Assurance invalidité: peut-on autoriser un détective privé à

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Assurance invalidité: peut-on autoriser un détective privé à
Sécurité du travail et promotion de la santé
Assurance invalidité: peut-on autoriser un
détective privé à espionner quelqu’un? (1
ère
partie)
Une assurance publique ou privée – dans ce cas concret, l’assurance invalidité – peut-elle faire
espionner une personne soupçonnée d’abus? Et dans l’affirmative, où les limites d’une telle
observation se situent-elles? Que se passe-t-il, par exemple, lorsque la personne à observer effectue
des travaux sur le balcon de son appartement? Nous répondrons à cette dernière question dans la
seconde partie de cet article, qui paraitra dans le prochain numéro.
Le juriste Michel Rohrer dirige notamment un organisme de contrôle de
l’industrie du bâtiment, qui examine et
sanctionne également des cas dans le
domaine de la sécurité du travail et de
la protection de la santé
permettaient parfaitement des activités
légères à moyennes de nettoyage et que,
par conséquent, les résultats de l’observation ne pouvaient concorder avec une
invalidité complète.
l’art.186 CP5. Dans la mesure où un détective privé a filmé la plupart des activités dans cette sphère privée protégée
[NB, il s’agit du balcon], cela était
contraire à l’art. 179quater du CP.
Les faits1. C., né en 1967, s’est fait
connaître le 14 mai 2008 à l’assurance invalidité pour percevoir sa rente, avec
pour indication des maux de dos persistants depuis 1997, ainsi que des troubles
psychiques.
En s’appuyant sur ces résultats, l’Office
AI, après la tenue de la procédure de
préavis litigieuse refusa, le 22 avril 2010,
la prétention à une rente invalidité, après
quoi C. déposa un recours contre cet arrêt [aux frais de l’Etat].
Après un examen clinique de type acquis,
en particulier après que le Centre d’observation médicale de l’assurance-invalidité (COMAI) ait obtenu une expertise
pluridisciplinaire selon laquelle on soupçonnait un épisode dépressif moyen, des
troubles anxieux avec des attaques de panique, des douleurs généralisées d’origine
psychosomatique2, ainsi qu’un syndrome généralisé et chronique de psychalgie entraînant de nombreux syndromes neuro-végétatifs concomitants,
l’Office AI du canton de St-Gall (plus
loin nommé Office AI) laissa entrevoir
l’attribution d’une rente d’invalidité totale à un niveau de 70%.
L’aspect juridique. Selon l’art. 43 al. 1
de la LPGA2, l’assureur examine les demandes, prend d’office les mesures d’instruction nécessaires et recueille les renseignements dont il a besoin. Les offices
AI doivent ensuite examiner si les conditions générales d’assurance sont remplies
(art. 57, al. 1 lettre c LAI3). Les offices AI
peuvent faire appel à des spécialistes
pour lutter contre la perception indue de
prestations (art. 59, al. 5 LAI).
Avant que nous nous posions la question
de savoir si la surveillance d’un balcon
privé empiète de trop dans le droit fondamental sur la protection de la vie privée, il faut tout d’abord élucider si, de
manière générale, il existe une base légale
suffisante pour que l’Office AI engage
un détective privé.
Etant donné que l’expertise avait montré
la tendance de C. à fortement exagérer
ses symptômes, à s’autolimiter face aux
incohérences [comportements contradictoires], l’Office AI trouva bon de collecter d’autres informations relatives à
son comportement au quotidien, en faisant surveiller l’assuré C. par un détective
privé, du 29 septembre au 1er octobre
2009.
Au constat des résultats de l’examen, les
médecins spécialistes retinrent, le 9 octobre 2009, que les aptitudes observées
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La revendication d’une rente d’assurance
invalidité faite par C. est contestable. A ce
sujet, il faut, en particulier, vérifier s’il est
légal qu’un détective privé surveille la
personne; et donc savoir si les résultats
de la surveillance peuvent être utilisés
comme preuve légalement requise, ce
que l’instance cantonale précédente avait
nié.
Une atteinte au droit fondamental du respect de la vie privée (art. 13 Cst.4) sousentendrait un (début) de soupçon fondé
pour demander une surveillance, ce qui
n’est pas le cas ici. Cette surveillance
n’avait pas de caractère de nécessité, aussi
était-elle à considérer comme démesurée.
Ensuite, le balcon d’un logement appartient à la sphère du domicile privé, selon
Une restriction de la liberté individuelle
de droit constitutionnel doit reposer sur
une base légale, doit être justifiée par un
intérêt public, doit être proportionnée au
but visé et respecter l’essence des droits
fondamentaux.6
Les restrictions des droits fondamentaux
sont ainsi toujours soumises à un fondement légal. Tout en considérant la règle
empirique qui veut que «Plus l’atteinte est
grande et plus le fondement légal doit
être net, ou encore plus l’atteinte est sévère, plus elle doit être justifiée, ou couverte par un sens formel». Ceci parce que
des atteintes sévères nécessitent une plus
forte légitimation démocratique, c’est-àdire celle de la Constitution fédérale ou
d’une loi, que les atteintes moindres.
Si la base légale fait totalement défaut, il
s’agit alors, dans tous les cas, d’une restriction des droits fondamentaux, d’une
atteinte aux droits fondamentaux, même
si dans ce cas concret, il s’agit de toute
évidence d’un intérêt public proportionné.
Dans le cas présent, le Tribunal fédéral a
Sécurité du travail et promotion de la santé
vu les bases légales nécessaires dans l’art.
59, al. 5 LAI. Il s’agit-là d’une base légale
spécifique, qui permet de faire appel à
des spécialistes pour lutter contre la perception indue de prestations.
De tels «spécialistes» peuvent être des
personnes ayant les qualités requises, qui
sont employés pour lutter contre des
gens touchant des indemnisations injustifiées. Outre des médecins, il peut très
bien s’agir de détectives privés.
C’est ainsi que les conditions de la surveillance par un détective privé sont parfaitement respectées par ce que l’on appelle la législation spéciale; aussi le
Tribunal fédéral, en considérant les cir-
constances, que l’on ne peut définir, dans
ce cas pénal, comme une atteinte importante au droit de la vie privée, selon l’art.
13 Cst., comme on le verra dans la seconde partie de cet article, a vu dans les
termes ainsi que dans le sens et dans le
but de l’art. 59 al. 5 LAI, une base légale
suffisante pour faire exercer une surveillance.
La conclusion. Après avoir expliqué les
bases légales permettant de faire appel à
un détective privé dans la législation spécifique en vigueur concernant l’assurance
invalidité, nous nous occuperons davantage, dans la seconde partie, de l’appel à
un détective privé et de l’empiètement
qui en résulte dans la sphère privée de C.
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Jugement du Tribunal fédéral du 11 novembre
2011, disponible sur Internet sous www.legalswiss.ch/ –> Lien avancé –>Jurisprudence
Fédération et cantons –> Jugements depuis
2000 –> dans Recherche, saisir
«8C_272/2011».
On appelle troubles somatiques, les dérèglements physiques que l’on ne peut pas, ou pas
suffisamment relier à une maladie organique
(source: http://de.wikipedia.org/wiki/Somatoforme_St%C3%B6rung).
Loi fédérale du 6 octobre 2000 sur la partie
générale du droit des assurances sociales
(LPGA), RS 830.1
Loi fédérale du 19 juin 1959 sur l’assurance-invalidité (LAI), RS 831.20
Constitution fédérale de la Confédération
suisse du 18 avril 1999 (Cst.), RS 101.
Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP),
RS 311.0.
Art. 36 Cst; BGE 135 I 169 E. 4.4 S. 171 f.
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