Al-Ahram Hebdo - Rennes Egypto
Transcription
Al-Ahram Hebdo - Rennes Egypto
Béatrix Midant-Reynes, nouvelle directrice de l’Institut Français d’Archéologie Orientale (IFAO), un des premiers instituts d’archéologie, fondé en 1880 par Gaston Maspero, évoque les perspectives qu’envisage l’institut. Entretien. « L’avenir de l’archéologie égyptienne doit être construit avec sa jeunesse » Al-Ahram Hebdo : Quelles sont les priorités qu’envisage l’IFAO ? Béatrix Midant-Reynes : On doit établir une politique scientifique sur 4 ou 5 ans. L’IFAO arrive à un renouvellement du contrat avec le ministère français de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Nous sommes en train de travailler à développer des axes scientifiques prioritaires. Autrefois, la recherche était beaucoup plus individuelle. Aujourd’hui, ça ne marche plus comme ça. La recherche est un travail collectif programmé et budgétisé. Il faut monter d’abord des problématiques de recherche, et sur ces problématiques on monte des équipes mixtes en collaboration avec le CSA, les universités, le CNRS … C’est une chose qui est beaucoup plus systématisée. Avant, la recherche était individuelle et beaucoup moins chère aussi. L’IFAO développe donc des axes prioritaires pour les cinq prochaines années. Parmi ces priorités, « les milieux et le peuplement » avec des thèmes sur l’archéologie des déserts qui sont nourris par des sites comme les fouilles que nous conduisons depuis longtemps dans le bassin sud de Douch, à l’Oasis de Kharga. On a un autre axe sur le peuplement dans la vallée du Nil. On a aussi un programme sur les écritures, les langues ou les corpus ; et un autre programme sur le dictionnaire informatisé de l’arabe égyptien, sur lequel travaillent des informaticiens, des mathématiciens et des linguistes. Ce sont donc des équipes mixtes de recherches avec une véritable programmation. — Quelles sont les plus importantes découvertes annoncées par l’IFAO ? — L’IFAO tient une vingtaine de chantiers de fouilles archéologiques qui se développent sur le territoire égyptien depuis la préhistoire (7 000 ans avant notre ère) jusqu’à l’époque islamique. Il y a eu beaucoup de belles découvertes. Citons les fouilles franco-égyptiennes de Aïn Al-Sokhna, avec la découverte des bateaux qui servaient dans les expéditions vers les pays de Pount, et des fours qui servaient à fondre le cuivre. Je pense que c’est une découverte très importante. Une autre découverte importante datant de la 1re dynastie égyptienne se trouve à Serabit Al-Khadem dans le Sinaï et qui montre que dès le début de l’Egypte ancienne, les premiers pharaons allaient très loin dans le Sinaï. Un chantier également important est celui de la muraille du Caire qui permet de mieux comprendre l’histoire de la ville. Il y a aussi des programmes de recherches qui sont importants avec de nouvelles données, comme celui fait à Douch sur « la relation entre l’homme et l’eau de la préhistoire jusqu’à l’époque romaine ». On peut aussi citer les travaux de Ballat qui continue de donner une richesse extraordinaire montrant l’établissement du pouvoir pharaonique à la porte du désert. En effet, c’est difficile pour un archéologue de dire ce qui est plus important. C’est comme si vous demandiez à une mère : quel est l’enfant que vous préférez ? — Est-ce que IFAO emploie des jeunes archéologues égyptiens ? — L’IFAO a aussi un rôle de formation. On favorise sur nos chantiers la venue de jeunes étudiants égyptiens en archéologie. Cette année par exemple, à Douch, on avait un doctorant égyptien qui travaillait avec nous sur le chantier. On est aussi attentif à la formation des inspecteurs égyptiens qui travaillent avec nous, quand ils le souhaitent. Je pense que c’est très important. Il y a des gens très compétents au Conseil Suprême des Antiquités (CSA). Je vais vraiment conduire une politique plus forte de formation, offrir des terrains de fouilles et de formation archéologiques à de jeunes Egyptiens, parce que l’avenir de l’archéologie égyptienne doit être construit avec sa jeunesse. Je voudrais vraiment offrir à des archéologues un terrain de formation sur nos chantiers. Cela fait partie de mon plan. J’ai beaucoup d’ambitions. — Quelles sont donc vos autres ambitions ? — Développer des axes scientifiques forts pour faire que l’IFAO soit dans les quelques prochaines années un pôle scientifique d’excellence, et que ce développement se fasse en collaboration avec l’Egypte, autant le CSA que les universités égyptiennes. C’est déjà une grande ambition. — Les publications de l’IFAO sont très spécialisées, ne pensez-vous pas faire des publications destinées au grand public comme l’AUC ? — Les points forts de l’institut sont l’imprimerie et la bibliothèque qui est une des grandes bibliothèques d’archéologie en Afrique évidemment, et même une des plus importantes dans le monde, avec des documents précieux comme La Description de l’Egypte, et d’autres publications plus anciennes qui sont considérées comme des bijoux. L’imprimerie de L’IFAO va acquérir une presse numérique en couleur. C’est un investissement et un développement qui permettront de publier plus d’éditions et de séries et de s’ouvrir vers un grand public. C’est vrai que nos publications sont très spécialisées. Nous avons des revues de très haut niveau scientifique et il faut garder ça, c’est très important. Mais je pense qu’il faut effectivement s’ouvrir à un plus large public. Cette idée était même évoquée lors du précédent mandat. — Combien de volumes publiez-vous par an ? — On publie environ 25 volumes par an. Ceux-ci sont très spécialisés, la plupart sont sur les fouilles des chantiers de l’IFAO, mais on publie aussi des colloques internationaux, en général avec la participation de l’IFAO. On peut aussi publier des études faites par des collègues égyptiens ou étrangers. On publie aussi des revues comme celle des études arabes Les annales islamologiques et BIFAO. Avec la nouvelle presse numérique, on espère donc augmenter la production. — Nous sentons que le travail de l’IFAO est un peu politisé ... — L’IFAO est un établissement autonome. Le directeur porte son projet devant le ministère qui donne une enveloppe budgétaire globale. Et c’est le directeur, aidé par tous les collaborateurs administratifs et scientifiques, qui décide de la politique. On peut même chercher ailleurs du financement, du sponsoring pour nos projets. On peut doubler le financement. Là on est libre. Le ministère doit juste donner de l’argent et c’est pareil partout. — Les colloques de l’IFAO ne sont pas annoncés au grand public, est-ce une politique de l’institut ? — Ce sont en général des colloques réservés à des scientistes de haut niveau. Ce ne sont pas des colloques ouverts au public. Le public peut assister, mais il n’est pas intéressé. On fait des annonces mais pas pour un large public. — Après plus de 100 ans de fouilles, qu’a présenté l’IFAO à l’Egypte ? — Les Français et les Egyptiens sont l’histoire de l’égyptologie. L’IFAO travaille en Egypte depuis plus d’un siècle. L’IFAO a apporté beaucoup de choses à l’Egypte, et l’Egypte a porté aussi des choses à l’IFAO. C’est un peu une histoire d’amour. L’IFAO a porté beaucoup de fouilles archéologiques de grande qualité comme celles de Deir Al-Medina, les travaux de l’épigraphie des grands temples ptolémaïques d’Esna, Kom Ombo, Dendérah … Donc, ce que l’IFAO a porté à l’Egypte c’est un siècle de fouilles, de découvertes nouvelles, de techniques nouvelles, un point d’accueil avec sa bibliothèque de publications … et maintenant, c’est grâce au laboratoire de Carbone 14 que le CSA bénéficie de grands avantages pour les datations de ses chantiers. C’est une histoire tout à fait croisée entre l’IFAO et l’Egypte. L’IFAO était une plaque tournante de logistique d’une part, mais de réflexions et d’études d’autre part, qui a aussi permis à des chercheurs égyptiens de trouver un accueil, d’aller se former en France. Donc, l’IFAO est à la fois un pôle d’accueil, de transmission de savoir, d’évolution des techniques au service de l’Egypte et de l’égyptologie. Propos recueillis par Amira Samir © AL-AHRAM Hebdo http://hebdo.ahram.org.eg/arab/ahram/2010/12/29/voy1.htm