Les équipementiers automobiles agissent : qualité du travail

Transcription

Les équipementiers automobiles agissent : qualité du travail
Colloque interrégions ARACTs Picardie, Nord-Pas de Calais, Champagne
Ardennes, Haute-Normandie et Ile de France
Les équipementiers automobiles agissent :
qualité du travail et qualité de l’emploi quels
leviers pour les entreprises ?
Sommaire
OUVERTURE
2
L’origine du partenariat ARACT/FIEV
2
L’état des lieux et les enjeux
5
ATELIER 1 : INTEGRER L’ERGONOMIE DANS LA CONCEPTION DES SYSTEMES DE
PRODUCTION
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ATELIER 2 : INVESTIR DANS UNE PREVENTION DURABLE DES RISQUES
PROFESSIONNELS
27
ATELIER
3:
DEVELOPPER
LES
L’EMPLOYABILITE DES SALARIES
COMPETENCES
POUR
AMELIORER
49
RESTITUTION DES TROIS ATELIERS PAR LES EXPERTS ET ECHANGES AVEC LES
PARTICIPANTS
68
TABLES RONDES
73
SYNTHESE ET PERSPECTIVES
88
INTERVENTIONS DE CLOTURE
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Paris, le 12 mars 2009
1
Ouverture
L’origine du partenariat ARACT/FIEV
Sophie SAVEREUX, directrice, ARACT Ile-de-France
J’invite Jacqueline Laire, Marinette Soler et Hervé Coquet à me rejoindre afin de
présenter l’origine de ce partenariat entre les ARACT du nord de la France (Nord-Pas-deCalais, Champagne-Ardenne, Haute-Normandie, Picardie et Ile-de-France) et la FIEV.
Hervé Coquet, vous êtes DRH de la FAVI, entreprise connue en Picardie pour avoir
réalisé une grande réussite économique en mettant l’humain au cœur de son
management. Vous êtes également président du comité d’orientation de l’ARACT de
Picardie. Comment ce partenariat a-t-il émergé ?
Hervé COQUET, directeur RH, FAVI
Ses origines remontent à plus de seize mois. A cette époque en effet, notre entreprise a
rencontré pour la première fois quelques difficultés dans le domaine des TMS. Nous
avons donc cherché des pistes pour solutionner ce problème. C’est dans ce cadre qu’un
partenariat est né avec l’ARACT de Picardie. Or nous ne pouvions nous limiter à notre
territoire, et, puisque nous sommes adhérents à la fédération des équipementiers de
véhicules, nous nous sommes immédiatement tournés vers Jacqueline Laire, afin de
nous associer dans une démarche de benchmarking, réunissant la FIEV, les
équipementiers et les ARACT autour de la prévention des risques professionnels.
Jacqueline LAIRE, directrice RH, FIEV
Nous entretenons des liens très forts avec nos équipementiers, et multiplions les
réunions, les groupes de travail et les commissions. Lorsque Hervé Coquet a émis cette
proposition, j’ai donc senti une opportunité des plus intéressantes pour les acteurs
locaux. Une étude sur les conditions de travail, ainsi que sur les TMS, me semblait de
surcroît pertinente. Au-delà de ces aspects, l’employabilité des salariés nous intéressait
au premier chef, car chacun sait que les problèmes liés à leur longévité vont s’accroître,
tant dans les unités de production que dans les fonctions support. Il est donc important
de traiter ces questions en amont.
Par ailleurs, j’ai l’habitude de travailler dans la durée, et non par à-coups. Cette première
rencontre a ainsi constitué une première étape, qui m’a fait, je dois l’avouer, redécouvrir
les ARACT. Ensuite, lors de la journée sociale qui s’est déroulée le 25 septembre dernier,
nous avons commencé à planter les jalons de ce que seront ces contacts. Selon moi,
nous sommes réunis aujourd’hui pour le lancement de ces rencontres et de ces pratiques
que nous échangerons et déclinerons.
Paris, le 12 mars 2009
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Sophie SAVEREUX
Il me semble que cette opération s’inscrit pour vous dans le cadre des projets du
développement durable.
Jacqueline LAIRE
Tout à fait. Nous avons de fait à cœur de prolonger la vie des entreprises, ce qui englobe
des salariés, des fournisseurs, des clients, etc. Nous avons ainsi lancé une opération
originale, au sein de la FIEV, autour du développement durable. Pour la première fois en
effet, une organisation professionnelle s’y intéressait au-delà de ce qu’on entend
fréquemment sur le sujet. Ce projet consistait à conjuguer l’économique, le social et
l’environnemental dans une gouvernance efficace et impulsant l’ensemble des acteurs.
Mais le développement durable nécessite également une poursuite du travail des salariés
dans les meilleures conditions sanitaires possibles.
Sophie SAVEREUX
Madame Soler, vous êtes présidente de l’ARACT d’Ile-de-France, mais vous représentez
les cinq ARACT aujourd’hui.
Marinette SOLER, présidente, ARACT Ile-de-France
Bonjour à tous. Je représente également la CFDT d’Ile-de-France dans ce conseil
d’administration. J’expliquerai brièvement le rôle des ARACT et celui du réseau qu’elles
forment avec l’ANACT. Généralement, les ARACT sont des associations paritaires de loi
1901, et sont gérées par des partenaires sociaux. Elles sont financées par l’ANACT, bien
entendu, mais aussi les Conseils régionaux et des fonds européens, tel que le FSE.
L’ANACT est, quant à elle, un établissement public sous la tutelle du Ministère du Travail,
et le réseau qu’elle forme avec les ARACT a pour mission d’aider les partenaires sociaux,
les directions et les salariés à améliorer les conditions de travail au sein de l’entreprise
tout en maintenant la performance économique de celle-ci. Il les aide aussi dans leur
recherche de projets innovants. Ces missions sont menées par différents outils, telles
que l’intervention dans l’entreprise, la capitalisation ou la diffusion des expériences. C’est
d’ailleurs dans ce dernier cadre que s’inscrit ce séminaire, au cours duquel vous
échangerez vos bonnes pratiques. Bien entendu, il sera suivi par des initiatives régionales
touchant cette problématique.
Selon nous, les nombreuses difficultés économiques et sociales, particulièrement
sensibles depuis quelque temps, soulèvent des enjeux, concernant notamment la lutte
contre l’usure professionnelle, les risques psychosociaux, et l’employabilité des salariés,
cruciale alors que s’allonge la vie active et que les métiers évoluent. Ces enjeux
concernent donc également les seniors et sont tous très importants pour le réseau
ANACT-ARACT, d’autant plus que nous sommes tous complémentaires. Ainsi, dans ce
secteur des équipementiers, l’Ile-de-France compte plus de sites consacrés à la
recherche et au développement qu’à la production, contrairement aux autres ARACT.
Nous pouvons cependant disposer de bassins communs, et la complémentarité entre
toutes ces ARACT est donc importante.
Paris, le 12 mars 2009
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Enfin, il est intéressant de travailler en commun avec des partenaires reconnus dans le
secteur, comme la FIEV, ou d’autres, présents dans cette salle. En effet, le travail en
solitaire ne présente aucun intérêt. Nous œuvrons donc avec d’autres partenaires qui
représentent les entreprises et les salariés. Je terminerai en remerciant, au nom de
l’ensemble des ARACT, Nathalie Juran, de l’ARACT Picardie, et Yves Badoual, de celle
d’Ile-de-France, qui ont organisé ce séminaire.
Sophie SAVEREUX
Vous avez évoqué le partage des expériences et des pratiques, qui nous occupera
aujourd’hui. Nous partirons ainsi d’exemples positifs, pour inciter à les suivre. Je tenais
donc à remercier toutes les entreprises qui se sont prêtées à ce jeu. Que diriez-vous,
Monsieur Coquet, de la vertu du témoignage des pairs pour que d’autres en fassent
autant, peut-être dans la perspective d’une ouverture régionale ?
Hervé COQUET
« Seuls ceux qui sortent s’en sortent » : cette phrase pourrait être la devise de notre
entreprise. Partageons donc nos bonnes pratiques. D’ailleurs, notre entreprise présentera
dans quelques instants un témoignage mettant en lumière une certaine philosophie de
l’accompagnement et de la participation totale. Nos opérateurs, d’une grande qualité,
sont ainsi au cœur de la progression de notre entreprise, en matière d’amélioration
continue, ou de conduite de chantier. En effet, il me semble que nous, équipementiers
automobiles, sommes tous certifiés ISO, ou ILO-OHS, que ce soit dans le domaine de la
qualité, de la sécurité ou de l’environnement. Nous entendons améliorer notre
productivité, tout en favorisant l’épanouissement de nos opérateurs au sein de nos
entreprises ainsi que leurs conditions de travail. En effet, c’est de cette manière que nous
progressons et parvenons à conquérir de nouveaux marchés. Pour autant, il ne s’agit pas
de calquer les bonnes pratiques qu’ont pu développer nos collègues, mais plutôt de les
partager. Voilà notre souhait aujourd’hui.
Sophie SAVEREUX
Effectivement, tel est l’objectif de cette journée, et nous espérons que le résultat sera au
rendez-vous.
Madame Soler, vous avez souligné que les ARACT faisaient partie d’un réseau national
animé par l’ANACT. J’en profite pour la remercier de son appui.
Paris, le 12 mars 2009
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L’état des lieux et les enjeux
Sophie SAVEREUX
Il n’aura en outre échappé à personne que le secteur de l’automobile connaît aujourd’hui
quelques tensions, ce qui rend encore plus actuel le sujet qui nous préoccupe. Abordons
ainsi à présent ces questions économiques et sociales, en compagnie de Jacques
Monnet, délégué général de la FIEV, et Jean-Baptiste Obeniche, directeur général de
l’ANACT.
Jacques MONNET, délégué général, FIEV
Je salue tout le monde, les visages connus et les visages moins bien connus.
Comme il y a une majorité, quand même, de visages qui ne me sont pas très connus, j'ai
souhaité, peut-être, rappeler un peu ce que représente la FIEV. La FIEV représente les
équipementiers automobiles, puisque c'est la fédération des industries d'équipements
pour véhicules. Notre organisation professionnelle ne se définit pas comme une
organisation professionnelle d'un métier, mais comme une organisation professionnelle
d'un marché. Nous sommes dédiés à la fourniture d'équipements. Cela représente 120
groupes adhérents, qui, à eux tous, représentent de l'ordre de 80 %, de l'équipement
automobile en France, puisque nul n'est obligé d'adhérer à la FIEV, et nous nous
attachons tous les jours à mériter le fait que l'on ait envie d'adhérer chez nous.
Ces 120 groupes adhérents représentent environ 23 milliards d'euros de chiffre d'affaires,
et 114 000 personnes, à la fin 2007. Malheureusement, je crains que ces chiffres soient
plus bas à la fin 2008. Ils ne sont pas encore connus, mais ils le seront certainement.
Nous avions d'ailleurs à ce sujet, (juste une petite remarque collatérale), fait évaluer en
2004 les besoins en recrutement et en formation de la période 2005-2010, et nous avions
à l'époque, même dans un scénario raisonnable, évalué que nous descendrions de 124
000 personnes, que nous étions à la fin 2004, à environ 100 000 personnes à la fin 2010.
Nous avions bien envisagé qu'il y aurait des problèmes de réduction d'effectifs, puisque
les moteurs de croissance tombaient un peu en panne : c'était les volumes de production
des véhicules en France, les volumes de transfert, disons, des constructeurs, des tâches
préalablement faites à l'intérieur des usines des constructeurs vers leurs fournisseurs, et
le troisième, qui était l'augmentation du contenu des véhicules, puisque chacun d'entre
vous sait que le véhicule qu'il a acheté cette année pour aider l'industrie à se sortir de
l'ornière a beaucoup plus de richesse à prix égal, en euro constant, que les véhicules
conçus il y a dix ou vingt ans. Les moteurs de décroissance, qui étaient une certaine
délocalisation, d'une part, et aussi, une productivité continue, malheureusement, ces
deux moteurs-là ont conservé une certaine motricité tandis que les moteurs de
croissance, eux, ont perdu de leur motricité. Donc, au bilan, on savait que la chute était
inéluctable, et on pensait pouvoir mieux l'accompagner, la contrôler. On a parlé
d'employabilité ; on y reviendra tout au long de cette journée, et malheureusement, la
crise que nous vivons à l'heure actuelle a un peu accéléré, à la fois les risques, et,
j'espère aussi, dégagé un certain nombre d'opportunités que l'on va tâcher d'évaluer.
Paris, le 12 mars 2009
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La FIEV (pour en terminer juste sur cette publicité, ces quelques éléments de publicité de
la fédération), c'est 26 permanents qui représentent autant d'expertises, c'est 1 000
personnes qui fréquentent 90 commissions et groupes de travail, et c'est 10 000
personnes qui fréquentent notre site Web d'une manière extrêmement continue.
Cela signifie que nous sommes en interaction en permanence avec le monde que nous
représentons. Ce monde n'a pas l'exclusivité d'ailleurs de l'industrie automobile ; nous
sommes en majorité représentants des rangs 1, des gens qui dédient leur activité à cette
activité. Je dis majoritairement, parce qu'il n'est pas obligatoire d'être uniquement en
rang 1 pour adhérer à la FIEV, mais disons que les rangs 2 et les rangs N, c'est-à-dire
ceux qui sont des fournisseurs de spécialité de pièces de composants, sont plutôt dans
d'autres fédérations de métiers, comme la plasturgie, la mécanique, le caoutchouc
polymère, etc., et que nous y sommes regroupés au sein d'un comité de liaison. A nous
tous, nous représentons les quelque 300 000 personnes qui livrent l'industrie automobile,
sachant que les constructeurs représentent quelque 180 000 personnes, et qu'au total,
nous sommes donc quelque 500 000 personnes à contribuer à la filière industrielle
automobile en France. La FIEV, nous nous définissons un peu comme la clé de voûte de
cet ensemble, entre les donneurs d'ordre constructeurs avec lesquels nous sommes en
interaction, et les sous-traitants, qui eux, ne consacrent pas leur vie à cette industrie, et
sont souvent d'ailleurs poly-industrie.
FAVI est un exemple, un excellent exemple. FAVI est passé de majoritairement non
automobile il y a quelques années, à majoritairement automobile aujourd'hui, si je ne me
trompe (il faut m'arrêter si je dis des bêtises). Le passage à cela, comme cela a été
évoqué tout à l'heure, c'est le passage à un mode d'organisation différent. C'est une
adhésion à un certain nombre de normes, puisque l'industrie automobile a des exigences
qui sont certes, pour une grosse part, celles de toutes les industries, mais aussi, pour
une part, spécifiques à la dureté de cette industrie, qui est extrêmement difficile.
A la FIEV, nous n'avons pas d'organisation régionale ; nous sommes des jacobins. Mais
comme des jacobins qui cherchent à être en résonance avec le pouls de leur industrie qui
est très diffusée, nous avons travaillé énormément notre interaction avec les groupes
représentatifs dans les régions, les ARIAS, les CARIAS, les pôles d'excellence
automobile, dont un des présidents est ici dans la salle, Oscar Rapp, pour le pôle
Champagne-Ardenne, toutes les organisations qui représentent d'une manière
transversale parfois ces industries que nous représentons dans les régions. Il y a 22
régions en France, peut-être 15, bientôt, si Monsieur Balladur réussit, mais dans ces 22
d'aujourd'hui, il y en a environ 8 qui sont très automobiles, et avec celles-là, nous avons
des liens très privilégiés, et je suis sûr que Jacqueline en parlera au niveau de la
déclinaison du pacte automobile et d'un certain nombre de choses de ce genre. Comme
elle m'a volé tout à l'heure ma ligne sur le développement durable, je ne veux pas lui
voler la sienne sur la déclinaison. Je peux remettre une couche sur le développement
durable ? Je peux ? J'ai le droit ? Très bien. Donc, nous cherchons à travailler et la
journée de l’ARACT aujourd'hui en est un des exemples, à travailler en interaction avec
les gens dont la vocation est de travailler les grands sujets que nous connaissons, nous,
au plan national, dans les régions.
Aujourd'hui, les Etats généraux qui se sont tenus et dont nous avons été un des gros
contributeurs le 20 janvier à Paris, l'ont redémontré d'une manière éclatante : notre métier
est dans une crise absolument inédite. Elle est inédite pour plein de raisons. Elle est
inédite parce qu'elle est de toutes les régions automobiles : l'Amérique du Nord, l'Europe
Paris, le 12 mars 2009
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de l'Ouest et même le Japon, qui, il y a quelques années, était considéré comme
inébranlable, indiscutable, sont en pleine refondation. Même les pays dans lesquels la
croissance était supérieure à 10 % par an dans nos métiers sont en pleine
reconfiguration.
Aujourd'hui, nous, nous considérons que la réponse à tout cela correspond à trois
échelles de temps principales, et cela, c'est vraiment un point extrêmement important
dans le guidage et les réflexions sur nos actions. Il y a une échelle de temps immédiate.
Cette échelle de temps, c'est d'éviter que la crise ne fasse sombrer, ne crée un collapsus
de la filière. C'est-à-dire qu'il faut traiter tous les problèmes de trésorerie, qu’il faut traiter
le maintien des compétences. La crise est aussi un accélérateur de décès pour des gens
qui étaient déjà fragilisés avant la crise, il ne faut pas se leurrer. Mais ce qu'il faut, c'est
que tout ce corps important, 500 000 personnes dont je viens de vous parler, soit encore
bien vivant dans la partie, pour bien bénéficier du rebond. L'échelle de temps numéro un,
c'est s'assurer qu'on traite violemment, fortement le court terme.
La deuxième échelle de temps, c'est de se dire (et là, j'ai une critique vis-à-vis des
pouvoirs publics et des médias dont je salue quelques représentants dans la salle) qu'il
ne faut pas créer l'illusion chez le consommateur. L'automobile est un bien de
consommation durable, comme le bâtiment. C'est-à-dire qu'en fait, en période de crise,
c'est le bien dont on pense pouvoir différer l'achat puisqu'on traite l'urgence. Si on est en
chômage partiel et qu'on a un tiers ou un quart de son salaire qui est amputé, ce n'est
pas le moment qu'on choisit pour acheter un logement ou une automobile. Par
conséquent, on sait fort bien qu'il faut, je dirais, éviter le mode panique, ne pas en
rajouter sur le mode panique. Or, aujourd'hui, en disant que le véhicule décarboné est
pour tout de suite, pour demain, les gens se disent : « je ne vais sûrement pas acheter un
véhicule carboné qui a encore un moteur thermique ou un moteur hybride, parce que je
ne saurais pas le revendre quand je voudrais le revendre d'occasion », voire même : « je
ne saurais même pas le nourrir parce que l'essence sera devenue stratosphérique ». Et
cela, c'est une illusion. A terme même assez lointain, il y aura toujours, dans certaines
applications, des véhicules carbonés, bien moins carbonés, bien plus efficaces. Et c'est
cette deuxième échelle de temps qu'il s'agit de bien gérer, c'est d'améliorer, de mettre
dans toutes les voitures (et ça, évidemment c'est un plaidoyer pro domo pour les
équipementiers qui contribuent à cela, pardonnez-moi), c'est de mettre dans toutes les
voitures les meilleures options qui, aujourd'hui, servent à réduire le CO2 et faire que ces
voitures-là, celles qui seront toujours là, même dans 50 ans, vivent bien et soient bien
développées, soient bien optimisées, mais en tout cas, que les gens les achètent, de
façon à ce qu'on puisse passer la période qui sépare le véhicule d'aujourd'hui du
véhicule décarboné, électrique, dans certaines applications de demain.
Et la troisième échelle de temps, c'est que malheureusement, quand on est dans un
cercle aussi vicieux qu'aujourd'hui, où le volume baisse, donc l'argent qu'on génère pour
investir à la fois dans les biens matériels et immatériels, (l'immatériel, c'est l'innovation, et
le matériel, c'est les machines), et bien volume, innovation et capital sont étroitement liés.
C'est du volume qu'on génère la capacité d'auto investissement qui va permettre
d'investir dans le capital mais aussi de payer la R&D qui va nous aider à générer ces
produits de demain et aujourd'hui, on est dans un cercle qui est un peu enrayé. S'il est
enrayé sur les véhicules normaux, évolutifs, à géométrie variable par rapport à la
géométrie d'aujourd'hui, eh bien il l'est encore plus pour générer les investissements de
rupture, les investissements qui permettront de créer une filière électrique, en Ile-deFrance ou ailleurs, une filière véhicules du futur, vraiment efficace. Et là, on a besoin de
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solliciter les pouvoirs publics, on a besoin de solliciter d'autres modes d'investissements
et de subventions, et c'est cette troisième échelle de temps que nous avons à gérer.
Donc, aujourd'hui, nous avons à gérer trois échelles de temps. Pour les récapituler :
•
l'urgence, pour empêcher le décès prématuré des gens dont on a besoin demain, et
de l'industrie dont on a besoin demain ;
•
l'échelle de temps numéro deux, c'est mettre le paquet, coaguler, agréger tout ce que
l'on sait faire pour que le véhicule de demain soit plus social et rentre dans le
développement durable qu'a souligné Jacqueline tout à l'heure, et je vais en remettre
une couche sur le développement durable ;
•
et la troisième échelle de temps, qui est de se donner les moyens, de ne pas oublier
que, dans l'affolement, on doit préserver et dégager les financements et les
compétences pour nous donner un futur à long terme.
Sur le développement durable, juste un mot tout de même. Cela fait partie de ces choses
dont on pourrait se dire : dans les temps d'urgence, on ne pense pas à ça ! Mais nous, à
la FIEV, on a dit : « non, on y pense, et on y pense très fort ». Et pendant deux ans, on a
travaillé à un kit. Un kit, c'est un vrai outil, c'est une trousse à outils d'autoévaluation et
de guidage dans l'action. Et cela, c'est extrêmement important. Et on l'a voulu, bien sûr,
reposant sur les trois pieds que sont le sociétal, l'environnemental et l'économique, mais
avec une gouvernance de l'entreprise et surtout une impulsion de l'entreprise. Et cela, à
mon avis, c'est très corrélé avec les ARACT et avec votre activité d'aujourd'hui.
Paradoxalement, dans les moments très difficiles, on déplore le chômage technique des
opérationnels liés à la production. Mais il y a aussi une espèce d'inactivité induite chez
les gens qui peuvent réfléchir et qui peuvent mettre en place des possibilités de
redéploiement. Et le développement durable est un cadrage, ainsi que d'autres types
d'actions, qui sont celles dont on va débattre aujourd'hui.
Pardonnez-moi, j'ai été peut-être un petit peu long, mais voilà.
Jacqueline LAIRE
Votre discours prend tout son sens pour des salariés et des entreprises qui connaissent
d’inédites turbulences, vécues d’ailleurs par les industriels ici présents. Mais dans ce
panorama troublé, il faut maintenir des zones d’espoir, des capacités de rebond, comme
cela vient d’être dit, ainsi que de l’optimisme. Dans une situation délicate en effet, les
enjeux de long terme doivent, non seulement être poursuivis, mais également émerger.
Malgré une antinomie de façade, il est nécessaire de garder foi en un avenir renouvelé et
revalorisé. Ce type d’opérations démontre ainsi que nous sommes certes orientés vers le
business et le développement, mais également vers la qualité des conditions de travail
des hommes et des femmes de nos entreprises.
Paris, le 12 mars 2009
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Jacques MONNET
Juste, un tout petit mot, peut-être, pour abonder dans ton sens, Jacqueline. Nous
travaillions déjà à l’attractivité de nos métiers de l’industrie en général et de l’industrie
automobile en particulier avant toute cette crise. Alors aujourd’hui, avoir besoin de
développer l’attractivité des métiers de l’automobile, je dirais que c’est encore plus
important qu’avant la crise. A cela près que j’ai entendu récemment Patrick Kron, le
Président d’Alstom, qui disait qu’il était obligé de recruter énormément à cause du tirage
en avant des grands chantiers TGV, etc., mais aussi, du nucléaire. Et on lui disait : « mais
n’avez-vous pas de crainte d’avoir des problèmes » ? Et il disait : « il y a beaucoup de
très bons ingénieurs qui étaient séduits par la BNP et la Société Générale jusque
récemment, et qui reviennent vers moi maintenant ». A quelque chose malheur est bon ;
on peut donc espérer que la crise dans les banques va nous ramener quelques excellents
cerveaux plutôt ingénieurs, mais qui s’étaient dévoyés vers les statistiques des golden
boys.
Sophie SAVEREUX
Monsieur Obeniche, que pouvez-vous nous dire de l’investissement durable dans le
facteur humain ?
Jean-Baptiste OBENICHE, directeur général, ANACT
La volonté qui vous anime m’impressionne énormément. Vous avez évoqué, Madame
Laire, une situation paradoxale, en opposant qualité de l’emploi et employabilité,
durabilité, etc., alors que nous traversons une crise sans précédent, qui va générer,
comme vous l’avez souligné, des faillites d’entreprises et des pertes d’emplois. Or
d’autres marchés connaissent une situation identique à la vôtre. Il est effectivement très
difficile, hormis pour certains experts, de faire comprendre rapidement en quoi les enjeux
de durabilité et d’immédiateté sont complémentaires. Malgré les soucis de trésorerie,
d’emploi et de carnet de commandes, vous prenez donc encore le temps de chercher
des pistes de dialogue et de travail afin d’accroître la durabilité professionnelle du corps
social de l’entreprise, ainsi que la qualité des conditions de travail, et de réduire le
nombre des maladies professionnelles. Il importe ensuite que ce message soit partagé
par d’autres secteurs, industriels et tertiaires, qui ressentiront bientôt eux aussi les effets
de la crise. Je tiens enfin à remercier les contributeurs de cette journée, qui prouvent que
l’on peut aujourd’hui se pencher sur des thèmes au cœur de l’entreprise, comme
l’investissement capitalistique, que vous avez cité, ou les compétences actuelles. Cellesci sont collectives, et non liées à un seul individu. Dans le secteur de l’équipement
l’automobile en effet, que pouvons-nous construire collectivement, afin que le travail de
demain puisse être effectué par les équipes actuelles ? Il faut donc inventer le marché du
futur, ce que vous faites aujourd’hui, malgré la période difficile que nous traversons. La
réunion des cinq ARACT, associations paritaires dirigées pare des associations de
salariés et des représentants d’entreprises, est d’ailleurs hautement symbolique. En effet,
ce travail d’aujourd’hui ne saurait être accompli uniquement par des dirigeants, mais de
façon concertée. Ce n’est que de cette façon que les réflexions et les opérations dureront
et aboutiront.
Paris, le 12 mars 2009
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J’estime également que les trois temps que vous avez mentionnés sont valables pour de
nombreux secteurs d’activités. Cette crise peut s’apparenter pour vous à une période de
combat, durant laquelle vous allez perdre des compétences, et réorganiser votre secteur
sans doute plus rapidement que prévu. Il vous faut donc vous intéresser de près à
l’organisation du travail, et à vos collaborateurs, qui sont tous concernés.
Ensuite, nous devons concevoir des systèmes de production qui intègrent le facteur
humain le plus complètement possible.
Enfin, la santé constitue l’enjeu essentiel. En effet, sans collaborateur en bonne santé,
aucun secteur ne pourra construire l’avenir. Il faut donc intégrer une prévention des
risques professionnels, physiques ou psychiques, liée à l’organisation du travail, de façon
durable et anticipée.
Hervé COQUET
Dans ces périodes troubles, nous devons également nous engager dans des démarches
de formation plus longues. Nous pourrions profiter du temps accordé par ces baisses
d’activité pour faire acquérir de nouvelles compétences à notre personnel. Nous devons
donc être présents sur le marché de l’orientation, et notamment de l’apprentissage.
Aujourd’hui en effet, nous rencontrons des difficultés à attirer les jeunes. A la FIEV, nous
avons ainsi tourné un film sur l’apprentissage, disponible sur notre site, et qui met en
avant les témoignages de l’ensemble de nos jeunes et des maîtres d’apprentissage, ainsi
qu’une séquence dédiée aux tuteurs pédagogiques. De fait, le travail sur le futur
s’annonce essentiel pour la sauvegarde de nos emplois.
Jacques MONNET
Je voudrais rebondir peut-être sur un ou deux points qui ont été développés par mes
voisins. C'est que, dans cette crise, nous avons décidé de développer une plateforme
automobile de réflexion, des pieds à la tête de l'industrie, entre les constructeurs, les
équipementiers lorrains, les équipementiers dans l'Aisne, de façon à chasser en meute, à
développer un concept de chasser en meute. On a parlé beaucoup de l'attractivité de
nos métiers et je voudrais rappeler un petit élément de statistique que je n'ai pas cité tout
à l'heure, c'est qu'à la FIEV, sur les 120 groupes adhérents, 22 font 80 % de l'ensemble.
Sur ces 22, 5 ont un centre de prise de décisions en France, 17 ont un centre de prise de
décisions à l'étranger. C'est extrêmement important, parce que cela signifie que ceux qui
fabriquent des pièces, puisque la FIEV représente tous les équipementiers fabriquant des
pièces sur le territoire français, qu'ils aient des capitaux d'origine allemande, américaine,
japonaise, française ou autres...
L'attractivité à notre territoire, elle tient à beaucoup de choses. Elle tient à des aspects
fiscaux, bien sûr, à des aspects sociaux, bien sûr, mais elle tient aussi beaucoup aux
modes d'exercice des fonctions dans ce métier, modes d'élaboration des compétences
et aux modes d'agrégation des compétences. La compétence d'origine est donnée par le
système scolaire, qui est reconnu comme d'excellente qualité et sur lequel nous
travaillons. A été citée l'évolution de nos mentalités, de très académiques à ambivalentes,
entre académisme et apprentissage.
Paris, le 12 mars 2009
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La FIEV a été à l'origine, avec d'autres, bien sûr, avec l'Université de Versailles, avec les
constructeurs, du développement d'un diplôme de mécatronicien par alternance. On
prend des BTS-DUT, et on en fait des ingénieurs par alternance dans nos entreprises
partenaires. Donc c'est extrêmement important, et je crois que le savoir-faire est un
savoir-faire français dans la matière, est un savoir-faire qui est plus qu'un cumul de
savoir-faire, c'est un savoir-faire engrené. Il y a un engrenage entre les constructeurs, les
fournisseurs de rang 1, les fournisseurs de rang 2 à N.
On parle surtout des trains qui n'arrivent pas à l'heure. Donc, on parle surtout des
difficultés et des conflits. Mais, tout de même, on a quand même développé un travail en
réseau, un travail en filière, tout au long de ces années, qui ne s'invente pas du jour au
lendemain. Et, (c'est une autre trilogie que j'aime bien décrire), les critères de la
délocalisation, quels sont-ils ? C'est le différentiel de main-d'œuvre directe, et là, on sait
que nous ne sommes pas hyper compétitifs, c'est le moins qu'on puisse dire. Mais aussi,
c'est le différentiel de savoir-faire, et là, on a une expérience cumulée qu'il convient de
conserver, d'enrichir et d'embellir, et c'est le coût et la complexité logistique. Mais là, on
voit bien aussi que, quand les gens deviennent raisonnables, ils se rendent compte que,
quand le fret maritime passe de base 100 en 1985 à base 10 000 en 2004 et à base 1 000
cette année, comment fait-on des plans d'expédition de pièces d'une très grande
distance dans la durée, quand on fait face à des fluctuations de coûts logistiques de ce
type-là ? Donc, je crois que, si on s'est bien développé, on a une base solide. Ne la
laissons pas se désagréger dans la crise, soyons prêts au rebond en la maintenant et en
l'enrichissant. Et je souscris totalement au fait que, si on sait utiliser les « opportunités »,
que nous donne la crise, de temps disponible... parce que l'on n'est plus en train de
gérer un quotidien surexcité, à 117 % d'utilisation des capacités, comme on l'a fait en
2004... Rendez-vous compte ; en 2004, l'industrie sur le sol de France tournait à
quasiment 117 % de sa capacité. C'est-à-dire qu'on était en vendredi, samedi, dimanche
et en réduction des temps d'arrêt en été pour maintenance des usines. C'était il y a cinq
ans, mon dieu ! Aujourd'hui, on aimerait bien avoir ce type de problèmes.
Je veux dire : « profitons bien de ces temps-là ». Les équipementiers en tant que tels (et
là, c'est un cocorico équipementier), nous avons été très tirés, parce qu’on est allé
chercher la croissance à l'international. C'est-à-dire qu'on s'est confronté aux Japonais,
au Toyota production system, la production au juste à temps. Et là, on a développé des
compétences par des unités autonomes de production dans lesquelles on a souligné
l'intelligence de l'opérateur pour lui donner une poly compétences dans le domaine de la
maintenance premier niveau, de la logistique premier niveau, de la qualité premier niveau
et du management même de son aire de travail.
Je me souviens d'un truc qui m'avait beaucoup frappé : quand on a cherché à faire des
propositions d'amélioration, (et ça, ça se relie avec les conditions de travail), et que, dans
un premier temps... personne. Et on avait dit : « il faudrait qu'il y ait dix propositions par
an et par personne ». Les premières années, c'était une. Et pourquoi ? Parce que les
gens étaient terrorisés par cette idée. Ils se disaient : « si je fais une proposition
d'amélioration, premièrement, est-ce que j'ai la dignité de savoir comment on gère un
investissement de 1 million pour améliorer les conditions de travail ? Et puis, en plus de
cela, je ne sais pas, si on fait une proposition d'amélioration, cela va faire de la
robotisation, cela va m'enlever mon job. Et puis, en fait, on a dit : « non, non, non, c'est
des micro améliorations, et on va encourager les micro améliorations ».
Paris, le 12 mars 2009
11
Les gens savent. Les gens qui sont sur la ligne étaient ceux qui savaient le mieux
comment obtenir une meilleure disposition. Un chantier en Chine n’avait pas besoin
d'être hyper intellectualisé pour que cela s'améliore. Et ce jour-là, on s'est mis à avoir nos
dix propositions, parce qu'elles étaient petites, parce qu'on pouvait les mettre en œuvre
immédiatement. Donc, c'est tout cela, c'est toutes ces pratiques-là qu'il faut qu'on arrive
à généraliser de nouveau. Elles sont maintenant générales chez les rangs 1, mais il faut
maintenant les déployer jusqu'aux tréfonds de l'arborescence de la filière. Et cela, c'est
une des tâches auxquelles on veut s'attacher. Et ces conditions de travail, ce n'est pas
un productivisme, ce n'est pas un taylorisme, c'est de l'enrichissement.
Sophie SAVEREUX
Nous profiterons donc de cette journée pour approfondir ces expériences, notamment au
cours des ateliers qui vont avoir lieu à présent.
Paris, le 12 mars 2009
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Atelier 1 : Intégrer l’ergonomie dans la
conception des systèmes de production
Julien PELLETIER, responsable veille et prospective internationale, expert CPI,
ARACT
Le premier intervenant présentera un travail ergonomique sur le produit en lui-même, le
deuxième, une révision de la ligne de montage, et le troisième, une révision du dispositif
de travail. Ces trois démarches sont donc toutes différentes, et nous allons pouvoir en
comparer les résultats.
Je laisse à présent la parole à Jean Gastiger, qui est responsable de la santé et de la
sécurité chez Autoliv depuis près de dix ans.
Jean GASTIGER, responsable santé et sécurité, Autoliv
Je remplace aujourd’hui Jean-Michel Decroix, DRH d’Autoliv, qui s’excuse de ne pouvoir
être là. Je vous présenterai un travail générateur de la prise en compte de l’ergonomie et
de la santé chez Autoliv.
Groupe international, Autoliv réalise plus de 50 % de son chiffre d’affaires en Europe, et
compte 42 000 employés à travers le monde, dont 4 000 en recherche et développement.
Nous produisons essentiellement dans le domaine des systèmes de sécurité automobile,
et sommes présents dans 32 pays. Nous concevons nos produits, les testons, puis les
assemblons. En France, le groupe Autoliv est représenté par cinq usines, aux activités
différentes, de la pyrotechnie à l’assemblage de volants, en passant notamment par la
confection de boîtiers électroniques. Le site de Gournay-en-Bray, non loin de Rouen,
assemble des airbags, conducteurs, passagers ou latéraux, et dispose d’un bureau
d’études et de pistes de crash tests. De plus, toutes les machines de l’usine ont été
conçues et assemblées sur le site. Dans d’autres usines, Autoliv fabrique aussi des
ceintures de sécurité actives, d’autres airbags, des systèmes de protection des piétons
et de vision de nuit, ou encore des sièges enfants. A Gournay-en-Bray, nos clients sont
des constructeurs, tels que Renault, PSA, Nissan, et Toyota. La « maison Autoliv » a été
construite à Gournay à partir de 1998, et s’est développée selon l’évolution de nos
activités. Le travail d’équipe et le respect des standards constituent ses fondations.
L’implication du personnel fait office de pilier central. Au début des années 2000, nous
avons commencé à intégrer la sécurité et l’ergonomie dans notre démarche
d’amélioration continue. J’admets sans difficulté qu’à cette époque, l’ergonomie n’était
pas très en vogue chez nous, mais nous avons changé de point de vue depuis lors, ce
qui constitue l’un des facteurs du succès du travail que je vais vous présenter.
La problématique à l’origine de cet exposé remonte aux années 2002 et 2003, et
concerne des airbags rideaux, situés au-dessus des portières des véhicules. Ils se
déploient en cas de choc latéral ou de retournement de la voiture, en 35 millisecondes, le
temps d’un clignement d’œil. La technicité est importante dans deux domaines, la
pyrotechnie (technique qui permet à l’airbag de gonfler) et le pliage, car le produit doit se
loger dans un espace d’1 cm. Nous nous intéresserons plus particulièrement aujourd’hui
Paris, le 12 mars 2009
13
à l’interface d’accroche du rideau, une équerre qui lie l’airbag au véhicule. Les premières
lignes d’assemblage ont été mises en place au début de l’année 2002. En 2004, nous en
comptions environ une dizaine, pour une vingtaine aujourd’hui. Il faut également savoir
que nos lignes ont une durée de vie qui n’excède pas cinq ans, et qui correspond à la
durée de vie du produit. En effet, il y a encore peu de temps, une ligne n’était dédiée qu’à
un seul produit.
Nous avions donc détecté une difficulté rencontrée par nos opératrices dans
l’assemblage de ces équerres sur le rideau, et dans la gestuelle mise en œuvre. Il
s’agissait pour nous d’un nouveau produit, et, malheureusement, cette problématique n’a
été décelée que tardivement, au bout de deux ans. Les opératrices effectuaient des
mouvements de pincement et de rotation du poignet pour fixer les oreilles à l’intérieur de
l’équerre. Pour les concepteurs, comme pour moi, d’ailleurs, ces gestes ne semblaient
pourtant pas complexes, ni source d’effort. Nous avons donc créé une « défauthèque »
en interne, afin de quantifier ce problème, de le cerner, et d’envisager d’éventuelles
solutions. Nous avons ainsi mené nos premières études sur le poste de travail, ce qui ne
s’est pas avéré suffisant. Les plaintes et les douleurs des opératrices se sont en effet
poursuivies. Nous nous sommes alors dit que le produit était en cause. Nos opératrices
en assemblent environ 750 par jour, et nous nous sommes retrouvés face à un fort taux
d’absentéisme, et une augmentation des maladies professionnelles. Il est certes toujours
difficile de relier une maladie professionnelle à un geste, mais elles ont clairement
augmenté à partir de l’arrivée de ces rideaux dans les ateliers.
Nous avons ensuite mis en place « un chantier ergonomie », regroupant des opérateurs,
le manager opérationnel de terrain, le pôle santé, des concepteurs produits et machines,
le CHSCT, ainsi qu’un ergonome. Cette opération a duré de huit à dix mois, et a conduit
à une nouvelle conception de l’équerre. Tout d’abord, l’ergonome nous a aidés sur le
terrain à identifier la cause de la douleur des opératrices. Dès lors, nous avons modifié le
type d’accroche du produit, afin de supprimer les gestes traumatisants. Nous concevons
ainsi aujourd’hui de nouvelles équerres, qui ne nécessitent qu’un effort de posée, et non
de pincement ou de rotation. Je précise également que notre constructeur nous a aidés
dans ce travail, car il a lui aussi rencontré des problèmes de TMS lors de l’accrochage du
produit à l’intérieur du véhicule. Enfin, ces équerres ne sont plus fixées de façon
manuelle, mais cousues par une machine, ce qui évacue complètement les éventuelles
TMS.
J’en viens à présent aux facteurs de réussite de cette opération. Je mentionnerai tout
d’abord l’importance du « chantier ergonomie », qui nous a permis de traiter cette
question de santé au travail, en regroupant des participants venant d’horizons divers. A
l’aune de l’ampleur du problème, qui concernait près de 50 opérateurs, nous avons
également investi durablement dans cet effort. L’ergonome nous a en outre permis de
rendre concrètes les douleurs des opérateurs, différentes selon chacun d’eux. Il faut en
outre souligner l’implication du pôle santé, en amont du projet.
Cependant, cette action a nécessité un certain temps, puisqu’elle s’est étalée sur six à
huit mois, et a mobilisé dix personnes. Nous avons également rencontré des problèmes
pour modifier le design, finalement validé par le client, qui ne comprenait pas forcément
pour quelle raison nous souhaitions modifier une équerre que nous lui vendions pourtant
telle quelle auparavant. De plus, il est difficile de quantifier immédiatement le gain sur la
santé, et de comparer les coûts des maladies professionnelles, et ceux du
développement de nouveaux produits.
Paris, le 12 mars 2009
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Il reste qu’aujourd’hui, nos salariés ne connaissent plus de problèmes de santé liés à ces
équerres. Cette démarche a donc ouvert la reconnaissance de la santé au travail chez
Autoliv. Dans ce domaine, nous avons tenté de nous appuyer sur des outils dont nous
disposions déjà, sans que l’ergonomie n’ajoute encore des contraintes. Nous avons ainsi
envisagé ce problème de santé comme un problème de qualité, et avons par exemple
développé une grille de détection des gestes et des postures à risques, utilisée
dorénavant pour les nouveaux chantiers. Nous poursuivons également le travail sur la
« défauthèque » que j’ai mentionnée, afin d’enrichir une base de données consultée par
nos concepteurs. Nous avons surtout mis en place un processus de remontée
d’informations, afin de traiter ces problématiques de douleurs le plus tôt possible. Enfin,
nous sommes aujourd’hui accompagnés par un cabinet d’ergonomes sur un chantier de
conception de nouveaux produits. La question de l’ergonomie nous invite donc à
envisager de nouveaux modes d’organisation du travail.
En conclusion, si les problèmes de santé sont toujours présents, les tabous sont bien
moindres qu’il y a sept ans, contrairement à l’écoute, au partage, et à l’investissement de
l’ensemble des acteurs d’Autoliv.
Marion DESMARET, responsable environnement, FAVI
Je suis responsable de l’environnement et de la sécurité pour le compte de la société
FAVI, qui compte environ 440 collaborateurs. Nous produisons des fourchettes de boîtes
de vitesses, ainsi que des produits divers, tels que des compteurs d’eau, qui
correspondent à notre métier premier, mais ne représentent plus aujourd’hui que 20 %
de notre chiffre d’affaires. Nous avons donc changé de secteur d’activité, et nous
orientons aujourd’hui vers un troisième domaine, les rotors de moteurs électriques. En
1997, nous avons été la première fonderie européenne à recevoir la certification ISO
14001, et, en 2000, la première fonderie française à être certifiée OHSAS. Les questions
de sécurité sont donc au cœur des préoccupations de notre entreprise depuis un certain
temps déjà. De façon assez atypique, nous sommes organisés en douze mini usines qui
peuvent regrouper de 20 à 60 collaborateurs, unités autonomes dédiées à un produit et à
un client. Trois d’entre elles sont ainsi dédiées à Peugeot, et une, à Renault. Chacune est
gérée par un leader, totalement responsable, tant de ses opérateurs que de ses contacts
avec le client.
En 2007, nous avons commencé à constater des TMS, ce qui nous a fait prendre
conscience de notre problème dans le domaine de l’ergonomie. Nous recevions de
surcroît énormément de plaintes de la part des opérateurs, et déplorions des lacunes
ainsi que des surcoûts dans la tenue de nos projets, car les concepteurs intégraient mal
les opérateurs dans le développement des machines, dont une grande partie devaient
ensuite être modifiées. En 2007, nous avons donc fait appel à l’ARACT, qui nous a aidés
à monter un groupe de travail sur l’ergonomie. Nous avons choisi de mettre en place ce
chantier au sein d’une mini usine créée en 2004 et consacrée à Renault, Le groupe était
pluridisciplinaire, et associait le leader du site, le chef de projet, un animateur QSE, deux
opérateurs, l’agent qualité, l’infirmière, un agent de maintenance et un technicien du
bureau d’études. La démarche s’est déroulée sur trois jours assez espacés. Le premier a
été consacré à l’analyse de la conduite de projet, et des interventions des participants
dans ce cadre. Nous avons ainsi réfléchi à améliorer cette étape, en écoutant les souhaits
de chacun, et notamment des opérateurs, qui entendaient s’investir plus en amont, dès la
conception des machines. Le deuxième jour, nous avons travaillé sur les postes, ce qui
Paris, le 12 mars 2009
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nous a permis de nous rendre compte des erreurs de conception dans ce domaine. Trois
groupes de travail se sont penchés sur cette analyse des postes, et nous avons alors pris
en compte les contraintes cognitives en matière de sécurité. Auparavant en effet, le
stress des opérateurs n’était pas forcément intégré par le management. Il s’agit là
cependant d’un facteur important dans le déclenchement des TMS. Je souligne
également que nous avons appris à travailler avec une caméra pour l’analyse des postes,
ce qui s’est avéré très efficace dans l’isolement des gestes problématiques. Au cours du
troisième jour, le groupe a présenté son travail à l’ensemble des acteurs de la société.
Ce chantier nous a ainsi permis d’acquérir de nouveaux outils de travail, d’enrichir ceux
qui existaient déjà, et de faire participer plus en amont les différents acteurs aux projets,
surtout dans les modifications de postes. Il a également permis de sensibiliser les
concepteurs à l’ergonomie et de mettre en évidence des problèmes d’aménagement de
postes, générateurs de plaintes. Cependant, nous ne travaillions pas sur de nouveaux
projets à l’époque. Nous n’avons donc pas pu mettre en œuvre les enseignements de ce
projet, ce que nous commençons à faire aujourd’hui.
Suite à ce projet, les opérateurs ont décidé de mener un chantier afin d’améliorer les
postes qui les obligeaient à effecteur un grand nombre de rotations pour usiner leurs
pièces (ils en traitent 250 par heure), et ce dans un espace très restreint. Ils ressentaient
ainsi de vives douleurs au niveau des épaules et du dos. Alexandre Rhuin faisait partie de
ce groupe de travail, et va vous le présenter.
Alexandre RHUIN, agent de fabrication usinage, FAVI
Sachez tout d’abord que, sur un poste, nous usinons un ensemble de trois pièces, ce qui
implique environ 1 200 rotations du tronc par jour, afin de les saisir. Avec une collègue
opératrice, nous avons donc fait part de cette situation délicate à notre leader. Il nous a
proposé de monter un groupe de travail, que nous piloterions. Ce groupe se composait
également du leader, de l’agent qualité, de l’agent de maintenance, d’un technicien du
bureau d’études, du chef de projet, de la cellule QSE et de l’infirmière. L’objectif
consistait donc à améliorer le poste de travail, et à éliminer la rotation du tronc. Nous
devions également veiller à ne pas gaspiller, et utiliser le plus possible le matériel déjà sur
place. Nous avons ainsi élargi l’espace qui nous était dévolu sur le poste de travail.
Le leader nous a donné carte blanche : nous avions le droit d’émettre toutes les
propositions que nous souhaitions, pourvu qu’elles respectent les conditions que je viens
d’énoncer. A partir des anciens plans, nous en avons tout d’abord suggéré de nouveaux,
avant que le dernier soit validé. Il était en outre important de supprimer le stockage
d’encours au sol. Nous avons donc dû réaliser de nombreux calculs, car l’espace que
nous devions reconfigurer était très restreint. Pour ce faire, nous avons bénéficié d’une
heure de travail par semaine et d’une réunion bimensuelle avec tout le groupe, afin
d’étudier les nouvelles idées. Nous nous sommes vite rendu compte que l’aménagement
du poste de travail passait par la réorganisation complète de la ligne. En effet, cette
dernière était disposée en étoile ; tout tournait autour d’une seule machine. Aujourd’hui
au contraire, nous avons supprimé tout mouvement de rotation, ainsi que tous les
éléments qui gênaient auparavant les opérateurs. Ainsi, notre espace de travail est à
présent beaucoup plus aéré.
Paris, le 12 mars 2009
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Marion DESMARET
De plus, l’ancienne ligne nous posait un grave problème de sécurité, en cas de malaise
ou d’accident de l’opérateur, car un seul passage permettait d’accéder aux postes, alors
qu’aujourd’hui, ils sont très facilement accessibles.
Alexandre RHUIN
Par ailleurs, ce projet n’a occasionné aucun surcoût. Nous avons à présent la possibilité
de travailler assis, le flux a de surcroît été amélioré, et les encours, réduits. Je vous
assure donc que les opérateurs, dont je fais partie, jugent leurs nouveaux postes de
façon extrêmement positive.
Marion DESMARET
Nous n’avons pas pu améliorer la sécurité de ces postes avant 2006, car ils nécessitaient
une réorganisation complète. Les opérateurs ont donc vraiment fait figures de moteur
dans ce projet, et ont mis en œuvre des solutions qu’ils avaient eux-mêmes trouvées.
Une intervenante
L’investissement des opérateurs sur ce projet a-t-il été valorisé de façon financière ?
Marion DESMARET
Notre entreprise a mis en place un système de valorisation par reconnaissance d’action.
Plusieurs concours internes permettent ainsi de gagner une voiture, ou des primes, et
Alexandre Rhuin présentera un dossier à l’un de ces concours.
Alexandre RHUIN
Il s’agit de présenter son projet devant un jury externe, sensiblement de la même façon
qu’en ce moment. Depuis mon arrivée à la FAVI, j’ai déjà gagné un prix, et je suis toujours
motivé. Ce projet, au-delà du gain éventuel, a surtout facilité nos conditions de travail, qui
étaient très difficiles. Or ma collègue effectuait ces incalculables rotations depuis deux
ans déjà. Pour ma part, au bout d’un mois, je me suis vite rendu compte qu’il était
impossible de travailler dans ces conditions.
Julien PELLETIER
C’est donc elle qui mérite la voiture !
Alexandre RHUIN
Nous présentons le projet tous les deux.
Paris, le 12 mars 2009
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Delphine SADOCH, responsable RH, Plastic Omnium
Plastic Omnium est un groupe français créé en 1947, et positionné sur deux secteurs
principaux, les services, avec notamment les conteneurs de poubelles, et l’automobile,
qui nous intéresse plus particulièrement aujourd’hui. Notre groupe compte 9 200
collaborateurs, qui travaillent dans 47 usines réparties dans 19 pays. Le site d’Amiens,
ouvert en 1982, fait partie de la division Plastic Omnium Auto Exterior, et 200 personnes
y travaillent. La moyenne d’âge reste assez élevée (45,5 ans), et l’ancienneté, répandue,
notamment pour la population ouvrière, qui travaille chez nous depuis l’ouverture du site,
pour la majorité d’entre elle. Nous fabriquons des pièces plastiques pour l’automobile,
principalement des pare-chocs et les composants qui y sont associés. Nous sommes
principalement dédiés à la pièce de rechange, et à seulement 40 % aux véhicules de
série. PSA, Renault, Volvo, Opel et Mercedes sont nos principaux clients.
Concernant notre processus de fabrication, les granulés de plastique constituent notre
matière première. Nous les injectons sur des presses de gros tonnage (de 800 à 3 200
tonnes). Ensuite, suivant le type de produits, la pièce passe par différentes étapes
d’assemblage, de conditionnement, d’emballage, et d’expédition vers nos différents
clients. Penchons-nous un instant sur le process d’injection, qui nous intéresse
aujourd’hui plus particulièrement. Nous disposons de douze presses sur le site, ainsi que
de 300 moules, dont certains peuvent contenir jusqu’à 40 tonnes. Nous produisons
beaucoup de petites séries, ce qui induit de nombreuses rotations d’outillage.
Nous avons mené notre action en 2007, après l’arrivée de notre presse de 3 200 tonnes,
la plus imposante, obtenue en août dans le cadre du marché du Renault Master. A cette
époque, nous avons également obtenu 110 moules en provenance des autres sites PO,
ainsi que 132 machines de finition. Un problème de place s’est donc posé d’emblée. De
plus, l’augmentation du nombre de moules stockés sur site risquait de dégrader les
conditions de travail des monteurs moules, et présentait également un risque pour leur
sécurité. Ces derniers sont par ailleurs extrêmement sollicités, puisque chaque équipe
effectue de quatre à huit changements de moules par jour.
D’avril à octobre 2007, un groupe de travail a été chargé de se pencher sur ce projet. Il
était piloté par le responsable industrialisation, et se composait principalement de
représentants des métiers impactés par l’arrivée de cette presse, tels que des monteurs
moules, des caristes, l’animateur HSE, un représentant du CHSCT, un logisticien, un
agent de maintenance et un animateur injection. En fonction des problématiques, des
sous-groupes sont également intervenus, comme le groupe « passerelle mobile », dont
faisaient partie le responsable de la maintenance des moules, le responsable de
l’industrialisation, de nouveau des monteurs moules, et un réparateur de moules.
Avant la mise en place de la passerelle, les opérateurs passaient de moule en moule
après avoir monté sur un escabeau, ce qui est extrêmement dangereux. Nous avons
étudié plusieurs pistes pour remédier à cette méthode rudimentaire, comme la mise en
place d’un système de nacelles qui partirait du pont roulant. Cette idée a cependant été
rapidement abandonnée, car l’opérateur risquait de se détacher de la nacelle. Nous
avons également songé à une nacelle de chantier plus classique, mais nous avons
également dû renoncer à cette méthode, par manque de place.
Nous avons finalement retenu l’idée d’un portique mobile, muni de cinq échelles
correspondant aux cinq rangées de moules. La passerelle se déplace sur une distance
Paris, le 12 mars 2009
18
de 19 mètres. Elle permet à son utilisateur de se positionner au niveau du moule qu’il
désire atteindre, et sur lequel il descend au moyen de l’échelle. Les dangereux passages
d’un moule à l’autre sont ainsi supprimés. En avril, le groupe de travail a rédigé le cahier
des charges du projet. En mai et en juin, nous avons consulté nos trois fournisseurs. En
septembre, nous avons procédé à une rectification du cahier des charges, en fonction
des avis émis par nos fournisseurs. Les travaux ont ensuite commencé au mois de
décembre, et la formation des futurs utilisateurs de ce portique a eu lieu en janvier 2008.
L’implication de l’ensemble des collaborateurs concernés par le projet constitue son
premier facteur de réussite. En outre, nous avons régulièrement communiqué sur l’état
d’avancement de ce projet, auprès du CHSCT et du personnel, notamment sous la forme
de flashs d’information via les écrans plasma dont dispose notre entreprise au sein de
ses salles de pause. Ce medium a donc particulièrement valorisé les participants au
groupe de travail. En outre, cette solution innovante s’apparente à un investissement de
40 000 euros, lourd pour le groupe. Qui plus est, nous n’avons aucune perspective de
retour, et l’avons réalisé uniquement pour la sécurité du personnel. Ce geste a donc
compté pour ce dernier.
Toutefois, des contraintes que le groupe de travail n’avait pas identifiées sont apparues à
l’usage. En effet, les échelles du portique sont complètement verticales, ce qui génère
d’autres problèmes physiques. En outre, la pénibilité du poste n’a pas été supprimée
dans sa globalité, car l’accrochage du moule ne constitue qu’une partie de l’activité des
monteurs moules. Ainsi, les interventions sur presses ne sont par exemple pas
concernées par la nouvelle passerelle.
Enfin, toujours sur ce site d’Amiens, nous allons bientôt mettre en place une formation
animée par des kinésithérapeutes et intitulée « Respiration, Ressenti, Etirement et
Mobilité », que j’avais déjà initiée sur le site de Rennes. Il s’agit pour les collaborateurs
d’analyser leurs douleurs personnelles, de les compenser, puis de les éradiquer.
Une intervenante
Avez-vous bénéficié d’une aide extérieure pour mener ce projet ?
Delphine SADOCH
Non ; nous l’avons entièrement réalisé en interne. C’est d’ailleurs pour cette raison que
nous avons tâtonné au début de sa mise en œuvre.
Un intervenant
Ce problème était-il spécifique à Amiens, ou concernait-il d’autres sites du groupe ?
Delphine SADOCH
Il était spécifique à Amiens, qui dispose de beaucoup plus de moules que les autres
sites.
Paris, le 12 mars 2009
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Julien PELLETIER
Merci beaucoup.
Le GERPISA est un laboratoire de recherches français fondé dans les années 1980 et
spécialisé dans le secteur automobile. Ses productions sont donc tout à fait
intéressantes pour concevoir les évolutions de ce secteur à travers le monde, sur le plan
économique, des stratégies industrielles, etc. Je laisse à présent la parole à deux de ses
représentants, Tommaso Pardi et Vincent Frigant.
Vincent FRIGANT, économiste, Université Bordeaux 4
Tommaso est un sociologue d’origine italienne, et moi, un économiste d’origine
bordelaise. Nous apporterons donc sans doute deux points de vue différents à propos de
cette notion d’ergonomie. Si nous ne sommes pas ergonomes, nous rencontrons des
problématiques ayant trait à ce champ d’étude lors de nos travaux sur la vie des
entreprises, et nous y intéressons forcément.
D’un point de vue d’économiste, l’angle d’attaque de cette notion d’ergonomie reste la
compétitivité ; en quoi permet-elle d’accroître les rendements ? Il s’agit en effet, non
seulement d’augmenter la productivité et l’implication au travail, mais aussi de réduire
l’absentéisme et l’effort physique. L’ergonomie peut donc faire office d’outil dont
disposeraient les dirigeants d’entreprises pour accroître leur compétitivité. Ces éléments
sont de fait très importants dans le contexte actuel, d’autant plus que l’on constate en
France un relatif désintérêt pour le travail industriel chez les jeunes. L’ergonomie peut
donc servir aussi à attirer des jeunes vers ce secteur. Par ailleurs, on assiste à un
vieillissement de la population de nos usines. L’ergonomie a ainsi tout l’air d’une
nécessité. Les trois exposés auxquels nous venons d’assister ont d’ailleurs mis en
évidence ces enjeux économiques et sociaux.
En outre, on peut distinguer deux époques de l’ergonomie. La première génération avait
ainsi tendance à travailler sur le poste. Les problèmes se révèlent en effet souvent à
l’usage. On rentre dès lors dans une logique de réparation. Les exposés nous ont
d’ailleurs démontré que les diagnostics n’étaient pas faciles à établir, et les outils, comme
les ergonomes, sont utiles dans cette tâche. La deuxième génération de l’ergonomie
invite quant à elle à travailler en amont, sur le poste, et directement sur le produit.
L’exemple d’Autoliv nous montre que les vrais enjeux se situent dans ce cadre.
Idéalement, il faudrait que le poste de travail soit déjà ergonomique, avant que son
utilisateur l’occupe. Toutefois, ne versons pas dans la naïveté : il y aura toujours des
améliorations à apporter ex poste. Il reste que, en ergonomie, l’essentiel des progrès
peut être réalisé en amont.
Enfin, nous avons entendu des témoignages qui présentaient des projets couronnés de
succès. Il aurait également été intéressant d’entendre des problèmes non résolus, mais je
sais qu’ils sont introuvables. Nous avons tout de même retenu que la résolution d’un
problème nécessite une implication de tous. Il faut en effet que les gens concernés
adhèrent massivement au processus. J’insisterai en outre sur l’importance du recul et
d’une logique réflexive par rapport au produit, comme au poste de travail. Dans ce sens,
il est pertinent d’utiliser des instruments qui permettent d’objectiver les situations, telles
que les caméras. De plus, on a souvent besoin d’un élément externe pour résoudre ce
Paris, le 12 mars 2009
20
type de problèmes. C’est d’ailleurs certainement dans cette optique qu’Autoliv a fait
appel à un ergonome. En outre, chez FAVI, on a l’impression qu’Alexandre Rhuin remplit
ce rôle. Toutefois, il importe également d’écouter les gens, ce qui rend cet exercice de
prise de recul très périlleux. Somme toute, un problème demeure, en ergonomie, la
difficile quantification des résultats. Il est en effet ardu de mettre en balance les coûts et
les bénéfices induits par ces projets.
Tommaso PARDI, sociologue du travail, GERPISA
En tant que sociologue, je soulignerai que les environnements de production dont il a été
question sont modernes, et intègrent notamment des méthodes japonaises. La sécurité
et la santé, loin d’être accessoires, y jouent donc un rôle très important, ce qui constitue,
selon moi, un thermomètre du système. Pour ma part, j’ai très vite appris qu’un
management de la sécurité et de la santé était nécessaire. En effet, j’ai connu le secteur
automobile en 2000, dans l’usine anglaise de Toyota qui a produit l’Avensis, la Corolla, et
maintenant, l’Auris. A l’époque, ils étaient en prise avec de nombreux problèmes, de
qualité, notamment, mais aussi de santé et de sécurité. Ils tenaient d’ailleurs ces deux
derniers domaines pour les plus importants, ce qui m’a surpris. De plus, les activités
d’amélioration de la production étaient celles qui impliquaient le plus d’acteurs, des
opérateurs aux managers. Selon eux, toutes leurs difficultés (défauts, productivité)
trouvaient leur origine dans des problèmes de conception de poste. Les questions de
santé et de sécurité génèrent en effet un cercle vicieux : si l’absentéisme augmente, les
heures supplémentaires augmentent, et les coûts aussi.
La logique de production au plus juste exerce en outre une très forte pression sur les
équipes de travail, mais crée une interdépendance très forte entre productivité, qualité et
sécurité. On sait d’ailleurs que les équipementiers sont souvent orientés par les
constructeurs sur les questions de la qualité et de la productivité, alors que celle de la
santé est plutôt laissée à leur bon vouloir. Il m’a donc semblé intéressant de noter à
travers les exposés que les problèmes de sécurité et de santé n’ont pas été pris en
compte dès le début, mais au fil de leur émergence. Or ces problèmes affectent
directement la production. Ils ne sont donc pas résolus par philanthropie, mais dans
l’intérêt économique de l’entreprise.
Il faudrait donc pouvoir quantifier la santé en entreprise. La première identification de la
douleur doit ainsi être entourée de toute une série de procédures, afin de cibler ces
questions, comme on évalue celles qui ont trait à la qualité. Deux exposés sur trois nous
ont en outre présenté des interventions qui ont résolu des problèmes en aval. Mais que
vous ont appris ces expériences en termes de management de la sécurité, pour qu’au
final la sécurité fasse partie des responsabilités des salariés ?
Par ailleurs, l’interface entre les acteurs constitue un autre problème majeur. De fait, leur
interaction ne coule pas de source, à cause, notamment, de cultures de l’entreprise
différentes. Un management ouvert au dialogue est donc nécessaire, afin que les
opérateurs deviennent force de proposition et soient écoutés. De plus, ces questions
influent sur le climat social de l’entreprise. En effet, si une démarche est mise en œuvre
de façon cohérente dans le domaine de la sécurité et de la santé, on reconnaîtra ensuite
des droits aux salariés pour qu’ils interviennent sur leur propre travail. Ces derniers
auront également le sentiment que leur sécurité est prise en compte. Ce type de
résolution des problèmes entraînera donc automatiquement un meilleur climat social. Il
Paris, le 12 mars 2009
21
s’agit cependant d’enjeux fort délicats, car il ne faut pas évacuer les tensions, les
rivalités, et les objectifs de carrière qui existent au sein des équipes de travail. On parle
souvent de confiance et de respects réciproques comme éléments préalables à la
démarche de production au plus juste, mais il n’est pas facile de les obtenir. J’estime de
surcroît que l’acteur syndical à un rôle très important à jouer dans ce domaine, et peut
être le garant de la perception positive de cette démarche chez les opérateurs.
Il ne faut donc pas considérer la santé et la sécurité comme des éléments accessoires,
mais comme une partie intégrante du système de production. Dans ce domaine, il est
donc nécessaire de mettre en place des procédures précises et standardisées, pour que
tous les acteurs sachent comment agir ensemble.
Un intervenant
Je suis ergonome et je m’étonne tout d’abord de ne pas avoir entendu de confrère parmi
les experts. Les trois interventions ont mis en évidence une approche de l’ergonomie
centrée sur la santé. Or la finalité de cette dernière consiste à faire correspondre
ressources matérielles et humaines. Cet objectif est donc double, et s’il a effectivement
trait à la santé, il doit également répondre à des exigences économiques. Toutefois,
avant de se demander si l’ergonomie contribue à améliorer le rendement de l’entreprise, il
convient de diagnostiquer l’efficacité de la personne.
En outre, le travail d’aujourd’hui exige, de la part des salariés, qu’ils répondent à des
situations extrêmement mouvantes, et nous sommes très éloignés du modèle taylorien,
où tout était figé. Les salariés sont donc contraints d’envisager leur contribution physique
ou psychologique de manière à être efficaces immédiatement. On demande en effet de
plus en plus aux opérateurs de trouver des réponses à des situations qui ne sont pas
prévues à l’avance. Toutefois, cette efficacité est difficilement quantifiable. La seule
solution consiste à donner des possibilités (spatiales, etc.) aux opérateurs afin qu’ils
soient en mesure de faire face à ces changements lorsqu’ils interviennent. Ce modèle se
heurte à un autre qui entendrait tout prévoir à l’avance. La principale force de l’ergonomie
aujourd’hui réside dans l’efficacité mouvante qu’elle permet au salarié. Enfin, cette
efficacité sert, après coup, les intérêts de l’entreprise.
Une intervenante
La France dispose-t-elle de suffisamment de ressources en matière d’ergonomie pour
pouvoir répondre aux différents besoins des entreprises ?
Un intervenant
PSA s’est doté récemment d’un collectif d’ergonomes, et semble donc avoir été
convaincu par la pertinence de cette science. J’ajouterai même que, parmi les secteurs
qui sollicitent l’ergonomie, celui de l’automobile apparaît en bonne place.
Paris, le 12 mars 2009
22
Julien PELLETIER
Il est évident que l’ergonomie est essentielle pour nos entreprises et leurs collaborateurs.
Mais je retiendrai également des différentes présentations l’importance de
l’apprentissage, à laquelle Tommaso Pardi a également fait allusion. Pour reprendre un
terme cité dans l’un des exposés, la FIEV peut-elle créer une « défauthèque » ? J’ai
également trouvé très intéressant les associations des mondes des ingénieurs
concepteurs et des opérateurs. Qu’avez-vous appris en tentant de marier ces deux
modes de travail ?
Jean GASTIGER
Chez Autoliv, nous avons l’avantage de réunir sur le même site concepteurs et
opérateurs, et nous essayons, dès la conception du produit, de faire travailler ensemble
différents métiers. Aujourd’hui, avec l’aide d’un ergonome, nous sommes de plus en train
de nous doter d’outils, pour que la conception du produit soit la plus pertinente possible,
et qu’elle donne lieu à un minimum de modifications. Pour ce faire, nous faisons donc
appel à un ergonome, car il est difficile de remettre en cause les modes de
fonctionnement des collaborateurs avec lesquels nous travaillons chaque jour. D’ailleurs,
au départ, la présence de cet ergonome n’était pas tout à fait acceptée dans l’entreprise.
Néanmoins, une fois que les membres du bureau d’études ont pris connaissance de son
CV, ils se sont rendu compte de l’intérêt de sa collaboration. De plus, les ergonomes, du
fait de leur position extérieure au groupe, nous permettent de revenir sur les a priori que
peuvent avoir des ingénieurs ou des directeurs. Nous souhaitons d’ailleurs intégrer dans
le mode de développement de nos produits des jalons qui feront intervenir une
ergonomie basée sur l’expérience du terrain, pour revenir ensuite vers les concepteurs,
avec des méthodes testées et connues par tous.
Julien PELLETIER
Qui désignez par « tous », le site, le groupe, ou même le réseau dans son ensemble, FIEV
et clients compris ? Vous avez d’ailleurs tous mentionné les clients, ce qui est très
intéressant. Pour revenir sur l’apprentissage, vous qui êtes « devenus » intelligents,
tenterez-vous de convertir les autres ?
Jean GASTIGER
Il est vrai qu’aujourd’hui le partage reste très limité dans ce domaine. Si des
collaborateurs d’autres sites visitent le nôtre, il n’existe pas projet de travail commun.
Nous nous contentons de montrer notre expérience, puis nos visiteurs développent leurs
outils en interne.
Pour revenir à votre réflexion sur la relation avec le client, je me demande comment
travailler avec lui pour qu’il soit attentif à l’ergonomie, et qu’il s’associe, d’une façon ou
d’une autre, à nos efforts en la matière.
Paris, le 12 mars 2009
23
Julien PELLETIER
Et qu’en est-il de FAVI ?
Marion DESMARET
FAVI n’est pas un groupe, mais plutôt une structure familiale.
Julien PELLETIER
Les mini usines communiquent-elles entre elles ?
Marion DESMARET
Oui. De plus, chez nous, les opérateurs sont force de proposition, comme le prouve
Alexandre. En revanche, nous pratiquons le benchmarking avec nos clients. Ainsi, PSA et
Renault, qui se sont dotés d’ergonomes, nous ont ouvert leurs portes, afin que nous
acquérions de nouvelles expériences.
Un intervenant
Existe-t-il aujourd’hui de nouvelles technologies qui nous permettraient d’améliorer la
phase de conception, et intégreraient par exemple les changements permanents évoqués
par un autre intervenant ?
Julien PELLETIER
Le réseau de l’ANACT travaille sur un projet ayant trait aux outils de simulation. Dans ce
cadre, nous sommes d’ailleurs en contact avec plusieurs pays, comme le Danemark ou
l’Allemagne, et nous allons dresser cette année un inventaire des différents outils de
simulation existants, du dessin aux outils numériques en passant par la maquette en
carton. Nous évaluerons les usages que les entreprises en ont faits, en vue de rédiger un
guide utilisable par toutes les entreprises, PME comme multinationales. Je vous invite
donc à contacter l’ANACT, qui vous en dira davantage.
Un intervenant
Ces outils sont-ils capables d’intégrer les compétences des ergonomes afin de faciliter la
tâche des concepteurs ?
Un intervenant
Les outils servent de support à la réflexion, mais ne constituent pas de solution en euxmêmes. Ils peuvent également aider l’ergonome dans son rôle, qui consiste à définir les
scénarios dans lesquels les opérateurs vont travailler, en mettant ces scénarios à
l’épreuve. Au-delà de l’outil, c’est donc la démarche qui prime.
Paris, le 12 mars 2009
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Delphine SADOCH
Il s’agit là d’une question qui relève également du développement des compétences. En
effet, les compétences en ergonomie sont plutôt récentes, et de ce fait, peu répandues.
J’en veux pour preuve l’exemple du site dans lequel je suis arrivée voilà un an.
Un intervenant
Il faut bien distinguer les gens qui sont sensibles à l’ergonomie, et qui peuvent jouer un
grand rôle dans ce domaine au sein de l’entreprise, et les ergonomes. Je rappelle en effet
que l’ergonomie ne relève pas simplement d’une question de bon sens, même si je suis
évidemment favorable au développement de l’ergonomie en interne.
Delphine SADOCH
Justement, les exemples que nous avons présentés prouvent bien que l’ergonomie ne se
résume pas à une question de bon sens. Cependant, des collaborateurs ayant reçu une
formation sur ces questions seraient à même de les traiter avec plus d’efficacité, et
d’anticiper.
Jean GASTIGER
Il est en outre extrêmement positif d’utiliser des exemples de réussite pour faire passer
des messages. L’appel à un ergonome externe à l’entreprise démontre que les
problèmes rencontrés ne concernent pas que la gestuelle. J’ai ainsi appris qu’une
opératrice pouvait se plaindre de ressentir des douleurs, alors qu’une autre, qui
accomplit exactement le même travail, prétend ne pas souffrir. Peut-être
qu’effectivement, elle n’a pas mal. Mais peut-être aussi cache-t-elle ses douleurs, car elle
ne souhaite pas changer de poste, ni d’environnement de travail.
Un intervenant
Est-il nécessaire de former les opérateurs, afin qu’ils connaissent les travaux qui peuvent
s’avérer néfastes pour leur santé, et d’augmenter leur niveau d’exigence en la matière ?
Tommaso PARDI
J’ai beaucoup étudié les entreprises japonaises, et j’ai remarqué qu’elles essayaient
d’établir des critères standardisés et quantifiables pour évaluer les problèmes de santé et
de sécurité. Elles font en outre sans cesse évoluer ces indicateurs, afin de pouvoir traiter
ces questions de la façon la plus efficace possible. Elles essayent également d’intégrer
dans le management de ligne, ainsi que pour tous les acteurs de la chaîne de montage,
les objectifs liés à ces indicateurs. Donc, si ceux-ci augmentent, certains bonus ne seront
pas atteints. Les Japonais essayent donc de marier productivité, qualité et santé, ce qui
n’est pas sans poser problème. En effet, ces trois enjeux peuvent paraître
contradictoires, le but étant de les rendre complémentaires.
Paris, le 12 mars 2009
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Je voudrais souligner par ailleurs l’importance des enjeux liés à la santé et à la sécurité.
De fait, on assiste en Europe à un rajeunissement global de la main-d’œuvre du secteur
industriel, du fait notamment de fermetures de sites, et du recours accru aux intérimaires.
Cependant, les pathologies et le stress au travail augmentent de façon régulière. De plus,
toutes les statistiques tendent à montrer que les conditions de travail se dégradent,
particulièrement dans le milieu de la production au plus juste.
Je ne suis pas ingénieur, mais j’ai l’impression que les efforts consentis par les
constructeurs visent à simplifier au maximum les outils de production, afin que les
ergonomes (dont certains travaillent directement dans les services RH) puissent intervenir
ex poste. De ce fait, ils rendent donc possible les ajustements induits par cette constante
tension du flux. Ces aménagements seront d’autant plus simples que les tâches ont été
segmentées en amont. J’ai également remarqué une réduction de l’automatisation. Ainsi,
au lieu de machines génératrices de lourdes contraintes, on en revient de plus en plus à
des formes d’automatisation qui peuvent être ajustées par l’opérateur en fonction de ses
besoins.
Dans le même temps, une véritable culture de la santé et de la sécurité est nécessaire. Il
faut donc que les constructeurs intègrent ces enjeux dans leurs cahiers des charges. Il en
va en effet de leur intérêt. On observe donc un problème de culture de management de la
sécurité chez ces derniers. Il s’agit sans doute là du message le plus important ; si les
équipementiers doivent tenir compte de ces enjeux, il en est de même pour les donneurs
d’ordres.
Enfin, la standardisation des chaînes de montages et des postes permet le partage des
informations, la reproduction des meilleures pratiques, et l’intégration complète de la
culture de la sécurité au travail dans le management de la production.
Julien PELLETIER
Dans la même veine que les enjeux de développement durable dont nous parlions ce
matin, une question se pose. Serons-nous assez intelligents pour renouveler les
systèmes de production, ou nous contenterons-nous de reproduire les méthodes
actuelles ? Tel est l’enjeu de demain.
Paris, le 12 mars 2009
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Atelier 2 : Investir dans une prévention
durable des risques professionnels
L’atelier est animé par Laurence THERY, directrice, ARACT Picardie.
Laurence THERY
Pour éclairer la thématique de l’atelier, nous disposerons de trois témoignages, au lieu
des deux prévus initialement puisque Nicolas Joly, responsable HSE de l’entreprise
Nobel Plastique interviendra après Jean-Philippe Seveno de FAURECIA et le tandem,
composé de Florence Lioret et Ernest Dos Santos, de l’entreprise Freudenberg.
Pour nous accompagner dans cet atelier, nous avons la chance d’avoir, en tant
qu’expert, François Hubault, maître de conférences en ergonomie à Paris I. Il nous
aidera, à la fin des trois témoignages, à mettre en avant certains points saillants que nous
pourrons identifier comme leviers d’actions et à nous renvoyer à des questionnements
que nous pourrons investiguer de manière plus approfondie.
Cet atelier propose de discuter et de confronter des expériences intéressantes et
spécifiques sur la thématique « investir dans une prévention durable des risques
professionnels ». Je souhaite tout d’abord préciser les termes de l’intitulé de l’atelier. La
prévention des risques est rarement abordée sous l’angle de l’investissement, notion
associée aux coûts. Investir dans la prévention durable des risques professionnels
signifie donc que l’on attend de ces actions un retour sur investissement. Il faut alors
s’interroger sur l’objet de cet investissement. Que signifie investir dans la santé et dans le
travail ? Investir dans la santé pourrait être considérée d’une manière éthique, pour que
les salariés ne voient pas leur santé dégradée du fait du travail, mais également, au-delà
de cette définition un peu défensive, comme une source de développement pour le
salarié et l’entreprise, en tant qu’exigence de construire sa santé par le travail. Il me
semble intéressant d’explorer ces deux thèmes dans cet atelier. Enfin, il faut nous arrêter
sur la notion de durabilité. Que recouvre la notion de prévention durable ? Est-ce un
gadget de communication ou bien cette notion permet-elle de penser la prévention
autrement ?
Au-delà de la crise actuelle, le secteur des équipementiers automobiles connaît une
explosion des troubles musculo-squelettiques (TMS) et un développement croissant des
atteintes à la santé mentale à travers les risques psycho-sociaux. Ce contexte particulier
est complété par des contraintes importantes de ce secteur qui pèsent sur les
entreprises et les salariés en termes d’exigences de productivité mais aussi de qualité.
Ces deux exigences cumulées sont-elles contradictoires ? Que peut-on tirer de ces
contradictions pour explorer des leviers d’actions dans les entreprises ?
Quels sont les enjeux de cette thématique ? Pour les salariés, il s’agit de travailler et de
conserver un travail tout au long de la vie active et, pour l’entreprise, de conserver les
compétences dont elle a besoin. Chaque entreprise présente son témoignage. Nous
Paris, le 12 mars 2009
27
échangerons ensuite autour du thème présenté. A l’issue des trois témoignages, nous
pourrons instaurer un débat plus large, enrichi par l’intervention de notre expert.
Impliquer la ligne opérationnelle sur la réduction de la
pénibilité des postes de travail
I.
Témoignage
Jean-Philippe SEVENO, DRH établissement FAURECIA, site de Méru (Oise)
Je suis également DRH France et Luxembourg d’une activité du Groupe acoustique qui
fabrique des revêtements de sols et de coffres des véhicules.
1. Présentation du Groupe
Le groupe FAURECIA réalise un chiffre d'affaires de 12 milliards d'euros et emploie plus
de 60 000 personnes sur 28 pays et 200 usines dans le monde. Je vous donne d’abord
un panorama des différents produits que nous fabriquons chez FAURECIA : des planches
de bord et des cockpits, des panneaux de porte, des modules acoustiques, des
échappements, des sièges et des blocs avant. Les sièges sollicitent particulièrement les
collaborateurs et c’est d’ailleurs cette activité qui a démarré le programme mis en place.
Le site de Méru comprend deux gros pôles : d’une part un centre de R&D et les services
centraux, qui emploi 750 personnes, créé en 1995, qui regroupe les futurs programmes
et développement des divisions RSA, PSA et Ford, et d’autre part une usine de
production qui date de 1960, emploie 500 personnes, produit des planches de bord et
des panneaux de porte pour RSA et PSA et qui a lancé ce programme de prévention des
TMS sur sa population. Cette dernière est vieillissante et les postes sont sollicitants pour
les membres supérieurs du corps des collaborateurs (dos, bras). Toutes les opérations
d’assemblage ou de thermo-compression sont effectivement assez sollicitants pour le
collaborateur.
2. L’origine de la démarche
La démarche provient d’une volonté du management qui a pris conscience d’un certain
nombre de problématiques puisque les postes sollicitent beaucoup les collaborateurs,
d’un point de vue physique, et que les salariés vieillissent. Par ailleurs, le rythme de
changement d’activités de travail est relativement important puisque les salariés
changent régulièrement de produits ce qui amène les équipes à se réorganiser. Nous
avons eu certaines opportunités puisque nous avions localement un ergonome certifié et
diplômé, des services médicaux avec un médecin du travail impliqué dans la
problématique et le soutien de la CRAM qui a d’ailleurs participé et contribué au
financement de la formation d’une infirmière qui est devenue elle-même certifiée.
La démarche comprend 10 étapes :
•
une cotation ergonomique de l’ensemble des postes, pour mesurer la pénibilité du
poste - cet outil de mesure a été développé par notre branche Sièges qui sollicite
Paris, le 12 mars 2009
28
beaucoup le corps du collaborateur et est maintenant déployé sur l’ensemble du
Groupe ;
•
une cartographie par couleurs (noir, rouge, orange et vert) selon la pénibilité des
postes ;
•
la constitution d’un Comité de pilotage et de groupes de travail ;
•
la formation des superviseurs et fonctions support aux outils de cotation - cette
formation est pratique et doit être utilisée par le management ; à chaque évolution du
poste, il est recoté par le superviseur ;
•
la définition de plans d’action issus des groupes de travail ;
•
l’implication du CHSCT ;
•
des communications régulières aux salariés
•
une analyse des résultats ;
•
la définition et le suivi des axes d’amélioration ;
•
des lignes pilotes.
3. Les points forts de la démarche
La démarche a été expérimentée sur un secteur pilote, en l’occurrence le secteur A 31
qui fabrique des planches de bord pour la C2 et la C3. Nous avions cinq postes cotés
noirs en mai 2008. La volonté était de capitaliser sur la démarche en anticipant le
démarrage de la production d’une nouvelle référence produit.
La conduite de la démarche s’appuie sur un comité de pilotage, animé par le Directeur
d’usine, qui comprend le coordinateur HSE, la fonction RH, le médecin du travail,
l’infirmière et les responsables d’unités de production. Cette démarche était ensuite
relayée par les groupes de travail, constitués par des opérationnels (opérateur,
superviseur, agent méthode), personnes du terrain qui analysent la situation, définissent
des pistes d’amélioration, les mettent en œuvre et les valident. Une des clés de cette
démarche est qu’elle s’appuie sur un outil simple. Les opérationnels deviennent
propriétaires et définissent les améliorations pour le poste. Le management s’est
impliqué et a été responsabilisé, à travers cette méthode, sur la sécurité de
l’environnement. Les superviseurs et les fonctions supports ont été formés à la cotation
des postes. La réalisation des cotations a été faite par l’encadrement de proximité qui
connaît les postes, avec le soutien du coordinateur HSE.
Nous avons associé et mobilisé les salariés autour de la méthode, avec une démarche
très pragmatique et axée terrain, ce qui permet la transmission par les superviseurs.
L’idée était également d’ancrer la démarche dans la durée, en intégrant l’outil dans les
routines (audit HSE) et en intégrant la cotation ergonomique de postes dans le nouveau
standard de polyvalence de FAURECIA. Chaque salarié a effectivement un carré magique
de polyvalence.
Paris, le 12 mars 2009
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4. L’outil de la démarche
L’objectif était de mesurer le dos et les membres supérieurs sur la notion d’efforts et de
posture. Le résultat de la démarche amène ensuite à établir une cotation du poste par
couleur (vert, orange, rouge et noir). Pour le poste vert, le poste de travail est acceptable ;
pour le poste orange le poste de travail présente un risque potentiel ; pour le poste rouge
le poste de travail est considéré comme étant à risque. Enfin, si le poste est coté noir, il
faut réaliser des actions en priorité. La couleur de la pénibilité des membres supérieurs
plus la couleur de pénibilité du tronc donnent la couleur de la pénibilité du poste. En
fonction de chaque membre du corps et des mouvements réalisés par heure, des points
sont attribués. Le résultat donne la couleur du poste. Les superviseurs ont été formés à
cette méthodologie et la démarche s’avère simple.
Pour les opérations considérées comme critiques, des plans d’actions ont été définis :
telle était la feuille de route du groupe de travail. Lorsque tous les points seront verts,
nous aurons atteint l’objectif fixé. Certains postes passent ainsi de noir à rouge, puis de
rouge à orange et d’orange à vert tandis que d’autres passent directement de noir à
orange ou vert, selon les difficultés à faire évoluer les postes. Nous nous sommes
évidemment d’abord occupés des postes noirs.
5. Les résultats de la démarche
Dans la ligne pilote, nous avions à l’origine cinq postes noirs au mois de mai et nous
sommes descendus à un poste noir. Cette évolution sur la ligne a ensuite été étendue sur
l’usine.
Au-delà du résultat de la ligne, nous avons instauré une approche et une sensibilisation
ergonomiques en amont, dans la conception des produits et des process. Il est
effectivement très important que les ingénieurs de développement produits ou que les
ingénieurs de développement process aient cette préoccupation lorsqu’ils définissent ce
qui arrivera dans les usines car il est ensuite trop tard. Les usines peuvent ensuite
essayer de rectifier la situation lorsque le poste est plus pénible qu’imaginé mais il est
essentiel de faire remonter la sensibilité en amont dans le cadre de la conception des
produits. Nous avons donc progressivement sensibilisé les ingénieurs projets sur les
problématiques ; ils prennent désormais mieux en compte la gestuelle lorsqu’ils
définissent leur process. Nous avons mis en place une formation – intitulée le mémento
ergonomique – dédiée aux ingénieurs développement et process pour leur donner un
vernis ergonomique de quatre heures et qu’ils réfléchissent en amont à ces sujets.
Nous avons intégrons désormais les équipes dans l’analyse ergonomique des
équipements qui seront mis en place et dans le cahier des charges adressé au
fournisseur qui établira le process. Les équipes ergonomiques sont mises
progressivement à contribution dans les implantations industrielles pour les sensibiliser
aux problématiques ergonomiques.
Au niveau de l’usine, nous sommes passés de treize postes noirs en mai 2008 à quatre
postes noirs en février 2009 ce qui montre une évolution significative. Nous nous
sommes essentiellement focalisés sur les postes noirs et nous poursuivons nos actions.
Nous avons par ailleurs réduit le nombre d’accident du travail, avec ou sans arrêt, de 144
en 2007 à 74 en 2008. Enfin, nous avons doublé les idées d’améliorations, outil chez
Paris, le 12 mars 2009
30
FAURECIA d’implication du personnel. Le personnel a ainsi la possibilité d’émettre une
idée simple, dans son périmètre, pour améliorer son poste de travail, sa pénibilité, sa
sécurité : si cette idée est validée, elle est alors mise en œuvre. Cette dynamique
générale nous a permis de doubler les idées d’amélioration ce qui est très significatif.
6. Les perspectives
Nous souhaitons maintenant capitaliser la démarche pour déployer sur l’ensemble de
l’usine et surtout en amont sur la définition de produits et process. Nous avons
également mis en place l’échauffement au travail, qui existe déjà chez Toyota. Le corps
est effectivement sollicité et les salariés doivent donc se préparer à cet exercice. Cet
échauffement se fait à chaque changement de service, pendant que le superviseur
présente la production du jour, les difficultés… Nous avons pour cela consulté un
consultant spécialisé dans les activités sportives qui a étudié les postes et nous a indiqué
les exercices qui devaient être effectués. Cet échauffement permet de se préparer au
travail.
II.
Débat
Marinette SOLER, CFDT Ile-de-France, Présidente de l’ARACT Ile-de-France
Dans cette démarche, vous parlez de la réduction de la pénibilité au poste de travail.
Votre démarche prend-elle également en compte la situation de travail du salarié ? Les
postes de travail ne peuvent effectivement être appréhendés de manière isolée puisqu’il
existe une complémentarité en fonction de la manière donc le salarié travaille. Je trouve
intéressant que vous souhaitiez prendre en compte cette prévention dans la conception
même des produits : parvenez-vous à cela ?
Jean-Philippe SEVENO
Nous avons initié la démarche il y a seulement 10 mois puisque nous l’avons démarrée
en mai 2008. Quand on voit le nombre d’ingénieurs qui s’inscrivent à la formation
« mémento ergonomique », exclusivement destinée aux ingénieurs de développement
produits / process, on constate un intérêt manifeste puisque cette formation est pleine.
Le développement d’un produit prend toutefois plusieurs années et la sensibilisation que
nous avons initiée ne pourra pas être mesurée immédiatement.
Sur la première partie de votre question, nous sommes obligés de prendre en compte
l’environnement et l’interaction entre le poste de travail et le salarié puisque les
collaborateurs sont censés changés de postes pour éviter la répétition des gestes. La
polyvalence reste donc un principe. L’analyse permet de voir le poste et les interactions
avec les collègues pour constater les piétinements, voir s’il faut mettre un tapis
antifatigue ou un siège assis-debout… L’opérateur, l’animateur de l’équipe, le
superviseur et l’agent méthode travaillent sur l’analyse du poste : nous prenons donc
automatiquement en compte l’environnement. Si nous ne faisions pas cela, nous ne
résoudrions qu’une partie du problème.
Paris, le 12 mars 2009
31
Jean-Marc DECERLE, Directeur de la coordination pluridisciplinaire ACMS
J’aurai souhaité avoir davantage de détails sur les chiffres que vous avez donnés. Vous
dites avoir diminué les accidents du travail. Or selon moi, l’approche que vous avez
développée sert davantage à diminuer les maladies professionnelles que les accidents du
travail. Avez-vous beaucoup de maladies professionnelles ? De quel type ? Parvenezvous à les diminuer ?
Jean-Philippe SEVENO
Nous suivons effectivement cet indicateur. Les accidents du travail donnent toutefois une
indication lorsqu’ils augmentent ou qu’ils baissent puisqu’ils sont souvent la partie visible
de l’iceberg. Nous travaillons sur les maladies professionnelles et les suivons mais il en
encore trop tôt pour constater les effets bénéfiques de cette démarche, au bout de 10
mois d’expérimentation seulement. Avec le médecin du travail et les équipes médicales,
nous avons établi des statistiques sur les différents types de maladies, notamment les
TMS et les problèmes de dos, et nous suivrons donc cet indicateur de manière globale
sur cette méthode. Nous essayons également d’associer les collaborateurs. Le fait de
faire évoluer les couleurs sert déjà et la réduction du noir porte ses fruits dans la
dynamique globale.
Isabelle BURVINGT, infirmière ACS Automobile
Je suis pilote de la démarche ergonomique dans mon entreprise. Nous venons d’initier la
démarche. Dans votre outil d’évaluation des postes, avez-vous volontairement choisi
d’exclure les risques psycho-sociaux ? Votre outil semble effectivement biomécanique
alors que nous savons pourtant que les risques psycho-sociaux influent sur les TMS.
Avez-vous volontairement exclu cet aspect pour que l’outil d’évaluation soit plus
accessible à tous ? Pour ma part, j’essaie d’intégrer dans mon outil tout un aspect
psycho-social en discutant avec le salarié de ses ressentis sur le poste en termes de
stress, de difficultés entre le travail prescrit et le travail réel…
Jean-Philippe SEVENO
Nous démarrons notre action et voulions éviter de nous disperser pour tenir sur la durée.
Je me méfie toujours des grands projets, ou projets à tiroir, difficiles à suivre jusqu’au
bout. Nous avons donc commencé par l’aspect mécanique, sur la sollicitation des
membres du collaborateur. Une fois que la dynamique sera ancrée dans les esprits, nous
pourrons envisager de l’élargir. Pour tenir sur la durée, nous avons privilégié une
approche modeste, à petits pas.
Philippe TRAN TAN HAI, responsable de la prévention des risques professionnels,
Mutualité Sociale Agricole Ile-de-France
Je souhaite revenir sur le type de l’atelier et savoir pourquoi votre entreprise a investit sur
ce champ de la pénibilité du travail. Vous avez évoqué le vieillissement de votre
population, ce qui ne me semble pas être un argument convaincant. Pourquoi vous êtes-
Paris, le 12 mars 2009
32
vous donc intéressés à ce sujet ? Le projet émane-t-il du directeur d’entreprise, de la
DRH et des intervenants HSE, d’un tiers ?
Jean-Philippe SEVENO
Nous nous sommes intéressés à ce sujet du fait d’une combinaison d’événements. Il y a
quelques années, une infirmière s’est intéressée à ce sujet à titre personnel et a été
soutenu par sa hiérarchie. La CRAM a accepté d’aider à financer une formation et cette
infirmière a ensuite décidé de passer un diplôme pour devenir ergonome certifié. Lorsque
je suis arrivé, il y a deux ans et demi, je venais de la partie Sièges et je bénéficiais d’une
expérience : j’ai alors demandé à l’infirmière de lancer le programme. Enfin, la CRAM, qui
avait financé la formation, a relancé le directeur d’usine lors d’un CHSCT sur le sujet. De
manière collégiale, nous avons développé un intérêt pour le sujet alors que nous
disposions en outre des moyens de le faire au niveau humain et méthodologique.
Philippe TRAN TAN HAI
Ce qui semble original dans votre présentation c’est que le champ moteur de la
démarche s’inscrit davantage dans le champ social qu’économique.
Jean-Philippe SEVENO
Nous avons de nombreuses restrictions médicales et pouvons soit trouver des solutions
d’adaptation pour les personnes qui ont ces restrictions, soit éviter davantage de
restrictions, soit trouver des lieux et des postes plus adaptés pour tenir compte du
vieillissement de la population. Il y a donc une combinaison du social, de l’économique et
de l’industriel : c’est un ensemble. La dynamique vient du fait que le directeur d’usine et
les opérationnels se sont réellement impliqués dans le processus. Ainsi, le directeur
d’usine participe à tous les comités ; il rédige les comptes-rendus et suit les avancées
mensuellement.
Salima EL ALAMI, médecin du Travail
Je travaille à Sedan et prends en charge le site de FAURECIA à Mouzon. Je trouve que la
démarche est très intéressante, d’autant qu’elle implique les salariés et le CHSCT.
J’essaierai donc d’initier la démarche sur le site de Mouzon, en intégrant la dimension
des risques psycho-sociaux puisque je pense que ceci est faisable avec des échelles très
simples, dans le cadre d’un suivi médical.
Sur la réduction des postes noirs, je souhaite savoir comment les améliorations ont été
apportées, notamment en termes de coûts. Aviez-vous dès le départ un cahier des
charges avec un investissement financier défini ?
Jean-Philippe SEVENO
Nous avons réalisé quelques investissements mais nous nous sommes principalement
appuyés sur le bon sens des gens. Nous avons acheté des tapis antifatigue mais n’avons
Paris, le 12 mars 2009
33
pas réalisé de gros investissements. Quand on donne la parole aux salariés et qu’on leur
demande leur avis sur des postes qu’ils occupent depuis un certain temps, il est assez
facile de définir des pistes d’amélioration. Les résultats sont rapidement visibles et
entrent dans notre dynamique d’amélioration continue. Les idées ne fonctionnent que
lorsqu’elles sont simples et faciles à mettre en œuvre.
Jean-Christophe TOULEMONDE, DRTEFP Ile-de-France
Le contexte actuel de chômage partiel offre peut-être l’opportunité de mener des actions
plus spécifiques, en prenant du temps, pour travailler avec les salariés sur des opérations
de formation et d’amélioration des situations de travail. Pensez-vous qu’il soit possible
de mener actuellement de telles actions ? Celles-ci permettraient d’apporter une solution
au chômage partiel.
Jean-Philippe SEVENO
Nous réalisons effectivement un peu de formations mais nous ne résolvons
malheureusement pas le problème de manque d’activité par des formations car nous
sommes confrontés à des problèmes de trésorerie puisque nous ne produisons pas de
pièces. La vie continue tout de même car, si les périodes de chômage partiel sont des
gros trous d’air, l’usine n’est pas amenée à disparaître. Comme la démarche est lancée,
nous la continuerons puisque nous retrouverons, lors de la reprise, les mêmes
problématiques.
Jean-Christophe
Ma question est la suivante : comment transformer du temps non utile en temps utile sur
des projets d’amélioration des conditions de travail ?
Jean-Philippe SEVENO
Nous consacrons effectivement un peu de temps sur les groupes de pilotage mais ne
faisons pas davantage.
Paris, le 12 mars 2009
34
Prévention et gestion du stress au travail
I.
Témoignage
1. Origine du projet
Florence LIORET, Responsable RH FREUDENBERG
Freudenberg emploie au niveau mondial 30 000 personnes réparties sur quatre grands
domaines d’activité, notamment celle d’équipementier automobile. Le site de
Freudenberg Joints Elastomères est implanté à Langres ; il compte actuellement
133 personnes, avec un chiffre d'affaires de 20 millions d'euros. Nous fabriquons des
joints d’étanchéité pour moteurs à base de caoutchouc. Nous sommes site de
production avec une population d’opérateurs de 80 %. Les 20 % restants sont des
personnels administratifs pour les services supports, maintenance et RH.
Le groupe ZEN a été initié à partir d’une réflexion commencée en novembre 2007. Des
facteurs externes et internes ont influencé cette décision. Au niveau externe, les
statistiques liées au stress, notamment au niveau européen, montraient qu’entre 23 et
30 % des arrêts maladies étaient dus à des situations de stress. Le stress a également
des effets sur la performance puisqu’il peut engendrer un manque de concentration, une
perte d’assurance dans ses compétences et dans ses capacités. Enfin, depuis quelques
années, les textes de loi prolifèrent au niveau européen et national, avec notamment
l’accord interprofessionnel du 2 juillet 2008, signé par l’ensemble des partenaires
sociaux. Au niveau interne, nous avons constaté l’apparition et le développement des
TMS. Nous avions également une population vieillissante même si la moyenne d’âge est
actuellement assez jeune puisque les salariés ont en moyenne 37 ans en ateliers et 38
ans dans les bureaux puisque la population se renouvelle peu (un renouvellement l’année
dernière et aucun cette année. Enfin, la culture du groupe Freudenberg est très orientée
sur la sécurité.
2. L’apparition et le développement des TMS
Ernest DOS SANTOS, Responsable sécurité environnement FREUDENBERG
Notre démarche a commencé par les TMS et a ensuite été relayée par le stress. En
janvier 2006, nous avons eu notre première maladie professionnelle du coude. Valérie
Claudet, la directrice d’usine, était très sensibilisée à la sécurité et à la santé ; elle a pris
conscience de la nécessité d’agir et m’a demandé de lancer une démarche sur les TMS.
Je me suis alors rapproché de la médecine du travail qui comprenait, outre le médecin,
une infirmière et une ergonome spécialiste des démarches sur les TMS. En mars 2007 et
en novembre 2007, nous avons eu deux autres maladies professionnelles, toujours du
coude.
Les TMS touchent principalement les articulations ; ils sont régis par cinq tableaux de
maladies professionnelles, principalement par le 57 qui regroupe près de 80 % des
maladies.
Paris, le 12 mars 2009
35
Les principaux facteurs d’apparition des TMS sont biométriques, liés à l’entreprise (effort,
posture et productivité), à l’organisation du travail ou à l’ambiance du travail (éclairage…)
ou à l’individu (conditions physiques, âge, ancienneté, sexe, facteurs psycho-sociaux
avec le stress et la satisfaction au travail).
Les TMS ont un coût pour l’individu (gêne dans le travail, risque de perte d’emploi et
d’exclusion, séquelles fonctionnelles…) et pour l’entreprise, de manière directe sur le
compte AT-MP. Ainsi, le coût moyen d’un TMS du coude s’élève à 19 000 euros.
Nous avons tout d’abord sensibilisé le CHSCT aux risques des TMS. Nous avons ensuite
adressé aux salariés un questionnaire de santé, établi avec la médecine du travail, pour
disposer d’une typographie de la douleur des personnes. A partir de là, nous avons
identifié les facteurs de risque sur la cinquantaine de postes de travail, rassemblés en
une dizaine de familles, en prenant en compte les membres supérieurs et inférieurs. Les
membres inférieurs sont rarement pris en considération mais nous avons pourtant choisi
de les inclure puisqu’une douleur au pied engendre l’adoption d’une mauvaise posture
qui se répercutera sur les membres supérieurs. Nous nous sommes ainsi basés sur les
documents INRS en les simplifiant et en intégrant les membres inférieurs. Nous avons
ensuite établi une corrélation entre les douleurs des personnes et les facteurs de risques
sur les postes et avons développé un outil d’étude ergonomique. Des groupes de travail
ont enfin été constitués afin de transformer les conditions de travail sur les postes.
Nous devions ensuite réaliser un contrôle conditionnement en septembre 2008. Du fait de
la crise, nous avons toutefois dû procéder à des réorganisations dans l’entreprise et
avons donc repoussé cette étape au second semestre 2009. Dans l’intervalle, l’entreprise
a pris un virage technologique, en développant un process qui améliore les conditions de
travail. Avant 1996, le moulage était manuel, avec des pièces qui sortent d’un four à 180
degrés. Nous sommes ensuite passés, entre 1996 et 2006, à un moulage semiautomatique pour développer, à partir de 2006, un process qui améliore véritablement les
conditions de travail. Le moulage est désormais automatique et le robot assume toutes
les tâches trop sollicitantes pour les collaborateurs.
Nous menons donc les actions sur deux fronts : d’une part en modifiant et en améliorant
les conditions de travail en faisant évoluer les postes et d’autre part en ayant recours à la
technologie.
3. La constitution du Groupe ZEN
Florence LIORET
Le stress est un facteur aggravant des TMS. En octobre 2007, nous avons débuté une
analyse très opérationnelle avec Valérie Claudet, directrice de site, par une formation
dispensée par des kinésithérapeutes qui faisaient un lien entre stress et performance ou
non performance et nous ont donné des clés de réflexion sur ce sujet. Nous avons alors
décidé de constituer un groupe représentatif de l’entreprise en novembre/décembre
2007, dans la logique participative de l’entreprise Freudenberg qui dispose de groupes
d’amélioration continue qui implique les salariés. Ce groupe représentatif était donc
constitué de personnes de chaque équipe, d’un membre du CHSCT, d’un ou deux élus
du Comité d’Entreprise et d’une personne représentant les bureaux. Les personnes se
sont inscrites lorsqu’elles souhaitaient être bénévoles et nous avons ensuite procédé par
Paris, le 12 mars 2009
36
tirage au sort pour constituer le groupe, composé de sept personnes. Avec Ernest Dos
Santos, nous animons ce groupe. Une fois le groupe constitué, nous avons expliqué les
enjeux de la démarche et avons mené une enquête interne pour mesurer le niveau de
stress dans l’entreprise et établir un diagnostic. Le questionnaire a été élaboré avec les
membres du groupe, en majorité opérateurs qui connaissent bien les problématiques.
Une fois le diagnostic établi, nous avons pu élaborer un plan d’action pour répondre aux
problèmes soulevés, évalué et ajusté tous les mois. Le groupe ZEN se réunit tous les
mois ; il a vocation à perdurer dans le temps.
Nous avons voulu faire comprendre aux membres du groupe que traiter le stress en
entreprise était à la fois une action de prévention, pour réduire les sources de stress liées
à l’organisation, et une action de correction pour réduire les conséquences du stress, en
apprenant aux personnes à gérer leurs émotions et leur stress.
L’enquête interne a été réalisée en décembre 2007 : 53 % des collaborateurs ont
répondu spontanément, avec une forte représentativité des équipes, des sexes…. Une
des questions faisait appel au subjectif puisqu’elle était « pensez-vous être stressés ? »
ce qui a montré que trois quarts des répondants étaient peu ou pas stressés tandis que
seuls 1,4 % des répondants se déclaraient continuellement stressés. Après
recoupement, il est apparu que ces personnes continuellement stressés exerçaient des
fonctions de contrôleur qualité, soit des personnes faisant le tampon entre les mouleurs
et les techniciens. Nous avons revu cette organisation qui passe désormais de plus en
plus par l’autocontrôle : de ce fait, les mouleurs contrôlent davantage leurs joints et les
personnes de la qualité réalisent du contrôle en continu et non plus du contrôle à 100 %.
Il a ensuite été demandé aux salariés s’ils étaient stressés avant, pendant, après le
travail. Nous nous sommes alors rendu compte qu’avant la journée de travail, le stress
est inexistant ou moindre pour plus de 90 % des répondants, que pendant le travail, les
réponses augmentent d’un tiers, et qu’après la journée de travail, le stress retombe mais
reste plus important qu’avant la journée. Ce questionnaire nous a permis à l’époque de
mesurer le stress au travail.
Les manifestations sont les suivantes : symptômes physiques (dos, cou, maux
d’estomac) et émotionnels (crises de larmes…). Nous avons restitué ces résultats à
l’ARACT et à la CRAM et nous nous situions dans la moyenne du secteur.
Les facteurs de stress sont les suivants : l’organisation du travail à 32 %, les relations
avec les collègues à 30 %, le management à 22 %, l’environnement du travail à 7 %, le
manque de confiance en soi à 9 %.
Isabelle BURVINGT
Derrière le manque de confiance en soi, y avait-il le manque de reconnaissance de
travail ?
Florence LIORET
Au niveau des agents de maîtrise, nous avons eu un bon taux d’entretiens annuels de
progrès en 2007 puisqu’il s’établit à 80 %. La confiance en soi n’est donc pas trop
relative à la reconnaissance. Les chefs d’équipes gèrent cependant entre 25 et 30
Paris, le 12 mars 2009
37
personnes : nous ressentons que les salariés ont réellement besoin de considération
individuelle.
4. Les actions menées
Le questionnaire interrogeait les personnes sur les actions qu’ils jugeraient efficaces dans
l’entreprise. Nous avons donc mené certaines actions. Le Groupe ZEN a ainsi rénové la
salle de pause qui était vieillissante et où les salariés passent 20 minutes par jour.
L’implication des salariés du Groupe ZEN a eu un impact positif auprès de l’ensemble
des salariés. Le Groupe ZEN a également procédé à la rénovation des vestiaires durant
une période de chômage partiel.
Des formations internes ont été dispensées en interne, tous les lundis, sur les TMS, la
gestion du stress et l’assertivité (ou comportement vis-à-vis d’autrui) pour 10 salariés à
chaque fois. Les salariés reçoivent ainsi une formation sur les TMS, en expliquant ce que
sont les TMS. Etre assertif revient à s’assumer tel qu’on est, avec ses capacités et ses
volontés, et de le faire accepter à autrui. Quatre comportements sont ainsi définis : la
fuite, l’agressivité, l’assertivité et la manipulation. Ces formations se basent sur des jeux
et permettent aux salariés de prendre du recul sur certaines réalités quotidiennes. Nous
sommes également en train de rédiger, au niveau de l’entreprise, une charte antistress
qui définisse les 10 bonnes conduites à tenir. Nous avons lancé un concours pour
élaborer cette charte et avons retenu 10 grandes idées, ou commandements antistress :
nous sommes actuellement en train de rédiger une bande-dessinée pour illustrer ces
commandements, dans un but de sensibilisation au quotidien.
Des réunions de travail ZEN sont organisées pour traiter des problèmes quotidiens,
principalement au niveau de l’atelier : à raison d’une fois par mois, le chef d’équipe réunit
cinq ou six personnes de son équipe pour faire le point sur les problèmes quotidiens,
décompresser et traiter les problèmes avant qu’ils n’empirent.
Enfin, un observatoire du stress a été mis en place.
Ernest DOS SANTOS
L’observatoire du stress suit certains indicateurs tels que l’absentéisme (hors longues
maladies), les soins bénins dispensés à l’infirmerie, les consultations ZEN réalisées par
l’infirmière, les éventuels burn-out, la prise de substances par les salariés.
Florence LIORET
Tous ces indicateurs sont suivis dans le respect de la confidentialité.
Florence LIORET
Nous ajustons ces principales actions au fil des mois. Les relais ZEN – ou membres du
groupe ZEN - prennent leur rôle à cœur et les salariés viennent progressivement se
confier à eux car il est plus facile d’aller voir ces relais que le chef d’équipe ou l’infirmière,
qui n’est pas constamment présente sur le site.
Paris, le 12 mars 2009
38
Pour mener cette démarche, les points clés sont les suivants : l’impulsion et le soutien de
la Direction – au niveau du groupe et de la directrice de site, puisque cette dernière s’est
réellement impliquée dans le projet, la culture de la sécurité et de la santé, une culture
participative dans l’entreprise, l’inscription du projet dans une démarche de prévention et
non dans une situation d’urgence, la taille de l’entreprise qui facilite le travail, l’aide
externe de l’ARACT, de la CRAM et de la médecine du travail.
II.
Débat
Un intervenant, chargé de mission ergonome à l’ARACT Champagne Ardennes
Nous apprécions les entreprises comme Freudenberg qui s’appuient sur l’extérieur mais
disposent d’une culture permettant la mise en place de tels projets. Ce projet s’inscrit
dans une démarche continue d’amélioration.
Un intervenant
Avez-vous conçu votre questionnaire ou avez-vous repris un questionnaire type
Karasek ?
Florence LIORET
Nous nous sommes inspirés de l’existant mais le groupe ZEN a adapté le questionnaire
aux spécificités de l’entreprise. Nous voulions que le questionnaire soit simple.
Isabelle BURVINGT
Comme je suis convaincue de l’amélioration de la production avec l’amélioration des
conditions de travail, avez-vous observé une amélioration de la production suite à votre
démarche ou commencez-vous à la percevoir ?
Ernest DOS SANTOS
Depuis deux ans, nous n’avons eu que 6 ou 7 jours d’arrêts maladie. Nous n’avons pas
eu de maladies professionnelles depuis 2007. Le contexte actuel rend toutefois
l’évaluation difficile.
Philippe TRAN TAN HAI
Comment s’articule le groupe ZEN avec le CHSCT ?
Florence LIORET
L’outil mis en place par l’observatoire du stress est vu trimestriellement en CHSCT.
Paris, le 12 mars 2009
39
Ernest DOS SANTOS
Un membre du CHSCT est également présent dans le groupe ZEN.
Philippe TRAN TAN HAI
On peut supposer que les acteurs du Groupe ZEN sont témoins et échos de nombreux
sujets autres que le stress au travail. Ne remplacent-ils pas le CHSCT ou viennent-ils en
complémentarité de la mission des membres du CHSCT.
Florence LIORET
Je pense qu’ils sont complémentaires.
Une intervenante
Avez-vous estimé le temps que consacrent les chefs d’équipe à la gestion du stress ?
Comment cette nouvelle mission s’articule-t-elle avec leurs autres activités
quotidiennes ?
Florence LIORET
Le métier de chef d’équipes évolue avec le temps et se professionnalise
progressivement. Quand je suis arrivée dans l’entreprise, il y a deux ans et demi, il
existait un poste de paie / gestion des temps mais pas de poste de RH. Nous avons
donc instauré une nouvelle culture en intégrant l’aspect humain et cette fonction a pris
une plus grande importance. Les chefs d’équipe en retirent donc un bénéfice puisque
traiter les petits problèmes au quotidien permet d’éviter ensuite de plus gros problèmes.
Si les chefs d’équipes sont favorables à cette démarche, elle leur prend toutefois du
temps.
Paris, le 12 mars 2009
40
Prévenir les risques TMS
Laurence THERY
Nicolas JOLY nous présente un retour d’expérience sur 10 ans de démarche TMS avec
les points positifs et les points négatifs.
I.
Témoignage
Nicolas JOLY, responsable HSE du site de Vitry le François, Nobel Plastique
La politique du président du Groupe est la suivante : « nous sommes sûrs de pouvoir
atteindre nos objectifs en investissant sur les personnes, la technologie et la qualité ».
L’aspect humain est donc primordial.
Le site de Nobel Plastique à Vitry est fournisseur du secteur automobile, spécialiste du
domaine de l’extrusion, de l’injection, du formage et de l’assemblage des canalisations
plastiques de transfert de fluides (carburants, environnement moteur, assistance freinage,
assistance de direction). En termes de TMS, le formage et l’assemblage sollicitent les
collaborateurs tandis que les deux autres fonctions sont automatisées.
Le site comprend une usine et un centre technique avec plus de 600 salariés. Il bénéficie
d’une certification en termes qualité, environnement et sécurité. La certification sécurité
est importante puisque nous avons intégré dans les démarches de management la
sécurité et les aspects relatifs aux maladies professionnelles. Un programme annuel
prend donc en considération les maladies professionnelles.
Le sujet des TMS n’est pas nouveau sur le site de Vitryat. L’objectif de la prévention était
d’intégrer ces préoccupations au niveau de la conception des machines, lors de
l’intégration des salariés, des formations et des recyclages des personnes. Quand nous
accueillons de nouveaux personnels, permanents ou temporaires, nous proposons
effectivement une formation à la sécurité globale au niveau du site. Une autre formation
sécurité est spécialisée au niveau du poste de travail avec, notamment, la mise en place
de fiches sécurité. Des tuteurs accompagnent en outre les salariés durant trois semaines
sur chaque poste de travail sur les aspects relatifs à la sécurité, à la qualité et à
l’environnement. L’intégration des nouveaux salariés constitue effectivement un aspect
primordial de la prévention des TMS et des accidents du travail.
Les TMS concernent principalement les épaules, les coudes, les mains et les poignets.
L’action de prévention des TMS est ancienne. Le site a été créé en 1991 et le CIEST
(service santé sécurité au travail) de Vitry le François a commencé à intervenir dès 1994
avec des rapports annuels du médecin du Travail et des études du médecin du Travail.
Nous avons instauré des relations privilégiées avec notre médecin du Travail qui
affectionne particulièrement notre site puisqu’il est très intéressant en termes
d’ergonomie. Nous bénéficions donc d’un partenariat avancé avec ce médecin. Cette
personne est sur le site quasiment depuis cette création puisqu’elle est arrivée en 1994.
L’ANACT est intervenue à partir de 1995 tandis que la CRAM Nord-est, par le biais de
son pôle ergonomie et de son service prévention, a envoyé dès 1998 sur le site un
Paris, le 12 mars 2009
41
ergonome ainsi qu’un ingénieur conseil prévention. Des ergonomes sont en outre venus
faire des stages sur le site et ont réalisé des études sur la conception des systèmes de
site production. La CRAM Nord-est a dédié un ergonome sur le site industriel jusqu’en
2004 : c’était la première fois qu’elle instaurait un partenariat si approfondi.
En interne, des évolutions ont été apportées par le CHSCT et le pôle santé-sécuritéqualité. La fonction de responsable sécurité n’a toutefois été créée qu’à partir de 2006 :
auparavant, cette fonction était assumée par les responsables RH. Des postes
d’animateurs sécurité-environnement, issus de la production, ont été créés. L’infirmière
travaille de manière assidue sur le sujet ainsi que certains stagiaires. Des techniciens
d’amélioration se sont également impliqués dans le processus : ces personnes sont
dédiées, d’un niveau hiérarchique, à un responsable de production mais elles
interviennent également à nos côtés sur l’ergonomie puisqu’elles mettent en place les
systèmes au niveau du terrain et adaptent certains postes de travail.
Des actions concrètes d’amélioration et des progrès ont été menées. Elles sont parfois
difficilement appréhendées par le personnel et par les instances. Ainsi, un travail a été
réalisé sur le dimensionnel, la conception et l’organisation spatiale des postes de travail.
Pour diminuer les efforts, nous avons équilibré les masses pour la rotation afin de
diminuer les efforts de frottements. Nous avons également réalisé l’optimisation des
commandes à main. Nous avons en outre introduit des aménagements et des réglages
pour optimiser l’accessibilité par des réglages en hauteur ou en inclinaison ou le
rapprochement. Nous avons enfin limité les risques liés aux ports de charge.
L’objectif était d’adapter le poste de travail aux personnes ce qui n’est pas toujours
évident puisque les personnes qui travaillent sur un même poste mesurent des tailles
différentes. Ainsi, alors qu’une pédale était auparavant actionnée par la main sur un poste
de travail fixe, nous avons introduit la possibilité de régler le poste en hauteur, grâce à un
cric puis de manière automatique, et remplacé la pédale par un champignon puis par une
balle de tennis qui améliorait l’ergonomie. Des évolutions successives ont donc été
apportées aux postes de travail, pour un coût bien plus élevé. Par ailleurs, sur un poste
de formage, nous avons introduit la possibilité de régler le poste sur deux zones et
instauré un niveau à bulles. Pour l’approvisionnement, les gestes créaient des contraintes
au niveau du dos : nous avons donc abaissé le cadre et supprimé une partie du socle
pour que les personnes puissent prendre les primaires beaucoup plus facilement.
Au niveau organisationnel, nous avons créé des unités autonomes pour instaurer une
polyvalence et la caractérisation de postes « allégés » pour toutes les personnes ayant de
plus grandes difficultés à utiliser les process. Ceci nous a également permis de réaliser
des rotations des personnes au cours de la journée, en diminuant la gravité et la
fréquence avec comme principe deux heures au formage et deux heures à l’assemblage.
Des postes de ravitailleurs ont également été créés : il s’agit de personnes qui alimentent
en matériels composants chacun des postes ce qui permet de limiter au maximum
l’encombrement des postes et de diminuer la hauteur des contenants. Une unité pilote
comprend les unités d’assemblage, optimisées en termes ergonomiques avec des tapis
antifatigues, un rapprochement des postes pour diminuer le nombre de gestes, des
éléments d’affichages…
En synthèse, il existe deux manières de travailler : au cas par cas et par grands chantiers.
Le système au cas par cas fonctionne et apporte de réelles améliorations mais les gains
sont parfois absorbés par l’évolution et l’augmentation des contraintes au niveau du
Paris, le 12 mars 2009
42
produit puisqu’il s’agit d’un système curatif. Les améliorations sont en outre intégrées
dans le fonctionnement « normal » et donnent l’impression que peu d’actions ont été
menées sur les TMS. Par ailleurs, les grands chantiers se sont au final révélés très
complexes puisqu’il faut développer des systèmes de méthodes, très chronophages et
pas toujours très efficients. Ces grands chantiers n’aboutissent pas toujours alors qu’ils
ont mobilisé de nombreux acteurs : le risque est alors de démotiver ces personnes.
Tout ce travail a permis de contenir au maximum l’augmentation des restrictions
médicales ce qui n’est toutefois pas mesurable. Des progrès certains ont été réalisés et
le résultat serait sans doute plus négatif si rien n’avait été entrepris. Nous recherchons
toutefois désormais d’autres pistes.
Paris, le 12 mars 2009
43
Identification des leviers d’actions
Laurence THERY
Quels sont les leviers d’actions que ces trois exemples nous ont apportés ? Quels sont
les éléments généralisables en termes de bonnes pratiques ?
François HUBAULT, maître de conférences, Paris I
Je trouve les propos tenus très intéressants car ils montrent que de nombreuses actions
sont menées. Les témoignages s’inscrivaient en outre dans une chronologie puisque la
première entreprise vient d’entamer son action, même si elle avait déjà initié des actions il
y a 15 ans, ce qui montre qu’il est difficile de durer. La troisième expérience est plus
ancienne et interroge sur la manière de pérenniser ces actions.
A travers les questions de TMS, du stress, des risques psycho-sociaux, nous sommes
sur des pathologies du quotidien qui ne participent pas spontanément des modèles
« cause-effet » qui ont l’avantage d’être facile à régler puisqu’en apportant des solutions
aux causes, les effets disparaissent. En tant que pathologies du quotidien, il s’agit donc
de problèmes que l’on ne règle jamais. Dans ces situations, il ne faut pas aborder cette
problématique avec l’idée qu’il sera possible de régler les problèmes et de passer à autre
chose. Il est difficile de faire entendre ceci aux différents interlocuteurs, notamment aux
ingénieurs pour qui les problèmes se règlent. En l’occurrence, il s’agit de problématiques
qui s’inscrivent dans la durée, dont les évolutions ne peuvent jamais se traiter en termes
de solutions mais plutôt de réponses provisoires. Il faut rester constamment vigilant ce
qui relève d’une culture du quotidien, de la proximité, de l’attention, de l’écoute.
Un intervenant
La culture de base est pourtant l’amélioration permanente qui n’a donc, par définition,
aucune fin. Les ingénieurs savent donc bien qu’il faut toujours recommencer le
lendemain.
François HUBAULT
J’entends bien cette notion mais, dans les affaires de risques et de santé, il ne s’agit pas
d’un produit qui puisse être constamment amélioré, en fonction des exigences du client.
Pour la prévention, les questions ne peuvent en revanche pas être maîtrisées puisqu’elles
sont multifactorielles et dynamiques. La question du quotidien est centrale et le problème
des entreprises consiste en leur rapport au quotidien. Or dans les entreprises le quotidien
n’a pas un statut fort ; il est considéré comme avoir le « nez dans le guidon ». Le
quotidien permet toutefois de comprendre ce qui se passe quand cela se passe : il s’agit
d’un problème de réglage de la proximité. Une grande difficulté de la gestion et du
management est, qu’à travers le reporting, elle organise une absence des personnes à
qui on en parle de l’endroit dont on leur parle.
Paris, le 12 mars 2009
44
Dans les TMS ou le stress, il n’est pas possible de raisonner sur le poste travail mais il
faut raisonner sur l’activité. Plus on se concentre sur le poste de travail, plus on reste sur
une approche biomécanique de la sollicitation alors que la question est plus large. Une
des grandes difficultés de la cotation des postes et qu’elle évalue le risque à partir des
postes et non des personnes. Il risque alors d’y avoir un paradoxe puisque les postes
passeront au vert sans pour autant que les personnes authentifient la situation comme
meilleure. La question pourra alors fuir ailleurs, ce qui ne signifie toutefois pas qu’il ne
faut pas que les postes noirs passent au vert. Une entrée par le poste coince toutefois et
renvoie à une compréhension et à un modèle qui ignorent que les TMS sont des
pathologies de la relation. Quand on parle de débordement, de problème d’adéquation
entre le niveau de la sollicitation et la capacité de la réponse, on voit bien que la vision se
base sur la relation. Pour que les actions menées s’inscrivent sur la durée, il faut prendre
conscience de la globalité des enjeux.
Ce quotidien et le fait qu’il relève d’une relation pose de réels problèmes de reporting et
d’évaluation. Les énoncés sont alors difficiles à capter dans le système comptable. De ce
fait, les actions prennent un caractère un peu invisible. Il faut donc développer dans des
tableaux d’information des systèmes qui déplacent le regard. Vous avez mis en avant le
fait que l’infirmerie est la centrale stratégique d’informations : c’est effectivement à
l’infirmerie que l’on trouve la compréhension anticipatrice puisque c’est le l’endroit où
nous avons les moyens d’accéder à des signaux simples qui permettent de suivre et
d’anticiper les risques. S’il existe à l’infirmerie une capacité d’entendre les signaux et
dans l’entreprise une capacité d’écoute, sans déjuger d’avance, en considérant que les
bobos ne sont pas simplement des bobos mais aussi des informations sur les tensions,
le management gagne alors en puissance d’anticipation. Ce point relève d’un modèle de
management et suppose d’aller contre certaines postures théorico-idéologiques des
services de santé qui ne sentent pas capables ou pas dans le rôle de transmettre ces
informations. La question de la proximité se joue là. Je sais d’expérience que l’infirmerie
est un endroit extrêmement puissant de la compréhension puisque les TMS sont.
Derrière cela, une des grandes questions posées dans les organisations concerne le
rapport au temps. Dans les grandes entreprises, il existe un rapport au temps avec l’idée
que certaines activités n’ont pas de valeur ajoutée, ce qui crée en soi un risque
d’intensification des gestes professionnels avec le paradoxe que, tout ce qu’on gagnerait
d’un côté avec de moindres déplacements ou efforts, devrait être réaffecté. Dans cette
idée, toute seconde libérée doit être réaffectée à une autre tâche. Ce qui est en jeu ici,
c’est un effet de modèle économique où il faut valoriser comme des investissements ou
des activités productives des activités qui ne le sont qu’à titre indirect. Cette
intensification est la source la plus important du risque. Cette approche ne s’intéresse
pas à la santé mais uniquement à la maladie. Le terme de prévention indique que l’intérêt
ne porte pas sur le risque mais du danger avec une approche du travail en termes de
coûts. Il existe donc un rapport entre un modèle économique qui, en termes comptables,
ne connaît le travail que comme un coût et un modèle de management qui ne connaît la
santé que comme un risque : dans les deux cas, on tente de diminuer, le coût ou le
risque. Cette relation ne parvient pas à développer : si la santé doit être développée, il
faut alors concevoir le travail non seulement comme un coût mais également comme un
élément valorisable en tant que ressource. Dans les organisations de production comme
le secteur automobile, le système de gestion oblige à s'organiser d’une manière qui
fondamentalement contient le travail davantage comme un coût qu’il faut réduire que
comme une ressource à développer. En fait, on essaye de faire les deux en compensant
Paris, le 12 mars 2009
45
cette approche par des pratiques visant à libérer des initiatives locales ou à solliciter les
initiatives. Comment assumer le fait qu’il s’agit d’une tension ?
Un intervenant, chargé de mission ergonome
Le secteur automobile a été le premier secteur à bénéficier des avancées de l’ergonomie
et du soutien des institutions de prévention. Les entreprises ont utilisé les avancées et
une culture commune s’est progressivement installée. Ainsi, les entreprises du secteur
automobile sont plus ouvertes vers l’extérieur, accordent une place plus importante à la
médecine du travail et sollicitent davantage les ARACT ou les CRAM. Nous avançons
désormais ensemble pour trouver les meilleures solutions. Dans certaines entreprises,
une certaine maturité s’est instaurée.
Ernest DOS SANTOS
Dans le temps, les personnes affectées au service sécurité étaient celles qui étaient
mises au placard : la situation a considérablement évolué depuis cette époque.
Isabelle BURVINGT
En tant que professionnels de la santé, nous avons du mal à nous entendre et à nous
comprendre avec les personnes de la sécurité ou les ingénieurs de la conception. Ces
personnes ont effectivement reçu des formations techniques et ont l’habitude d’apporter
une solution à un problème. Dans le domaine de la santé, nous considérons au contraire
les personnes dans leur globalité. Il est alors difficile de se comprendre et de gérer
ensemble les risques. Dans cette culture de l’entreprise, avec des objectifs de résultats, il
s’avère complexe de prendre en compte les facteurs liés à l’être humain. Malgré toutes
les démarches initiées, je ne sais pas comment le problème TMS pourra être contenu.
François HUBAULT
Les professionnels de la santé et de l’ergonomie doivent apprendre à parler à la gestion,
en comprenant ce dont elle a besoin pour réaliser son travail. Nous devons donc
construire les moyens d’informer et de documenter la question pour la rendre visible et
consultable. Ceci étant, il est important de préciser que le découpage d’une approche
technique ne peut pas être applicable à l’humain puisque l’humain est multiple. Les
découpages réalisés à distance ne peuvent plus être réalisés à proximité. Il faut
cependant récupérer une certaine distance dans le quotidien pour pouvoir piloter les
actions. L’espace de management doit être réinvesti.
La question du collectif n’arrive pas à se poser. Le collectif n’existe que dans les groupes
de travail, soit dans une organisation hachée puisque l’organisation a atomisé les
prestations des personnes avec des temps calculés sur des gestes individualisés. La
dimension de la coopération est considérée comme des temps sans valeur ajoutée, soit
des recouvrements qui empêchent d’identifier et d’imputer des sources de coût ou de
profit dans un modèle qui a pourtant besoin de les atomiser pour pouvoir garder une
visibilité suffisante. Le rapport à la dynamique du collectif comme dynamique productive
est un enjeu de modèle. Nous sommes sur ce point sur une guerre de religion puisque
Paris, le 12 mars 2009
46
nous avons affaire, dans les entreprises, à des personnes dont le métier est de dire la
messe – en racontant une fable et en ramenant sur un modèle d’exécution qui a perdu
toute substance et rend impossible de penser.
Un intervenant
Pour moi quand on parle de stress, il s’agissait en premier lieu d’écouter les personnes
sur le terrain. Les personnes ont ensuite eu la possibilité d’exprimer leurs problèmes et
participent aux opérations d’amélioration. Ce point est essentiel et constitue une
avancée : il n’est pas possible de faire quelque chose sans impliquer l’ensemble du
personnel. La culture de Freudenberg est basée sur l’idée, présente dans le top
management, que tous les salariés peuvent s’exprimer et s’impliquer. Les entreprises
sont aujourd'hui nombreuses à avoir compris cela et à appliquer ces principes. Je ne suis
donc pas d’accord avec vos propos qui laissent entendre que les salariés ne sont pas
écoutés et ne disposent pas des moyens de participer directement à la création de leurs
postes de travail.
Florence LIORET
Les logiques de temps de l’entreprise et de l’humain diffèrent. De ce fait, la solution
adoptée n’est donc pas toujours la meilleure mais elle permet parfois d’apporter une
réponse rapide, quitte à l’adapter ensuite. La logique de la performance financière et
humaine s’oppose alors à la logique humaine, inscrite sur le long terme.
Un intervenant
La personne qui a mal au dos dès 11 heures du matin n’est pas productive : nous ne
pouvons alors pas ignorer ce problème. Il faut s’occuper de la satisfaction de la personne
puisque, si elle n’est pas heureuse, elle n’est pas productive.
François HUBAULT
Le fait de faciliter l’expression des salariés ne règle pas le problème. Il s’agit d’un enjeu
de culture qui correspond à la culture de l’entreprise. Dans les témoignages apportés ce
jour, on sent qu’il y a, au départ, un pari ou une conviction du directeur de site. Ces
derniers ne sont pas convaincus au terme d’une démonstration mais au terme d’une
conviction. Il ne sera donc pas possible de faire changer les choses uniquement en
démontrant l’avantage à faire autrement. Cette idée de la conviction est donc
extrêmement importante.
Un intervenant
Le gros danger est de généraliser puisque les situations diffèrent selon les entreprises. Il
existe en Champagne Ardennes des entreprises qui tentent de sauver l’essentiel sans
sacrifier les conditions de travail. Nous sommes conscients dans nos régions des
problématiques économiques mais devons aller au-delà en se posant davantage de
questions et en acceptant les nuances.
Paris, le 12 mars 2009
47
François HUBAULT
Qu’est ce qui bloque ?
Un intervenant
Qu’est ce qui concourt à forger cette conviction dont vous parliez ?
François HUBAULT
Nous ne pourrons trancher la question en quelques minutes. Je suis convaincu qu’un
modèle est installé dans les esprits et bloque les évolutions. Le secteur automobile est
particulier puisque toutes les entreprises ont adopté le même modèle et le suivent, dans
une logique mimétique. La marge de manœuvre est alors extrêmement réduite sauf
exceptions qui existent puisque certaines personnes ont la capacité politique et morale
de tenter et d’emporter l’adhésion. A l’heure de la crise, les entreprises encaissent le
bénéfice d’investissements immatériels occultes antérieurs.
Paris, le 12 mars 2009
48
Atelier 3 : Développer les compétences pour
améliorer l’employabilité des salariés
Michel FORESTIER, directeur de l’ARACT Champagne Ardenne
Je suis le directeur de l’ARACT Champagne-Ardenne, la région la plus étendue de
France. Le projet de ce séminaire et de ce thème d’études a vu le jour bien avant que la
crise actuelle ne se déclenche. Les partenaires sociaux ont d’ailleurs débattu au sein de
notre Conseil d’Administration de l’opportunité de traiter le sujet des conditions de travail
en cette période particulière. En effet, le problème le plus manifeste est aujourd'hui celui
de l’emploi. Il faut cependant se garder d’opposer le problème de l’emploi à la question
des conditions de travail, car une telle démarche serait contre-productive, surtout pour
l’ARACT, dont la mission porte sur l’amélioration des conditions de travail.
Dans notre région, le secteur du textile subit des tendances encore plus alarmantes que
celui de l’automobile : ce secteur, implanté à proximité de Troyes, voit son activité
diminuer continuellement depuis le XIXème siècle. Dans les secteurs économiques qui
connaissent cette décroissance, la question de l’emploi et celle des conditions de travail
vont de pair. La qualité de la vie au travail est un facteur déterminant de l’attractivité du
secteur.
Par ailleurs, je vous rappelle que notre réseau a adopté une vision large de la question
des conditions de travail. Cette vision inclut la compétence, le développement et la
reconnaissance du salarié. Au-delà des problèmes de pénibilité physique, la compétence
est une facette primordiale de la qualité de vie au travail : il est en effet primordial pour un
salarié de savoir effectuer les tâches qui lui sont assignées, et d’être reconnu pour ce
savoir-faire. Il s’agit d’un élément important de sécurisation subjective.
Cet atelier est celui qui a recueilli le plus d’inscriptions. Le terme « employabilité » a sans
doute déterminé une partie de ce succès. L’employabilité est la capacité d’être apte à
l’emploi, cette capacité étant vécue comme un atout. Nous avons cependant choisi
d’étudier des expériences concrètes qui ne constituent pas des solutions universelles.
Quatre témoignages nous permettront de prendre connaissance de situations
particulières auxquelles ont été apportées des réponses elles-mêmes particulières. Il faut
donc se garder de généraliser ces expérimentations de manière hâtive. Je voudrais
d’ailleurs remercier les personnes qui ont accepté de témoigner car il n’est pas toujours
facile de faire part de ses difficultés.
Les quatre témoignages nous permettront d’engager une discussion sur des expériences
et des éléments concrets. Nous pourrons nous interroger, mais également critiquer, dans
la mesure où cette critique reste constructive dans la perspective de l’employabilité.
Jacques Coutant, qui fait partie du programme d’experts et qui interviendra en début
d’après-midi, relancera les témoignages à l’aide d’une ou deux questions. Le débat
débutera après les quatre présentations. L’ordre de passage, qui a été établi par Jacques
Coutant, tient compte du contenu des présentations.
Le premier témoignage concerne le site de Valeo Reims et sera présenté par Olivier
Cagnac, DRH Europe, et Romain Chevalet, chargé de mission de l’ANACT qui est
Paris, le 12 mars 2009
49
intervenu sur ce site. Il s’agit d’ailleurs du seul témoignage qui comporte une intervention
de l’ARACT/ANACT. Le deuxième témoignage porte sur Toyotomi et sera rapporté par
Sabrina Tahier, responsable RH et Frédéric Brayelle, responsable de
production/qualité/maintenance. Le troisième témoignage porte également sur Valeo
mais sur un autre site, à Amiens, et sera rapporté par Fabien Gillen, directeur RH et
Marcel Blond, ancien expert. Enfin notre dernier témoignage portera sur la société
Experconnect, dont Gilles Effront est le Président.
I.
Présentation du cas de Valeo Reims, par Olivier CAGNAC et
Romain CHEVALET
Olivier CAGNAC, DRH Europe Valeo
Nous allons vous présenter le chantier que nous avons mené en commun avec l’ANACT
sur le site de Reims. Lorsque ce chantier a démarré au début de l’année 2006, notre site
comptait 1 100 collaborateurs et fabriquait trois types de produits : des radiateurs, des
condenseurs et des refroidisseurs d’air. L’usine comportait donc trois halls, chacun dédié
à la production d’un produit. En raison de la concurrence externe et interne (ouverture
d’une usine en Pologne) et de l’état actuel du marché, l’usine a été incapable de prendre
des commandes pendant un an et demi à deux ans. Face aux importantes baisses de
prix (entre 8 et 10 % par an entre 2002 et 2010), l’usine ne remportait plus aucun marché.
Nous devions donc trouver une solution pour ce site compétent, reconnu,
géographiquement très bien situé par rapport aux pays clients de l’Ouest européen. Deux
hypothèses se présentaient à nous. Nous pouvions décider de fermer le site, avec les
conséquences politiques, sociales et économiques qu’une telle solution implique. Nous
pouvions également décider d’investir sur ce site afin de changer le modèle de
production. Nous avons sélectionné la deuxième hypothèse et nous avons totalement
reconstruit l’usine de l’intérieur en trois ans. Il s’agissait d’automatiser les trois lignes de
production pour revenir à un prix concurrentiel sur le marché. Notre objectif était
également d’être en mesure de servir tous les clients de l’Ouest européen (hors
Allemagne) sur des productions de grandes séries. Le business model a été validé, les
financements ont été débloqués, et nous avons répondu à des offres commerciales qui
permettaient d’assurer l’avenir de l’usine.
La transformation du site a constitué la partie la plus difficile. Nous avons dû gérer deux
conséquences contradictoires de la transformation du site. Tout d’abord, l’automatisation
entraînait une réduction des effectifs de 30 %, ce qui imposait de mener un PSE.
Parallèlement à cette cessation d’activité pour certains personnels, les deux tiers des
effectifs restants devaient s’adapter à la transformation du site et s’engager dans un très
grand projet de transformation.
Je suis arrivé en 2005 à mon poste, et lors d’une première réunion portant sur le projet,
j’ai soulevé la question de l’adéquation entre les compétences actuelles des personnels
et les compétences qui seraient nécessaires une fois l’automatisation menée à bien. Le
chef de projet industriel et le responsable industriel n’avaient pas encore traité ce
problème. Des compétences en électronique et en électrotechnique allaient être
nécessaires, et les personnels du site n’étaient pas qualifiés. Le chantier avait été conçu
sans que la question des compétences humaines soit abordée. Il aurait quasiment fallu
se séparer de l’ensemble des personnels et embaucher 600 nouvelles personnes.
Paris, le 12 mars 2009
50
Cette situation est à l’origine de notre collaboration avec l’ANACT, que nous avons
sollicitée pour nous aider à mettre en place une solution. Nos besoins portaient sur trois
domaines : l’organisation industrielle, les compétences et les conditions de travail. Je
précise que l’ANACT n’était pas concernée par le chantier du PSE.
Romain CHEVALET
Pour répondre à la demande d’Olivier Cagnac, nous avons axé notre intervention dans le
but de construire le volet humain de la transformation de Valeo. Notre démarche
comprenait quatre dimensions pour favoriser l’appropriation des futures situations de
travail par les salariés. Le contexte induit des mutations très importantes dans un délai
assez court.
La première dimension consistait à permettre une organisation du travail et un
aménagement des postes qui limitent les effets négatifs liés à l’automatisation et à
l’évolution de l’activité, notamment les situations de dépendance organisationnelles, les
risques d’augmentation des cadences, la répétitivité des gestes, la limitation des marges
de manœuvre et de l’autonomie des opérateurs. La deuxième dimension visait à
permettre aux salariés de pouvoir mobiliser leurs compétences actuelles et futures dans
le cadre de ces nouveaux systèmes. La troisième dimension de notre démarche avait
pour objectif une information complète des salariés sur le projet, afin qu’ils puissent
suivre son avancée et être acteurs des modifications et des évolutions relatives aux
nouvelles productions. Enfin, la quatrième dimension consistait à permettre
l’identification et la reconnaissance des compétences mobilisées à l’avenir sur les lignes
automatisées.
Pour ce faire, nous avons mis en place une démarche participative et paritaire avec
Valeo.
Olivier CAGNAC
L’ANACT a proposé de mettre en place une structure très participative, avec des groupes
de travail incluant les différents acteurs de l’entreprise : la production, des représentants
du personnel, les services RH, la maintenance. Nous avons ainsi assisté à un
rapprochement des différents groupes de l’entreprise, qui n’avaient pas toujours
l’habitude de travailler ensemble. Certains responsables formation se sont fortement
investis par exemple, en passant beaucoup de temps dans l’usine au lieu de rester dans
leur bureau. Certaines personnes du secteur opérationnel ont participé à la définition des
besoins et des cahiers des charges : ils ont imaginé le changement et l’ont traduit en
compétences. Cette définition était essentielle à la mise en place de formations
adaptées. Un certain nombre d’ateliers de simulation ont été ouverts et ont permis
d’améliorer le projet
Romain CHEVALET
Pour accompagner les changements sur le site, nous avons mis en place une démarche
« fil rouge ». La base de cette méthode a été la simulation de l’activité future probable,
grâce à des maquettes et à des plans. Ces simulations ont permis de prévoir certains
aménagements de postes (notamment de nature ergonomique) et la future organisation
du travail. Nous avons également pu identifier les compétences et les savoir-faire
Paris, le 12 mars 2009
51
nécessaires dans le cadre du fonctionnement de ces lignes, et rédiger des cahiers des
charges « formation » très précis pour chacun des métiers. La nature des différents
changements a été détaillée dans ces cahiers des charges. Par ailleurs, des référentiels
« compétences » ont été rédigés, avant même que les lignes automatisées commencent
à fonctionner. Ces référentiels ont servi de support de discussion entre les méthodes, le
chef de projet de la ligne, la responsable formation et les élus. Sur cette base, nous
avons pu effectuer des pesées de poste et reconnaître les évolutions des métiers et des
grilles de qualification. Nous avons ainsi pu réaliser des appels de recrutement en interne
pour les nouveaux postes créés. Des nouveaux intitulés ont également vu le jour : par
exemple, un « opérateur de mariage » est devenu un « conducteur de moyens
automatiques marieur ».
Il est important, dans un projet de conception et de mutation, d’avoir identifié des
compétences et des savoirs clefs, mais il convient de s’assurer qu’ils seront
effectivement mobilisés dans le cadre de la future organisation. Grâce aux simulations,
nous avons pu nous rendre compte que certaines compétences clefs, comme la
supervision ou les capacités d’un opérateur à anticiper des bourrages sur certains
équipements, ne pouvaient pas être mobilisées, dans la mesure où les délais étaient
extrêmement contraints. Un travail important a donc été conduit sur l’organisation du
travail pour permettre à l’opérateur de mobiliser ces savoir-faire.
Olivier CAGNAC
En conclusion, je voudrais simplement exposer les éléments de réussite du projet.
L’usine fonctionne. Les personnels sont toujours compétents, mais sur des moyens
différents, et leur qualification s’est accrue. La moitié du personnel a radicalement
changé d’activité. Les points forts ont été la simulation de l’activité future et le
rapprochement entre la production, les RH, les organisations syndicales et l’ANACT, qui
ont tous contribué au projet. Nous rencontrons encore certaines difficultés aujourd’hui,
notamment à la suite de la dernière phase d’automatisation qui a eu lieu en
décembre mais le processus est lancé. Certains personnels doivent encore suivre des
formations pour accéder à d’autres niveaux de qualification.
Jacques COUTANT
Puisque le thème de l’atelier est le développement des compétences pour améliorer
l’employabilité des salariés, je voudrais savoir si cette démarche améliore vraiment
l’employabilité du personnel sur ligne. Généralement, dans les démarches
d’automatisation, les besoins en qualification des employés de maintenance
augmentent : les mécaniciens peuvent devenir électromécaniciens ou automaticiens.
Très souvent cependant, l’emploi du personnel de production est déqualifié et ce
personnel n’est plus employé qu’à alimenter les machines. On peut se demander si cette
évolution améliore réellement son employabilité.
Olivier CAGNAC
En effet, Romain avait identifié le risque que l’activité de certains personnels consiste à
l’avenir uniquement à alimenter les lignes. Les personnels du terrain craignaient aussi de
Paris, le 12 mars 2009
52
perdre leur métier pour une activité moins qualifiée et moins gratifiante. Cependant, nous
ne sommes pas confrontés à ce problème aujourd’hui : 15 à 25 % des personnels
possèdent désormais une qualification supérieure à celle qu’ils avaient avant la mise en
place du projet. Alors que nous avions des personnels de coefficient ‘155’, voire ‘170’ ;
tous ces postes sont actuellement à ‘170’ ou à ‘190’, et le responsable formation travaille
sur des référentiels à ‘215’ parce que nous avons toujours besoin de plus de
compétences. Ces qualifications ont un prix mais il semble naturel qu’une personne dont
le travail est plus qualifié, et qui nous « rapporte », soit accompagnée, formée et mieux
rémunérée.
Par ailleurs, de nombreuses formations ont débouché sur des CQPM. Or les personnels
formés avaient souvent quitté l’école très tôt sans obtenir de diplôme. Grâce à ces
CQPM, ils ont eu accès pour la première fois à un diplôme qui a une vraie valeur sur le
marché, et ils ont développé une vraie fierté d’avoir obtenu ce diplôme. Si l’employabilité
est définie comme la capacité à être employé, il me semble que notre démarche a
répondu à la fois aux besoins de l’entreprise et à ceux des salariés.
Michel FORESTIER
Merci pour ce témoignage sur lequel vous aurez l’occasion de revenir lors du débat.
Nous allons à présent en venir au témoignage de Sabrina Tahier et Frédéric Brayelle, à
propos de Toyotomi.
II.
Présentation du cas de Toyotomi, par Sabrina TAHIER et Frédéric
BRAYELLE
Sabrina TAHIER, responsable RH Toyotomi
Nous avons souhaité vous présenter le principe de polyvalence que nous avons déployé
et que nous déployons encore au sein de notre entreprise. Notre approche n’a pas été
conceptuelle, mais plutôt applicative, quotidienne, pratique, concrète et pragmatique au
sein de l’entreprise.
Notre entreprise est une filiale de Toyota qui a été créée en 2005. Nous fabriquons des
pièces de rechange pour les anciens véhicules sur le parc européen. Nous livrons une
plateforme logistique située à Bruxelles pour couvrir et livrer tous les concessionnaires en
Europe. Nous produisons aujourd’hui environ 1 000 pièces/jour et nous atteindrons une
production de pièces de série de 21 000 pièces par jour d’ici deux ans (une livraison
toutes les 20 minutes). C’est le prochain grand projet que nous allons mener.
Nos métiers s’articulent autour de plusieurs process : sont l’emboutissage, l’assemblage
des pièces, la soudure, la peinture cataphorèse, l’emballage. Pendant deux ans, il s’est
agi de démarrer la production, d’intégrer les équipes, d’effectuer les différents transferts
et d’intégrer les nouvelles références. L’autre challenge était de passer de 20 salariés en
2005, à 70 en 2007 et 120 en 2008.
Notre activité concerne les pièces de rechange. Nous travaillons donc uniquement sur
des petites séries et le volume de production dépend fortement des saisons : en
particulier, en hiver, les accidents sont plus nombreux et notre production augmente. La
Paris, le 12 mars 2009
53
variété des pièces fabriquées est également très importante. Tous les matins, nous
recevons les commandes qui mentionnent les références à fabriquer. Certaines
références doivent être fabriquées tous les mois, d’autres tous les deux mois ou une fois
par an. Ce contexte est important et constitue le principal facteur explicatif de notre choix
d’appliquer la polyvalence au sein de l’entreprise. Nous recevons une commande par
jour, assurons une livraison par jour et disposons de deux jours pour produire. Nous nous
inscrivons donc dans un mode de fonctionnement « juste à temps » sans stock.
L’enjeu de notre projet était de former nos salariés à ces compétences diverses :
l’emboutissage, la soudure, mais aussi le pont, le chariot, l’emballage, tous les métiers
qui entourent les process. Certains de nos métiers sont très physiques et pénibles
puisque la taille et la variété des séries ne permettent pas une automatisation très
importante.
Nous avons voulu développer le principe de polyvalence pour assurer la flexibilité de la
main-d’œuvre face à la variabilité de nos commandes. Nous avons voulu développer une
polyvalence totale : un opérateur peut être tour à tour cariste, pontier, pilote de ligne,
peintre, soudeur, agent logistique. Nous n’avons qu’un seul métier. Nous allons vous
exposer les moyens que nous avons mis en œuvre pour y arriver. Cette polyvalence
devait aussi nous permettre d’optimiser les effectifs, c’est l’un des arguments que nous
avons mis en avant pour vendre le projet à la direction. L’employé est plus rentable
puisqu’il sait tout faire.
Nous voulions développer un véritable esprit d’équipe contrairement aux pratiques
observées habituellement dans l’industrie, où il est courant d’accuser le collègue ou
l’autre atelier. Nous voulions que tous partagent un objectif commun, que la motivation
des personnels soit maintenue. A cet égard, on sait que la routine tue la motivation et que
la répétitivité, par le manque d’attention qu’elle peut induire, peut nuire à la qualité Nous
voulions vraiment donner aux salariés la possibilité d’exercer un métier diversifié. De plus,
la rotation sur les postes permet de faire baisser significativement le risque de TMS.
Nous avons défini les objectifs grâce à un partenariat entre service RH et service
production, sachant que ces deux services n’ont pas toujours les mêmes intérêts. Le
principe de polyvalence a toutefois été mis en place en prenant en compte ses
applications RH et la gestion des compétences aussi bien que l’aspect production et la
gestion quotidienne, afin que ce projet soit applicable et viable à long terme.
Nous avons eu la chance de pouvoir organiser le recrutement à notre arrivée dans
l’entreprise. Nous avons défini des profils et des critères de sélection des agents. Nous
avons quasiment recruté les 100 salariés, et nous avons profité de cette liberté. Lors
d’informations collectives, les règles de polyvalence ont été exposées dès le départ. Les
process ont été expliqués et nous avons exigé que les personnes recrutées adhèrent à
ce projet, afin qu’elles ne refusent pas par la suite de se plier aux contraintes de la
polyvalence. La clef du succès réside dans l’aspect collectif du système.
Nous avons également défini le parcours d’intégration et de formation. En effet, la
polyvalence implique un investissement en temps et en argent dans la formation.
Paris, le 12 mars 2009
54
Frédéric BRAYELLE, responsable Production Toyotomi
Nous intégrons les nouveaux en binôme, selon un principe de parrainage souvent
appliqué. Cependant, nous appliquons également une règle de management visuel, à
l’aide de casquettes jaunes pour les nouveaux et de casquettes vertes pour les tuteurs.
Ce système permet aux managers et à la sécurité d’identifier bien plus rapidement les
situations à risque, les mauvaises postures ou les erreurs.
Par ailleurs, les opérateurs changent d’activité tous les quarts temps. Ils ne savent pas
sur quel poste ils seront amenés à travailler lorsqu’ils arrivent. Les trois ateliers principaux
sont l’emboutissage, la soudure et la peinture. Les opérateurs sont attitrés par définition
à un atelier, mais ils tournent sur quatre postes différents dans la journée, qui peuvent
aller du poste de cariste d’un chariot 25 tonnes à celui de pilote d’une ligne de peinture
par cataphorèse. Lorsque certains personnels sont absents, et qu’un processus amont
est prioritaire, les agents peuvent être déplacés. Il ne s’agit pas pour eux d’un choix mais
d’une obligation, qu’ils ont acceptée à l’embauche.
Nous tenons cependant compte de l’état de forme de la personne. En effet, nous avons
développé la prise de parole en ‘com’ le matin et si l’un des opérateurs n’est pas en
forme, il est possible de lui attribuer un poste plus léger. Cette technique constitue une
garantie de performance, qui est atteinte en groupe. Cette règle s’applique également en
retour de maladie : les informations relatives aux tâches que la personne en question
peut ou ne peut pas effectuer sont partagées avec l’équipe. En aucun cas, la polyvalence
n’est remise en cause.
Il m’a fallu convaincre les chefs d’atelier qui soutiennent que la polyvalence et le turn over
sont mauvais pour la performance de leur atelier. Je leur ai expliqué qu’il s’agit d’un
investissement à long terme. Lorsque certains salariés sont absents, les chefs d’ateliers
sont désormais contents de pouvoir faire appel à des employés d’autres ateliers. Le taux
de service peut ainsi être conservé ; pour notre production de 1 000 pièces par jour, il se
situe en moyenne à 96 % sur l’année 2008. Ces avantages sont très appréciables. Pour
finir de convaincre les responsables d’ateliers ou les agents de maîtrise, il faut également
leur faire valoir que la polyvalence est un remède à l’ennui : peu de gens souhaitent
effectuer la même tâche répétitive pendant toute leur vie professionnelle, d’un point de
vue intellectuel comme d’un point de vue physique.
Mon rôle et celui des RH consistent à rappeler régulièrement ces règles. Les agents de
maîtrise qui les ont mal respectées pendant ces trois premières années sont sanctionnés
sur le manque de polyvalence de leur équipe, comme ils le seraient pour un manque de
performance ou de qualité. Certains ne toucheront pas l’intégralité de leur augmentation
individuelle en raison de ces manquements.
Nous espérons que l’avenir nous donnera raison sur le choix de cette polyvalence. En
termes de performance, l’entreprise est d’abord perdante puisqu’il faut investir dans la
formation, mais notre taux de service est ensuite très bon. Nous avons enregistré
seulement 14 réclamations l’année dernière. Nous avons un objectif en pièces de
première monte pour 2011, à 21 000 pièces par jour, et à 10 ppm, à savoir l’objectif le
plus élevé des fournisseurs Toyota en Europe. Nos objectifs sont ambitieux, nous
essayons de nous en donner les moyens, tout en soignant le moteur de notre entreprise,
qui est constitué par des hommes.
Paris, le 12 mars 2009
55
Sabrina TAHIER
Je souhaite simplement préciser qu’aucun salarié ne souhaite reprendre un travail
classique au sein d’une autre entreprise car tous apprécient la polyvalence.
Jacques COUTANT
Après le tableau idyllique du développement de la polyvalence que vous nous avez
dressé, on en vient presque à se demander pourquoi tout le monde n’adopte pas cette
solution. Cependant, comment envisagez-vous de reconnaître dans le temps les
meilleures compétences, les meilleurs potentiels, pour favoriser l’évolution des salariés,
dans la mesure où les opérateurs changent de poste toutes les deux heures ? Il n’est
sans doute pas plus épanouissant de conserver la même qualification chez Toyotomi
pendant 30 ans que de visser les mêmes boulons pendant cette période.
Frédéric BRAYELLE
Je ne possède pas de réponse toute faite à cette question. Pendant 10 ans, chez
d’autres équipementiers, j’ai travaillé en production et subi le système et ses faiblesses.
Après un grave accident de la route, je me suis remis en question en tant que manager,
qui poussait ses équipes à la performance. Je me suis rendu compte que j’étais diminué
physiquement et que je n’étais plus capable de travailler comme mes collègues. J’ai
donc essayé de pallier ce manque en développant ma polyvalence : en raison de ma
faiblesse physique, je ne pouvais plus être excellent dans certains domaines, mais je
pouvais acquérir une compétence moyenne dans des domaines très variés et parvenir à
un résultat équivalent à celui de mes collègues.
Les personnes sont justement évaluées sur leur polyvalence et sur la performance.
Chacun est un membre de l’entreprise. Dans cette logique, il m’arrive d’aider certaines
équipes lorsqu’un retard se manifeste. Nous avons également instauré un système de
boîte à idées. Dans ce cadre, toute personne qui soumet une idée se voit accorder du
temps pour la mettre en œuvre. Seules les idées réalisées sont récompensées. Un
système de récompense de 8 euros par idée réalisée par mois a été mis en place. Les
idées peuvent intervenir dans le domaine de la sécurité ou dans celui de la
productivité/qualité. Le premier prix, l’année dernière, était un voyage au Japon dans
l’usine mère pour découvrir les techniques. L’un des deux gagnants était d’ailleurs un
intérimaire.
Michel FORESTIER
A présent, je vais passer la parole à Fabien Gillen, afin qu’il nous entretienne de son
expérience à Valeo Amiens.
Paris, le 12 mars 2009
56
III. Présentation du cas de Valeo Amiens, par Fabien GILLEN
Fabien GILLEN, directeur RH Valeo Amiens
L’expérience dont je vais vous entretenir est diffusée dans l’ensemble du groupe. Le
groupe Valeo compte 121 sites de production dans le monde, 61 centres de recherche et
développement et 51 200 employés. Il est présent dans 27 pays et a réalisé 8,8 milliards
d’euros de chiffre d’affaires pendant l’exercice 2008. 5,5 % de ce chiffre d’affaires est
consacré à la R&D.
Nous avons souhaité valoriser ce capital R&D en l’investissant sur un capital humain. La
position de leader technologique de Valeo implique des efforts importants dans ce
domaine, et des personnels qualifiés. Nos recherches doivent permettre au groupe
d’accompagner nos clients dans les évolutions technologiques mais également de créer
les ruptures technologiques qui constitueront les nouveaux standards du marché.
La valorisation de la technologie avancée passe par la constitution d’un capital humain
apte à porter les efforts de R&D. Il faut donc attirer les chercheurs, les fidéliser, et leur
permettre d’exercer leurs compétences de telle sorte que leurs recherches soient
fructueuses. La particularité de notre schéma tient à l’offre d’un plan de carrière
intéressant. Nous avons décidé de positionner au même niveau la « voie royale » de la
posture managériale et la filière d’expertise.
Trois niveaux d’expertise ont ainsi été créés : master expert, senior expert et expert. Trois
paramètres permettent d’identifier l’expertise : la connaissance, les réalisations
personnelles (qui nous permettent de transposer industriellement les innovations
technologiques) et la transmission des savoir-faire. La transmission doit également
intervenir avec d’autres secteurs de l’entreprise, la notion d’expertise chez Valeo ne
concernant pas uniquement les produits mais également les process. Les métiers sont
développés, perfectionnés, généralisés sur l’ensemble des sites. Il est très important,
face aux exigences de la filière, de mettre en place des standards qui s’appliquent à
l’ensemble de l’entreprise. L’expert a vocation à partager son savoir de manière utile
avec l’ensemble des structures du groupe.
Pour attribuer un niveau d’expertise, nous prenons en compte l’ancienneté, synonyme de
capitalisation et d’expérience. 4 ans de travail approfondi dans un domaine de spécialité
sont nécessaires pour atteindre le niveau d’expert, 6 ans pour être senior expert, et au
moins 10 ans pour devenir master expert. Pour devenir expert, les exigences en termes
de réalisations recouvrent le développement de la mise en œuvre industrielle des
solutions techniques jugées innovantes, dans lesquelles l’apport personnel a été
déterminant. Le senior expert est la personne qui trouve ces solutions, qui sont brevetées
par le groupe Valeo. A cet égard, Valeo est aujourd’hui le quatrième groupe français en
termes de dépôt de brevet, ce qui illustre ses efforts en matière de R&D. Enfin, le master
expert est l’auteur de ruptures technologiques, dont le niveau est reconnu à
l’international. Ces ruptures sont celles qui créeront les leaders de demain.
Ces éléments de concrétisation des trois grades d’expertise permettent d’inscrire cette
reconnaissance dans une démarche de développement personnel et continu, qui évite la
stagnation. Un collège composé des patrons de la R&D, des patrons industriels et des
RH se réunit annuellement pour identifier au sein du groupe les talents qui peuvent
prétendre au grade d’expert. Cette reconnaissance est validée par le directeur de
Paris, le 12 mars 2009
57
branche et par le Président du groupe, Thierry Morin, qui est amené à valider
individuellement chacun des dossiers d’expert. Au sein de la branche transmissions, qui
compte 4 500 personnes, 50 experts sont reconnus.
De plus, tous les trois ans, nous sommes amenés à nous réinterroger sur la qualification
de chacun. Nous évaluons le travail réalisé : la personne a-t-elle maintenu son niveau de
connaissance et de savoir-faire au niveau attendu dans son domaine de spécialité ? A-telle participé à la transmission des savoirs en organisant des réunions d’information ou
en coachant des membres du réseau pour les amener au niveau de compétence
attendu ? L’expertise est appréciée de manière très fine afin que nous puissions la
valoriser au même niveau que l’expérience managériale. La reconnaissance intervient au
niveau du statut, mais la compétence est aussi valorisée financièrement. L’effort de
savoir-faire est récompensé financièrement. Il ne faut pas craindre de rémunérer les
personnes qui sont performantes dans une organisation.
Sur ce plan-là, la notion d’expertise est intéressante au sein de Valeo, car à travers une
évaluation fine du niveau de responsabilité de chacun, une table de correspondance
permet de reconnaître un niveau d’expertise au même titre qu’un niveau de
responsabilité managériale. Si la capacité de travail doit être reconnue, l’expert doit aussi
accéder à une reconnaissance matérielle et statutaire. Cette reconnaissance est à
l’origine d’un cercle vertueux qui aboutit à une meilleure qualité de travail.
Aujourd’hui, sur l’ensemble des champs de compétences utiles pour la branche
« transmissions », nous avons identifié 60 % de compétences couvertes par les experts,
37 % de compétences couvertes par les pré-experts et 3 % de compétences pour
lesquelles nous devrons trouver des talents à l’extérieur de l’entreprise. A l’issue de la
période de crise, je ne doute pas que nous retrouverons le dynamisme nécessaire à
l’intégration de nouveaux talents au sein du groupe.
Je devais initialement être accompagné de Marcel Blond, ancien expert au sein de la
société, mais il n’a pas pu être présent. Une autre de nos particularités est l’extension de
la valorisation de l’expertise au-delà de la vie professionnelle, notamment dans la
problématique de gestion de l’emploi senior (et ce sujet permettra une transition avec le
témoignage concernant Experconnect). Les compétences de très haut niveau, que nous
avons mis du temps à développer et à cultiver - un master expert chez Valéo est une
sommité internationale reconnue et seules une dizaine de personnes au sein du groupe
sont parvenues à atteindre ce niveau - doivent pouvoir être utilisées le plus longtemps
possible et notamment après le départ à la retraite. Nous avons donc mis en place à
l’aide d’Experconnect un dispositif centré sur nos experts, pour leur permettre, une fois
retraités, de continuer à contribuer, par l’intermédiaire de missions de consulting, à
l’activité de l’entreprise et à certains projets qui nous tiennent à cœur. Ils peuvent ainsi
faire bénéficier l’entreprise de leur expertise pendant quelques années supplémentaires.
Cette possibilité est intéressante car elle permet une transition douce entre la vie
professionnelle et la vie post-professionnelle.
Jacques COUTANT
La reconnaissance des experts que vous mentionnez est-elle une vraie reconnaissance
ou un « lot de consolation » pour ceux qui n’ont pas été capables d’emprunter la voie
Paris, le 12 mars 2009
58
royale du management ? Cette reconnaissance enferme les experts dans leur expertise
et ils n’ont plus la possibilité de rejoindre la filière managériale.
Fabien GILLEN
Si la voie royale du management est une notion communément appliquée au sein des
entreprises, la notion d’expertise telle qu’elle a été promue chez Valeo vise à la
reconnaissance d’une réussite différente, qui n’est pas liée à la taille des volumes gérés
en termes de chiffres d’affaires et d’effectifs. Dans une société qui se positionne comme
un leader technologique, ce capital humain - la connaissance, la capacité à développer et
à transmettre - est tout aussi digne d’être valorisé.
Des correspondances ont d’ailleurs été établies avec les niveaux de management.
Lorsqu’un expert est positionné au niveau d’un membre de comité de direction ou d’un
membre de direction de division, c’est une manière de lui reconnaître un même grade et
un même niveau de responsabilité, même si l’expression de la compétence est différente.
Un certain nombre de grands talents s’expriment mieux dans des équipes restreintes et
sur des problématiques spécifiques que sur des problématiques larges concernant
l’organisation et le management. Cette manière positive d’envisager l’expertise permet de
parler de « voies royales » au pluriel au sein du groupe Valeo.
Michel FORESTIER
Merci pour cette présentation. Nous allons à présent écouter Gilles Effront nous
présenter Experconnect et ses réalisations.
IV. Présentation du cas d’Experconnect, par Gilles EFFRONT
Gilles EFFRONT, président d’Experconnect
Experconnect n’est pas un équipementier. Cette société a pour vocation de mettre à la
disposition des entreprises des compétences de haut niveau provenant exclusivement de
retraités. Notre domaine d’activité est donc nouveau et particulier. Notre entreprise
bénéficie de disponibilités et de compétences prolongées, flexibles, à des coûts très
compétitifs. Les intéressés, experts de haut niveau ayant achevé leur carrière, sont très
heureux de poursuivre des activités dans leurs domaines d’expertise puisqu’il s’agit de
sujets qui les ont motivés toute leur vie.
Plusieurs phénomènes jouent aujourd’hui en faveur de l’utilisation des compétences des
retraités. Le premier est l’organisation des entreprises autour de projets qui les poussent
à n’héberger en leur sein que des salariés employés à temps plein et à chercher des
personnes aux domaines de compétences spécifiques pendant la durée des projets. Le
deuxième phénomène qui joue en faveur de notre activité est le choc démographique.
Nous avons souvent été alertés de manière négative sur le manque d’experts à venir.
Cette tendance se vérifie, mais il est également possible de considérer cette situation
comme un atout. De très nombreuses personnes de haut niveau sont disponibles et ont
encore la volonté de travailler. Dans ces conditions, nous encourageons les entreprises à
utiliser ce vivier de compétences.
Paris, le 12 mars 2009
59
Les retraités sont intéressés par ce système car ils peuvent conserver une activité, plus
ou moins importante, selon leurs desiderata. L’Etat se réjouit de cette activité puisque
ces retraités continuent à cotiser et à payer des impôts. Les entreprises ont la possibilité
de retrouver des compétences ou de prolonger celles qu’elles ont contribué à former. Les
différents acteurs impliqués sont donc tous gagnants grâce à ce système.
Je précise que le terme « expert » n’est pas utilisé dans notre société au même sens que
chez Valeo. Seuls certains de nos personnels sont des experts, au sens où Monsieur
Gillen l’entend. Il s’agit surtout d’un terme « sympathique » que nous avons choisi, afin de
ne pas employer le mot « retraité », ou « senior », pour qualifier ces personnes qui ont
beaucoup d’expérience et qui sont à la retraite.
Les experts retraités présentent certaines caractéristiques qui les distinguent des actifs.
Ils sont généralement libérés de toute ambition carriériste puisque leur carrière est
terminée. Ils sont soucieux d’objectivité et de franchise, à présent que leur parole est
libre. Ils sont généralement attachés à transmettre les compétences et les savoirs qu’ils
ont accumulés pendant leur vie professionnelle afin que leur expérience ne disparaisse
pas avec leur cessation d’activité. Cependant, ils ne sont motivés que par les tâches qui
les intéressent. Pour ces raisons, les experts retraités s’intègrent bien, en général dans
les équipes de jeunes actifs.
Pour la majorité d’entre eux, ils sont dégagés des préoccupations liées aux revenus,
puisque le versement de leur retraite leur procure une certaine sécurité financière. Ils sont
souvent très disponibles puisque les contraintes familiales sont allégées à cet âge.
Lorsqu’ils ont passé toute leur carrière dans une entreprise, ils sont attachés à sa culture
et défendent ses valeurs ; les employeurs peuvent donc compter sur ces ressources pour
promouvoir l’image de la société.
Nous réalisons un travail avec les experts retraités pour établir quelles sont leurs
compétences, lesquelles ils souhaitent utiliser, et comment elles peuvent être
positionnées par rapport au marché. Nous les accompagnons pour la création d’un statut
leur permettant d’exercer une activité professionnelle, plusieurs possibilités existant en la
matière. Puis nous leur proposons des missions rémunérées. Nous nous occupons des
procédures administratives. Les experts retraités cherchent principalement à retrouver ce
qu’ils ont perdu avec la rupture de la retraite : un environnement professionnel, une
reconnaissance, des facilités matérielles.
Les entreprises ont recours à ce mode de recrutement pour plusieurs raisons. Il leur
permet de répondre à des besoins ponctuels ou très spécifiques (compétences très
pointues). De manière plus générale, certaines entreprises comme Alsthom ou Areva, qui
font face à une croissance très forte et à un besoin de compétences, ont mis en place
des procédures de coopération post-départ à la retraite et gèrent leur vivier de retraités.
De leur côté, des entreprises telles que Thales doivent faire face à la nécessité de gérer
les départs massifs de personnes qui détiennent des compétences clefs dans
l’entreprise. Une autre préoccupation s’inscrit dans un contexte de concurrence accrue
des pays en développement, qui ont un besoin massif de compétences et d’expérience :
les jeunes retraités pourraient être recrutés par des entreprises étrangères et il est donc
plus sûr de continuer à leur donner une place dans l’entreprise.
Par ailleurs, la LFSS contraint les entreprises à mettre en place un plan d’action envers
les seniors. La date de cessation d’activité constitue un point d’inquiétude majeur pour
Paris, le 12 mars 2009
60
les salariés. Avec la nouvelle règle selon laquelle l’initiative de la retraite est laissée à
l’employé jusqu’à 70 ans, les entreprises doivent mettre en place des plans de gestion
des seniors. S’il est possible de construire des actions seniors en définissant, de manière
concertée, une sortie intéressante et motivante pour les deux parties, tout le processus
prend son sens et s’inscrit dans une démarche naturelle.
Pour comprendre les opportunités de la collaboration post-retraite, il faut également
croire au partage des compétences, entouré par des règles éthiques. Nous avons baptisé
« synergie verticale » la réutilisation par le même constructeur ou par un équipementier
de rang inférieur, et « utilisation croisée », l’emploi de personnes provenant du secteur
automobile pour d’autres secteurs. Nous avons par exemple un expert dans le domaine
du radar, issu du secteur de la défense, qui travaille aujourd’hui pour le secteur
automobile ; dans le cadre de la mise en place d’un radar automobile.
Jacques COUTANT
Cette utilisation des compétences des experts retraités est-elle réellement intéressante
ou s’agit-il d’un moyen d’augmenter la précarité chez les jeunes ? Il s’agit d’une solution
de riches pour les riches. Ce sont des cadres retraités qui vont bénéficier d’un
complément de revenus, alors que l’entreprise embauchera moins de jeunes ingénieurs.
Gilles EFFRONT
Les experts retraités ne sont pas toujours des personnes de très haut niveau et ce
nouveau système ne concerne pas uniquement les cadres. Dans le luxe, certaines
personnes sont par exemple des spécialistes de la réception des peaux : en effet, ces
techniques demandent des années de savoir-faire, et peu de personnes sont qualifiées
pour ces tâches. Quel que soit leur niveau, les experts que nous employons ont
développé un savoir faire qui présente un intérêt.
Je ne pense pas que ce système favorise la précarité de l’emploi pour les jeunes. Au
contraire, il permet la transmission des savoirs, et la sécurisation des savoir-faire en
France.
Michel FORESTIER
Nous avons donc écouté les quatre témoignages, illustrant des aspects très différents de
la problématique de la compétence. Nous sommes partis de la renaissance d’une usine
et nous sommes arrivés au moment crucial du départ à la retraite. Nous pouvons à
présent passer au débat et aux questions.
V.
Débat et questions
De la salle
Je voudrais partager une anecdote et évoquer le futur proche. En 1989, j’ai eu l’occasion
de dîner avec l’un des patrons de Honda au Japon, qui m’a décrit un système similaire à
celui que Monsieur Gillen a exposé. Chez Honda, chaque employé faisait l’objet d’un
Paris, le 12 mars 2009
61
diagnostic au bout de quelques années, afin de déterminer dans quel domaine d’activité
il serait valorisé, qu’il s’agisse d’une filière experte ou managériale. Ce patron
m’expliquait que l’un des membres du comité exécutif du « Top Ten » de Honda n’avait
jamais dirigé plus de trois personnes dans sa vie. A l’époque, je m’étais étonné de la
rupture culturelle de cette solution, par rapport à la dictature de la filière managériale. Je
suis ravi d’entendre que nous adoptons ces idées.
Par ailleurs, à l’issue des états généraux de l’automobile, nous avons décidé de mettre en
place une plateforme de concertation dans le secteur, afin de favoriser l’émergence
d’entreprises de taille intermédiaire (ETI). L’Allemagne a par exemple réussi à créer une
communication entre les entreprises dont la taille diffère de manière continue. Il me
semble très important d’essayer de développer ce système en France, et d’arriver à
1 000 ou 2 000 entreprises de mille personnes. Il faut combattre les effets de seuil en
France, culturels, juridiques et fiscaux, qui sont très importants en France (Au-delà de
100 personnes, il faut un CE…). Il est nécessaire d’accompagner les patrons de PME qui
souhaitent devenir des ETI.
J’ai été frappé de la vitesse à laquelle les retraités peuvent s’appauvrir, lorsqu‘ils n‘ont
pas la chance de travailler pour Experconnect. Comment peut-on faire connaître cette
manière de rester actif ? Combien de temps reste-t-on riche de son expertise ?
Gilles EFFRONT
Notre doyen a 83 ans. La compétence intellectuelle peut être conservée tant qu’elle est
accompagnée d’une motivation et d’un réel intérêt. Nous essayons de trouver des
missions à tous nos experts. Les plus intéressés nous sollicitent souvent et sont servis en
premier. La garantie de qualité que nous offrons aux entreprises tient au fait qu’un retraité
n’acceptera une mission que dans la mesure où il pense pouvoir la remplir. Son statut de
retraité nous permet également de stopper immédiatement la mission en cas d’erreur. De
manière générale, les experts sont conscients de leurs compétences et de leurs
faiblesses. De plus, la collaboration peut être décidée après un contact avec l’entreprise.
Christian HERZON, directeur de l’ARACT Lorraine
Ma question s’adresse aux premiers témoins : comment avez-vous pu relever la pression
de l’enjeu ? L’enjeu pour l’entreprise était de baisser en taille, de se développer dans
d’autres activités et pour les personnes qui restaient dans l’entreprise, la formation était
une nécessité. Or les publics concernés n’abordent pas toujours simplement la question
de la formation. De plus, la question de l’appétence à l’information est une vraie difficulté.
Comment l’avez-vous gérée ?
Olivier CAGNAC
Heureusement, le PSE n’a pas pesé sur les salariés qui restaient. Sur presque 300
départs, nous avons réussi à éviter tout licenciement contraint. La reconnaissance du site
amiante a permis une centaine de départs ; les autres étant des départs volontaires. Le
taux de chômage en Champagne Ardenne s’élevait en 2006 à un point de plus que la
moyenne nationale. Néanmoins, nous avons découvert que nos employés avaient des
compétences et une vraie valeur sur le marché du travail.
Paris, le 12 mars 2009
62
Les salariés amenés à rester n’ont donc pas été « pollués » par un PSE mal géré. Ils ne se
sont pas sentis menacés puisque les volontaires au départ étaient suffisamment
nombreux et ont pu se projeter dans les réalisations à venir.
Par ailleurs, dès le départ, nous avons réfléchi à la façon de communiquer sur le projet et
nous en avons notamment discuté en comité de direction. Le départ de 300 personnes
ne devait pas constituer l’objet principal de notre attention. Nous devions plutôt penser à
l’avenir et convaincre tous les acteurs que nous étions prêts à mettre en place tous les
moyens nécessaires pour que les changements se passent de la meilleure façon
possible. Nous avons vite fait comprendre aux syndicats notamment, que l’avenir du site
résidait dans les 600 personnes qui restaient et non dans les 300 personnes qui
partaient. L’usine ne fermait pas. Au contraire, nous investissions. La communication et la
projection vers l’avenir ont donc constitué deux éléments déterminants.
En quelques semaines, nous avons constaté que 50 % des emplois des opérateurs
allaient être modifiés à 80 %. Rapidement, certaines personnes ont émis des avis
négatifs sur les possibilités de formation et les chances de réussite. Il s’agissait donc de
les aider à parier sur l’avenir et de créer une rupture psychologique très forte, car l’enjeu
était important.
Enfin, le séquençage de la production sur trois lignes nous a permis de capitaliser sur la
réussite de la première ligne. La réussite du projet dépend beaucoup de la manière dont
les acteurs l’envisagent.
Jacques COUTANT
On affirme parfois que l’on conçoit un dispositif Livre III pour les personnes qui s’en vont
et un dispositif Livre IV pour celles qui restent. C’est ce Livre IV qui doit raconter une
histoire, donner une perspective et susciter l’envie. Le Livre III est également important
pour que le bon déroulement du PSE. De plus, l’équilibre entre ces deux approches, la
communication, peut donner du sens à un projet de restructuration.
De la salle
Comme vous le remarquiez, trois temps peuvent être distingués dans les interventions
concernant l’employabilité : les deux premières interventions portaient sur le temps
moyen de l’organisation et les deux dernières concernaient le temps long de l’innovation
et de la démographie. En revanche, nous n’avons pas du tout abordé le temps court et
des difficultés conjoncturelles. Pourtant, nous les rencontrons tous, et je souhaiterais que
les intervenants puissent s’exprimer à ce sujet.
Par ailleurs, à propos du témoignage sur Valeo Reims, je souhaiterais obtenir plus de
précisions sur la manière dont le risque d’asservissement à la machine a été contourné.
Concernant la filiale de Toyota, le lien entre la petite série et la polyvalence est évident,
mais votre projet conserve-t-il sa cohérence dans la perspective de la production en
grande série ?
Romain CHEVALET
Paris, le 12 mars 2009
63
L’un des risques de notre projet d’automatisation résidait effectivement dans
l’appauvrissement du travail. La conception et l’organisation des systèmes permettent en
partie de contourner ce risque. Sur l’une des lignes par exemple, au niveau des îlots de
finition, le temps de cycle opérateur était de 9 secondes 45 et l’alimentation unitaire.
Cette situation de travail ne permettait pas la mobilisation de compétences et de savoirfaire. Les équipes méthodes et le chef de projet ont donc accepté de revoir l’ensemble
de cette ligne pour permettre, sans limiter la productivité de la ligne, de reconstruire un
poste qui comporterait, en plus de l’alimentation, le contrôle, la supervision, et la
possibilité de travailler de façon simultanée sur plusieurs produits.
Ce travail portant sur la conception et l’organisation des systèmes est l’un des éléments
qui a permis les montées en compétences. Concernant l’utilité de l’organisation, nous
avons par exemple mis en place des binômes de marieurs, en leur permettant de
s’organiser comme ils le souhaitaient et de passer d’une activité de supervision sur le
process à une activité d’alimentation. Ils pouvaient ainsi mettre à profit leur connaissance
fine du process et leur capacité à anticiper les aléas et les bourrages.
Olivier CAGNAC
Etonnamment, le site de Reims était plutôt en retard par rapport aux autres sites au
niveau de la polyvalence des personnels. Les concepteurs des lignes avaient d’abord
pensé à des postes très spécialisés, car le site avait un taux de polyvalence extrêmement
réduit. Les personnels étaient vraiment très spécialisés dans leur métier et avaient
d’autant plus peur d’en changer. Ils ont développé une grande fierté par rapport à leur
capacité d’adaptation. Désormais, nous sommes plus proches de l’expérience exposée
tout à l’heure par Toyota.
Michel FORESTIER
A propos du passage à la grande série chez Toyotomi…
Frédéric BRAYELLE
Il est très simple de passer de la petite série à la grande série. Lorsque nous avons voulu
développer le concept de polyvalence, de nombreuses oppositions se sont élevées, à
tous les niveaux de l’entreprise. Nous avons donc dû convaincre, développer notre plan
de communication. Réaliser une pièce différente chaque jour ou la même pièce ne fait
pas de différence, la fonction de production étant la même.
Il suffit de mettre en place un processus d’acquisition de compétences. Nous devrons
faire en sorte que des personnes qui travaillent sur des métiers totalement opposés à la
grande série puissent s’y adapter. Ce processus démarrera au deuxième semestre 2009,
et nous allons préparer les opérateurs aux exigences de la première monte. Si nous nous
contentons d’adopter une méthode qui permet une performance immédiate, la qualité et
la quantité suffisantes dans le bon timing (flux synchrone toutes les 20 minutes), et que
nous abandonnons la polyvalence, nous aurons perdu 4 ans. Chaque départ de pause
fera toujours l’objet d’un changement de poste, ce qui permet la répartition de la
pénibilité. De plus, il reste difficile de tenir un poste avec la même attention pendant toute
Paris, le 12 mars 2009
64
une journée. En se remettant en question tous les quarts temps, on met en œuvre une
nouvelle énergie pour chaque nouveau poste.
Michel FORESTIER
La question du court terme reste pendante.
Frédéric BRAYELLE
Nous sommes tous confrontés à la crise. Toutefois, les seuls budgets qui n’ont pas été
diminués sont ceux de la sécurité et de la formation. Nous réalisons un maximum de
formations en interne. Par exemple, nous allons devoir déployer de l’informatique de
terrain. Un informaticien n’est pas indispensable pour dépanner une imprimante ou une
antenne réseau. Nous réalisons donc un appel à candidatures pour savoir qui serait
compétent ou prêt à acquérir les compétences pour réaliser cette tâche. C’est ainsi que
nous conservons la motivation des équipes, en offrant des perspectives de progrès
individuels.
Sabrina TAHIER
Il s’avère souvent que les ouvriers sont capables de bien plus que nous l’imaginions.
Olivier CAGNAC
La question du court terme est complexe car nous ne disposons d’aucune visibilité. Or
celle-ci est le facteur le plus nécessaire à la gestion. Il y a quelques semaines, lors d’un
comité de direction, un patron de site nous a annoncé qu’une prévision établie six jours
auparavant avait été tenue. Nous avons tous pris conscience de l’absurdité d’une
situation dans laquelle nous nous réjouissons de réaliser des prévisions datant de moins
d’une semaine. Tous nos budgets et nos prévisions sont dépassés.
Sur un site comme Reims, les compétences des opérateurs sont indispensables et nous
n’avons pas coupé les budgets de formation. Cependant, vous savez sans doute que
Valeo a décidé de procéder à 5 000 suppressions de postes dans le monde, dont 1 600
en France et 600 dans mon périmètre. Je vois bien quotidiennement que l’inquiétude
gagne, mais nous ne pouvons pas apporter des réponses que nous ne connaissons pas
nous-mêmes.
Frédéric BRIGMAN
Le mouvement de court terme actuel ne fait que préciser un mouvement plus important
qui était déjà à l’œuvre : la diminution globale des effectifs de la filière automobile en
France et dans l’ouest européen. Je salue la qualité des présentations et des expériences
qui les sous-tendent. Je voudrais cependant attirer votre attention sur le fait que
l’employabilité des personnes s’évalue sur le marché du travail et non seulement sur le
marché interne au secteur automobile. Or le marché du travail est essentiellement local et
les expériences que vous avez exposées doivent aussi être menées dans cette optique.
Paris, le 12 mars 2009
65
La dynamique de formation engagée à Reims a conduit à des CQPM, mais il aurait été
préférable qu’elle aboutisse à des CQPI. Nous devons prolonger la dynamique
d’employabilité vers le marché du travail.
Je souhaite également vous informer d’une initiative européenne nommée Anticipedia,
qui vise à réunir sur un site l’ensemble des expériences d’anticipation et de mutations
économiques, réussies ou ratées. Je suggère à l’ARACT de s’en inspirer pour partager
ces expériences.
Au sujet de Toyotomi, dans la mesure où tous les opérateurs sont capables de réaliser
toutes les tâches, les formations obligatoires sont suivies par tous les salariés. Or toutes
ces formations ont un coût. Pourriez-vous éclairer la façon dont s’équilibrent, du point de
vue du management du groupe et de l’allocation des ressources, les coûts et les gains
supplémentaires ? Les opérateurs bénéficient-ils de salaires ou de revenus plus
importants ?
Frédéric BRAYELLE
Les formations obligatoires sont toujours effectuées par des organismes extérieurs.
Néanmoins, nous réalisons également de nombreuses formations en interne, qui ne
coûtent rien à l’entreprise. Nous demandons aux salariés qui le souhaitent d’assumer un
rôle de formation, et ces tâches font également partie de nos techniques de déploiement
de la motivation. Les salariés apprécient de former les autres à leur compétence. Ils sont
ainsi reconnus, mis en avant par la transmission de leur savoir. Même si ces tâches ne
sont pas rémunérées, l’opérateur sera identifié comme un pilier de l’entreprise.
Concernant la rémunération, il existe un protocole d’intéressement rémunérateur.
L’année dernière, le patron de Toyota au Japon souhaitait offrir un mois de salaire aux
salariés, mais de manière utile. Nous avons donc décidé de lier le versement de l’argent,
via l’intéressement, à des éléments de performance sur lesquels les opérateurs pouvaient
influer : les rebuts, le nombre de propositions, le niveau de qualité chez le client.
L’intéressement a été déterminé sur le terrain avec les opérateurs : les propositions des
indicateurs sont venues d’eux. Ces indicateurs ont été testés, puis mis en place. En un
an, nous avons diminué de presque 40 % nos rebuts. La responsabilisation de tous les
acteurs est une technique payante.
Par ailleurs, les salariés bénéficient également de quelques primes mais leur salaire est
inférieur au salaire moyen local sur notre activité.
De la salle
Je souhaiterais savoir si les intervenants de Valeo Reims et Toyotomi considèrent que
l’outil GPEC leur a été utile dans leur expérience. En ce qui concerne les experts seniors,
ne considérez-vous pas que la valorisation qui en est faite contredit la rapidité avec
laquelle les entreprises les ont congédiés ?
Paris, le 12 mars 2009
66
Olivier CAGNAC
Malheureusement, nous n’avons pas utilisé la GPEC dans notre projet car nous n’y avons
pas pensé. Ce sujet rejoint la question de l’employabilité sur le marché du travail. Nous
devons nous engager dans cette voie mais cette démarche est très difficile actuellement,
car les entreprises ne souhaitent pas investir pour d’autres et les organisations
syndicales y voient la menace d’un PSE dès que le sujet est abordé. Je ne pense pas que
les entreprises soient prêtes à utiliser cet outil.
Michel FORESTIER
Je souhaite remercier tous les participants. Sur la question de l’employabilité sur le
marché du travail, je souhaite souligner que notre démarche à travers cet événement est
commune à cinq territoires, pour une filière que l’on considère comme particulièrement
internationalisée. La filière a aussi une réalité territoriale. Les difficultés qu’elle rencontre
sont territoriales, mais les territoires sont aussi des ressources pour les entreprises. Notre
filière qui décroît doit s’appuyer sur les territoires pour transférer ses compétences vers
d’autres secteurs en progrès.
De la salle
Nous avons mis en place une charte automobile dont je n’ai pas eu l’occasion de parler.
Elle a été créée et signée dès 2006 avec le ministre Gérard Larcher, et nous avions
essayé d’anticiper le devenir de notre filière automobile, sans imaginer que les évolutions
seraient précipitées par la crise. Nous avions cependant déjà imaginé que l’employabilité
serait surtout envisageable hors filière. Nous travaillons à ce propos sur les bassins
d’emploi au niveau territorial. Des démarches se mettent en place afin de rassembler les
acteurs et de faire en sorte que les compétences puissent être réutilisées dans d’autres
métiers.
Michel FORESTIER
Merci à tous.
Paris, le 12 mars 2009
67
Restitution des trois ateliers par les experts
et échanges avec les participants
Tommaso PARDI
Bonjour à tous. Je suis sociologue du travail, et je mène mes recherches au GERPISA
avec Vincent Frigant, avec qui je suis intervenu lors du premier atelier, portant sur
l’intégration de l’ergonomie dans la conception des systèmes de production.
Pour commencer, trois entreprises ont présenté leurs projets. La première, la FAVI, est
une PME française, et les deux autres, Autoliv et Plastic Omnium sont des groupes
internationaux. Ces interventions concernaient trois niveaux différents, le produit, la ligne
de production et le poste d’assemblage. Les démarches étaient donc diverses.
Dans tous les cas, l’action s’est effectuée en trois temps. Tout d’abord se sont posés des
problèmes de production, en amont. A partir du diagnostic, nos intervenants ont donc
tenté de résoudre ces problèmes en étudiant les difficultés liées à la conception. Les
problèmes émergeaient souvent après un certain laps de temps, sous forme de maladie
professionnelle ou de TMS. Il était donc ardu de les quantifier, et de bien en distinguer
l’origine. Un travail a donc été mené concernant leur identification précise. A cet endroit,
les ergonomes ont joué un rôle important, et des caméras ont été notamment utilisées
afin de cerner l’origine de ces difficultés.
On a également remarqué au cours de cette phase d’action sur le terrain que l’implication
d’un grand nombre d’acteurs (managers et opérateurs confondus) rendait la prise en
compte des problèmes efficace. Dans les trois cas, les équipes dédiées à cette tâche
étaient très larges. Elles comportaient des opérateurs, donc, mais aussi des chefs
d’équipe, des responsables qualité, et parfois des commerciaux. Souvent, ces groupes
étaient spécialement dédiés à l’intégration de l’ergonomie dans le travail de l’entreprise.
Chacun ignorait de ce fait la durée de cette mission.
Enfin, l’étape la plus importante demeure sans doute celle de l’apprentissage, qui
intervient après la résolution du problème, et la transformation, par exemple, d’un objet
technique, comme le réaménagement d’une chaîne ou l’amélioration d’un poste de
travail. Les débats qui ont animé la salle ont donc porté sur des enjeux liés aux types
d’apprentissage et de conception à mettre en œuvre. J’en ai retenu tout d’abord un
véritable souci de la sécurité et de la santé au sein des trois entreprises considérées, qui
fonctionnent comme la plupart des équipementiers automobiles, en flux tendu. La mise
en tension du flux, la réduction des stocks intermédiaires et toutes les pressions que peut
ressentir le personnel sont liées en effet à un fort enjeu de sécurité, qui, loin d’être
accessoire pour le développement économique de l’entreprise, affecte directement sa
productivité. Si des problèmes de ce type émergent, comme cela a été le cas pour nos
trois entreprises, la conception de la ligne d’assemblage ou la façon de produire ne sont
pas optimales. Les maladies professionnelles et les TMS ne concernent donc pas les
ressources humaines, mais l’ensemble de la production, car elles entraînent fatalement
un taux d’absentéisme accru, et le recours aux heures supplémentaires. De plus, la
Paris, le 12 mars 2009
68
fragilité occasionnée par ces flux tendus implique une forte interdépendance entre ces
trois dimensions.
Nous avons donc souligné l’importance des procédures de management adaptées, ainsi
que d’une culture du management de la sécurité, qui peut mettre en place une base de
données (appelée « défauthèque » dans les cas étudiés) utilisée ensuite par les ingénieurs
pour mieux concevoir leurs produits. Nous avons d’ailleurs vu là un éventuel rôle à jouer
pour la FIEV, qui pourrait mettre en réseau ses équipementiers sur ces questions, afin
que les expériences individuelles ne restent pas confinées au sein des entreprises, mais
fassent l’objet d’une mutualisation. Un véritable management de la sécurité pourrait ainsi
être mis en place, puis intégré véritablement en tant que tel. De cette façon, on ne se
contenterait plus d’interventions ponctuelles, alors que les problèmes ont déjà émergé.
Enfin, la PME FAVI a instauré cette démarche de l’intégration de l’ergonomie en interne,
en confiant un rôle de pilote à ses opérateurs. En effet, la culture d’entreprise des PME
peut être favorable au dialogue et à la coopération entre les salariés, ce qui constitue un
atout pour ce type de démarche. Ainsi, les opérateurs et les acteurs présents sur la
chaîne de montage jouent un rôle décisif dans la prise en compte des problèmes de
santé par leur entreprise.
J’ai sans doute oublié quelques points, mais je terminerai sur l’importance de ne pas
considérer l’ergonomie de façon accessoire, mais plutôt comme un véritable enjeu de
production, au cœur des transformations actuelles que les entreprises sont en train de
vivre, et qui mérite donc à ce titre l’attention de tous les acteurs de la production.
Merci.
François HUBAULT
J’ai participé au deuxième atelier, « Investir dans une prévention durable des risques
professionnels ».
Aujourd’hui, il existe de fait de nombreuses parentés entre les différentes manifestations
de ces risques, TMS ou risques psychosociaux. Le phénomène du stress, par exemple,
s’exprime à travers des formes qui peuvent être diverses, mais qui restent liées. Il est
ainsi apparu clairement dans nos discussions que les TMS s’apparentent à des
syndromes de rigidité articulaire qui font écho à des organisations visant quant à elles la
souplesse. Autour de la question de l’organisation se noue donc une tension entre le
domaine de la santé et celui de la gestion. Pour la durabilité des pratiques de prévention,
la résonance entre les questions de santé et celles d’organisation est également
essentielle.
Or, les TMS, par exemple, posent des problèmes qui ne peuvent jamais être résolus. Ces
processus ne sont en effet pas maîtrisés complètement. Cependant, la question de la
modération continue à faire son chemin au sein des entreprises. Il faut donc en prendre
acte, tout en différenciant l’application de cette notion à des enjeux purement
économiques et à des enjeux de santé, où la raison qui pousse à agir relève certes d’un
besoin de l’entreprise, mais aussi des personnes, voire de la société. De fait, à trop
vouloir appareiller les problèmes, on risque de leur faire perdre leur consistance propre.
Mais si l’on croit que ces questions ne peuvent être résolues, on se trouve face à une
question professionnelle qui relève d’une culture de la présence, et qui fait apparaître une
Paris, le 12 mars 2009
69
dimension du temps dont la valeur stratégique n’est pas assez prise en compte par les
entreprises, le quotidien. Celui-ci est en effet méconnu, ou mal considéré en matière de
stratégie. Or un enjeu fort réside à cet endroit, un enjeu économique, managérial, social,
moral : la réhabilitation du quotidien comme espace de regard et de compétence sans
lequel les questions de la santé ne peuvent être abordées d’une manière réellement
digne. C’est d’ailleurs dans ce rapport au quotidien que se joue la mise en lisibilité des
« signaux faibles », qui exigent une grande proximité pour être compris, et qui placent
l’infirmerie au cœur du débat. De ce point de vue, celle-ci constitue en effet l’endroit de
l’entreprise le plus averti et le plus puissant dans la compréhension de ces possibles
dynamiques pathogènes, que l’on peut prévenir si l’on reste à l’écoute. Cette posture
d’écoute est donc particulièrement importante dans le monde professionnel, et suppose
que ce que l’on entend nous engage.
En outre, dans la question des TMS ou du stress, on ne peut pas raisonner en termes de
postes de travail, mais d’activité, voire de situation de travail. Dans ce cadre, la question
de la sollicitation est ambiguë, car les nombreuses approches qui partent d’une cotation
des postes selon la sollicitation supposée sur ces derniers ignorent en fait l’activité qui
s’y déploie. Dès lors se pose le problème de la construction du périmètre du regard. En
effet, des pratiques peuvent fort bien développer la cotation des postes sans que les
difficultés soient réellement résolues pour les personnes directement concernées. Il faut
donc partir de leur ressenti, ce qui relève du statut de la parole dans les organisations.
Tout comme dans l’infirmerie, il faut que ce qui se dit dans les groupes de travail
s’entende.
Par ailleurs, les trois entreprises du deuxième atelier (Faurecia, Freudenberg et Nobel
Automotive) ont fait apparaître qu’un pari était nécessaire à l’investissement dans une
prévention durable des risques professionnels. La capacité de démonstration n’est donc
pas seule responsable de la durabilité de ce genre de politique. Nous connaissons ainsi
tous des exemples de choses démontrées qui n’ont pas été maintenues pour autant, et,
malheureusement, la démonstration n’a de valeur qu’auprès des gens convaincus. Or de
nombreuses entreprises qui ont tendance à s’imiter entre elles s’interdisent souvent de
ce fait l’innovation. Ce sont ces modes de pensée qui résistent le plus à une
pérennisation des pratiques. Le point de cristallisation de ces modèles réside dans le
rapport au temps. Dans les organisations en effet, il est bien souvent difficile de valoriser
le temps indirect, contre l’idée que seul le temps d’engagement direct est
comptabilisable. En outre, toutes les pratiques que nous avons vues valorisent la
sollicitation du collectif au sein des groupes de travail. Pour autant, cela ne signifie pas
qu’il existe du collectif dans le travail. D’un côté, des organisations isolent donc des
personnes dans des pratiques de travail, et de l’autre, essaient de recomposer du
collectif dans un discours sur le travail. Comment peut-on trouver du collectif sur le
travail dans des organisations où il existe du collectif dans le travail ? Cette question a
trait à des problèmes de valorisation économique, de coopération et de transversalité,
dont l’instrumentation de gestion se heurte à la possibilité de sa valorisation.
J’en arrive à présent à la question de la durabilité. Je rappellerai tout d’abord que seules
les solutions sont durables, mais si l’on imagine que ce que l’on fait durera par le simple
fait de régler un problème, cela ne se produira pas. Il faut plutôt dire que la vigilance et la
capacité à maintenir l’attention à entretenir l’inquiétude sur des points jamais totalement
maîtrisés sont durables. Par ailleurs, les entreprises qui maintiennent leur attention sur ce
sujet dans ces temps de crise le font depuis un certain temps déjà. On peut ainsi craindre
Paris, le 12 mars 2009
70
que les autres perdent encore de la vitesse dans ce domaine, car ce n’est pas dans ces
temps difficiles qu’elles le développeront.
Enfin, il a été démontré qu’il fallait raisonner à « hauteur d’homme » dans le domaine de
la prévention, selon des dimensions qui font la totalité de l’humain, pas uniquement
biomécanique. Il faut donc se saisir de ce qui fait sens pour lui, de ce qui donne de la
valeur à son travail. Je terminerai par la question de la valorisation économique, sur
laquelle nous butons dans ce groupe. Elle se rapporte notamment au lien que l’on établit
entre les questions de santé et celles de travail. Un raisonnement essentiellement
préventif ne connaît la santé que sous l’angle de la maladie, ce qui est étroitement lié à
un rapport au travail dont le coût est à réduire. Ces représentations de la santé coûteuse
et du travail à réduire sont convergentes. Inversement, l’idée d’une santé comme
capacité d’agir entretient un lien avec l’idée d’un travail comme ressource productive.
J’insiste sur ce point : les groupes de travail améliorent la prévention grâce au savoir
expert qui permet d’entreprendre des actions efficaces et peu chères. En outre, ils sont
vecteurs de santé, et pas simplement de prévention, parce qu’ils constituent en euxmêmes et pour les personnes, une capacité d’action sur ce qui leur arrive. Mais pour aller
plus loin, ce développement de la santé doit se traduire dans une capacité d’agir dans le
travail. Or, dans les organisations qui nous intéressent, l’horizon du travail est
extrêmement court. Il faut donc réfléchir sur la possibilité de maintenir en cohérence la
capacité de prévention et celle du développement de la santé.
Jacques COUTANT
Je me bornerai à commenter les quatre présentations du troisième atelier, et à établir des
parallèles entre elles. Valeo Reims a exposé une démarche intéressante, qui intègre
santé, développement et reconnaissance des compétences dans un contexte de
mutation industrielle. En effet, plutôt que d’investir en Pologne, Valeo a préféré, pour une
somme équivalente, automatiser son site de Reims. Cette automatisation semble
constituer un projet complexe et long, qui peut, a priori, enrichir comme appauvrir
l’employabilité des salariés. L’anticipation dès la phase de conception s’est avérée
décisive dans ce projet, car elle a permis de développer l’employabilité des salariés. A
cet endroit, Michel Forestier nous a indiqué que l’anticipation devait se fonder, du point
de vue de l’organisation du travail, sur une démarche de simulation, de l’aménagement
des postes et de l’évolution des compétences, ce qui m’a semblé particulièrement
intéressant. Itérative, la simulation modifie donc notre conception du projet en
rapprochant des mondes qui, parfois, ne communiquent guère, comme ceux des
managers, des RH, et des ouvriers. Le succès de ce projet se base sur la méthodologie
de simulation employée. Mais, selon moi, à l’aune de la crise que nous vivons, peu
d’entreprises peuvent aujourd’hui se permettre d’investir les mêmes sommes que celles
engagées par Valeo sur son site de Reims. Je demeure cependant convaincu qu’il en va
de leur survie.
Ensuite, Toyotomi, filiale de Toyota qui fabrique surtout des pièces de rechange, a
présenté un témoignage. Cette entreprise a été créée officiellement il y a trois ans, selon
une conviction organisationnelle portant notamment sur la gestion des compétences. Il
ne s’agissait donc pas d’une décision stratégique d’investissement dans des moyens
industriels, contrairement au cas de Valeo Reims. La présentation avait pour objet
principal la polyvalence, fondement de toute l’organisation du site. Tous les opérateurs
occupent ainsi tous les postes de travail de l’usine, quels qu’ils soient, des postes de
Paris, le 12 mars 2009
71
production aux postes de logistique, etc. Cette mise en place a fait l’objet d’un chantier
majeur, initié un an avant la première embauche. La maintenance reste très
consommatrice d’énergie, et les RH ont réalisé ce travail en partenariat avec la
production. Ce système semble profiter tant à l’entreprise qu’à ses salariés. Il permet en
effet d’accroître la flexibilité de celle-ci, ainsi que son efficacité, tandis qu’il augmente les
compétences des seconds, et facilite leur apprentissage ainsi que leur employabilité,
interne et externe. L’exposé nous a également bien fait comprendre qu’en cas de crise,
l’entreprise conserverait plus facilement son personnel, et qu’en cas de PSE, les salariés
concernés seraient plus aisément réembauchés sur le bassin d’emplois d’Onnaing
Valenciennes, car tous les ouvriers ont bénéficié d’une activité polyvalente. En tant que
consultant, je confirme ce fait, néanmoins sous-estimé aujourd’hui.
La troisième intervention, qui a trait aux experts, constitue de ce fait une rupture. Valeo a
mis en place un système de gestion des experts qui concerne l’ensemble du groupe il y a
de cela une quinzaine d’années. L’idée de base était que la maîtrise technologique au
plus haut niveau était nécessaire pour conserver des sites de R&D et de production dans
les pays high cost. Cela supposait une logique de gestion des compétences et de
reconnaissance d’une expertise métier. Or, si nos entreprises savent souvent reconnaître
les managers, cela semble moins évident en ce qui concerne les experts. En effet, fut un
temps, mieux valait ne pas être expert si l’on ambitionnait une bonification de carrière ou
une augmentation de salaire. Ce système de gestion clair a donc permis de faire
progresser les carrières des experts chez Valeo, tout en renforçant leur employabilité,
tant interne qu’externe. Ces derniers ont évidemment tendance à rester au sein de
l’entreprise, étant donné les perspectives qu’elle leur offre. Cette méthode constitue une
rupture dans la gestion des carrières, et donc, dans la gestion de l’employabilité, qui se
distingue des classiques privilèges réservés aux managers.
Enfin, j’en arrive à la quatrième présentation, celle d’Experconnect. Selon elle, les viviers
de seniors qui partent à la retraite constituent une véritable opportunité pour les
entreprises. Ces seniors disposent en effet de compétences et d’une grande expertise, et
sont donc immédiatement employables. Souvent motivés, ils font preuve d’éthique, et
représentent un coût très compétitif pour une entreprise, puisqu’ils ne sont pas
rémunérés à la même hauteur qu’un autre salarié. Les entreprises ont donc tout intérêt à
concevoir cette collaboration post-retraite comme un moyen efficace de gestion des
carrières. Le maintien des compétences des seniors au meilleur niveau constitue en outre
une garantie de leur employabilité à l’issue de leur retraite.
Pour conclure, j’insisterai sur quelques messages à retenir de ces présentations.
Plusieurs d’entre elles permettent d’en finir avec l’opposition traditionnelle entre les
intérêts de l’entreprise et ceux des salariés, ce qui me semble particulièrement important
dans le cadre de ce débat. Enfin, malgré le contexte ambiant, il ne faut pas céder à la
morosité, mais rester ambitieux et se tourner vers de nouvelles organisations,
responsabilisantes et durables, qui garantiront le bon fonctionnement des entreprises en
France.
Paris, le 12 mars 2009
72
Tables rondes
Partenaires sociaux et employabilité des salariés
Dorothée METTA
Je vous propose à présent de laisser la parole aux partenaires sociaux, afin qu’ils
s’expriment à propos de l’employabilité, selon trois questions. Premièrement, sur quels
acquis basent-ils leur dialogue social aujourd’hui ? Ensuite, pour quels choix concertés
leur semble-t-il important d’opter en 2009 ? Comment les acteurs territoriaux vivent-ils la
mise en place opérationnelle de cette action ? Avant toute chose, je demanderai à Nicole
Raoult de recadrer pour nous cette notion d’employabilité.
Nicole RAOULT
Comme on a évoqué ce matin des objectifs de court, de moyen et de long terme, je vais
procéder à présent à une rétrospective du secteur qui nous intéresse. Celui-ci disposait
de nombreux atouts avant la crise, et, en particulier, une grande expérience des
innovations organisationnelles. Dès lors, peut-il s’appuyer sur cette expérience pour
surmonter cette crise, ce qui pourrait jouer un rôle important dans le dialogue social, au
moment où l’on ressent parfois des risques de rupture entre les entreprises, leur territoire
et leur capital humain ? En outre, quel sera l’impact de cette crise sur le renforcement
mutuel entre les partenaires sociaux, mais aussi, entre les entreprises et leurs territoires ?
Dans ce contexte d’urgence, vous vous demandez donc en quoi cette mutation peut être
profitable pour tous, entreprises comme salariés.
Je donnerai ensuite une définition succincte de cette notion d’employabilité,
controversée fut un temps. A ce terme correspond l’idée que chacun d’entre nous serait
capable de trouver un emploi facilement, dans un secteur et un territoire donnés.
Aujourd’hui cependant, la définition en est beaucoup plus ouverte, autant individuelle que
collective. Il s’agit de « faire en sorte que personne ne reste sur le carreau », et que le
potentiel de chacun soit mis en avant, comme le font les antennes emplois, mises en
place depuis une quinzaine d’années. Toutefois, on observe aujourd’hui que les seniors
se repositionnent souvent sur des emplois aux statuts différents des CDD et des CDI, et
à propos desquels des réflexions sont menées. De ce point de vue, Arcelor garantit, dans
son projet « Homme et Missions », une couverture sociale pour les salariés mis à
disposition, ce qui leur permet d’effectuer une transition avant la retraite, dans des
secteurs différents de celui dont ils sont issus. Une telle idée me semble intéressante, et
mériterait d’être expérimentée plus vite, puis généralisée. De fait, une tension subsiste
entre l’intensification des moyens de production et le vieillissement des populations. Par
ailleurs, la tradition du secteur consistait plutôt en l’évacuation des seniors, selon un
consensus social favorable à cette idée. Or celle-ci n’est plus à l’ordre du jour, si l’on
considère que les seniors mettent leur expérience au profit des plus jeunes. Dans les
projets présentés ce matin, la position de référent peut ainsi illustrer cette évolution. Le
Paris, le 12 mars 2009
73
dialogue social reste bien sûr le garant de la qualité d’une telle démarche et de ses
résultats, tant dans l’entreprise que dans l’ensemble du secteur. Au sein de celui-ci en
effet, la solidarité favorise la mutualisation des actions et des résultats, ce que nous ne
faisons pas assez, mais qui peut permettre de dépasser le stade des expérimentations.
Dorothée METTA
Vous avez donc tous décidé de prendre cette question de l’employabilité à bras-le-corps.
Comment caractériseriez-vous ce dialogue entamé depuis plusieurs années ?
Philippe PORTIER
Il convient de ne pas dresser un tableau trop rose de la situation : si le dialogue est
engagé, des progrès demeurent possibles. Dans l’automobile par exemple, autour de ce
qui a donné naissance à la Charte Automobile, un réel dialogue s’est instauré entre les
constructeurs, les équipementiers, la FIEV, l’UIMM et les partenaires sociaux. Il a permis
d’établir un diagnostic partagé à propos de l’évolution du secteur. Certes, nous
n’imaginions pas à l’époque que celui-ci évoluerait aussi vite, mais il est très important de
disposer d’une expertise économique commune avant d’engager un dialogue social. La
Charte nationale permet ainsi de créer un dialogue au niveau territorial, et il faudra donc
un diagnostic économique de l’évolution possible du territoire.
En France, il est très difficile pour un salarié d’accepter que son poste disparaisse ou que
son entreprise ferme. Il faut donc un dialogue en amont portant sur la stratégie de
l’entreprise qui accorde une place convenable aux partenaires sociaux. Nous souhaitons
une réforme profonde de la gouvernance, car, selon notre mode actuel de dialogue
social, les décisions sont bien souvent déjà prises avant que le CE soit consulté, ce qui
entraîne des actions de grève qui ne conduisent souvent à rien de profitable.
Dominique CHAUVIN
Tout d’abord, je suis d’accord avec Philippe Portier. Ensuite, avec la Charte Automobile,
il nous a été proposé de travailler au niveau d’une filière, et non plus d’une entreprise, ce
qui nous a obligés à découvrir la totalité du secteur, nous a appris à nous connaître et à
oser échanger sur des sujets tabous, telles que les restructurations, etc., toujours
cantonnés à l’entreprise et difficiles à aborder. Il reste cependant beaucoup de travail à
accomplir. Nous avons en effet senti ce matin des entreprises et des salariés
enthousiastes, mais ce n’est pas le cas partout. Il faut donc accentuer ce dialogue sur le
terrain, ce qui n’est certes pas facile dans les petites PME. On estime cependant qu’il
existe des opportunités pour mettre en œuvre ce dialogue au niveau régional.
Dominique OLIVIER
Bernard Thibault a dit : « Dieu a créé le travail. L’ouvrier a créé le syndicat ». Je vais
essayer d’aller un peu plus loin. Bien sûr, Dieu a créé le travail, puis l’employeur, le
contrat de travail, agrémenté d’un lien de subordination. Ensuite, le syndicat est arrivé,
ainsi que les ressources humaines, l’inspecteur du travail, et enfin les prud’hommes, etc.
L’essentiel reste que le contrat de travail satisfasse les salariés comme l’entreprise. Les
Paris, le 12 mars 2009
74
syndicalistes représentent donc les salariés, auxquels ils rendent des comptes, et ce
travail n’est guère facile. Si moi, qui suis directeur des ressources humaines, je n’essaie
pas d’envisager le point de vue de mon interlocuteur, je ne le comprendrai jamais.
L’entreprise regroupe ainsi des personnes aux intérêts différents dans une logique
commune. Le dialogue demeure donc essentiel pour faire progresser les entreprises et
l’employabilité des salariés.
Dorothée METTA
Le rôle de partenaire social semble des plus ardus, même s’il est primordial.
Dominique OLIVIER
Aujourd’hui, toute notre vie est compliquée. Je répète toujours que mon père a occupé
deux emplois, et qu’il a possédé deux maisons. Pour ma part, je dois habiter ma dixseptième maison, et j’ai connu de nombreux employeurs. Ma cellule familiale a
également été recomposée.
Quoi qu’il en soit, les représentants du personnel évitent aux directions de commettre
des sottises.
Annie JOLIVET
Deux éléments me semblent particulièrement importants. Tout d’abord, les dialogues se
construisent à partir d’un diagnostic partagé. Les diagnostics différents constituent en
effet les grands fléaux du dialogue social. Ensuite, et même si je le connais peu, je tiens
également le travail de syndicaliste pour particulièrement ardu. Il convient en outre de
rester vigilant quant à la constitution des équipes syndicales, et quant à leur
renouvellement, car il est difficile de maîtriser les dossiers en cas de fort turnover au sein
de l’entreprise. J’estime enfin qu’il ne faut pas se limiter au cadre de l’entreprise, mais
avoir une vision globale, et songer à nouer des partenariats avec d’autres acteurs,
comme cela a été évoqué. Certaines solutions peuvent en effet faire appel à des
financements qui ne dépendent pas des entreprises, mais des collectivités locales, par
exemple. Pour conclure, je reprendrai les propos de François Hubault : « la vigilance est
durable ». Dans notre contexte, c’est le processus de dialogue qui est durable, et non
l’obtention d’un quelconque document écrit. Pour cette raison, les relations
interpersonnelles sont essentielles à la réussite d’un dialogue, quel que soit le secteur.
Dorothée METTA
C’est effectivement un diagnostic partagé qui vous a réunis autour de cette table, le froid
constat que 50 000 à 100 000 emplois sont menacés. De fait, cette période de crise
intervient dans un contexte où, fort heureusement, le processus de dialogue est engagé,
mais reste à élargir. Vous poursuivrez donc cet échange au cours de l’année, mais pour
mener quelles actions, et en évitant quels écueils ?
Paris, le 12 mars 2009
75
Dominique OLIVIER
Quand on évoque l’employabilité, on ne peut pas omettre la logique comptable de
l’entreprise. Ainsi, alors qu’un contrat de travail vient d’être signé, le comptable en charge
du dossier provisionne immédiatement des indemnités de fin de carrière, car les
entreprises y sont contraintes. Or, selon moi, il faut que la loi crée des moyens financiers
nécessaires à une véritable employabilité. Il me semble en effet que l’on devrait
remplacer l’indemnité de fin de carrière par une indemnité d’employabilité, qui permettrait
à tous de ne plus être dépendants de leurs postes. Sans effort financier, il est inutile de
songer à des outils d’accompagnement, tant pour la personne que pour l’entreprise, et
l’on ne peut pas débattre efficacement avec les représentants du personnel.
Dorothée METTA
Je suis tentée de rapprocher votre réflexion de la « méthodologie du désengagement »
que vous avez énoncée dans un entretien précédent. En effet, une suspension du contrat
de travail ne se compare pas à l’arrêt d’une machine.
Dominique OLIVIER
Il est vrai qu’il est plus facile d’arrêter une machine qu’un homme. Par la voix de Frédéric
Saint-Geours, l’UIMM vient d’ailleurs de déclarer qu’elle était prête à envisager une
nouvelle forme de dialogue avec les représentants du personnel, qui dépasserait les
inutiles informations consultations sur le Livre IV du Code du Travail. Selon les dispositifs
actuels en effet, les représentants du personnel considèrent qu’ils n’ont pas la parole. De
plus, les fédérations qui m’entourent, ainsi que d’autres, s’inscrivent dans cette brèche
ouverte par l’UIMM, et se disent prêtes à revoir les modes de gouvernance des
entreprises. La situation de notre secteur est donc particulièrement mouvante en ce
moment, et nous pourrons remercier la crise si elle permet cette évolution.
Philippe PORTIER
Il faudra également veiller en 2009 à maintenir les compétences dans les entreprises. Cet
élément, peu évident, fait pourtant consensus. C’est pourquoi je ne m’y attarderai pas.
Au-delà de ce qu’a dit Dominique Olivier, avec lequel je suis entièrement d’accord, nous
devons progresser dans les organisations du travail. En effet, nos ressources humaines
sont bien qualifiées. Or il me semble que nos organisations du travail ne sont aujourd’hui
pas assez efficientes dans leur capacité à utiliser ces compétences, ce qui est dommage,
car nos entreprises pourraient être plus compétitives, et notre industrie plus attractive
Dans le cadre des Etats Généraux de l’Automobile, nous avons d’ailleurs proposé de
créer un pôle de compétitivité afin de penser des organisations du travail qualifiantes et
apprenantes. En outre, dans l’industrie d’aujourd’hui, les salariés n’ont plus de
perspectives de carrière, ce qui constitue un défaut majeur de ce secteur. Enfin, les
accords GPEC devraient en respecter la philosophie initiale, et non simplement remplir
une obligation légale, comme on le constate malheureusement parfois.
Paris, le 12 mars 2009
76
Dominique CHAUVIN
Mes propos choqueront peut-être certains d’entre vous, mais j’estime, alors que je suis
syndicaliste, qu’il faut commencer par soutenir les entreprises en 2009, car elles
nécessitent urgemment des financements, pour répondre à des besoins tout aussi
urgents en matière d’emploi, de compétitivité, de GPEC, etc. Les fonds abondants déjà
accordés par l’Etat au secteur automobile peuvent paraître choquants, mais ils sont
nécessaires.
Ensuite, comme l’a évoqué Philippe, il est primordial de maintenir la confiance mutuelle
qui lie les salariés à leurs entreprises. Aujourd’hui en effet, ce lien est basé sur le contrat
de travail ; sa rupture peut donc s’avérer dramatique. Il faut donc accepter certaines
mesures de chômage partiel, et briser les tabous, comme j’invitais à la faire tout à l’heure.
Dans nos organisations syndicales également, nous avons réuni dans une très courte
période (entre Noël et le 1er janvier) toutes les équipes de la filière automobile pour
travailler ensemble et soutenir notre secteur, et non notre entreprise. Nous faisons donc
évoluer les mentalités, même si un important travail reste à fournir dans ce domaine.
Enfin, distinguons bien la GPEC de la GPSE, synonyme d’anticipation. Effectivement, la
période que nous traversons n’est certainement pas la plus propice pour se pencher sur
les nouvelles orientations à donner à la formation. Cependant, nous avons besoin de
transparence concernant les véhicules hybrides ou électriques dont on entend tant
parler. Pour accompagner les salariés et mener une gestion prévisionnelle des
compétences de façon efficace, nous, partenaires sociaux, avons en effet besoin de
connaître les positions stratégiques de nos entreprises sur ces sujets.
Annie JOLIVET
Pour ma part, j’ai été sensible à l’évocation de la logique comptable. De fait, nous ne
disposons pas toujours des outils qui aident à une réflexion prospective, les plans de
formation restant en grande partie annuels. On pourrait toutefois les étaler sur trois ans,
par exemple, de façon discontinue, évidemment, afin d’initier de véritables changements
professionnels.
Il me semble en outre qu’en 2009, les services déconcentrés de l’Etat sont au cœur d’un
important enjeu de réactivité. En effet, il ne s’agit plus uniquement à présent d’accorder
des fonds, mais de les accorder rapidement, comme on peut le constater dans le cas du
chômage partiel. D’ailleurs, cette réactivité constitue même une obligation, car il en va
parfois de la survie de l’entreprise.
Je reviendrai ensuite sur le maintien du contrat de travail. S’il s’agit là d’une question
essentielle, il ne faut pour autant pas s’y arc-bouter à tout prix. Or, dans les situations
d’urgence, où les fermetures sont imminentes, bien souvent, les obligations légales ne
favorisent pas la meilleure issue possible du dialogue. L’objectif reste, selon moi, que les
salariés subissent le minimum de pertes d’emplois. Il faut donc user de tous les outils
disponibles afin de les maintenir dans l’entreprise, tels que la formation, le prêt de maind’œuvre ou le chômage partiel, dont on a abondamment parlé. Compte tenu de l’ampleur
des difficultés, les entreprises vont en effet certainement se voir contraintes d’examiner
des hypothèses qu’elles avaient jusqu’alors ignorées. Mais on peut également entretenir
le contrat en dehors de l’entreprise, ce qui renvoie au thème de la sécurité sociale
Paris, le 12 mars 2009
77
professionnelle, en vogue il y a quelques années, afin qu’au moins les salariés ne perdent
pas tous leurs droits.
Enfin, concernant l’employabilité des seniors, ces derniers peuvent bénéficier de temps
partiels (normaux ou externes), de retraites progressives, méconnues, qui peuvent
également être réalisées en interne. Il suffit donc de trouver une juste combinaison pour
financer ces outils, en interne, en lien avec des partenaires, ou même, directement par le
salarié. Par ailleurs, il me semble que les efforts consentis pour éviter les préretraites
constituent un acquis majeur du secteur de l’automobile. Je poserai à cet endroit une
question naïve : dans quelle mesure, dans un contexte très perturbé, marqué par des
effectifs très importants et de nombreuses ruptures d’emplois, peut-on maintenir cet
acquis ? De même, nous étions d’avis tout à l’heure qu’il fallait fournir des efforts en
termes d’amélioration des conditions de travail, s’ils ne s’avéraient pas trop coûteux.
Peut-être que des critères qui ne seraient pas uniquement liés à l’âge permettraient de
maintenir en entreprise des seniors, experts, référents, au lieu de les exclure
systématiquement.
Dorothée METTA
Je laisserai à Nicole le soin de resituer cette dernière observation. Après des accords
GPEC, prenant en compte la situation des seniors et l’aggravation du contexte
économique, à quoi faut-il s’accrocher ?
Nicole RAOULT
Je tenais à revenir sur quatre points relatifs au débat qui vient d’avoir lieu. Je
m’intéresserai avant tout à la situation économique. De façon générale, nous parlons en
termes d’entreprise ou de filière. Or, il faut envisager cette situation tout d’abord au sein
des entreprises, et non au niveau de la filière.
Ensuite, sur la question de la gouvernance des entreprises, que vous tenez pour un sujet
ouvert, ce qui me semble extrêmement intéressant, la responsabilité restera selon moi du
côté de l’employeur. Cependant, jusqu’où peut aller la part de coresponsabilité dans le
cadre d’un dialogue social élargi ? Le débat mériterait des éléments plus concrets sur ce
point.
En outre, concernant le renouvellement des modèles d’organisation du travail, thème
lancinant de votre secteur et en perpétuel questionnement, vous reprenez le concept
d’organisation apprenante. On sait que ce dernier est particulièrement payant en Europe,
tant du point de vue de la productivité que de celui de l’intérêt au travail. Etes-vous en
veille sur ce sujet ?
Enfin, dans le domaine de la gestion prévisionnelle, ses présents outils sont-ils
compatibles avec une GPEC telle que vous l’évoquez ? L’anticipation des métiers, à
laquelle vous faites référence, n’est-elle pas déjà trop tardive ? Les nouveaux véhicules
que vous avez mentionnés ne sont-ils pas déjà mis au point ? Ce débat me semble fort
riche, mais pouvez-vous être plus concrets, et donner quelques exemples qui
illustreraient vos propos ?
Paris, le 12 mars 2009
78
Philippe PORTIER
Il est certain que les nouveaux modes éventuels de gouvernance sont pour l’instant très
théoriques. Nous ne souhaitons pas nous orienter vers un codéterminisme comparable à
celui d’outre-Rhin. Nous pencherions en effet plutôt vers un modèle associant directoire
et conseil de surveillance, auquel siégeraient des représentants des salariés. De plus,
nous souhaiterions que les IRP jouissent de droits accrus, notamment concernant les
informations relatives à la stratégie de l’entreprise.
En outre, la RSE reste à développer, en associant de façon plus prégnante tous les
acteurs (collectivités locales, citoyens et parties prenantes muettes, tel que
l’environnement) aux salariés et à la direction. Nous organisons d’ailleurs un colloque sur
ces questions la semaine prochaine.
Par ailleurs, avec l’ISST de Strasbourg, nous venons d’effectuer une semaine de
recherches sur la question des modèles d’organisation du travail qualifiants et
apprenants. Nous souhaitons en effet développer, au sein de la CFDT, une formation à
destination de nos militants, afin qu’ils acquièrent une expertise dans le domaine de leurs
actuelles organisations du travail. A cet endroit, j’estime qu’il est très important de
dialoguer avec les salariés pour connaître la façon dont ils vivent leur travail. Sur cette
base-là, nous pourrons ensuite réfléchir aux améliorations que nous pourrons apporter à
ces modèles d’organisation.
Dorothée METTA
Vous avez également mentionné des logiques de gestion des seniors dans et hors de
l’entreprise, ainsi que de prêts de main-d’œuvre.
Philippe PORTIER
La mobilité territoriale constitue par exemple un atout pour les seniors. D’une part en
effet, certaines entreprises n’utilisent pas leurs compétences comme elles le devraient,
tandis que d’autre part, d’autres PME rencontrent des difficultés dans leur expansion à
l’international, car il leur manque certaines compétences. On peut donc imaginer des
systèmes de prêts de seniors ou de cadres, de la part des grosses entreprises vers ces
PME.
Dominique CHAUVIN
Je vais tenter d’éclaircir l’interrogation que j’ai pu susciter lors de mon évocation du
maintien du contrat. Nous souhaitons surtout que ce maintien aménage au salarié des
passerelles d’une entreprise vers une autre. Nous devons imaginer un système qui
supprime toutes les difficultés administratives anxiogènes rencontrées par le salarié.
Cette notion de contrat indique un lien avec l’entreprise, mais aussi avec la société. Nous
insistons donc sur l’importance de la continuité du contrat.
Par ailleurs, concernant le cas des retraités qui reviennent dans l’entreprise, j’ai posé une
question ce matin, malheureusement restée sans réponse. Je la reposerai donc à
présent. N’est-il pas étonnant que, durant des années, les entreprises aient poussé les
Paris, le 12 mars 2009
79
seniors vers la sortie, et que nous leur redécouvrons aujourd’hui d’innombrables
compétences et expériences ? Effectivement, ils présentent l’avantage du coût, mais
aussi le désavantage de bloquer l’ascenseur social au sein de l’entreprise. Je tenais à
apporter cette réserve sur ce sujet.
Dominique OLIVIER
Il ne faut pas se méprendre sur les propos de Frédéric Saint-Geours, qui entend ouvrir
aux représentants des salariés le dialogue sur le futur de l’entreprise. Aujourd’hui en effet,
quand nous ne communiquons pas, les salariés font valoir un droit d’alerte tous les ans.
Donc, communiquons et anticipons, car selon moi, ils sont en mesure de se montrer
responsables et exigeants à ce niveau-là.
Par ailleurs, plusieurs accords interprofessionnels mis en place ces dernières années
vont révolutionner la relation entre le salarié et l’entreprise. Aujourd’hui, l’employabilité
externe fait peur aux entreprises. Or l’article 14 de l’accord national interprofessionnel
porte sur la transportabilité de la protection sociale. Il faut donc également donner aux
salariés la possibilité d’envisager leur avenir avec sérénité.
En outre, la filière automobile a besoin de la R&D, des ventes et de la fabrication. Sans
usine sur son territoire, la France sera en effet lourdement pénalisée.
Enfin, à la fin des années 1980, il existait un dispositif de chômage appelé l’ASA
(l’Allocation Spéciale d’Attente), dédié aux seniors. De plus, depuis trente ans, les
dispositifs de préretraites fonctionnent abondamment dans l’automobile. Or, au-delà de
50 ans, le travail en équipe et en flux tendu sur une ligne de production, même conçu de
façon ergonomique, reste très fatigant. Il faut donc réfléchir avec eux en amont à ce qu’ils
voudront faire à cet âge. En effet, comment gérer des populations ouvrières (selon moi,
les usines sont essentielles à notre filière) sur le long terme ?
Dorothée METTA
Annie, pouvez-vous synthétiser brièvement les propos de nos partenaires sociaux à
propos de l’employabilité ?
Annie JOLIVET
Pour revenir sur la dernière question posée par Dominique Olivier, il est évident que la
gestion de l’usure physique est complexe. La circulation des populations concernées sur
un territoire ne réglera pas à coup sûr ce problème, car les employeurs d’autres secteurs
peuvent rencontrer les mêmes difficultés, tant dans des entreprises privées que dans des
services publics. Dès lors, il importe de considérer en amont l’usure professionnelle,
l’organisation et le contenu du travail.
Ensuite, la Charte pose le même problème de vie que n’importe quel accord qui serait
passé au sein d’une entreprise. En effet, au-delà des signatures, un accord vit. Le
problème consiste ainsi à mettre en place des relations saines aboutissant à des
solutions concrètes, et des groupes de travail effectifs au niveau territorial. Pour ce faire,
Paris, le 12 mars 2009
80
la région peut constituer l’un des relais, mais n’oublions pas qu’il en existe d’autres,
comme le département ou le bassin d’emploi.
Dorothée METTA
Nicole, il vous appartient donc d’établir la synthèse finale de ce débat.
Nicole RAOULT
A défaut d’une synthèse, je me contenterai de vous faire partager trois idées clés. J’ai
trouvé lucide et courageux le diagnostic partagé qui faisait état d’un sureffectif dans le
secteur de l’automobile. Mais ne peut-on pas faire preuve de la même lucidité
concernant la caractérisation de la population de cette filière, selon une conception de
l’employabilité telle que nous venons de l’évoquer, et qui prendrait en compte plusieurs
facteurs ?
Quelle que soit notre place au sein de l’entreprise, nous portons tous des projets. Dans le
cas contraire, les moments difficiles ne sont-ils pas les plus pertinents pour en
construire ? La GRH a toujours prétendu que le salarié était acteur de son
développement professionnel ; il est temps de le prouver.
Enfin, j’insisterai sur la question de la préservation de la santé de tous, qui va de soi pour
le réseau ANACT, et qui ne se joue pas uniquement dans le cabinet médical. Je conseille
à cet égard de se pencher sur les pratiques des Européens du nord en la matière ; le
travail ne casse pas forcément les salariés. Même si les opérateurs sont déterminants
pour le reste de la filière, pensons aux autres métiers qui font également l’avenir du
secteur, tels que les experts. Ceux-ci ne resteront d’ailleurs peut-être pas fidèles au
secteur quoi qu’il arrive, notamment du fait de leur âge. Il vous faudra alors les remplacer,
et construire les années 2010 et 2011, qui seront, je l’espère, beaucoup plus positives
que 2009.
Dorothée METTA
Merci de vous être exprimés sur ce difficile sujet de l’employabilité, lié à des questions
affectives. Laissons la parole à présent aux partenaires des territoires.
Paris, le 12 mars 2009
81
Apports de l’Europe, de l’Etat et des Régions
Jean-Paul PEULET, directeur adjoint, coordinateur Réseau ANACT
Nous venons d’entendre les partenaires sociaux. A présent, la parole appartient à des
structures qui travaillent avec les entreprises, en animant des réflexions et des actions
collectives dans une logique sociotechnique.
Nous allons reprendre les trois temps que nous a suggérés Jacques Monnet ce matin : le
temps moyen de la recherche et du développement, le temps long de l’évolution des
produits et de leur usage, et le temps court du contexte actuel de la crise. Nos
intervenants s’exprimeront sur les temps moyen et long, qui ont justifié la création de
leurs institutions, et reviendront ensuite sur le temps court. Je laisse la parole à Oscar
Rapp du Pôle Excellence Automobile de Champagne-Ardenne, qui consacre sa retraite,
après avoir œuvré pour l’industrie, aux entreprises de sa région.
Oscar RAPP, président, Pôle Excellence Automobile, Champagne-Ardenne
Le pôle que j’anime depuis fin 2004 a été créé par la région, et il est financé par le
FEDER. Mis en place pour soutenir la filière industrielle automobile, qui représentait, à
l’époque, 17 000 emplois (contre environ 15 000 aujourd’hui), ce pôle présente un chiffre
d’affaires d’environ 2,2 milliards d’euros. Sur notre site, nous avons, entre autres,
mutualisé nos connaissances pour distinguer les constructions de chacun. En outre,
nous commandons régulièrement des études prévisionnelles pour l’automobile. Nos
adhérents disposent ainsi de prévisions jusqu’en 2012. Nous représentons par ailleurs
surtout les rangs 2 et les rangs N. Je profite donc de la présence de rangs 1 dans la salle
pour lancer un appel : ouvrez vos entreprises et utilisez vos outils pour aider les rangs 2,
afin que nous puissions sauvegarder l’ensemble de la filière.
En ce qui concerne le moyen terme, le secteur de l’automobile n’est pas mort. Il ne s’agit
pas de notre première crise, mais de notre quatrième. D’une part, elle se singularise par
la violence avec laquelle elle est arrivée, et, d’autre part, par le fait que l’automobile n’en
est pas responsable. Les crises précédentes étaient en effet liées aux chocs pétroliers,
tandis que celle-là est une crise de confiance, où le problème principal concerne les
crédits.
Jean-Paul PEULET
Estelle Duflot travaille avec les équipementiers et les constructeurs automobiles en Ilede-France. Pourriez-vous nous expliquer votre engagement dans ces processus
vertueux, à la fois sur le plan technique et sur celui de la dynamique sociale des
entreprises ?
Estelle DUFLOT, animateur RAVY, Région Ile-de-France
La région Ile-de-France – et plus particulièrement le Val-d’Oise et les Yvelines – a la
chance de compter 75 000 emplois directs liés à l’automobile, avec la présence des
Paris, le 12 mars 2009
82
constructeurs, via plusieurs usines de production, et de tout un panel d’équipementiers,
de fournisseurs, de distributeurs et de sociétés d’ingénierie.
L’objectif du RAVI, Réseau Automobile Val-d’Oise/Yvelines, est de dépasser la relation
donneur d’ordre – fournisseur, et de mailler l’ensemble de ces entreprises, pour assurer
collectivement la pérennité de la filière automobile de la région.
Créé en janvier 2005, à l’initiative de deux usines du territoire, le RAVI profite de
l’expérience de la Chambre de Commerce et d’Industrie du Val-d’Oise/Yvelines dans
l’animation des réseaux territoriaux. Nous faisons travailler ensemble les chefs
d’entreprises et leurs équipes, afin qu’ils réfléchissent à des plans d’actions pour
répondre à leurs problématiques communes. Ainsi, la filière automobile de notre territoire
est plus forte, évolue et génère une économie plus prospère.
Aujourd’hui, nous travaillons sur différents axes : ressources humaines, environnement,
problématiques d’infrastructures, communication et synergie transversale concernant le
développement des petites PME.
Jean-Paul PEULET
Amalia di Stefano, vous m’avez expliqué que le CLEPA peut être considéré comme la
FIEV, au niveau européen. Vous expliquiez également que vous faisiez du lobbying, ce
qui est bien considéré à Bruxelles. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Amalia DI STEFANO, directrice des affaires européennes, CLEPA
Le CLEPA, association européenne des équipementiers d’automobiles, réunit 80 grandes
entreprises et 20 grandes associations nationales européennes. Nous comptons 3
millions d’employés en Europe et 3 000 entreprises (en comptant les PME de la filière de
production). Notre chiffre d’affaires s’élève à 300 milliards d’euros.
Nous représentons les intérêts des équipementiers auprès des institutions européennes –
notamment la Commission, le Parlement et le Conseil – en cherchant à influencer les
processus décisionnels qui concernent la législation européenne pour notre secteur.
Nous sommes actifs dans plusieurs domaines : la réglementation technique, la recherche
et le développement, la formation et le commerce extérieur. Avec un réseau de 1 200
experts issus de l’industrie qui participent à nos groupes de travail, nous assumons une
position commune qui sera présentée ensuite aux institutions européennes. Ainsi, en
octobre 2007, à l’initiative du groupe de travail Formation, le CLEPA a signé une
déclaration, avec les constructeurs et tous les partenaires sociaux européens, afin
d’anticiper les changements de l’industrie automobile. Son but principal était de créer un
observatoire informel qui permettrait la mise en place de mécanismes d’anticipation, et le
développement d’une culture du changement. Par ailleurs, en novembre 2008, nous
avons lancé, en partenariat avec la FIEV, entre autres, un projet européen visant à
préparer le futur de l’industrie, et les années 2020-2030.
En ce qui concerne la situation actuelle, nous avons affaire à une crise des liquidités.
Nous devons nous préparer à saisir les opportunités lorsque la demande reprendra. Or
cette nouvelle demande sera différente. Il s’agira en effet de voitures propres, vertes, plus
sûres, et qui répondront à une mobilité accrue. Pour faire face à cette réalité qui suivra la
Paris, le 12 mars 2009
83
crise, l’industrie automobile a besoin de la recherche et du développement, mais surtout
de l’investissement dans le capital humain.
Martin ULBRICH, analyste restructuration unité F3, Commission européenne,
direction générale à l’emploi, aux affaires sociales et à l’égalité des chances
Concernant les moyen et long termes, comme disait Monsieur Rapp, l’automobile n’est
pas morte. Toutefois, pour que ce secteur puisse bien se comporter après la crise, nous
devons nous concentrer sur deux objectifs.
Premièrement, il est nécessaire de maintenir les investissements dans la formation du
personnel, pour pouvoir relancer la production à la sortie de la crise. Je me suis donc
réjoui d’entendre ce matin que les réductions du budget dues à la crise ne touchent pas
la formation. Nous disposons par ailleurs d’instruments de financement au niveau
européen. La Commission est en effet en train d’avancer des liquidités provenant du
Fonds Social Européen, pour permettre à la filière automobile d’investir plus durablement
dans la formation de sa main-d’œuvre.
La recherche et le développement constituent le deuxième élément clé. Or, dans une
situation de crise, les entreprises risquent de privilégier d’autres activités que la
recherche. Nous avons affaire à un problème général de financement de la R et D en
Europe. Sachant que le secteur automobile, avec 20 % des dépenses de la R et D
industriels, est le deuxième secteur le plus important (après les technologies de
l’information et avant l’aéronautique), un recul, si ténu fût-il, des dépenses dans
l’automobile, influence tout le paysage de la recherche en Europe. Pour faire face à ce
problème, les institutions européennes travaillent avec la Banque Européenne
d’Investissement afin de favoriser la recherche dans le contexte actuel. Rien qu’au mois
de mars, la BEI devrait annoncer 3,5 milliards d’euros de prêts (un peu moins de 7
milliards d’euros de prêts sont déjà en préparation) pour permettre à la filière de profiter
pleinement de l’essor économique, le moment venu.
Oscar RAPP
Pour revenir sur le long terme, en 2050, la voiture électrique représentera toujours une
infime partie des voitures en circulation. Nous touchons ici le grand problème de
l’infrastructure, qui est aujourd’hui basée sur le pétrole, et destinée uniquement aux
moteurs thermiques, alors que nous ne disposons d’aucune alternative. Or ce travail doit
être accompli, non seulement sur le plan national, mais surtout au niveau européen.
Personnellement, dans les 5 ans qui viennent, j’estime que nous sommes beaucoup plus
proches de consommer trois litres aux 100 km avec le moteur thermique d’aujourd’hui,
que de mettre réellement en place des moteurs électriques.
Jean-Paul PEULET
Nous passons à la deuxième phase : le temps court, qui se caractérise par une sévère
baisse de la production, de l’ordre de 50 à 55 %. Dès lors, que faire ? Ces objectifs que
nous avons imaginés – recherche et développement, investissement dans la formation –
peuvent-ils être réalisés au moment où le futur est si incertain ?
Paris, le 12 mars 2009
84
Oscar RAPP
Ce chiffre de 55 % correspond à la réalité des deux premiers mois de l’année. Nous nous
trouvons toujours dans une phase de déstockage, qui devrait se terminer courant avril ou
mai. Ensuite, pour le deuxième semestre 2009, les spécialistes les plus optimistes
prévoient une baisse de 12 à 15 % de l’activité sur le marché de l’automobile ; les plus
pessimistes parlent de 20 %.
J’ajouterai seulement qu’il est impératif de sauver les entreprises pour éviter, d’une part,
une nouvelle augmentation du taux de chômeurs, et d’autre part, une perte énorme des
savoir-faire. L’Etat a mis en place plusieurs dispositifs de financement, et notre rôle sur le
terrain est d’aider les entreprises à en profiter.
Jean-Paul PEULET
Par quels moyens ?
Oscar RAPP
Nous mettons tout en œuvre pour trouver le financement grâce auquel une entreprise
évitera de déposer son bilan.
Par ailleurs, nous avons proposé à Luc Chatel, lors des Etats Généraux de l’Automobile,
un chapitre Formation, où nous préconisons de profiter du chômage technique pour faire
monter la main-d’œuvre en compétences. En effet, à la sortie de la crise, nous aurons
affaire, à nouveau, à une compétition à laquelle les employés doivent se préparer.
Néanmoins, l’entreprise seule n’est pas en mesure de financer la formation. Selon la
proposition qui a été faite, elle paierait le salaire, mais l’Etat l’exonérerait les charges, et
économiserait ainsi sa participation au chômage technique. Pour l’instant, notre
proposition est en phase de discussion.
Estelle DUFLOT
Nous sommes tout à fait d’accord avec l’idée présentée par Monsieur Rapp de maintenir
les compétences dans la filière automobile, mais encore faut-il que les entreprises en
aient les moyens. Nous devons donc trouver des solutions concrètes. Au sein du RAVI,
nous travaillons en majorité avec des PME et PMI, même si, bien entendu, PSA et
Renault font partie du réseau. Aujourd’hui, ces entreprises-là connaissent de très
grandes difficultés en matière de trésorerie, et pourtant, elles disposent de véritables
pépites en termes de compétences et de méthodologie de travail.
Quant à la réaction à la situation de crise, nous essayons d’être au plus près des
entreprises, de constituer le trait d’union entre elles et l’ensemble de nos partenaires
institutionnels territoriaux. Il s’agit de les informer le plus possible de nouveaux dispositifs
qui apparaissent quasi quotidiennement. Le RAVI, via environ 45 commissions de travail
par an, favorise la collaboration entre les structures. Aujourd’hui, il ne s’agit pas en effet
d’opposer une marque à une autre. La réflexion doit être menée conjointement.
Paris, le 12 mars 2009
85
En outre, nous avons réalisé une cartographie de l’évolution des métiers de l’automobile
du Val-d’Oise et des Yvelines, qui permet de mettre en place des actions de terrain, tels
que des livrets d’information ou des forums.
Nous avons également développé une base de données emploi pour faciliter le dialogue
entre les DRH des différents sites. En y insérant l’aspect GPEC, nous avons voulu nous
adresser particulièrement aux PME et PMI.
Enfin, le RAVI a mis en place un parcours de professionnalisation, appelé « passeport à
vie », développé en partenariat avec les constructeurs, les équipementiers et l’AFPA. Il
s’agit d’un véritable accompagnement du salarié, constitué d’une semaine de formation
et de six mois en entreprise.
Jean-Paul PEULET
Amalia Di Stefano, pourriez-vous nous présenter votre positionnement d’un point de vue
européen ?
Amalia DI STEFANO
Malheureusement, la crise actuelle est globale. Pour notre secteur, elle touche avant tout
les liquidités, et se caractérise par un manque d’accès aux crédits, une chute de la
demande et une perte d’emplois très importante. Je tiens à citer Monsieur Marchionne
qui a dit que, d’ici deux ans, il ne subsistera que six constructeurs sur la scène
internationale. Vous pouvez imaginer les conséquences d’une telle situation. Nous
devons donc résister à cette crise des liquidités, pour investir au moment où la demande
reprendra. En novembre, la Commission a annoncé un plan de relance économique pour
aider les entreprises à poursuivre l’investissement dans la recherche et le développement
de la voiture verte. En effet, 5 milliards d’euros ont été annoncés pour la green car. Par
ailleurs, en treize ans, 4 milliards d’euros vont être débloqués par la Banque Européenne
d’Investissement. Or les entreprises, et en particulier les PME, ont du mal à en bénéficier
à cause de procédures très lentes et complexes. Nous proposons donc un plan pour
faciliter l’accès aux financements.
Quant aux 5 milliards d’euros provenant de la Commission, ils passeront certainement
par le prisme du septième programme cadre. Ensuite, l’entreprise doit soumettre une
proposition à l’évaluation. Finalement, les financements ne parviendront aux entreprises
que dans un an ou un an et demi, ce qui est relativement long pour résoudre la crise des
liquidités.
Martin ULBRICH
L’automobile est un secteur dans lequel les échanges commerciaux entre les différents
Etats membres sont particulièrement nombreux. Par conséquent, notre réaction face à la
crise a un fort impact sur les autres Etats membres. Or, à l’intérieur de l’Union
européenne, nous rencontrons des situations très différentes : certains Etats comptent
des producteurs nationaux ; c’est le cas de la France, de l’Italie et de l’Allemagne.
D’autres ont une production importante, mais pas de marque, comme la Belgique. Par
ailleurs, quelques pays ont été touchés par le problème américain de General Motors,
Paris, le 12 mars 2009
86
comme la Suède, l’Allemagne, l’Espagne, etc. Bref, dans ce panorama très varié, il est
important de maintenir la cohérence entre différents plans de relance et d’aide dans les
tous les Etats membres, afin d’éviter un éclatement du marché interne de l’Union
Européenne.
Cette coordination, au moment de la crise, se décline à travers les axes suivants :
•
l’accès aux financements, problème qui touche non seulement la filière automobile,
mais tous les secteurs. A cet égard, la Commission prend, dans le plan de relance
économique de décembre, un certain nombre de mesures par rapport au système
bancaire, et aux aides de l’Etat, non acceptées jusqu’alors au niveau européen ;
•
la chute de la demande, beaucoup plus forte que dans d’autres secteurs. Le marché
de l’automobile – qui constitue le deuxième investissement pour un consommateur
moyen, juste après l’immobilier – souffre beaucoup de la crise des crédits. Nous
avons donc affaire à une crise du système financier, mais également de confiance.
Rappelons enfin que le secteur de l’automobile influence fortement d’autres filières, et
particulièrement l’industrie des aciers en particulier.
Paris, le 12 mars 2009
87
Synthèse et perspectives
Jacqueline LAIRE, directeur RH, FIEV
Cette journée m’a semblé particulièrement intense et riche. Face à cette situation
troublée, un constat partagé par l’ensemble des acteurs s’est fait entendre aujourd’hui,
sans pour autant verser dans un pessimisme forcené. A travers plusieurs remarques et
propositions, nous ressentons, au contraire, une réelle volonté de trouver les moyens de
sortir de la crise. Ce travail, en collaboration avec l’ARACT, a donc été indispensable
pour arriver à vous présenter ces quelques éléments qui nous laissent augurer d’un
développement prochain, au sein des ARACT, mais aussi avec la Lorraine et la région
Rhône-Alpes, avec lesquelles des contacts ont été pris. Par ailleurs, il me semble que
cette crise nous permet de développer nos capacités d’innovation, de réactivité et de
proposition. Je vous remercie d’avoir été à ce point attentifs et contributifs. Je salue enfin
le travail remarquable des équipes des ARACT, ainsi que celui de mon équipe proche :
Pascale Prévost et Martine Leprince.
Sophie SAVEREUX, directrice, ARACT Ile-de-France
Nous avons, dès le départ, imaginé que cette journée ne suffirait pas. Nous souhaitons
donc donner prolonger ces échanges en organisant une série de visites en entreprises
dans cinq régions. Nous avons l’habitude de travailler in situ, et privilégions donc
l’engagement des entreprises. A ce sujet, vous trouverez dans vos dossiers quelques
exemples de présentations que nous comptons faire, et vous informerons
systématiquement de ces initiatives. En outre, en partenariat avec la FIEV, nous projetons
de publier un recueil d’expériences et de bonnes pratiques papier et numérique,
regroupant celles que nous avons évoquées ce matin, ainsi que d’autres. Cette réflexion
pourra bientôt être alimentée de cas nouveaux, si nos collègues de l’est se joignent à
nous.
Sachez que le réseau des ARACT a aussi pour vocation d’accompagner les entreprises
dans leurs développements de projets concernant le travail, les compétences ou la santé
au travail. Nous serons présents en toutes circonstances auprès des entreprises qui nous
solliciteront. Notre activité ne se limite effectivement pas à la mise en commun des
expériences, mais passe par le vécu au quotidien et l’accompagnement de projets
concrets d’entreprises.
Jacqueline LAIRE
Comme vous êtes créatifs, innovants et pleins de ressources, nous vous adressons, dans
vos dossiers, un questionnaire de satisfaction, et comptons sur votre évaluation.
N’hésitez pas à nous indiquer également une entreprise que vous connaissez (ou bien la
vôtre) qui serait prête à participer à nos expériences, et dont les résultats seront
communiqués aux autres.
Paris, le 12 mars 2009
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Paris, le 12 mars 2009
89
Interventions de clôture
Vladimir SPIDLA, commissaire européen à l’emploi, aux affaires sociales et à
l’égalité des chances
Dans ses Mythologies, Roland Barthes compare l’automobile aux grandes cathédrales
gothiques, conçues par des artistes inconnus et consommées par un peuple entier.
Quelle que soit l’ampleur de la crise que nous traversons, nous ne pouvons pas laisser
s’effondrer ces cathédrales. La magie de l’automobile ne doit pas cesser, et ne cessera
pas.
L’industrie automobile, l’un des piliers de l’économie européenne, fait vivre plus de 12
millions de familles. Elle possède des atouts remarquables : la puissance industrielle de
ses entreprises, la qualité de sa main-d’œuvre, son goût pour l’innovation et sa capacité
d’adaptation à des situations exigeantes. Tous ces atouts sont aujourd’hui mis à
l’épreuve, et l’industrie est confrontée à une baisse drastique de la demande et des
difficultés d’accès aux financements. Le coût social potentiel de cette crise peut se
chiffrer en centaines de milliers, voire en millions de pertes d’emploi. Face à ces risques,
la commission prend ses responsabilités, en aidant le secteur de l’automobile à
redémarrer rapidement, mais également à investir dans des mesures de compétitivité à
plus long terme. Le plan européen de relance vise en particulier trois objectifs :
•
•
•
la protection de l’emploi ;
l’investissement dans les ressources humaines, afin de retenir les capacités et les
compétences dans le secteur ;
un effort d’innovation, passant, notamment, par le développement des technologies
propres en faveur des voitures vertes.
En outre, dans sa communication du 25 février 2009, la commission propose différentes
mesures pour :
•
•
•
•
•
•
améliorer l’accès aux crédits ;
clarifier les règles d’octroi des aides d’Etat ;
favoriser les demandes de nouveaux véhicules ;
minimiser les coûts sociaux ;
protéger la main-d’œuvre qualifiée ;
et garantir une concurrence loyale.
La commission entend également mobiliser pleinement le Fonds Social Européen et le
fonds européen d’ajustement à la mondialisation. Le premier constitue le principal
instrument financier européen pour l’anticipation du changement et pour l’atténuation des
effets négatifs des restructurations. Le Conseil et le Parlement devraient trouver un
accord sur la proposition de la commission visant à simplifier les critères d’obtention du
Fonds Social Européen. Si les changements sont adoptés, les Etats membres pourront
accéder à 1,7 milliard d’euros.
Paris, le 12 mars 2009
90
Quant au fonds européen d’ajustement à la mondialisation, il vise à aider les travailleurs
licenciés à retrouver un emploi le plus vite possible. Le règlement du fonds est en cours
de révision, afin d’augmenter sa vitesse de réaction et élargir son champ d’action. La
Commission propose à ce sujet :
•
•
•
de réduire de moitié le nombre de licenciements exigés pour accéder au fonds ;
de prolonger la période d’intervention de 12 à 24 mois ;
et d’augmenter le taux d’intervention de l’Union européenne de 50 % à 75 %.
Les discussions sont en cours au Conseil et au Parlement.
Toutefois, les mesures de relance doivent être accompagnées d’une vision à long terme,
pour que le secteur de l’automobile puisse s’adapter aux exigences de demain. Pour
redémarrer de plus belle après la crise, il importe d’investir dans la recherche et
l’innovation, ainsi que dans les compétences.
Dans le cadre du plan de relance, la commission propose l’établissement d’une initiative
de promotion des voitures vertes, impliquant un partenariat de recherche financé par
l’Union Européenne et la Banque Européenne d’Investissement. La BEI accorderait aux
constructeurs et fournisseurs automobiles des prêts afin de financer l’innovation
améliorant la sécurité et les performances environnementales des voitures.
Pour rester compétitive, l’industrie automobile européenne doit investir dans des
formations de qualité qui lui permettront de s’appuyer sur une main-d’œuvre adaptable,
mobile et dotée de compétences indispensables pour l’avenir. Elle doit aussi améliorer
l’employabilité des travailleurs du secteur et faciliter les transitions de l’emploi.
La période actuelle doit également nous amener à réfléchir aux conditions de travail, en
particulier à la protection de la sécurité et de la santé sur le lieu de travail.
La réponse à la crise passe également par la mise en place d’une structure de dialogue
social au niveau européen. Je salue à cet égard l’initiative prise, il y a un an et demi, par
les organisations du secteur de lancer, en coopération avec la commission, un
partenariat européen pour l’anticipation du changement. En effet, seule la création d’un
comité de dialogue social donnera aux partenaires sociaux la possibilité d’adopter des
mesures et des outils communs au niveau européen.
Je crois en l’avenir du secteur automobile européen qui est, et qui restera, l’un de nos
joyaux industriels. Toutefois, le futur de l’industrie européenne dépendra de sa double
capacité à innover et à retenir des ressources humaines compétentes et qualifiées.
Connaissant la contribution des équipementiers automobiles à l’innovation et au
développement, je ne peux que vous inciter à poursuivre dans cette voie. De mon côté, je
vous assure d’un soutien sans réserve à l’effort d’adaptation que vous menez
actuellement.
Jean-Denis COMBREXELLE, directeur général du travail
Votre séminaire d’aujourd’hui témoigne d’une démarche à la fois ambitieuse et
courageuse.
Paris, le 12 mars 2009
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Ambitieuse, parce qu’elle s’inscrit dans la continuité d’une action démarrée depuis
longtemps, en collaboration avec l’ANACT, et à laquelle vous consacrez un
investissement important et constant. En effet, vous travaillez pour valoriser une gestion
efficace et durable des ressources humaines et pour une meilleure compétitivité de vos
entreprises. Vous rejoignez également notre souci de favoriser la qualité du travail et de
l’emploi, le dialogue social et la prévention des risques professionnels.
Courageuse, parce qu’elle se tient à un moment où votre secteur est durement touché
par la crise économique, où les préoccupations des entreprises sont orientées vers leur
devenir immédiat, parfois même vers leur survie. Durant une telle période, les questions
de qualité de l’emploi sont souvent mises en sommeil en attendant des jours meilleurs.
Votre choix de rester mobilisés dans cette démarche apparaît donc pour les décideurs
publics comme le meilleur que vous ayez pu faire. La préservation de l’emploi et la
compétitivité des entreprises passent, même dans des périodes difficiles,
par l’investissement dans le capital humain. Cet investissement se fait à travers
l’amélioration des conditions de travail des salariés et du dialogue social, la
reconnaissance à l’intérieur de l’entreprise des questions de compétences, le maintien de
l’emploi des salariés âgés et l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.
Votre démarche est cohérente avec la Charte nationale de coopération pour le soutien et
l’accompagnement des entreprises du secteur de l’automobile et de leurs salariés, signée
en juillet 2008 par l’Etat, les constructeurs, les équipementiers, les branches et les
organisations syndicales. Vos travaux et outils complètent donc cet engagement,
important en soi, mais qui nécessite des actions concrètes de la part de l’ensemble de
partenaires.
Vous restez également cohérents avec les orientations impulsées depuis plusieurs
années par les pouvoirs publics en matière de conditions de travail et de développement
du dialogue social, deux fondements majeurs de l’action du Ministère du travail en
France.
Avec le plan santé au travail, adopté par Gérard Larcher en 2005, et la conférence sur les
conditions de travail du 4 octobre 2007, les pouvoirs publics ont souhaité impulser un
véritable pacte social autour de la prévention des risques professionnels. Ce plan vise à
responsabiliser chaque acteur, les administrations, mais surtout les organismes de
prévention, les partenaires sociaux et les entreprises. Le bilan des politiques de santé et
de sécurité au travail des dernières décennies est contrasté. Malgré une baisse
tendancielle des accidents de travail depuis les années 1970, leur nombre demeure
encore très élevé. De plus, le nombre de maladies professionnelles est en progression
constante ; il est passé de 13 000 en 1996, à plus de 50 000 en 2005. Ce chiffre doit être
néanmoins analysé avec précaution. Il est en effet conditionné par une meilleure
reconnaissance de ces maladies.
Nous devons améliorer les outils de la prévention. Votre collaboration avec l’ANACT et
l’ARACT est un bon exemple d’une démarche à entreprendre sur le terrain. Par ailleurs,
nous avons entrepris, avec le Ministère de l’Education nationale et le CNAM, la mise en
place de modules de formations à la santé et la sécurité au travail, dans les cursus de
formation des ingénieurs et des managers. Notre but est de les sensibiliser à la prise en
compte des conditions de travail dans la politique de management, ainsi que dans la
conception des systèmes de production. Une convention entre l’Etat et le CNAM est en
train d’être signée en vue de la mise en place d’un réseau national de formations en
Paris, le 12 mars 2009
92
matière de santé au travail. La médecine du travail fait également l’objet d’une réforme, et
plus exactement d’un renvoi à la négociation collective entre les partenaires sociaux.
Nous souhaitons que l’action du médecin du travail ne soit pas bornée à la visite du
salarié, mais qu’elle s’élargisse sur le lieu de travail.
Seul le dialogue social peut contribuer au développement, par les entreprises, des
politiques et des pratiques des ressources humaines qui sont favorables à la construction
de parcours professionnels valorisants et qualifiants tout au long de la vie. La loi du 4 mai
2004 a accordé davantage d’espace à la négociation collective, en instituant des
rapports d’autonomie entre la branche et l’entreprise. De surcroît, la loi du 10 août 2008,
par la réforme de la représentativité, donne davantage de légitimité aux acteurs et aux
accords eux-mêmes. L’esprit de cette loi est de privilégier l’accord collectif (qui s’inspire
d’une logique majoritaire), et, au sein de ce dernier, de privilégier les accords
d’entreprises.
Une association comme la vôtre doit jouer, de ce point de vue, un rôle extrêmement
important. La négociation collective n’est pas une fin en soi mais constitue un levier
puissant pour faire évoluer les organisations dans le souci, d’une part, de répondre aux
exigences de compétitivité et de mutation des technologies, et, d’autre part, d’améliorer
les conditions de vie au travail.
Qu’il s’agisse d’adapter les postes de travail pour réduire l’usure professionnelle, de
favoriser les parcours professionnels, d’impulser les démarches de gestion des âges,
d’aménager le temps et le rythme de travail, il est toujours utile que ces évolutions
émanent de démarches partagées et négociées, et donc mieux acceptées par les salariés
et leurs représentants.
Ces priorités gouvernementales s’inscrivent bien entendu dans la ligne des actions
impulsées au niveau communautaire, aussi bien en ce qui concerne la stratégie
européenne pour la santé et la sécurité au travail (que la France soutient avec vigueur),
que le développement du dialogue social.
Dans des périodes difficiles, il est essentiel, comme vous le faites, de persister dans cette
voie de recherche du dialogue pour l’amélioration de la qualité de l’emploi et de la
compétitivité. L’économie fonctionne par cycles. Les efforts consentis aujourd’hui pour
maintenir les équilibres internes, nécessaires au bon fonctionnement des entreprises,
seront payants le jour, que nous espérons proche, où l’horizon s’éclaircira.
Paris, le 12 mars 2009
93
Index
Nous vous signalons que nous n'avons pu vérifier l'orthographe et/ou l’exactitude des
noms et termes suivants :
—C—
—O—
conducteur de moyens automatiques
marieur, 51
opérateur de mariage, 51
—M—
marieurs, 62
Paris, le 12 mars 2009
94

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