Il est
quelque chose d’autre : il est tout à fait différent
d’un parti de droite, mais il n’est pas socialiste.
Et la politique européenne ne s’en porterait que
mieux si on l’admettait.
Où en sont les principaux partis de la gauche
en Europe ? Le Parti travailliste britannique est
celui qui a été au pouvoir le plus longtemps, et
aucun de ses chefs de file, en tout cas pas Tony
Blair, ne le définirait comme socialiste. Les
sociaux-démocrates allemands, membres de la
coalition dirigée par la démocrate-chrétienne
Angela Merkel, ne peuvent pas faire grand-chose
tout seuls. Même les socialistes espagnols, dont
la victoire en 2004 était inattendue, mais qui ont
su remarquablement consolider leur assise sous
la férule de José Luis Rodríguez Zapatero, s’intéressent davantage à la libéralisation sociale qu’à
des réformes économiques socialisantes. Si en
Suède les sociaux-démocrates se trouvent presque
constamment aux commandes, c’est parce qu’ils
ont adopté une position de plus en plus centriste.
Aux Pays-Bas, le Parti travailliste, exclu du pouvoir, est en quête de nouvelles idées, en particulier à propos de l’immigration. En France, les
socialistes sont encore sous le coup d’une défaite
traumatisante en 2002 et sont profondément
divisés sur l’Europe. Quant à leur candidate
potentielle à la présidentielle, la populaire Ségolène Royal, elle affiche des opinions centristes,
pour ne pas dire de droite, qui expliquent justement sa popularité.
En Italie, l’Union de la gauche [élue en avril
2006] a déjà entrepris ce que n’avait pas fait le
gouvernement de la droite : libéraliser l’économie. Dans le même temps, la gauche s’est attelée à une tâche ardue : l’unification des principaux partis qui la composent. Ce qui devrait
déclencher un débat sur ce qu’est la gauche. Un
débat qui, même s’il se déroule dans un environnement moins propice, ne sera pas sans rappeler celui qui a accouché du New Labour en
Grande-Bretagne dans les années 1990.
Tous les partis de la gauche européenne, bien
que de traditions extrêmement diverses et étant
confrontés à des problèmes nationaux différents,
se ressemblent sur certains points clés : ils ne
croient plus ou, du moins, ils ne fondent plus
leurs actions sur la conviction que des mesures
L
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
828p42-43
12/09/06
16:31
Page 43
s te aux partis socialistes
socialistes sur le plan économique peuvent favoriser la croissance, voire l’emploi à long terme ;
dans toute l’Europe, ils doivent faire face à un
retour de bâton vis-à-vis de l’immigration et à la
peur de l’islam radical, et doivent développer des
politiques en conséquence ; enfin, leur électorat
traditionnel, la classe ouvrière syndiquée, ne cesse
de s’éroder. Pour les partis démocratiques de
gauche des anciens Etats communistes, la vie
après le communisme n’a pas été tendre, et ils
ont dû lutter pour accéder au pouvoir.
Qu’espérons-nous, en réalité, quand nous
élisons un gouvernement de gauche ? Nous n’attendons plus de transformation économique,
ni une approche automatiquement progressiste
des questions sociales et de l’immigration, ni
même que les classes laborieuses soient favorisées. Ce que nous voulons, c’est une approche
plus sociale, une attitude plutôt plus progressiste sur les questions sociales et personnelles.
Nous voulons que l’accent soit davantage mis
sur la justice, qu’il y ait davantage de volonté
de légiférer en faveur des droits des femmes.
Toutes ces distinctions sont importantes, elles
peuvent être synonymes d’une véritable amélioration des droits et des vies des gens. Mais
ces distinctions sont également relatives, car
nous ne nous attendons pas à ce que des gouvernements de droite s’opposent à ces notions,
du moins pas trop radicalement.
Bien sûr, les partis ne peuvent pas revenir
brutalement sur leurs convictions officielles,
même s’ils n’en tiennent plus compte dans leurs
actions. Ils ne peuvent tirer un trait à la légère
sur leur tradition, bien souvent une tradition
de lutte, parfois contre l’oppression. C’est peutêtre parce que le Parti travailliste britannique
n’a jamais été mis au ban par des forces totalitaires de droite – comme cela a été le cas
de partis sociaux-démocrates en Allemagne,
en Italie et en Espagne – qu’il a pu ouvertement entreprendre des changements aussi
radicaux. Nombre de ces partis comptent encore
■
L’auteur
John Lloyd,
éditorialiste
au Financial Times,
a notamment écrit
pour l’hebdomadaire
de gauche
New Statesman.
Dernier ouvrage
paru : What
the Media Are Doing
to Our Politics
(Comment
les médias sapent
la démocratie,
éd. Constable
& Robinson, 2004).
des membres qui continuent de croire que le
socialisme peut réussir. Et ils se heurtent à des
oppositions de droite qui ont tendance à les obliger à se définir contre la droite, et donc à s’accrocher au mot “socialisme”.
L’une des meilleures explications à cela, c’est
que le socialisme démocratique a accompli beaucoup de choses en un peu plus d’un siècle d’existence. Ses deux distorsions totalitaires, le nationalsocialisme et le communisme, ne peuvent faire
oublier la force de progrès qu’a été le socialisme,
de façon mineure avant la Seconde Guerre mondiale, mais de façon éclatante après. La pression
populaire en faveur d’une société plus équitable
s’est exprimée par le biais des formations socialistes démocratiques, et s’est concrétisée une fois
ces dernières au pouvoir. Là où des dirigeants
autoritaires se sont maintenus au sommet dans
la seconde moitié du XXe siècle, comme en
Espagne, en Grèce et au Portugal, les socialistes
se sont opposés à eux. Puis, arrivés au pouvoir
après la chute des dictateurs, ils ont largement
contribué à réparer les dégâts que les autocrates
avaient infligés à leurs sociétés. Grâce à eux,
les ouvriers ont vécu dans la dignité et la sécurité. Les socialistes ont défendu les valeurs de
tolérance et de liberté sur les questions sociales.
Sur le plan international, ils ont milité en faveur
de la paix et de la réconciliation. Le simple fait
que le centre droit ne puisse plus vraiment
remettre ces acquis en question est la preuve de
leur succès.
Dessin de Richard
McGuire paru dans
The New York
Times Book
Review,
Etats-Unis.
Mais, pour réussir, ils ont dû constamment
changer. L’essence du centre gauche, c’est sa
flexibilité, que ses adversaires dénoncent comme
de l’opportunisme, alors qu’elle n’est en fait
qu’une manifestation de maturité, la reconnaissance de bouleversements sociaux et économiques. A ce stade de l’histoire européenne, le
socialisme, si ce terme est appliqué à une série
d’accords économiques et sociaux plutôt qu’à
une tradition historique, n’a plus aucun sens.
Il demeure toutefois un aspect de la politique progressiste dont la gauche est l’héritière.
Une politique qui a recours à des moyens divers,
dont les mécanismes de l’économie de marché,
pour veiller à ce que les prestations sociales dans
des secteurs comme la santé, l’éducation, les
retraites soient à la fois efficaces et correctement financées.
Concernant les questions sociales, la gauche
a eu tendance à se montrer ouverte, et elle peut
continuer. En tant que force laïque, elle peut
offrir un espace à une expression personnelle
et artistique préférant la participation active à la
passivité. Elle peut être l’expression d’un optimisme social qui encourage l’effort commun afin
d’améliorer l’environnement, de soutenir les plus
vulnérables et d’aider toutes les régions du
monde qui souffrent encore de la misère. Elle
peut idéalement devenir la voix de l’opposition
à la tyrannie, et ouvrir la voie, même alors que
le projet de libération de l’Irak est dans l’impasse,
à une meilleure façon de libérer de l’oppression les peuples qui ploient encore sous le fardeau du totalitarisme.
Par-dessus tout, la gauche a la capacité d’incarner la conception d’une société qui a toujours
besoin de valeurs. Elle doit continuer à lutter
pour davantage de démocratie. En Europe, il ne
s’agit pas de se battre, aujourd’hui, contre la dictature, mais contre l’apathie et la fragmentation
de la société.Tout cela fait partie de son héritage,
et pourrait être indissociable de son futur.
John Lloyd
R O YA U M E - U N I
Le manifeste de la gauche anti-antiaméricaine
■ Depuis plusieurs décennies, et surtout depuis le 11 septembre et le début de la guerre contre la terreur, un vide se
faisait sentir sur l’échiquier politique. Il était devenu plus difficile pour la gauche dite démocratique ou non communiste
de se trouver une patrie intellectuelle et politique. Ceux qui
aspiraient à la fois à une politique intérieure progressiste
et à une politique étrangère énergique et prodémocratique
n’avaient nulle part où aller, à moins de sacrifier l’une ou
l’autre de leurs aspirations.
Pour combler ce vide, un groupe d’intellectuels et d’universitaires britanniques menés par Norman Geras, professeur émérite de sciences politiques à l’université de Manchester, a publié au printemps dernier le manifeste de
Euston. Son but est de proposer un support cohérent susceptible de rallier la gauche socialiste et d’autres progressistes déçus par les tendances antidémocratiques, néo-iso-
lationnistes et antiaméricaines d’une partie de la gauche
actuelle. A l’issue de plusieurs rencontres dans un pub
proche de la station de métro Euston, à Londres, d’échanges
de courriels et de navigation dans la blogosphère, un document a fini par émerger, que l’on peut lire – et signer –
sur le site du groupe, <www.eustonmanifesto.org>*[2 500
personnes l’ont déjà signé à travers le monde].
Après avoir énuméré quinze grands principes sociopolitiques,
le manifeste offre un complément d’explication sur certains
points. Ses signataires qualifient les attentats du 11 septembre de crime de masse et rejettent l’idée que les EtatsUnis les aient en quelque sorte mérités. Ils s’opposent à
ceux à gauche qui, sous prétexte d’antisionisme, font cause
commune avec des groupes antisémites. Ils rejettent enfin
la pratique du deux poids, deux mesures, qui conduit à dénoncer les violations des droits de l’homme imputables à des
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
43
démocraties et à rester discret ou silencieux sur celles commises par des Etats ou des mouvements antidémocratiques.
Le manifeste a été mal accueilli par une grande partie de
la gauche, qui y a vu une apologie de l’impérialisme angloaméricain. Cette hostilité a sans doute été exacerbée par
les commentaires élogieux venus de droite. Le néoconservateur William Kristol, directeur de la rédaction de l’hebdomadaire Weekly Standard, a ainsi qualifié le manifeste
d’exemple de “courage politique et de clar té morale”
[d’autres publications de droite comme le Spectator au
Royaume-Uni, Il Foglio en Italie et les pages éditoriales du
Wall Street Journal se sont fait l’écho du manifeste].
Morton Weinfeld**, The Ottawa Citizen (extraits), Ottawa
* Pour lire la version française du manifeste : <www.eustonmanifesto.org/joomla/translations/manifesto/fr/euston_manifesto.html>.
** Professeur de sociologie à l’université McGill de Montréal, il est l’un
des signataires canadiens du manifeste de Euston.
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
828p42-51
12/09/06
15:59
Page 44
e n c o u ve r t u re
La citoyenneté, avec un soupçon
de nationalisme
dans un monde où l’interconnexion est plus
importante (et compte tenu de nos engagements
vis-à-vis de l’Union européenne), la citoyenneté
doit exclure autant qu’elle inclut. Les sociétés ne
sont pas que des assemblages aléatoires d’individus. Les cultures nationales existent bel et bien,
et il leur faut du temps pour s’adapter.
Les coûts et les avantages de l’immigration
ne sont pas équitablement répartis. Les nouveaux
citoyens devraient être traités avec justice, et il
serait bon de les aider à s’intégrer. Mais les
citoyens existants comptent également, surtout
les plus démunis, qui ont le plus à perdre face
à l’immigration. Il peut y avoir des manières légitimes, tout comme il y en a de xénophobes, de
s’opposer à l’arrivée d’un grand nombre de nouveaux venus dans une région donnée. Pour apaiser les tensions inévitables entre l’immigration
et les Etats-providence, il faudrait que tout avantage et la citoyenneté elle-même soient autant
que possible perçus comme “mérités”.
Les communautés robustes, sur le plan local
et national, reposent sur une expérience partagée. Les sociétés libérales et diverses ne parviennent généralement pas à engendrer cette
expérience et à préserver des identités collectives.
Sans une histoire nationale inclusive, on court le
risque d’une balkanisation, les gens votant et
s’identifiant en fonction de la race et de la religion plutôt qu’en fonction d’intérêts économiques et sociaux.
David Goodhart*
Pour réconcilier élites et classe
ouvrière, les travaillistes
britanniques devront redonner
un sens à l’idée de nation,
argumente le rédacteur en chef
de la revue Prospect.
THE GUARDIAN
Londres
es dernières années, l’opinion publique
s’est trouvée de plus en plus partagée
entre, d’un côté, une minorité cosmopolite défendant une idéologie universaliste, postnationale, fondée sur les
droits de l’homme, parfaitement à l’aise
dans une société plus fluide et pluraliste, et, de
l’autre, un groupe plus traditionnel, qui doute
du bien-fondé des changements rapides et s’inquiète davantage de ses racines et du concept
de réciprocité.
L’ennui, pour le Parti travailliste, c’est que
ces deux groupes font historiquement partie de
sa coalition. Dans le camp cosmopolite, on
retrouve l’essentiel de la classe moyenne de
gauche, et, dans le camp traditionnel, une
grande partie de l’ancienne classe laborieuse.
Pour tenter de satisfaire les deux (ainsi que
les minorités qui se sont établies au RoyaumeUni, présentes à peu près à tous les niveaux du
spectre des valeurs), la rhétorique du Labour a
oscillé, de façon parfois alarmante, entre ces
deux pôles, vantant les mérites de l’immigration massive, de Cool Britannia et du Human
Rights Act [la loi de 1998 introduisant la
Convention européenne des droits de l’homme
dans le droit britannique], puis durcissant son
discours sur la délinquance, parlant d’immigration choisie et de cartes d’identité.
C
SANS HISTOIRE NATIONALE PARTAGÉE,
UNE SOCIÉTÉ SE BALKANISE
Il est difficile de créer une “troisième voie” crédible sur les questions de sécurité et d’identité,
et susceptible de plaire à la fois aux progressistes
et aux inquiets. Difficile, mais pas impossible.
Contrairement aux caricatures gauchistes, les
citoyens qui redoutent ces bouleversements ne
sont pas tous xénophobes. Et, contrairement aux
caricatures de la droite, la plupart des gens raisonnables à gauche reconnaissent que des frontières nationales sont nécessaires et qu’il faut parvenir à un équilibre entre droits individuels et
sécurité nationale.
Les intérêts des citoyens britanniques, de
toutes origines et de toutes croyances, doivent
avoir la préséance. Cela peut sembler évident,
mais cette idée se heurte souvent aux convictions
de la gauche internationaliste, de l’élite du monde
des affaires et de la droite xénophobe (qui refuse
de reconnaître le non-autochtone comme un
citoyen à part entière). Il nous faut des frontières
pour protéger ce caractère particulier. Même
* David Goodhart vient de publier Progressive
Nationalism:Citizenship and the Left [Le nationalisme progressiste : la citoyenneté et la gauche],
éd. Demos, Londres.
Tony Blair.
Dessin de Mayk
paru dans
Sydsvenskan,
Malmö.
POST-SOCIALISME
Le socialisme sera œcuménique ou n
Pour Anthony Giddens, théoricien de la
“troisième voie” chère à Tony Blair, la gauche
a un avenir si elle sait s’approprier des concepts
comme le libéralisme et la sécurité.
ue reste-t-il après la fin du socialisme ? Ou,
pour le dire autrement, que reste-t-il de la
gauche ? La gauche a survécu à la disparition du
socialisme. On perçoit clairement le fil qui relie
le socialisme réformiste aux actuels par tis de
gauche, mais plus en termes de valeurs qu’en
termes de politiques. La gauche défend les valeurs
d’égalitarisme et de solidarité, la protection des
plus faibles et l’idée que l’action collective est indispensable pour défendre ces valeurs. Cette “action
collective” implique que l’Etat mais aussi d’autres
acteurs de la société civile ont un rôle à jouer.
La gauche ne peut plus se donner simplement
pour mission, comme le faisaient autrefois les
socialistes, de limiter les dégâts dûs aux marchés. Le capitalisme a toujours besoin de régulation. Pourtant, aujourd’hui, la fonction de l’Etat
doit parfois être d’accroître le rôle des marchés
Q
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
44
et non de le réduire ; ou d’aider les marchés à
fonctionner de manière plus efficace.
La gauche ne peut plus se définir comme étant
opposée à la réforme de l’Etat-providence. Celuici, rappelons-le, a été conçu à l’origine comme
un filet de sécurité. Cer tains de ses objectifs
demeurent, mais aujourd’hui le système de protection doit tendre à devenir un véritable mécanisme d’investissement social. Nous devons
investir dans les individus afin de les aider à subvenir à leurs propres besoins dans une époque
qui laisse une place bien plus grande qu’autrefois à la liberté et aux aspirations individuelles.
Le système éducatif doit être radicalement rénové
afin d’être en mesure d’affronter un monde de
plus en plus compétitif ; l’enseignement supérieur, lui aussi du meilleur niveau possible, doit
être beaucoup plus largement accessible.
La gauche ne peut plus se définir en fonction
d’une vision classique des libertés individuelles.
Ce n’est pas être de droite que de dire que la criminalité est un problème majeur pour de nombreux citoyens. Ce n’est pas être de droite que
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
828p42-51
12/09/06
16:00
Page 45
DUR DUR D’ÊTRE DE GAUCHE
●
Le modèle suédois, un projet individualiste
Dessin de Sean
Mackaoui paru dans
El Mundo, Madrid.
Contrairement aux idées reçues,
l’Etat-providence scandinave
est avant tout un contrat
entre l’Etat et le citoyen.
■
EXPRESSEN
Stockholm
es Suédois forment une masse atone qui
évolue dans les labyrinthes de l’administration pendant que le modèle suédois se
désagrège lentement. L’image du Suédois
est double. D’un côté l’ermite, de l’autre
le disciple effacé de la loi de Jante [sorte
de code de conduite scandinave selon lequel
personne n’a le droit de se sentir supérieur aux
autres]. Les historiens Henrik Berggren et Lars
Trägårdh tentent de résoudre l’équation dans un
nouveau livre intitulé Le Suédois est-il un
homme ?*. La droite suédoise, qui n’en revient
pas de voir les sociaux-démocrates accaparer le
pouvoir depuis aussi longtemps, explique volontiers ses insuccès politiques en soutenant que
les Suédois ont été victimes d’un lavage de cerveau et transformés en collectivistes totalement
dénués d’esprit critique. L’hégémonie socialedémocrate aurait tant fait douter les Suédois de
leurs capacités qu’ils ne seraient même plus sûrs
de pouvoir survivre dans une société privée de
médiateurs et d’Arbetarnas Bildningsförbund
[association de bénévoles proposant des cours
gratuits pour adultes].
D’après la thèse soutenue par Berggren et
Trägårdh, la société suédoise est caractérisée par
la vieille tradition de libre arbitre qui prévaut
dans les relations entre individus. L’Etat-providence est un projet individualiste dont les racines
plongent profondément dans l’histoire suédoise.
L
Le modèle suédois se fonde sur une relation
directe entre l’Etat et l’individu en matière de
droits et d’obligations, un individualisme d’Etat
qui vise à libérer le citoyen des relations de dépendance. Ainsi, grand-mère pourra emménager
dans une maison de retraite financée par l’Etat
si elle sent qu’elle est un poids pour ses enfants.
Grâce à une bourse du gouvernement, Sven
pourra payer ses études et ne se sentira donc pas
obligé de devenir médecin comme son père. Et,
puisqu’elle gagne sa vie, Mona sera libre de quitter son mari si elle le souhaite.
Henrik Berggren et Lars Trägårdh expliquent
habilement que l’Etat-providence suédois a toujours souhaité libérer l’individu. Le succès du
modèle suédois ne résulte pas de la manipulation d’un peuple endormi par les sociaux-démo-
Mouvements
“De plus en plus
conscients de leurs
limites, les partis de
la gauche radicale
européenne tentent
de se refonder en
coopérant avec les
mouvements sociaux
radicaux en pleine
expansion”,
constate The Nation.
Une tendance
favorisée, selon
l’hebdo de la
gauche américaine,
par le contexte
européen qui
permet
l’enrichissement
réciproque des
différentes cultures
politiques et
intellectuelles.
WEB+
Plus d’infos
sur le site
La crise des
sociauxdémocrates danois
vue par le quotidien
“Information”
ALLEMAGNE
u ne sera pas
Les Grünen pensent au social
d’affirmer que l’immigration doit être contrôlée
et que les immigrés doivent accepter une série
de devoirs citoyens, dont l’obligation d’apprendre
la langue du pays d’accueil. Ce n’est pas être de
droite que de vouloir réagir avec fermeté face au
terrorisme. Les nouvelles menaces terroristes
auxquelles sont confrontées les sociétés occidentales ne sont plus les mêmes qu’à l’époque
où sévissaient les Brigades rouges – et pas non
plus les mêmes que celles que constituait le “terrorisme local” de l’IRA ou d’ETA. Le droit de se
sentir protégé de la violence terroriste est en soi
une liberté fondamentale, qui doit être équilibrée
par rapport aux autres.
Je suis convaincu que la gauche de l’après-socialisme peut et devrait être plus œcuménique que
ne l’était la gauche traditionnelle. Nous devons
continuer à trouver de nouvelles politiques pour
être en mesure de faire avancer les valeurs
de gauche ; et l’innovation en politique découle
non des dogmatismes, mais du libre-échange
des idées.
Anthony Giddens, La Repubblica (extraits), Rome
■ “Les Grünen ne sont plus asociaux”, clamait le
4 septembre Die Tageszeitung, au lendemain du
“congrès sur l’avenir” qui a rassemblé quelque
2 000 personnes à Berlin. Et le quotidien alternatif d’ajouter : “Le plus petit parti d’opposition
découvre la question sociale. La base du parti
déplore l’Agenda 2000 du gouvernement Schröder et exige une politique de l’emploi qui ne se
résume pas à la réforme du marché du travail
(Hartz IV). Elle plaide aussi pour un revenu minimum. Des revendications que les dirigeants n’entendent pas volontiers : eux, ils préfèrent parler
écologie.” Pour l’éditorialiste Jens König, “la classe
politique allemande est dépassée. Les partis ont perdu le contact avec la réalité, et les électeurs, déçus, se détournent d’eux. S’il existe un parti qui
peut changer quelque chose, ce sont les Grünen. Ils en ont donné la preuve
à leur congrès. Par des débats d’une haute tenue sur des questions sociales
controversées et par l’aveu de leurs incertitudes politiques et conceptuelles.
Rafraîchissant. Mais des questions restent ouvertes. A quoi est dû l’échec
du gouvernement rouge-vert, si la faute n’en revient pas à Schröder ? Et quelles
conséquences en tirer dans la définition d’une politique verte qui intègre écologie, justice et formation ? Ce congrès pourrait être, pour les Grünen, le début
d’une nouvelle réflexion et d’une remise en question radicale.”
crates. Simplement, la majeure partie de la population apprécie l’indépendance que lui confère
l’alliance entre l’Etat et l’individu, même si le
prix à payer est un pouvoir central fort. Un à un,
Berggren et Trägårdh déracinent les mythes suédois et les jettent gaiement par-dessus leur épaule
sans se retourner.
Les auteurs, constatant que c’est dans la relation de l’individu à la famille que l’on peut voir
les grandes différences entre les régimes sociaux
d’un pays à l’autre, se livrent à une analyse ambitieuse de la politique d’égalité en Suède, en commençant par examiner la tentative de l’Etat de
permettre aux femmes d’être des individus à part
entière sans recours immodéré à la dialectique
féministe.
L’ouvrage comporte cependant un certain
nombre de contradictions. Par exemple, les
auteurs constatent que le marché du travail suédois est l’un de ceux où la ségrégation sexuelle
est la plus présente, mais claironnent que ce n’est
ni par obligation ni par devoir mais de leur propre
chef que les Suédois s’occupent de leurs proches.
Comment expliquent-ils que ce soient majoritairement les femmes qui exercent des métiers
d’assistance ? On ne le saura pas. L’alliance entre
l’Etat et les femmes n’empêche pas ces dernières
de continuer à s’user à la tâche dans un secteur
public où les postes sont mal rémunérés.
Les deux historiens suggèrent que c’est peutêtre l’homme qui a tiré le meilleur parti de la
politique suédoise de l’égalité. L’Etat assiste
désormais les hommes, alors que ceux-ci étaient
autrefois seuls à faire vivre leur famille. Les
devoirs moraux qui découlaient de ce rôle ont
disparu sans que les hommes ne reprennent la
responsabilité de la maison et des enfants, toujours dévolue aux femmes. Berggren et Trägårdh
décrivent une masculinité suédoise libérée de ses
devoirs mais toujours détentrice de la majeure
partie de ses privilèges patriarcaux.
Pour beaucoup, le revers du modèle suédois,
comme les stérilisations forcées, tient au fait que
l’individu doit se sacrifier pour la collectivité. Le
Suédois est-il un homme ? propose un tableau plus
nuancé. Les faces sombres du modèle suédois
ne sont pas le produit du collectivisme, mais
de l’individualisme. La culture du pays place sur
le même plan la dignité humaine et l’indépendance de l’individu : toujours battant, le Suédois
estime dégradant d’avoir besoin de l’autre. Sans
cet individualisme forcené, on n’est pas suédois
et on n’a rien à faire dans le modèle suédois.
Et si l’on est une femme, l’Etat peut nous faire
ligaturer les trompes.
Si les Suédois ont choisi d’être une masse
atone dans un Etat central fort, c’est uniquement
pour pouvoir décortiquer tranquillement des crevettes en pleine nature. Nous déléguons le pouvoir à l’État pour ne pas dépendre de la bienveillance des autres. L’ouvrage de Henrik
Berggren et Lars Trägårdh arrive à point nommé
dans la dernière ligne droite d’une campagne
électorale [les élections législatives ont lieu le
17 septembre] pendant laquelle l’ensemble des
partis représentés au Parlement rivalisent pour
faire l’apologie de l’Etat-providence. A moins
que ce ne soit l’apologie de la mentalité suédoise ?
Katrine Kielos
* Är svensken människa ? éd. Norstedts, Stockholm.
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
45
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
828p46
12/09/06
16:33
Page 46
e n c o u ve r t u re
La société avant le marché
Comme Thatcher, Clinton et Blair ont accepté
la prédominance de l’économie. Le laboratoire
d’idées Compass, créé au Royaume-Uni en 2003,
veut renverser les priorités.
NEW STATESMAN (extraits)
Londres
l n’y a pas d’alternative” – la fille naturelle
de Margaret Thatcher,TINA (There Is No
Alternative), a assujetti la gauche pendant
vingt-cinq ans en soutenant que l’on ne
peut pas contrer le marché. Bill Clinton et
Tony Blair en ont dit autant :“C’est l’économie, idiot !” [“It’s the economy, stupid !” Mot
d’ordre de la campagne de Clinton en 1992].
Puisqu’ils savaient que les marchés ne sont pas
naturels mais qu’ils doivent être créés, les néolibéraux ont inventé leur propre monde.Tout a
commencé à la fin des années 1960, lorsqu’ils
ont lancé des idées aussi “folles” que les privatisations. En dix ans, ils se sont installés dans le
champ politique jusqu’à prendre le pouvoir aux
Etats-Unis et au Royaume-Uni. Pour Margaret Thatcher, “l’économie était le moyen, alors que
le but était de changer les mentalités”. Elle savait
que la population devait adhérer au marché,
c’est pourquoi elle a mis en place des institutions qui plaçaient la concurrence avant la
coopération.
Le New Labour aurait pu commencer à
affirmer le rôle de la démocratie dans l’économie. Mais cela n’a pas été le cas. Avec lui,
vous n’aurez pas plus que ce que vous voyez
autour de vous : un secteur public qui ressemble
à une rue commerçante ; un durcissement face
I
Dessin d’Ivan
Steiger paru dans
la Frankfurter
Allgemeine
Zeitung, Allemagne.
à la délinquance ; une économie encore plus
flexible ; et plus d’argent pour acheter des choses
superflues. C’est mieux que le thatchérisme,
mais ça ne suffit pas pour faire vivre un parti,
encore moins un courant de pensée. Nous
vivons toujours dans un monde qui échappe
à notre contrôle et cherchons des solutions aux
problèmes que la société crée.
Face à la frustration qu’a suscitée le New
Labour, une nouvelle gauche démocratique est
en train d’émerger. Elle associe le réalisme solide
de plusieurs anciens modernisateurs du New
Labour à la politique plus idéaliste des intellectuels, qui doutent à juste titre du travaillisme.
Le 17 juin dernier, plus d’un millier de personnes se sont rassemblées pour discuter
d’un manifeste pour la gauche qui
incarne la notion de réalisme utopique. L’utopisme a mauvaise
réputation : fantaisiste et irrationnel, ou chargé de la
menace de l’autoritarisme.
Les deux critiques sont
valables, mais le point de départ
d’une politique de gauche florissante est la croyance non seulement
dans un monde meilleur mais aussi
dans un monde différent. Pour adhérer au pragmatisme, il faut savoir sur quoi se montrer pragmatique. L’essence d’un nouveau réalisme utopique repose sur l’idée que la société passe avant
l’économie. Un monde meilleur, ne peut pas se
fonder sur le néolibéralisme. Les marchés doivent être réglementés. C’est une leçon que nous
a enseignée la Suède, pays qui mêle la concurrence internationale à une plus grande égalité
[voir p. 45]. Nous devons croire que nous pourrons décrocher non pas un salaire minimum,
mais un salaire décent.
Cette utopie d’une nouvelle gauche est apparue chez des citoyens autonomes – libres de créer
leur monde ensemble parce qu’ils sont plus
égaux. Ce n’est pas un projet d’ensemble, mais
le dynamisme d’une prise de décision collective
démocratique, qui est une utopie de gauche.
Cela implique un secteur public fort, protégé
du marché et de la société civile florissante, associé à un Etat qui doit rendre des comptes à sa
population.
Nous sommes plus riches et vivons plus
longtemps que jamais. Nous avons accès à des
technologies incroyables. Nous comprenons l’esprit, la nature et la science des hommes comme
jamais. Et pourtant, nous ne nous sommes jamais
sentis capables de diriger notre monde.
Nous vivons dans une utopie – mais
pas la nôtre. C’est l’utopie des néolibéraux et des marchés déréglementés. Nous vivons dans l’utopie
des rêves des autres parce que nous
n’en avons pas.
Neal Lawson*
* Président de Compass, “le groupe de
pression de la gauche démocratique”, dont
le but est de réfléchir à “un programme de
renouveau” du travaillisme.
RÉFLEXION
L’égalité, une idée à redécouvrir
La Fabian Society, vénérable cercle
de réflexion lié au Labour, propose
aux travaillistes de lutter un peu plus
contre les inégalités.
e Parti travailliste redécouvre l’égalité.
La Fabian Society, gardienne de l’âme
du par ti*, a publié une “clause quatre”
– déclaration symbolique des principes de
base du Labour – révisée, qui intègre un
engagement à faire du Royaume-Uni “une
société plus juste et plus égalitaire”. L’idée
est astucieuse. En prélude à l’ère Blair, le
parti avait renoncé aux nationalisations.
Une décennie plus tard, la Fabian Society
avance qu’une ère Gordon Brown [possible
successeur de Tony Blair] devrait également s’ouvrir par une réécriture historique
de la constitution du parti.
Ce nouveau désir de réduire le fossé entre
riches et pauvres, qui s’est élargi sous le
Labour, a de quoi laisser sceptique. Le gouvernement, qui s’était fixé pour objectif d’abolir la pauvreté des enfants d’ici à 2020, n’y
L
par viendra probablement pas. Ceux qui
appellent le parti à retourner à ses racines
égalitaires devraient étudier soigneusement
la formulation de la nouvelle “clause
quatre” : “Nous croyons que les chances
des citoyens ne doivent pas être déterminées par les circonstances dans lesquelles
ils ou elles sont nés.” Ce n’est pas vraiment
révolutionnaire, et le terme de “chances”
n’est pas très heureux. Cependant, les
choses commencent à bouger dans le parti.
La Fabian Society est tout à fait indiquée
pour ce débat. La “clause quatre” originelle avait été rédigée en 1917 par Sidney
Webb, qui avait participé à la constitution
de cette organisation (comme d’ailleurs
de la London School of Economics et du
New Statesman). En 1992, c’est une publication de la Fabian Society que Tony Blair
avait choisie pour annoncer son intention
de récrire la “clause” et déclarer que le
parti devait s’unir autour d’un ensemble
de valeurs progressistes plutôt que de
chercher à établir “la propriété commune
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
des moyens de production”. La dernière
version de la clause quatre émane de la
Commission sur les chances et la pauvreté
des enfants de la Fabian Society. Après
avoir reconnu l’apparition de certains progrès, la commission a jugé inacceptable
que 2,6 millions d’enfants vivent toujours
sous le seuil de pauvreté. Plus important,
elle ajoute qu’il y a encore beaucoup trop
de personnes dont les “chances” (c’està-dire le niveau d’éducation, l’état de santé
et la situation vis-à-vis de l’emploi) sont
déterminées par la géographie et la naissance. Elle recommande que l’égalité
devienne le sujet de la Comprehensive
Spending Review 2007 [les prévisions de
dépenses des divers ministères pour les
trois ans à venir].
Les néosocialistes (ou nouveaux “égalitariens”, comme ils préfèrent se qualifier)
envahissent les lieux les plus surprenants.
De fait, les politiciens et les têtes pensantes du Labour qui veulent lutter contre
la pauvreté des enfants, l’échec scolaire
46
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
des garçons noirs ou l’obésité des enfants
des cités pauvres commencent à se bousculer. Ceux qui s’empressaient jadis de
montrer leur soutien aux entreprises cherchent aujourd’hui à démontrer leur engagement en faveur des classes défavorisées.
Gordon Brown a tout intérêt à présenter
rapidement sa propre vision de l’égalité
des chances s’il ne veut pas que les gens
s’imaginent qu’il ne s’y intéresse pas.
Le plus grand risque, pour le Par ti travailliste, c’est la définition. En s’engageant
à fond dans la lutte contre la pauvreté des
enfants, le chef des conservateurs David
Cameron et son conseiller politique Oliver
Letwin ont montré que cette aspiration
n’était plus le monopole du Par ti travailliste. Celui-ci doit désormais convaincre
le public qu’il a un programme distinct
de celui des conser vateurs pour améliorer les chances de la population.
Martin Bright, New Statesman (extraits), Londres
* Créée en 1884, la Fabian Society a participé à la
fondation du Parti travailliste, en 1900.
828p42-51
12/09/06
16:01
Page 47
DUR DUR D’ÊTRE DE GAUCHE
●
Sociaux-démocrates, les Polonais ? Jamais
A Varsovie, le débat se joue entre libéraux
et populistes. Les sociaux-démocrates sont vus
comme un frein au progrès.
RZECZPOSPOLITA (extraits)
Varsovie
l n’y aura probablement pas en Pologne
dans un avenir proche – ni peut-être même
jamais – de parti social-démocrate tel qu’on
en connaît en Occident. Les décennies
d’“édification du socialisme” ont à tout
jamais compromis et le terme et l’idée.
Aucune formation dirigée par les gens qui, à
cette époque, faisaient partie de l’appareil du
Parti ouvrier unifié polonais (POUP, communiste) ou de celui de son mouvement de jeunesse ne peut devenir la base d’un tel parti. Or
toutes les autres tentatives de fonder un parti
social-démocrate chez nous n’ont pas pris racine
et se sont soldées par un échec.
Aujourd’hui, il n’y a aucune raison valable
pour que la Pologne ne continue pas à fonctionner avec le type de configuration politique
qui lui est propre, et qui résulte de notre expérience du communisme et du postcommunisme.
On peut bien imaginer que, dans les années à
venir, la scène politique polonaise soit dominée par la lutte entre le parti Droit et justice [PiS,
droite populiste, au pouvoir] et la Plate-Forme
civique [libéraux, opposition], ou entre les formations qui en seraient issues. Le PiS va probablement continuer à insister sur sa sensibilité à
la problématique sociale et sur son attachement
aux valeurs traditionnelles, et la Plate-Forme
civique va davantage évoquer la modernisation
du pays et la hausse de la productivité. La première formation sera plus proche de la démocratie-chrétienne occidentale ; la seconde, par
son programme et la structure de son électorat, sera affiliée aux formations libérales occidentales. Mais toutes deux vont se réclamer de
l’héritage de Solidarnosc et de la tradition de
la lutte contre le communisme.
A ce stade, on doit alors se poser la question :
la Pologne a-t-elle vraiment besoin d’une socialdémocratie ? Durant plus d’un siècle, la gauche
a été l’acteur majeur du changement et du progrès. Aujourd’hui, dans les principaux pays d’Europe continentale, elle est devenue synonyme de
conservatisme et de marasme. Au lieu de les combattre, elle défend des égoïsmes corporatifs. Elle
témoigne d’un manque d’idées flagrant face aux
problèmes brûlants du XXIe siècle, et n’hésite pas
à faire preuve de démagogie pour arriver ou pour
pour se maintenir au pouvoir.
I
Dessin de Peter Till
paru dans The
Guardian, Londres.
■
L’auteur
Ancien recteur
(1972-1990)
du collège d’Europe,
à Bruges, puis
ambassadeur
de Pologne à Paris
(1990-1996).
A l’ère de la mondialisation, à l’époque où
la Chine et l’Inde acquièrent une puissance grandissante, face à la pénurie d’énergie et à la flambée des prix du pétrole, les socialistes d’Europe
occidentale persistent à vouloir maintenir un
modèle social obsolète et à défendre des privilèges que les salariés ont acquis à l’époque de la
prospérité, au temps où l’énergie était bon marché. Il s’agit parfois de privilèges qui heurtent
carrément le bon sens – par exemple la retraite
à 50 ans alors que l’espérance de vie atteint
80 ans ! La société ne peut continuer à supporter le coût de ces privilèges, qui mène droit à
la ruine les finances publiques et empêche le progrès et le développement.
Aujourd’hui, dans la majorité des pays d’Europe occidentale, grâce à sa représentation parlementaire, à ses liens avec les syndicats et à sa
capacité de faire descendre les gens dans la rue,
la social-démocratie est le principal frein aux
réformes, et elle porte la responsabilité d’une
confusion intellectuelle et d’une montée des tensions sociales. Le New Labour britannique
constitue une exception notable mais, de plus en
plus souvent, il n’est même plus considéré
comme social-démocrate – tant par ses supporters que par ses adversaires. Les tentatives des
sociaux-démocrates allemands d’abandonner
leurs positions revendicatives et d’entreprendre
des réformes ont divisé leurs rangs et ont finalement provoqué la défaite électorale du SPD.
Une rhétorique usée et l’incapacité à formuler des propositions concrètes pour stimuler la croissance et pour diminuer le chômage
font que la social-démocratie perd sa base traditionnelle. En France, par exemple, l’électorat
du Front national est beaucoup plus ouvrier que
celui du Parti socialiste. Ce dernier semble de
plus en plus devenir une formation d’intellectuels, d’enseignants et de fonctionnaires. La
Pologne n’a pas besoin de tels artifices.
Jerzy Lukaszewski
HONGRIE
Minimum de gauche ou minimum de droite ?
■ Quelle position prendre face aux projets de réformes du gouvernement de centre gauche lorsqu’on se considère soi-même
comme un intellectuel de gauche ? Selon le philosophe
G. M. Tamás, il faut adopter une posture “quasi révolutionnaire”,
parce que ces réformes sont “certes éclectiques, mais profondément réactionnaires, fondées sur la poursuite des privatisations, sur l’augmentation des impôts et des charges, sur
le gel des salaires et sur les licenciements”, écrit-il dans les
colonnes du quotidien Népszabadság. Cet ancien opposant
appelle à boycotter les municipales de cet automne, et il propose “un minimum” pour créer un consensus à gauche, composé de “trois points indissociables” : 1) loyauté aux syndicats ;
2) lutte contre toute discrimination ; 3) soutien inconditionnel de
la protection de l’environnement (bien que les Verts hongrois
refusent d’être assimilés à la gauche…). Les réactions à l’article de G.M. Tamás ne se sont pas fait attendre. Pour l’histo-
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
47
rienne Mária Schmidt, proche de la FIDESZ, le principal parti de
droite, “les propositions démagogiques de Tamás, formulées
dans un langage vulgairement marxiste, font naître un sacré sentiment de déjà-vu”. “Tamás veut que l’homme de gauche soit
à la fois politiquement indifférent et qu’il n’aille pas voter, et qu’il
soit en même temps politiquement engagé en allant manifester
dans la rue. Ça veut dire quoi ?” L’économiste Zoltán Krasznai,
également ancien dissident, propose, lui, dans le quotidien
Magyar Nemzet un “minimum de droite” : 1) solidarité nationale ;
2) politique économique et de développement au service du
pays ; 3) gouvernement d’union nationale. Bref, un “minimum
national”. Cette formule n’est-elle pas mise en application par
la gauche en Amérique latine, remarque Krasznai ? Selon lui, la
gauche hongroise est en réalité “de droite, étant sonné sa réticence à l’égard de l’utilisation du mot ‘nation’, surtout en tant
que catégorie politique”. Un débat loin d’être clos.
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
828p48_49
12/09/06
16:51
Page 48
e n c o u ve r t u re
La nouvelle gauche des internautes
Aux Etats-Unis, un site s’est donné pour objectif
de faire gagner les démocrates. En tissant
des liens, en ouvrant des forums de discussion
et en levant de l’argent pour les candidats.
THE NEW YORK REVIEW OF BOOKS (extraits)
New York
uand, il y a moins d’une dizaine d’années, Internet a commencé à prendre
une place importante, beaucoup se sont
demandé si, à l’instar de la télévision,
le réseau des réseaux allait entraîner un
désengagement social ; ou si au contraire,
grâce à sa nature interactive, il allait devenir un
instrument susceptible de reconstruire du lien
entre les gens et les organisations, voire de raviver le sentiment d’appartenance à une communauté ? La réponse n’est toujours pas claire. Mais
ceux qui sont d’avis que le web peut avoir un
effet politique revigorant visiteront avec intérêt
le site <dailykos.com>, lancé en 2002 par Markos Moulitsas Zúñiga.
Avec plus de un demi-million de visiteurs
quotidiens, le site est devenu le lieu de rencontre
de gens parfaitement ordinaires (c’est-à-dire pas
seulement de politiciens, journalistes, universitaires, avocats ou gros donateurs) qui veulent
réformer le Parti démocrate. Attaché à mettre
au point des stratégies pour faire battre les
républicains, le site a participé activement à la
campagne de Howard Dean pour obtenir l’investiture démocrate en 2004, et a relayé sa
vigoureuse opposition à la guerre en Irak. La
structure technologique sophistiquée du site,
élaborée par Moulitsas, permet à ses visiteurs
de lever des fonds pour des politiciens qu’ils
apprécient, de repenser et de débattre de questions d’actualité, de harceler des journalistes
ou commentateurs paresseux ou partiaux, et
même de fournir des informations que la presse
traditionnelle préfère passer sous silence. Ce
faisant, le site tente d’esquisser un nouvel avenir pour les démocrates – c’est le sujet du livre
écrit par son fondateur, Markos Moulitsas
Zúñiga, et Jerome Armstrong [voir ci-contre] –
et il propose de nouvelles pistes qui pourraient
aider le système politique américain à se débarrasser de l’emprise des grandes puissances financières. De mon point de vue, c’est l’événement
le plus intéressant qui se soit produit depuis longtemps dans la politique américaine.
Q
ÔTER DU POUVOIR AUX ASSOCIATIONS
MILITANTES ET LE RESTITUER AU PARTI
Crashing the Gate s’attache avant tout à élaborer
des tactiques qui permettront de définir une nouvelle stratégie pour le Parti démocrate. Ces tactiques impliquent tout d’abord d’ôter leur pouvoir aux groupes axés sur un problème unique,
comme le mouvement pour le droit à l’avortement, les organisations écologistes ou encore les
syndicats, afin de le restituer à un Parti démocrate revivifié. Ces différents groupes, qui constituent de longue date la clientèle de nombreux
démocrates actifs dans les coulisses de Washington, pour lesquels ils représentent à la fois une
réserve d’argent et un vivier de volontaires, ont
Dessin
de Lauzan, Chili.
■
Biblio
Crashing the
Gate : Netroots,
Grassroots, and
the Rise of PeoplePowered Politics
[Forcer l’entrée :
les cybermilitants,
les militants
et la montée d’une
politique propulsée
d’en bas], Jerome
Armstrong
et Markos Moulitsas
Zúñiga, éd. Chelsea
Green, New York,
2006.
fini par imposer au parti leurs approches. Or,
remarquent les auteurs, donner une place aussi
importante à ces groupes ne fait que confirmer
les stéréotypes républicains. Pis, on ne peut
compter sur les militants qui se consacrent à une
seule cause pour obtenir des victoires électorales.
Les auteurs du livre sont également impatients de voir les démocrates rompre avec certaines de leurs positions passées afin d’attirer de
nouveaux sympathisants – l’opposition de Dean,
gouverneur d’un Etat rural, au contrôle des armes
à feu leur a plu, par exemple, et ils ont trouvé un
politicien digne d’admiration en la personne
de Brian Schweitzer, gouverneur démocrate de
l’Etat traditionnellement républicain du Montana, qui est favorable à un certain nombre de
réformes progressistes mais qui a aussi soutenu
le programme de la National Rifle Association.
Les auteurs veulent également mettre un
terme au règne des consultants politiques basés
à Washington, lesquels, soulignent-ils, ont perdu
des dizaines de campagnes et dilapidé des centaines de millions de dollars. Ils s’opposent en
particulier au consensus en vogue dans la capitale fédérale, selon lequel les démocrates devraient
se concentrer sur les Etats où ils bénéficient d’un
avantage. Avec Dean, ils recommandent une stratégie pour l’ensemble des cinquante Etats de
l’Union, soutenant que le parti est capable de
créer une dynamique nationale en disputant des
circonscriptions réputées ingagnables, en attirant de nouveaux électeurs démocrates et en les
encourageant à verser de l’argent et à prendre
une part active à la campagne. Ils entendent également définir un message simple mais puis-
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
48
sant susceptible de rivaliser avec les idées développées par le Parti républicain sur la sécurité nationale, la limitation du rôle de l’Etat, la
baisse des impôts et les “valeurs morales”. Ils
sont favorables à un large message économique
populaire mettant l’accent sur l’amélioration
des systèmes de retraite et de santé, et sur la
mise en place d’une fiscalité plus équitable.
LES CYBERMILITANTS ONT
TOUS UN IMMENSE DÉSIR DE GAGNER
C’est pour sa vision des possibilités politiques
d’Internet que Crashing the Gates me paraît être
l’initiative la plus ambitieuse et la plus intéressante à laquelle nous ayons assisté depuis plusieurs décennies. Mais ce n’est pas un modèle
qui peut l’emporter du jour au lendemain. Au
cours des dix-huit mois écoulés depuis la défaite
de John Kerry, les cybermilitants ont testé leur
nouvelle approche avec un certain succès lors
d’élections partielles. Ce fut par exemple le cas
en août 2005, lors du scrutin visant à pourvoir
le siège vacant de la deuxième circonscription
de l’Ohio, un bastion républicain depuis 1974,
que Bush avait conservé en 2004 avec 64 % des
voix. Habituellement, les démocrates ne se
seraient même pas donné la peine de disputer
ce siège si Paul Hackett, un novice en politique
qui venait d’effectuer une rotation en tant que
commandant des marines en Irak, ne s’était pas
lancé dans une vigoureuse campagne antiguerre
du genre de celles qu’appellent de leurs vœux
les cybermilitants. Hackett, écrivent les auteurs,
“s’exprimait avec audace et n’a pas hésité à croiser le fer avec les républicains”. Interrogé sur le
mariage homosexuel, il a répondu : “Le mariage
homo, on s’en fiche. Si vous êtes homo, vous êtes
homo, tant mieux pour vous. Ce que vous voulez,
c’est que la loi vous traite équitablement, et, franchement, tout Américain qui n’est pas d’accord
avec ça n’est pas un vrai américain.” Sur les
850 000 dollars qu’a coûté la campagne, les
cybermilitants ont collecté 500 000 dollars
– soit 9 000 personnes qui avaient versé en
moyenne un peu plus de 50 dollars chacune.
Le jour même du scrutin, la nouvelle se répandit à 10 h 30 que Hackett avait besoin de
60 000 dollars pour des dépenses de dernière
minute. Six heures plus tard, les 60 000 dollars avaient été collectés. Les responsables du
site durent demander aux gens de cesser leurs
dons. Au final, Hackett parvint à un cheveu de
la victoire : son adversaire, Jean Schmidt, ne
l’emporta que de 3,5 % des voix.
Le Parti démocrate a passé plus d’une génération à surfer sur la dynamique qu’il avait enclenchée dans les années 1960 et au début des
années 1970, et cette dynamique est en train de
s’essouffler. Mais les sites liés à Daily Kos et leurs
millions d’utilisateurs ont confié aux démocrates
une nouvelle responsabilité. Il serait prématuré
d’attribuer au niveau national un pouvoir politique fort à ces voix nouvelles – la plupart des
électeurs n’en ont même jamais entendu parler.
Mais le plus frappant, c’est qu’elles expriment
toutes un immense désir de gagner, et qu’elles
disposent de moyens nouveaux pour que ce désir
soit pris en compte.
Bill McKibben*
* Ce journaliste et écologiste militant américain est
l’auteur, entre autres, de La Nature assassinée (Fixot, 1990).
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
828p48_49
12/09/06
16:50
Page 49
DUR DUR D’ÊTRE DE GAUCHE
●
Ciel, la mondialisation fait des ravages !
Robert Rubin, l’ex-ministre
des Finances de Clinton, a viré
sa cuti ! Toujours aussi orthodoxe
sur le budget, il s’inquiète
désormais de la baisse
de revenus des Américains.
Trois types d’idées apparaissent dans le projet Hamilton.
Les idées “modérées” qui y figurent n’ont
pour la plupart rien de nouveau : améliorer
l’éducation et les reconversions, fournir une
“assurance salaire” aux travailleurs en situation instable [il s’agit de verser aux travailleurs
qui ont été licenciés une part de la différence
de salaire entre le dernier emploi et le nouveau]
et augmenter les investissements publics dans
le développement industriel et les infrastructures. De bonnes idées, certes, mais qui semblent à certains égards un peu approximatives.
Comme le fait remarquer Ron Blackwell, économiste en chef au syndicat américain AFLCIO, “ce qu’ils ont en tête, ce sont de petites idées
qui donnent l’impression qu’ils vont de l’avant et
s’efforcent de traiter le problème du niveau de vie,
mais ils ne s’adressent pas aux dirigeants”.
THE NATION (extraits)
New York
orsque Robert Rubin prend la parole, ses
vues en matière de politique économique
sont parole d’Evangile pour le Parti
démocrate. L’ancien ministre du Trésor,
aujourd’hui coprésident du groupe financier Citigroup, s’est acquis les faveurs du
parti dans les années 1990 en devenant le principal artisan de la stratégie de Bill Clinton, une
approche conservatrice surnommée “Rubinomics” ou, plus rarement, “Clintonomics” [motvalise composé du nom propre et du mot economics, qui désigne la science économique].
Sa volonté d’équilibrer le budget et d’inciter vigoureusement à la libéralisation des
échanges avait vivement heurté les sensibilités
de gauche et la base ouvrière de la formation
démocrate. Mais, comme le second mandat de
Clinton s’est terminé sur une phase d’expansion, de plein emploi et de hausse des salaires,
la plupart des démocrates ont conclu qu’il leur
suffisait d’écouter ce que disait Bob Rubin pour
que de bonnes choses arrivent.
Ainsi donc, Rubin crée l’événement aujourd’hui quand il change son fusil d’épaule et se
met à parler des inégalités de revenus comme
d’un “phénomène profondément troublant de la
vie économique américaine”, laquelle menace le
système d’échanges et la stabilité même de “la
société capitaliste et démocratique”.
L
LA PROSPÉRITÉ DES PLUS RICHES
N’A PAS BÉNÉFICIÉ AUX PLUS PAUVRES
Plus étonnant encore, Rubin met désormais
ouvertement en avant ce que l’establishment
américain nie ou minimise depuis des années :
le rôle de la mondialisation dans la stagnation
des salaires aux Etats-Unis depuis trente ans et
la détérioration du niveau de vie des classes
moyennes et inférieures, conjuguées à une croissance des revenus qui profite surtout aux plus
aisés. Pour beaucoup d’Américains, cela n’a rien
d’une découverte. Les détracteurs du libreéchange le disent depuis des années. Mais cette
fois c’est Bob Rubin qui en parle, et ses paroles
peuvent peser sur le monde politique, voire sur
les marchés financiers.
Robert Rubin a lancé le Hamilton Project,
un groupe de réflexion politique qui réunit des
économistes et des financiers de même tendance. Leur objectif : mettre au point des
mesures destinées à aider et à améliorer le sort
des travailleurs menacés et, espère Rubin, à
créer un plus vaste groupe politique s’attachant
à la défense du système commercial contre un
rejet populaire brutal. Le problème clé est
décrit dans une étude stratégique coécrite par
l’ancien ministre du Trésor : “La prospérité des
“Les idéologies
fossiles arrivent
à épuisement. Nous
devons développer
des idéologies
renouvelables.”
Dessin d’El Roto
paru dans
El País, Madrid.
■
Bien commun
Dans un grand
article de la revue
American Prospect,
Michael Tomasky, le
rédacteur en chef,
rappelle que de
1930 à 1960 les
démocrates ont
donné la priorité à
l’intérêt général des
citoyens, mais qu’au
milieu des années
1960 ils ont
abandonné l’idée
que le “bien
commun” était l’un
des principes
essentiels de leur
politique et ils l’ont
remplacé par des
préoccupations plus
individuelles
comme le droit
à l’avortement
ou celui d’être gay.
Le problème,
explique Tomasky,
est que cette
importance donnée
aux droits
individuels éloigne
les électeurs qui ne
partagent pas ces
intérêts particuliers.
Le seul moyen pour
les démocrates de
s’en sortir serait,
selon lui, de
remettre le bien
commun au centre
de leur programme.
plus riches n’a pas bénéficié aux plus pauvres, ni
eu d’onde bénéfique sur la société. Entre 1973
et 2003, le PIB par habitant en termes réels a progressé de 73 %, alors que le salaire horaire médian
réel n’augmentait que de 13 %.”
Craignant que le pire ne soit à venir,
Robert Rubin appelle à un nouveau débat
national sur ces questions. Lors d’une interview, il nous a présenté les menaces qui, selon
lui, pèsent sur le commerce mondial : “Avec
une insécurité omniprésente, une quasi-stagnation
des salaires médians réels et 55 % d’Américains
qui pensent que leurs enfants vivront moins bien
qu’eux, je crois qu’il existe un véritable danger de
voir des enjeux déjà problématiques le devenir
davantage encore, notamment en matière
d’échanges commerciaux. Il suffit de regarder les
problèmes en matière d’immigration.”
Quelle doit être notre réaction face à l’inquiétude exprimée par Robert Rubin à l’égard
de ces “perdants” qui, dit-il, forment une large
frange de la population ? Pour beaucoup, le
projet Hamilton n’est qu’une énième occasion
de bavardage. A mes yeux, c’est un événement
de taille, un changement de trajectoire dans la
pensée des élites, qui, étant donné l’influence
de Rubin, pourrait bien bouleverser le débat
routinier sur le commerce, du moins chez les
démocrates. Mais Rubin souhaite garder la
main sur les modalités du débat : d’accord pour
se pencher sur les disparités économiques
engendrées par la mondialisation, mais sans
troubler le fonctionnement fondamental du
système mondial.
Son groupe de réflexion a reçu un accueil
politique chaleureux. Lors du lancement du
projet Hamilton, en avril dernier, le sénateur
démocrate Barack Obama l’a salué comme
“l’un des organes de pensée politique les plus innovants. C’est exactement, je crois, le genre de bouffée d’air frais dont nous avons besoin.” Les discours sur l’économie prononcés ces derniers
temps par la sénatrice Hillary Clinton s’avèrent naturellement en phase avec les opinions
de Robert Rubin – leurs affinités politiques ne
sont d’ailleurs un secret pour personne. Les
candidats démocrates qui cherchent à faire
payer leurs frais de campagne par les financiers espèrent tous obtenir la bénédiction de
Robert Rubin, un blanc-seing qui ouvre de
nombreuses portes.
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
49
DE QUOI ENDIGUER LA CONVERGENCE
MONDIALE DES SALAIRES ?
La tendance centre droit du groupe, ensuite,
transparaît dans d’autres propositions qui ne
manqueront pas de troubler l’électorat démocrate : elle propose une réforme de l’éducation
par une réduction des postes d’enseignants, un
rôle plus important des résultats des élèves, ou
encore la réforme du système juridique des
recours collectifs, pour éliminer ce que Rubin
appelle les “graves excès actuels” (sa société en a
été victime et a dû payer des milliards pour régler
un recours collectif intenté par les actionnaires
pour le rôle joué par Citigroup dans les fraudes
d’Enron et d’autres scandales financiers).
Enfin, les propositions économiques “radicales” de Rubin sont identiques, pour l’essentiel, à celles qu’il avait imposées au gouvernement de Bill Clinton : un équilibrage du
budget de l’Etat destiné à stimuler l’épargne
nationale et, du même coup – selon la théorie de l’ancien ministre des Finances –, une
diminution de l’effrayant déficit commercial et
des colossaux emprunts à l’étranger, les principaux créanciers étant la Chine et le Japon.
Et, si possible, de nouveaux accords commerciaux qui ne touchent pas pour autant aux
règles commerciales ni aux institutions internationales régissant le système actuel.
Je doute que ces propositions du projet
Hamilton soient très efficaces dans la lutte
contre les forces mondiales qui grignotent les
revenus d’au moins la moitié des travailleurs
amér icains. Rubin lui-même n’est pas
convaincu. Son programme aura-t-il un quelconque effet sur la convergence mondiale des
salaires (autrement dit, sur leur nivellement
par le bas) ? “Eh bien, répond Rubin, c’est une
question à laquelle personne, je pense, ne peut
répondre. Je crois que notre approche est le moyen
pour les Etats-Unis d’obtenir les meilleurs revenus
possible dans ce monde complexe. Quant à savoir
si elle endiguera la convergence des salaires à
l’échelle mondiale, je n’en sais rien. J’imagine que
la réponse est non.” Si les idées de Rubin me
laissent sceptique, je crois néanmoins que
l’homme ouvre une voie intéressante pour les
démocrates. Notamment en les amenant à critiquer plus profondément la mondialisation.
William Greider
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
828p42-51
12/09/06
16:02
Page 50
e n c o u ve r t u re
Ces caudillos qui nous trompent
L’Amérique latine a changé de
cap, dit-on. En fait, les Chávez et
autres Morales ne sont pas de
gauche. Une analyse engagée de
l’économiste Luis de Sebastián.
EL PAÍS
Madrid
es gouvernements a priori de gauche
ont été élus en Bolivie, au Brésil, au
Chili, en Uruguay et au Venezuela ;
d’autres, comme en Argentine et au
Pérou, montrent un certain penchant
pour cette couleur politique. A eux
tous, ces pays comptabilisent plus des trois
quarts de la population et de la richesse de la
région. En ce sens, on pourrait dire que l’Amérique latine vire majoritairement à gauche. Mais
cette affirmation est exagérée et superficielle.
Ce qu’on voit se former n’est ni un nouveau
bloc ni une entité de gauche au sens traditionnel du terme. Aucune des différentes gauches
latino-américaines ne ressemble à celle de Castro. Mais elles ne ressemblent pas non plus à
celles de Salvador Allende [socialiste élu président du Chili le 4 novembre 1970, renversé par
le coup d’Etat militaire du 11 septembre 1973]
ou du premier gouvernement de Daniel Ortega
[sandiniste, président du Nicaragua de 1985
à 1990]. L’effervescence politique que l’on
observe dans la région correspond à un rejet
calme et partiel de l’ordre établi par le “consensus de Washington” dans les années 1980 et
1990. Cet ordre – ou plutôt ce système – résulte
de l’intégration de l’Amérique latine dans le
processus de la mondialisation ; une mondialisation qui, certes, a créé beaucoup de richesses
D
(quoique mal réparties) dans la région, mais
qui a aussi engendré un fort mécontentement
parmi les majorités populaires. Les mesures
prescrites par le consensus de Washington ont
laissé des traces : ouverture commerciale et
financière des pays, acquisitions massives de
banques et d’entreprises de services et d’énergie par des acheteurs étrangers. Ces acquisitions ont eu pour conséquence une augmentation considérable de la présence des
multinationales dans la région. Cependant, la
réaction de la population ne traduit pas une
volonté d’implanter le socialisme – ni dans sa
version plus dure, le communisme, ni sous sa
forme plus douce, la social-démocratie. Les gens
acceptent l’économie de marché avec la même
neutralité – ou la même résignation – que celle
qu’ils affichent face à la démocratie parlementaire. L’agitation politique du moment ressemble plus à une lutte, quelque peu spontanée et désorganisée, pour une meilleure
répartition des avantages de la mondialisation,
un désir qu’exprime la devise : “Une autre mondialisation est possible”.
AGIR DANS LE CADRE DE LA DÉMOCRATIE
PARLEMENTAIRE
Dire que des mouvements populaires comme
ceux des sans-terre, des producteurs de coca ou
d’ethnies longuement ignorées, dirigés par des
caudillos qui se croient élus non pas par les
citoyens mais par la Providence, dépourvus de
toute conception d’ensemble cohérente de la
société qu’ils veulent créer, dire que de tels mouvements sont “de gauche” revient à dire que
le soulèvement de Spartacus [révolte des esclaves
contre l’Empire romain, 71-73 av. J.-C.], la
révolte des paysans allemands à l’époque de
Luther ou encore la révolte des Sioux étaient
“de gauche”. Etre de gauche ne signifie pas monter les pauvres contre les riches et les impuis-
sants contre les puissants, pas plus que cela ne
signifie semer la haine et le désordre dans la
société. En politique, être de gauche repose sur
le respect de la dignité humaine, sur une conception de l’Etat solidaire, et sur la priorité accordée par les dirigeants à l’égalité de tous devant
la loi et à la juste répartition des biens et valeurs
créés par le travail et le capital. Et même si, dans
la pratique, la défense de ces principes implique
la limitation des privilèges des riches et des puissants, la gauche moderne doit agir dans le cadre
de la démocratie parlementaire, c’est-à-dire en
respectant les autres partis politiques qui lui disputent le pouvoir et en condamnant avantages, manœuvres politiques et
abus. Par définition, les caudillos ne sont pas de gauche.
La gauche latino-américaine a
appris pendant la “décennie perdue” des années 1980 que la stabilité économique, sans inflation
galopante, assortie d’une monnaie crédible au
niveau international, d’un équilibre budgétaire
raisonnable et d’un environnement favorable
aux échanges commerciaux est une condition
sine qua non du progrès. Cette gauche a également appris que la redistribution de la richesse
devait constituer la priorité absolue des dirigeants, si ceux-ci voulaient construire une
société plus égalitaire, plus juste et plus solidaire. La stabilité macroéconomique et la redistribution des revenus résument le modèle que
la gauche latino-américaine applique désormais avec succès. Lula au Brésil et Bachelet au Chili incarnent une gauche
authentique qui s’intègre efficacement
à la mondialisation.
Luis de Sebastián*
* Professeur à l’Ecole supérieure d’administration
et de direction des entreprises (ESADE) de Barcelone.
A N A LY S E
Les deux visages de la gauche latino-américaine
D’un côté, d’anciens bolcheviques
devenus réformistes, de l’autre des
populistes volontiers nationalistes…
L’analyse de l’ancien ministre et
intellectuel mexicain Jorge G. Castañeda.
epuis plusieurs années déjà, l’Amérique latine vire à gauche, après avoir
été dirigée par des gouvernements plutôt centristes il y a une dizaine d’années.
Le changement est particulièrement marqué. A l’élection d’Hugo Chávez au Venezuela (1998, réélu en 2000) a succédé
celle de Luiz Inácio Lula da Silva au Brésil
(2002), puis de Néstor Kirchner (2003) en
Argentine, de Tabaré Vázquez en Uruguay
(2004) et enfin d’Evo Morales en Bolivie
(2005). Sans oublier la possibilité que le
leader sandiniste Daniel Ortega (président
du Nicaragua de 1985 à 1990) remporte
bientôt une nouvelle fois l’élection présidentielle (voir p. 26).
D
Virage à gauche, donc, mais dans deux
directions bien distinctes. Car il n’y a plus
aujourd’hui une gauche latino-américaine,
mais bien deux. La première voie, celle du
Chili [dirigé par la socialiste Michelle Bachelet, élue en décembre 2005 et qui succède
au socialiste Ricardo Lagos, qui avait été
élu en 2000], de l’Uruguay et du Brésil,
est moderne, ouverte, réformiste et internationaliste. Paradoxalement issue de la
révolution bolchevique, cette gauche a bien
pris note des erreurs et défaites du passé,
et a changé de couleur.
La seconde, présente de tout temps dans
la quasi-totalité de l’Amérique latine, a elle
aussi fréquemment été au pouvoir. Née de
la grande tradition du populisme, elle est
nationaliste et persévère dans son culte du
passé, sa nostalgie de la révolution mexicaine et son attachement à Fidel Castro.
Parce que, contre toute attente, l’Union
soviétique n’a pas entraîné dans sa chute
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
son homologue latino-américaine, Cuba. Utilisant des instruments démocratiques, la
gauche populiste cherche souvent à concentrer ses pouvoirs par le biais de nouvelles
Constitutions et en prenant le contrôle des
branches législatives du gouvernement. Ses
thèmes récurrents sont l’intégration des
exclus et un nationalisme aigu. Le président
vénézuélien Hugo Chávez en tête, elle tend
à séparer le monde en deux hémisphères :
les proaméricains d’un côté, les pro-Chávez de l’autre. Les relations avec les EtatsUnis, qui semblaient avoir pris un nouveau
tournant avec Bill Clinton, se sont donc progressivement détériorées.
Les explications à ce virage à gauche ne
manquent pas. Après la fin de la guerre
froide, les partis de gauche ont pu reprendre
le dessus sans risquer de se faire accuser
d’être des têtes de pont de l’URSS. A cela
s’ajoutent les inégalités, la pauvreté et la
concentration des richesses, qui caracté-
50
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
risent la région. Autant de facteurs qui ne
pouvaient qu’entraîner ce retournement.
Mais, s’il est vrai que beaucoup s’attendaient à cette résurgence, la plupart d’entre
nous se sont trompés sur le type de gauche
qui allait émerger. Nous pensions, naïvement peut-être, que l’Amérique latine suivrait la tendance des partis socialistes français et espagnol. Dans certains cas – celui
du Chili, et dans une certaine mesure du
Brésil –, c’est bien ce qui s’est passé. La
gauche issue du bolchevisme a suivi la voie
de la gauche du reste du monde. L’autre a,
quant à elle, suivi sa propre voie. Mais, plutôt que de continuer à se plaindre de la montée de la gauche en Amérique latine, mieux
vaudrait l’accepter pour aider la région à
enfin se positionner comme elle l’entend
et, comme aurait pu le dire Gabriel García
Márquez, mettre un terme à ses centaines
d’années de solitude.
Jorge G. Castañeda,
Foreign Affairs (extraits), New York
828p51
12/09/06
16:39
Page 51
DUR DUR D’ÊTRE DE GAUCHE
●
D’abord s’opposer au populisme
Pour Giuliano Amato, actuel
ministre de l’Intérieur italien,
le socialisme ne se résume pas
à un libéralisme social.
Et il doit promouvoir la liberté
du plus grand nombre.
LA REPUBBLICA (extraits)
Rome
n vieux socialiste réformateur, je me suis
toujours battu contre les conceptions
autoritaires et étatiques qui ont, sous
des formes variées, prévalu dans ma
famille politique au cours du XXe siècle.
Aujourd’hui, je ressens le besoin de
revendiquer ces traits identitaires qui font que
le socialisme se reconnaît davantage dans la
gauche des droits et du pluralisme d’aujourd’hui que dans celle de l’étatisme d’hier. Ce
sont là d’ailleurs ses traits constitutifs, car
la grande aspiration dont le mouvement
socialiste sut se faire historiquement
l’interprète, l’aspiration à l’égalité,
était génétiquement liée à la liberté.
Elle exprimait le sacro-saint désir
de tous d’avoir ce bien – la
liberté –, dont seuls quelques-uns
avaient pu jouir jusque-là. Je sais bien
qu’en raison précisément des idéologies qui se sont par la suite imposées
au sein du mouvement socialiste, égalité et liberté ont fini par se contredire,
jusqu’à faire du “socialisme libéral” un oxymoron longtemps cultivé par une minorité et considéré par la grande majorité (de la famille socialiste) comme une capitulation face à l’ennemi de
classe. Mais la vérité des choses est que nous
E
Dessin d’Angel
Boligan paru
dans El Universal,
Mexico.
étions partis de cet oxymoron et que nous y
sommes désormais revenus, après bien des
erreurs, voire de véritables tragédies, et que cette
majorité en a finalement accepté les postulats.
Au cours de l’histoire, des Grecs jusqu’à la
Révolution française, l’égalité a toujours eu pour
pierre de touche la liberté et le droit. C’est précisément pour cela qu’obtenir l’égalité a toujours
signifié arriver à partager une liberté et des droits
dont on était jusque-là exclus. Ce qui est certain,
aujourd’hui, c’est que ce sont les postulats de
l’oxymoron libéral-socialiste qui prévalent : l’histoire n’est pas guidée par des règles scientifiques,
mais par des actions et interactions à l’issue
imprévisible. L’avenir n’est écrit d’avance pour
personne. Garantir la liberté à ceux qui ne l’ont
pas veut dire mettre ces derniers en condition de
marcher sur leurs deux jambes et non pas leur
servir sempiternellement d’anges gardiens. La
nationalisation n’est pas un meilleur moyen de
limiter le rôle du secteur privé dans l’économie
que les règles anticoncentration.
Ce n’est pas le crépuscule du socialisme, je
dirais même que c’est sa victoire. Je tiens à ce
qu’on le lise ainsi, sinon on risque de tomber
dans la même erreur que Lloyd [voir page 42],
c’est-à-dire de voir s’évanouir les différences
les plus saillantes entre la gauche et la droite.
N’oublions pas, en effet, la boussole fondatrice
des socialistes : la liberté pour tous et non pour
quelques-uns. Suivre cette boussole peut faire
apparaître des différences qui, dans bien des cas,
sont quantitatives. Mais il y a aussi, c’est indiscutable, autre chose. Certes, je suis conscient que
l’Histoire présente toujours l’addition : non pas
seulement l’histoire communiste (qui n’est pas
celle de mon socialisme) mais aussi l’histoire de
la social-démocratie. Car cette social-démocratie a fini par se confondre, en grande partie, avec
un rôle accru de l’Etat dans l’économie. Après
la crise de 1929, cette pratique a eu des effets
Strasbourg, les socialistes européens
ont signifié à Robert Fico que son parti
ne pourrait être considéré comme socialdémocrate tant que durerait sa coalition
avec le SNS [le nouveau Premier ministre
slovaque, issu d’un parti “social-démocrate” (SMER), s’est allié avec le Parti
nationaliste slovaque (SNS, extrême droite
xénophobe)]. Pour sa défense, Fico a fait
valoir que les socialistes occidentaux
avaient des priorités différentes et ne comprenaient pas que les électeurs de SMER
soient intéressés en premier lieu par des
considérations de stabilité économique.
Son collaborateur Boris Zala a quant à lui
expliqué que ceux qui s’en prenaient aux
homosexuels et aux étrangers n’étaient
A
Jeux de miroir
Des intellectuels du “premier monde” ont signé
un appel contre Lula. En méconnaissant
la réalité sud-américaine, explique l’universitaire
et philosophe brésilien Ruy Fausto.
français au référendum sur la Constitution
européenne. L’électeur de gauche fustige
de plus en plus l’étranger, cesse de croire
aux idéaux de la solidarité et réclame de
la sécurité tous azimuts. Deux cents ans
après la Révolution française, il commence
à se comporter comme l’aristocratie française qui, par peur de perdre ses biens,
a perdu la tête. Le Français a peur pour
ses acquis sociaux, le Néerlandais du
catholicisme, et le Slovaque des Roms et
des Hongrois ainsi que de la perte d’un
niveau de vie déjà humiliant.
Comme le montrent Fico et Royal, le
conservatisme de gauche est devenu une
idéologie autonome. Dans les sociétés
qui ont cru à l’idée que l’homme était
réductible à un indice boursier, les
alliances entre le conser vatisme de
gauche et de droite deviendront de plus
en plus fréquentes et banales.
Michal Havran Jr, Sme, Bratislava
Ruy Fausto, Folha de São Paulo, São Paulo
Aussi conservateur que Ségolène Royal…
que de “jeunes militants” un peu trop
enthousiastes du SNS. Les responsables,
eux, seraient mobilisés pour résoudre
les problèmes sociaux de la population.
Devant les socialistes européens, Robert
Fico a même évoqué le soutien qu’apporte
l’Eglise slovaque au programme de sa coalition. Il aurait pu également ajouter à sa
décharge que, en France, Ségolène Royal,
la candidate socialiste la plus en vue, propose que les jeunes délinquants soient
rééduqués par l’armée. Ségolène est issue
d’une famille dont le père était un militaire
colonialiste. Le dimanche, elle assiste à
la messe, et elle croit en la vertu disciplinaire de l’armée, à l’ordre et à la famille.
En fait, entre Fico et Royal, il y a davantage de points communs que de différences. Ils représentent tous les deux une
première génération de politiciens qui ont
compris la mobilisation réactionnaire de
la gauche, qui s’est traduite par le “non”
VU DU BRÉSIL
n manifeste rédigé par des intellectuels du
premier monde [le monde occidental développé], dont le linguiste Noam Chomsky et le
cinéaste Ken Loach, et signé par plus de trois
cents personnes de diverses professions et nationalités soutient la candidature aux prochaines élections présidentielles brésiliennes de la sénatrice
Heloísa Helena. [Exclue du Parti des travailleurs
(PT), Heloísa Helena se présente contre Lula pour
le nouveau Parti pour le socialisme et la liberté
(PSOL), dissident du PT]. Le ton du manifeste révèle
un radicalisme simpliste qui montre à quel point
l’Amérique latine continue à représenter un mythe
pour l’extrême gauche mondiale, et notamment
celle du premier monde. Mais il permet d’étayer
un certain nombre de réflexions sur la situation
des gauches et de l’extrême gauche, en particulier dans le premier monde et dans le tiers-monde.
Il est intéressant de noter que l’extrême gauche
brésilienne s’appuie fréquemment sur l’extrême
gauche intellectuelle des pays riches. Il y a là un
curieux jeu de miroir. Une bonne partie des lecteurs des revues d’extrême gauche européennes
appartiennent en fait à l’extrême gauche des pays
sous-développés. Celle-ci tire de son côté sa légitimité de ce qui est censé être la “presse révolutionnaire du monde développé”. Le manifeste
pro-Heloísa Helena s’insère pour ainsi dire dans
ce jeu de miroir. La candidate n’est pas sans
mérites (parmi lesquels sa critique de la corruption du PT). Mais sa candidature serait encore plus
crédible sans le chœur radical qui lui fait écho, de
l’“Europe, [de] la France et [de] Bahia”.
V U D E S L O VA Q U I E
Pour le quotidien Sme, il n’y a pas loin
entre la socialiste française et ces
sociaux-démocrates slovaques qui
s’allient avec l’extrême droite.
stabilisateurs positifs, mais elle est aujourd’hui
largement dépassée.
Une telle confusion pèse encore sur l’identité socialiste, sur la lecture que les autres en donnent, et donc sur sa propre capacité d’attraction.
De plus, le socialisme libéral, en raison de son
caractère historiquement minoritaire, ne pourrait jamais à lui seul réaliser l’objectif de la “liberté
égale”. Il doit se tenir à l’écart des dérives individualistes qui empoisonnent nos sociétés et doit,
pour cette raison, se lier aux mouvements, en
général d’inspiration religieuse, fortement orientés vers la solidarité collective et la responsabilité envers les autres. Il s’agit, avec eux et avec
d’autres, de créer un réseau qui, dans chaque
partie du monde, enracine la liberté et lui permette de s’opposer, non seulement aux facteurs
traditionnels d’exploitation et de marginalisation, mais aussi aux idéologies radicales et aux
populismes qui, au nom de l’émancipation,
menacent de générer de nouveaux esclavages et
de déstabiliser le monde. Je suis donc socialiste
et fier de l’être.
Giuliano Amato
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
51
U
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
*828 p52-53
11/09/06
18:47
Page 52
p o r t ra i t
Daniel Tammet
L’autiste qui aimait le nombre π
THE DAILY TELEGRAPH
Londres
Quand il m’ouvre la porte
de son domicile de Herne
Bay, dans le Kent, Daniel Tammet
me fixe un peu trop longtemps. Il me
semble un peu raide. “Vous voulez
boire quelque chose ?” me demande-t-il d’une voix inexpressive. Il n’est pas à l’aise, mais se tire fort bien de ces
civilités. C’est un soulagement, car Tammet, aujourd’hui âgé de 26 ans, est un autiste savant dont les capacités prodigieuses ne sont pas sans rappeler celles du
personnage joué par Dustin Hoffman dans Rain Man.
Ils sont une cinquantaine comme lui dans le monde,
tous des hommes. Mais ce qui rend Tammet unique,
c’est qu’il est en mesure de décrire le fonctionnement
de son esprit. “J’ai de la chance, convient-il, parce que
la plupart des autres qui ont des capacités exceptionnelles
sont aussi gravement handicapés.”
Il y a deux ans, Tammet est devenu célèbre pour
avoir déclamé le nombre π jusqu’à 22 514 décimales,
avec la même facilité que nous lorsque nous
citons 3,142. Mieux encore, il affirme pouvoir le
refaire : non seulement sa mémoire est immense, mais
elle retient tout. Dans un documentaire diffusé l’an
dernier, il a une nouvelle fois démontré son pouvoir
avec les chiffres, cette fois en faisant sauter la banque
à Las Vegas alors qu’il n’avait jamais joué au black jack
auparavant. Et il vient de faire une chose encore plus
remarquable pour un homme qui ne considère les mots
que comme “sa deuxième langue” : il a écrit un livre.
Dans Born on a Blue Day [Né un jour bleu,
éd. Hodder & Stoughton, Londres],Tammet raconte
son enfance, quand les nombres étaient ses seuls amis.
Son style est si élégant que l’étrangeté de l’œuvre ne
transparaît que lentement : il n’y a pas de dialogues,
pas d’humour, pas de retour amusé sur soi-même.
Il attaque son récit sans fioritures, mû par le désir
ardent de s’expliquer. Il lui arrive parfois de se noyer
dans les détails quand il aborde ses passions, telle la
structure du langage. Il est capable de dominer, avec
une facilité qui frise l’osmose, ces domaines qui posent
problème à la plupart des gens, les maths et la syntaxe (il a maîtrisé l’islandais en une semaine). En
revanche, il a dû lutter pour acquérir des compétences
qui semblent évidentes aux autres : la communication, l’empathie, la capacité à avoir une vue d’ensemble
sans se perdre dans les détails.
“Mon cerveau décompose tout en éléments concrets et
tangibles, explique-t-il. C’est l’intangible que j’ai du mal
à comprendre.” Tammet est atteint du syndrome d’Asperger, forme d’autisme manifeste dès la naissance.
Bébé, il pleurait sans cesse et seul un mouvement répétitif parvenait à le calmer. Il ne jouait jamais avec d’autres
enfants, ni avec des jouets. “Mes jouets, c’étaient les
chiffres”, dit-il. Pour lui, les chiffres ont des couleurs,
des formes, de la texture, une personnalité. Cette
connexion entre des sens sans aucun rapport porte le
nom de synesthésie. Tammet ne sait pas si elle est la
cause ou le résultat des crises d’épilepsie dont il a souffert à l’âge de 4 ans, mais la tangibilité des nombres lui
permet de voyager dans son esprit à travers le paysage ondulant que constitue le nombre π. “Pour moi,
c’est aussi beau que la Joconde.”
Cela ne nous dit pas pourquoi les réponses à des
calculs complexes jaillissent dans sa tête : calcule-t-il
ou se souvient-il ? Pas plus que nous ne savons pourquoi il a eu plus de succès au black jack dès qu’il a
abandonné toute méthode pour faire confiance à son
intuition. “Enfant, les limites de la logique étaient l’une
des choses avec lesquelles j’ai dû me débattre”, glisse-t-il
en guise d’explication. Il répond sans difficulté à mes
questions, même à mes interrogations indirectes.
Comme il l’écrit dans son livre, il donne souvent l’impression d’être grossier parce qu’il
ne répond généralement pas quand
■ Langues
les questions ne sont pas directes et
Daniel Tammet
explicites. “Je réponds parce que je
est aussi doué pour
sais, d’après le contexte, que vous devez
les langues que
être en train de me poser des questions
pour les chiffres.
“Il parle dix langues,
et que je dois parler”, remarque-tdont le lituanien
il. Réponse qui nous rappelle qu’il
et le gallois, rapporte
est loin d’être aussi normal qu’il le
The Independent,
semble. Il possède plusieurs des
et il a inventé
talents associés à l’autisme : il peut
sa propre langue,
recopier un dessin avec autant de
le ‘mänti’, qui compte
précision que s’il le décalquait et il
environ 1 000 mots”
a construit le plan de son livre sans
et qui s’inspire
prendre une seule note. Mais il est
des langues
plus encore conscient de tout ce
scandinaves. “Pour
un documentaire sur
qu’il ne peut pas faire. “Fonder une
lui intitulé L’Homme
famille, cuisiner, enseigner sont des
cerveau, il a appris
capacités fascinantes. Le génie ne se
l’islandais en une
limite pas aux maths.”
semaine devant
Les capacités des autistes savants
les caméras. Le défi
sont
extrêmement spécifiques.
a culminé avec
Tammet
peut, par exemple, calcuun entretien en
ler un nombre à n’importe quelle
direct à la télévision
puissance, mais il est nul dans le
islandaise, dont
domaine des racines carrées, où les
il s’est brillamment
sorti.” “L’islandais
inconnues sont des lettres, ce qui,
est parfait pour
à ses yeux, n’a plus aucun sens. Il
un autiste parce
a également du mal à utiliser
que c’est une
un DVD ou à appeler un taxi.
langue très visuelle,
Comme la plupart des autistes, il
explique le jeune
est hypersensible au bruit, au touhomme. Je pense
cher et aux stimuli visuels. Il lui était
en images,
impossible de se brosser les dents
et l’islandais
jusqu’à ce qu’il découvre la brosse
fonctionne comme
cela, les mots
à dents électrique, plus rythmique.
abstraits sont décrits
Il ne passera jamais son permis de
en termes concrets.”
conduire, il se laisse trop distraire
Daniel Tammet a
par tout ce qui l’entoure. Mais l’ascréé un site Internet,
pect le plus perturbant de sa condioptimnem.co.uk, sur
tion est la difficulté qu’il éprouve à
lequel il écrit un blog
comprendre les émotions. “Je suis
et propose une
obligé de faire semblant de manifesméthode pour
ter de l’émotion, comme le sentiment
apprendre le français
de triomphe quand j’ai gagné contre
et l’espagnol.
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
52
le casino à Las Vegas. Je n’aime pas les films parce que je
ne comprends pas les expressions des personnages. L’humour
verbal ne m’amuse pas, mais j’aime bien les tartes à la
crème. J’ai toujours su que j’étais différent des autres enfants,
mais je n’ai pris conscience de ma solitude que vers 8 ou
9 ans. Autrefois, je rêvais d’être normal, mais, comme j’ai
tendance à décomposer les choses, la conscience que j’avais
de moi-même était comme des milliers de fragments de souvenirs que je m’efforçais de reconstituer. Je ne peux avoir
de relations avec les autres que si je les vois comme uniques,
ce qui ne m’est arrivé que lorsque je me suis moi-même perçu
comme une personne unique. Le changement a eu lieu à la
puberté. Je voulais qu’on m’apprécie, qu’on m’aime. Je me
sentais un peu plus humain.”
La chance et la volonté ont toutes deux joué un
rôle dans le parcours qui l’a arraché à la solitude imposée par l’autisme. “J’ai eu la chance de faire partie d’une
grande famille et d’être l’aîné de neuf enfants. J’étais obligé
d’interagir avec les autres. Je ne pouvais pas me contenter
de me réfugier dans les chiffres. Ma mère travaillait tout le
temps avec moi. Elle me rappelait qu’il fallait regarder
devant moi quand je marchais. Et regarder les gens dans
les yeux, même si ça m’était pénible.”
Conscient de son homosexualité depuis l’âge de
11 ans,Tammet a pris un risque en acceptant de rencontrer Neil, un programmeur avec qui il correspondait sur Internet. “Quand je suis tombé amoureux,
j’ai compris pour la première fois que l’on pouvait m’aimer. Je n’en avais aucune idée.” Peu à peu, il a élargi la
gamme de ses émotions. Récemment, quand son chat
est mort, il a pleuré et compris le chagrin pour la première fois. Mais il sait qu’il est difficile à vivre car il
n’est pas en mesure de saisir ce que ressentent les
autres. C’est en rédigeant son livre qu’il a pour la première fois perçu ses parents comme des personnes,
mais il ne cesse de découvrir à quel point il est différent des autres. “Il n’y a pas longtemps, j’ai expliqué à Neil quelque chose qui s’était passé pendant nos
vacances. Je n’avais pas compris qu’il s’en souvenait
lui aussi, puisqu’il était là.”
Il y a quelque temps, il a rencontré Kim Peek, l’autiste savant qui a inspiré Rain Man. L’événement l’a
marqué. Peek est incapable de mener une existence
indépendante, mais il peut lire deux pages d’un livre
en même temps, chacune avec un œil, et en retenir
chaque mot. “Nous avons échangé des faits et des chiffres
comme d’autres échanges des ragots, raconte Tammet.
Peek parcourt l’Amérique et diffuse le message que la différence n’est pas forcément une mauvaise chose.” Il a réussi
à comprendre que l’enthousiasme qu’il a ressenti lors
de cette rencontre était de la joie. Pour la première
fois, il n’avait pas honte de lui. Comme Peek, il aimerait pouvoir faire usage de ses talents. Son génie des
mathématiques pourrait lui permettre de gagner de
l’argent, mais il préférerait aider les scientifiques à
comprendre le fonctionnement du cerveau. “Autrefois, je rêvais d’être comme les autres, conclut-il. Mais ils
me disent que j’ai sur eux le même effet que le Pr Stephen
Hawking. Que c’est dans la contradiction entre capacités et handicap qu’ils voient l’humanité.”
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
Cassandra Jardine
*828 p52-53
11/09/06
19:10
Page 53
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
Toby Madolen/The Independent
■ Dans son
autobiographie,
Né un jour bleu,
Daniel Tammet
raconte
sa vie d’handicapé
surdoué.
Toby Madolen/The Independent
Toby Madolen/The Independent
●
53
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
■ Parce qu’il
est l’un des rares
autistes à pouvoir
expliquer comment
son esprit fonctionne,
Daniel Tammet
est considéré
par les scientifiques
comme la pierre
de Rosette
de la recherche
sur l’autisme.
Il a notamment
accepté d’être
étudié par le Centre
des neurosciences
de Californie.
828p54-55
11/09/06
18:52
Page 54
enquête
●
DERNIER REFUGE DU CITADIN
La datcha, cet objet de convoitise
Tous les ans à la belle saison,
armés de leurs binettes,
les citadins russes investissent
leur petit lopin de terre
agrémenté d’une maisonnette.
L’écrivain Nikolaï Klimontovitch
croit savoir pourquoi.
OGONIOK
Moscou
A
depuis si longtemps, tellement vous étiez las d’inhaler la poussière et les gaz d’échappement.
Bien sûr, vous êtes découragé, vous versez des
larmes invisibles sur les objets disparus, tirés de leurs
cachettes secrètes par des mains malintentionnées.
Vous regrettez le passé, l’avenir est incertain. Mais
courage, vous serez bientôt consolé par toute une série
de nouvelles que vous allez apprendre petit à petit
et qui font toujours le bonheur de tout habitant d’une
maisonnette entourée d’une parcelle de terrain. En
février, une tronçonneuse cassée a été dérobée dans
la véranda du voisin ; votre voisine a été délestée du
gigantesque divan dont elle était si fière, et sa commode, censée lui être venue de sa grand-mère jacobine, a probablement servi de bois de chauffage à des
sans-abri des environs pendant les grands froids. Fin
novembre, il y avait parmi eux bon nombre d’intellectuels. Dans la rue d’à côté, une datcha a été incendiée, le kiosque en planches dévalisé, on a emporté
un tube de mayonnaise à la date limite de consommation indéterminée, un chat castré a été écorché,
deux porte-monnaie et un portefeuille contenant une
carte de fidélité ont été volés, un pékinois dévoré.
Mais c’est loin d’être tout. La beauté fatale au manteau de queues d’écureuil du cottage voisin (portail en
Haulot/Planet Repor ters-REA
vant de partir, n’oubliez surtout pas les graines
à semer et les plants à repiquer : aneth, persil,
petits radis roses, gros radis noirs, oignons, petit
pois et maïs. Prenez aussi votre pull favori. Tout
le reste – la râpe, la binette, le masque d’apiculteur,
la canne à pêche, sans oublier le calendrier –, vous
le trouverez pour pas cher au magasin du village. Si
vous suivez cet avis sincère et désintéressé, vous oublierez le pesant manque de liberté et les menus tracas
du quotidien. Et peut-être, même, les pénibles images
de vos ustensiles disparus. Car, pendant votre absence
hivernale, le bric-à-brac entassé à la datcha se sera
notablement réduit. Vos outils – ceux-là mêmes que
vous aviez soigneusement cachés sous les lits des
enfants, en vous prenant pour ce brave vieux Freud,
censé avoir une influence jusque sur l’esprit des
voleurs – se seront éclipsés.
Votre cher mug à fleurs ébréché a rejoint des rives
inconnues, l’évier a disparu, la bêche s’est envolée de
la véranda, la bassine n’est plus là, la hache non plus et
le marteau s’est fait la belle. Il ne reste plus rien pour
travailler la terre. Fait très surprenant, l’arrosoir s’est
également volatilisé : l’utiliser comme carafe est plutôt
laborieux (si vous avez déjà essayé) et, l’hiver, il n’y a
rigoureusement rien à arroser. Cette pensée vous apaisera. Surtout quand vous vous souviendrez que vous
avez toujours votre portefeuille et que la banque n’a
pas fait faillite.Tout va bien, votre femme n’a aucune
raison de croire que vous la trompez, et d’ailleurs vous
êtes encore assez jeune. Inspirez l’air frais à pleins poumons en admirant les alentours. Parce que, désormais,
vous êtes à la datcha, là où vos rêves vous portaient
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
54
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
Haulot/Planet Repor ters-REA
Haulot/Planet Repor ters-REA
828p54-55
11/09/06
18:53
Page 55
Datchas à la mode
traditionnelle.
Scènes de la vie
quotidienne.
bronze ouvragé et médaillons dorés, petit coq sur un
pilier) a été abandonnée par son mari, qui est parti avec
la Mercedes, probablement à tout jamais. En outre,
la saison des champignons ne va pas tarder, et le magasin du village a fait rentrer de la crème fraîche et des
pinces plates. Ça pourra aller. Certes, le gel a eu raison
de la pompe, le câble d’alimentation électrique s’est
décroché, le toit de la véranda fuit, mais cela ne doit
pas vous affecter outre mesure. Parce que la saison vient
juste de commencer et que l’électricien devrait pouvoir
passer aux alentours de septembre.
Nous touchons ici une question de fond. Qu’est-ce
qu’un intellectuel, qui parle aisément plusieurs langues
et a toujours vécu dans un milieu urbain, peut bien faire
d’une datcha ? A quoi bon se donner du mal à tenter
de conserver sa dignité allongé dans un hamac, étouffant sous un panama de petit-bourgeois ? A quoi bon
faire semblant de lire Schopenhauer dans le texte ? Et,
surtout, pourquoi déterrer les bulbes des glaïeuls avant
l’hiver ? Qu’est-ce qui fait que, dans les bourrasques de
neige de février, le citadin russe pense avec autant d’affection à la petite cheminée pour laquelle il n’a qu’une
pile de bois humide ? Pourquoi, dès le mois de mars,
coincé au volant de son Audi dans les bouchons du
centre de Moscou, commence-t-il à se demander avec
angoisse si la pompe voudra bien fonctionner et si les
pruniers auront fleuri ? La réponse est qu’il nourrit des
rêves de fuite. La datcha est son château, sa façon de
se mettre à l’abri, de s’évader. C’est un domaine féodal dont la frontière intouchable ne peut être fran-
CONTEXTE
A chacun son royaume
■ S’il recouvre des réalités historiques et immobilières très
différentes, le terme intraduisible de datcha a traversé les
âges, s’ancrant profondément dans les us et coutumes des
Russes d’hier et d’aujourd’hui. Dans l’imagerie collective, il
y a certainement les datchas décrites par Tchekhov et Gorki
dans La Cerisaie ou Les Estivants, celle de Pasternak, qui y
vécut quasi reclus non loin de Moscou, celles des pontes du
régime soviétique, dont Staline, qui s’éteignit dans la sienne
en 1953. Il y a encore celle, bien plus modeste, de Moscou
ne croit pas aux larmes, un film exaltant les mérites d’une
famille bien soviétique qui parvient à tirer une récolte miraculeuse de son petit lopin de terre. Au cours de la dernière
décennie, un autre type de datcha a fait son apparition, celle
du nouveau riche, appelée désormais “cottage”, tout en marbre
et colonnades. L’avancée endémique de ces constructions
d’un goût approximatif, souvent facilitée par des pots-de-vins
ou des expropriations douteuses, menace de plus en plus
les petits propriétaires traditionnels. Ainsi, pendant l’été 2006,
en plein milieu de la “saison des datchas” – qui dure du 1er mai
à fin septembre –, les médias russes ont donné une large place
à la “bataille de Boutovo”. Les habitants de ce lotissement
de vieilles maisons en bois à la périphérie de Moscou, menacés d’expulsion en raison des plans immobiliers de la mairie,
refusaient d’être relogés dans des appartements exigus.
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
chie que par l’inspecteur du fisc. Mais c’est justement
un inspecteur avec qui il est facile de s’entendre. La
datcha vous rehausse à vos propres yeux. Ici, vous devenez véritablement un être privé, unique. Le langage ne
trompe pas.Vous disposez enfin d’un espace privatif, à
vous, ce qui, en langage courant, signifie que vous êtes
propriétaire.Vous n’êtes plus le consciencieux locataire
d’un appartement, ni un emprunteur, ni quelqu’un en
attente d’un logement, vous êtes un être humain à part
entière. Un citoyen. Avec vos droits inaliénables de propriété.Vous pouvez planter des choux de Bruxelles sous
un film plastique dans votre jardin. Et, si quelqu’un
vous recommande de planter plutôt des choux-fleurs,
vous pouvez parfaitement l’envoyer balader.
Mais n’oubliez pas que, si certains sont attirés par
la terre, vous, vous serez toujours prisonnier de l’asphalte.Vous aurez envie de respirer des gaz d’échappement, de sentir sur vous la poussière de la grande
ville, de prendre un bain et de téléphoner à une copine.
Et pas avec un portable.Vous aurez envie de descendre
dans la petite cour ombragée de votre immeuble et
de dire bonjour à la voisine qui promène sa petite-fille,
son labrador et son mari. Et, en regardant le coucher
de soleil qui flamboie entre les hautes barres d’immeubles, vous penserez avec tristesse que, le lendemain,
il faudra prendre le petit train qui vous conduira à la
datcha, votre femme portera un panama, votre beaupère repiquera des plants, il y aura le branle-bas du
matin et un livre à terminer dans le hamac.
Nikolaï Klimontovitch
55
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
MUSÉE NEW YORK
DR
San Rafael, une ville du
sud de la province de
Mendoza, capitale argentine de l’olive, propose un
circuit pour voyageurs
gastronomes : l’“Olivo
Tour”. Durant trois jours,
vous partez à la découverte des secrets de l’huile d’olive produite ici,
l’une des meilleures du
monde. Entre deux balades au milieu de magnifiques oliveraies, des
dégustations vous sont
proposées. Grâce à un cli-
mat tempéré et semiaride, au pourcentage
d’humidité et à la luminosité, les olives de San
Rafael sont d’un goût
unique. Pour les férus
d’histoire, le musée de
l’Olive fait partie intégrante du tour.Vous saurez tout sur ses racines
millénaires, sur l’arrivée
de l’olive en Argentine
par les immigrés italiens,
après être passée par
l’Égypte ou la Grèce.
Vous verrez les instru-
ments anciens servant à
la cueillette. Des excursions sont prévues, au
Cañón del Atuel ou à Valle Grande, un immense
miroir d’eau vert émeraude au pied de la Cordillère, dans lequel vous
pourrez nager, plonger ou
naviguer. Au troisième
jour, l’escale à El Nihuil,
un lac de 9 600 hectares
coincé entre deux montagnes, vous impressionnera par sa beauté et son
calme. Mais ne l’oubliez
PRATIQUE
Y aller
Il faut aller à Buenos
Aires et prendre un vol intérieur. Compter 1 200 €
pour Paris-Mendoza.
Se loger
L’“Olivo Tour”, 3 jours,
deux nuits, pension complète, visites, spa et transferts depuis Mendoza
coûte 258 €.Vous logerez
au Tower Inn & Suites de
San Rafael (www.towersanrafael.com).
ÉCO-TOURISME
PANAMA
Chez les Kunas
La forêt borde les côtes
d’une cinquantaine de
petites îles, une barrière
de corail intacte, quelques
maisons en bambou et
des pontons de bois.
C’est ici que vivent les
Kunas, dans un coin
perdu du Panamá, une
région autonome qu’ils
ont su jusqu’à présent
préserver. Vivant de
l’artisanat et de
l’agriculture, les Indiens
ont mis en place un écotourisme, afin de lutter
contre les tentations des
opérateurs. Aujourd’hui,
160 000 visiteurs annuels
ont la chance de partager
un moment avec eux.
Ils gèrent tout : petits
hôtels, circuits avec
guides, balades en
barque, vente d’étoffes,
etc. Si les anciens
redoutent la perte de leurs
valeurs, les plus jeunes
estiment qu’il s’agit de
la meilleure solution pour
eux. D’accord pour
accueillir des voyageurs,
mais à leur manière.
En savoir +
ordinateurs des années
soixante-dix, vous verrez
fonctionner (une prouesse des techniciens) le tout
premier jeu d’arcade de
l’histoire, Computer Space, créé en 1971, mais aussi le fameux Pong d’Atari, Space Invaders, véritable mythe chez les
joueurs ou une version
d’Adventureland de 1978
pour Apple II. Cette exposition marque la recon-
ENQUÊTE
naissance du jeu vidéo
non comme une industrie
et un business, mais véritablement comme un art
à part entière.
Si le cinéma est le 7e art et
la BD le 8e, à n’en pas
douter, le jeu vidéo est devenu le 9e art.
En savoir+
yorouba. Forcément, ma famille
voit mon activité d’un très mauvais œil, surtout ma mère. Mais
j’en ai rien à foutre.» Même dans
les villages non islamisés, Tunde
prétend trouver des complices.
« Au fond, quelle que soit la religion, tout le monde aime l’argent,
n’est-ce pas ?» Pourtant, le vol de
fétiche reste un métier à risque.
«Parfois, les villageois tuent ceux
qui les dépossèdent. Surtout en
pays Ibo, ils ne rigolent pas avec
ça», reconnaît Tunde, qui s’aventure rarement dans l’ex-Biafra.
Les sculptures Nok font fureur. Il y en a
même dans le musée du quai Branly. Mais
comment sont-elles arrivées là ? Enquête,
du Nigeria à Paris, en passant par Cotonou.
De l’art ou du business ?
www.movingimage.us/site/exhibitions/
index.html
www.movingimage.us/exhibitions/cs9
8/Default.htm
T
VAUCLUSE
Détours au pays
du Ventoux
Peter Aaron/Esto
pas, vous êtes à Mendoza,
où l’on produit l’un des
meilleurs vins du pays.
Un petit détour par une
bodega locale s’avère judicieux. Et, après avoir
marché, bu et visité, une
halte au spa s’impose. Là,
il est temps de se laisser
faire et de profiter des
bienfaits de l’olive, comme les Égyptiens, qui disaient que deux ou trois
gouttes d’huile dans le
cou et sur le visage suffisaient à en préserver la
jeunesse. Un“Olivo Tour”
intelligent, écologique et
qui vous fera rajeunir.
Marc Fernandez
Le MOMI (Musée de
l’image en mouvement) de
NewYork fut le premier à
intégrer les jeux vidéo
dans une exposition au
début des années quatrevingt-dix. Il poursuit aujourd’hui son travail en
créant la première exposition permanente sur
l’histoire et l’industrie de
cette populaire forme
d’expression ludo-artistique. Interacting with the
Screen est dédiée à Ralph
Bauer, le père du jeu vidéo
qui, à 83 ans, s’est dit ravi
d’une telle initiative, intégrée dans un projet plus
vaste intitulé Behind the
Screen, qui retrace les
grands moments de l’image sous toutes ses formes
(cinéma, télévision, etc.).
Pour les nostalgiques du
joystick, une visite au
MOMI s’impose donc.
Vous y découvrirez de
nombreuses machines et
Mythique pour les amateurs
de vélo, magique pour les fervents
de promenades solitaires,
écologique pour les fous
de nature et de points de vue,
le mont Ventoux règne, du haut
de ses 1 912 m, sur le Vaucluse.
Christine Coste en a fait le tour.
DÉCOUVERTE MEXIQUE
Taxco, un coin de paradis
Jose Fuste Raga/Age Fotostock
À San Rafael, un circuit au goût d’olives
REPORTAGE
Une exposition sur le 9e art
Danny Lehman/Corbis
Les favoris d’Ulysse De quoi donner envie d’aller se
balader au Venezuela www.venezuelatuya.com/ Un
diaporama sur l’île de Pâques et ses gigantesques statues
www.linternaute.com/voyager/destination/chili/
diaporama-ile-de-paques/1.shtml Préparer un trek en
Patagonie, en février 2007 www.lapatagonie.com/
DESTINATION ARGENTINE
12
Page 1
Découverte en 1529 par les conquistadores, Taxco de
Alarcón fut l’une des principales cités de la Nouvelle
Espagne. Or et argent sortait par tonnes de ses mines.
Durant un siècle, plus de 17 000 tonnes partiront vers
l’Europe. L’histoire de cette ville, située à 170 kilomètres
de Mexico, dans l’État du Guerrero, se confond avec
celle du pays. Aujourd’hui, le temps semble s’être
arrêté ici. Les balcons fleuris offrent une belle vue sur
le mont Atatzin, que l’on devine au loin. Les Indiens
náhualt, qui vivent là depuis des millénaires, l’appellent
le “seigneur des eaux”. La légende dit aussi que Cuahutémoc, le dernier empereur
aztèque, a vécu dans cette ville. Á visiter absolument.
Comment y aller Des bus partent de México toutes les heures depuis le Terminal Sur. Le trajet dure un peu
plus de deux heures et coûte 10 dollars US.
13
www.sanblassailing.com/fr/kuna.php
104
105
32
La France inédite
Des infos continent par continent
out commence par un bel
après-midi parisien, sur les
bords de Seine. En flânant
dans le quartier latin, votre regard
est attiré par l’une des devantures
qui exposent de l’art africain. Une
belle femme, habillée du dernier
chic, vous adresse un discret sourire destiné à vous mettre à l’aise
dans ce temple dévoué à la culture.Vous déambulez paisiblement
dans la boutique où règne un silence propre à la méditation. La
belle femme, une jeune métisse, se
propose de vous renseigner sur le
prix de ces objets éblouissants.
Elle vous flatte en vous disant que
vous avez l’air d’être connaisseur.
Et puis, brusquement le masque
tombe. La voix devient dure. Les
mots se veulent blessants. « Mais
cela ne vous regarde pas. Qu’estce que cela peut vous foutre d’où
viennent ces objets. Allez sortez.
On ferme.»Vous avez osé la question qui fâche : d’où viennent ces
ces belles têtes Nok, originaires du
Nigeria ? Comment peut-on être
sûr qu’elles sont sorties légalement
de leur pays d’origine ? Dans la
plupart des boutiques, la provenance des objets n’est jamais indiquée. Comme s’ils avaient été
déposés sur cette terre par des
extraterrestres.
Le mystère Nok
Mais qui sont ces artistes
qui ont réalisé ces figurines
en terre cuite, 500 ans avant
notre ère ?
Les premières découvertes
d’objets d’art en terre cuite de
ce qu’on appelle aujourd’hui la
culture Nok, du nom d’un
village, datent de 1928, dans la
région de Jos, au centre du du
Nigeria. Dans les décennies suivantes, des fouilles ont permis
de mettre au jour toute une
série de magnifiques statues en
terre cuite, de tailles diverses,
datant de 500 ans avant notre
ère, échos d’une civilisation
dont on ignorait jusqu’alors
l’existence. La statuaire Nok
présente de fortes parentés
avec l’art égyptien. Cette mystérieuse civilisation se serait
éteinte à la suite d’une épidémie
ou d’une famine dévastatrice.
Ces terres cuites constituent la
seule mémoire de ce qui fut
sans doute une des civilisations
les plus sophistiquées du continent noir.
P.C.
Dans la boutique, j’avais surpris une conversation téléphonique. La galeriste avait demandé
à son interlocuteur si son voyage
à Cotonou (Bénin) avait été fructueux, s’il avait ramené des têtes
Nok. Renseignement pris auprès
de Béninois vivant à Cotonou, la
capitale économique de leur pays
était en effet une des places fortes
du trafic. D’après la rumeur, les
têtes rouges venues clandestinement du Nigeria échouaient dans
le port de Cotonou, les antiquaires
de New York, Bruxelles ou Paris,
préférant faire leur shopping au
“paisible Bénin”plutôt que dans
le “féroce Nigeria”.
Dès mon arrivée à Cotonou, j’ai
pu constater que la réputation de
cette ville n’était pas usurpée. Des
têtes rouges ? Tous les antiquaires
de Cotonou en proposent. Depuis
les cours intérieures du quartier
Zongo, les antiquaires suivent avec
intérêt les nuages de poussière
soulevés par les taxis des acheteurs blancs qui sillonnent au
ralenti les rues cahoteuses. Ils
distinguent de loin le profil d’un
habitué, un Espagnol. Chacun se
demande où il s’arrêtera cette foisci. L’un des jeunes Nigérians,
Tunde, Yorouba au sourire de
gamin et aux épaules de docker,
On ne plaisante
pas avec les têtes Nok
Hugues Dubois/Musée du quai Branly
20:33
Gilles Rigoulet
11/09/06
amérique
56 ulysse
Sculpture Nok, terre cuite, 50 cm
Cette statue Nok est visible dans le nouveau musée des Arts premiers,
quai Branly, à Paris. D’après le site (www.quaibranly.fr/index.php?
id=551), elle est « en dépôt de la République fédérale du Nigeria ».
porte de guingois une casquette de
cuir bariolée. En parlant l’anglais,
il imite l’accent américain. Tunde
est fier. Grâce au commerce de l’art,
il vient d’acheter sa première voiture, une 504 Peugeot (neuves, elles
valent 1,8 million de naira au Nigeria, environ 12 millions de CFA,
soit l’équivalent de soixante ans de
salaire pour un professeur du secondaire). «Il y a deux ans, j’avais
du mal à faire deux repas par jour.
Je vendais des fripes sur les marchés du sud Nigeria. Et puis un
jour, un ami m’a initié !», explique
le jeune Tunde, encore tout surpris
de sa bonne fortune.
Installé à Benin City, ville du
Sud Nigeria, qui tire une grande
partie de ses ressources de “l’exportation”de femmes en Italie et
en Espagne, Tunde paie des gamins de la région pour“ramasser”
les fétiches des villages. «Parfois,
ils ont peur de les déterrer, ils
croient encore aux dieux anciens.
Alors je leur demande de m’indiquer l’endroit. Et la nuit venue, j’y
vais.» Récemment converti à l’islam, Tunde avoue qu’il a dû attendre la mort de son père pour se
lancer dans ce «business» : «Mon
grand-père était un dignitaire
important dans l’ancien culte
La plupart des antiquaires refusent de communiquer leur adresse. «Il faut être sûr de pouvoir faire confiance. On ne plaisante pas
avec les têtes Nok», menace Omar.
Pour justifier sa prudence, il invoque les pouvoirs occultes des
Nok : «Avant de les remettre à un
Blanc, il est nécessaire de faire des
ablutions, de verser le sang d’un
animal, un mouton ou un poulet.
Sinon la Nok risque de se briser
pendant le voyage ou de libérer ses
pouvoirs maléfiques. » Les antiquaires restent discrets sur les
contacts dont ils disposent pour
se jouer des frontières. « Le fait
d’être haoussa (ethnie dominante
dans le nord du Nigeria) nous
facilite la tâche, reconnaît Ibrahim, un jeune collègue de Omar.
Au Nigeria, beaucoup de dirigeants de la Douane et de la Police appartiennent à notre ethnie.
Des douaniers acceptent même de
transporter les Nok de la frontière à Cotonou dans leurs propres
véhicules. » A Cotonou, certains
antiquaires sont même accusés de
mettre à profit leurs bonnes
relations avec la Douane pour
dealer autre chose que de la terre
cuite. «Les rumeurs de trafics de
33
Des enquêtes sur le tourisme
e
l
l
e
v
u
o
N
e
l
u
m
r
fo
d
n
a
h
c
r
a
m
e
r
t
o
v
Cchez rnaux
de jou
LE GUIDE d’Ulysse
■ Le Qhapac Ñan, chemin de l’Inca
Chemin de l’Inca
1. Préparer son voyage
QUAND PARTIR ?
Situées dans
l’hémisphère sud,
les Andes se visitent
surtout à la saison
sèche, en hiver,
c’est-à-dire en été
chez nous. De juin
à fin septembre/début
octobre, les nuits
peuvent être très
froides, surtout en
altitude. Les journées
sont généralement
chaudes et ensoleillées.
Il est toutefois
conseillé de consulter
la météo locale
avant de s’aventurer
en randonnée.
Le Qhapac Ñan, entre
Cochasqui et Otavalo,
en Équateur.
Qhapac Ñan, le chemin
de l’empire Inca
Long de plus de 5 000 km, de la frontière
colombienne au Chili, en passant
par l’Équateur, le Pérou et la Bolivie,
le Qhapac Ñan est un gigantesque réseau
routier unifié par l’empire Inca. Longtemps
oublié, il est en pleine résurrection.
arbe poivre et sel, pipe, veste et chapeau en peau,
rien ne manque à la panoplie d’Antonio Fresco, archéologue espagnol, spécialiste du Qhapac Ñan, le “Grand Chemin”, et sosie du père d’Indiana Jones. Depuis le début de la matinée, nous suivons des bouts du sentier à travers les banlieues de
Quito, en Équateur. Les quelques tronçons encore
B
40
visibles sont pavés de lauzes volcaniques. Ici, le chemin était emprunté par la population il y a encore
deux générations à peine. Large de 6 à 8 mètres, il était
bordé de murs en pierres, ou en terre. Apparemment,
les archéologues en sont à la phase de repérage, la trace se perdant dans les travaux d’élargissement de la
Panaméricaine.
Nouvelle tentative du côté de la Quebrada Jalapana, toujours dans les environs de la capitale équatorienne. Ici, le paysage évoque le Massif Central. Au
fond du vallon coule un ruisseau que franchit un pont
fragile appuyé sur un bloc de pierre orné d’un
pétroglyphe. Un homme s’avance vers nous, plutôt
costaud. Il porte une machette à l’épaule. La famille de Jacobo Loachamin vit ici depuis des temps très
reculés. « Le Camino Inca ? Mes ancêtres l’ont vu
construire», affirme Jacobo. Frisson. L’homme nous
Des cartes et des reportages
le cas contraire, il vous
faudra vous acquitter
d’une amende.
Enfin, lors de votre
départ, il vous faudra
régler une taxe
d’aéroport de 25 $ US.
Chili, Équateur, Pérou
Passeport en cours de
validité. Le visa n’est
pas nécessaire pour un
séjour touristique égal
ou inférieur à 90 jours.
ADRESSES UTILES
FORMALITÉS
41
94
Bolivie
Les Français séjournant
90 jours en Bolivie par
période de six mois
n’ont pas besoin de
visa. Un cachet d’entrée
valant autorisation
de séjour de 30 jours
est apposé sur le
passeport à l’arrivée
dans le pays. Cette
autorisation
peut être prolongée
gratuitement à 90 jours
par les services de
l’immigration (à La
Paz : avenida Camacho,
1433, tél. : 211.09.60.).
Attention, exigez
ce cachet dès votre
entrée sur le territoire
bolivien, même par voie
terrestre. En effet, dans
En France
- Consulat du Pérou,
25, rue de l’Arcade,
75008 Paris.
Tél. : 01.42.65.25.10.
[email protected]
- Ambassade de Bolivie,
12, avenue du
Président-Kennedy,
75016 Paris.
Tél. : 01.42.24.93.44.
embolivia.paris@
wanadoo.fr
- Ambassade du Chili,
2, avenue de la MottePicquet, 75007 Paris.
Tél. : 01.44.18.59.60.
www.amb-chili.fr mail
[email protected]
- Consulat et
ambassade d’Équateur,
34, avenue de Messine,
75008 Paris.
Tél. : 01.45.61.10.04.
www.ambassadeequateur.fr
À Lima
Ambassade de France,
Avenida Arequipa 3415,
San Isidro.
Tél. : (00.51) 1.215.84.00.
Office du tourisme :
www.peru.info/perufra.asp
Pratique, complet
et doté d’une version
française.
À La Paz
Ambassade de France,
Siles 5390 & Calle 8,
Obrajes. Tél. : (00.591)
02.278.61.14.
www.ambafrancebo.org/
Office du tourisme :
http://www.bolivia.
gov.bo/
À Santiago du Chili.
Consulat de France,
Condell 65.
Tél. : (00.56) 470.80.00.
Office du tourisme :
http://www.visitchile.org/abcfrances/in
dex.php?id=25
Tout ou presque
pour boucler
une escapade au Chili.
À Quito.
Ambassade de France,
av. Leonidas Plaza 107
y Patria.
Tél. : (00.593) 256.07.89.
www.ambafrance-ec.org/
Office du tourisme :
www.vivecuador.com/
En anglais
et en espagnol. Des
infos sur le calendrier
des fêtes locales.
L E
EN LIBRAIRIE
D E S
G U I D E S
POINTS FORTS
POINTS FAIBLES
ENFANTS
Destiné aux
voyageurs
exigeants. Idéal
pour ceux qui
veulent éviter les
mauvaises
surprises dans les
adresses et les prix.
Sa mise à jour
annuelle et la
qualité du travail
des auteurs. Peu
de guides sont
aussi précis dans
la description des
hébergements et
des lieux à visiter.
Rédigé en anglais,
il demande
un effort
supplémentaire.
Par ailleurs, son
poids peut
dissuader ceux
qui aiment
voyager léger.
Pas d’approche
spécifique.
Les enfants
pourront réviser
leur anglais
en voyageant avec
les grands.
“Bolivie”, Lonely
planet, 23 €.
Pour le voyageur
qui cherche
de l’information
pratique et
culturelle.
Bonne couverture
du pays, à l’image
de la grande carte
d’ouverture.
À souligner :
la place consacrée
à la situation
contemporaine
de la Bolivie.
Cette édition
traduite date
de 2004, un petit
défaut pour
une région où
les choses vont
souvent vite.
Ils restent à la
maison pour lire
Tintin et les 7
boules de cristal.
“Pérou-Bolivie”,
le Guide du Routard
2005-2006,
Hachette 14,90 €.
Guide grand public
qui est devenu
une des bases
de la bibliothèque
du voyageur.
Idéal pour
préparer un
budget ou un
itinéraire. Ce
volume couvre
deux pays, il vous
permet de partir
plus léger.
Le “Routard” ratisse
large. Sur une
telle destination,
on souhaiterait
des illustrations
de qualité et
un contenu culturel
un peu plus
haut de gamme.
Ce sont les
grands oubliés.
Il est vrai que
ces destinations
ne sont
pas forcément
simples pour
des voyages
en famille.
“Pérou”, Lonely
planet, 22 €.
Pour le voyageur
qui cherche de
l’information
pratique, culturelle
et sociétale
du pays visité.
Une véritable petite
encyclopédie de
voyage. Des cartes
un peu grises mais
indispensables
aux voyageurs.
Le rappel des règles
à respecter lors de
la visite des sites.
Cette édition
traduite date
de 2004.
Dommage que
les photographies
en couleur
ne soient pas plus
nombreuses.
Ils restent
à la maison pour
lire Tintin et
le Temple du soleil.
“Chili, île de
Pâques, Patagonie”,
Petit Futé,
2005/2006, 15 €.
Pour ceux qui
recherchent des
informations
“impersonnelles”
sur le Chili.
Un lexique des
mots et expressions
spécifiquement
chiliens.
La maquette est
vraiment tristoune,
et les plans, très
insuffisants.
Très peu d’entrées
de chapitres
thématiques.
Adresses peu
commentées.
Rien de rien. Ils
pourront toujours
rester à la maison
pour regarder la télé.
“Chili et île de
Pâques,” Raphaël
Motte, éd.
La Manufacture,
23 €.
Les voyageurs
qui souhaitent une
approche plus
culturelle et moins
portée sur la
consommation.
L’auteur est aussi
photographe, les
illustrations sont
nombreuses. Elles
donnent un bon
avant-goût du
voyage. Le désert
d’Atacama est
bien traité.
La partie pratique
est inexistante.
Elle se réduit à une
simple liste
d’adresses.
De fait, ce guide
est un bon
complément
culturel.
Ils pourront
toujours regarder
les images.
COMMENT Y ALLER ?
À partir de l’Europe,
Iberia, KLM et Air
France sont sans
doute les compagnies
les plus attractives.
Il n’existe aucun vol
direct depuis Paris
et il vous faudra
changer au moins une
fois, sauf pour ceux qui
se rendent directement
au Chili par le vol
Paris-Buenos AiresSantiago d’Air France.
Au retour comme pour
les vols intérieurs, des
taxes d’aéroport sont
à acquitter sur place
(environ 50 US $/pers.)
Iberia. Vols quotidiens
Paris Orly/Lima
via Madrid.
Tél. : 0.820.075.075.
www.iberia.fr
KLM. Cinq vols
hebdomadaires Paris/
Lima via Amsterdam.
Tél. : 0.890.710.710.
www.klm.fr
Air France.
Tél. : 0.820.820.820.
www.airfrance.fr
Lan Peru.
www.lanperu.com
Lan Chile.
www.lanchile.com
G U I D E
POUR QUI
“South American
Handbook 2007”,
Footprint, 29,19 €.
Un guide pratique complet
L’INVITÉ
Artiste peintre chinois, navigateur, cinéaste à ses heures,
Zhai Mo a découvert la voile dans les années 2000. Depuis,
il n’a plus lâché la barre, d’un océan à l’autre. Epris de liberté,
il navigue de défi en défi. Avec, toujours à l’esprit, l’envie de
faire découvrir la Chine aux yeux des étrangers.
Zhai Mo
« Je me suis pris à rêver de navigation
le long des berges de la Seine, à Paris »
À
95
28
37 ans, les cheveux noués
au creux de la nuque, la
taille haute et les épaules
carrées, Zhai Mo a l’allure de
l’aventurier et la nonchalance de
l’artiste. Originaire du Shandong,
une province du nord-est de la
Chine, rien ne le prédisposait
pourtant à l’appel de l’océan. Sa
première vocation sera d’ailleurs
celle de la peinture. Élève studieux
et appliqué, dispensé de toute activité sportive car atteint de bronchite chronique, Zhai Mo a très tôt
montré des dispositions pour la
calligraphie et le dessin. Après ses
années de formation, il intègre une
école de peinture puis poursuit par
des études de cinéma. Mais tout
commence réellement pour lui
dans les années quatre-vingt-dix.
« Je travaillais alors dans des ateliers de production de films et je
peignais en parallèle. »
Spécialisé dans l’art indigène,
inspiré par des courants comme le
cubisme et le fauvisme, Zhai Mo
mêle dans sa peinture ces
influences avec l’art de la calligraphie chinoise. En 1995, il vit
modestement et fréquente assidûment le milieu artistique pékinois.
Notamment à Song Zhuang, un
quartier de la grande banlieue est
de la capitale où, sur à peine
10 km2, vivent et travaillent plus
de 200 artistes et étudiants de l’Institut des Beaux-arts. Est-ce le fruit
du hasard ? Alors que la Chine, du-
Conseils aux voyageurs
■ Naviguer. « La navigation
suppose une totale liberté
d’esprit. Il faut être bien dans
sa tête et dans son corps et ne
pas avoir de ressentiment envers la mer et ses caprices.
Bref, il faut être humble face à
cet élément naturel et toujours
imprévisible. »
■ Voyager. « Apprendre à
connaître les coutumes locales
rencontrées, éviter les jugements et le conflit, multiplier les
rencontres. La barrière de la
langue ne m’a jamais posé de
problème, je dialogue par les
gestes et l’intermédiaire de ma
peinture. Il ne faut donc lui donner aucune importance sinon
vous ne serez jamais prêt à
échanger avec les autres.»
rant les années quatre-vingt-dix,
s’ouvre peu à peu vers l’extérieur,
Zhai Mo est pris d’une soudaine
envie d’évasion. Au cours de l’année 1999, un de ses amis expose
dans une galerie parisienne… Il ne
lui en faut pas plus, il prend un
billet et part le rejoindre. De Pékin à Paris, XIIe arrondissement,
le choc est frontal.
P
endant six mois, le peintre va
écumer les musées de la capitale et errer le long des berges de
la Seine. « Je me suis pris à rêver
de navigation devant ce fleuve.
Pour moi l’eau et l’art sont liés. »
Un des responsables du Centre
d’art national de NouvelleZélande apprécie ses peintures et
l’invite à poursuivre son périple
vers le sud-ouest de l’océan
Pacifique. « Je suis resté 10 mois
en tout dans ce pays, dont 9 à
naviguer.» De la peinture à la voile, la transition n’était pourtant
pas aisée. Là encore, Zhai Mo ne
planifie rien, il se laisse porter par
ses rencontres. Quand un reporter
d’une chaîne de télévision locale
lui propose de l’accompagner filmer un navigateur norvégien,
forcé d’accoster en Nouvelle-
DR
Le chemin
de l’Inca
Zélande pour éviter le passage
d’un typhon, le peintre suit le
mouvement. Une fois embarqué
dans ce petit voilier de 8 mètres de
long, naviguant au large des côtes,
c’est la révélation. «J’ai eu pour la
première fois un vrai sentiment de
liberté et la prémonition que
j’avais l’occasion de me surpasser
dans un domaine précis.» Border,
lofer, manœuvrer l’écoute… L’artiste prend ses premières leçons et
s’achète un petit voilier.
Sa première traversée ne l’éloigne
pas beaucoup des côtes de la
Nouvelle-Zélande, mais bientôt
l’apprenti navigateur prend le large. Pendant des mois, Zhai Mo va
voguer dans l’océan Pacifique et
faire halte dans des archipels aux
noms pour lui inconnus. Il accoste successivement à Vanuatu, Fiji,
Tonga et Samoa. Chaque fois, les
habitants s’étonnent de voir
débarquer ce grand asiatique.
Zhai Mo ne parle que chinois mais
établit le dialogue par des expositions de sa peinture. Les insulaires ne sont pas les seuls surpris.
D
e retour en Chine, Zhai Mo
tente d’attiser l’intérêt de ses
concitoyens pour la voile. Le pari
est loin d’être gagné. Peu attirés
par la mer, la plupart des Chinois
se désintéressent des loisirs nautiques. Zhai Mo entreprend de les
initier. En 2003, il projette de
réaliser un long périple en mer de
Chine. Mais la recherche de sponsors s’avère ardue. « Aucune
entreprise chinoise n’a voulu
associer son nom à un projet aussi risqué.» L’artiste emprunte alors
un petit voilier à un ami navigateur et part seul. Pendant un mois,
il parcourt 18 000 km, de Dalian
aux îles Nansha en passant par
Qing Dao, la prochaine ville de régate des Jeux olympiques, Shanghai,Whenzou et Hong Kong, etc.
Il devient ainsi, quelques siècles
après Zhen He, grand explorateur
de la dynastie Ming (XVe siècle),
le premier navigateur chinois à la
voile. Cette traversée et l’affrontement en mer d’un ouragan lui
valent sa première médiatisation
sur les chaînes de télévision nationales. Les reportages sur son
parcours se multiplient. Le navigateur a pour la première fois capté l’attention du public chinois et
rêve déjà d’autres exploits.
Mais Zhai Mo ne recherche pas la
célébrité. Modeste et peu bavard,
ce qui le motive c’est de faire savoir au monde que les Chinois
aussi vont bientôt entrer dans la
compétition. Patriote, fier de son
pays et de sa culture, il envisage
déjà de réaliser un vrai tour du
Le portrait d’un grand voyageur
29
57-58-59-60 courrier english
12/09/06
18:33
Page 57
Pendant cinq semaines, Courrier international se met
à l’anglais, tel qu’il s’imprime sur les cinq continents.
Un voyage en v.o. dans les presses anglophones.
in
English
For the next five weeks, practise your English with us!
Discover articles by English-speaking journalists
from all five continents – in their own words.
Will France’s Socialists learn from Britain ?
Mary Dejevsky
THE INDEPENDENT (excerpts)
London
he Socialist Party “summer
university”, held annually
at La Rochelle, shows the
French Left at its glorious
best and its most self-destructive worst.
Its best face is the egalitarian efficiency with which it can organise a fourcourse sit-down lunch for several hundred people, with everyone talking
cheerfully to everyone else. Its worst
face is the bitchy/1 self-absorption into
which the gathering descends at every
other time of day.The “summer university” illustrates the limitless capacity
of France’s Socialists – young and old –
to ruin their electoral chances, just as
every other indicator would suggest that
they should logically be on the rise.
Eleven years ago Lionel Jospin won
the party’s presidential nomination after
weeks of bitter infighting in the wake/2
of, yes, a party-funding scandal. M. Jospin’s sombre Protestant probity put him
on the ballot ; but it could not make
him into a campaigner. France was
seduced by the more obviously Gallic/3
charms of Jacques Chirac.
At the last presidential election, in
2002, M. Jospin disastrously failed to
qualify for the run-off, defeated by a
combination of his own hesitant campaigning (again), the party’s complacency/4 and a general French unease
with the world.This time around, with
the presidential election only eight
months away, France’s Socialists seem
yet again to have started their campaign
as they mean to go on. La Rochelle was
an opportunity to show unity of purpose and hunger for power. It might
also have been the occasion for an elegant passing of the baton/5 to a new
generation. What better forum for a
public act of party renewal than the
last “summer university” before the
campaign ?
T
1/ Bitchy L’équivalent le moins élégant
serait vraisemblablement “vachard”. Le terme
bitch (chienne) est assez fréquent comme
expression de mépris dans les bouches
masculines.
2/ Wake Il s’agit, au sens propre, du sillage
d’un navire.
3/ Gallic Terme qui renvoie de façon
générique, avec une pointe de
condescendance, à la sphère culturelle
française.
4/ Complacency Mélange de suffisance,
d’arrogance et d’autosatisfaction.
5/ Baton Il s’agit ici du témoin que
Of course, this is not what happened. M. Jospin turned up, all emotional for once, seeking to tap into his own
and his party’s guilt for the previous
debacle. He may have been throwing
his hat into the ring/6 for the nomination ; as ever, though, he was disinclined to reveal his ambition. His pitch/7
was about fidelity – to the party’s leftwing soul.
But it was also about Ségolène
Royal, 14 years his junior, an ebullient/8 moderniser in the Blair mould,
who has fewer inhibitions than M. Jospin about political ambition. Ms Royal
has been putting herself about for several months, setting up the perfect pre-
se transmettent les membres d’une équipe
de course de relais et non de la baguette
du chef d’orchestre.
6/ Throwing his hat into the ring Allusion
à l’ancienne pratique qui consistait à défier
le champion (de lutte ou de boxe) en lançant
son chapeau sur le ring ou, plus
métaphoriquement, dans l’arène.
7/ Pitch Terme musical désignant la tonalité
d’une œuvre et par extension la thématique
d’un propos public.
8/ Ebullient “Dynamique”, “tonique”,
“plein(e) d’énergie”.
9/ Umpteen Désigne une quantité
importante et indéterminée.
10/ To harbour Tout comme le port abrite les
navires, F. Hollande préserve les projets qu’il
“nourrit”.
11/ If anything “A tout le moins”, “en fait”.
12/ Pitted Le verbe to pit évoque
l’affrontement de deux adversaires dressés
l’un contre l’autre.
13/ Grudgingly “A contrecœur”, “avec
réticence”, “du bout des lèvres”. To bear a
sidential match with Nicolas Sarkozy,
her peer in self-promotion on the
modernising right.
The nomination process will be
complicated on both sides of the political divide. But on the left, it will be
doubly so, for what might be described delicately as “personal reasons”.
Ms Royal’s partner for the past umpteen/9 years and the father of her children is none other than the party’s first
secretary, François Hollande.To complete the infernal triangle, M. Hollande
is, or was, reputed to harbour/10 presidential aspirations of his own.
The Socialists’ gathering did
nothing to illuminate the way ahead
for the French Left. If anything/11, it
obscured things further. Having split
over the European constitution, the
party is now divided at least in two, and
possibly more. It is hard to see how
it can avoid debilitating itself further
in the weeks to come.
A contest that pitted/12 M. Jospin
against Ms Royal for the party’s presidential nomination would make for a
classic contest between traditionalists
grudge against somebody
signifie que l’on en veut à quelqu’un.
14/ Doghouse Equivalent américain de kennel
(“niche”). C’est, au sens figuré, dans cette niche
que se retrouvent ceux qui ont été exclus
de la communauté ou ont été ostracisés.
15/ Fated Le verbe fait explicitement
référence au fatum, au destin qui condamne
la France et le Royaume-Uni à être
perpétuellement en désaccord.
16/ Out of sync Les deux pays
ne sont pas synchronisés et ne marchent
donc pas d’un même pas.
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
57
and modernisers.The warm reception
M. Jospin received at La Rochelle suggests which way France’s Socialists
would go if they voted from the heart.
The bigger question is whether they
want to win the presidency enough to
nominate a moderniser.
And here the answer may not just
be different from the one the British
Labour Party grudgingly/13 gave Mr
Blair. It may also be informed by the
British experience. To Ms Royal and
her entourage, Blair’s Britain has been
the social and economic “third-way”
success that they believe France could
become. With French and British
growth rates perhaps changing places
and Britain in the international
doghouse/14 over Iraq, the appeal of
Blairism may not be all it was. In politics, as in so much else, France and Britain somehow seem fated/15 to remain
out of sync/16.
CHRONIQUE
Trop tard pour
sauver l’anglais
des médias ?
Au Royaume-Uni aussi, on s’inquiète
de la qualité et du style dans les
journaux, explique l’universitaire
Jean-Claude Sergeant.
ans une récente édition de
Press Gazette, l’hebdomadaire
de référence des professionnels de
la presse au Royaume-Uni, un journaliste employé dans une rédaction
régionale s’inquiétait de la dégradation de la qualité de l’anglais
employé par ses confrères. “Est-il
trop tard pour sauver l’anglais qu’on
lit dans les journaux et qu’on entend
à la radio ?” s’interrogeait-il, citant
l’emploi, selon lui abusif, de ahead
of, ongoing, upcoming, following, et
de due to. Si, comme le disait Jonathan Swift, le style consiste à
employer les mots adéquats là où
ils sont nécessaires, il est vraisemblable que l’essentiel de la
presse d’aujourd’hui ne trouverait
pas grâce aux yeux de l’auteur des
Voyages de Gulliver, qui fut journaliste à ses heures.
Trois siècles plus tard, Keith Waterhouse, prestigieuse plume du Daily
Mirror, définissait le style journalistique comme “l’ar t de choisir une
D
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
suite p. 58 Retrouvez
la traduction
de l’article
page 13
Ségolène Royal.
Dessin de Peter
Schrank paru dans
The Economist,
Londres.
■ Remerciements
Pour réaliser
ce supplément,
nous avons bénéficié
de la précieuse
collaboration
de Jean-Claude
Sergeant, professeur
de civilisation
britannique
à l’université Paris III.
Spécialiste
de la politique
et des médias
britanniques, il
a notamment publié
L’Angleterre à travers
sa presse (Presses
Pocket, 1991) et Les
Médias britanniques
(Ophrys-Ploton,
2004). Directeur de
la Maison française
d’Oxford de 2000
à 2003, Jean-Claude
Sergeant dirige
à Paris III le master
Langues, civilisations
étrangères
et médias, qui
a succédé en 2005
au DESS de
journalisme bilingue
français-anglais.
THE INDEPENDENT
252 000 ex.,
Royaume-Uni,
quotidien. Créé en 1986,
ce journal est devenu
l’un des grands titres
de la presse de qualité.
Il se distingue
de ses concurrents
par son indépendance
d’esprit (il n’est proche
ni des conservateurs,
ni des travaillistes),
son engagement
proeuropéen
et ses positions
libertaires sur
les questions de société.
57-58-59-60 courrier english
18:34
Page 58
English
SOUTHEAST ASIA
CHRONIQUE
Indonesian dancer, clerics/1
go toe-to-toe/2
suite de la p. 57
poignée de mots parmi le demi million de termes disponibles et de les
disposer dans le meilleur ordre possible” (Daily Mirror Style, 1981). C’est
évidemment faire un crédit excessif
au savoir-faire des journalistes. Dans
la pratique, on observe une pluralité
de styles, selon que l’on a affaire à la
presse populaire ou à la presse dite
de qualité, et également selon le type
d’article : les features (articles de fond)
ont une tonalité différente des articles
d’information, plus stéréotypés.
lire régulièrement la presse, on
ne peut que constater l’appauvrissement de l’anglais journalistique
évoqué plus haut. Ainsi, comme le
notait le texte de Press Gazette, la
locution due to semble s’être imposée au détriment des autres formes
linguistiques marquant la causalité.
L’extrait suivant emprunté au Daily
Telegraph du 7 septembre 2006,
consacré à la prise de fonctions du
nouveau patron de Ford, est, à cet
égard, exemplaire : “Ford is facing the
most serious crisis in its history, partly
due to events outside its control, but
mostly due to years of mismanagement” (Ford est confronté à la plus
grave crise de son histoire, en partie
du fait d’événements échappant à son
contrôle, mais surtout du fait de nombreuses années de mauvaise gestion).
Il suffit de regarder attentivement les
titres de la presse haut de gamme
(upmarket, dirait l’anglais) pour
s’apercevoir qu’ils s’organisent majoritairement autour de marqueurs
temporels tels as, qui indique la
simultanéité, et after, qui se borne à
traduire la successivité de deux événements, sans pour autant poser de
lien de causalité entre eux. Les
exemples qui suivent sont éclairants :
“Blair crisis as party feuds” (The Times
du 7 septembre 2006). Il ne s’agit
évidemment pas de deux événements concomitants isolés, la crise
que traverse le Premier ministre britannique étant nécessairement liée
aux déchirements que connaît le
Parti travailliste.
“Anger as Omagh bomb trial halts” (The
Daily Telegraph du 7 septembre 2006).
Là encore, le lien entre la colère des
familles des vingt-neuf victimes de l’attentat d’Omagh, en 1998 – le plus
meurtrier de tous les attentats commis
en Irlande du Nord – et la suspension
du procès des auteurs présumés n’est
qu’implicitement posé par ce titre.
A
n peut substituer la postériorité
(after) à la simultanéité (as)
pour par venir au même constat
détaché, qui exclut tout ef fet de
causalité directe entre les événements relatés, ainsi que l’illustre ce
titre du Guardian du 2 septembre
2005 : “Petrol to hit £1 after US buy
up supplies.” En termes plus clairs,
le rédacteur informe les lecteurs que
le prix de l’essence à la pompe va
passer à 1 livre sterling le litre, du
fait de l’achat par les autorités américaines de grandes quantités de
pétrole auprès des pays européens.
O
Jean-Claude Sergeant
Duncan Graham
ASIA TIMES ONLINE
Hong Kong
Retrouvez
la traduction
de l’article
page 32
La grande
star de la pop
indonésienne
Inul Daratista,
en concert à Kuala
Lumpur, en
Malaisie.
ASIA TIMES ONLINE
<www.atimes.com>,
Chine. Ce journal en
ligne fondé en 1999
offre un panorama très
complet de l’actualité
asiatique et moyenorientale. Publié en
anglais et en chinois,
ce site basé à Hong
Kong et à Bangkok
se targue d’être devenu
un must pour les
Asiatiques et les
Occidentaux qui
s’intéressent à l’Asie.
Près de 80 000
personnes le lisent
quotidiennement.
GEMBOL, East Java – Westerners who
have seen concerts or videos featuring
Indonesia’s top entertainer Inul Daratista wonder what the fuss/3 is all about.
The archipelago’s No 1 dangdut singer and dancer performs fully dressed.
Sure, her pants test Lycra’s stretch
ratings/4 and she does a wiggle/5 that
leaves lots to the imagination. By Western standards of risque/6 however, it’s
a bit of a bum/7 show.
But not in Indonesia, where the
nation’s moral guardians are fighting
to purge the land of so-called Western
influences. Ironically, perhaps, dangdut has no Hollywood antecedents ;
it’s a mix of thumping/8 , jangling/9
Indian, Malay and Arab music.
It’s Inul’s bottom-rotating ngebor
dance style that the country’s Muslim
clerics say they find lewd/10 and a
threat to national morals. Infuriated by
her growing popularity, success and
independence, they are now pushing
for new legislation outlawing a range
of codes and behaviors, which, if implemented, would throw a cold blanket/11
on her act.
Most of the proposed legal provisions concern the way women dress
and behave. Liberals see the bill/12 as
a bid to impose strict Islamic sharia
law on the nation, where an estimated
90 % of the 240 million population
consider themselves Muslim.
The proposed bill against pornography and “pornographic acts” – which
includes the exposure of female flesh –
is clearly directed at the likes of Inul
and her multiplying imitators.
These are just bubbles on the surface; below is a seething cauldron of
gender politics, state control of the arts,
and the future shape of Indonesia’s
infant democracy.
1/ Clerics Les “clercs”, c’est-à-dire, dans ce
contexte, les “religieux”.
2/ Toe-to-toe La danseuse et les religieux
sont au bord de l’affrontement, au point
que leurs orteils se touchent, du moins
métaphoriquement. Pour rester dans
le registre, on se risquera à proposer
le titre suivant : “La danseuse et les religieux
sont à deux doigts de l’affrontement”.
3/ The fuss Ce qui fait du bruit dans
l’opinion. A fussy person est un (une)
faiseur (faiseuse) d’embarras.
4/ Her pants test Lycra’s stretch ratings
Le Lycra est une matière extensible ; cette
propriété, pourtant attestée par l’attribution
d’un coefficient (rating), semble être mise à rude
épreuve (tested) par les contorsions de la danseuse.
5/ Wiggle “Contorsion”, “ondulation”,
“frétillement”.
6/ By Western standards of risque Selon
les normes occidentales en matière
de spectacle audacieux ; selon l’idée
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
58
Ahmad Yusni/EPA/Sipa
in
12/09/06
Political commentators claim that
the raging debate has exposed a national fault line/13 – pitching the insular,
poorly educated, easily led majority in
the countryside versus/14 the more
urbane, better-schooled city folk with
liberal pretensions. The latter are the
noisier group – but they don’t have the
numbers, so the controversial bill may
yet become law.
The president, Susilo Bambang
Yudhoyono, has given some comfort
to the bill’s supporters by throwing out
of the state palace a dancer who planned to expose her midriff/15 during a
performance. He has also publicly
condemned the public display of
female navels.
The bill’s backers have branded
opponents broadly as moral corruptors. Such ethnic groups as the Balinese, whose bare-shouldered traditional dress would be banned under the
planned legislation, have joined Jakarta
entertainers in protest rallies where
Inul has been prominent. Her group
says there are already plenty of laws on
the statutes to protect society and that
the anti-pornography law is unnecessary for a democratic society.
For speaking out on the issue,
though, Inul has been ordered out of
Jakarta by the Betawi Brotherhood
– a fundamentalist group that claims
to act on behalf of the city’s traditional folk. One of Inul’s karaoke
lounges has already been attacked by
a mob from the Islamic Defenders’
Front – another band of thugs/16 in
Muslim garb/17 – and she has been
publicly condemned by various other
hardliners.
During Suharto’s rule demonstrations were tightly controlled and protests rapidly suppressed – often brutally. Under democracy, street rallies
and random/18 acts of violence have
become commonplace – often under
the passive gaze of police officials.
Recently,Yudhoyono indicated that he
would move against violent religious
groups, but so far there have been no
significant round-ups/19 or arrests.
Unlike many other successful celebrities who flee their origins for an
exclusive address, Inul has remained
loyal to her roots. Although she
employs security guards in Jakarta, her
home in Gempol relies on neighborhood support for protection, she said.
“I’m a Muslim, serious about my
faith. I regret the things some Muslim clerics are saying,” Inul said in an interview. “Why are they bothering with antipornography ? Why are they always
talking about women ? The priorities in
this country should be getting people jobs
and a better education.”
Inul said she employed more than
750 staff at her seven karaoke lounges.
She has also been approached by a
number of political parties to consider
a career in politics, but so far she has
declined all of the offers. “It’s too corrupt”, she said.
Through her spirited fight against
the anti-pornography bill, she has fast
emerged as one of Indonesia’s most
visible women’s rights activists/20.
“I want to lift the status of women. I want
them to be brave enough to take risks.”
More than words, it’s an example
by which the dancer lives.
13/ Fault line “Ligne de faille”.
14/ Versus To pitch (a group) versus
que l’on se fait dans les pays occidentaux
de l’audace en matière de spectacle.
7/ Bum “Postérieur”, “derrière” ou encore
“fesses”. Les photos déshabillées
de la page 3 du Sun relèvent de la catégorie
tits and bums (du nichon et de la fesse…).
8/ Thumping Littéralement, “frapper”,
“donner des coups sur une table”, “marteler”.
9/ Jangling Le terme dénote un bruit métallique.
10/ Lewd “Lascif”.
11/ Throw a cold blanket Au sens figuré,
“étouffer”. Une personne qualifiée de wet
blanket est un rabat-joie.
12/ Bill “Projet de loi”.
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
(another one), “opposer, dresser (un groupe)
contre (un autre).
15/ Midriff La partie du corps comprise
entre la poitrine et le nombril (navel), partie
qu’il est aujourd’hui de bon ton d’exhiber.
16/ Thugs “Voyous”.
17/ Garb “Tenue”, “accoutrement”.
18/ Random “Aléatoire”. A prendre
ici au sens de violence aveugle, gratuite.
19/ Round-ups Désigne le fait
de rassembler, de regrouper. On pourrait
dans le cas présent aller jusqu’à “rafles”.
20/ Activists Ce faux ami signifie
“militants” et non “activistes”
(partisans de l’action violente).
57-58-59-60 courrier english
12/09/06
18:36
Page 59
in
English
BUSINESS
Up in the Sky, It’s…
… the spectacle of plummeting/1 hedge funds/2, burdened by new scrutiny and weakening returns.
Rana Foroohar
NEWSWEEK
NEWSWEEK
New York
hen Sumner Redstone,
the much-respected
head of media conglomerate Viacom, unceremoniously booted/3 megastar Tom
Cruise from his perch at Paramount
earlier this month, there was plenty of
talk about how studios are finally looking to offload/4 the risk of super
expensive actors, who often milk/5 millions from a film before producers can
take their own cuts. Less well covered were the new players looking to
pick up that risk – namely, hedge funds.
While it’s unclear whether a reported
$100 million offer of support from
hedge funds to Cruise’s production
company will actually/6 materialize,
hedge funds are already backing films
in a big way. Larry Ulman, head of the
entertainment practice/7 at L.A. law
firm Gibson, Dunn & Crutcher, estimates that there’s as much as $4 billion in hedge-fund money in Hollywood, and the number is growing.
The very fact that they are willing
to try their hand at such a notoriously
capricious business says a lot about the
evolution of the hedge-fund industry
itself. Once a niche/8 investment for
ultra wealthy individuals, hedge funds
have in the last five years gone mainstream/9 with pension funds, endowments/10 and other big institutional
investors pouring money into them.
The Hennessee Group, a New Yorkbased investment adviser that tracks/11
hedge funds, estimates that the global
market has grown from $130 billion in
1997 to $1.5 trillion today, with 56 per-
W
1/ Plummeting Le verbe to plummet
signifie “plonger”, “couler à pic”, comme
un objet lesté de plomb.
2/ Hedge funds “Fonds spéculatifs” ;
le terme anglais est communément utilisé
par les professionnels français.
3/ Booted Le verbe to boot évoque, de façon
assez visuelle, la mise à la porte d’un employé
accompagnée d’un coup de pied au derrière.
4/ Offload Littéralement, “se délester”.
5/ To milk : référence à la traite des vaches.
6/ Actually Faux-ami notoire : “réellement”,
“véritablement”.
7/ Entertainment practice Service
chargé des comptes des clients du showbiz.
8/ Niche Désigne un segment réduit
de population ; terme surtout utilisé par
les publicitaires, les spécialistes des médias
et les analystes financiers.
9/ Mainstream C’est le pendant symétrique
de niche ; le terme évoque la généralité,
le grand public. To go mainstream :
“se généraliser”.
10/ Endowments Contrats d’assurance-vie.
11/ Track Le verbe to track, proche du français
“traquer”, évoque la surveillance et le dépistage.
12/ Breed Groupe d’individus, génération,
descendance.
cent of that money held by companies
and institutions.That means that if you
have money in pension funds, mutual
funds or any number of high-profile
public companies, part of your future
is invested in hedge-fund managers, a
breed/12 now desperate enough to seek
returns in actor-run movie studios.
The upshot/13 is clear : the party
is over/14. After the dot-com bubble/15
collapsed, hedge funds (which tend to
bet against conventional market wisdom) were one of the few investments
that still offered the promise of doubledigit returns/16.The problem is that as
more and more investors have gotten
into them, their power has diminished.
The mainstreaming of hedge funds
has resulted in two important partypopping trends. First, there’s been a
worldwide push toward greater regulation and rating/17 of these largely
opaque investments, so that small
investors won’t get burned. Of course,
it was in many ways the lack of regulation – including the ability to engage
in complicated options, futures/18 and
swap deals/19 that are forbidden to
mutual funds – that gives hedge funds
their power to mitigate/20 risk. If they
are treated like any other investment,
their power, and their returns, will
continue to diminish. At the same time,
the big credit-ratings agencies plan to
begin rating hedge funds ; Moody’s will
begin publishing its first ratings in the
next few weeks. Some analysts worry
that greater transparency will make it
even tougher to generate returns. But
it should also make it tougher for unrated, marginal funds, including many
small shops with $25 million or less in
assets, to sell themselves to the public.
And a good thing, too : this is where
most of the outright/21 fraud and
abuse lie.
That brings us back to those diminishing returns. As Joel Schwab, managing director of hedgefund.net, points
out, traditional hedging techniques are
no longer working so easily. Consider
convertible arbitrage, which involves
exploiting market inefficiencies, like
unjustified differences in value between
a company’s stocks/22 and its bonds/23.
Once/24 the bread-and-butter/25 of
hedge funds, convertible arbitrage
is down even more than the industry
as a whole. According to hedgefund.net statistics, yearly returns for
arbitrage funds were 18.3 percent in
1999 ; last year those funds lost
1.3 percent. “As more people do these
sorts of trades, the arbitrage opportunities just go away,” says Schwab. This
is painful in the extreme for hedge
funds, which often promise “absolute
returns,” i.e./26, no negative years.
les accords permettant d’échanger
des créances ou des actions entre sociétés.
20/ To mitigate “Atténuer”, “minimiser”.
21/ Outright “Visible”, “patent”, “avéré”.
22/ Stocks “Actions”.
23/ Bonds “Obligations” mais aussi,
aux Etats-Unis, “bons du Trésor”.
24/ Once “Autrefois”.
25/ Bread-and-butter Expression renvoyant
aux activités de base d’une entreprise, qui
désigne également la routine professionnelle.
26/ i.e Abréviation de id est, “c’est-à-dire”,
“à savoir”.
27/ To tread “S’engager (dans un chemin)”.
28/ Draw “Attraction”.
So, what’s a hedge fund to do ? Go
where others fear to tread/27. Over the
last two years, that has meant Hollywood – recent big-budget films like
Superman Returns,V forVendetta, Poseidon and many others have been produced with hedge-fund cash. Few have
been hits, a strong reminder that only
the risk of high-risk, high-return strategies is guaranteed.
Energy has been another big
draw/28 for hedge-fund managers, and
few others. Given the rocky/29 geopolitical landscape, banks have been slow
to provide the trillions of dollars oil and
gas companies need over the next
decade to ramp up/30 production in
the face of growing demand. So hedge
funds have stepped in to fill the void :
Schwab estimates that there is now $70
billion in hedge-fund money in energy,
making it the biggest single industrial
sector for hedge-fund investment.
29/ Rocky Terme américain évoquant
la difficulté d’une entreprise.
30/ To ramp up Façon métaphorique
de désigner l’accroissement d’un phénomène.
13/ Upshot Equivalent américain de outcome ;
“résultat”, “issue”.
14/ The party is over “La fête est finie”.
15/ Dot-com bubble La fameuse bulle
spéculative née de l’engouement des
investisseurs pour les valeurs des sociétés
spécialisées dans les nouvelles technologies ;
dot fait référence au point (.) qui figure dans
les adresses électroniques.
16/ Double-digit returns “Rendement
à deux chiffres”, c’est-à-dire d’au moins 10 %.
17/ Ratings Notation des agences chargées
d’apprécier la santé financière des sociétés.
18/ Futures “Marchés à terme”.
19/ Swap deals L’expression désigne
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
59
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
3 000 000 ex.,
Etats-Unis,
hebdomadaire.
Le regard des EtatsUnis sur le monde.
Avec sa diffusion
totale de 4 millions
d’exemplaires
à l’international,
le rapide
et professionnel
Newsweek utilise
l’actualité pour
révéler les tendances
du monde
contemporain.
Retrouvez
la traduction
de l’article
page 63
57-58-59-60 courrier english
in
12/09/06
18:36
Page 60
English
Ne w Yor k
T R AV E L
A Rolling Shout-Out To Hip-Hop History
Jody Rosen
Hip-hoping
around Harlem
■
Hush’s four-hour
Harlem bus tour
led by pioneering
legends of rap costs
$70. Each tour
departs on
Saturdays
at 11 AM from
292 Fifth Avenue,
between 30th
and 31st Streets
in Manhattan.
hushtours.com
Harlem Hip-Hop
Tours (H3 Tours)
operates day and
night excursions
from Monday
through Saturday.
The day tour costs
$600 per person
(minimum of four).
Tour participants
will see some
of Harlem’s most
famous attractions.
In addition, Harlem
Hip-Hop Tours
provides personal
instruction
in hip-hop dance
and slang.
harlemhiphoptours.com
Retrouvez
la traduction
de l’article
sur le site
courrierinternational.com
THE NEW YORK TIMES
1 160 000 ex. (1 700
000 le dimanche),
Etats-Unis, quotidien.
Avec 1 000
journalistes, 29
bureaux à l’étranger et
plus de 80 prix
Pulitzer, le New York
Times est de loin le
premier quotidien du
pays, dans lequel on
peut lire “all the news
that’s fit to print”
(toute l’information
digne d’être publiée).
THE NEW YORK TIMES (excerpts)
New York
J
ust before noon on a raw/1, wet
Saturday, two dozen tourists piled
off of a bus at Frederick Douglass
Boulevard and 155th Street in
Harlem and made their way into Rucker Park. In the otherwise empty park,
they were greeted by Wonder Rock and
Mouse, two break dancers from Brooklyn, who hooked up an MP3 player to
a Pignose portable amplifier and were
soon moving across the rain-slickened
asphalt, demonstrating moves like the
toprock, the coffee grinder and the
windmill/2.When the show was over,
the audience was invited to clamber
down from the bleachers/3 for a quick
tutorial.That elicited whoops/4 from
the tour guide, a burly 45-year-old
named Curtis Fisher, better known as
Grandmaster Caz. Caz is a renowned
figure in early hip-hop, a member of the
venerated Bronx rap crew the Cold
Crush Brothers and the ghostwriter/5
of some famous verses of Rapper’s
Delight, the 1979 Sugarhill Gang song
that became rap’s breakthrough/6 single.
Today, he has gone from making
history to teaching it. Caz is one of
several hip-hop pioneers – including
Kurtis Blow, Doug E. Fresh and
D.J. Red Alert – who work for Hush
Tours (www.hushtours.com), a Manhattan company that since June 2002
has run hip-hop-centric sightseeing
tours of Harlem and the Bronx.
The success of Hush Tours is a sign
that hip-hop has become part of New
York’s official cultural heritage – for
younger visitors especially, a tourist
magnet/7 right up there with the Brooklyn Bridge or the Statue of Liberty.
But Hush Tours offers something
more than just sightseeing : an opportunity, in the words of its promotional
literature, to “see, hear and feel the true
meaning of the elements of hip-hop.” In so
doing, the tour reflects debates about
history, memory and “the real hip-hop”
that have become more pronounced and
contentious/8 as the years have passed.
As Hush Tours takes pains to point
out, hip-hop history stretches back to
the early-1970’s, years before the first
rap records were even recorded. “This
is the 32nd year of the culture of hip-hop,”
said Caz, as the bus rolled north on
Madison Avenue, adding, “This is my
33rd year in the game.”
1/ Raw Evoque des conditions
atmosphériques difficiles (froid et vent).
2/ Coffee grinder, windmill Littéralement,
“moulin à café” et “moulin à vent” :
noms de figures de break dance.
3/ Bleachers Le terme désigne les gradins
non couverts, dans un stade.
4/ Elicited whoops To elicit signifie
“susciter”, “faire naître” ; whoops est
une onomatopée qui exprime généralement
l’embarras.
5/ Ghostwriter Personne qui écrit
pour le compte d’une autre, “nègre”.
6/ Breakthrough To make a breakthrough
signifie “faire une percée”, “innover”.
Michael Nagle/Redux-REA
Manhattan,
angle de la 106e Rue
et de Park Avenue.
Le rappeur
Grandmaster Caz
raconte les débuts
du hip-hop à un
groupe de touristes.
Hush Tours is the brainchild/9 of
a 38-year-old Bronx native, Debra Harris. Several years ago, Ms. Harris, a
legal secretary, began taking members
of her family on impromptu driving
tours to places like the former site of
Harlem World Entertainment Complex on 116th Street, where rival rap
crews had faced off/10 in rhyme battles
a quarter-century ago. Ms. Harris was
motivated, she said, by a desire to pass
along knowledge of hip-hop’s roots to
her children. She soon realized that she
had stumbled/11 on an untapped/12
tourist market.
“When you go to Nashville,you know
that’s the home of country music,”
Ms. Harris said. “New York needed to
step up to the plate/13, to say officially
that this is the birthplace of hip-hop. I discovered that younger visitors who loved
rap music were eager for more knowledge,
for a different kind of tourist experience
that would get them out of Times Square.”
Today, for the price of $70, the
Hush Tours bus whisks visitors to the
Grand Concourse in the Bronx,
7/ Magnet Au sens propre, “aimant” ;
dans le contexte, “attraction”.
8/ Contentious Qui suscite la controverse.
9/ The brainchild Littéralement, “l’enfant
du cerveau” ; le terme désigne toute initiative
ou projet conçus par une personne.
10/ Faced off To face off signifie
“se mesurer à un adversaire”, “rivaliser”.
11/ To stumble on “Trébucher” ; par
extension, to stumble on something signifie
“tomber sur quelque chose par hasard”.
12/ Untapped “Inexploité”. On trouve
à l’origine de cet adjectif le substantif
tap, “robinet”.
13/ To step up to the plate Au baseball
(auquel est emprunté cette expression),
le joueur doit retourner le plus vite possible
à sa base (home plate) après avoir fait le tour
du terrain. Ici, cela signifie que New York
doit renouer avec ses origines.
14/ Strike B-boy stances “Prendre des
poses de danseur de break” pour la photo.
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
60
making stops at, among other places,
the Graffiti Hall of Fame at
106th Street and Park Avenue, a schoolyard featuring enormous murals by
some of the city’s top graffiti artists,
and Bobby’s Happy House, a record
store owned by Bobby Robinson, the
onetime proprietor of Enjoy Records,
which released some of the earliest hiphop singles.
At the Graffiti Hall of Fame,
there is a Disneyish touch : Caz distributes Kangol hats and fake gold
chains with dangling dollar-sign
pendants to the tourists, who cross
their arms and strike B-boy
stances/14 for snapshots in front of
the spray-painted walls. Harlem residents have seen a lot over the years,
but a gaggle/15 of white tourists
dressed like LL Cool J circa/16 1985
is something new.
The real action, though, takes
place on the bus, where the tour
guides play music, reminisce, instruct
and proselytize. “This is an opportunity to pass on the truth,” said the rapper Kurtis Blow, who is also host of
Backspin, a radio program devoted
to old-school hip-hop.
Leading bus tours is not exactly the
standard afterlife for onetime stars/17 like
Mr. Blow, whose 1980 single The Breaks
was the first rap record to go gold/18. But
15/ Gaggle Groupe désordonné
de personnes bruyantes.
the hip-hop pioneers regard the tours as
a way to ensure their legacies.
On that chilly Saturday, Caz was a
jovial, blunt tour guide. “Today you’re
going to learn what hip-hop is and what
it’s not,” he announced at the tour’s
outset. “It’s not just rap music, and it’s
definitely not just the 10 records you hear
over and over again on the radio.”
He peppered/19 his talk with
oft-told hip-hop tales and intriguing
nuggets/20 of cultural history. He
described how the looting/21 of hifi stores during the 1977 New York
City blackout propelled D.J. culture.
He played charmingly primitive
early rap records, like the Fatback
Band’s “King Tim III (Personality
Jock)” and songs by the Sequence,
one of the earliest all-female rap
ensembles. He waxed/22 rhapsodic
over hip-hop’s humble beginnings,
when the biggest rap shows in New
York were announced on hand-lettered Xeroxed fliers (Caz distributed
several vintage examples), and D.J.’s
powered their sound systems for outdoor block parties by tapping into/23
the wiring of street lamps.
“The rappers today who can drive
around in Bentleys, with their jewelry
and million-dollar homes,” Caz told the
tour group. “They’re able to live like
that because cats like me and Bambaataa” – the famous rapper and D.J.
Afrika Bambaataa – “were in the
trenches /24 back in the day, laying the
groundwork and getting chased off the
block by the police.”
16/ Circa Terme latin signifiant “environ”
(souvent abrégé en ca.).
17/ The standard afterlife
L’accompagnement des touristes n’est
pas l’activité traditionnelle (standard)
des anciennes gloires du hip-hop
à la retraite (afterlife).
18/ To go gold Le disque d’or récompense
les productions vendues à plus de 1 million
d’exemplaires.
19/ Peppered To pepper signifie
“saupoudrer” et par extension “entrelarder”,
“inclure”, “mélanger”.
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
20/ Nuggets A l’origine, a nugget est une
pépite d’or. Le terme désigne aujourd’hui
un petit bloc, un amas de substances diverses.
21/ Looting “Pillage”.
22/ (He) waxed Equivalent très littéraire
de he grew.
23/ By tapping into “En se raccordant”,
“en se branchant”.
24/ The trenches “Les tranchées” évoquent
un combat dans des conditions difficiles.
12/09/06
13:47
Page 61
économie
■ économie
Dossier :
les fonds
spéculatifs :
les nouveaux
maîtres
de la finance
mondiale
pp. 62 à 64
■ multimédia
A 25 ans, MTV
est trop vieille
pour le Net
p. 65
i n t e l l i g e n c e s
Une nouvelle crise alimentaire menace le monde
AGRICULTURE On n’avait pas connu
Le mystère des
momies celtes
du Xinjiang
p. 66
■ écologie
Un forage
réveille un
gigantesque
volcan de boue
i n t e l l i ge n c e s
p. 67
buée. Certes, les habitants des pays
riches mangent trop et ceux des pays
pauvres pas assez. Mais des quantités énormes de céréales servent également à nourrir les vaches – et les
voitures. A mesure que les gens s’enrichissent, ils consomment plus de
viande, et les animaux d’abattoir sont
souvent nourris au grain. Ainsi, il faut
14 kilos de céréales pour produire
2 kilos de bœuf, et 8 kilos de céréales
pour 2 kilos de porc. Plus d’un tiers de
la récolte mondiale sert ainsi à engraisser
les animaux.
Les voitures sont devenues un
autre sujet de préoccupation, depuis
que l’on encourage la production de
carburants verts pour combattre le
réchauffement climatique. Une “ruée
vers le maïs” s’est déclenchée aux
Etats-Unis, avec l’utilisation d’une partie de la récolte pour produire un biocarburant, l’éthanol – grâce aux subventions considérables du gouvernement
Bush qui voudrait de cette façon
contrer les critiques concernant son
refus de ratifier le protocole de Kyoto.
Un seul plein d’éthanol pour un gros
4 x 4, rappelle Lester Brown, nécessite autant de céréales qu’il en faut
pour nourrir une personne pendant
une année entière. En 2006, la quantité de maïs américain utilisée pour
fabriquer du carburant sera égale à
celle vendue à l’étranger. Traditionnellement, les exportations américaines contribuent à nourrir cent pays,
pour la plupart pauvres.
■
cela depuis trente ans : les stocks
de céréales n’assurent plus que
cinquante-sept jours de nourriture
à la population mondiale.
THE INDEPENDENT ON SUNDAY (extraits)
Londres
a réduction dramatique de l’approvisionnement alimentaire
risque de plonger le monde dans
la plus grave crise qu’il ait connue
depuis trente ans. De nouvelles statistiques montrent que les récoltes de
cette année seront insuffisantes pour
nourrir tous les habitants de la Terre,
pour la sixième fois depuis sept ans. Les
hommes ont jusqu’ici mangé à leur faim
en prélevant sur les stocks constitués
durant les années de vaches grasses,
mais ceux-ci sont désormais tombés audessous du seuil critique.
En 2006, selon les estimations de
l’Organisation des Nations unies pour
l’alimentation et l’agriculture (FAO)
et du ministère américain de l’Agriculture, la récolte de céréales diminuera
pour la deuxième année consécutive.
Selon la FAO, elle dépassera à peine
2 milliards de tonnes, contre 2,38 milliards en 2005 et 2,68 milliards en
2004, alors que l’appétit de la planète
ne cesse de croître, à mesure que sa
population augmente. Les estimations
du gouvernement américain sont
encore plus pessimistes : 1 984 milliards de tonnes, soit 58 millions de
tonnes de moins que la consommation prévue pour cette année. Les
stocks alimentaires sont passés d’un
niveau suffisant pour nourrir le monde
pendant cent seize jours en 1999 à cinquante-sept jours seulement à la fin de
cette saison, bien en deçà du niveau
officiel de sécurité [soixante-dix jours].
Les prix ont d’ores et déjà grimpé d’au
moins 20 % cette année.
L
■ sciences
●
LA PRODUCTION A BAISSÉ
DANS LES PAYS RICHES
La crise qui se dessine est passée largement inaperçue parce que, pour une
fois, les récoltes ont chuté dans les pays
riches comme les Etats-Unis et l’Australie, qui, en temps normal, sont
exportateurs de denrées alimentaires,
et non dans les pays les plus affamés
du monde. Aussi, ni l’Afrique ni l’Asie
n’ont-elles souffert de grande famine.
L’effet du déficit se fera sentir progressivement, lorsque les populations
pauvres ne pourront plus acheter des
aliments devenus trop chers, ou lorsque
leurs propres récoltes baisseront. A travers le monde, plus de 800 millions de
personnes souffrent de la faim.
De 1950 à 1990, les rendements
céréaliers ont plus que doublé, et la
production est passée de 630 millions
à 1,78 milliard de tonnes. Mais, depuis
quinze ans, les rendements progressent bien plus lentement, et la production atteint péniblement 2 milliards
de tonnes. “Les paysans ont obtenu un
résultat extraordinaire en triplant quasiment la récolte mondiale”, note Lester
Dessin de Krauze
paru dans
The Guardian,
Londres.
Brown, qui préside actuellement
l’Earth Policy Institute, un institut de
recherche respecté de Washington. “En
une seule génération, ils ont presque doublé la production céréalière par rapport
aux 11 000 années qui avaient précédé,
depuis le début de l’agriculture. Mais
maintenant, le ressort est cassé”. Outre
l’amélioration des rendements, une
autre méthode traditionnelle pour
doper la production consiste à agrandir la superficie des terres arables. Mais
cela n’est plus possible. A mesure que
la population s’accroît et que les terres
cultivables servent à la construction de
routes ou de villes – et s’épuisent en
raison de la surexploitation –, la quantité de terres disponible pour chaque
habitant de la planète diminue. Elle
a chuté de plus de moitié depuis 1950
[de 0,23 à 0,11 hectare par personne].
Pourtant, la production alimentaire
permettrait de nourrir correctement
tout le monde si elle était bien distri-
FAVORISER LES PRATIQUES
RESPECTANT L’ENVIRONNEMENT
Les réserves s’amenuisent
Production et consommation
mondiales de céréales
(en millions de tonnes)
2,5
2,0
Production
Consommation
1,5
1996
2006
Stocks mondiaux de céréales
(en jours de consommation)
120
100
80
60
40
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
1996
61
2006
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
Sources : ministère de l’Agriculture américain, Earth Policy Institute
*828 p61-62-63-64
A partir de l’année prochaine, le
volume consommé par les automobiles
américaines sera supérieur à celui des
exportations, et la part disponible pour
nourrir les pays pauvres risque bientôt de se réduire. Les usines de production d’éthanol existantes ou en
projet dans l’Iowa, la grande région
céréalière des Etats-Unis, absorberont
pratiquement toute la récolte de cet
Etat. Les pauvres affamés seront alors
mis en concurrence avec les propriétaires de voitures. Un combat perdu
d’avance, si l’on considère qu’ils consacrent déjà 70 % de leurs maigres revenus à la nourriture.
Fabriquer des voitures moins
gourmandes et manger moins de
viande atténuerait le problème, mais
la seule solution à long terme est de
permettre aux pays pauvres – et particulièrement à leurs populations les
plus défavorisées – d’accroître les cultures vivrières. Le meilleur moyen d’y
parvenir est d’encourager les petits
paysans à privilégier des cultures respectueuses de l’environnement. Les
études menées par l’université de
l’Essex montrent que cela permet de
doubler les rendements. Mais le
monde doit prendre conscience de
l’urgence de la situation. “Nous
sommes au bord du gouffre”, met en
garde Lester Brown. “L’Histoire juge
les dirigeants sur leur capacité à faire
face aux grands problèmes. Et pour notre
génération, le grand problème risque fort
d’être la sécurité alimentaire.”
Geoffrey Lean
*828 p61-62-63-64
12/09/06
13:48
Page 62
économie
F O N D S S P É C U L AT I F S - F O N D S S P É C U L AT I F S - F
Les nouveaux maîtres de la finance
Les fonds spéculatifs, qui adorent le risque, bénéficient d’une liberté dangereuse :
ils brassent tellement d’argent qu’ils pourraient provoquer un krach planétaire.
La recherche du profit comme seule règle
Les fonds d’arbitrage ne sont
soumis à aucune réglementation.
C’est d’ailleurs la clé de leur succès.
n’est pas le cas. Quand Enron,
l’énorme courtier en énergie américain
qui avait beaucoup misé sur les fonds
spéculatifs, a fait faillite, en 2001,
4 500 personnes ont perdu à la fois leur
emploi et leur pension de retraite
(1 milliard de dollars au total). “Les
100 sociétés de l’indice boursier FTSE
vivent dans la peur des fonds spéculatifs,
m’a confié un banquier britannique.
Si ceux-ci décident de vendre vos actions
à découvert [les actions sont empruntées
pour une durée déterminée en faisant le
pari que leur cours baissera, puis elles sont
rachetées, moins cher avec un peu de
chance, et remboursées à l’institution qui
les a prêtées], vous êtes foutu.”
NEW STATESMAN (extraits)
Londres
n danger menace la finance mondiale – un de plus. Le 10 mai dernier, la Réserve fédérale (Fed), la
banque centrale américaine, a
relevé ses taux directeurs.Wall Street
a chancelé et les marchés d’actions
dans les économies émergentes ont
carrément plongé. Depuis, ils ont cédé
42 % en Colombie, 38 % en Turquie,
28 % au Pakistan et en Egypte et
25 % en Inde.
Certes, l’économie américaine reste
la première au monde et l’évolution des
taux d’intérêt américains touche l’ensemble du système financier. Mais au
cœur de cette histoire se tapit quelque
chose de très sombre – l’industrie des
fonds spéculatifs (hedge funds). Face à
ces seigneurs de l’apocalypse, qui ont
la capacité de provoquer le prochain
krach, nul ne sait quoi faire.
En l’an 2000, Howard Davies,
alors président de la Financial Services
Authority (FSA), l’autorité des marchés britanniques, a reconnu que les
décideurs et les autorités de contrôle
ne comprenaient pas très bien les fonds
spéculatifs. “Ce qui en un sens n’est pas
très surprenant, ajoutait-t-il, car, si nous
ne les réglementons pas, nous n’avons pas
besoin d’en savoir trop sur eux. Mais à
l’évidence, si nous nous intéressons à la
stabilité systémique, nous ne pouvons pas
ignorer un secteur qui peut mobiliser à peu
près le même volume d’actifs que le secteur
bancaire commercial américain.”
Interrogé par la commission bancaire du Sénat américain sur l’éventuelle
nécessité de réglementer les produits
dérivés – de complexes instruments
financiers utilisés par les fonds spéculatifs –, Ben Bernanke, le président de
la Fed, a fait ce commentaire : “Les produits dérivés sont pour l’essentiel négociés
entre des institutions financières et des particuliers extrêmement pointus qui ont tout
intérêt à les comprendre et à s’en servir
correctement.” Ce qui revient peu ou
prou à admettre que les autorités de
tutelle ignorent totalement ce qui se
passe. Compte tenu de la taille et de la
puissance de ces fonds, il y a de quoi
s’étonner – et avoir peur.
Les fonds spéculatifs, également
appelés fonds de couverture ou fonds
d’arbitrage, sont des fonds d’investissement privés, principalement organisés comme sociétés en commandite
simple. Ce sont en quelque sorte des
paris mutuels pour les très riches. Ils
U
Dessin
de Ford paru dans
le New Statesman,
Londres.
SELON BRUXELLES, CE SECTEUR
EST SUFFISAMMENT ENCADRÉ
■ Le magazine
New Statesman
a consacré
récemment
sa couverture
aux fonds spéculatifs
qui vont, selon
l’hebdomadaire
britannique,
“détruire
le monde”.
brassent des quantités d’argent faramineuses, autant qu’on puisse les estimer. Le Fonds monétaire international
(FMI) avance le chiffre de 1 000 milliards de dollars, les professionnels du
secteur celui de 1 500 milliards. Si ces
fonds étaient un pays, celui-ci se classerait au huitième rang mondial par sa
richesse. Pour investir dans l’un d’eux,
la mise minimale est de 1 million de
dollars, une bagatelle, comparé à ce
qu’on peut gagner – si c’est le verbe à
employer pour ce qui correspond à un
pari à l’échelle planétaire.
Les fonds de couverture ne sont
pas nouveaux, ils ont simplement
gagné en notoriété. Ils ont vraiment
décollé à partir de la fin des années
1970, quand les taux de change flottants et l’instabilité des taux d’intérêt
ont transformé les marchés de capitaux. Ils se sont ensuite développés à
mesure que les méthodes électroniques
de négociation se perfectionnaient. On
estime leur nombre actuel à 9 000, et
ce qui n’était qu’un phénomène américain s’étend au reste du monde,
même si d’après la FSA il n’en existe
que 325 au Royaume-Uni.
Leur principal outil est l’effet de
levier : ils empruntent pour jouer sur
les marchés. Un investisseur de ce type
peut fort bien contrôler 100 millions
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
62
de dollars d’actions avec seulement
5 millions de dollars d’acompte. Cela
signifie que, lorsque le pari est perdu,
il l’est de manière spectaculaire. Si les
positions de l’ensemble des fonds spéculatifs sont vingt fois supérieures aux
liquidités qu’ils détiennent réellement,
leur impact potentiel sur le système
financier mondial est à peu près égal
au PIB des Etats-Unis.
C’est pourquoi les marchés d’actions des pays émergents ont été si maltraités ces derniers mois. Les fonds
d’arbitrage y ont investi en masse dans
l’espoir de rendements élevés, empruntant pour cela des milliards de dollars
à relativement bon compte alors que
les taux d’intérêt étaient bas. Mais, dès
que le loyer de l’argent a augmenté, ils
ont dû se désengager rapidement, laissant aux pays en développement le soin
de faire le ménage.
On pourrait penser qu’il est normal que les vainqueurs se partagent les
dépouilles. Si ces investisseurs sont
prêts à prendre des risques, pourquoi
n’en cueilleraient-ils pas les fruits ? S’ils
vivent du risque, ils devraient aussi
avoir le droit d’en mourir : en janvier,
le fonds japonais Eifuku a ainsi perdu
300 millions de dollars en une semaine.
L’argument se défendrait si ce pari était
une affaire purement privée. Mais ce
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
Dans un monde où le moindre de nos
faits et gestes tombe sous le coup
d’une réglementation quelconque, ces
organismes de placement constituent
une exception remarquable. Les autorités de tutelle soutiennent dur
comme fer que ces fonds, en prenant
les risques dont d’autres ne veulent
pas, mettent de l’huile dans les
rouages des marchés. Elles commencent cependant à craindre elles aussi
qu’ils ne provoquent bientôt une crise
systémique. Mais les efforts qu’elles
déploient, souvent à contrecœur, pour
mettre un peu d’ordre dans la profession ont pour l’instant été déjoués.
En février dernier, la SEC, l’autorité
des marchés financiers américains,
a enfin demandé aux gérants de tous
les fonds spéculatifs de s’enregistrer
s’ils avaient plus de 14 investisseurs
dans le pays et au moins 30 millions
de dollars d’actifs. Mais, en juin, la
cour d’appel fédérale pour le district
de Columbia a annulé cette décision
au motif qu’elle était “arbitraire”.
Deux ténors démocrates du Sénat
essaient maintenant de faire passer
une loi pour contrer ce verdict.
L’Europe, dernier bastion contre
l’ultralibéralisme anglo-saxon, viendra-t-elle à la rescousse ? Rien n’est
moins sûr. Le commissaire aux Services et au Marché intérieur, Charlie McCreevy, a récemment rejeté
l’idée de réglementer les fonds spéculatifs, affirmant qu’ils jouent un
rôle essentiel en semant la “peur de
Dieu” au sein des conseils d’administration, pour le plus grand bien de
tous. Un comité chargé d’étudier la
question pour la Commission européenne a de son côté soutenu que le
secteur était correctement encadré
en Europe et devait être protégé
contre les menaces de nouvelles et
coûteuses règles en provenance des
Etats-Unis.
Jason Ford
*828 p61-62-63-64
12/09/06
13:49
Page 63
- F O N D S S P É C U L AT I F S - F O N D S S P É C U L AT I F S - F O N D S S P É C U L AT I F S
●
i n t e l l i g e n c e s
mondiale
tuaient l’un des rares placements qui
promettaient encore des rendements
à deux chiffres. Mais plus les investisseurs accourent, plus ces fonds
perdent de leur attrait. Comme ils
sont plus nombreux à chercher sur
le marché des bonnes occasions qui
se raréfient, leur rentabilité diminue
depuis quelques années.
LE CINÉMA ET LE PÉTROLE SONT
LES DEUX SECTEURS À LA MODE
Une industrie victime de son succès
Pour contrer la baisse
de leurs rendements,
les fonds d’arbitrage
doivent prendre
encore plus de risques.
NEWSWEEK (extraits)
New York
uand Sumner Redstone, le très
respecté président du groupe de
communication Viacom, a
déboulonné sans ménagement la
mégastar Tom Cruise de son piédestal chez Paramount début septembre, on a beaucoup dit que les
studios cherchaient désormais à se
défaire du risque représenté par des
comédiens surpayés, qui ponctionnent souvent des millions de dollars
sur un film avant même que les producteurs n’aient touché leur part.
Mais on a moins parlé des nouveaux
acteurs désireux de prendre ce risque
Q
Les gains diminuent
Rendement annuel moyen
des fonds spéculatifs (en %)
30
Sources : Channel Capital Group - Hedgefund.net et Newsweek
25
20
15
10
5
0
1990
1995
2000
2005
à leur charge, à savoir les fonds spéculatifs. Même s’il n’est pas certain
que l’offre de 100 millions de dollars
censément faite par des fonds spéculatifs à la société de production de
Tom Cruise se concrétisera, les organismes de ce type soutiennent déjà
fortement l’industrie du cinéma.
Selon Larry Ulman, chef du secteur
divertissement au cabinet d’avocats
Gibson, Dunn & Crutcher, de Los
Angeles, ils ont déjà investi 4 milliards de dollars à Hollywood, et ce
montant ne cesse de croître.
Le fait qu’ils s’essaient à une activité aussi notoirement capricieuse en
dit long sur l’évolution des fonds spéculatifs. Autrefois supports d’investissement de niche pour particuliers
très fortunés, ils se sont depuis cinq
ans démocratisés, au fur et à mesure
que les fonds de pension, les fondations et autres investisseurs institutionnels y plaçaient leurs capitaux.
Hennessee Group, une société de
conseil en placements de New York,
estime que le marché mondial des
hedge funds est passé de 130 milliards
de dollars en 1997 à 1 500 milliards
aujourd’hui, 56 % de ce montant
étant détenus par des entreprises et
des institutions. Cela signifie que, si
vous avez placé de l’argent dans des
fonds de pension, des fonds communs de placement ou d’autres
sociétés cotées en Bourse, une partie de votre avenir se trouve entre les
mains des gérants de fonds spéculatifs, une espèce maintenant suffisamment aux abois pour courir après
les rendements que pourraient offrir
des studios de cinéma dirigés par des
acteurs.
La conclusion est évidente : la
fête est finie. Après l’éclatement de
la bulle Internet, les fonds spéculatifs (qui misent généralement à
contre-courant du marché) consti-
Dessin de Ford
paru dans le New
Statesman, Londres.
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
63
La démocratisation des fonds de
couverture a eu deux conséquences.
Tout d’abord, la tendance dans le
monde entier est à l’évaluation et à
une réglementation plus stricte de
ces investissements très opaques, afin
que les petits investisseurs ne s’y
brûlent pas les ailes. Bien sûr, c’est
en grande partie l’absence de réglementation – et notamment la possibilité de s’engager dans de complexes contrats d’options, contrats
à terme et opérations d’échange qui
sont interdits aux fonds communs
de placement – qui permet aux
fonds spéculatifs d’atténuer le
risque. S’ils étaient traités comme
n’importe quel autre investissement,
leur attrait et leurs rendements
continueraient de diminuer.
Parallèlement, les grandes
agences de notation financière envisagent d’évaluer ces fonds. Ainsi,
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
Moody’s publiera ses premières évaluations dans les semaines à venir.
Certains analystes craignent qu’une
plus grande transparence ne rende
encore plus difficile la production de
rendements. Mais il sera également
moins facile pour des fonds marginaux, non notés, dont beaucoup
n’ont pas plus de 25 millions de dollars d’actifs, de se vendre auprès du
public. Ce qui n’est pas plus mal :
c’est dans cette catégorie que l’on
trouve les fraudes et les abus les plus
criants.
Ce qui nous ramène à la baisse
des rendements. Comme le souligne
Joel Schwab, administrateur délégué
du site <hedgefund.net>, les techniques classiques de couverture ne
marchent plus aussi bien. En
témoigne, par exemple, l’arbitrage de
titres convertibles, qui exploite les
inefficacités du marché, comme les
écarts injustifiés de valeur entre les
actions d’une société et ses obligations. Cette activité, qui autrefois
constituait la vache à lait des fonds
alternatifs, accuse une baisse encore
plus accentuée que le secteur dans son
ensemble. D’après les statistiques de
<hedgefund.net>, le rendement annuel
des fonds d’arbitrage se situait à
18,3 % en 1999. L’année dernière, ils
ont affiché un rendement négatif de
1,3 %. “Comme plus de gens font ce *828 p61-62-63-64
12/09/06
13:49
Page 64
économie
F O N D S S P É C U L AT I F S - F O N D S S P É C U L AT I F S
●
i n t e l l i g e n c e s
genre d’opérations, les occasions d’ar-
bitrage disparaissent”, explique Joel
Schwab. C’est extrêmement dommageable pour les fonds spéculatifs,
qui font souvent miroiter des “rendements absolus”, c’est-à-dire aucune
année négative.
Que doivent faire, dès lors, les
fonds spéculatifs ? Aller là où les
autres n’osent pas s’aventurer. C’est
ainsi que, depuis deux ans, des films
à gros budget comme Super man
Returns, V pour Vendetta ou Poséidon
ont été produits avec l’argent des hedge
funds. Peu d’entre eux ont été des succès au box-office, ce qui nous rappelle
que, en définitive, seul le risque des
stratégies à haut risque et à fort rendement est garanti.
L’énergie a également la faveur
des gérants de ces fonds. Dans le
contexte géopolitique instable du
moment, les banques rechignent à
débourser les milliers de milliards de
dollars dont ont besoin les compagnies pétrolières et gazières pour
accroître leur production. Aussi les
fonds spéculatifs sont-ils venus combler un vide : Joel Schwab estime à
70 milliards de dollars leurs investissements dans l’énergie, ce qui en
fait leur secteur industriel de prédilection.
Rana Foroohar
Retrouvez cet article
en v.o. p. 59 dans notre supplément
Courrier in English
CONFESSION D’UN GESTIONNAIRE
Pourquoi les marchés sont
maniaco-dépressifs
n octobre 2005, dans le monde
entier, les cours ont commencé à
monter. Fin avril 2006, les choses prenaient une tournure un peu folle. Les professionnels plaçaient de l’argent dans
des obligations et des actions exotiques,
en Turquie, en Russie et au Brésil. Les
épargnants japonais, qui n’avaient pas
acheté d’actions depuis dix ans, souscrivaient pour 1 milliard de dollars à un
nouveau fonds indien. Le 9 mai, les actifs
à risque avaient engrangé des gains très
importants. Le lendemain, tous les marchés, de New York à Tombouctou, plongèrent brutalement. Les cours se sont
stabilisés à la fin juin mais, depuis, les
marchés sont maniaco-dépressifs.
Pourquoi ? Certes, le nouveau président
de la Réserve fédérale aux Etats-Unis
doit encore faire ses preuves, et le
Moyen-Orient s’embrase de nouveau.
Mais l’économie mondiale est juste
comme il faut – ni trop chaude, ni trop
froide. En réalité, la volatilité des marchés est en grande partie imputable à
la montée en puissance des fonds spéculatifs et au comportement de leurs
gestionnaires. Ces organismes, qui
contrôlent une infime fraction des placements en Bourse, représentent probablement 40 % des transactions à la
Bourse de New York.
Ils empruntent des montants considérables, de l’ordre de deux à cinq fois leurs
capitaux. Ce sont des négociateurs hyperactifs, avec un taux de rotation des capitaux allant de 500 à 1 000 %. C’est-àdire que le montant de leurs achats et
de leurs ventes en une année représentent cinq à dix fois leurs capitaux. Ils
touchent en outre des commissions bien
supérieures à celles des sociétés de gestion de portefeuilles – 2 % sur les actifs
et 20 % sur les gains –, ce qui rend leurs
investisseurs très sensibles à la performance.
Fait aggravant, 35 % de ces investisseurs
sont représentés par des fonds de fonds.
E
En effet, même les particuliers richissimes et les institutions de taille moyenne
n’ont pas les moyens de sélectionner et
de surveiller ces organismes ésotériques.
C’est donc un fonds de fonds qui s’en
charge, en constituant un portefeuille de
fonds spéculatifs, prélevant au passage
1 % sur les actifs et 10 % sur les gains
(en plus des 2 % et 20 % précédemment
évoqués). Leur boniment est du genre :
“Notre fonds devrait rapporter, tous frais
déduits, 6 % à 8 % par an. Pas très enthousiasmant, dites-vous ? Donnez-nous
1 million de dollars et nous vous prêterons 2 millions supplémentaires. Après
paiement des intérêts, si notre fonds fait
7 %, votre rendement sera proche de
20 %.” Ce type d’arrangement tient la
route tant que les fonds spéculatifs
gagnent de l’argent mais, quand ils sont
à la peine, le paiement des intérêts
alourdit le poids de la double commission. Les investisseurs mécontents se
rebellent. Résultat, les fonds de fonds ne
supportent pas les pertes mensuelles et
trimestrielles.
En mai s’est produit une réaction en
chaîne de ce genre : soudain, pour une
raison quelconque, les marchés vacillent.
Les fonds spéculatifs commencent à
perdre de l’argent, et leur première réaction est de vendre pour réduire les
risques. Ce qui aggrave la faiblesse des
marchés, laquelle à son tour accélère
les ventes.
Nous, gérants de fonds de couverture,
sommes actuellement dans une position
inconfortable. Nous avons perdu l’essentiel de nos gains de l’année et nous
voulons éviter coûte que coûte de perdre
davantage. Pourtant, si une forte remontée des marchés s’amorce, nous devrons
rentrer dans le jeu car nos clients ne
nous pardonneraient pas d’avoir raté
le coche.
Barton Biggs*, Newsweek, New York
* Associé gérant chez Traxis Partners, un fonds
spéculatif new-yorkais.
828p65
12/09/06
11:45
Page 65
multimédia
i n t e l l i g e n c e s
●
A 25 ans, MTV est trop vieille pour le Net
TÉLÉVISION Lancée en 1981,
■
la chaîne musicale a réussi à imposer
sa marque sur les petits écrans
du monde entier. Elle a en revanche
bien du mal à séduire les internautes.
THE WALL STREET JOURNAL (extraits)
New York
epuis qu’elle existe, la chaîne
musicale MTV aura au moins
prouvé qu’elle connaissait ses téléspectateurs. Tout au long de ses
vingt-cinq années d’existence, elle est
restée la chaîne préférée des adolescents, un public pourtant insaisissable
par définition. MTV est passée des
vidéos de Madonna à l’émission Pimp
My Ride, dont le but est de transformer une voiture à l’état d’épave en un
objet de convoitise, du heavy metal au
hip-hop. Aussi, quand les jeunes se sont
rués sur le Net, MTV s’est aussi lancée dans l’aventure.
Mais, cette fois, les gamins n’ont
pas suivi. MTV Overdrive, son site gratuit, qui propose entre autres des vidéoclips et des infos, attire moins de 4 millions de visiteurs uniques par mois, soit
bien moins que les 82 millions de téléspectateurs comptabilisés chaque mois
par la chaîne aux Etats-Unis. Plus
inquiétant pour la chaîne, l’ensemble
de ses sites Internet sont malmenés par
des concurrents comme MySpace, le
nouveau rendez-vous de la génération
MTV. MySpace comptabilise environ
55 millions de visiteurs uniques par
mois aux Etats-Unis, tandis que YouTube, un site en pleine expansion, en
draine 16 millions [voir CI n° 826, du
31 août 2006].
Le revers de MTV est riche d’enseignements pour les grands groupes
médiatiques qui assistent à l’explosion
de la vidéo sur la Toile. Dans le secteur
finalement peu concurrentiel de la télévision par câble, MTV a su protéger sa
part de marché en cultivant son image
de franc-tireur. Mais Internet ressemble à une mêlée générale, et la liste
des concurrents s’allonge de jour en
jour. Aujourd’hui, MTV fait partie du
système et elle n’est entrée en lice que
tardivement, croyant à tort que la notoriété de sa marque et de ses produits
lui assurerait le succès sur le réseau
mondial. “On pouvait croire qu’ils
avaient verrouillé le marché des ados.Mais
aujourd’hui YouTube et d’autres sites sont
en train de faire sauter ce verrou”, assure
Dan Nova, associé gérant chez Highland Capital Partners, une société d’investissement qui a financé des entreprises développant des technologies
pour diffuser de la vidéo en ligne. “Ils
vont perdre leur monopole”, prédit-il.
Taylor Spicuzza, un lycéen de
16 ans vivant à Virginia Beach, en Virginie, aime regarder, sur MTV, une
émission de télé-réalité comme Next,
et aussi Pimp My Ride. Mais il n’est
pas fan du site Overdrive. “Ça ne m’a
pas l’air très intéressant”, explique
l’adolescent. Il préfère visiter MySpace, où il a créé sa propre page. Il
D
Dessin d’Igor
Kiïko paru dans
Obchtchaïa Gazeta,
Moscou.
■
Ambitions
Depuis dix ans MTV
s’est lancée dans
une stratégie tous
azimuts, créant
notamment
VH1, chaîne
qui diffuse de la
musique
des années 1980
et 1990, et CMT,
spécialisée dans
la musique country,
sans oublier
Logo, dont
les programmes
s’adressent
à la communauté
homosexuelle.
Si MTV Overdrive
n’a pas réussi
à convaincre les
internautes (lire
article), les
dirigeants de MTV
parient désormais
sur Urge, dont
la version bêta
a été lancée
en mai 2006. Selon
Van Toffler, l’un
des principaux
dirigeants du
groupe, il s’agit de
surfer sur la vague
des sites de vente
en ligne, en mettant
à disposition
quelque 2 millions
de titres, tout en
permettant aux fans
de musique de
“s’immerger dans
un site à forte
valeur ajoutée
en termes
d’information
musicale” et
d’en profiter à partir
de leurs objets
nomades (téléphone
mobile, assistant
personnel
numérique, lecteur
MP3 ou console
de jeux portable).
y consacre environ une heure par
semaine. MTV n’a pas tardé à s’apercevoir que plus de la moitié des visiteurs d’Overdrive ne recherchaient
pas a priori de vidéos musicales.
Et, même dans ce domaine, qui
constitue la vocation première de
MTV, la chaîne reçoit moins de visiteurs que Yahoo!, AOL ou MSN, à un
moment où YouTube et MySpace
étoffent aussi leur offre musicale.
“MTV est censée être LA télévision musicale, mais en fait, ce n’est pas ce qu’ils
font le mieux. Ils ont beaucoup d’émissions de télé-réalité”, déplore Carter
Rountree, 15 ans. “Comme la plupart
des gens, je vais sur MySpace.” Carter
Rountree, un lycéen athlétique de Virginia Beach, explique qu’il aime aussi
YouTube pour ses “vidéos marrantes”.
Pour la musique, il surfe sur Pandora.com, qui propose de la musique
gratuite en ligne, ainsi que sur Yahoo!
avec Google lui permet de tester différentes méthodes.
Viacom pensait que sa place de
choix dans le monde des médias
serait un avantage. Il n’en a rien été.
Pour de nombreux internautes, l’attrait de sites comme YouTube tient à
leur programmation souvent dérangeante ou obscène, générée par les
utilisateurs eux-mêmes. MTV, avec
ses annonceurs grand public, ne peut
pas se le permettre. Judy McGrath,
présidente de MTV Networks, estime
que Viacom n’a pas à devenir racoleur pour faire plus d’audience. L’avenir de l’entreprise, assure-t-elle,
LES INTERNAUTES PRÉFÈRENT
LES SITES YOUTUBE OU MYSPACE
Incapable d’attirer suffisamment de
visiteurs sur ses propres sites, le
groupe Viacom, qui détient MTV, a
essayé de revendre ses contenus à des
sites concurrents. Début août 2006,
il a autorisé Google à diffuser sur des
centaines de sites des clips vidéo de
MTV et de Nickelodeon, accompagnés de publicités pour la chaîne
musicale. Ainsi, pour regarder un
extrait vidéo de My Block, la série
documentaire de MTV, disponible sur
Concreteloop, un site Internet consacré aux célébrités noires, les fans doivent regarder une publicité de
30 secondes pour MTV. Des publicités du même genre apparaissent sur
Overdrive.YouTube, de son côté, a
exclu l’utilisation de ce genre de publicités. Un dirigeant de Viacom fait
valoir que sa société est ouverte à
d’autres formes de publicité avec ses
partenaires, et que l’accord conclu
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
65
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
repose sur sa capacité à innover. Par
exemple, MTV prévoit de donner aux
consommateurs la possibilité de sélectionner des extraits vidéo pour s’en
servir dans leurs propres clips. Pourtant, la tension est palpable.
Au début du mois d’août, un dessin animé parodique sur le rappeur
Snoop Dogg diffusé sur le site Overdrive a déclenché un petit tollé dans
les médias, MTV étant accusée de
véhiculer des stéréotypes raciaux. On
y voyait Snoop Dogg promener deux
femmes noires au bout d’une laisse
et les emmener dans un magasin
d’animaux domestiques ; l’une d’elles
défèque sur le sol. “Femmes noires en
laisse – satire ou misogynie raciste ?”
demandait une internaute sur blogher.org, un site consacré aux blogueuses. Quand les grands médias se
sont emparés de l’affaire, MTV a
retiré la vidéo. Une porte-parole de
la chaîne musicale a déclaré que le
retrait du clip s’était fait dans le cadre
d’un renouvellement normal et n’était
lié qu’à sa faible audience. De son
côté, la société informatique HewlettPackard, qui a financé le film sur
Overdrive, explique qu’elle n’a reçu
aucune plainte, mais ajoute que,
d’une manière générale, elle “fait en
sorte que ses publicités ne soient pas diffusées dans le cadre de programmes choquants”. A bon entendeur, salut.
Matthew Karnitschnig
W W W.
Toute l’actualité internationale
au jour le jour sur
courrierinternational.com
*828 p66
12/09/06
11:42
Page 66
sciences
i n t e l l i g e n c e s
●
Le mystère des momies celtes du Xinjiang
ARCHÉOLOGIE La
■
découverte de cadavres
de type européen à des
milliers de kilomètres
de distance permet
d’entrevoir l’existence
d’un lien jusque-là
inconnu entre
l’Orient et l’Occident
à l’âge du bronze.
THE INDEPENDENT
Londres
’homme a des cheveux d’un brun
roux parsemés de gris, des pommettes saillantes, un long nez, des
lèvres pleines et une barbe rousse.
Quand il vivait, il y a 3 000 ans, il mesurait près de 2 mètres. Il a été enterré
dans une tunique rouge croisée et des
chausses à carreaux. On dirait un Européen de l’âge du bronze. En fait, il a tout
d’un Celte – même son ADN le dit.
Mais il ne s’agit pas là d’un habitant primitif du centre de l’Ecosse.
C’est le cadavre momifié de l’homme
de Cherchen, découvert dans les étendues désolées du désert du Taklamakan, dans le Xinjiang, région inaccessible de l’ouest de la Chine. Il repose
désormais dans un nouveau musée de
la capitale provinciale d’Urumqi. Dans
la langue que parlent les Ouïgours du
Xinjiang, Taklamakan signifie : “on
entre pour ne pas ressortir”.
Ce qu’il y a d’extraordinaire,
c’est que l’homme de Cherchen a été
retrouvé – ainsi que les momies de trois
femmes et d’un bébé – sur un site funéraire situé à des milliers de kilomètres
à l’est des principales implantations
celtiques, en France et dans les îles Britanniques. Les tests d’ADN confirment
que, tout comme des centaines d’autres
momies du bassin du Tarim, dans le
Xinjiang, il est originaire d’Europe.
Personne ne sait comment il est arrivé
là, ni pourquoi, ni combien de temps
les siens et lui y ont vécu. Mais, comme
le laisse entendre le nom du désert, il
n’en est jamais ressorti.
L’une des femmes partageant sa
tombe a des cheveux châtain clair qui
donnent l’impression d’avoir été brossés et tressés hier à peine, pour ses
funérailles. Son visage est orné de
symboles peints, et sa magnifique
robe funéraire rouge n’a rien perdu
de son éclat au fil des trois millénaires
durant lesquels cette grande femme
aux traits fins a reposé sous le sable
de la route de la soie.
Les corps sont nettement mieux
conservés que les momies égyptiennes,
et le spectacle des nourrissons a
quelque chose de poignant. Le bébé a
été enveloppé dans une somptueuse
étoffe brune attachée par des cordelettes rouges et bleues, et on a placé
une pierre bleue sur chaque œil. A ses
côtés se trouvait un biberon doté d’une
tétine fabriquée avec le pis d’une brebis. A partir de la momie, le musée a
Toru Yamanaka/AFP
L
La momie d’un
enfant exhumée dans
la ville de Qarqan
dans le Xinjiang.
reconstitué l’aspect de l’homme de
Cherchen et son mode de vie. Les ressemblances avec les Celtes de l’âge de
bronze traditionnel sont frappantes.
Les analyses ont par ailleurs montré
que le tissage des étoffes était comparable à celui des vêtements portés
par les mineurs de sel vivant en
Autriche en 1300 av. J.-C.
UN PEUPLE PACIFIQUE
ET ÉGALITAIRE
Passionné
Victor Mair
est professeur
de littérature chinoise
à l’université
de Pennsylvanie, mais
il s’est découvert
une passion pour
les momies
du Taklamakan.
Il a écrit avec
l’archéologue
irlandais James
Mallory le seul livre
consacré à ce sujet,
The Tarim
Mummies :
Ancient China and
the Mystery of
the Earliest Peoples
from the West,
éd.Thames & Hudson,
non traduit
en français.
Leur hypothèse
d’un peuplement
celte au Xinjiang
est contestée. Mais
l’histoire de
l’ensemble de la
région et de ceux
qui l’habitaient
– les Tokhariens –
reste mal connue.
0
500 km
MONGOLIE
KAZAKHSTAN
Région autonome
ouïgoure
du XINJIANG
Urumqi
N
TADJ
Courrier international
■
A leur apogée, vers 300 av. J.-C., l’influence des Celtes s’étendait de l’Irlande
au sud de l’Espagne, à l’ouest, ainsi qu’à
la vallée du Pô, à la Pologne, à l’Ukraine
et à la plaine centrale de Turquie, à l’est.
Mais ces momies semblent suggérer que
les Celtes avaient pénétré profondément
en Asie centrale, atteignant les marches
du Tibet. Les Celtes se sont installés peu
à peu en Bretagne [la Grande-Bretagne
actuelle] entre 500 et 100 av. J.-C. On
ne peut pas à proprement parler d’invasion organisée : ils sont arrivés à des
époques différentes, et sont considérés
comme un groupe de peuples vaguement liés par une même langue, une
même religion et une même culture.
Ceux de Cherchen étaient apparemment pacifiques : les sépultures
contenaient fort peu d’armes, et les
indices qui attestent l’existence de
castes sont rares. Avec ses 4 000 ans,
la Beauté de Loulan est encore plus
ancienne que les trouvailles de Cherchen. Elle a de longs cheveux blonds
et fait partie d’une série de momies
découvertes près de la ville de Loulan.
L’une d’entre elles était la momie d’un
enfant de 8 ans drapé dans une étoffe
de laine à motifs, fermée par des boutons en os. Les traits de la Beauté de
Loulan sont nordiques. Elle était âgée
de 45 ans à sa mort, et a été enterrée
avec un panier de vivres pour sa vie
dans l’au-delà, panier qui contenait du
blé, des peignes et une plume.
Au cours des vingt-cinq dernières
années, le désert du Taklamakan a
rendu des centaines de cadavres desséchés. Les découvertes effectuées dans
le bassin du Tarim comptent parmi les
plus importantes du quart de siècle
écoulé. “A partir des alentours de
1800 av. J.-C., les plus anciennes momies
du bassin du Tarim sont exclusivement
caucasoïdes”, déclare le Pr Victor Mair,
de l’université de Pennsylvanie, fasciné
par ces momies depuis qu’il les a aperçues, en 1988, presque oubliées, dans
l’arrière-salle de l’ancien musée. Le
sujet l’obsède, et il n’a reculé devant
rien, même pas les pires imbroglios
politiques, pour en savoir toujours plus
sur ces personnes remarquables.
Il explique que des immigrants
d’Asie de l’Est sont arrivés dans les
régions orientales du bassin du Tarim
il y a à peu près 3 000 ans. Les Ouïgours, eux, sont arrivés après l’effondrement du royaume ouïgour
d’Orkhon, situé en Mongolie
actuelle, vers l’an 842. Cette partie
de l’antique route de la soie est l’une
des contrées les plus désolées du
monde. C’est l’endroit le plus éloigné de la mer de toute la planète,
et la Chine l’a choisi pour y procéder à ses essais nucléaires. Des camps
de travail y sont éparpillés un peu
partout – qui oserait s’en évader ?
Mais cet éloignement est une bénédiction pour les archéologues. Du fait
de l’extrême sécheresse des sols alcalins, les corps ont échappé à la
décomposition. Ils ont beau être là
depuis des milliers d’années, la
moindre fibre parfaitement conservée des vêtements a fait l’objet d’une
politisation incessante.
KIR
IKI
I
GH
ZI
ST
AN
Ch
Yining
n Shan
a
i
T
u
ed
aîn
Loulan
Kachgar
Tar im
Désert
du Taklamakan
AFGHAN.
PAKISTAN
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
Qiemo
(Cherchen)
Chaîne du Kunlun Sh
an
66
Différents tronçons
de la route de la soie.
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
En Chine, on affirme traditionnellement que, deux siècles avant la
naissance du Christ, l’empereur Wu
Di envoya un émissaire vers l’ouest
afin d’établir une alliance contre les
Huns, alors installés en Mongolie. La
route qu’emprunta Zhang Qian,
l’ambassadeur, à travers l’Asie devint
plus tard la route de la soie. Des
siècles plus tard, Marco Polo fit le
chemin inverse et l’ouverture de la
Chine commença. La seule idée que
des Blancs aient pu s’installer dans
une région de Chine des milliers
d’années avant les premiers contacts
de Wu Di avec l’Occident et les
voyages de Marco Polo a des conséquences politiques considérables.
Quant au fait que ces Européens
auraient vécu dans la province rétive
du Xinjiang des centaines d’années
avant les Asiatiques de l’Est, c’est une
hypothèse explosive.
LES MOMIES REGROUPÉES
SUR DES CRITÈRES POLITIQUES
Ji Xianlin, historien chinois, dans sa préface au livre de l’archéologue Wang
Binhua, Les Sépultures antiques du Xinjiang, traduit par Mair, affirme que la
Chine “soutient et admire” les recherches
effectuées par des spécialistes étrangers
sur les momies. “Toutefois, en Chine
même, un petit groupe de séparatistes ethniques ont profité de cette occasion pour
fomenter des troubles et se comportent
comme des bouffons.Certains se présentent
comme les descendants de ces antiques
‘Blancs’ et n’ont d’autre but que de diviser la patrie. Mais ces actes pervers sont
voués à l’échec.”
Il n’est donc pas surprenant que le
gouvernement n’ait que lentement fait
part de ces découvertes historiques
d’une grande importance, craignant
d’attiser les courants séparatistes dans
le Xinjiang. La Beauté de Loulan est
ainsi revendiquée par les Ouïgours, qui
ont fait d’elle leur figure emblématique,
que célèbrent des chants et des portraits. Même si les tests génétiques
démontrent désormais qu’en réalité
elle était européenne.
En tout, on recense 400 momies à
divers stades de dessèchement et de
décomposition. A cela s’ajoutent des
milliers de crânes. Les momies ont de
quoi occuper les scientifiques pendant
longtemps. Seules quelques-unes des
mieux conservées sont présentées dans
le nouveau et impressionnant musée
du Xinjiang. Les travaux sur ce dernier
avaient commencé en 1999, mais
avaient été interrompus en 2002 à l’issue d’un scandale de corruption et de
l’emprisonnement d’un ancien directeur, impliqué dans un trafic d’antiquités. L’institution a enfin ouvert ses
portes pour le cinquantième anniversaire de l’annexion de la région par la
Chine, et les momies sont présentées
dans des vitrines de verre. On trouve
dans la même salle des momies han
[l’ethnie dominante en Chine], beaucoup plus récentes. Elles sont tout aussi
intéressantes, mais ne font que susciter la confusion, puisque les momies
se retrouvent ainsi regroupées. La décision est logique sur le plan politique.
Clifford Coonan
828p67
12/09/06
11:43
Page 67
écologie
i n t e l l i g e n c e s
●
Un forage réveille un gigantesque volcan de boue
GÉOLOGIE A Java, des
centaines de milliers
de mètres cubes
de boue et des gaz
pestilentiels jaillissent
des entrailles de la
Terre. Personne ne sait
comment les arrêter.
■
TEMPO (extraits)
Jakarta
ercredi 16 août 2006. A la
veille du jour de l’Indépendance, au moment de la prière
de l’après-midi, un appel à la
résistance se fait entendre de la mosquée de Nurul Huda. Le haut-parleur
du muezzin enjoint aux habitants du
village de Renokenongo Timur de se
diriger en toute hâte vers l’autoroute
Surabaya-Gempol. Une centaine de
personnes sortent en courant de leur
maison, armées de pieds-de-biche, de
barres de fer et de gourdins. Les cris
gagnent tout le village et ne cessent
pas jusqu’à l’arrivée sur l’autoroute.
Là, plus de cinquante habitants des
villages voisins, Besuki et Jatirejo, sont
en train de défoncer une digue avec
une pelleteuse volée. Les habitants de
Renokenongo brandissent leurs armes
pour empêcher le sabotage. Leur avenir dépend en effet de cette digue de
sable et de pierres. Plusieurs centaines
de milliers de mètres cubes de boue,
dépassant les toits de leurs maisons,
ne cessent de s’accumuler, vomissant
une infecte puanteur. Ces boues ont
déjà englouti 428 habitations du
village de Balongkenongo et les
700 maisons du village de Jatirejo. Si
la digue est détruite, elle va envahir
Renokenongo.
Cette guerre entre deux villages
est juste un petit exemple de la cascade de problèmes provoqués par la
boue brûlante qui, depuis le 29 mai,
jaillit du site d’exploration gazière de
la compagnie Lapindo Brantas, dans
la circonscription de Sidoarjo, dans
l’est de Java. Plus de 8 000 personnes
ont déjà dû fuir leurs maisons.
M
Lorsque la boue a commencé à se
répandre hors du puits Banjar Panji-1,
le volume quotidien des rejets était
d’environ 5 000 mètres cubes. Aujourd’hui, il a décuplé. Si le débit continue d’augmenter au même rythme,
on dépassera les 10 millions de mètres
cubes à la fin de l’année 2006.
UNE POCHE DE BOUE SITUÉE
À 2700 MÈTRES DE PROFONDEUR
Trois équipes ont été formées pour
tenter d’arrêter ce jaillissement de
boue et de réduire son impact. Elles
sont composées de représentants de
la compagnie Lapindo Brantas, du
gouvernement et d’un certain nombre
d’experts issus d’universités de renom,
telles que l’Institut de technologie
Sepuluh Nopember (ITS) de Surabaya, l’institut technologique de Bandung et l’université Gadjah Mada de
Jogjakarta. Toutes trois ont échoué,
pour l’instant, car elles sont parties de
l’hypothèse que la boue provient de
fissures dans les parois du puits Banjar
Panji-1. Or il pourrait s’agir en fait
d’un volcan de boue. [Selon les scientifiques, ce volcan serait gigantesque.
Il serait également particulièrement
0
150 km
INDONÉSIE
M ER
DE
J AVA
7°
Sud
Madura
Surabaya
Dt de Madura
J AVA
Sidoarjo
PROVINCE
DE JAVA-EST
Pasuruan
Probolinggo Besuki
Malang
Banyuwangi
Courrier international
Jember
O CÉAN I NDIEN
112° Est
113° Est
114° Est
8°
Sud
Bali
chaud – peut-être à cause de la
conjonction de phénomènes géothermiques complexes. Les sédiments et
la boue proviendraient d’un réservoir
situé à 2700 mètres sous terre.] Rudi
Rubiandini, membre de la première
équipe, explique qu’un volcan de boue
ne peut être endigué qu’en forant
quatre ou cinq relief wells (puits de
secours) à la fois. Tous ces puits
seraient utilisés pour encercler les
failles à travers lesquelles s’écoule la
boue. Le problème, c’est que cette
opération est coûteuse et prend du
temps, et une partie des experts ont
perdu tout optimisme. “Je doute que
l’on puisse arrêter la boue dans les mois
qui viennent”, estime Amin Widodo,
géologue et directeur du département
d’études des catastrophes à l’ITS de
Surabaya. D’autres spécialistes sont
d’avis que toute l’affaire est déjà une
cause perdue. Rovicky Dwi Putrohari,
un géologue indépendant, a écrit que
le site du puits Porong-1, à 7 kilomètres à l’est du puits problématique,
montrerait des signes géologiques indiquant que de précédents débordements de lave ont eu lieu dans des
temps très anciens. Il ajoute que le
jaillissement de boue à Porong-1 s’est
produit pendant des dizaines, voire des
centaines d’années.
La ville de Sidoarjo, qui compte
19 puits de la compagnie Lapindo
Brantas, est la cité satellite de Surabaya,
à la fois sa clef de voûte et le filtre par
lequel passent tous les nouveaux arrivants. Elle connaît la plus forte croissance de population de l’est de Java.
Avec près de 500 “cités” alentour, elle
regroupe quelque 1,5 million d’habitants. Chaque matin, 700 000 d’entre
eux partent travailler dans la capitale
de la province. Ce rôle de Sidoarjo
comme porte d’entrée de Surabaya est
devenu encore plus manifeste lorsque
la boue chaude a commencé à se répandre, et, comme une infection, à obstruer les principales voies de communication entre le grand port de
Surabaya et les autres villes de l’est de
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
67
Dessin de Stephff,
Thaïlande.
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
Java. L’autoroute est pratiquement coupée, ce qui freine les exportations de
produits fabriqués à Jember, Banyuwangi, Probolinggo, Pasuruan, Malang,
Batu, et paralyse Sidoarjo, dont les crevettes sont connues pour leur grande
valeur commerciale à l’exportation.
Ce qui inquiète le plus le maire de
Sidoarjo, c’est le mois de décembre à
venir, la période de l’année où les
pluies sont les plus violentes. “Quand
les digues des bassins de retenue seront
arrivées à saturation, on sera obligé de
jeter la boue à la mer via le fleuve
Porong”, explique-t-il. Les responsables de Lapindo Brantas font la
même analyse. Selon eux, plutôt que
d’attendre que les canalisations de
rejet soient terminées, mieux vaut utiliser le fleuve pour drainer la boue,
pendant trois mois par exemple. “Ce
n’est pas la meilleure méthode, mais c’est
la moins mauvaise”, estime Bambang
Istadi, chef d’exploration de Lapindo
Brantas. Le problème, c’est que cette
boue va détruire l’écosystème du
fleuve Porong. Puis, lorsqu’elle se jettera dans la mer, elle polluera automatiquement le détroit de Madura et
les eaux environnantes. Les 1 600 hectares de littoral de Sidoarjo seront également touchés par cette pollution.
“Laissons faire la nature”, rétorque
Amin Widodo. Une recette vieille
comme le monde, qui laisse à la
nature le soin de restaurer la vie. En
attendant, les villageois qui vivent
autour du site doivent prendre les
armes pour repousser l’invasion de
boue.
Untung Widyanto, Sunudyantoro,
Rohman Taufiq, Zed Abidien,
Yosep Suprayogi, Agung Rulianto
828p68_69 SA
11/09/06
18:55
Page 68
voya ge
●
SUR LES RIVES DU LAC LÉRÉ
Qu’elle était verte
ma savane
Alors que l’est du Tchad s’enfonce dans
l’instabilité en raison du conflit
au Darfour voisin, l’Ouest reste une zone
accueillante. Le regard nostalgique
d’un Africain sur cet éden méconnu.
NIGER
Lac Tchad
NIGERIA
N’Djamena
Maiduguri
Kousseri
AFRIQUE DESTINATIONS
Cotonou
Mora
Maroua
J
Figuil
TCHAD
Léré
Yola
Lac Léré
Courrier international
’attendais ce voyage sur les berges du lac Léré
depuis plus de dix ans. Après ma découverte
du lac Tchad, en 1992, Léré devait me permettre de plonger dans le Tchad profond, toujours à la recherche de mes origines lointaines, car,
à une certaine époque, ce qui constitue l’actuel
Tchad fut un corridor de migrations depuis
l’Afrique de l’Ouest et en direction de celle-ci.
L’ouvrage d’Enoch Djondang, Au pays des
Mundang [éd. L’Harmattan, 2004], ne me démentira pas. Bien au contraire. “Les Mundang formaient
avec les Mboum et d’autres peuplades linguistiquement
et culturellement proches un même peuple qui aurait
connu une vague de migrations depuis l’Ouest africain. Certains prétendent que le groupe se serait scindé
à la faveur de la traversée d’une chaîne de montagnes.
D’autres affirment qu’au cours d’une guerre l’une des
composantes du groupe aurait lancé le mot d’ordre
“Mundang !” (Mourons ensemble !), devenu le nom
de l’ethnie qui le porte aujourd’hui”, rapporte-t-il.
Cette chaîne de montagnes d’Afrique de l’Ouest
doit être la chaîne de l’Atacora, qui va du Bénin
au Togo. Mais laissons les historiens à leur histoire,
même s’il est vrai que le tata mundang n’est rien
d’autre que la réplique des tatas sombas [petits châteaux forts en terre séchée], qui constituent l’habitat typique des peuples se trouvant de part et
d’autre de cette chaîne montagneuse.
De N’Djamena, pour se rendre à Léré, deux
possibilités s’offrent au visiteur. Parcourir
quelque 600 kilomètres, dont 200 non encore
asphaltés, à l’intérieur du Tchad, ou 400 kilomètres en traversant le Cameroun voisin, dont
une quarantaine de kilomètres seulement de
route non bitumée entre la frontière du Cameroun et Léré. C’est cette dernière option que
nous choisissons avec mes hôtes de la famille
Gong-Non Moundou. Elle a en outre l’avantage
de me faire découvrir une partie du Cameroun.
Nous partons de N’Djamena, la capitale du
Tchad, en fin de matinée. Nous traversons Kousseri, au Cameroun, où règne une animation
typique des villes frontalières africaines, pour
nous enfoncer dans le pays. A mesure que nous
avançons – lentement, le minibus qui nous transporte ayant quelques ennuis mécaniques –, une
savane plus herbeuse et boisée succède au paysage désertique d’épineux solitaires.
Parc national
de Waza
Cha
ri
CAMEROUN
Aire linguistique
du mundang
Pêcheurs
du lac Léré.
300 km
RÉP. CENTRAFR.
C’est sous une pluie battante que nous faisons
la traversée jusqu’aux portes du parc national de
Waza. Dieu devait certainement avoir entendu mes
desiderata : il fit momentanément cesser la pluie
pour le trajet à l’intérieur du parc. Mieux, alors que
nous roulons à la vitesse de 40 km/h, recommandée par différents panneaux indiquant les points
de passage de girafes, de bubales [antilopes africaines à cornes en U] et d’éléphants, notamment,
je découvre un troupeau de bubales. Puis nous rencontrons tour à tour des babouins et des antilopes.
A partir de Waza, le couvert végétal est de plus
en plus abondant. Des herbes et des arbustes luxuriants ont droit de cité de part et d’autre de la route,
au bord de laquelle se dressent par endroits des
Alain Pinoges/Ciric
Concession du
gong (chef suprême
des Mudang) de
Léré. Les nombreuses
femmes du chef
disposent d’une case
et d’un grenier.
0
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
68
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
collines en forme de dômes ou de pics. Des heures
de route après, au sortir du parc, nous faisons une
halte à Mora pour réparer le moteur du minibus,
qui peine à gravir les pentes. Celui-ci reprend
ensuite de l’allure et nous atteignons Maroua, l’une
des métropoles de cette région du Cameroun.
Même dans la nuit profonde, Maroua, avec ses
lumières et ses bâtisses qui se détachent sur l’horizon, se signale comme une étape de choix pour
le voyageur. Nous longeons la ville par une corniche et mettons le cap sur Figuil, dernière ville
frontière du Cameroun, dans laquelle nous entrons
vers minuit, sous une fine pluie. La petite localité,
célèbre pour son animation, est déjà assoupie.
Inutile de chercher à aller plus loin. Le temps est
idéal pour les gardiens des “barrières de pluie” [des
hommes de la région qui établissent des barrages
routiers quand les pistes sont devenues impraticables]. Ils peuvent dormir à poings fermés, après
s’être assurés que leurs barrières sont correctement
cadenassées. Elles sont si nombreuses sur la route
Figuil-Léré que nous décidons de passer le restant
de la nuit à deux encablures de là.
Aux premières lueurs de l’aube, nous reprenons la route, c’est-à-dire les 40 kilomètres de piste
dont l’entretien serait incroyablement difficile et
onéreux sans les fameuses barrières, qui empêchent
les poids lourds de laisser la route derrière eux dans
le même état qu’après une bataille d’éléphants. Ici,
nous sommes déjà en pays mundang, car ce groupe
ethnolinguistique vit de part et d’autre des frontières camerounaise et tchadienne, comme c’est le
cas de bien d’autres, dans nombre de pays ayant
hérité des frontières de la colonisation.
Sur la route de Léré, le pays mundang se
décline en une succession de falaises plus superbes
les unes que les autres, avec leurs versants et leurs
vallées verdoyants et fertiles d’apparence. Ainsi
qu’on peut s’en rendre compte, l’habitation traditionnelle mundang, le tata, a été quasiment remplacée par des cases rondes ou rectangulaires en
petites briques de terre cuite. Si rien n’est fait dans
les années à venir pour réhabiliter cette construction traditionnelle, le tata mundang sera bientôt
un souvenir. Pour moi qui pensais étudier les similitudes de celui-ci avec les tatas sombas du Bénin,
la déception est de taille. Elle est tout de même
atténuée par la vaste étendue d’eau qui s’offre au
loin, majestueuse, dès qu’on s’approche du centre
de Léré. Le lac que j’aperçois est au-delà de mes
attentes. Il est aujourd’hui encore l’un deux seuls
lacs au monde à abriter des lamantins, une espèce
rare et protégée.
Léré est célèbre pour ses carpes. Chaque jour,
une flottille de pirogues menées par des pêcheurs
ramène le précieux poisson, qui sera fumé, frit
ou braisé pour agrémenter les repas des habitants.
Le lac est non seulement un endroit où se croisent
les pêcheurs, mais aussi les lavandières et les baigneurs. Léré est aussi célèbre pour ses rites traditionnels fortement empreints d’animisme et son
attachement aux valeurs ancestrales, que le gong
11/09/06
18:56
Page 69
Alain Pinoges/Ciric
828p68_69 SA
[le “chef”, en mundang] doit préserver et pérenniser, à l’instar des danses des jeunes filles et des
danses guerrières des jeunes garçons, qui ont lieu
une ou deux fois par génération. Ces traditions culturelles spectaculaires risquent de disparaître avec
leurs derniers gardiens : la vieille garde a porté à
son paroxysme le culte du secret.
Lorsqu’on est en face d’une impressionnante
étendue d’eau qui s’étend sur plusieurs kilomètres
et d’une profondeur atteignant par endroits
20 mètres, on imagine aisément que ceux qui se
sont installés sur ses berges ont dû livrer des
batailles homériques pour garder le privilège de
Dans la région
du lac Léré, le temps
ne compte pas
son accès. L’histoire raconte en effet que, au début
du XIXe siècle, Modibo Zoubeiro, l’un des lieutenants du chef peul Ousman Dan Fodio, tenta à
maintes reprises de s’emparer de la région mundang à partir de Yola [grande ville de l’est du Nigeria], qui appartenait alors à l’empire de Sokoto, au
Nigeria. Outre l’érection des murailles pour se protéger des djhadistes d’Ousman Dan Fodio, il fallait repousser les troupes peules, dont l’objectif
n’était pas uniquement de dominer et d’islamiser le pays mundang, mais de s’y implanter. Le
pays mundang est encore fier de sa victoire, dont
le récit se transmet de génération en génération.
A peine avons-nous posé nos sacs dans la maison Gong-Non Moundou qu’elle connaît un incessant va-et-vient de visiteurs. Les uns précèdent les
autres pour les interminables salutations d’usage,
et les entretiens en aparté n’en finissent plus avec
mes hôtes. Dans une région comme Léré, où les
hommes ont gardé intacte une partie de leur cul-
ture africaine, le temps ne compte pas. Ce qui
importe, c’est l’homme, dans son rapport avec les
autres et avec son environnement. Il ne faut donc
pas s’étonner de voir la maison pleine de monde
tandis que des plateaux de nourriture circulent
tous azimuts. Ici, les mots solidarité et communauté prennent tout leur sens.
Avant la tombée de la nuit, je me rends au
bord du lac Léré. Une petite île, de toute beauté,
attire mon attention. Elle n’est pas très loin des
rives et les piroguiers la contournent pour aller
vers des zones certainement plus poissonneuses
dont eux seuls détiennent les secrets. J’aimerais
voguer sur ce lac qui, dès le premier contact, vous
invite à la découverte. Entre le lac mineur et le
lac majeur, l’ensablement réduit d’année en année
le cours d’eau qui les fait communiquer. Préserver le potentiel halieutique et l’écosystème environnant est une nécessité. Un travail auquel s’attelle le Programme de développement décentralisé
du Mayo Kebbi Ouest, dans le but de contrôler
les zones protégées du lac.
Ce dernier n’est pas la seule attraction de la
région. A moins de 80 kilomètres, des paysages
d’une rare beauté sont tout aussi reposants et propices aux randonnées. Les paysages panoramiques
et verdoyants qu’offrent les falaises de la région
invitent à l’escalade. Et, dans les vallons, les amateurs de dépaysement ne bouderont certainement
pas le plaisir du camping ou du pique-nique. Au
cœur de cet éden, on trouve les chutes Gauthiot.
Elles portent le nom d’un explorateur qui a disparu, probablement noyé, et dont le corps n’a
jamais été retrouvé.
Au lendemain de ma nuit passée à Léré, je me
rends tôt au bord du lac, comme pour le surprendre
au réveil. Mais il est déjà trop tard. Les lavandières
sont en pleine activité, et les piroguiers, munis de
leurs filets, sont aussi en train de remplir le contrat
qui les lie à la nature environnante. Il me faudra
renouveler une prochaine fois cette tentative, et
revenir sur ces terres qui n’ont pas fini de me révéler tous leurs mystères.
Marcus Boni Teiga
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
69
carnet de route
Y ALLER ■ Air France propose quatre vols par
■ Afrique
Destinations
Fondé en
février 2005,
ce magazine est
le premier mensuel
béninois consacré
au tourisme
et à la culture.
Réalisé à Cotonou,
il met l’accent
sur les enquêtes
et les reportages
qui permettent
de découvrir
les traditions
de l’Afrique
subsaharienne.
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
semaine au départ de Paris à destination de
N’Djamena à partir de 1 500 euros. Depuis la
capitale tchadienne, on peut se rendre à Léré
en cinq heures de taxi pour 10 000 francs CFA
(15 euros). Une agence de voyages installée à
N’Djamena (Africa Tours Tchad, tél : 00 235
51 87 27) organise également des visites.
Si l’aventure du taxi-brousse ne vous tente pas,
il est aussi possible de louer un véhicule toutterrain à N’Djamena. Plusieurs agences de location proposent leurs services, notamment Diagnose Autos.
SE LOGER ■ A Léré, non loin du lac, l’Hôtel du
lac Léré pr opose des chambr es entr e
10 000 francs CFA et 15 000 francs CFA par
nuit pour deux personnes. On peut également
loger chez l’habitant ou dans l’une ou l’autre
des auberges du coin.
SE RESTAURER ■ Les carpes du lac Léré, le
bœuf, le poulet accompagné de la “boule”
(pâte de mil) sont renommés dans cette région.
On peut aussi déguster dans les restaurants
locaux un excellent riz accompagné de poulet ou de pintade, ou encore de la soupe de
poisson. Ne manquez surtout pas la sauce aux
feuilles d’oseille accompagnant la “boule”
– mais vous ne la trouverez que chez l’habitant. Le bili-bili (bière de mil locale) est de bien
meilleure qualité ici que dans d’autres régions
d’Afrique. Avec un peu de chance, vous tomberez sur des réjouissances locales. La gastronomie y est une véritable invitation à la
découverte de la culture africaine.
À VOIR
■
Le départ et le retour des pêcheurs au bord du
lac Léré et le kaléidoscope chatoyant de la vie
qui s’épanouit sur ses rives.
■ Retrouvez tous nos Voyages sur
courrierinternational.com
12/09/06
16:26
Page 70
l e l i v re
épices & saveurs
●
UN THRILLER SPIRITUALISTE
Peter Høeg, le revenant
L’auteur danois le plus vendu au monde
après Andersen n’avait pas publié
depuis dix ans. Mais son nouveau roman
a agacé pas mal de critiques.
ARABIE SAOUDITE La kebsa
■
fait de la résistance
BERLINGSKE TIDENDE
Copenhague
u milieu de Den stille pige* [La petite fille
silencieuse], son nouveau roman attendu
depuis longtemps, Peter Høeg écrit que
beaucoup de gens dans cette vie pensent
avoir acheté des places pour une opérette de Gilbert et Sullivan, et découvrent, un peu tard, que
l’existence n’est qu’un morceau de musique triste
et décadent d’Alfred Schnittke.
Ce qu’on obtient en achetant le nouveau livre
de Høeg est au moins aussi déroutant et malheureusement beaucoup moins fascinant. Le lecteur
doit lire environ 200 pages avant que l’intrigue ne
se matérialise, et ce n’est qu’aux alentours de la
page 350 qu’il commence à s’y retrouver un peu
dans la trame décousue du livre.Tous les personnages restent jusqu’au bout des esquisses floues
d’hommes et de femmes aux bouches pleines de
références obscures.
La pilule aurait été moins dure à avaler si le
moteur du thriller – l’effet de suspense – avait agi
sur le lecteur. Mais, dans Den stille pige, cela n’arrive jamais ; et c’est là que l’on s’étonne et que
l’on se demande combien de fois, au cours des
dix dernières années, Peter Høeg a dû mettre
au rebut ce monstrueux manuscrit. Que diable
essaie-t-il de nous dire ?
Nous sommes à Copenhague, à notre époque.
Un séisme a frappé le centre, qui a été évacué, et
l’état d’urgence a été instauré. En marge de ce
séisme, nous rencontrons Kasper Krone, artiste de
cirque mondialement connu, joueur de poker et
musicien – un homme dont l’ouïe extraordinaire
est capable de capter à distance aussi bien l’atmosphère d’une pièce (“pastorale,vert clair,en fa majeur,
comme dans la 6e Symphonie de Beethoven”) que
l’âme et la sexualité de ses semblables. Kasper,
42 ans, célibataire et sans enfants, est depuis longtemps fatigué de vivre une vie de saltimbanque. Il
est de retour au Danemark, où son père, atteint
d’un cancer, est mourant. Il a annulé tous ses
contrats à l’étranger. Quand, un jour, Kasper rencontre KlaraMaria, 10 ans, une profonde nostalgie naît soudain en lui, qui le rend encore plus
sensible à la part divine de l’existence.
La silencieuse KlaraMaria, qui se trouve avoir
des dons de voyance, prend des cours particuliers
avec Kasper afin de stimuler ses pouvoirs surnaturels. Ce ne sont pas ses parents mais des étrangers qui l’y amènent. Ces gens, qui s’avèrent avoir
de mauvaises intentions, ont kidnappé plusieurs
autres “enfants silencieux” dans le but de se servir
de leurs dons extraordinaires pour lire l’avenir et
essayer de prédire les futurs séismes à Copenhague,
voire les déclencher et influer ainsi sur les prix
du foncier et de l’immobilier dans la capitale et sur
le marché des options, dont un grand syndicat du
A
■
Biographie
Peter Høeg est né
à Copenhague
en 1957. Il débute
en 1988 avec le
roman L’Histoire
des rêves danois.
Très vite, il devient
un véritable
phénomène
littéraire, et ses
œuvres paraissent
dans une trentaine
de pays (dont la
France, aux éditions
du Seuil). Smilla et
l’amour de la neige
(1992) est porté
à l’écran par Bille
August en 1997.
En 1996, la parution
de La Femme
et le Singe
déclenche une
polémique
sur les qualités
du romancier
et sur son honnêteté
intellectuelle.
La même année,
Peter Høeg disparaît
de la vie publique.
Ce silence qui aura
duré presque dix
ans alimente toute
une série
de spéculations
à son sujet. L’année
dernière, une
journaliste suédoise
le retrouve dans
un centre
de développement
spirituel, dans
la petite ville
de province où il vit
depuis dix ans.
Il lui laisse entendre
qu’il travaille
sur le manuscrit
d’un nouveau
roman. Ce sera
Den stille pige,
paru en mai
au Danemark.
es bouis-bouis populaires n’ont plus le monopole de la kebsa, le plat traditionnel saoudien par excellence. Ils subissent de plus
en plus la concurrence des fast-food à l’occidentale, qui l’ont adoptée pour faire authentique.
Et les grands restaurants classiques se mettent
eux-mêmes à en proposer. Plat de pauvre, la
kebsa devient – comme les dattes – une nourriture appréciée des classes favorisées. C’est
surtout en été, à la saison des mariages, que
les commandes explosent.
Nos ancêtres mijotaient leur kebsa sur des
braises de palmier pendant au moins deux
heures. Aujourd’hui, on la prépare plutôt dans
des récipients métalliques qui peuvent atteindre
jusqu’à un mètre et demi de longueur et quatrevingts centimètres de large.
Traditionnellement, la kebsa est faite de riz auquel
on ajoute de la viande de mouton, mais il est de
plus en plus fréquent d’y trouver du poulet.
Le plus souvent, on la prépare avec du beurre
ou des graisses animales, mais les huiles végétales sont préférables afin d’éviter des excès
de cholestérol et de sucre, principales causes
de l’obésité. Selon la nutritionniste Rim Salman, la kebsa est un plat équilibré à condition
de le servir avec des légumes et de… ne pas
trop en manger ! Si nos ancêtres en consommaient abondamment, ils ne disposaient pas
d’autant de confort que nous et ils avaient surtout beaucoup plus d’activité physique. Mais
les adeptes de la kebsa restent sourds à ces
mises en garde et tiennent à la tradition, considérant qu’elle nuit moins à la santé que la restauration rapide occidentale.
L
Niels Hougaard/Ekstra Bladet/Abaca
828p70
crime (en guerre contre l’Etat et les caisses de
retraite) est en train de prendre le contrôle.
Il s’agit donc de big business, n’impliquant pas
seulement la Bourse et les banques, la police, le
ministère de la Justice, celui des Finances et les services de renseignements, mais aussi les milieux religieux de Copenhague et de sa région. Nous ne
sommes donc pas très loin de la conspiration haute
en couleurs et codée qui constitue la formule des
best-sellers à la Dan Brown.
Le problème, dans le roman de Høeg, c’est
qu’aucun contrat n’est établi entre l’auteur et le
lecteur. Au lieu de cela, il y a en arrière-plan un
bavardage incessant, et rien ne permet de souffler un peu dans cette histoire qui semble ne jamais
vouloir prendre fin. Il y a quelques rares perles,
comme : “La véritable liberté est d’être dispensé de
choisir parce que tout est déjà parfait” ou “L’amour
n’est jamais sans condition ;il y a toujours quelque chose
d’écrit en tout petits caractères”. Mais, le plus souvent, ce bavardage aphoristique donne des expressions métaphoriques du type : “La prière est comme
un bateau de lucidité en papier naviguant sur un flot
fatigué de laïcité.”
Une chose est sûre, en tout cas : le roman de
Høeg traite moins de la petite KlaraMaria que d’un
artiste d’âge moyen, Kasper Krone, qui a volontairement fait ses adieux au grand art pour s’adonner au silence et à une vie moins active, plus simple,
mais consacrée à l’esprit. Sans doute est-ce assez
proche de la vie de Høeg. Un silence littéraire de
dix ans imprime forcément sa marque à une œuvre.
Den stille pige aurait pu être le come-back réussi
que la plupart d’entre nous auraient souhaité au
sympathique et humble Peter Høeg. Mais beaucoup de lecteurs, me semble-t-il, seront très déçus
par son thriller spiritualiste, une œuvre qui ne peut
– et ne veut ? – masquer le fait que l’auteur s’est
perdu dans sa quête intérieure.
Jens Andersen
* Ed. Rosinante, Copenhague, 2006. Pas encore traduit en
français.
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
70
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006
Kebsa (pour 7 personnes)
Ingrédients ■ 1 kg de riz, 1 kg de mouton ou
de poulet, 5 grosses tomates, 1/2 litre de
beurre fondu ou d’huile, 5 oignons, 4 citrons
séchés, 4 piments rouges piquants, 3 bâtons
de cannelle, 5 à 10 grains de cardamome,
3 feuilles de laurier, 1/2 cuillerée à soupe de
safran, 2 cuillerées à soupe d’eau de rose,
du sel.
Préparation ■ Laisser tremper le riz dans de
l’eau tiède pendant une heure. Couper la
viande en petits dés, les faire revenir brièvement dans la graisse. Hacher les oignons,
les faire dorer. Placer la viande, les oignons
et les tomates finement coupées dans une
casserole. Couvrir d’eau et laisser cuire à feu
doux pendant une heure. Assaisonner, ajouter la cardamome, la cannelle, le citron, le
laurier et le piment, remuer. Mettre le riz dans
une casserole suffisamment grande, ajouter
l’eau de rose et le safran, remuer. Poser pardessus la viande avec son jus, laisser cuire
à couvert et à feu doux jusqu’à cuisson complète du riz.
Mohammed Mleifi et Abdallah Al-Salman,
Al-Watan (extraits), Abha
*828 p71
12/09/06
19:10
Page 71
insolites
●
Au Kenya, on prend le viol à bras-le-corps
En Vision Marketing group
F
elle peut se servir de sa morve pour l’aveugler. Elle
peut aussi utiliser de la boue ou du sable.”
Depuis la création de l’association en 1998,
suite à un viol particulièrement sauvage dans
la ville natale de Bomba, Eldoret, à l’ouest
du Kenya, le g roupe a for mé environ
350 000 jeunes à l’autodéfense.
“Cet homme, c’est un meurtrier, c’est le sida, c’est
tomber enceinte, c’est comme ça qu’il faut le voir.”
Les élèves de Bomba estiment que les cours
portent leurs fruits. En juillet, Molly Adhiambo
s’est retrouvée face
à deux hommes armés. Elle a bondi
hors de sa voiture,
a donné un coup
de coude dans le
ventre d’un de ses
agresseurs et a appelé à l’aide.
“D’habitude, à Nairobi, on ne résiste pas
à ses agresseurs”, explique cette femme de 41 ans. “Je
ne l’aurais pas fait si
je n’avais pas été sûre
que je pouvais leur faire mal.”
Plus les filles sont jeunes, plus elles risquent de
se faire violer. Pourtant, dans le bidonville tristement célèbre de Kibera, une fillette de 8 ans,
qui avait suivi la formation de Dolphin, a réussi
à repousser son assaillant en lui plantant les
doigts dans les yeux.
L’autodéfense ne doit être utilisée qu’en dernier recours, insiste Duncan Bomba, qui
consacre la moitié de ses cours à apprendre à
ses élèves à éviter les situations dangereuses,
comme se promener seule la nuit ou monter
en voiture avec des inconnus.
Mail and Guardian (extraits), Johannesburg
Reuters
aut lui arracher les yeux, le frapper entre les
jambes”, crie le karateka à son auditoire. Deux cents petites Kényanes, éberluées, le regardent fondre sur son partenaire, qui joue le rôle du violeur. Deux élèves
en uniforme bleu marine et blanc, cheveux bien
tressés et chaussettes jusqu’aux genoux, tentent timidement de mettre en pratique les mouvements enseignés par Duncan Bomba, qui
a repris le rôle de l’agresseur. Sous les rires
et les applaudissements bruyants de ses camarades, les deux
filles réussissent à
se débarrasser de lui.
Dans un pays où, selon les militants, une
femme est violée
toutes les demiheures, un nombre
croissant de femmes
et de jeunes filles
kényanes apprennent
à se défendre contre
ces agressions. “C’est
un nouveau concept”,
explique Duncan
Bomba à l’agence
Reuters, juste avant de commencer son cours
dans une école primaire de Nairobi. “Ça semble
bizarre, mais nous avons réussi à faire baisser le
nombre de viols.”
Duncan Bomba est à la tête de l’association
Dolphin, la seule, selon lui, à enseigner l’autodéfense aux femmes pour qu’elles puissent
se protéger de leurs agresseurs. Le groupe intervient dans tout le pays, dans les écoles, les
églises et les associations de femmes, où il
enseigne les arts martiaux, les bases de la lutte
et le bon sens. “Nous leur montrons comment utiliser ce qu’elles ont sous la main pour frapper leur
agresseur,explique Bomba. Si une fille a le rhume,
Horror vacui
Vous faites le pied de grue entre deux chariots de supermarché ? C’est du temps
de cerveau disponible. La pub investit les tapis roulants des caisses de supermarchés. Une société américaine a breveté un système permettant d’y imprimer directement des photos hautes définition. “Prenez une supérette [sans pub]
de huit à dix caisses : c’est 30 mètres carrés de support publicitaire gâché”,
indique le président d’EnVision Marketing Group, Frank Cox. Le système est
d’ores et déjà testé dans l’Ohio, l’Arkansas, le Mississippi et le Tennessee, indique
Advertising Age Magazine.
C’est le bouquet
Du balai
e sommelier n’a pas de papilles gustatives, mais il peut distinguer une
trentaine de cépages. Il analyse
le vin du bout de son bras
gauche, doté d’un capteur à infrarouges. D’une voix enfantine, il
annonce “chardonnay” ou “chiraz”, commente le goût du vin
testé – moelleux ou plein en
bouche –, et recommande tel ou
tel met en accompagnement.
Le robot-œnologue conçu par les
chercheurs nippons du laboratoire
de NEC System Technologies et
de la Mie University identifie les
composés organiques du vin en
trente secondes. Chaque cépage a sa
composition chimique, mais les variations d’empreinte spectrale d’un vin à
l’autre sont infimes. “C’était un vrai défi.
Les différences que détecte le robot sont très subtiles”, commente Hideo Shimazu, de NEC Sys- Shizuo Kambayashi/Ap-Sipa
tem Technologies. L’analyse se fait sur des échantillons, mais, à
terme, il ne sera pas nécessaire de déboucher les bouteilles. Une
aubaine pour les douaniers et les négociants, qui pourront ainsi
contrôler les appellations et détecter d’éventuelles fraudes – même
si la machine est encore loin de pouvoir identifier les milliers de
variétés existant sur le marché. Outre le vin, ce “nez” peut identifier différents fromages et distinguer la plus sucrée de trois pommes
sans en manger une bouchée. En matière de charcuterie, il lui reste
quelques progrès à faire : il a confondu la main d’un journaliste avec
du jambon, et celle d’un cameraman avec du bacon.
(Mainichi Daily News, Tokyo, New Scientist, Londres)
la demande de la Commission pour la
promotion de la vertu et de la prévention du vice, les autorités saoudiennes
ont interdit la vente de chats et de
chiens, rapporte ArabNews. Les jeunes gens
qui, “sous influence occidentale”, se promè-
C
A
nent dans la rue avec leurs quadrupèdes violent la culture et les traditions du royaume,
estime la police religieuse. Cette dernière a
ordonné la fermeture définitive de l’ensemble
des animaleries et cliniques vétérinaires de
Djeddah.
Vikings
Le roi de Norvège se rendra en Irlande le 17 septembre prochain. C’est la première fois qu’un souverain
norvégien se rend sur l’île en voyage officiel – “hormis une visite non sollicitée il y a mille deux cents
ans”, écrit The Irish Times.
COURRIER INTERNATIONAL N° 828
71
DU 14 AU 20 SEPTEMBRE 2006