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Droit des Affaires REVUE LAMY L’outil pénal au service de la fraude fiscale présumée : état des lieux Emmanuel DAOUD, Maud SOBEL et Victoire de TONQUÉDEC – Pratiques commerciales trompeuses : de l’amour, de l’argent et… des tromperies Jean-Marie BRIGANT – Une manœuvre frauduleuse par simple mensonge ou réticence ? Bernard BOULOC – La confidentialité du mandat ad hoc et de la conciliation versus liberté d’expression Marie-Hélène MONSÈRIÉ-BON – La caution profane en droit OHADA : le cautionnement à deux vitesses, Denis POHÉ 114 MENSUEL AVRIL 2016 Sommaire À NOTER......................................................................................P. 4 Marie-Pierre BLIN-FRANCHOMME : Maître de conférences HDR Université Toulouse Capitole, chargée de mission développement durable Jean-Michel do CARMO SILVA : Professeur de droit, Grenoble École de Management Éric CARPANO : Professeur agrégé de droit public, Université Jean Moulin - Lyon 3 Emmanuel DAOUD : Avocat associé, Cabinet VIGO Jack DEMAISON : Avocat associé - spécialiste en droit des sociétés - SIMON Associés Arnaud LECOURT : Maître de conférences, Université de Pau et des pays de l’Adour Jacques MESTRE : Professeur agrégé des Facultés de droit Cyril NOURISSAT : Professeur agrégé des Facultés de droit, Université Jean Moulin - Lyon 3 Président, Directeur de publication : Hubert CHEMLA Directrice des éditions, Droit général : Bernadette NEyROLLES Rédactrice en chef : Chloé MATHONNIèRE Rédactrices en chef adjointes : Victoria MAURIèS - 01 85 58 32 36 [email protected] Joséphine de ROMANET - 01 85 58 36 04 [email protected] ÉCLAIRAGE ...............................................................................P. 14 LE POINT SUR… ......................................................................P. 20 Éditeur : Wolters Kluwer France SAS au capital de 155 000 000 € Siège social : 14 rue Fructidor 75814 Paris Cedex 17 - Tél. : 01 85 58 30 00 RCS Paris 480 081 306 Siret : 48008130600023 TVA FR 55 480 081 306 Associé Unique : Holding Wolters Kluwer France N° Commission Paritaire : 1216 T 85786 N° ISSN : 1770-9377 Dépôt légal : à parution Abonnement annuel : 448,21 € TTC Prix au numéro : 40,75 € TTC Service clients : [email protected] 0,15 € / min Imprimerie de Champagne : Z.I. Les Franchises - 52200 Langres Cette revue peut être référencée de la manière suivante : RLDA 2016/114, n° 5877 (année/n° de la revue, n° du commentaire) 2 Réforme du droit des contrats P. 6 Cession de droits sociaux et droit de préemption : qualité à agir du tiers évincé P. 6 Retraites chapeaux : mentions obligatoires figurant dans le rapport de gestion P. 7 Réduction d’ISF pour souscription au capital de PME et cessation d’activité de la société P. 8 Infraction pénale du gérant de SARL et faute séparable des fonctions de dirigeant P. 8 Procédures collectives : publication de la liste des tribunaux de commerce spécialisés P. 8 Preuve de l’information annuelle de la caution P. 9 Pas d’obligation d’information ou de mise en garde à l’égard du conjoint commun en biens de la caution P. 10 Précisions sur les informations communiquées à l’Observatoire de l’inclusion bancaire P. 10 Réforme du Code de la consommation P. 11 Délit de favoritisme et marchés publics P. 12 Caractérisation de l’organisation frauduleuse de l’insolvabilité P. 12 Cumul de sanctions en matière boursière P. 13 Pratiques commerciales trompeuses : de l’amour, de l’argent et… des tromperies, Jean-Marie BRIGANT Ont participé à ce numéro : Maureen de MONTAIGNE, Annabelle REVERDy, Sarra SOLTANI. 0 825 08 08 00 FLASH ACTU ...............................................................................P. 6 sommaire Conseil scientifique L’outil pénal au service de la fraude fiscale présumée : état des lieux, Emmanuel DAOUD, Maud SOBEL et Victoire de TONQUÉDEC TRIBUNE .....................................................................................P.35 Une manœuvre frauduleuse par simple mensonge ou réticence ?, Bernard BOULOC JURISPRUDENCE COMMENTÉE ......................................... P.39 La confidentialité du mandat ad hoc et de la conciliation versus livberté d’expression, Marie-Hélène MONSÈRIÉ-BON ÉTUDE ...................................................................................... P.43 La caution profane en droit OHADA : le cautionnement à deux vitesses, Denis POHÉ INDEX THÉMATIQUE ............................................................. P.51 Revue Lamy Droit des Affaires Nº 114 AVRIL 2016 Édito Enfin ! 1804 – 2016, deux cent douze années séparent la promulgation du Code civil et une réforme en profondeur de ce dernier. En dehors de deux modifications, l’une apportée en 1975 pour consacrer la sanction des clauses pénales manifestement excessives ou dérisoires et l’autre apportée en 2004 pour reconnaître les contrats électroniques, aucune modification majeure n’avait été apportée au titre III du code civil relatif aux contrats. Il était temps de reprendre en main ce texte majeur qui ne connaissait ni la promesse unilatérale de vente ni le pacte de préférence et qui passait sous silence la phase précontractuelle. Or, d’aucuns admettront que rares sont les contrats conclus sans discussion et négociation préalables ! Par Sébastien Fany Lalanne ROBINEAU, Rédactrice en chef Avocat associé Homère Il était temps de reprendre en main ce texte majeur laissé entre les mains de la jurisprudence, laquelle l’a façonné au gré des contentieux tranchés par les juridictions françaises. Il était urgent de rendre au droit des contrats français des armes, afin de le rendre sérieusement attractif, voire compétitif, pour les opérateurs économiques concluant des contrats internationaux qui s’étaient détournés de notre droit perclus de défauts. Il cumulait les inconvénients de la civil law à laquelle il est permis de reprocher une forme de rigidité liée à sa codification et de la common law à laquelle il faut reconnaître une forme d’inaccessibilité aux profanes et une imprévisibilité même aux yeux des professionnels. Il était urgent de rendre accessible et lisible notre droit des contrats qui impliquait pour les profanes de recourir systématiquement aux conseils de professionnels pour connaître l’état du droit, issu de la dernière jurisprudence. Le droit positif est désormais refondu dans un Code civil réécrit en termes intelligibles et modernes. Enfin, il était temps de rendre dynamique notre droit des contrats ! Rien ne peut être figé une fois que le contrat est signé. Les parties doivent le faire vivre, nonobstant leurs éventuels désaccords. Et l’intervention du juge doit être reportée à la conclusion qu’aucun accord n’est possible. Or, l’objectif de la réforme du droit des contrats est justement de dissuader les parties et les justiciables de solliciter trop souvent l’intervention du juge. Et cela se traduit de deux manières : D’une part, les parties sont invitées à rédiger de nombreuses clauses contractuelles pour encadrer au plus près leur relation amenée à s’inscrire dans la durée. Le contrat, sans se réduire à un ensemble de clauses, doit donc « tout » prévoir pour limiter le contentieux et prévenir au mieux l’intervention du juge qui dispose désormais de nombreux outils juridiques pour s’immiscer dans le contrat. D’autre part et surtout, puisque la saisine du juge devient plus aléatoire en raison des notions souples mises à sa disposition et des pouvoirs plus importants qui lui sont octroyés, les parties sont invitées, de manière implicite, à préférer les modes alternatifs de règlement des conflits. Ainsi, le droit des contrats retrouve un dynamisme qui lui faisait tant défaut. Et c’est tant mieux ! Nº 114 AVRIL 2016 Revue Lamy Droit des Affaires 3 À noter LE CHIFFRE DU MOIS Le nombre de dépôts de marques en hausse en 2015 MARCHÉS D’INSTRUMENTS FINANCIERS Report de la date d’entrée en vigueur de la directive MIF 2 Le 10 février 2016, la Commission européenne a proposé de prolonger d’un an le délai d’entrée en application de la directive n° 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014, concernant les marchés d’instruments financiers, dite « MIF 2 ». Au lieu du 3 janvier 2017, sa date d’entrée en application serait fixée au 3 janvier 2018. Cela laisserait un peu plus de temps aux autorités nationales compétentes et aux acteurs du marché pour se conformer aux dispositions de la directive. Cette prolongation se justifie par la complexité des inPROPRIÉTÉ INDUSTRIELLE Inscription aux registres PI en ligne Depuis le 1er mars 2016, l’inscription en ligne sur le site internet de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) est obligatoire : • pour les demandes de traitement accélérées ; et • pour les demandes portant sur cinq titres de propriété industrielle ou plus. De nombreux avantages sont mis en avant par l’INPI. En effet, l’outil, qui in- 4 À l’occasion du salon des entrepreneurs qui se déroulait à Paris du 3 au 4 février 2016, l’Institut national de la propriété industrielle (INPI), partenaire de l’événement, a présenté un bilan 2015 très encourageant. L’INPI a en effet annoncé dans son communiqué de presse du 3 février 2016 avoir reçu au total 91 898 frastructures techniques à mettre en place pour permettre à ses dispositions de produire tous leurs effets. Il incombe, en effet, à l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) de collecter des données sur une quinzaine de millions d’instruments financiers, auprès de quelque 300 plateformes de négociation. Pour ce faire, l’AEMF doit travailler en étroite collaboration avec les autorités nationales compétentes et les plateformes de négociation elles-mêmes. Il est précisé que le calendrier d’adoption des mesures d’exécution de niveau II resterait le même. La Commission procèderait ainsi à leur adoption indépendamment de la nouvelle date d’entrée en application de la directive MIF 2, de façon à garantir la sécurité juridique des nouvelles dispositions. clue une aide en ligne, est disponible 24h /24 et 7 jours sur 7. La date de réception de la demande et son numéro sont immédiatement communiqués. Il est possible de payer en ligne par carte bancaire ou par prélèvement sur un compte client INPI. Un accusé de réception est adressé par courriel ainsi que l’original du formulaire d’inscription. Enfin, il est possible de sauvegarder les projets d’inscription pendant 30 jours et de soumettre une demande d’inscription concernant plusieurs titres en une seule opération. Revue Lamy Droit des Affaires dépôts de marques en 2015, soit une progression de 5,1 % par rapport à 2014. Les dépôts de dessins et modèles ont également connu une hausse en 2015 de 5,8 % par rapport à 2014 et les dépôts de demandes de brevets ont, eux, connu une légère baisse en 2015 de 1,6 % par rapport à 2014. CONSOMMATION Nouvelle plateforme européenne pour la résolution des litiges en ligne La Commission européenne a lancé le 15 février 2016 une nouvelle plateforme qui aidera les consommateurs et les commerçants à résoudre les litiges en ligne concernant un achat effectué sur Internet. Cette plateforme offre un guichet unique permettant aux consommateurs et aux commerçants de l’Union européenne de résoudre leurs litiges concernant aussi bien les achats nationaux que transfrontaliers. Les litiges sont transmis aux organismes nationaux de règlement extrajudiciaire des litiges connectés à la plateforme et qui ont, au préalable fait l’objet d’une sélection et validation par les États membres et la Commission. Selon Věra Jourová, « la plateforme de règlement en ligne des litiges est un outil novateur qui permet aux consommateurs et aux commerçants d’économiser du temps et de l’argent. Elle améliorera la confiance des consommateurs lorsqu’ils achèteront en ligne et encouragera les entreprises à effectuer des ventes transfrontalières, contribuant ainsi au marché unique numérique en Europe ». Nº 114 AVRIL 2016 À noter té un accord conclu entre l’Union européenne (UE) et la Principauté d’Andorre visant à lutter contre la fraude et l’évasion fiscale. Selon cet accord, signé le 12 février 2016, l’UE et Andorre échangeront automatiquement à partir de 2018 des informations sur les comptes financiers de leurs résidents respectifs pour les informations collectées depuis le 1er janvier 2017. Il sera ainsi plus difficile pour les citoyens européens de cacher, sur des comptes bancaires de la Principauté, de la trésorerie à l’administration fiscale. Traitement amiable des litiges financiers : agrément octroyé au médiateur de l’AMF amiable des litiges financiers. Cette nouvelle procédure résulte de la transposition, depuis le 1er janvier 2016, de la directive européenne relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation. Marielle Cohen-Branche, médiateur de l’Autorité des marchés financiers (AMF), a été agréée par la Commission nationale d’évaluation et de contrôle de la médiation de la consommation (CECMC) en tant que Médiateur public de la consommation pour le traitement L’objectif de la directive est la généralisation de ce dispositif gratuit pour les consommateurs à tous les secteurs de l’économie marchande. Elle introduit en outre la mise en place d’un agrément et d’un contrôle pour les médiateurs qui traitent amiablement ces litiges. Les premiers médiateurs agréés par la CECMC ont été notifiés à la Commission européenne parmi lesquels Marielle Cohen-Branche, au titre de Médiateur public de l’AMF. Il est rappelé dans le communiqué de presse de l’AMF en date du 8 mars 2016 que la médiation de l’AMF peut être saisie par tout épargnant ou investisseur, consommateur, personne physique ou personne morale telle que société, association, caisse de retraite ayant un différend individuel avec un intermédiaire financier ou un émetteur. COLLOQUE Les systèmes nationaux se trouvent ainsi en concurrence et certains dénoncent le dumping social qui en découlerait. Les acteurs économiques, quant à eux, doivent s’adapter à la concurrence de sociétés localisées dans des pays faiblement taxés. Néanmoins, la pratique témoigne de la difficulté de faire face à cette concurrence en raison notamment de la complexité des réglementations applicables, exposant les acteurs économiques à des risques pénal et financier majeurs. Cette journée a ainsi pour ambition de dresser le bilan des enjeux liés à cette question, de cerner le régime applicable et de tenter d’identifier les perspectives de simplification et de cohérence auxquelles aspirent les acteurs économiques, lesquels sont désireux de pouvoir exercer une liberté européenne en toute sécurité juridique. Lieu : Amphithéâtre MALRAUX Université Jean Moulin Lyon 3 6 cours Albert Thomas 69008 Lyon Accès : • Métro ligne D | Station Sans-Souci (à la sortie du métro, suivre le sens des voitures) • Tram T4 | Arrêt Manufacture – Montluc • Bus lignes C23, C25, 69 et 296 | Arrêt Manufacture - Montluc Contact : Équipe de Droit privé : <[email protected]>, Tél. : 04 26 31 87 57 / 88 49 Journée validée au titre de la formation continue pour les avocats – 7 heures Tarif : 150 € 120 € pour les professionnels exerçants depuis moins de trois ans Gratuit pour les enseignantschercheurs et les étudiants N.B. : Les actes de ce colloque seront publiés dans le supplément de la Revue Lamy droit des affaires de décembre. SECRET BANCAIRE Fin du secret bancaire pour les citoyens de l’UE à Andorre Le 9 mars 2016, le Parlement européen a approuvé à une large majori- LITIGES FINANCIERS Libre prestation de services et détachement des travailleurs au sein de l’UE Bilan et perspectives au travers du cas des prestations de services exécutées sur le territoire français JEUDI 16 JUIN 2016 (8h45-17h30) L’Union européenne consacre la libre prestation de services, laquelle ne trouve toutefois pas sa pleine expression en matière de transport de personnes et de marchandises. Cette liberté ainsi consacrée permet à certaines conditions à des prestataires d’un État membre d’intervenir sur le territoire d’un autre État membre, tout en restant, en principe, soumis à la législation sociale et fiscale de son lieu d’établissement. Nº 114 AVRIL 2016 Revue Lamy Droit des Affaires 5 Flash actu DROIT DES CONTRATS RLDA 5877 Réforme du droit des contrats Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016, JO 11 févr. L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations a été publiée au Journal officiel du 11 février. Pris sur le fondement d’une habilitation de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, ce texte s’articule autour de deux objectifs : la sécurité juridique et le renforcement de l’attractivité du droit français. À cet égard, l’abandon de la notion de « cause » permettra à la France de se rapprocher de la législation de nombreux droits étrangers : pour la validité du contrat, elle exige le consentement des parties, leur capacité et un contenu licite et certain (art. 1128). Cette réforme consacre la notion de bonne foi à tous les stades de la vie du contrat, dès le stade des négociations précontractuelles et de la formation du contrat, puisque « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi » (art. 1104). Elle introduit également un devoir général d’information (art. 1112-1). Sur la force obligatoire du contrat, l’ordonnance consacre la théorie de l’imprévision : ainsi « si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la négociation. En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son acceptation. À défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe ». Par ailleurs, « dans les contrats synallagmatiques, le défaut d’équivalence des prestations n’est pas une cause de nullité du contrat, à moins que la loi n’en dispose autrement » (art. 1168). En revanche, « dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation » (art. 1171). Ce dernier est « celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l'avance par l'une des parties » (art. 1110). Les dispositions de l’ordonnance entreront en vigueur le 1er octobre 2016, sous réserve de sa ratification par le Parlement dans un délai de six mois maximum à compter de sa publication. Conformément aux règles d’application de la loi dans le temps, les contrats conclus avant cette date demeureront soumis à la loi ancienne. Toutefois, les dispositions relatives aux actions interrogatoires sont applicables dès l’entrée en vigueur de l’ordonnance (art. 1123, al. 3 et 4 ; art. 1158 et 1183). De plus, lorsqu’une instance a été introduite avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance, l’action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne. Cette loi s’applique également en appel et en cassation. CESSION DE DROITS SOCIAUX Cession de droits sociaux et droit de préemption : qualité à agir du tiers évincé RLDA 5878 Cass. com., 2 févr. 2016, n° 14.20-747, P+B Selon une jurisprudence constante, seuls les associés dont le consentement est requis pour la cession et la société ellemême peuvent invoquer le bénéfice de la nullité encourue pour violation d’une clause d’agrément. 6 En l’espèce, était en cause une société par actions simplifiée (SAS) détenue à parts égales par deux sociétés. Les statuts de la SAS stipulaient que si l’un des associés projetait de céder sa participation à un tiers, l’autre associé aurait la faculté d’exercer son droit de préemption. L’associé cédant a notifié l’offre du tiers d’acquérir la totalité de sa participation et l’autre associé l’a informé de son intention d’exercer son droit de préemption au prix proposé par le tiers. Le tiers, soutenant que le droit de préemption n’avait pas été régulièrement exercé, assigne les deux associés de la SAS aux fins de cession à son profit des actions de l’associé cédant détenues par l’associé cession- Revue Lamy Droit des Affaires Nº 114 AVRIL 2016 Flash actu naire. Il demande, à titre subsidiaire, des dommages-intérêts pour exercice fautif par l’associé cédant de son droit de préemption. La cour d’appel déclare irrecevable la demande de cession des actions pour défaut de qualité à agir du tiers. Elle relève que l’acquéreur évincé, « tiers à la convention de préemption, n'avait aucun lien de droit avec le bénéficiaire de celle-ci », et par conséquent « n'avait pas qualité pour agir en nullité de la décision de préemption ainsi qu'en cession des actions à son profit ». Cette solution est confirmée par la Cour de cassation : « si l'acquéreur évincé a intérêt à l'annulation de la préemption prévue par les statuts, il n'a pas qualité pour agir à cette fin ». Approuvés par la Cour de cassation, les juges du fond rejettent également la demande de dommages-intérêts, retenant que si les statuts de la SAS imposent à l’associé non cédant « de notifier dans les formes et délais prescrits son intention d'exercer son droit de préemption et de se porter acquéreur des actions à céder au prix de transaction, il ne comporte aucune autre obligation ni restriction quant aux modalités de paiement du prix ou à la date du transfert de propriété, lesquelles relèvent de la seule volonté des associés cédant et cessionnaire ». Ces derniers ont exactement retenu que « les statuts, qui avaient seuls vocation à s'appliquer, n'imposaient pas au bénéficiaire du droit de préemption de se substituer à l'acquéreur évincé dans toutes les modalités accessoires de son offre ». DIRIGEANTS Retraites chapeaux : mentions obligatoires figurant dans le rapport de gestion RLDA 5879 D. n° 2016-182, 23 févr. 2016, JO 26 févr. Pour rappel, l’article L. 225-102-1 du code de commerce prévoit en son alinéa 3 que doit être mentionné, dans le rapport de gestion présenté à l’assemblée générale ordinaire annuelle d’approbation des comptes la rémunération totale, ainsi que les avantages de toute nature versés par la société au cours de l’exercice à chacun de ses mandataires sociaux. Sur ce point, la loi du 6 août 2015 dite loi Macron est venue encadrer le régime des retraites chapeaux en imposant pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2015, que le rapport de gestion indique « les modalités précises de détermination des engagements de retraite et des autres avantages accordés aux dirigeants et contenir, pour chaque mandataire social, une estimation du montant des rentes qui seraient potentiellement versées au titre de ces engagements et des charges afférentes » (L. n° 2015-990, 6 août 2015, art. 229, 5°). Le décret n° 2016-182 du 23 février 2016, entré en vigueur le 26 février 2016, vient préciser ces modalités de détermination des engagements de retraite pour chaque mandataire social devant figurer dans le rapport de gestion annuel. Ainsi, s’agissant des engagements de retraite et assimilés, et tout autre avantage versé au titre de la cessation de fonctions en tout ou partie sous forme de rente, et lorsque ces engagements sont à la charge de la société, le rapport de gestion doit désormais mentionner : « 1 ) a) L'intitulé de l'engagement considéré ; b) La référence aux dispositions légales permettant d'identifier la catégorie de régime correspondant ; c) Les conditions d'entrée dans le régime et les autres conditions pour pouvoir en bénéficier ; Nº 114 AVRIL 2016 d) Les modalités de détermination de la rémunération de référence fixée par le régime concerné et servant à calculer les droits des bénéficiaires ; e) Le rythme d’acquisition des droits ; f) L'existence éventuelle d'un plafond, son montant ou les modalités de détermination de celui-ci ; g) Les modalités de financement des droits ; h) Le montant estimatif de la rente à la date de clôture de l'exercice ; i) Les charges fiscales et sociales associées à la charge de la société ». S’agissant des autres avantages viagers, doivent être mentionnés : « a) L'intitulé de l'avantage viager considéré ; b) Le montant estimatif de l'avantage viager, évalué sur une base annuelle à la date de clôture ; c) Les modalités de financement de l'avantage viager ; d) Les charges fiscales et sociales associées à la charge de la société ». En outre, le montant estimatif de la rente à la date de clôture (D. n° 2016-182, 23 févr. 2016, art. 1er, 1°), h) est établi selon les modalités suivantes : — la rente est estimée sur une base annuelle ; — elle prend en compte l’ancienneté acquise par le mandataire dans ses fonctions à la date de clôture de l’exercice ; — le cas échéant, elle est assise sur la base des rémunérations telles qu’elles ont été constatées au cours du ou des derniers exercices ; — elle est calculée, indépendamment des conditions de réalisation de l’engagement, comme si le mandataire social pouvait en bénéficier à compter du lendemain de la clôture de l’exercice ; — l’estimation de la rente distingue, le cas échéant, la part de celle–ci accordée dans le cadre d’un régime mentionné à l’article L. 137-11 du code de la sécurité sociale de celle versée dans le cadre d’un autre régime mis en place par la société. Revue Lamy Droit des Affaires 7 Flash actu Réduction d’ISF pour souscription au capital de PME et cessation d’activité de la société RLDA 5880 Cass. com., 2 févr. 2016, n° 14-24.441, P+B délai de cinq ans de détention des titres imposé au contribuable, n’est pas une condition d’application de la réduction de l’imposition au titre de l’ISF. Infraction pénale du gérant de SARL et faute séparable des fonctions de dirigeant RLDA 5881 Aux termes de l’article 885-0 V bis du code général des impôts, les personnes physiques peuvent réduire le montant de leur impôt de solidarité sur la fortune (ISF) si elles investissent dans les PME à condition de conserver les titres reçus en contrepartie de leur souscription au capital de la société jusqu’au 31 décembre de la cinquième année suivant celle de la souscription. En l’espèce, une personne ayant souscrit au capital d’une société ainsi qu’à une augmentation de capital de celle-ci, a déduit une fraction du montant des versements effectués de la base de son imposition au titre de l’ISF. Retenant que la société avait cessé son activité, l’administration fiscale a remis en cause l’avantage fiscal et a mis en recouvrement les impôts et pénalités correspondants. Suite au rejet de sa réclamation contentieuse, le contribuable a assigné l’Administration en annulation de cette décision afin d’être déchargé des impositions litigieuses. La cour d’appel a rejeté sa demande. Ayant constaté la cessation d’activité de la PME, elle a retenu que « la condition de conservation des titres pendant une durée de cinq ans exigée par l'article 885-0 V bis du code général des impôts doit être comprise comme celle de titres d'une société exerçant une activité excluant celle de titres d'une société n'ayant plus d'activité, sauf si ces titres n'ont pu être conservés par suite de leur annulation pour cause de pertes ou de liquidation judiciaire ». La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa de l’article du code général des impôts précité : la cour d’appel a ajouté une condition à la loi. En effet, cette solution inédite nous permet de souligner que la permanence de l’activité de l’entreprise, pendant le Cass. 3e civ., 10 mars 2016, n° 14-15.326, P+B Pour rappel, la faute séparable des fonctions de dirigeant est caractérisée lorsque le dirigeant commet intentionnellement une faute d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales (Cass. com., 20 mai 2003, n° 99-17.092, Bull. civ. IV, n° 84). La jurisprudence a également répondu par l’affirmative à la question de savoir si les fautes constitutives d’une infraction pénale répondent à la définition de faute détachable des fonctions dans un arrêt de la Cour de cassation du 28 septembre 2010 (Cass. com., 28 sept. 2010, n° 0966.255, Bull. civ. IV, n° 146). Les faits d’espèce sont par ailleurs similaires à ceux de l’arrêt du 10 mars 2016 rendue par la troisième chambre civile : il s’agissait d’un gérant d’une société à responsabilité limitée (SARL) qui n’avait pas fait souscrire à la société une assurance obligatoire (C. assur., art. L. 241-1 et s.). La cour d’appel puis la Cour de cassation ont condamné le gérant à payer diverses sommes au plaignant. La troisième chambre civile de la Cour de cassation confirme la position de la chambre commerciale et juge que le manquement à une obligation d’assurance obligatoire constitue une infraction pénale. Elle en déduit que par cette faute intentionnelle, le dirigeant a commis une faute séparable de ses fonctions sociales et engagé sa responsabilité personnelle. ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ Procédures collectives : publication de la liste des tribunaux de commerce spécialisés RLDA 5882 D. n° 2016-217, 26 févr. 2016, JO 28 févr. Pour rappel, l’article 231 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a prévu une spécialisation de certains tribunaux de commerce qui auront une compétence exclusive pour les entreprises les plus importantes et les groupes connaissant des difficultés (C. com., art. L. 721-8 nouveau). 8 Sont concernées : — les entreprises dont le nombre de salariés est égal ou supérieur à 250 et dont le montant net du chiffre d’affaires est d’au moins 20 millions d’euros ; — les entreprises dont le montant net du chiffre d’affaires est d’au moins 40 millions d’euros ; — les sociétés détenant ou contrôlant une autre société, au sens des articles L. 233-1 et L. 233-3 du code de commerce, dès lors que le nombre de salariés de l’ensemble des sociétés concernées est égal ou supérieur à 250 et que le montant net du chiffre d’affaires de l’ensemble de ces sociétés est d’au moins 20 millions d’euros ; Revue Lamy Droit des Affaires Nº 114 AVRIL 2016 Flash actu — les sociétés détenant ou contrôlant une autre dès lors que le montant net de leur chiffre d’affaires est d’au moins 40 millions d’euros. Ces tribunaux spécialisés auront une compétence territoriale s’étendant sur le ressort d’une ou de plusieurs cours d’appel selon les bassins d’emplois et les bassins d’activités économiques. En outre, ils seront compétents pour connaître des procédures de conciliation. La liste des 18 tribunaux fixée par le décret précité et applicable le 1er mars 2016 est la suivante : Bobigny, Bordeaux, Dijon, Evry, Grenoble, Lyon, Marseille, Montpellier, Nanterre, Nice, Orléans, Paris, Poitiers, Rennes, Rouen, Toulouse, Tourcoing. Le décret fixe également le ressort de ces tribunaux. Enfin, pour les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, est désignée la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Strasbourg. Adoption d’un plan de redressement : quand doit avoir lieu la cession forcée des parts sociales du dirigeant ? RLDA 5883 Cass. com., 26 janv. 2016, n° 14-14.742, P+B Aux termes de l’article L. 631-19-1 du code de commerce, récemment déclaré conforme à la Constitution (Cons. const. QPC, 7 oct. 2015, n° 2015-486) lorsqu’une société est en redressement judiciaire, le tribunal peut subordonner l’adoption de son plan de redressement au remplacement d’un ou plusieurs dirigeants. À ce titre, « il peut ordonner la cession des parts sociales, titres de capital ou valeurs mobilières y donnant accès, détenus par ces dirigeants ». La question s’est posée de savoir si l’annulation de l’adoption du plan de redressement implique nécessairement l’annulation de la cession forcée des parts sociales du dirigeant de la société débitrice. En l’espèce, suite au redressement judiciaire d’une société, une proposition de plan de continuation subordonnée à la cession forcée des parts sociales des dirigeants a été déposée. Par un jugement du 26 février 2013, le tribunal a arrêté le plan de continuation, ordonné la cession forcée des parts détenues par le dirigeant, et désigné un mandataire ad hoc pour exercer les droits de vote correspondants. Dans un arrêt du 19 septembre 2013, la cour d’appel d’Aixen Provence a annulé ce jugement, mais seulement en qu’il avait ordonné la cession des parts et désigné un mandataire ad hoc. Après une nouvelle annulation de ce jugement, la cour d’appel a elle-même ordonné la cession des parts sociales et désigné un mandataire ad hoc aux fins d’exercer les droits de vote dans l’attente du transfert des parts, dans un arrêt du 6 mars 2014. La société débitrice et le dirigeant dont les parts ont été cédées ont formé un pourvoi en cassation. Dans un premier temps, ils reprochent aux juges du fond, dans l’arrêt du 19 septembre 2013, de ne pas avoir annulé le jugement du 26 février 2013 dans son entier, à savoir, tant la cession forcée des parts sociales, que l’adoption du plan. Selon eux, « le plan de redressement ne peut être adopté, lorsqu'il est subordonné à la cession forcée des parts sociales d'un dirigeant avant que celui-ci ait été définitivement évincé et la valeur des parts réglée ». Dans un second temps, ils reprochent aux juges du fond, dans l’arrêt du 6 mars 2014, d’avoir désigné un mandataire ad hoc au motif que les droits de vote attachés à ces parts ne peuvent être exercés par l’intermédiaire d’un mandataire provisoire. La Cour de cassation rejette cette argumentation en faisant une application stricte de l’article L. 631-19-1 du code de commerce : « L’article L. 631-19-1 du code de commerce, qui permet de subordonner l’adoption d’un plan de redressement à la cession des parts sociales d’un dirigeant, n'exige pas qu'à la date de l'adoption du plan, le dirigeant ait été définitivement évincé après le paiement de la valeur de ses droits sociaux ». Il en résulte que la cour d’appel a pu surseoir à statuer sur l’adoption du plan et ne renvoyer au tribunal que l’examen de la question de la cession forcée des parts sociales. Par ailleurs, la Haute juridiction affirme que l’article précité « n'interdit pas au tribunal, qui a décidé la cession forcée des droits sociaux des dirigeants dans le cadre de la préparation d'un plan de redressement, de désigner, dans l'attente de la réalisation de cette cession un mandataire de justice chargé d'exercer le droit de vote attaché à ces droits ». BANQUE Preuve de l’information annuelle de la caution RDLA 5884 Cass. com., 9 févr. 2016, n° 14-22.179, P+B Pour mémoire, l’article L. 341-6 du code de la consommation impose au créancier professionnel, établissements de Nº 114 AVRIL 2016 crédit ou sociétés de financement, d’informer la caution personne physique, chaque année avant le 31 mars, du montant en principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires dus par le débiteur au 31 décembre de l’année précédente. En l’espèce, une personne physique s’était rendue caution solidaire envers une banque, dans une certaine limite, de Revue Lamy Droit des Affaires 9 Flash actu tous les engagements d’une société. Cette dernière ayant été mise en redressement judiciaire, le créancier a alors assigné en paiement la caution mais celle-ci a invoqué l’absence de réception des lettres d’information annuelles qui auraient dû lui être adressées en application de l’article L. 341-6 du code de la consommation. La cour d’appel l’a pourtant condamnée à verser une certaine somme à la banque. Selon les juges du fond, en produisant la copie de deux lettres simples de 2008 et 2009 détaillant chacune le montant des engagements de la caution au 31 décembre de l’année précédente en principal, intérêts et accessoires, la banque justifiait avoir satisfait à son obligation. La chambre commerciale de la Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel au visa de l’article L. 341-6 précité. Selon la Haute juridiction, la cour d’appel s’est déterminée « par des motifs impropres à justifier de l'accomplissement des formalités prévues par le texte susvisé, dès lors que la seule production de la copie d'une lettre ne suffit pas à justifier de son envoi ». Pas d’obligation d’information ou de mise en garde à l’égard du conjoint commun en biens de la caution RLDA 5885 Cass. com., 9 févr. 2016, n° 14-20.304, P+B Rappelons qu’aux termes de l’article 1415 du code civil, « chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceuxci n'aient été contractés avec le consentement exprès de l'autre conjoint qui, dans ce cas, n'engage pas ses biens propres ». En l’espèce, une personne physique s’était portée caution solidaire des dettes d’une société envers une banque et son épouse, commune en biens, était intervenue à l’acte de cautionnement pour l’autoriser à engager les biens communs, en application de l’article 1415 du code civil. À la suite des mises en redressement et liquidation judiciaires de la société, la banque a obtenu l’autorisation d’inscrire une hypothèque judiciaire conservatoire sur l’immeuble commun. Invoquant un manquement de la banque à son obligation de mise en garde à son égard, l’épouse a demandé des dommages-intérêts. Face au rejet de sa demande par la cour d’appel, l’épouse a alors formé un pourvoi en cassation dans lequel elle soutenait que les juges du fond, en excluant l’existence d’une telle obligation d’information et de mise en garde à la charge de la banque, auraient violé l’article 1415 du code civil. La chambre commerciale de la Cour de cassation n’est pas de cet avis. Elle approuve en effet la cour d’appel d’avoir décidé que l’épouse, restée tiers à l’acte de cautionnement malgré le consentement donné en application de l’article 1415 du code civil, « n'était créancière d'aucune obligation d'information ou de mise en garde à l'égard de la banque bénéficiaire du cautionnement ». 10 Les limites du devoir de mise en garde de la banque envers l’emprunteur RLDA 5886 Cass. com., 9 févr. 2016, n° 14-23.210, P+B Deux époux avaient contracté auprès d’une banque un emprunt de 600 000 euros destiné, d’une part, au remboursement de l’ensemble des concours que cette banque leur avait consentis, ainsi qu’à une société dont ils étaient cautions, et d’un prêt consenti par une autre banque et, d’autre part, au paiement de certains frais et à la reconstitution de leur trésorerie. Mis en demeure d’exécuter leurs engagements, les emprunteurs ont assigné la banque en annulation de ce prêt et en paiement de dommages-intérêts. Face au rejet de leurs demandes par la cour d’appel, ils ont formé un pourvoi en cassation dans lequel ils soutenaient, entre autres, qu’une banque est responsable d’un dol lorsqu’elle manque à son devoir de mise en garde et qu’elle doit mettre en garde l’emprunteur quant aux risques d’un défaut d’assurance, les juges du fond étant tenus de rechercher si le client, professionnel ou non-professionnel, peut être considéré ou non comme averti. Selon eux, la cour d’appel avait privé sa décision de base légale au regard des articles 1116 et 1147 du code civil. La chambre commerciale de la Cour de cassation rejette leur pourvoi. Elle affirme notamment que « ne constitue pas un dol le seul manquement de l'établissement de crédit à son devoir de mise en garde » et approuve ainsi la cour d’appel d’avoir rejeté la demande d’annulation du contrat de prêt pour dol formée en raison d’un manquement de la banque à son devoir de mise en garde sur l’importance des engagements des emprunteurs et le risque de surendettement. Elle affirme également que « l'établissement de crédit qui consent un prêt n'est pas tenu à l'égard de l'emprunteur d'un devoir de conseil sur l'opportunité de souscrire une assurance facultative ». Précisions sur les informations communiquées à l’Observatoire de l’inclusion bancaire RLDA 5887 Arr. min. 9 mars 2016, NOR : FCPT1530671A, JO 15 mars Institué auprès de la Banque de France par l’article L. 3121-1-B du code monétaire et financier, l’Observatoire de l’inclusion bancaire est chargé de collecter des informations sur l’accès aux services bancaires des personnes physiques n’agissant pas pour des besoins professionnels, sur l’usage que ces personnes font de ces services bancaires et sur les initiatives des établissements de crédit en la matière. Cet observatoire est également chargé de définir, de produire et d’analyser des indicateurs relatifs à l’inclusion bancaire visant notamment à évaluer l’évolution des pratiques des établissements de crédit dans ce domaine. Revue Lamy Droit des Affaires Nº 114 AVRIL 2016 Flash actu Les établissements de crédit fournissent à l’observatoire les informations nécessaires à l’exercice de ses missions. Un arrêté du 9 mars 2016, pris en application de l’article R. 312-13 du code monétaire et financier, précise la liste, le contenu et les modalités de transmission des don- nées collectées par l’observatoire. La Banque de France procède pour le compte de l’observatoire à la collecte et au traitement statistique des informations transmises à ce dernier. Ce texte est entré en vigueur le lendemain de sa publication au Journal officiel, soit le 16 mars 2016. CONSOMMATION La clause attributive de compétence au profit des tribunaux californiens prévue dans les conditions générales d’utilisation de Facebook est abusive RLDA 5888 CA Paris, pôle 2, ch. 2, 12 févr. 2016, n° RG : 15/08624, Facebook c/ X Dans un arrêt du 12 février 2016, la cour d’appel de Paris approuve les juges du fonds d’avoir jugé que la clause attributive de juridiction au profit des juridictions californiennes prévue dans les conditions générales d’utilisation de Facebook est abusive. Un internaute français a vu son compte Facebook désactivé pour avoir publié sur son mur une photo d’un tableau de Courbet. Il a assigné la société Facebook France pour obtenir la réactivation de son compte devant le tribunal de grande instance de Paris. Facebook a soulevé alors l’incompétence des juridictions françaises en se basant sur l’article 15 de la « déclaration des droits et responsabilités » (ses conditions générales d’utilisation) qui prévoit une clause attributive de compétence au profit des juridictions californiennes. L’internaute a alors invoqué le caractère abusif d’une telle clause. Le tribunal de grande instance de Paris, en référé, a jugé que cette clause attributive de juridiction devait être considérée comme abusive (TGI Paris, 5 mars 2015, n° 12/12401). Les juges de fond ont d’abord estimé que Facebook agit en tant que professionnel. Certes, l’activité principale de Facebook est de proposer un service de réseau social sur Internet à des utilisateurs gratuitement. Néanmoins, cette entreprise retire des bénéfices importants de l’exploitation de son activité, via notamment les applications payantes et les ressources publicitaires. Ils ont ensuite retenu que le contrat souscrit par l’internaute est un contrat d’adhésion. Sur la compétence des juridictions françaises, les juges se sont basés sur l’article 16 du règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2001. Cet article prévoit que l’action intentée par un consommateur contre l’autre partie au contrat peut être portée soit devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel est domiciliée cette partie, soit devant le tribunal du lieu où le consommateur est domicilié et que l’action intentée contre le consommateur par l’autre Nº 114 AVRIL 2016 partie au contrat ne peut être portée que devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel est domicilié le consommateur. Le requérant étant domicilié à Paris, il était en droit de saisir le tribunal de son lieu de domicile. Partant, le tribunal de grande instance de Paris était compétent pour statuer sur la licéité de la clause attributive de compétence. Sur le caractère abusif, les juges se sont fondés sur l’article R. 132-2 du code de la consommation qui présume abusives les clauses ayant pour objet de « supprimer ou entraver l’exercice d’actions en justice ou des voies de recours par le consommateur ». Or, dans le cas d’espèce, la clause attributive de compétence prévue à l’article 15 des conditions générales de Facebook oblige le souscripteur, en cas de conflit avec la société, à saisir une juridiction particulièrement lointaine et à engager des frais sans aucune proportion avec l’enjeu économique du contrat souscrit pour des besoins personnels ou familiaux. Dès lors, cette clause a pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Elle a également pour effet de créer une entrave sérieuse pour un utilisateur français à l’exercice de son action en justice. Cette clause doit donc être regardée comme abusive au sens du Code de la consommation. En conséquence, elle est réputée non écrite. Réforme du Code de la consommation RLDA 5889 Ord. n° 2016-301, 14 mars 2016, JO 16 mars L’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 procède à une recodification, à droit constant, de la partie législative du Code de la consommation. En effet, le Parlement a autorisé le Gouvernement, par l’article 161 de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, à procéder par ordonnance à la refonte du Code de la consommation. Ce texte détermine une nouvelle répartition entre les différents livres du code en redistribuant ses 1 087 articles législatifs dans huit nouveaux livres qui se substitueront aux cinq livres actuels. En outre, la structure interne des livres a été modifiée, puisque les sanctions pénales, civiles et ad- Revue Lamy Droit des Affaires 11 Flash actu ministratives seront regroupées dans un titre ad hoc situé à la fin de chaque livre. Cette clarification de l’ordonnancement des textes permet ainsi d’améliorer l’intelligibilité et l’accessibilité de la loi tant pour les consommateurs que pour les professionnels. Cette ordonnance remet également en cohérence les dispositions du Code de la consommation en opérant quelques adaptations, telles que la correction de certaines anomalies dans la répartition des dispositions législatives et réglementaires, la correction de certaines erreurs ou insuffisances ou encore l’abrogation de certaines dispositions de- venues obsolètes. En outre, elle va au-delà du droit constant en ce qui concerne les dispositions relatives aux pouvoirs d’enquête des agents de contrôle. Un projet de loi de ratification sera déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de cette ordonnance, soit avant le 16 juin 2016. Le nouveau Code de la consommation entrera en vigueur le 1er juillet 2016, tant pour sa partie législative, objet de la présente ordonnance, que pour sa partie règlementaire, puisqu’un décret d’application sera publié très prochainement. PÉNAL DES AFFAIRES RLDA 5890 publics Délit de favoritisme et marchés Cass. crim., 17 févr. 2016, n° 15-85.363, P+B+I Dans cette affaire, les dirigeants de la société anonyme France télévisions (FTV) auraient conclu, avec plusieurs prestataires, dont la société Bygmalion dirigée par un ancien salarié de FTV, de nombreux marchés de services sans mise en concurrence préalable, en violation des dispositions de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au Code des marchés publics. Après la plainte avec constitution de partie civile du Syndicat national des personnels de la communication et de l’audiovisuel CFE-CGC (SNPCA-CFE-CGC), les dirigeants de France télévisions sont mis en examen du chef de favoritisme tandis que le dirigeant de la société Bygmalion est poursuivi pour recel. Les prévenus présentent une requête aux fins d’annulation de la procédure soutenant que l’article 432-14 du code pénal, qui réprime le délit de favoritisme, ne s’applique qu’aux marchés régis par le Code des marchés publics et non pas à ceux passés sur le fondement de l’ordonnance du 6 juin 2005. Ce moyen de nullité ayant été écarté par la chambre de l’instruction, ils invoquent devant la Cour de cassation le principe de la légalité des délits et des peines qui interdit d’étendre l’application des dispositions de l’article 432-14 du code pénal à la répression de contrats qui ne sont ni des marchés publics, ni des délégations de service public, seuls visés par le texte. La Haute juridiction juge que « l'article 432-14 du code pénal s’applique à l’ensemble des marchés publics et non pas seulement aux marchés régis par le Code des marchés publics, lequel a été créé postérieurement à la date d'entrée en vigueur dudit article dans sa rédaction actuelle ». Elle précise que « ces dispositions pénales ont pour objet de faire respecter les principes à valeur constitution- 12 nelle de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ». Ces principes qui « constituent également des exigences posées par le droit de l’Union européenne, gouvernent l’ensemble de la commande publique ». La chambre criminelle en déduit que « la méconnaissance des dispositions de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005, relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics, et, notamment, de son article 6, qui rappelle les mêmes principes, entre dans les prévisions de l'article 43214 susmentionné ». Caractérisation de l’organisation frauduleuse de l’insolvabilité RLDA 5891 Cass. crim., 17 févr. 2016, n° 14-86.969, P+B En l’espèce, la comptable du comité d’établissement d’une entreprise a détourné pendant trois ans des sommes au préjudice de son employeur en contrefaisant des chèques qu’elle a ensuite déposés sur son compte personnel par le biais d’automates situés à des endroits différents afin de ne pas attirer l’attention des employés des agences bancaires, augmentant ainsi les revenus annuels du couple de 75 000 euros. Son époux qui bénéficiait d’une procuration sur son compte personnel ainsi que sur plusieurs comptes joints du couple, est condamné notamment pour organisation frauduleuse d’insolvabilité. Pour caractériser cette infraction, les juges du fond relèvent que le prévenu a procédé, « à une époque où il savait que les détournements commis par son épouse, qui faisaient l'objet d'une enquête préliminaire, ne pourraient qu'aboutir à une instance pénale ou civile », à la donation d’une maison en urgence entre parents et enfants afin de soustraire ce bien à une éventuelle saisie. Il a en outre vendu un immeuble et un camping-car dont le produit a été utilisé dès perception au remboursement par anticipation des crédits contractés par le couple et diminuer ainsi son actif patrimonial. Revue Lamy Droit des Affaires Nº 114 AVRIL 2016 Flash actu Le prévenu soutient dans un pourvoi en cassation qu’en l’absence de saisine d’une juridiction de nature à aboutir à une condamnation pécuniaire au titre de sa dette, la condition préalable à la caractérisation de l’organisation frauduleuse d’insolvabilité fait défaut en l’espèce. La chambre criminelle de la Cour de cassation confirme cette analyse en rappelant que selon l’article 314-7 du code pénal, « le délit d'organisation frauduleuse d'insolvabilité n'est caractérisé que lorsque le prévenu a commis les faits dans le but de se soustraire à l'exécution d'une condamnation patrimoniale définitive, même postérieure aux agissements incriminés ». Ainsi, la cour d‘appel, qui n’a pas constaté que le prévenu avait fait l’objet d’une condamnation patrimoniale définitive, n’a pas justifié sa décision. Cumul de sanctions en matière boursière RDLA 5892 Cons. const., 14 janv. 2016, n° 2015-513/514/526 QPC La décision du Conseil constitutionnel, rendue le 14 janvier 2016, se situe dans le prolongement de celle du 18 mars 2015 par laquelle il s’était prononcé pour le non-cumul des poursuites pénales et administratives en matière boursière. Il avait ainsi déclaré contraires à la Constitution certaines dispositions de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier relatif au manquement d’initié réprimé par la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (AMF), dans leur rédaction résultant de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie (Cons. const., 18 mars 2015, nos 2014-453/454 QPC et 2015462 QPC, M. John L. et autres, voir Stasiak F., La bulle constitutionnelle est-elle en passe d'éclater ?, Bulletin d'actualité du Lamy Droit pénal des affaires 2015, n° 151, I, et RLDA 2015/105, n° 5611). Rappelons que le Conseil constitutionnel avait reporté au 1er septembre 2016 la date d’abrogation de ces dispositions. En l’espèce, les Sages sont saisis de trois questions prioritaires de constitutionnalité relatives à la conformité à la Constitution de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier dans ses versions successives : l’une antérieure à celle censurée issue de la loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006, les deux autres postérieures issues de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 et de l’ordonnance n° 201076 du 21 janvier 2010. Nº 114 AVRIL 2016 Le Conseil constitutionnel constate que selon l’article L. 62115 dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2006, l’auteur d’un manquement d’initié encourt une sanction pécuniaire de 1,5 million d’euros, susceptible d’être portée au décuple du montant des profits éventuellement réalisés. En revanche, dans la version issue de la loi du 4 août 2008, la sanction encourue s’élève à 10 millions d’euros lorsqu’était applicable Pour le Conseil, cette modification du montant maximal de la sanction pécuniaire encourue en cas de manquement d’initié constitue un changement de circonstances de droit justifiant un réexamen de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2006. À l’époque, les sanctions pécuniaires encourues en cas de manquement d’initié en application de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier comme en cas de délit d’initié selon l’article L. 465-1 du code monétaire et financier étaient identiques : il s’agissait d’une amende de 1,5 millions d’euros susceptible d’être portée au décuple du montant du profit éventuellement réalisé. Le juge pénal avait cependant la possibilité de condamner l’auteur d’un délit d’initié à une peine d’emprisonnement lorsqu’il s’agissait d’une personne physique. Par ailleurs, lorsque l’auteur était une personne morale, il pouvait prononcer sa dissolution et une amende cinq fois supérieure à celle pouvant être prononcée par la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers. Appliquant les critères fixés par sa jurisprudence issue de sa décision du 18 mars 2015, le Conseil juge que le manquement d’initié et le délit d’initié doivent être regardés comme susceptibles de faire l’objet de sanctions de nature différente. Les dispositions contestées de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier dans leur rédaction issue de la loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006 sont donc conformes à la Constitution. S’agissant de ces dispositions dans leurs rédactions postérieures à la loi du 4 août 2008, issues de la loi du 12 mai 2009 et de l’ordonnance du 21 janvier 2010, le Conseil constitutionnel constate qu’elles sont identiques à celles résultant de la loi du 4 août 2008. L’état du droit applicable à la poursuite et à la répression du délit d’initié et du manquement d’initié étant demeuré analogue, et compte tenu de l’absence de changement de circonstances, le Conseil a jugé qu’il n’y a pas lieu de procéder à un nouvel examen de ces dispositions. Elles doivent donc être considérées comme non conformes à la Constitution de la même façon que les dispositions censurées par la décision du 18 mars 2015. Revue Lamy Droit des Affaires 13 Éclairage RLDA 5893 Pratiques commerciales trompeuses : de l’amour, de l’argent et… des tromperies Pour le droit pénal des affaires, l’année 2016 débute par deux belles décisions rendues par la Cour de cassation en matière de pratiques commerciales trompeuses. Deux arrêts du 13 janvier sont l’occasion d’apporter un certain nombre de précisions concernant l’infraction prévue aux articles L. 121-1 et suivants du code de la consommation : les tromperies par action et par omission, les pratiques commerciales réputées trompeuses, l’appréciation de l’effet trompeur de ces pratiques, l’élément intentionnel ou bien encore la répression de celles-ci. Cass. crim., 13 janv. 2016, n° 14-84.072, P+B ; Cass. crim., 13 janv. 2016, n° 14-88.136, P+B Information et séduction sont les deux fonctions de la publicité en matière de consommation. Poussée à l’extrême, la séduction conduit la publicité à abuser de la crédulité des consommateurs. Le droit considère alors qu’elle devient une pratique commerciale trompeuse réprimée par le Code de la consommation. Le 13 janvier 2016, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu deux arrêts illustrant des pratiques commerciales trompeuses dans deux domaines où la crédulité du consommateur peut être assez marquée : l’amour et l’argent. La première affaire concerne une société de courtage matrimonial, Eurochallenges France, et sa gérante. En 2010, un contrôle de la Direction départementale de la protection des populations du Rhône révèle plusieurs manquements de cette société : défaut d’information sur les contrats d’adhésion relativement au droit de rétraction, utilisation comme photographies de témoins des images de personnes autres que ces témoins, affirmation mensongère concernant un agrément, une approbation par le Centre national de recherches en relations humaines (CNRRH), organisme 14 Par Jean-Marie Fany Lalanne BRIGANT Rédactrice en chef Maître de conférences en droit privé Université de Lorraine Membre de l’Institut François Gény émanant de la société elle-même. À la suite de ce procès-verbal, la société et sa dirigeante ont été poursuivies et condamnées par le tribunal correctionnel du chef de pratiques commerciales trompeuses. Le 16 avril 2014, la cour d’appel de Lyon a rendu un arrêt confirmatif, déclarant la société et sa dirigeante coupables de pratiques commerciales trompeuses. Contre cette décision, la société Eurochallenges France et sa représentante ont formé un pourvoi en cassation qui a été rejeté le 13 janvier 2016 par la Cour de cassation confirmant ainsi les condamnations sur tous les trois points évoqués : le défaut d’information relative au droit de rétraction constitutif de pratiques commerciales par omission(1), le caractère trompeur de la pratique commerciale apprécié souverainement par la cour d’appel(2) et enfin l’existence d’une pratique commer- (1) C. consom., art. L. 121-1, II. ; Dir. PE et Cons. CE n° 2005/29, 11 mai 2005, art. 2, 3 et 7. (2) C. consom., art. L. 121-1, I. Revue Lamy Droit des Affaires Nº 114 AVRIL 2016 Éclairage ciale réputée trompeuse au sens de l’article L. 121-1-1, 4°, du code de la consommation. La seconde affaire concerne la société HSBC France qui a lancé dans la presse écrite et sur son site internet une campagne publicitaire qui s’est déroulée du 21 janvier 2009 au 13 février 2009. Il s’agissait d’offrir aux souscripteurs d’un compte dit « compte épargne direct » une rémunération à un taux de 6 % pendant six mois pour un montant plafonné à 100 000 euros, puis ensuite un taux de 3,75 %, le délai pour souscrire à cette offre promotionnelle étant fixé du 20 janvier 2009 au 31 mars 2009. Puis la banque a décidé d’interrompre de manière anticipée, dès le 19 février 2009, cette possibilité de souscription. À la suite de plaintes de consommateurs, la société HSBC a été poursuivie devant le tribunal correctionnel qui l’a déclarée coupable de pratique commerciale trompeuse pour la période du 20 février au 31 mars 2009. Le 24 octobre 2014, la cour d’appel de Paris a condamné HSBC France du chef de pratique commerciale trompeuse à une amende de 187 500 euros et à une mesure de publication. Pour confirmer le jugement, les juges du fond relèvent que si la banque avait, dès le 20 février, remplacé sur son site internet le taux du compte épargne direct de 6 % par celui de 3,75 %, l’offre promotionnelle initiale au taux de 6 % était associée à un code devant être impérativement repris dans le formulaire de souscription, et que les demandes de souscription sur ce code dédié avaient continué d’être acceptées sans que le consommateur ne soit averti, au préalable, que le taux de 6 % n’était plus applicable. Ils en déduisent que la pratique en cause ne saurait se limiter au message de la publicité initiale qui, de manière intrinsèque et à ce stade, ne contenait aucune tromperie, et qu’en continuant d’accepter et de traiter des souscriptions alors qu’elle n’appliquait plus le taux offert initialement sans que le souscripteur en soit avisé, la société HSBC avait manifestement altéré le comportement économique d’un consommateur normalement attentif et avisé, trompé sur les qualités essentielles du contrat souscrit et la portée de l’engagement de l’annonceur. La banque s’est pourvue en cassation contre cette décision. Le 13 janvier 2016, la Cour de cassation a rendu un arrêt de rejet estimant que la cour d’appel, sans insuffisance ni contradiction, a caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel, le délit de pratique commerciale trompeuse dont elle a déclaré la prévenue coupable. Il convient d’analyser successivement l’arrêt Eurochallenges France (I) puis l’arrêt HSBC France (II), deux décisions de la Cour de cassation, riches en informations concernant l’incrimination des pratiques commerciales trompeuses qu’il s’agisse de ses éléments constitutifs ou de sa répression. Nº 114 AVRIL 2016 I. – Les pratiques commerciales trompeuses en matière de courtage matrimonial : l’arrêt Eurochallenges France Dans sa première décision du 13 janvier 2016(3), la chambre criminelle de la Cour de cassation confirme la responsabilité pénale de la société de courtage matrimonial et celle de sa gérante pour avoir commis des infractions au Code de la consommation notamment, des pratiques commerciales trompeuses par omission, d’une part, (A) et des pratiques commerciales réputées trompeuses, d’autre part (B). A. – Des pratiques commerciales trompeuses par omission Il ressort de l’arrêt du 13 janvier dernier que ce ne sont pas des pratiques trompeuses par action(4) qui sont reprochées aux deux prévenues mais bien des pratiques trompeuses par omission(5) dont la caractérisation et l’appréciation doivent être analysées. ➜ La caractérisation des pratiques trompeuses par omission Les tromperies par omission étaient déjà sanctionnées sous la qualification de publicité trompeuse. D’ailleurs, la jurisprudence de l’époque avait même réprimé une publicité qui, proposant l’accès à une agence matrimoniale à partir d’un certain prix, ne précisait ni l’existence ni le montant de la redevance corrélative à l’utilisation du service télématique, auquel le contrat proposé donnait en réalité accès(6). Depuis 2008, le Code de la consommation prévoit qu’« une pratique commerciale est également trompeuse si, compte tenu des limites propres au moyen de communication utilisé et des circonstances qui l’entourent, elle omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle ou lorsqu’elle n’indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte »(7). En principe, le juge est invité à apprécier, d’une part, l’existence d’une information substantielle et, d’autre part, le caractère inintelligible, ambigu de l’omission pratiquée. Mais, en présence d’une « communication commerciale constituant une invitation à l’achat et destinée au consommateur mentionnant le prix et les caractéristiques du bien ou du service proposé », le législateur lui-même ôte au juge tout pouvoir d’appréciation, considérant comme substantielles les informations relatives à « l’existence (3) Cass. crim., 13 janv. 2016, n° 14-84.072, P+B. (4) C. consom., art. L. 121-1, I. (5) C consom., art. L. 121-1, II. (6) Cass. crim., 28 sept. 1994, n° 92-84.302, Bull. crim., n° 308. (7) C. consom., art. L. 121-1, II, al. 1er. Revue Lamy Droit des Affaires 15 d’un droit de rétraction, si ce dernier est prévu par la loi »(8). Si dans les faits, la société Eurochallenges et sa gérante ont bien omis d’informer les consommateurs sur l’exercice d’un droit de rétraction, il restait encore à déterminer si l’entretien au cours au duquel le contrat avait été signé pouvait être qualifié de communication commerciale constituant une invitation à l’achat. La Cour de cassation apporte une réponse positive à cette question, en précisant au passage que cette communication peut être antérieure ou concomitante à la transaction commerciale. Si cette interprétation extensive paraît peu conforme au principe d’interprétation stricte de la loi pénale(9), elle semble dans la droite ligne de la jurisprudence européenne, selon laquelle « il existe une invitation à l’achat dès lors que l’information relative au produit commercialisé et au prix de celui-ci est suffisante pour que le consommateur puisse prendre une décision commerciale, sans qu’il soit nécessaire que la communication commerciale comporte également un moyen concret d’acheter le produit ou qu’elle apparaisse à proximité ou à l’occasion d’un tel moyen »(10). Ainsi, cet arrêt du 13 janvier dernier confirme que le manquement à l’obligation d’information par le professionnel peut être pénalement sanctionné sous la qualification de pratiques commerciales trompeuses ➜ L’appréciation des pratiques trompeuses par omission L’omission trompeuse accomplie par la société de courtage matrimonial et sa dirigeante n’a pu être réprimée par le juge pénal qu’à la condition « qu’elle altère, ou [soit] susceptible d’altérer de manière substantielle, le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service »(11). Sur cet effet trompeur, il convient de noter que les pratiques trompeuses par omission font l’objet d’une appréciation in concreto par le législateur : « Lorsque le moyen de communication utilisé impose des limites d’espace ou de temps, il y a lieu, pour apprécier si des informations substantielles ont été omises, de tenir compte de ces limites ainsi que de toute mesure prise par le professionnel pour mettre ces informations à la disposition du consommateur par d’autres moyens »(12). Cette indication a été introduite par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation. Toutefois, avant cette date, il a toujours été admis la possibilité de formuler une appréciation au regard de groupes particuliers de consommateurs. Ainsi, l’article L. 120-1, al. 2nd, prévoit que « le caractère déloyal d’une pratique commerciale visant une (8) C. consom., art. L. 121-1, II, al. 3. (9) en ce sens, E. Petit, Pratique commerciale trompeuse (courtage matrimonial) : exercice du droit de rétractation, D. 2016, p. 197. catégorie particulière de consommateurs ou un groupe de consommateurs vulnérables en raison d’une infirmité mentale ou physique, de leur âge ou de leur crédulité s’apprécie au regard de la capacité moyenne de discernement de la catégorie ou du groupe ». Il semble qu’en l’espèce, les juges du fond se soient livrés à une appréciation du caractère trompeur en application d’un groupe de consommateurs : en l’occurrence les clients ou adhérents de l’agence matrimoniale. En ce sens, la Cour de cassation précise qu’ « aucun adhérent ne disposait sur ce point d’une information écrite donc intelligible et non ambigüe au sens du texte d’incrimination ». De même, les juges du fond relèvent que « ni M. A..., ni M. B..., ni M. Z..., ni aucun autre client pendant la période de la prévention, ne disposaient d’une information écrite donc intelligible et non ambiguë au sens du texte d’incrimination sus-rappelé, permettant de se rétracter après réflexion à l’abri de la charge émotive générée par un engagement touchant particulièrement à l’intimité humaine ». En l’espèce, l’effet trompeur a donc été apprécié au regard d’une catégorie de consommateurs particulièrement vulnérables en raison de leur crédulité ou plutôt de leur émotivité ou grande solitude. B. – Des pratiques commerciales réputées trompeuses La société de courtage matrimonial et sa gérante ont non seulement commis une tromperie par omission mais ont également été reconnues coupables, au sens de l’article L. 121-11 du code de la consommation, de pratiques commerciales réputées trompeuses, pratiques qu’il convient d’identifier avant d’évoquer les présomptions qui en résultent. ➜ L’identification des pratiques commerciales réputées trompeuses L’arrêt du 13 janvier 2016 apporte un bel exemple de pratiques commerciales réputées trompeuses. Auparavant, il convient de procéder à deux rappels. D’une part, c’est la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie qui a dressé la liste de ces pratiques dans le Code de la consommation à l’article L. 121-1-1, sans pour autant créer de nouvelle incrimination(13). D’autre part, cet article L. 1211-1 ne fait que reprendre la liste des vingt-deux pratiques réputées trompeuses figurant en annexe I de la directive européenne du 11 mai 2005 (à l’exception des ventes à la boule de neige déjà sanctionnées à l’article L. 122-6). Celle retenue par les juges à l’encontre de la société de courtage matrimonial et sa gérante figure à l’article L. 121-1-1, 4°, du code de la consommation et a pour objet « d’affirmer qu’un professionnel, y compris à travers ses pratiques commerciales, ou qu’un produit ou service a été agréé, approuvé ou autorisé par un organisme public ou privé alors que ce n’est (10) CJUE, 12 mai 2011, aff. C-122/10, Ving Sverige. (11) C. consom., art. L. 120-1. (12) C. consom., art. L. 121-1, II, al. 2. 16 (13) Cass. crim., 17 mai 2011, n° 10-87.646. Revue Lamy Droit des Affaires Nº 114 AVRIL 2016 Éclairage pas le cas, ou de ne pas respecter les conditions de l’agrément, de l’approbation ou de l’autorisation reçue ». En l’espèce, la société et sa représentante ont, à de multiples reprises, dans différentes communications commerciales, fait mention d’un Centre national de recherches en relations humaines (CNRRH), présenté comme un organisme chargé d’une mission de contrôle de l’exercice de la profession. Comme le souligne la Cour, « les deux mots «centre national» juxtaposés laissaient clairement penser qu’il s’agissait d’un organisme public ». Or, en réalité, la société Eurochallenges et le CNRRH n’étaient pas deux entités distinctes, la première contrôlant la seconde. Le consommateur a ainsi été trompé sur la fiabilité de la société proposant le courtage matrimonial. À l’instar des trois premiers alinéas de l’article L. 121-1-1, cette quatrième hypothèse retenue dans cet arrêt est réputée trompeuse car c’est une « pratique qui consiste à donner l’illusion au consommateur que le produit présente des vertus, une reconnaissance officielle, une garantie, que le professionnel ne possède pas en réalité »(14). ➜ Les présomptions résultant des pratiques commerciales réputées trompeuses Les pratiques commerciales réputées trompeuses sont soumises à un régime spécifique sur deux aspects : l’effet trompeur et l’élément intentionnel. À la différence des pratiques commerciales relevant de l’article L. 121-1 du code de la consommation, celles figurant à l’article L. 121-1-1 du code précité ne nécessitent pas que la preuve de l’effet trompeur soit rapportée. Puisque les affirmations mensongères des prévenues sont des pratiques commerciales réputées trompeuses, il en résulte que le juge est privé de tout pouvoir d’appréciation quant à la réalité de l’effet trompeur. En présence de telles pratiques, « il n’y a plus lieu, en raison de ce qui relève plus d’une règle de fond que d’une présomption, de se livrer à quelque appréciation que ce soit de son effet sur les consommateurs (…) ou les professionnels »(15). En l’espèce, le juge pénal a présumé, de manière irréfragable, que les pratiques opérées par la société et sa dirigeante ont altéré, de manière substantielle, le comportement économique des consommateurs. Comme les pratiques commerciales trompeuses visées à l’article L. 121-1, les pratiques réputées trompeuses supposent la preuve d’une intention frauduleuse, ce qui est bien le cas des affirmations « mensongères » relatives à l’agrément ou l’autorisation par un organisme public(16). Celles-ci constituent des pratiques commerciales déloyales au sens de l’article L. 120-1, c’est-à-dire une pratique « contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu’elle altère, ou est susceptible d’altérer de manière substantielle, le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service ». Rappelons que selon la CJUE(17) dès lors qu’une pratique commerciale déloyale répond aux critères de la pratique commerciale trompeuse, il n’y a pas lieu de vérifier si la pratique est contraire à la diligence professionnelle, ce que n’ont, semble-t-il, pas fait les juges du fond. Plus largement, le fait de réputer une pratique de trompeuse semble emporter, selon nous, une présomption d’effet trompeur mais également fait présumer son caractère intentionnel. Il n’était pas donc nécessaire en l’espèce de faire la preuve de cette intention qui résultait, de manière évidente, des affirmations mensongères. Pour autant, les juges du fond ont pris le soin de relever que « la multiplicité des mentions [relatives au CNRRH] caractérise l’élément intentionnel contesté par les prévenues ». II. – Les pratiques commerciales trompeuses en matière bancaire : l’arrêt HSBC France Dans sa seconde décision du 13 janvier dernier(18), la Cour de cassation retient uniquement la responsabilité pénale de la société HSBC du chef de pratiques commerciales trompeuses. Ces pratiques reposent ici sur des actions trompeuses qu’il convient tout d’abord d’analyser (A) avant d’envisager ensuite la répression opérée à l’encontre de l’établissement de crédit (B). A. – La caractérisation de pratiques commerciales par action L’infraction de pratique commerciale trompeuse suppose au préalable l’existence d’une pratique commerciale au sens de l’article 2 d) de la directive européenne du Parlement européen et du Conseil 2005/29/CE du 11 mai 2005, ce qui, en l’espèce, ne posait aucune difficulté s’agissant d’une campagne publicitaire offrant aux souscripteurs d’un compte épargne un taux de rémunération particulièrement attractif. Concernant les éléments constitutifs de ce délit, la chambre criminelle estime que la cour d’appel a caractérisé tant l’élément matériel qu’intentionnel de cette infraction à l’égard de la société HSBC. ➜ L’élément matériel L’élément matériel de l’infraction de pratique commerciale trompeuse repose en premier lieu sur une tromperie par action au sens de l’article L. 121-1, I, du code de la consommation. En l’espèce, il ne s’agit pas de pratiques reposant sur (14) C. Ambroise-Castérot, Consommation, Rép. pénal Dalloz, 2009, n° 15. (15) A. Lepage, Ph. Maistre du Chambon et R. Salomon, Droit pénal des affaires, LexisNexis, 4e éd., 2015, n° 1263. (17) CJUE, 19 sept. 2013, aff. C-435/11, EU:C:2013:574, CHS Tour Services GmbH c/ Team4 Travel GmbH. (16) C. consom., art. L. 121-1-1. (18) Cass. crim., 13 janv. 2016, n° 14-88.136, P+B. Nº 114 AVRIL 2016 Revue Lamy Droit des Affaires 17 une confusion avec un autre bien ou service ni sur une dissimulation du bénéficiaire des pratiques mais bien des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur. Celles-ci ont consisté dans le non-respect des conditions substantielles de l’offre promotionnelle proposée aux consommateurs, dans la période même de souscription. Ces indications ou présentations ont porté sur le taux de rémunération fixée à 6 % dans la campagne publicitaire puis ramené à 3,75 %, sur le site internet de la banque. Comme le souligne l’arrêt, la société HSBC a accompli une tromperie sur les qualités du contrat souscrit et la portée de l’engagement de l’annonceur, deux éléments énumérés à l’article L. 121-1, I, 2° précité. Le premier élément renvoie aux qualités de la chose objet du contrat qui ont été déterminantes du consentement du cocontractant et sans lesquelles il n’aurait sans doute pas contracté ou alors à des conditions différentes(19). Le second élément correspond à l’hypothèse où l’annonceur prend des engagements qu’il ne peut tenir au présent comme au futur ce qui était bien le cas en l’espèce(20). En second lieu, la pratique commerciale de la société HSBC n’a pu être qualifiée de trompeuse qu’à la condition d’avoir eu pour effet réel ou potentiel « d’altérer de manière substantielle, le comportement économique du consommateur, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service »(21). Le caractère trompeur est démontré par le juge pénal qui relève qu’en continuant d’accepter et de traiter des souscriptions tout en n’appliquant plus le taux initialement promis sans informer le consommateur, la banque a « manifestement altéré le comportement économique » des consommateurs, c’est-à-dire compromis sensiblement l’aptitude de ceux-ci à prendre une décision en connaissance de cause. Cet effet trompeur est mis en évidence par la disproportion entre les moyens mis en œuvre par HSBC pour lancer sa campagne publicitaire et ceux mis en œuvre pour l’arrêter prématurément. Il faut enfin souligner que suivant les dispositions du Code de la consommation, juges du fond et magistrats de la Cour de cassation ont fait le choix d’une appréciation in abstracto de la tromperie, en se référant expressément au « consommateur normalement attentif et avisé ». ➜ L’élément intentionnel Pendant longtemps, la publicité trompeuse est apparue comme un délit d’imprudence aux yeux de la doctrine et de la jurisprudence(22). Toutefois, en substituant les pratiques commerciales trompeuses à la publicité trompeuse (19) pour une offre de fourniture internet : Cass. crim., 27 janv. 2015, n° 14-80.220, Bull. crim., n° 22. (20) pour une offre de voyage : Cass. crim., 4 mai 2004, n° 03-83.787, Bull. crim., n° 105. (21) C. consom., art. L. 120-1, al. 1er. (22) voir en ce sens Cass. crim., 26 oct. 1999, n° 98-84.446, Bull. crim., n° 233 ; Cass. crim., 19 oct. 2004, n° 04-82.218, Bull. crim., n° 245. 18 ou de nature à induire en erreur, la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs a définitivement conféré à l’incrimination un caractère intentionnel. Cette orientation a été entérinée par la jurisprudence criminelle à de multiples reprises(23). L’arrêt HSBC du 13 janvier 2016 ne déroge pas à la règle, les juges du fond prenant un soin tout particulier en l’espèce pour vérifier l’existence de cette composante de l’infraction. Ainsi, apprend-on que « l’élément intentionnel requis par l’infraction visée réside dans le fait que la banque ait décidé de ne plus appliquer les conditions de sa promotion avant son terme, dans les conditions qui viennent d’être rappelées ». En effet, en continuant d’accepter des souscriptions sans informer les souscripteurs qu’elle n’appliquait plus le taux offert initialement, la banque a trompé « de manière délibérée le consommateur », précise expressément la Cour. Bien évidemment, la société HSBC, à l’appui de son pourvoi, a fait valoir que le délit de pratique commerciale trompeuse étant intentionnel, il suppose la connaissance qu’avait le professionnel du caractère trompeur de la publicité, ce qui n’a pas été démontré par la cour d’appel. La Cour de cassation se contente d’affirmer que les juges du fond ont caractérisé l’élément intentionnel, élément qui se déduit du comportement matériellement adopté. A priori, comme en matière de fraudes et tromperies, il semble que le juge pénal fait peser sur les professionnels, comme en l’espèce une banque, une véritable présomption de connaissance obligée ou d’ignorance interdite. Leur formation et compétence professionnelle fait ainsi obstacle à l’admission de leur bonne foi devant les juges(24). B. – La répression de ces pratiques commerciales par action À la différence du premier arrêt du 13 janvier 2016, le juge pénal n’a pas procédé ici à un cumul de responsabilités pénales entre personne physique et personne morale, comme le lui permettent les dispositions de l’article 121-2 du code pénal(25). En effet, seule la responsabilité pénale de la société HSBC a été recherchée par les juges du fond qui ont souhaité sanctionner sévèrement cet établissement de crédit. ➜ La responsabilité de la personne morale En matière de pratiques commerciales trompeuses, il n’a été possible d’engager la responsabilité pénale des (23) Cass. crim., 15 déc. 2009, n° 09-83.059, Bull. crim., n° 212 ; Cass. crim., 1er avr. 2014, n° 13-82.695 et 13-82.696 ; Cass. crim., 24 mars 2015, n° 14-82.166. (24) Cass. crim., 9 sept. 2008, n° 08-80.390 ; Cass. crim., 1er déc. 2009, n° 09-82.140. (25) voir Cass. crim., 6 oct. 2009, n° 08-87.757. Revue Lamy Droit des Affaires Nº 114 AVRIL 2016 Éclairage personnes morales qu’à partir de la loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires. Toutefois, pour retenir la responsabilité pénale d’une personne morale, encore faut-il se conformer aux dispositions de l’article 121-2 du code pénal exigeant que l’infraction ait été commise par un organe ou un représentant de la personne morale pour le compte de celle-ci. En l’espèce, le délit de pratiques commerciales trompeuses a bien été accompli pour le compte de la banque qui a pu réaliser un bénéfice et/ou une économie comme l’expliquent de manière argumentée les premiers juges : il n’est pas anodin de rappeler qu’en n’appliquant pas le taux de 6 % aux souscripteurs se prévalant de l’offre en cause, la banque a économisé des sommes importantes que l’administration des fraudes évaluait à 350 000 euros, en ayant pris comme base de calcul la somme de 40 000 euros de placement moyen pour les 250 consommateurs n’ayant été rémunérés que par des taux de 3,75 % dans le meilleur des cas, qu’elle a également, ce faisant amélioré son ratio de crédit sur dépôts, multipliant par six le dépôt moyen sur ses comptes, comme elle l’admettait dans son rapport annuel 2009, en révélant une progression significative d’environ 7 % des dépôts à vue favorisée, notamment, par le « compte épargne direct ». Il reste à savoir si l’infraction a été commise par un de ses organes ou représentants que les magistrats ont pris le soin d’identifier. En 2009, la chambre criminelle s’était écartée d’une telle exigence : « il importe peu que l’infraction ne puisse être imputée à un représentant déterminé de la SNC, dès lors qu’il est établi qu’elle a été commise dans tous ses éléments matériels par une personne physique quelconque représentant la prévenue »(26). En 2015, elle a fait preuve de rigueur en censurant une cour d’appel ayant déclaré la société Ryanair Ltd coupable de pratique commerciale trompeuse « sans rechercher par quel organe ou représentant le délit reproché à la personne morale avait été commis pour son compte »(27). Dans cet arrêt, la Cour de cassation se contente de reproduire aux motifs l’affirmation de la cour d’appel pour qui « il est constant que ces agissements ont été accomplis par les organes de la personne morale, pour son compte et dans son intérêt ». Cette affirmation lapidaire tranche avec l’explication fournie concernant la condition : « pour le compte de la personne morale » et laisse craindre que l’identification des organes n’ait pas été effectuée de manière rigoureuse. ➜ Les peines prononcées à l’encontre de la personne morale Après avoir caractérisé la pratique commerciale trompeuse, les juges du fond devaient déterminer la peine à infliger à la banque. Sur ce point, HSBC a été condamnée à la publication de la décision et à une amende de 187 500 euros, ce qui paraît peu au regard des bénéfices ou économies réalisés. Pourtant, concernant l’amende, la banque a été condamnée au maximum prévu pour la raison suivante : « les faits ayant eu un impact important sur les consommateurs, s’agissant d’une campagne nationale d’envergure, sur une période longue, dans les conditions précédemment rappelées, dans un contexte de crise, et concernant un établissement bancaire, sur lequel reposent en particulier à l’égard des particuliers des obligations légales et réglementaires importantes ». À l’époque des faits, les pratiques commerciales trompeuses étaient punies d’un emprisonnement de deux ans au plus et d’une amende de 37 500 euros(28), montant porté au quintuple pour les personnes morales. En application du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère, la banque HSBC a donc échappé aux peines prévues depuis la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation : soit une amende de 300 000 euros dont le montant « peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du manquement, à 10 % du chiffre d’affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits, ou à 50 % des dépenses engagées pour la réalisation de la publicité ou de la pratique constituant le délit ». À l’avenir, si de telles pratiques trompeuses devaient se reproduire, l’établissement de crédit pourrait encourir une amende de 1 500 000 euros. Concernant la publication de la décision, il s’agissait d’une peine complémentaire obligatoire à l’époque des faits(29). Depuis la loi du 17 mars 2014, l’article L. 121-4 du code de la consommation en a fait une peine complémentaire facultative : « en cas de condamnation, le tribunal peut ordonner, par tous moyens appropriés, l’affichage ou la diffusion de l’intégralité ou d’une partie de la décision ou d’un communiqué informant le public des motifs et du dispositif de celle-ci ». Si la rétroactivité in mitius a pu s’appliquer en l’espèce(30), elle n’a pas eu l’effet espéré pour la banque puisque les juges du fond ont décidé d’y recourir… aux frais de cette dernière. (28) C. consom., anc. art. L. 121-6. (26) Cass. crim., 24 mars 2009, n° 08-86.530. (29) sur sa validité antérieure : Cons. const., 29 sept. 2010, n° 1080.203 QPC. (27) Cass. crim., 10 nov. 2015, n° 14-86.799. (30) C. pén., art. 112-1, al. 3 Nº 114 AVRIL 2016 Revue Lamy Droit des Affaires 19 Le point sur… L’outil pénal au service de la fraude fiscale présumée : état des lieux D ans un contexte d’augmentation du déficit budgétaire à un niveau dépassant les exigences européennes, la lutte contre la fraude fiscale et son blanchiment est devenue l’une des priorités du Gouvernement. Plusieurs objectifs sont affichés : recouvrer l’impôt dû, dissuader et punir les fraudeurs. Cette volonté politique de remplir les « caisses » de l’État, notamment par une lutte contre l’évasion fiscale et plus largement la fuite des capitaux, s’est traduite par la mise en place d’outils spécifiques, véritables prémices d’un droit pénal fiscal à part entière. Cette dynamique volontairement répressive vise également à restaurer la confiance des français en leurs représentants politiques qui pour certains auraient succombé aux sirènes de la fraude fiscale. La mise en place d’un système d’enquête spécifique par la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière démontre l’intention du législateur de créer un nouveau droit pénal spécial : le droit pénal fiscal. Cette loi, portant tant sur les sanctions que sur les procédures dont disposent le pouvoir administratif et le pouvoir judiciaire, a pour ambition la mise en place d’une politique pénale cohérente et (surtout) efficace, coordonnée avec l’administration fiscale. Cependant, certains écueils – et non des moindres – demeurent. SOMMAIRE La pénalisation du droit fiscal : rappels et inventaire ........... P.21 Emmanuel DAOUD et Victoire de TONQUÉDEC Les saisies pénales appliquées à la matière fiscale .......................P.29 Emmanuel DAOUD et Maud SOBEL 20 La procédure de saisie conservatoire qui autorise, depuis la loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010, la saisie des biens d’une personne physique pourtant présumée innocente, en constitue un exemple manifeste. À la sanction pénale encourue en cas de commission des infractions de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale s’ajoute désormais la menace d’être privé dès la phase d’enquête d’une partie de ses biens voire de son entier patrimoine. Ces impulsions législatives portent donc, à l’évidence, les germes d’un durcissement nécessitant un inventaire du droit positif, notamment au regard des principes « non bis in idem », de « nécessité des peines » et de « présomption d’innocence ». n Revue Lamy Droit des Affaires Nº 114 AVRIL 2016 Le point sur… Droit pénal des affaires RLDA 5894 La pénalisation du droit fiscal : rappels et inventaire La lutte contre la fraude fiscale est devenue une des priorités de l’État, particulièrement après l’accord UBS(1), la mise en place du système FATCA aux États-Unis(2) et surtout les réactions liées à l’affaire Cahuzac. Deux objectifs sont affichés : recouvrer l’impôt dû à l’État et punir les fraudeurs. Pour détecter, poursuivre et réprimer la fraude fiscale, la tendance observée depuis déjà plusieurs années est la recherche de la transparence. Tout ce qui est confidentiel ou secret apparaît suspect tant sur le plan fiscal que pénal. Ce culte de la transparence permet – presque – tout et justifie beaucoup, l’administration fiscale se veut omnisciente et « intimidante » ce qui passe par un recours accru aux poursuites pénales de lutte contre la fraude. La loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière(3) (ci-après la « loi du 6 décembre 2013 ») constitue, à ce titre, une évolution vers un droit fiscal qui se pénalise. Cette loi aurait dû permettre la mise en place d’un dispositif facilitant une politique pénale cohérente, coordonnée avec l’administration fiscale. Plus de deux ans après sa promulgation, un droit d’inventaire s’impose. (1) Accord conclu entre la confédération helvétique et les États-Unis, approuvé le 9 juin 2010 par le Parlement de la confédération helvétique. Dès lors, plus rien ne s’oppose à la livraison des données de clients d’UBS dans les cas ayant fait l’objet d’une décision passée en force de chose jugée. (2) Le Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA) est un règlement du Code fiscal des États-Unis qui oblige les banques des pays ayant conclu un accord avec le gouvernement des États-Unis à signer avec le Département du Trésor des États-Unis un accord dans lequel elles s’engagent à lui communiquer tous les comptes détenus par des citoyens américains. (3) Loi publiée au Journal officiel le 7 décembre 2013, dont les modalités de mise en œuvre ont été précisées par une circulaire interministérielle du 22 mai 2014 et dont la plupart des décrets d’application ont été pris au 31 mars 2015. Nº 114 AVRIL 2016 Préambule Éléments de définitions La fraude fiscale apparaît comme une notion floue : définie par le Code général des impôts (CGI), mais empreinte de mécanismes du droit pénal quant à la caractérisation de cette infraction. Par Emmanuel DAOUD Avocat associé Cabinet VIGO Membre du Conseil de l’Ordre La définition légale de la fraude fiscale. La fraude fiscale est le fait de se soustraire frauduleusement à l’établissement, au recouvrement et en définitive au paiement de l’impôt. Le délit général de fraude fiscale est défini par le CGI à l’article 1741 et le délit comptable de fraude fiscale se trouve à l’article 1743 du même code. Ces articles recouvrent l’omission volontaire de déclaration dans les délais prescrits, la dissimulation volontaire des sommes sujettes à l’impôt, l’organisation d’insolvabilité, l’obstruction au recouvrement de l’impôt par toute manœuvre frauduleuse. Et Victoire de TONQUÉDEC Élève avocat Les éléments constitutifs du délit général de fraude fiscale. Selon la chambre criminelle de la Cour de cassation, l’article 1741 du CGI vise « à la fois le fait répréhensible constituant l’élément matériel de l’infraction et l’intention de fraude du contribuable ». Il détermine en outre les modalités de commission du délit(4). Aux termes de l’article L. 227 du livre des procédures fiscales (LPF), le délit de fraude fiscale doit être intentionnel. L’article 1741 du CGI exige que celui-ci résulte du recours à une modalité frauduleuse dont le but est la soustraction au paiement ou à l’établissement de l’impôt. Les infractions prévues et réprimées par les articles 1741 et 1743 du CGI, comme les infractions pénales « de droit commun », requièrent donc également un élément matériel et un (4) Cass. crim., 3 juill. 1974, n° 73-92.987, Bull. crim., n° 245 Revue Lamy Droit des Affaires 21 élément intentionnel que le ministère public et l’Administration doivent démontrer. de soustraction frauduleuse à l’impôt sera poursuivie, si l’administration fiscale le sollicite, devant le juge pénal. La notion de fraude fiscale demeure essentiellement fiscale bien qu’elle comprenne les éléments constitutifs de toute infraction pénale et regroupe de nombreuses incriminations, tantôt communes à tous les impôts, tantôt spécifiques à telle ou telle famille d’imposition. Ce simple rappel établit à lui seul la complexité des procédures de contrôle fiscal. Le résultat de ces définitions est un imbroglio de règles difficilement applicables et souvent peu compréhensibles pour le justiciable. I. – La loi du 6 décembre 2013 : les nouveaux mécanismes empruntés au droit pénal Si l’administration fiscale dispose d’un quasi-monopole dans la recherche et la constatation de l’infraction par l’utilisation de ses pouvoirs traditionnels de contrôle (droit de communication, droit de vérification), une mutualisation des moyens de l’administration fiscale et du parquet s’est peu à peu concrétisée. Cette mise en commun des outils a été renforcée par la loi du 6 décembre 2013. A. – Les outils de contrôle antérieurs à la loi du 6 décembre 2013 Avant la loi du 6 décembre 2013, peu de dossiers étaient en définitive traités par le juge pénal. Le juge administratif apparaissait comme le seul garant de la lutte contre la fraude fiscale, malgré le recours à des outils empruntés au droit pénal, dont l’utilisation perdure aujourd’hui. ➜ Le cas des enquêtes judiciaires fiscales. L’article L. 16B du LPF permet à des agents habilités de l’administration fiscale de procéder à une visite domiciliaire, dans le cas où il « existe des présomptions qu’un contribuable se soustrait à l’établissement ou au paiement des impôts sur le revenu ou sur les bénéfices ou des taxes sur le chiffre d’affaires ». L’Administration ne peut engager cette procédure qu’avec l’autorisation préalable du juge des libertés et de la détention, « juridiction » pénale s’il en est. Les agents doivent en outre être accompagnés par un officier de police judiciaire. 22 ➜ La Commission des Infractions Fiscales (CIF), filtre préalable à l’engagement de toute poursuite pour fraude fiscale. À la différence des autres délits, le délit de fraude fiscale ne peut être poursuivi d’office par le procureur de la République. Celui-ci ne peut mettre en mouvement l’action publique que si l’administration fiscale a préalablement déposé une plainte. La CIF(5), créée par la loi du 29 décembre 1977(6), joue le rôle de filtre indépendant. Le dépôt d’une plainte au parquet est subordonné, en effet, à un avis conforme de sa part. Dans les faits, la CIF donne son autorisation au dépôt de plainte dans environ 90 % des affaires qui lui sont soumises par l’Administration. Il ne s’agit donc en pratique que d’un filtre très relatif. Du fait de ce dispositif, le nombre de cas de fraudes fiscales soumises aux tribunaux est relativement constant au fil des années : entre 900 et 1 000 dossiers par an(7). ➜ Le cas particulier de la procédure relative au blanchiment de fraude fiscale : l’autonomie du droit pénal affirmée. Alors que le délit de fraude fiscale est défini par le Code général des impôts, le délit de blanchiment est prévu à l’article 324-1 du code pénal. « Le blanchiment est le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l’origine des biens ou des revenus de l’auteur d’un crime ou d’un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect ». Le blanchiment est également « le fait d’apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit ». Le parquet peut se saisir seul d’un dossier en cas de délit de blanchiment de fraude fiscale, prérogative confirmée depuis l’affaire Paneurolife(8). Cette construction procédurale permet qu’une information pour blanchiment de fraude fiscale soit ouverte avant même que l’administration fiscale ne se soit saisie du dossier, et donc avant toute notification de redressement fiscal. Le traitement de cette L’autorisation préalable du juge des libertés et de la détention et la présence obligatoire d’un officier de police judiciaire sont la preuve de la pénalisation de la procédure de perquisition fiscale sur le modèle des perquisitions pénales prévues par le Code de procédure pénale. (5) Les modalités de fonctionnement de la Commission des infractions fiscales sont définies par : CGI, art. 1741 A, CGI, ann. II, art. 384 septies-0 A à 384 septies-0 D et 384 septies-0 I, ainsi que LPF, art. L. 228, L. 230 et R. 228-1 à R. 228-6. Le contentieux relatif à la régularité de l’autorisation et du déroulement de la visite domiciliaire est un contentieux civil devant le premier président de la cour d’appel compétent, alors que la détermination de l’assiette fiscale omise et le recouvrement de l’impôt relèvent « naturellement » du contentieux administratif, et que l’infraction (7) Rapport du Sénat n° 87 (2013-2014) de M. É. Bocquet, fait au nom de la Commission d’enquête sur le rôle des banques « Évasion des capitaux et finance : mieux connaître pour mieux combattre », déposé le 17 octobre 2013, point D impliquer davantage le juge pénal dans la répression de la fraude fiscale : poursuivre le débat sur le « verrou de Bercy ». (6) La CIF est créée par L. n° 77-1453, du 29 déc. 1977, art. 1er et organisée par D. n° 78-636, 12 juin 1978. (8) Cass. crim., 2 avr. 2003, n° 03-80.151. Revue Lamy Droit des Affaires Nº 114 AVRIL 2016 Le point sur… Droit pénal des affaires infraction ne suit donc pas la procédure relative aux infractions fiscales et cela alors même qu’elle répond pour partie à la définition de la fraude fiscale. Le juge pénal a de plus en plus recours à la qualification de blanchiment de fraude fiscale. Or en pratique, on observe que les éléments constitutifs de la fraude s’apprécient de façon plus souple pour l’infraction de blanchiment de fraude fiscale que pour l’infraction de fraude fiscale dans la mesure où la jurisprudence n’exige pas que la démonstration soit faite de la réunion précise de tous les éléments constitutifs de l’infraction d’origine en matière de blanchiment. En conséquence, deux voies procédurales coexistent pour permettre à l’État de sanctionner les fraudes à l’impôt et leurs complices : l’une relative au délit de fraude fiscale et l’autre relative au délit de blanchiment de fraude fiscale. B. – À la suite de la révélation de l’affaire Cahuzac, l’instauration d’acteurs spécialisés et de moyens nouveaux La loi du 6 décembre 2013 a consacré le renforcement de la pénalisation du contrôle fiscal afin de doter l’État de moyens de lutte efficaces contre la fraude fiscale, mais également pour répondre aux attentes de l’opinion publique après l’émotion suscitée par l’affaire Cahuzac. ➜ Le renforcement des textes sur la fraude complexe. L’article 9 de la loi du 6 décembre 2013 qui modifie l’article 1741 du CGI étend les circonstances aggravantes du délit de fraude fiscale aux faits commis en bande organisée ou réalisés ou facilités au moyen notamment de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d’organismes établis à l’étranger, de l’interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à l’étranger, de l’usage d’une fausse identité ou de faux documents ou de toute autre falsification, d’une domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l’étranger, d’un acte fictif ou artificiel ou de l’interposition d’une entité fictive ou artificielle(9). Il est intéressant d’observer qu’aucune distinction n’est opérée entre les États et territoires non coopératifs (ETNC) et les pays ayant signé une convention d’assistance, comme cela était le cas dans l’ancienne rédaction de l’article. La volonté du législateur est désormais de punir très largement la fraude fiscale sans prendre en considération la localisation géographique des sommes dissimulées et les montages utilisés. Enfin, l’introduction de la notion de bande organisée – notion ô combien pénale – comme circonstance aggravante de la fraude fiscale(10) marque l’introduction d’un concept de droit pénal dans le CGI. (9) Ces dispositions s’appliquent aux infractions commises depuis le 8 décembre 2013. (10) Nouvelle rédaction de l’article 1741 du CGI. Les peines sont portées à 2 000 000 euros et sept ans d’emprisonnement dans ce cas. Nº 114 AVRIL 2016 ➜ Des moyens d’actions renforcés auprès des juridictions spécialisées. Devant la complexification des montages visant à éluder l’impôt, la spécialisation des juridictions, ensemble avec une rationalisation de la répartition des compétences, est apparue comme étant de nature à rendre plus effective la lutte contre ces infractions. La loi du 6 décembre 2013 a ainsi modifié les règles de compétence en matière de délinquance économique et financière en supprimant les 36 pôles économiques et financiers des tribunaux de grande instance, jugés peu opérationnels parce que trop nombreux et insuffisamment spécialisés(11), notamment en matière de lutte contre la fraude fiscale. Les compétences des pôles économiques et financiers ont été transférées aux huit juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) dont la compétence n’était jusqu’ici limitée qu’à la délinquance économique et financière « de grande complexité ». La loi du 6 décembre 2013 a corrélativement permis un renforcement des moyens d’action des victimes en matière d’infractions d’affaires, en donnant la possibilité aux associations de lutte contre la corruption de se constituer partie civile devant les juridictions pénales pour certaines infractions pénales telles que le blanchiment. ➜ La création d’un procureur de la République financier. La loi du 6 décembre 2013 a instauré un procureur financier(12) placé sous l’autorité du parquet général de Paris, disposant d’une compétence nationale concurrente en matière d’atteintes à la probité et de fraudes fiscales complexes et d’une compétence exclusive en matière boursière(13). La circulaire du garde des Sceaux du 31 janvier 2014 a ajouté à ce champ de compétence « les infractions connexes »(14). Ce « nouveau » procureur, Madame Éliane Houlette depuis le 30 janvier 2014, s’appuie sur des moyens humains et juridiques dédiés (une assistance spéciale de Bercy est notamment prévue) pour s’attaquer à la lutte contre la délinquance financière et la fraude fiscale dans les affaires les plus sensibles. En outre, nommé pour sept ans, le procureur financier a proportionnellement moins de dossiers à traiter que les procureurs de la République, ce qui est un gage de qualité et d’efficacité. (11) Selon les termes du communiqué de presse du Conseil des ministres du 7 mai 2013. (12) D. n° 2014-65, 29 janv. 2014, relatif au procureur de la République financier et à l’affectation des assistants spécialisés et Circ. min. 31 janv. 2014, NOR : JUSD1402887C, de politique pénale relative au procureur de la République financier. (13) Jusqu’ici réservées au parquet de Paris. (14) Le procureur de la République financier a vocation à se saisir des affaires dans lesquelles ces infractions occupent une place centrale, sous réserve d’une appréciation au cas par cas. Revue Lamy Droit des Affaires 23 Toutefois, cette initiative a suscité deux types de réactions : • D’un côté, dès l’annonce du projet de loi, le Syndicat national de la magistrature a fait valoir que plutôt que de créer de toute pièce un procureur financier, il aurait été préférable de renforcer les pouvoirs des services dédiés existants. • De l’autre, en matière de fraude fiscale, l’Assemblée nationale a discuté l’autonomie réelle de cette fonction de procureur dès lors que l’administration fiscale conserve le monopole de transmission des dossiers à la CIF. ➜ La répartition des compétences entre les nouveaux acteurs spécialisés (procureur financier et JIRS) et les procureurs de la République La répartition des compétences entre les procureurs de la République, le procureur financier et les JIRS repose avant tout sur la remontée d’informations. Ainsi, lorsqu’une affaire est susceptible de relever de la compétence du procureur financier ou d’une JIRS, le parquet initialement saisi doit, de manière systématique et sans délai, signaler l’affaire au procureur de la JIRS et au procureur de la République financier. Chacun des trois procureurs doit informer le procureur général dont il dépend, et à défaut d’accord entre les parquets, il reviendra aux procureurs généraux de se concerter pour déterminer la juridiction compétente. Dans le cadre de l’enquête, il n’existe pas d’autres mécanismes de répartition des compétences que l’arbitrage du procureur général de Paris, ce qui n’est pas sans soulever de risque de paralysie. En effet, il appartient au procureur général de Paris, en concertation avec les autres procureurs généraux, de résoudre les conflits de compétences entre les procureurs, au regard des moyens, des effectifs et du degré de spécialisation de ces derniers. Notons toutefois qu’en cas de désaccord entre les procureurs généraux, la loi a prévu l’organisation d’un dialogue par la « direction des affaires criminelles et des grâces ». Dans le cadre de l’information judiciaire en revanche, pour les infractions relevant d’une compétence concurrente (C. pén., art. 705), le procureur de la République d’un autre tribunal que celui de Paris peut requérir du juge d’instruction saisi de se dessaisir au profit de la juridiction de Paris. L’ordonnance rendue par le juge d’instruction sera susceptible de recours devant la chambre criminelle de la Cour de cassation. En matière d’information judiciaire, il revient donc à la Cour de cassation de répartir les compétences entre les anciens et les nouveaux acteurs de la procédure pénale (C. pén., art. 705-2). ➜ Des moyens d’investigation accrus. La police fiscale a vu ses forces et moyens d’actions se diversifier. Un nouvel office a été créé afin de fusionner deux brigades préexistantes : la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) et la brigade nationale de lutte contre la corruption et la criminalité financière (BNLCCF). Des 24 policiers rompus aux enquêtes financières ont été affectés dès le mois d’octobre 2013 au nouvel Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales(15) (OCLCIFF), soit une petite centaine d’officiers fiscaux judiciaires, qui, bien que rattachés au ministère de l’Intérieur, sont les interlocuteurs naturels du nouveau parquet financier. ➜ Des lanceurs d’alertes protégés et des auteurs incités à la « délation ». L’article 35 de la loi du 6 décembre 2013 est venu protéger les lanceurs d’alerte contre toute mesure de « représailles » ou de discrimination qui serait prise à leur encontre(16). Est en outre instaurée une cause légale de diminution de peine en cas de fraude fiscale si l’auteur ou le complice du délit a averti l’autorité administrative ou judiciaire et a permis d’identifier les autres auteurs ou complices. Ces mécanismes sont empreints du droit pénal où la protection des repentis est assurée depuis la loi Perben 2 du 9 mars 2004 ayant introduit dans le Code pénal et dans le Code de procédure pénale des dispositions à leur égard. Ainsi la loi du 6 décembre 2013 fait-elle converger le droit pénal et le droit fiscal. II. – Droit d’inventaire : la création d’un droit pénal fiscal autonome ? Si la loi du 6 décembre 2013 a permis, dans une certaine mesure, d’uniformiser et de pénaliser les procédures de contrôle, le législateur n’a malheureusement pas réglé la question de la dualité des poursuites pénales et fiscales. A. – Perspectives européennes : « non bis in idem » et « présomption d’innocence » Un arrêt de 1958 qui n’a, à ce jour, jamais réellement fait l’objet d’un revirement de jurisprudence, consacre le principe d’indépendance entre les procédures administratives et les procédures pénales(17). Il est difficile de reconnaître un droit pénal fiscal sans qu’il y ait une convergence des décisions et des sanctions. Les impositions non retenues définitivement par le juge de l’impôt peuvent en effet donner lieu à une condamnation et à de l’emprisonnement ferme pour fraude fiscale(18). (15) D. n° 2013-960, 25 oct. 2013, portant création d’un office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales. (16) C. trav., art. L. 1132-3-3. (17) Le principe d’indépendance des procédures administratives et répressives est rappelé avec une grande constance par la chambre criminelle depuis un arrêt de 1958 (Cass. crim., 12 avr. 1958, Bull. crim., n° 147). (18) À titre d’exemple, un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 13 juin 2012 donne une nouvelle illustration d’une application stricte du principe d’indépendance des procédures fiscales et pénales : Cass. crim., 13 juin 2012, n° 11-84.092 ; E. Meier et R. Torlet, L’indépendance des procédures fiscale et pénale ou quand un train peut en cacher un autre, Revue de droit fiscal 18 oct. 2012, n° 42. Revue Lamy Droit des Affaires Nº 114 AVRIL 2016 Le point sur… Droit pénal des affaires ➜ Le verrou européen du principe « non bis in idem ». Ainsi que l’a jugé la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), l’article 4 du Protocole n° 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (Conv. EDH) doit être analysé comme interdisant de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde infraction si cette dernière a pour origine « des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mêmes »(19). L’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dispose également que « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi ». Ce texte emporte donc une application du principe qui dépasse le cadre du droit interne. De même, l’article 14-7 du Pacte international de New-York relatif aux droits civils et politiques dispose que « nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays ». Enfin, en matière administrative en droit interne, l’autorité compétente ne peut prononcer une nouvelle sanction à raison de faits qu’elle a déjà précédemment sanctionnés, en vertu d’un principe général du droit(20). ➜ L’interprétation souple du principe en droit pénal fiscal français. Le principe non bis in idem ne s’oppose pas [ou pas encore], en droit interne, au cumul des poursuites et des sanctions pénales et administratives, dans la mesure où l’institution de chacun de ces types de sanctions repose sur des objets différents et tend à assurer la sauvegarde de valeurs et d’intérêts qui ne se confondent pas. Les conditions sont cependant que le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues(21) et que les constatations opérées par le juge pénal s’imposent au juge fiscal en application du principe dit « de l’autorité absolue de la chose jugée au pénal »(22). ➜ Les juridictions européennes saisies de la question. Au contraire, le droit européen invite les États à trancher pour l’une ou l’autre des procédures. En effet, la CEDH a rendu plusieurs décisions en ce sens, notamment l’arrêt Grande Stevens et a. c/ Italie du 4 mars 2014 en matière boursière ou encore l’arrêt Lucky Dev. c/ Suède du 27 novembre 2014, dans lequel la CEDH a appliqué ce principe en matière fiscale et enfin l’arrêt Kapetanios et a. c/ Grèce du 30 avril 2015 en matière douanière. Ces arrêts permettent une application relativement large du principe non bis in idem en décidant de l’impossibilité de condamner sur le plan pénal lorsque le juge administratif – ou l’Administration – a déjà rendu une décision relative aux mêmes faits. L’arrêt Grande Stevens juge qu’il n’est pas possible de poursuivre et de condamner la même personne pour les mêmes faits par une autorité administrative et par une autorité pénale. Sur le fondement du principe non bis in idem, la CEDH a remis en cause le double système de répression existant en droit boursier italien, très proche du système français. Elle a jugé qu’une sanction devenue définitive au plan pénal comme au plan administratif entraîne l’interruption automatique des poursuites dans l’autre voie répressive pour les mêmes faits. Ensuite, l’arrêt Lucky Dev pose la règle selon laquelle le cumul entre deux procédures n’est proscrit qu’à compter de la survenance d’une décision définitive ayant mis un terme à l’une d’entre elles. Autrement dit, ni le principe non bis in idem ni, a fortiori, le principe de présomption d’innocence n’exclut que deux procédures répressives soient mises en œuvre concurremment pour des faits identiques. La Cour juge que « l’article 4 du Protocole n° 7 ne fournit pas de protection contre la litispendance ». Ce n’est qu’à compter d’une telle décision que les obligations liées à l’interdiction du cumul répressif pèsent sur les autorités répressives. Et la raison en est simple : tant qu’aucune des procédures n’a pris fin par une décision définitive, l’innocence est certes présumée mais pas encore proclamée et, surtout, l’intérêt poursuivi par les autorités répressives n’a pas pu être satisfait par un juge. Enfin, l’arrêt Kapetanios a permis à la Cour de Strasbourg de répondre à la question désormais classique et récurrente de la possibilité de soumettre un individu ayant déjà fait l’objet d’une décision à l’issue d’une première procédure à caractère pénal à une seconde procédure de même nature, et ce, à raison des mêmes faits. Tout aussi classiquement, la juridiction strasbourgeoise a répondu que cela constitue une violation non seulement de l’article 4 du Protocole n° 7 mais encore de l’article 6 § 2 de la Convention. C’est alors la présomption d’innocence, et non plus seulement le principe non bis in idem, qui fonde la condamnation pour manquement. La Cour a souhaité rappeler que pour assurer l’effectivité de la présomption d’innocence il faut empêcher que les individus ayant « bénéficié d’un acquittement ou d’un abandon de poursuites » soient traités « par des agents ou des autorités publics comme s’ils étaient en fait coupables de l’infraction qui leur avait été imputée ». On peut cependant, à juste titre, être troublé par la confusion qui semble être faite entre « acquittement » et « abandon des poursuites »… ➜ La question de la qualification de la double peine. (19) CEDH, 10 févr. 2009, aff. 14939/03, Zolotoukhine c/ Russie. (20) CE, 23 avr. 1958, Commune de Petit-Quevilly. (21) Cons. const., 17 janv. 2013, n° 2012-289 QPC. (22) CE, 9e et 10e s.-s., 5 nov. 2014, nos 356148 et 357672, Smet et Ministre. Nº 114 AVRIL 2016 S’agissant du principe de l’interdiction de la double peine, la Cour de justice de l’Union européenne juge, de son côté, qu’il ne s’oppose pas à ce qu’un État membre impose, pour les mêmes faits de fraude une combinaison de sanctions fiscales Revue Lamy Droit des Affaires 25 et pénales dans son droit interne(23). Ce n’est que lorsque la sanction fiscale revêt un caractère pénal, et qu’elle est devenue définitive au sens de la Charte que le principe de l’interdiction de la double peine s’oppose à ce que des poursuites pénales pour les mêmes faits soient diligentées contre une même personne. Toutefois, la Cour de justice de Luxembourg(24) laisse le soin au juge national de déterminer si la sanction administrative revêt ou non un caractère pénal au sens des critères dégagés par la jurisprudence Engel(25) de la CEDH. La nature pénale des sanctions fiscales doit être appréciée à l’aune de ces trois critères : le premier est la qualification juridique de l’infraction en droit interne, le deuxième, la nature même de l’infraction et le troisième, la nature ainsi que le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé. Fort de ces éléments d’analyse européens, le Conseil constitutionnel a appliqué – récemment le 18 mars 2015 et pour le moment – de manière plus stricte le principe non bis in idem. En comparaison, le Conseil constitutionnel pose, en effet, davantage de conditions. Il en retient quatre(26) : outre l’identité de faits et l’identité de nature répressive des deux mesures qui peuvent leur être appliquées, les juges constitutionnels exigent également que les deux mécanismes répressifs poursuivent le même but, défendent le même intérêt social, et qu’ils soient mis en œuvre et contrôlés par le même ordre juridictionnel − ce que ne retient pas du tout la Cour européenne. En revanche, le Conseil constitutionnel n’exige pas la survenance d’une décision définitive mettant fin à l’une des réactions répressives. Au contraire, il juge qu’« une décision définitive d’une autorité administrative prononçant une sanction ayant le caractère d’une punition ne constitue pas une cause d’extinction de l’action publique ». Cependant, la France n’est pas à l’abri d’une condamnation européenne pour violation du principe non bis in idem, et ce, malgré le progrès constitué d’une part par cette décision du 18 mars 2015 en matière boursière et d’autre part par l’arrêt de la Cour de cassation le 20 mai 2015(27) (décisions développées également ci-après). Cependant, les praticiens comme les « justiciables-contribuables » attendent encore que ce tournant jurisprudentiel soit plus clairement consacré, notamment en matière fiscale. B. – Perspectives françaises : « non bis in idem » et « nécessité des peines » Dès l’année dernière, le Conseil constitutionnel a jugé – pour le moment – que la dualité des sanctions pénales et boursières était contraire à la Constitution. (23) CJUE, 26 févr. 2013, aff. C-617/10, EU:C:2013:105, Fransson. ➜ L’impossibilité du cumul de poursuites disciplinaires et pénales en matière boursière en application de la décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015. Le 18 mars 2015, le Conseil constitutionnel a rendu une décision John L. et autres(28) déclarant non conforme à la Constitution le cumul de poursuites disciplinaires et pénales en matière boursière. Une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) avait été déposée en octobre 2014, le premier jour du procès pénal portant sur les prétendus délits d’initiés intervenus au sein du groupe EADS(29). Sept anciens dirigeants du groupe étaient poursuivis, ainsi que des représentants de deux actionnaires. Les intéressés invoquaient le fait qu’ils avaient déjà été poursuivis devant l’Autorité des marchés financiers (AMF), qui les avait blanchis pour les mêmes faits et que les nouvelles poursuites devant le juge pénal violaient la règle non bis in idem. Le Conseil a considéré que lorsqu’il y a identité de faits poursuivis, d’intérêts sociaux protégés, de sanctions et de juridiction concernée en cas de recours, la double poursuite enfreint l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen selon lequel « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Différentes dispositions du Code monétaire et financier ont été déclarées inconstitutionnelles(30). Ainsi, le principe de nécessité des peines est intervenu au secours du respect du principe non bis in idem en matière boursière, bien qu’une décision récente du Conseil constitutionnel en date du 14 janvier 2016 vienne tempérer une telle avancée. En effet, dans une décision n° 2015-513/514/526 QPC du 14 janvier 2016 - M. Alain D. et autres, appliquant les critères fixés par sa jurisprudence issue de sa décision du 18 mars 2015, le Conseil constitutionnel a jugé que le délit d’initié et le manquement d’initié devaient être regardés comme susceptibles de faire l’objet de sanctions de nature différente. Les observateurs sont en droit de penser que le Conseil n’entend pas consacrer sans réserve le principe non bis in idem ; ainsi certains cumuls de poursuites peuvent être invalidés, c’est en opportunité que le Conseil souhaite trancher en fonction des cas d’espèce qui lui seront soumis ? La Cour de cassation a, quant à elle, appliqué à la lettre la décision du Conseil constitutionnel rendue le 18 mars 2015 en matière boursière. ➜ Le pragmatisme de la Cour de cassation. Par un arrêt rendu par la chambre criminelle le 20 mai 2015, la Cour de cassation a fait preuve d’une grande réactivité, soucieuse semble-t-il de tenir compte immédiatement des décisions précitées du Conseil constitutionnel et de la Cour de Strasbourg. (24) CJUE, 26 févr. 2013, aff. C-617/10, préc. (25) CEDH, 8 juin 1976, aff. 5100/71, 5101/71, 5102/71, 5354/72, 5370/72, Engel c/ Pays-Bas. (26) Cons. const., 18 mars 2015, nos 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC, nos 19 à 33. (27) Cass. crim., 20 mai 2015, n° 13-83.489, publié au Bulletin. 26 (28) Cons. const., 18 mars 2015, nos 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC. (29) Devenu Airbus Group. (30) Not. C. mon. fin., art. L. 465-1 et L. 621-15 qui organisent la procédure disciplinaire devant cette autorité. Revue Lamy Droit des Affaires Nº 114 AVRIL 2016 Le point sur… Droit pénal des affaires Le revirement du 20 mai 2015 révèle tout le pragmatisme dont est parfois capable la chambre criminelle de la Cour de cassation. Cet arrêt, rendu au visa de l’article 4 du Protocole n° 7 de la Conv. EDH et des articles 61-1 et 62 de la Constitution par référence à la déclaration d’inconstitutionnalité du Conseil du 18 mars 2015, permet à la Cour de cassation de juger de l’impossibilité du cumul des poursuites pour manquements et délits financiers. La chambre criminelle a jugé, en effet, que doit être annulé l’arrêt ayant condamné le prévenu pour des faits identiques à ceux pour lesquels la Commission des sanctions de l’AMF avait antérieurement statué à son encontre de manière définitive. L’annulation a, bien-sûr, lieu sans renvoi puisqu’aucune poursuite ne peut dès lors être engagée à l’encontre du prévenu devant le juge judiciaire. Les textes du Code monétaire et financier sur lesquels s’était appuyée la cour d’appel de Paris(31) en son arrêt du 22 avril 2013 sont ceux qui ont été déclarés contraires à la Constitution, postérieurement, par le Conseil constitutionnel le 18 mars 2015. La Cour de cassation adresse ici un message clair : d’une part, toutes les décisions rendues, susceptibles de constituer un cumul de sanctions, seront à l’avenir cassées sans renvoi sur la base des principes de nécessité des peines et non bis idem et, d’autre part, elle rappelle sa fidélité aux textes européens. Du reste et en tout état de cause, il était donc inévitable et très tentant que la non-conformité à la Constitution soit également soulevée en matière fiscale par la voie de la QPC. ➜ Deux QPC ont donc été posées en matière fiscale. Dans un laps de temps très court, deux QPC ont été récemment transmises à la Cour de cassation visant à mettre fin aux doubles sanctions pénale et fiscale pour des mêmes faits. ➜ La QPC Wildenstein. Le 6 janvier 2016, le tribunal correctionnel de Paris a transmis à la Cour de cassation la QPC déposée par la défense de Guy et Alec Wildenstein, poursuivis pour fraude fiscale et blanchiment aggravé. Le procès est ainsi suspendu jusqu’au 4 mai, dans l’attente de la décision de la Cour de cassation sur une éventuelle transmission de la QPC au Conseil constitutionnel. La défense de Guy et Alec Wildenstein s’appuie sur les arrêts de la CEDH précités et sur la décision John L. et autres du 18 mars 2015 rendue par le Conseil constitutionnel, espérant ainsi faire franchir un pas supplémentaire au droit français en mettant fin aux doubles poursuites administratives et pénales en matière fiscale. ➜ La QPC Cahuzac. Le mercredi 10 février 2016, le tribunal correctionnel de Paris a également suspendu – jusqu’au 5 septembre – le procès de l’ancien ministre du Budget, Jérôme Cahuzac. Ce dernier comparaissait pour fraude fiscale, blanchiment, (31) CA Paris, 22 avr. 2013, n° RG : 12/03600 Nº 114 AVRIL 2016 et pour avoir « minoré » sa déclaration de patrimoine en entrant au Gouvernement en 2012. Le tribunal correctionnel a en effet jugé recevable une QPC qui conteste le cumul de sanctions pénales et fiscales, en matière d’impôt sur la fortune. Les avocats ont rappelé que leurs clients(32) avaient déjà « accepté un redressement fiscal majoré de 80 % », d’un montant de plus de 2,3 millions d’euros, dont 500 000 euros de pénalités. Les arguments de la défense s’appuient notamment sur la Convention européenne des droits de l’homme et sur le pacte international relatif aux droits civils et politiques qui prévoient le principe non bis in idem. Sur le plan constitutionnel, les avocats se fondent sur le principe de proportionnalité et de nécessité des peines issu de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui précise que « La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». ➜ Mettre fin aux doubles sanctions. L’enjeu de ces QPC est considérable : la défense entend en effet, dans chacune des affaires, faire constater par le Conseil constitutionnel que les doubles poursuites administratives et pénales en matière fiscale sont contraires au principe de la nécessité des peines. Le Conseil constitutionnel mettra-t-il fin aux doubles sanctions en matière fiscale? Certaines difficultés demeurent ; ces affaires concernent la matière fiscale qui est dominée par l’autonomie du droit fiscal. Ce principe d’autonomie pourrait conduire le Conseil constitutionnel, dans l’hypothèse où les QPC lui seraient transmises, à rendre des décisions bien différentes de celles rendues en matière boursière. Le mot du romancier « Il est fort triste que (...) nous soyons constitués de deux moitiés qui font toutes deux la même chose, de sorte que tout se produit deux fois » serait alors à cogiter(33). ➜ Clairvoyances. Le législateur ne semble pas prêt – dans l’immédiat – à « sanctuariser » le respect des principes non bis in idem, de la nécessité des peines voire de la présomption d’innocence, en matière de lutte contre la fraude fiscale. Celle-ci reste, en effet, la priorité affichée. [À titre d’exemple, le projet de loi Sapin II relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, qui sera examiné au printemps(34), doit venir compléter la loi du 6 décembre 2013. Cette loi pourrait être l’occasion d’obliger les entreprises à publier des informations clés sur leurs activités internationales d’une part, de renforcer la lutte contre la corruption et la fraude fiscale d’autre part et enfin de protéger davantage les lanceurs d’alerte…] Le salut viendra-t-il du Conseil constitutionnel et de la chambre criminelle ? On peut en douter au risque d’être démenti par des décisions à intervenir dans les dossiers Cahuzac et Wildenstein ! n (32) Patricia Cahuzac est également prévenue dans cette affaire. (33) G. Büchner, La mort de Danton, cité en en tête par E. Rosenfeld et J. Veil dans Sanctions administratives, Sanctions pénales, Pouvoirs 2009/1, n° 128, p. 61 (34) Le projet de loi a été présenté en conseil des ministres le 30 mars 2016. Revue Lamy Droit des Affaires 27 RLDA 5895 Les saisies pénales appliquées à la matière fiscale Depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2010768 du 9 juillet 2010 ayant vocation à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale, l’auteur d’un blanchiment de fraude fiscale, personne physique, encourt le risque de voir l’ensemble de son patrimoine confisqué. Cette saisie à titre de garantie de condamnations pénales à venir est parfaitement exorbitante du droit commun des saisies. Au contraire des procédures civiles d’exécution, elle ne prévoit pas de fraction insaisissable du patrimoine saisi(1). En effet, l’alinéa 6 de l’article 131-21 du code pénal permet, lorsque la loi qui réprime le crime ou le délit le prévoit, la confiscation de l’ensemble du patrimoine d’une personne. Or, en matière de blanchiment une telle « saisie de patrimoine » du condamné est prévue pour les personnes physiques(2). L’un des objectifs de cette loi est de permettre à l’autorité judiciaire de pratiquer des « saisies spéciales » sur des biens pouvant faire en cas de condamnation l’objet d’une confiscation définitive au titre de peine complémentaire. Le but est ici de garantir et ce, dès avant la condamnation pénale, l’effectivité de la future peine qui pourra être prononcée(3). Aux termes de l’article 706-141 du code de procédure pénale, la saisie spéciale peut avoir lieu pour toute poursuite concernant des infractions pour lesquelles le juge pénal peut prononcer une peine complémentaire de confiscation selon les conditions définies à l’article 131-21 du code pénal. C’est dire qu’avant même d’être condamnées, à un stade procédural où il ne leur est pas nécessairement indiqué l’infraction initiale qui aurait pu être commise, les personnes (1) J.-Cl. Procédure pénale, Fasc. 20, art. 706-141 à 706-147 (2) C. pén., art. 324-7 (3) D. Gutmann, La « pénalisation » du droit fiscal : mythe ou réalité ?, Cah. dr. entr. 2011, Fasc. 2, p. 21 28 physiques s’exposent à une confiscation de leur entier patrimoine. Du reste, aux termes l’article 131-21 du code pénal, une saisie spéciale, hors saisie de patrimoine, est encourue de plein droit pour les crimes et les délits punis d’une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à un an, ce qui inclut la fraude fiscale et le blanchiment de ce délit. En matière fiscale, les saisies à titre conservatoire concernent également les personnes morales, comme en témoigne l’affaire UBS, « la banque devrait être renvoyée dans les mois qui viennent devant le tribunal correctionnel de Paris. Elle encourt une amende de plusieurs milliards d’euros, soit la moitié du montant global des valeurs dissimulées. C’est toute son économie et sa santé financière qui pourraient être bousculées. Le juge Daïeff évaluait en 2014 les actifs français occultes d’UBS entre 13 et 23 milliards d’euros. Chiffre contesté par la banque, qui a pourtant déjà dû s’acquitter d’une caution judiciaire record de 1,1 milliard d’euros. Montant vertigineux…»(4) Par Emmanuel DAOUD Avocat associé Cabinet VIGO Membre du Conseil de l’Ordre Et Maud SOBEL Avocat à la Cour Cabinet VIGO Aussi, la présente chronique est-elle l’occasion de s’arrêter sur les évolutions concernant les saisies pratiquées en matière pénale à titre conservatoire lorsqu’elles ont vocation à s’appliquer en matière de droit pénal fiscal. À cet égard, la régularité des interventions législatives en matière de saisie pénale révèle la volonté du législateur de rendre les procédures pénales de saisie du produit des crimes et des délits plus simples et plus efficaces, en vue de permettre un usage étendu de la peine complémentaire de confiscation de ce produit sous l’impulsion notamment de l’Union européenne(5). (4) Le Monde.fr, Fraude fiscale : les secrets du « système UBS », 17 févr. 2015 ; Cass. crim., 17 déc. 2014, n° 14-86.560 (5) Communication Comm. CE, Produit du crime organisé, Garantir que « le crime ne paie pas », COM(2008) 766 final Revue Lamy Droit des Affaires Nº 114 AVRIL 2016 Le point sur… Droit pénal des affaires C’est pourquoi, les mesures conservatoires de saisie et de confiscation en matière pénale visent désormais à atteindre le patrimoine criminel pour assurer une sorte de sécurité juridique – dans la « préservation de l’exécution d’une éventuelle condamnation et soustraction, dès la phase d’enquête, des moyens nécessaires au délinquant pour commettre de nouvelles infractions »(6), et ce y compris dans les procédures de fraude fiscale. Ce double objectif de prévention du crime et de garantie des condamnations futures ouvre la voie à une confiscation déconnectée du produit de l’infraction poursuivie. Ainsi, le dispositif législatif actuel offre aux magistrats la garantie de pouvoir rendre indisponibles les profits illégalement réalisés (I), qui sont désormais en grande majorité appréhendables (II) ce qui n’est pas sans poser la question du respect de certains principes (III). I. – La garantie de l’indisponibilité des profits réalisés illégalement A. – Quatre saisies spéciales Il existe quatre saisies spéciales : les saisies de patrimoine(7), les saisies immobilières(8), les saisies de biens incorporels(9)– qui comprennent notamment les saisies de comptes de dépôts(10), les saisies de créances de sommes d’argent(11), les saisies de contrats d’assurance-vie(12) et les saisies de fonds de commerce(13) – et enfin les saisies sans dépossession(14). Les saisies spéciales ne sont pas des procédures particulières réunies artificiellement, elles sont régies par un ensemble cohérent de dispositions communes(15). « Le fait que le critère d’application de certaines saisies tient à la nature du bien saisi, alors que celui d’autres tient au fondement juridique de la saisie, est générateur de concours de procédures »(16) Par exemple, le bien peut être confiscable sur plusieurs fondements : à titre de confiscation de patrimoine et à (6) F. Dupuis, Les saisies en matière pénale, de l’opportun à l’opportunisme, Procédures 2014, étude 6 (7) C. pr. pén., art. 706-148 à 706-149 (8) C. pr. pén., art. 706-150 à 706-152 (9) C. pr. pén., art. 706-153 à 706-157 titre de bien immobilier, celui-ci étant de surcroît confiscable sur un autre fondement, notamment parce qu’il est le produit ou l’instrument de l’infraction. Dès lors, ces mesures conservatoires nourrissent un contentieux fourni, car ces dispositions sont sources de complexité pour les praticiens. La jurisprudence a eu l’occasion de régler le conflit entre les saisies de patrimoine et les saisies de compte bancaire. Le magistrat qui ordonne la saisie d’un patrimoine fût-il composé d’un compte bancaire doit respecter les règles applicables à cette saisie spéciale, notamment l’avis préalable du ministère public, dans un second temps viendront s’appliquer les règles relatives à la nature du bien(17). Toutefois retenons que les saisies spéciales s’opèrent dans des conditions faiblement différenciées. À titre d’exemple, concernant les saisies immobilières, ce sont leurs effets qui sont particuliers « pour des motifs tirés de la nécessité de la publicité foncière »(18). B. – La primauté du caractère confiscable du bien saisi Le principe est celui du caractère saisissable de tout bien confiscable. La loi n° 2012-409 du 27 mars 2012 ajoute un article 706141-1 qui dispose que « la saisie peut également être ordonnée en valeur » sans que cette saisie ne soit désormais subordonnée à l’hypothèse où la chose confisquée n’a pas été saisie ou ne peut pas être représentée. L’intérêt de la saisie en valeur est de permettre de préférer les biens sur lesquels la décision sera exécutée facilement, car aux termes de l’article 706-141-1, la saisie en valeur s’opèrera alors selon les règles relatives à la nature des biens sur lesquels elle s’effectuera. En effet, si la saisie de l’immeuble acquis avec le produit de l’infraction sur le fondement de l’article 706-141-1 présente un caractère délicat, une saisie en valeur pourra être effectuée sur les sommes inscrites au crédit de comptes bancaires pour un montant équivalent à la valeur de cet immeuble. Ainsi donc, en vue du prononcé de la peine de confiscation en valeur, les magistrats peuvent saisir l’ensemble des biens de la personne poursuivie, dans la limite du produit de l’infraction sans qu’il soit nécessaire d’établir que le bien saisi en valeur est le produit de cette infraction(19). (10) C. pr. pén., art. 706-154 (11) C. pr. pén., art. 706-155, al. 1er (17) voir par ex. Cass. crim., 11 juill. 2012, n° 12-82.050, Bull. crim., n° 168 ; Cass. crim., 27 nov. 2012, n° 12-85.344, Bull. crim., n° 259, Dalloz actualité 18 déc. 2012, obs. M. Léna. (12) C. pr. pén., art. 706-155, al. 2 (13) C. pr. pén., art. 706-157 (14) C. pr. pén., art. 706-158 (15) C. pr. pén., art. 706-141 à 706-147 (18) L. Ascensi, État des saisies et confiscations immobilières, AJ pénal 2016, p. 66 (16) voir L. Ascensi, Saisies spéciales in Rép. Droit pénal et procédure pénale Dalloz, n° 14, sept. 2014 (19) voir L. Ascensi, Saisies spéciales in Rép. Droit pénal et procédure pénale Dalloz, n° 14, sept. 2014 Nº 114 AVRIL 2016 Revue Lamy Droit des Affaires 29 II. – L’appréhension des profits prétendument illicites En principe, le dispositif en vigueur permet de saisir et confisquer des biens, à la hauteur du produit de l’infraction. Même la lutte contre les montages et les « écrans » ne devrait pas pouvoir justifier l’abandon de la nécessaire proportionnalité entre la sanction et l’infraction dans la pratique judiciaire. Pourtant, l’atteinte au principe de proportionnalité ou de nécessité s’observe dans la corrélation désormais effective entre la saisie et l’importance du produit de l’infraction. Notamment, le patrimoine d’une personne mis en cause ou encore les biens dont il a seulement la libre disposition peuvent être saisis à tous les stades de la procédure. En effet, les saisies de patrimoine présentent une efficacité redoutable dans la dissuasion et la répression puisqu’elles peuvent porter sur des biens dont la valeur excède le produit de l’infraction. A. – L’extension des saisies de patrimoine Le champ des saisies de patrimoine – prévues en matière de blanchiment et donc de blanchiment de fraude fiscale – est constamment élargi, la liste des infractions concernées ne cesse de croître. Les saisies de patrimoine ne peuvent porter que sur les seuls biens « dont la confiscation est prévue en application des cinquième et sixième alinéas de l’article 131-21 du code pénal lorsque la loi qui réprime le crime ou le délit le prévoit ou lorsque l’origine de ces biens ne peut être établie ». En effet, conformément à l’article 131-21, alinéa 5, du code pénal, « s’il s’agit d’un crime ou d’un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement et ayant procuré un profit direct ou indirect, la confiscation porte également sur les biens meubles ou immeubles, quelle qu’en soit la nature, divis ou indivis, appartenant au condamné ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition, lorsque ni le condamné ni le propriétaire, mis en mesure de s’expliquer sur les biens dont la confiscation est envisagée, n’ont pu en justifier l’origine ». La loi instaure ainsi une présomption, c’est au mis en cause de justifier l’origine licite des biens considérés. Cette inversion de la charge de la preuve peut être très difficile à renverser s’agissant d’une infraction secondaire comme le blanchiment de fraude fiscale(20). En outre, en vertu de l’article 131-21, alinéa 6, du code pénal, « lorsque la loi qui réprime le crime ou le délit le pré- voit, la confiscation peut aussi porter sur tout ou partie des biens appartenant au condamné ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition, quelle qu’en soit la nature, meubles ou immeubles, divis ou indivis ». Ainsi, deux types de biens peuvent faire l’objet d’une saisie de patrimoine : les biens dont l’origine n’a pas été justifiée et l’ensemble des biens composant le patrimoine de la personne poursuivie. L’autonomie des saisies spéciales était annoncée dans les travaux préparatoires de la loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010 avec la mise en place d’une procédure de saisie pénale, « distincte des procédures civiles d’exécution »(21). Ainsi, la saisie pénale de patrimoine s’affranchit des limites imposées dans le cadre des procédures civiles d’exécution puisqu’il n’est pas prévu de fraction insaisissable du patrimoine(22). B. – La lutte contre les montages juridiques et le concept de « libre disposition » Peuvent également être saisis des biens dont le mis en cause n’est pas propriétaire ou bien dont ce dernier a seulement la « libre disposition ». Pour mémoire, en vertu des dispositions de l’article 131-21 du code pénal peuvent désormais être confisqués, donc faire l’objet d’une saisie de patrimoine, non seulement les biens appartenant au condamné, mais également ceux « sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition ». Mieux encore, certains biens peuvent être confisqués, donc saisis, indépendamment de toute référence à la propriété ou même à la libre disposition de ceux-ci dans les cas suivants : (i) confiscation du bien qui est l’objet ou le produit direct ou indirect de l’infraction, fut-il un immeuble(23) ; (ii) confiscation des biens meubles ou immeubles définis par le texte qui réprime l’infraction ; (iii) confiscation des biens qualifiés de dangereux ou nuisibles par la loi ou le règlement, ou dont la détention est illicite. Par ailleurs, la chambre criminelle a développé une conception économique de la notion de « libre disposition », et « ce conformément aux intentions du législateur qui étaient précisément de dépasser l’apparence juridique pour permettre la saisie des biens du propriétaire économique réel »(24) et de lutter contre les montages juridiques fictifs et les sociétés écrans. (21) J.-L. Warsmann et G. Geoffroy, Proposition de loi AN n° 1255, visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale, 2008-2009 (22) J-Cl. Procédure pénale, Fasc. 20, art. 706-141 et 706-147 (23) Cass. crim., 4 sept. 2012, n°11-87.143, Bull. crim., n° 178 ; Cass. crim., 23 juill. 2014, n°13-85.558 (20) voir M. Sobel et E. Daoud, Le blanchiment de fraude fiscale, RLDA 2013/83, n° 4647. 30 (24) voir L. Ascensi, Saisies spéciales in Rép. Droit pénal et procédure pénale Dalloz, sept. 2014 Revue Lamy Droit des Affaires Nº 114 AVRIL 2016 Le point sur… Droit pénal des affaires La lutte contre les montages juridiques s’épanouit naturellement en droit pénal fiscal. tion qui pourrait être ultérieurement prononcée à l’encontre de la personne condamnée. La chambre criminelle a mis cette conception en pratique dans différentes affaires. Dans un arrêt en date du 23 mai 2013(25), la chambre criminelle a approuvé la saisie d’un bien appartenant à une société car « les héritiers indivisaires susceptibles d’être mis en examen du chef de blanchiment, qui détiennent 99,5 % des parts de la société civile immobilière, ont le pouvoir de décider de l’affectation de l’actif net social résultant de la vente de l’immeuble de cette société, de sorte qu’ils ont la libre disposition de cet élément d’actif, au sens des articles susvisés, dans leur rédaction issue de la loi du 27 mars 2012 ». La chambre criminelle a ensuite eu l’occasion de confirmer sa jurisprudence(26) puisqu’elle décide qu’est justifiée une ordonnance de saisie car la confiscation des biens prévue par l’article 131-21, alinéa 6, du code pénal, concerne tous les biens dont les mis en examen ont la libre disposition dans une affaire où avait été rendue « une ordonnance de saisie d’un immeuble appartenant à une société civile immobilière X... , dont les intéressés sont les uniques porteurs de parts, de sorte qu’ils ont la libre disposition de cet immeuble». Si la loi n° 2012-409 du 27 mars 2012 donne un fondement légal aux enquêtes patrimoniales réalisées parallèlement à l’enquête portant sur l’établissement des faits, les moments où les saisies peuvent être opérées mettent nécessairement à mal le principe de proportionnalité. Dans l’affaire dite des biens mal acquis, c’est un ensemble immobilier racheté par la Guinée équatoriale dont il était soutenu qu’il était affecté à un usage diplomatique qui a été saisi puisque peuvent l’être tous les biens qui sont l’objet ou le produit direct ou indirect de l’infraction, y compris présumée(27). L’efficacité des saisies pénales, applicables en droit pénal fiscal, s’inscrit donc dans une prise de distance vis-à-vis du droit de propriété. Dès lors, la facilitation des saisies et des confiscations en matière pénale doit être corrélée au risque d’une atteinte à des principes à valeur constitutionnelle. III. – L’abandon de certains principes A. – Le moment de la saisie pénale et l’atteinte au principe de proportionnalité Désormais, les biens sont confiscables à tous les stades de la procédure pénale. Les dispositions de la loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010 permettent par conséquent aux magistrats de procéder dans le cadre de l’enquête de flagrance, de l’enquête préliminaire et de l’instruction, à des saisies destinées à garantir l’exécution de la peine de confisca- (25) Cass. crim., 23 mai 2013, no 12-87.473, Bull. crim., n° 113 (26) Cass. crim., 29 janv. 2014, nos 13-80.062 et 13-80.063, Bull. crim., n° 32 (27) Cass. crim., 5 mars 2014, n° 13-84.977, Bull. crim., n° 67 ; Cass. crim., 5 mars 2014, n° 13-84.978, Bull. crim., n° 65 Nº 114 AVRIL 2016 L’efficacité des saisies pénales, applicables en droit pénal fiscal, s’inscrit donc dans une prise de distance vis-à-vis du droit de propriété. En effet, il peut paraître illusoire de prétendre à une quelconque proportionnalité au stade de l’enquête de flagrance – c’est-à-dire à un stade procédural où l’infraction recherchée n’est pas nécessairement imputable de manière certaine à la personne mise en cause – ou encore pendant une information judiciaire complexe mais non achevée. Ces étapes de la procédure pénale ne permettent pas souvent de définir ni un éventuel préjudice, ni un quantum « proportionnel » en vue d’une confiscation. Or, la pratique judiciaire a généré une « inflation » des montants dont certains pourraient se réjouir comme si la justice française devait s’inspirer de la justice américaine (comme en témoigne par exemple le cautionnement ordonné dans l’affaire UBS). Les montants sont tels que l’on pourrait parler d’une sorte de « pré-condamnation » en ce qu’elle aboutirait à une insolvabilité des personnes dont les biens sont saisis et, s’il s’agit d’entreprises, à mettre en péril leur activité économique et leur pérennité. Au reste, les saisies pénales s’accompagnent inévitablement d’une certaine publicité ; ainsi les sociétés cotées devront publier leurs comptes portant mention de ces mesures de saisies, la saisie de fonds de commerce sera inscrite au BODACC, etc. Dès lors, l’atteinte à la présomption d’innocence et à tout le moins à la réputation des personnes dont les biens sont saisis est incontestable. Au reste, les textes qui constituent la clef de voûte d’un État de droit contiennent de manière univoque l’exigence d’une nécessité des atteintes aux droits fondamentaux. Ne serait-ce qu’en droit interne, le principe de nécessité ou de proportionnalité résulte notamment de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (DDHC) et, partant, du « bloc de constitutionnalité ». En effet, l’article 8 de la DDHC de 1789 énonce que « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». L’article 17 de la DDHC de 1789 affirme que « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement Revue Lamy Droit des Affaires 31 constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ». tant qu’à ce stade procédural, les droits de la défense sont malmenés. La pratique de saisies pénales qui ne seraient pas « proportionnées » contrevenant à ces principes constitutionnels, semble se développer. La violation des articles 2, 8, 9, 16, 17 de la DDHC, ou encore l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la violation des droits de la défense et de la présomption d’innocence sont régulièrement invoquées lors des appels à l’encontre des décisions de saisie(28) La loi du 6 décembre 2013 – au sujet de laquelle certains auteurs ont alerté sur le déséquilibre entre « l’utile et le juste »(29) – précise que l’appelant, qu’il soit propriétaire du bien saisi ou un tiers ayant des droits sur ce bien, ne peut prétendre qu’à la mise à disposition des seules pièces de la procédure se rapportant à la saisie qu’il conteste. Ces pièces de procédure se rapportant à la saisie contestée ne sont pas énumérées. S’agit-il de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention ou du juge d’instruction, de l’éventuelle requête du procureur de la République, et du procès-verbal de saisie ? Rappelons encore que le principe de proportionnalité, contenu dans l’article préliminaire du Code de procédure pénale en III, alinéa 4, ainsi rédigé : « Les mesures de contraintes dont la personne suspectée ou poursuivie peut faire l’objet sont prises sur décision ou sous le contrôle effectif de l’autorité judiciaire. Elles doivent être strictement limitées aux nécessités de la procédure, proportionnées à la gravité de l’infraction reprochée et ne pas porter atteinte à la dignité de la personne humaine », ne semble pouvoir être sacrifié à aucun endroit de la procédure pénale. Or, aucune des dispositions législatives relatives aux saisies pénales ne prévoit l’application d’une limite matérialisée par les principes de nécessité ou de proportionnalité, ce qui offre une grande latitude aux magistrats qui les ordonnent. L’arbitraire n’est pas absent dans certaines procédures : ainsi, il fut un temps où l’on évoquait la « détention-pression » ; aujourd’hui, la pratique pénale conduit à s’interroger parfois sur la pratique de la « saisie-pression ». B. – Les recours à l’encontre des décisions de saisies conservatoires Comme une atteinte à la propriété ne peut se comprendre qu’en cas de nécessité et que le rapport de proportionnalité entre l’infraction et la sanction s’applique a fortiori naturellement à la préparation d’une éventuelle sanction ultérieure de confiscation par le moyen d’une saisie, de l’abandon de ces principes fondamentaux résulte une atteinte aux droits de la défense. Même si les intéressés (ministère public, propriétaire du bien saisi et tiers susceptibles d’avoir des droits sur le bien qui peuvent exercer leur droit d’appel) disposent, dans un délai de dix jours suivant la notification de la décision de saisie, d’un appel non suspensif porté devant la chambre de l’instruction à l’encontre des décisions de saisie, en raison de l’absence d’exigence de proportionnalité ou de nécessité, il est pour le moins difficile pour le justiciable d’obtenir l’infirmation des ordonnances de saisie. D’au- Ainsi, en application stricte de la procédure pénale, ne peuvent avoir accès à l’intégralité du dossier que les seuls appelants ayant par ailleurs le statut de partie à la procédure. Or, rappelons qu’en vertu du moment indifférent de la procédure conservatoire lors duquel s’opère la saisie pénale, il restera rare en pratique que cette saisie, qui a pour vocation d’éviter la dissipation des biens, ne s’opère qu’après la mise en examen. Comment contester efficacement une saisie si le conseil de l’appelant ne dispose que d’un accès limité à la procédure ne lui permettant pas de comprendre les griefs qui seront reprochés à son client ou encore d’évaluer le produit du blanchiment de fraude fiscale poursuivi ? La chambre criminelle a pourtant clairement considéré que les nouvelles dispositions ne méconnaissaient aucune des dispositions conventionnelles invoquées(30), en ce qu’elles garantissaient « un juste équilibre entre les droits de la personne concernée par la saisie et la nécessité de protéger le secret de l’enquête et de l’instruction »(31). Conclusion En principe, il convient de distinguer les outils de confiscation de ceux servant à garantir les amendes et la réparation des parties civiles. Les saisies spéciales ont pour objet « de garantir l’exécution de la peine complémentaire de confiscation selon les conditions définies à l’article 131-21 du code pénal » tandis que les mesures des articles 706-103 et 706-166 ou encore le cautionnement de l’article 142 du code de procédure pénale, ne s’appliquent que pour garantir le paiement des amendes et l’indemnisation des victimes de la criminalité organisée. Pour autant cette classification est brouillée par la rédaction de l’article 706-164 modifié par la loi n° 2014-1 du (29) Ch. Cutajar, La lutte contre la fraude fiscale à l’épreuve des droits fondamentaux, JCP G 2013, n° 824 (28) voir Cass. crim., 4 sept. 2012, n° 11-87.143, Bull. crim., n° 178 ou Cass. crim., 27 nov. 2012, n° 12-85.344, Bull. crim., n° 259 32 (30) Conv. EDH, art. 6 et 13 et Protocole n° 1 à la Conv. EDH, art. 1er (31) Cass. crim., 25 févr. 2015, n° 14-86.447, Bull. crim., n° 36 Revue Lamy Droit des Affaires Nº 114 AVRIL 2016 Le point sur… Droit pénal des affaires 2 janvier 2014 car il prévoit, en cas de condamnation définitive, une indemnisation prioritaire des parties civiles sur les avoirs confisqués ; c’est donc un impératif de sécurité juridique que poursuivent désormais les procédures de saisies pénales spéciales. les biens du banni »(C. Beccaria, Des délits et des peines in Chapitre XXV, Du bannissement et des confiscations, 1764 ). Quelle sera la place de l’administration fiscale, partie civile, dans ce dispositif ? Pourrait-elle solliciter des sommes qu’elle n’aurait pas intégrées dans l’assiette d’un redressement préalable ? Au vu des dernières évolutions (législatives et jurisprudentielles) du droit positif, les risques générés par la saisie d’actifs sont de plus en plus importants pour les personnes morales et a fortiori pour une personne physique, dès lors que leur réputation, leur activité, voire parfois leur existence sont en péril tandis que les droits de la défense sont malmenés dans la contestation des décisions de saisies. L’objectif louable qui est celui du législateur – appréhender l’illicite pour prévenir la délinquance économique et garantir les condamnations futures – n’est pas sans poser de difficultés à l’épreuve des droits fondamentaux. Aujourd’hui, le risque pour l’auteur d’infractions comme le blanchiment de fraude fiscale n’est pas seulement un risque pénal mais également un risque économique. Ce risque n’est plus théorique. Ce lien immuable, dans un État de droit, entre les délits et les peines que constitue le principe de proportionnalité, a pourtant été mis en évidence depuis bien longtemps par Beccaria : « La perte des biens est une peine plus grande que celle du bannissement. Il doit donc y avoir des cas où pour proportionner la peine au crime on confisquera tous Aux avocats notamment dans le cadre des procédures de compliance de cartographier ce risque ; ou bien encore, au moment de délivrer des conseils en matière fiscale pour les fiscalistes, d’alerter les justiciables, personnes physiques ou personnes morales, de la réalité de ce risque pénal fiscal qui ne cesse de prendre de l’ampleur… n BULLETIN D’ABONNEMENT À retourner à l’adresse suivante : Wolters Kluwer France - Service Marketing - CP 722 - 14, rue Fructidor 75814 Paris cedex 17 - Email : [email protected] 0 825 08 08 00 0,15 € / min Oui, je m’abonne pour 1 AN à la Revue Lamy droit des Affaires REVUE LAMY DROIT DES AFFAIRES 002703 074 Le mensuel du droit des affaires Titre Ref. Version Tarif HT TVA Tarif TTC Reue Lamy droit des Affaires 00063 ¨ Papier (E-book inclus) 439 € 2,10 % 448,22 € TK063 ¨ E-book seul 439 € 2,10 % 448,22 € TOTAL Mme M. 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Revue Lamy Droit des Affaires Date et Signature : La signature de ce bon de commande emporte adhésion des conditions générales de vente consultables sur le site www.wkf.fr 33 Tribune RLDA 5896 Une manœuvre frauduleuse par simple mensonge ou réticence ? Dans une affaire prenant sa source dans la revente, en février 1993, de titres d’une société, acquis 18 mois plus tôt, différentes procédures ont été engagées qui avaient donné lieu à une décision de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 9 octobre 2005. En vue de mettre un terme à ce litige ainsi qu’à d’autres opposant les mêmes parties, mais qui n’avaient pas été soumis à la Cour de cassation, les mandataires judiciaires des vendeurs ont proposé la mise en place d’une procédure d’arbitrage. Après avoir pris des avis auprès de différents juristes, l’autre partie a retenu la proposition d’arbitrage, les actes nécessaires ayant été validé par l’autorité judiciaire (arbitrage autorisé par le juge commissaire de la procédure collective ; compromis homologué par le tribunal de commerce). La sentence a été rendue le 7 juillet 2008, et après avoir demandé plusieurs consultations, la partie perdante, par l’intermédiaire de ses organes de direction, a décidé de ne pas engager de recours en annulation. Trois ans plus tard, au vu d’un courrier émanant de certains parlementaires s’interrogeant sur les conditions du recours à l’arbitrage et la validité de celui-ci, le procureur général près la Cour de cassation saisissait la commission des requêtes de la Cour de justice de la République (CJR), laquelle émettait le 4 août 2011 un avis favorable à la saisine de la commission d’instruction de la CJR, pour faux et détournement de fonds publics. Le procureur général près la Cour de cassation prenait des réquisitions de soit informé 34 et de saisine de la commission d’instruction de la CJR. Peu de temps avant, le procureur général près la Cour des comptes a adressé un courrier au procureur de la République signifiant, à propos de l’arbitrage, des faits pouvant revêtir une qualification d’abus de pouvoirs. Après une enquête préliminaire, une information était ouverte au parquet de Paris, en novembre 2012, des chefs d’usage abusif des pouvoirs sociaux et de recel de ce délit. Après diverses investigations et versement au dossier d’une copie du dossier de la commission d’instruction de la CJR, le parquet, sur demande des magistrats instructeurs, délivrait un réquisitoire supplétif visant le faux et le détournement de fonds publics. Quelques mois plus tard, un des arbitres et l’avocat des demandeurs étaient placés en garde à vue, puis mis en examen au titre d’une escroquerie en bande organisée. Par Bernard BOULOC Professeur à l’École de droit de la Sorbonne Université Paris I - PanthéonSorbonne Les mis en examen ont, dans les délais, saisi la chambre de l’instruction de requêtes en nullité portant tant sur l’étendue de la saisine du juge d’instruction, la régularité de la garde à vue, la communication d’un dossier complet aux avocats, le choix de la qualification, que sur la possibilité d’une mise en examen en raison d’indices graves et concordants d’une participation à une escroquerie en bande organisée. La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a rejeté les différentes demandes d’annulation d’actes par des arrêts du 15 janvier 2015. Des pourvois ont été formés par les trois personnes mises en examen, mais ils ont été rejetés par trois Revue Lamy Droit des Affaires Nº 114 AVRIL 2016 Tribune arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 19 janvier 2016. mis en examen, comme auteurs ou complices des faits dont il est saisi. Nous ne retiendrons de ces arrêts que le moyen qui contestait la légalité de la mise en examen pour escroquerie en bande organisée. Deux points méritent attention : la manœuvre frauduleuse par une réticence et la bande organisée par deux personnes sans chef. La chambre de l’instruction avait considéré qu’elle n’était pas compétente pour apprécier la suffisance des charges retenues contre une personne mise en examen, mais qu’elle devait constater l’existence et la pertinence d’indices graves et concordants susceptibles de caractériser une participation à l’infraction poursuivie. Si notre droit pénal comporte aujourd’hui de nombreuses dispositions qui sanctionnent des omissions, tel n’est pas le cas du délit d’escroquerie qui est considéré, dans ses différentes composantes comme un délit d’action(1). Or dans l’affaire soumise à la Cour de cassation, il était reproché à l’avocat d’une partie et à celle-ci de ne pas avoir indiqué qu’ils avaient eu des relations d’affaires avec l’arbitre proposé, lequel s’était abstenu de faire état de cette situation dans sa déclaration d’indépendance. Elle avait relevé ensuite que la personne avait été mise en examen pour escroquerie en bande organisée pour avoir employé des manœuvres frauduleuses en participant à un simulacre d’arbitrage dans un contentieux opposant les sociétés du groupe T à l’établissement de défaisance de la banque, savoir en manœuvrant pour obtenir la désignation d’un arbitre favorable à T, pour avoir déjà fourni des prestations dans ce dossier, ainsi qu’en manœuvrant pour inciter l’établissement de défaisance à s’abstenir d’exercer un recours en récusation, après la découverte en octobre-novembre 2008, d’un mémoire d’honoraires de 1999 établi par l’arbitre en raison du litige avec la banque. En raison des différents éléments faisant apparaître une proximité entre l’arbitre et l’avocat de T (en raison de relations suivies antérieures à la désignation de l’arbitre), le processus décisionnel de mise en place de l’arbitrage avait pu être frauduleusement faussé et altéré dans ses exigences de loyauté et d’impartialité, de sorte qu’il existait des indices graves ou concordants lors de la mise en examen, si bien que cet acte ne sera pas annulé. Les intéressés ont contesté cette décision. Ils ont fait valoir tout d’abord que l’escroquerie consiste en la commission de manœuvres frauduleuses pour tromper une personne et l’amener à remettre des fonds ou valeurs ou à consentir un acte, et que le mensonge n’est pas constitutif de manœuvres frauduleuses, de sorte qu’en se bornant à relever le fait d’avoir omis de signaler connaître l’arbitre, acte ne consistant qu’en un mensonge par omission et non la commission de manœuvres, la chambre de l’instruction n’avait pas justifié sa décision. De plus, il était rappelé que dans un arbitrage chaque partie désigne un arbitre, de sorte que celui-ci a pu être choisi, en raison de ce qu’il pouvait être favorable à la thèse de celui qui l’avait désigné. Enfin il était reproché à la chambre de l’instruction de ne pas avoir établi en quoi consistait la bande organisée, laquelle requiert une structure organisée et une préméditation de l’infraction. Mais la chambre criminelle a rejeté sèchement ces critiques, car la chambre de l’instruction avait caractérisé la réunion par le juge d’instruction d’indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation des Nº 114 AVRIL 2016 Ces silences ou ces réticences ne sont que des omissions, lesquels ne peuvent valoir un acte positif pouvant altérer une procédure d’arbitrage, comprenant deux autres arbitres non mis en examen. Au demeurant, il est de principe qu’un simple mensonge, non assorti d’éléments venant l’appuyer ne peut pas constituer une manœuvre frauduleuse(2). Il est vrai que certains auteurs se sont demandés si la jurisprudence n’avait pas parfois consacré des exceptions à ce principe(3). Hors le cas d’abus de la qualité vraie d’un agent immobilier ayant dissimulé sa qualité de contrepartiste(4), il est invoqué le cas de l’automobiliste qui a utilisé une rondelle métallique pour obtenir une décharge valant paiement du droit de stationnement(5), ou encore l’hypothèse de l’escroquerie au jugement, laquelle consiste à produire au juge des documents devenus sans valeur ou forgés spécialement pour tromper le juge(6). Il serait aussi (1) A. Lepage, Ph. Maistre du Chambon et R. Salomon, Droit pénal des affaires, LexisNexis, 4e éd., 2015, n° 150 ; M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, Dalloz, 7e éd, 2014, n° 144. (2) Cass. crim., 14 mai 1897, DP 1898, I, 61 ; Cass. crim., 15 mai 1931, S 1932, I, 398 ; Cass. crim., 11 févr. 1976, D. 1976, p. 295, rapp. Dauvergne ; Cass. crim., 8 janv. 2014, n° 13-80.442, Rev. sociétés 2014, p. 520, note B. Bouloc ; M. Véron, Droit pénal spécial, Sirey, 15e éd., 2015, n° 515 ; A. Lepage et H. Matsopoulou, Droit pénal spécial, PUF, 2015, n° 711 ; C. Masacala, Rép. Dalloz Droit pénal, voir Escroquerie n° 72 ; A. Lepage, Ph. Maistre du Chambon et R. Salomon, Droit pénal des affaires, LexisNexis, 4e éd., 2015, n° 141 ; M.-P. Lucas de Leyssac et A. Mihman, Droit pénal des affaires, Economica, 2009, n° 73. (3) M.-P. Lucas de Leyssac, L’escroquerie par simple mensonge ?, D. 1981, chron., p. 17. (4) Cass. crim., 1er mars 1973, n° 72-92.159, Bull. crim., n° 106 ; Cass. crim., 27 mars 1973, n° 72-90.743, Bull. crim., n° 151 ; Cass. crim., 8 juill. 1986, n° 85-90.088, Bull. crim., n° 232. (5) Cass. crim., 10 déc. 1970, n° 70-91.155, Bull. crim., n° 334, D. 1972, p. 155, note G. Roujou de Boubée ; Cass. crim., 29 mai 1978, n° 7490.413, Bull. crim., n° 170. (6) M. Véron, op. cit., n° 523 ; Cass. crim., 22 mars 1973, n° 72-90.523, Bull. crim., n° 147 ; Cass. crim., 4 mars 1991, n° 90-80.321, Bull. crim., n° 106. Revue Lamy Droit des Affaires 35 possible d’ajouter le cas du changement d’une étiquette sur une marchandise(7). Mais dans ces différentes situations, il y a acte positif de la part du prétendu escroc et une mise en scène. Or, dans le cas soumis à la Cour de cassation, le fait pour l’arbitre de ne pas avoir révélé les liens antérieurs qu’il avait eu avec l’avocat et avec le client ne constitue pas une manœuvre frauduleuse et la Cour de cassation, au vu des circonstances retenues par la chambre de l’instruction, aurait dû rappeler que, sans acte positif, une réticence ou un silence ne pouvait justifier une mise en examen au titre d’un délit d’escroquerie. Par ailleurs, la Cour de cassation n’a pas répondu à la question concernant la circonstance aggravante de bande organisée. Cette notion introduite dans le nouveau Code pénal en 1992 a fait l’objet d’une précision de la part du Conseil constitutionnel saisi de la loi du 9 mars 2004. Par sa décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004(8), il a estimé que la bande organisée se distinguait de l’association de malfaiteurs en ce que la bande suppose une organisation structurée, et il s’est référé à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée du 15 novembre 2000 pour qui il doit s’agir d’un groupe structuré de trois personnes ou plus(9). Sans doute, la Cour de cassation, saisie le plus souvent de décisions rendues par les chambres de l’instruction, a approuvé celles-ci d’avoir pris en compte l’existence d’une organisation structurée et hiérarchisée(10). Mais par un arrêt du 8 juillet 2015(11), la chambre criminelle a clairement énoncé que « la bande organisée suppose la préméditation des infractions et, à la différence de l’association de malfaiteurs, une organisation structurée entre ses membres ». Or, dans le cas présent, il ne semble pas que les magistrats instructeurs et la chambre de l’instruction aient relevé des indices graves ou concordants justifiant que soit retenue la circonstance aggravante de bande organisée qui avait entraîné l’application du régime spécial des articles 706-73 et suivants du code de procédure pénale. En définitive, les décisions rendues le 19 janvier 2016 suscitent interrogation et inquiétude. Tout mensonge peut-il être une manœuvre frauduleuse et des liens de relations juridiques peuvent-ils caractériser une bande organisée ? Il est à souhaiter que le principe de légalité soit réaffirmé dans ces deux domaines. n (9) B. Bouloc, Droit pénal général, Dalloz, 24e éd., 2015, n° 338. (7) Cass. crim., 9 mars 1983, n° 82-91.981, Bull. crim., n° 76, D. 1984, p. 209, note J. Devèze. (8) D. 2004, somm. 2757, B. de Lamy. TExTE DE L’ARRêT (ExTRAITS) Cass. crim., n° 15-81.039, 19 janv. 2016 « (…) Sur le sixième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 1451, 1452 et 1480 du code de procédure civile, 132-71 et 313-1 du code pénal, préliminaire, 80-1 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ; « en ce que l’arrêt attaqué a dit n’y avoir lieu à annulation d’une pièce de la procédure ; « aux motifs que, quant à la validité de la mise en examen de M. X..., eu égard aux dispositions de l’article 36 (10) Cass. crim., 2 juin 2015, n° 15-81. 585 ; comp. Cass. crim., 16 oct. 2013, n° 12-81.532. (11) Cass. crim., 8 juill. 2015, n° 14-88.329, publié au Bulletin, Dr. pén. 2015, comm. 120, obs. Ph. Conte, D. 2015, p. 2541, note R. Parizot. 80-1 du code de procédure pénale, la chambre de I’instruction n’est pas compétente pour juger la suffisance des charges susceptibles d’être retenues à l’encontre d’une personne mise en examen, sa mission étant de constater l’existence et la pertinence d’indices graves ou concordants susceptibles de participer à la caractérisation de la ou des infractions poursuivies, et plus particulièrement de vérifier la réunion de ces indices à I’égard d’un mis en examen, rendant vraisemblable sa participation à la commission de l’infraction, la chambre de l’instruction n’ayant pas en outre compétence, à ce stade de la procédure, pour apprécier la qualification pénale retenue, ni pour dire si les circonstances aggravantes retenues sont en l’état de la procédure Revue Lamy Droit des Affaires pertinentes ; qu’en I’espèce, faute de pouvoir de qualification ou de requalification, la chambre de I’instruction a le seul pouvoir de dire, s’il existe, à l’encontre de chacun des requérants, des indices graves ou concordants rendant plausible leur participation aux faits poursuivis et dont le périmètre a été plus haut défini et cerné, sans avoir à, ni pouvoir se pencher sur la pertinence de la qualification retenue à leur encontre, soit en I’espèce le délit d’escroquerie et sur la pertinence de la circonstance aggravante de la bande organisée, retenue à l’égard de chacun en l’état de l’information ; que la mise en examen de M. X...est articulée de la manière suivante : « en vertu d’un réquisitoire introductif de M. le procureur, en date du 18 septembre 2012, et de ré- Nº 114 AVRIL 2016 Tribune quisitoires supplétifs en date du 23 janvier 2013 et du 29 mai 2013, pour lesquels il comparait devant nous, ainsi que la qualification juridique de ces faits soit : escroquerie en bande organisée, faits prévus et réprimés par les articles 313-1, 313-2, 313-3, 313-7, 313-8 du code pénal, et ce pour avoir à Paris et sur le territoire national, courant 2007, 2008 et depuis temps non couvert par la prescription, en employant des manoeuvres frauduleuses, en I’espèce en participant à un simulacre d’arbitrage dans le contentieux opposant les sociétés du groupe B... et les époux B... au Consortium de Réalisation (CDR), trompé le Consortium de réalisation, l’établissement public de financement et de restructuration (EPFR) et I’Etat, pour les déterminer à payer aux sociétés de M. B... et aux époux B... une somme d’environ 403 millions d’euros, avec cette circonstance que les faits ont été commis en bande organisée ; qu’en ce qui le concerne, en altérant frauduleusement le processus d’arbitrage, notamment lors de deux moments clés : « lors des discussions relatives à la désignation des arbitres en septembre 2007, en manoeuvrant pour obtenir la désignation conjointe en qualité d’arbitre de M. E...qu’il savait acquis à la cause de M. B... pour avoir déjà fourni à ce dernier des prestations dans ce dossier et d’autres affaires, tout en dissimulant les relations professionnelles et personnelles existant entre lui-même, Maître M..., MM. B... et E...» ; « courant octobre et novembre 2008, en manoeuvrant pour inciter le consortium de réalisation à s’abstenir d’exercer un recours en récusation contre M. E..., en dépit de la découverte par les avocats du CDR d’un mémoire d’honoraires du 6 juillet 1999 relatif à l’affaire Adidas/ B... mentionnant un « rendez-vous avec M. E...» et une « note à M. E...» ; « en persistant à dissimuler l’étendue réelle des liens existants entre lui-même, Maître M..., MM. B... et E...et en travestissant lesdites relations » ; qu’effectivement comme le soutient sa défense, il ne peut être reproche à M. X..., en sa qualité d’avocat de M. B..., d’avoir cherché et choisi un Nº 114 AVRIL 2016 arbitre qu’il pouvait imaginer favorable aux intérêts de son client, qu’il considérait comme ayant été spolié par son adversaire, le Crédit lyonnais et son émanation le CDR ; que, cependant, la légitime et complète défense d’un client doit trouver ses limites, notamment, dans le principe de loyauté, pour le moins a I’égard des co-arbitres, et, d’autre part, à l’égard de la partie adverse, le recours à I’arbitrage impliquant nécessairement, faute de faire appel aux juridictions étatiques, le respect des règles d’honnêteté et de rigueur, la notion d’indépendance de l’arbitre recouvrant à tout le moins ces principes qui doivent gouverner l’arbitrage ; que M. X...n’a révélé à quiconque, partie-adverse ou co-arbitres pressentis, avant de préconiser la voie de I’arbitrage et le choix de M. E...comme arbitre pour I’une des parties, l’existence d’une réelle proximité professionnelle, voire amicale, entre eux deux, née de rédaction de notes, avis, consultations, projets d’assignations de la part de M. E...dans l’intérêt des clients de M. X...depuis une dizaine d’années ; qu’en effet, l’existence de ces liens a été mise au jour en particulier par les perquisitions effectuées par les magistrats ou officiers de police judiciaire, d’une part, chez M. E... et ses ex-secrétaires, d’autre part, chez M. X...et au cabinet I..., lesquelles investigations ont révélé que : avant la décision d’entrer en arbitrage intervenue le 10 octobre 2007, MM. X..., E...et B... ont procédé à des travaux préparatoires à ce recours et que ce dès l’été 2007, qu’un texte d’un compromis fut rédigé dès juillet 2007, avec la participation majeure de M. E..., l’un et l’autre faisant fi et passant sous silence les liens professionnels antérieurs qui les unissaient et ce depuis 1999, les consultations ou courriers que M. E...avaient pu prodiguer, au moins informellement en faveur de M. B..., apparemment dans le cadre du litige l’opposant au Crédit lyonnais/ Adidas, et également dans le cadre du litige l’opposant les petits porteurs de Bernard B... Finances à M. B..., comme l’ont établi les investigations de 2008 diligentées par Maître N...au nom de CDR, et les investigations de l’information, Revue Lamy Droit des Affaires soit lors des perquisitions, et l’audition de Maître M...; que non seulement l’adversaire, le CDR, l’EPFR et leurs représentants ont pu être trompés, mais que les co-arbitres, MM. D...et C...n’ont semble-t-il, d’après leurs déclarations devant les juge d’instruction, pas eu connaissance, avant d’accepter chacun leur mission d’arbitre, des relations antérieures privilégiées existantes entre le co-arbitre et l’une des parties, M. B... ; que, si messieurs MM. D...et C..., lors de ces auditions, n’ont pas voulu exprimer de jugement sur cette absence de révélation et le comportement conjoint de MM. E..., X... et B..., on peut déduire de leurs déclarations qu’ils n’auraient pas accepté de participer à cet arbitrage s’ils avaient été avertis ; qu’en effet, les investigations ont mis en évidence : l’existence depuis 1999 de relations entre M. X..., M. E..., Maître M..., lequel était un avocat de M. B..., la collaboration de M. X...avec Maître M..., conseillé par M. E...pour M. B..., l’existence de liens ou connaissance entre MM. E... et B... (dédicace du livre de 1998, les conseils de M. E...à propos de la confusion des peines de M. B...), le mémoire d’honoraires du 3 juillet 1999 adressé (par erreur ?) par M. X...à la liquidation du groupe Bernard B..., même s’il est maintenant soutenu qu’il s’agit d’une erreur matérielle, les trois ou quatre arbitrages où M. E...a été nommé par M. X...et ce dès 1999, les courriers des 17 et 13 mars 2000 adressés à M. E...dans le cadre de I’OPRO ayant opposé les minoritaires au CDR, la possibilité des rencontres M. B.../ M. E...en 2006 (révélées par l’agenda E...), l’existence d’une note rédigée le 31 août 2006 par un collaborateur de M. X...au cabinet I...envisageant un arbitrage et en prévoyant les grandes lignes et l’esprit (sc F. I...doc 42), l’existence d’un courrier du 5 septembre 2006 du même collaborateur portant sur l’opportunité d’engager confidentiellement un arbitrage, et l’existence à la même date et de la même personne, à l’intention de M. E..., d’un courrier accompagnant de nom- 37 breuses pièces ayant trait au dossier M. B... (sc 13 et 49 I...), l’existence d’un courrier du 12 septembre 2006 du même auteur au même destinataire, assorti d’une note sur l’affaire (sc 49 F. I...doc n° 45), l’existence de deux courriers (avril et septembre 2006) adressés à M. D...sur l’affaire B... ; que l’ensemble de ces pièces établit des relations suivies entre MM. X... et E...dès 2006 sur les procédures concernant M. B... et ce avant que l’arbitre M. E...ne soit choisi en 2007 ; qu’à partir de 2007, la rédaction par M. E...d’un projet de mission du tribunal arbitral daté du 14 novembre 2007, au vu d’une note de synthèse rédigée par M. X...et la persistance à propos d’autres arbitrages ou litiges, des relations entre MM. X... et E...en faveur d’autres clients, que M. B..., de M. X...(assignation affaire O..., notes courriers affaire GraireiGeox) et ce de manière contemporaine à l’arbitrage ; qu’il résulte de ces investigations, perquisitions, saisies et constatations sur de nombreux documents, que l’ensemble du processus décisionnel de recours à l’arbitrage, de mise en place de celui-ci a pu être frauduleusement faussé et altéré dans son principe et dans ses exigences de loyauté et d’impartialité, que, dès lors, il existait au moment du déferrement de M. X...devant le juge d’instruction des indices graves ou concordants justifiant sa 38 mise en examen et son placement sous contrôle judiciaire, que ces actes et ceux dont ils sont le support nécessaire ne seront pas annulés ; en prononçant cependant la mise en examen de celui-ci pour escroquerie, la chambre de l’instruction n’a pas justifié sa décision ; « 1°) alors que ne peut être mis en examen que la personne à l’encontre de laquelle existent des indices graves ou concordants de participation à la commission d’une infraction ; que l’escroquerie consiste en la commission de manœuvres frauduleuses pour tromper une personne et la déterminer ainsi à remettre des fonds ou à consentir un acte ; que le mensonge n’est pas constitutif de manœuvres frauduleuses ; qu’en se bornant à relever à l’encontre de M. X...le fait d’avoir omis de signaler connaître M. E..., acte ne consistant qu’en un mensonge par omission et non en la commission de manœuvres frauduleuses, la chambre de l’instruction n’a pas justifié sa décision ; « 3°) alors que l’insuffisance de motifs équivaut à son absence ; que la mise en examen ne peut être prononcée que lorsque sont établis des indices de participation à l’infraction reprochée ; que M. X...ayant été mis en examen du chef d’escroquerie en bande organisée, devaient être établis des indices de participation de M. X...à une bande organisée qui suppose une structure organisée et une préméditation de l’infraction ; qu’en s’abstenant de toute énonciation quant aux indices relatifs à la bande organisée, la chambre de l’instruction n’a pas justifié sa décision « ; « 2°) alors que l’escroquerie est caractérisée par le fait de tromper une personne ; que les dispositions relatives à l’arbitrage prévoient que chacune des parties désigne un arbitre, ce qui implique que l’arbitre peut être favorable aux intérêts de la personne qui l’a ainsi désigné ; que la volonté de tromper ne peut dès lors pas résulter de l’exercice de ce choix ; qu’en énonçant qu’il ne peut être reproché à M. X...d’avoir choisi un arbitre qu’il pouvait imaginer favorable aux intérêts de son client, et Revue Lamy Droit des Affaires Attendu que, pour dire n’y avoir lieu à annuler la mise en examen de M. X..., l’arrêt prononce par les motifs repris au moyen ; Attendu qu’en l’état de ces énonciations, qui caractérisent, sans insuffisance ni contradiction, la réunion par le juge d’instruction d’indices graves ou concordants rendant vraisemblable que la personne mise en examen ait pu participer comme auteur ou complice à la commission des infractions dont il est saisi, la chambre de l’instruction a justifié sa décision ; Qu’ainsi, le moyen ne peut qu’être écarté (…) ». Nº 114 AVRIL 2016 Jurisprudence commentée RLDA 5897 La confidentialité du mandat ad hoc et de la conciliation versus liberté d’expression Même si la transparence et l’information constituent aujourd’hui un socle important de la vie des affaires, il reste des îlots de confidentialité susceptibles de favoriser, lors d’un mandat ad hoc ou d’une conciliation notamment, le sauvetage des entreprises en difficulté. La Cour de cassation, dans l’arrêt rendu le 15 décembre 2015, s’emploie à les protéger face au principe fondamental de la liberté d’expression qui ne peut être complétement ignoré, réalisant ainsi une conciliation a priori délicate. Cass. com., 15 déc. 2015, n° 14-11.500, P+B+I La Cour de cassation a rendu le 15 décembre 2015 une décision très importante à propos du caractère confidentiel du mandat ad hoc et de la conciliation qui lui a permis d’en affirmer l’efficacité face à la liberté d’expression, liberté fondamentale de notre système juridique. Les procédures de prévention des difficultés des entreprises régies par le livre VI du code de commerce, en l’occurrence le mandat ad hoc et la conciliation, connaissent aujourd’hui un succès certain qui est notamment attribué par les professionnels, au caractère confidentiel de l’ouverture de ces procédures. Or ces derniers temps, le contentieux montre que cette confidentialité subit des atteintes répétées qu’il convient de juguler pour préserver ces outils précieux de sauvegarde des entreprises(1). Rédactrice en chef Professeur 05_Charge CDA – Université xxxxxxxxxxxx Toulouse Capitole gnation d’un mandataire ad hoc et ensuite l’ouverture d’une procédure de conciliation. Ces événements ayant été relatés et commentés sur un site internet spécialisé dans le suivi de l’endettement des entreprises, le conciliateur et plusieurs sociétés du groupe ont saisi le juge des référés pour obtenir le retrait de l’ensemble des articles diffusés et l’interdiction d’en publier de nouveaux. La cour d’appel ayant rejeté les prétentions des demandeurs, l’opportunité est donnée à la Cour de cassation de se prononcer de manière ferme et claire en faveur de la protection de la confidentialité instaurée dans l’article L. 611-15 du code de commerce (I), tout en réservant des limites qui semblent toutefois bien hypothétiques à cette protection (II). Dans cette affaire, diverses sociétés appartenant à un groupe avaient sollicité la dési- I. – La protection de la confidentialité du mandat ah hoc et de la conciliation (1) M.-H. Monsèrié-Bon, Mandat ad hoc et conciliation : un fragile équilibre à préserver, Bull. Joly Entreprises en difficulté 2015, p. 345 L’article L. 611-15 du code de commerce affirme de manière générale « que toute personne qui est appelée à la procédure de conciliation et à un mandat ad hoc ou qui, Nº 114 AVRIL 2016 Par 04_Auteur Marie-Hélène Fany Lalanne MONSèRIÉ-BON xxxxxxxxxx Revue Lamy Droit des Affaires 39 par ses fonctions, en a connaissance est tenue à la confidentialité ». Cette règle est bien sûr au coeur de la décision de la Cour de cassation commentée qui, s’agissant de la liberté d’expression, y adjoint l’article 10 § 2 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui prévoit les limites que la loi peut apporter à cette liberté au titre desquelles figurent les mesures nécessaires « pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ». Le tableau ainsi dressé laisse penser immédiatement que la protection de la confidentialité du mandat ad hoc et de la conciliation que la Cour de cassation affirme nettement suppose une articulation avec les restrictions apportées à la liberté d’expression, nécessairement comprises limitativement dans une société démocratique. Ainsi, dans son arrêt du 15 décembre dernier, la Cour de cassation précise d’une part, le domaine de l’obligation de confidentialité légalement imposée pour le mandat ad hoc et la conciliation et d’autre part, les moyens juridiques à la disposition des chefs d’entreprise et des professionnels pour assurer la protection de cette confidentialité. A – Le domaine de l’obligation de confidentialité professionnel attaché à ces fonctions(3). Cette obligation a été rappelée récemment par la Cour de cassation à propos d’un mandataire ad hoc qui avait fourni des indications à une caution sur le déroulement des négociations menées(4). Sur ce point, les difficultés semblent écartées et la protection de la confidentialité assurée par les dispositions légales. Mais qu’en est-il pour tous ceux qui, en dehors du cercle de la négociation, peuvent obtenir des informations sur l’existence et le déroulement de ces procédures ? Il faut noter que l’article L. 611-15 du code de commerce ajoute aux personnes « appelées », celles qui « par leurs fonctions » auraient connaissance du mandat ad hoc ou de la conciliation. Par cette mention, le texte permet d’élargir le cercle et le domaine de la confidentialité à toutes les personnes qui, sans participer directement aux négociations, en auront connaissance. On songe, en premier lieu, au commissaire aux comptes, les textes imposant qu’il soit informé de l’existence du mandat ad hoc(5) et de la conciliation(6) mais également à l’expert-comptable de l’entreprise et tous les conseils qui seraient tenus informés par le chef d’entreprise. Il faut remarquer que la majorité de ces professionnels sont déjà astreints par les textes régissant leur activité au secret professionnel. Le mandat ad hoc et la procédure de conciliation ont pour principal objectif de négocier avec les partenaires de l’entreprise un accord qui permette de mettre un terme aux difficultés rencontrées. Le mandataire ad hoc ou le conciliateur, avec l’aide du chef d’entreprise, va solliciter les créanciers et les contractants pour qu’ils participent à cette négociation. La loi lui donne toute liberté pour choisir les participants, l’article L. 611-7 du code de commerce précisant que le conciliateur doit favoriser la conclusion d’un accord entre le débiteur et ses «principaux créanciers ainsi que le cas échéant, ses contractants habituels»(2). Dès lors, le cercle des personnes ayant connaissance du mandat ad hoc ou de la procédure de conciliation pouvant être plus ou moins large, il convenait de les astreindre à une obligation de confidentialité, ce que prévoit expressément l’article L. 611-15 du code de commerce qui vise « toute personne appelée à la procédure de conciliation ou à un mandat ad hoc ». Le terme « appelée » utilisé dans ce texte permet d’inclure les partenaires qui ont été invités à participer à la négociation, même s’ils n’y participent pas effectivement, ce qui reste leur liberté, aucune mesure contraignante n’étant édictée par les textes. La connaissance du mandat ad hoc ou de la conciliation qui en résulte les soumet à la confidentialité. La question est alors de savoir si d’autres personnes peuvent également être tenues par cette obligation de confidentialité, notamment des journalistes qui seraient informés du recours par l’entreprise aux techniques de prévention du livre VI du code de commerce. Le premier attendu de l’arrêt du 15 décembre 2015 apporte une réponse et semble d’ailleurs étendre le domaine de la confidentialité. En effet, la cour d’appel qui a considéré que l’article L. 611-15 du code de commerce ne crée pas d’obligation pour les journalistes, n’a pas retenu de violation évidente de la loi susceptible d’être sanctionnée par le juge des référés. La Cour de cassation, au visa de ce dernier texte mais également de l’article 10 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en reconnaissant que les informations relatives au mandat ad hoc et à la procédure de conciliation sont confidentielles admet que la loi peut apporter des restrictions nécessaires à la liberté d’expression et que donc les personnes tenues à un devoir de confidentialité et les tiers ne peuvent divulguer ces informations. L’hésitation pouvait être ici de déterminer si les journalistes sont liés par la confidentialité reconnue par l’article L. 61115 du code de commerce au titre des personnes ayant eu De même, et cela semble une évidence, le mandataire ad hoc ou le conciliateur est tenu par cette obligation de confidentialité et lorsqu’il s’agit d’un mandataire de justice, ce qui est la majorité des hypothèses, par le secret (3) H. Bourbouloux, Confidentialité et transparence réconciliées pour la prévention et le traitement des difficultés, Bull. Joly Entreprises en difficulté 2012, p. 183, n° 87. (4) Cass. com., 22 sept. 2015, n° 14-17.377, publié au Bulletin, Bull. Joly Entreprises en difficulté 2015, p. 360, note Th. Favario. (5) C. com., art. L. 611-3. (2) F. Pérochon, Entreprises en difficulté, LGDJ, 10e éd, 2014, n° 155. 40 (6) C. com., art. L. 611-6, al. 3. Revue Lamy Droit des Affaires Nº 114 AVRIL 2016 Jurisprudence commentée connaissance des informations par leurs fonctions, ce qui n’était pas inconcevable. La Cour de cassation choisit une autre voie en astreignant, par la formulation de son attendu, toute personne ayant connaissance du mandat ad hoc ou de la conciliation à la confidentialité. Ainsi, la solution posée va au-delà de la lettre du texte afin de sécuriser les outils de prévention des difficultés des entreprises dont l’efficacité pourrait être remise en cause par une diffusion précoce et intempestive de l’information(7). Une fois ce principe de confidentialité affirmé, l’arrêt du 15 décembre 2015 de la Cour de cassation offre également des moyens de protection qui, même s’ils sont imparfaits, aideront au bon déroulement du mandat ad hoc et de la conciliation. B. – Les moyens de protection de la confidentialité Affirmer le principe de la confidentialité est une première étape qui ne peut avoir de réelle efficacité que si l’on fournit des moyens juridiques de la faire respecter. Un premier constat s’impose : lorsque l’information diffusée aura touché certaines personnes, il ne sera pas possible d’en effacer complètement les effets négatifs. Le mal sera fait et les relations de l’entreprise avec ses partenaires non appelés au mandat ad hoc ou à la conciliation pourront devenir plus compliquées. Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation, plusieurs sociétés du groupe ayant eu recours aux procédures de prévention et le conciliateur ont demandé au juge des référés le retrait de l’ensemble des articles diffusés sur le site internet ainsi que l’interdiction de procéder à de nouvelles diffusions. Il s’agissait alors de décider si les conditions posées par le Code de procédure civile pour reconnaître la compétence du juge des référés étaient bien réunies. L’article 873, alinéa 1er, du code de procédure civile dispose que « le président peut, dans les mêmes limites, et même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ». Est-il possible sur ce fondement d’agir rapidement pour obtenir que les informations diffusées soient retirées d’un site internet et interdire que cette divulgation préjudiciable perdure ? La cour d’appel ne l’avait pas admis en constatant que le mandat ad hoc ayant été suivi d’une conciliation, les sociétés ne pouvaient pas justifier d’un préjudice résultant de la diffusion des informations et qu’il n’y avait pas de violation évidente de la loi légitimant l’intervention du juge des référés. Là encore, la Cour de cassation affirme sans détours que la diffusion d’informations confidentielles sur les procédures de prévention « constitue à elle seule un trouble manifestement illicite ». Il ressort de la formulation de l’attendu que la cour d’appel qui avait exigé la preuve d’un préjudice « a ajouté à la loi une condition qu’elle ne prévoit pas ». La décision ouvre largement les portes de la juridiction des référés et c’est heureux car dans ce genre de situation, la rapidité du prononcé des mesures conservatoires ou de remise en état est le gage de la protection de la confidentialité pour limiter la diffusion des informations. Les entreprises et les professionnels auront ainsi à leur disposition le meilleur outil juridique possible pour faire cesser les effets négatifs de la diffusion d’informations confidentielles sur les procédures de prévention en cours, à défaut de pouvoir complétement la contrôler. Toutefois, comme l’indique la Cour de cassation avec force, cette protection de la confidentialité peut être limitée, même si ces limites apparaissent, dans le domaine de la prévention des difficultés des entreprises, bien hypothétiques. II. – D’hypothétiques limites apportées à la confidentialité du mandat ad hoc et de la conciliation La liberté d’expression qui est « l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès »(8) ne peut donc connaître que des limites strictement encadrées et contrôlées. L’arrêt rendu par la chambre commerciale le 15 décembre dernier permet de mieux tracer les contours des limites qui peuvent être apportées à la confidentialité des procédures de mandat ad hoc et de conciliation. A. – La nécessité d’informer le public La décision de la Cour de cassation, reprenant les principes dégagés sur le fondement de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, indique que la confidentialité des informations relatives au mandat ad hoc et à la procédure de conciliation imposée par l’article L. 611-15 du code de commerce fait obstacle « à leur diffusion par voie de presse, à moins qu’elle ne contribue à la nécessité d’informer le public sur une question d’intérêt général ». Il est donc reproché à la cour d’appel qui avait considéré que cette diffusion « ne constitue pas un trouble manifestement illicite au regard de la liberté d’informer du journaliste » de ne pas avoir recherché si les informations diffusées « relevaient d’un débat d’intérêt général ». Cette notion de « débat d’intérêt général », non mentionnée dans l’article 10 de la convention, a une origine prétorienne qui lui confère une certaine imprécision(9). Néanmoins, il ressort des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme que cette notion s’apprécie in concreto eu égard aux circonstances. De manière générale, certains domaines sont assez natu- (8) CEDH, 7 déc. 1976, aff. 5493/72, Handyside c/ Royaume-Uni (7) F. Pérochon, Coût, transparence et confidentialité de la prévention, Rev. proc. coll. 2014, p. 79. Nº 114 AVRIL 2016 (9) C. Michalski, Liberté d’expression et débat d’intérêt général, AJ pénal 2013, p. 19 Revue Lamy Droit des Affaires 41 rellement inclus dans le débat d’intérêt général comme les questions touchant à la politique, à la justice ou à la santé publique. Mais, les questions économiques ne sont pas absentes même si elles sont généralement abordées par le biais des questions d’emploi, de rémunération ou à propos des conflits sociaux qui se déroulent dans de grands groupes(10). Tout l’enjeu, en l’espèce, est de déterminer si cette notion de « débat d’intérêt général » peut intervenir à propos du mandat ad hoc et de la conciliation. Il semble que la jurisprudence relativement abondante rendue sur le fondement de l’article 10 § 2 de la convention ne se soit pourtant pas prononcée dans des hypothèses similaires à celle analysée d’informations relevant du domaine du droit des affaires déclarées confidentielles par la loi(11). Toutefois, au regard de quelques affaires touchant le domaine du droit commercial, il apparaît que la protection de l’information peut être plus facilement admise que dans d’autres domaines, politique par exemple, car le débat d’intérêt général sera moins facilement caractérisé même si les juridictions doivent toujours vérifier le contexte(12). En outre, il convient en ce qui concerne les limites de la liberté d’expression de mettre en balance les intérêts contradictoires ou concurrents en présence. La Cour de cassation souligne d’ailleurs que la confidentialité qui a été édictée par l’article L. 611-15 du code de commerce a pour objectif de « protéger, notamment, les droits et libertés des entreprises qui recourent à ces procédures ». B. – La balance des intérêts La confrontation juridique entre la liberté d’expression et la confidentialité dont sont assorties les procédures de prévention du livre VI confère certainement l’avantage à la seconde en l’état actuel du droit positif. C’est sûrement souhaitable afin que les entreprises puissent utiliser, dans les meilleures conditions, ces outils qui favorisent le retour à une meilleure situation économique. La jurisprudence a d’ailleurs déjà amorcé un mouvement en ce sens avec un premier arrêt du 22 septembre 2015(13) qui, sur le terrain de la preuve, exclut des débats, une attestation fournie par le mandataire ad hoc en violation de l’obligation de confidentialité qu’il doit respecter au premier chef. Dans la décision commentée, la Cour de cassation franchit une étape supplémentaire en faveur de la confidentialité en retenant des critères qui ne laissent qu’un faible espace pour la diffusion de l’information relative au mandat ad hoc et à la conciliation. Seule la balance des intérêts pourrait permettre d’admettre que la liberté d’expression reprenne le dessus et autorise, notamment la diffusion d’informations par voie de presse ou tout autre support, comme dans cette affaire un site internet. Il faudrait alors que l’on soit en présence d’une entreprise dont la situation justifie un débat public, d’intérêt général. Pourrait-on ainsi le reconnaître pour une entreprise dont l’implantation locale serait telle qu’il y aurait une question d’intérêt général et qu’il conviendrait de fournir une information sur sa situation et sur le recours à des outils de prévention ? En raison de l’impact souvent négatif qui peut être attendu de la diffusion de telles informations pour l’entreprise, il faudrait que, dans la balance des intérêts, la nécessité d’informer soit solidement justifiée. À y regarder de plus près, la probabilité que la confidentialité prévue à l’article L. 611-15 du code de commerce puisse être remise en cause est très faible. Ainsi, la Cour de cassation dans les décisions récemment rendues en matière de confidentialité affiche une volonté forte et claire d’accorder un maximum d’efficacité aux techniques de prévention et de sécuriser la démarche des chefs d’entreprise qui s’y engagent. Cette position est parfaitement conforme aux intentions du législateur qui, lors de la réforme opérée par l’ordonnance du 12 mars 2014, a repoussé, dans l’article L. 611-8-1 du code de commerce, au moment de la demande d’homologation l’information du comité d’entreprise ou à défaut des délégués du personnel. On peut voir dans cette disposition, alors que la tendance est aujourd’hui à accroître l’information des salariés sur la situation de l’entreprise, un signe fort de la nécessité d’assurer la confidentialité du mandat ad hoc et de la procédure de conciliation. Les efforts conjugués du législateur et de la jurisprudence devraient concourir au succès de procédures qui sont des techniques performantes de sauvetage des entreprises. n (10) Ibid. (11) X. Bioy, Conv. EDH, art. 10 : liberté d’expression et de la presse, Dalloz, Rép. Dalloz droit européen, nos 77 et s. (12) P. Dourneau-Josette, Convention européenne des droits de l’homme, Rép. Dalloz droit pénal et procédure pénale, nos 605 et s. (13) préc. 42 Revue Lamy Droit des Affaires Nº 114 AVRIL 2016 Étude RLDA 5898 La caution profane en droit OHADA : le cautionnement à deux vitesses 1. La maxime inadaptée. L’adage qui dit « qui cautionne paie » ne s’applique pas toujours, surtout lorsque la caution est profane. Dès lors, lorsqu’une personne s’engage comme caution, il est important de savoir si elle est avertie ou profane. Mais que contient la notion de caution profane que la jurisprudence distingue de manière casuistique de la caution avertie(1). 2. Les enjeux d’une définition. La qualification de la caution a des incidences directes sur les obligations des parties au contrat de cautionnement, notamment au stade de son exécution où la caution peut invoquer sa qualité de profane pour échapper à son engagement jugé trop disproportionné. À l’inverse, la qualité de caution avertie déchargera le créancier professionnel d’une obligation d’information précontractuelle d’origine jurisprudentielle. L’impératif de justice contractuelle impose d’appliquer la rigueur du droit du cautionnement aux cautions averties, pour ne réserver la mansuétude des juges qu’aux seules cautions faibles(2). L’Acte Uniforme sur les Sûretés (AUS) révisé(3) est muet sur ce point et laisse le soin aux juges (1) J.-F. Barbièri, Caution avertie et caution profane, la jurisprudence passée a-t-elle de l’avenir ?, note sous Cass. com., 6 févr. 2007, n° 04-15.362, Bull. Joly Sociétés 2007, p. 713. (2) D. Houtcieff, Les dispositions applicables au cautionnement issues de la loi pour l’initiative économique, JCP G 2003, I, 16. (3) Lomé, 15 déc. 2010, JO OHADA 15 févr. 2011 ; voir P. Crocq, L.-B. Yondo, M. Brizoua-BI, O.-F. Lambie, L.J. Laisney et A. Marceau-Cotte, Le nouvel Acte uni- Nº 114 AVRIL 2016 d’opérer cette distinction consumériste avec la difficulté que le droit de la consommation est embryonnaire et non unifié en Afrique. Cependant, l’article 14(4) de l’AUS retient les cautions illettrées dont l’engagement échappe au consensualisme pour être soumis à la certification de témoins. Les autres hypothèses où la caution fragile peut affronter des créanciers professionnels méritent attention. Fautil laisser chaque législateur réglementer ces cautionnements particuliers ou faire cohabiter dans l’AUS un droit commun et un droit spécial du cautionnement orienté vers la distinction entre caution avertie et caution profane ? Le droit africain des affaires doit être un droit de bon sens prenant la mesure de la cohabitation entre le cautionnement des affaires auquel l’AUS est parfaitement adapté et le cautionnement domestique pour rendre service. Face à l’inexistence de normes applicables et en prévision de l’incertitude des solutions prétoriennes, la nécessité d’une ligne directrice fixant les critères d’appréciation de la qualité de caution profane s’impose pour une unité d’interprétation des juges du fond africains. Par04_Auteur Denis POHÉ Fany Lalanne xxxxxxxxxx Maître de Rédactrice en chef conférences 05_Chargeà la faculté de droit xxxxxxxxxxxx de Bordeaux Chercheur à l’IRDAP 3. Absence de critère légal. En l’absence d’un critère unique, la caution profane sera souvent définie par comparaison à la caution avertie en s’appuyant sur une logique consumériste. Il est indéniable qu’une cau- forme portant organisation des sûretés, la réforme du droit des sûretés de l’OHADA, Lamy, 2012. (4) CCJA, 19 oct. 2003, n° 18/2003, Société Africom c/ CSSPPA, le Juris – OHADA n° 4/2003, note K. Brou, Rec. de Juris CCJA n° 2 juill. – déc. 2003, OHADATA. Com J-04-119. Revue Lamy Droit des Affaires 43 tion bancaire n’est pas logée à la même enseigne qu’un cultivateur illettré(5). Avec l’assouplissement des règles de constitution des sociétés commerciales(6), la plupart des chefs d’entreprise n’ont aucune expérience de la vie des affaires. Leur engagement de caution peut-il être soumis aux mêmes règles que celui du dirigeant des grandes sociétés multinationales ? 4. Propositions de définition. La caution profane est celle qui est dans l’incapacité de comprendre la portée de son engagement de garant et qui ne peut apprécier les risques encourus. C’est aussi celle qui est excusable d’ignorer la situation financière lourdement obérée du débiteur cautionné. Elle est comparable à un consommateur. Seront dès lors exclues les cautions informées ou averties. Mais comment distinguer celles couvertes d’une présomption d’ignorance légitime des autres qui sont censées savoir ? Par exemple, peuton présumer qu’une caution dirigeante illettrée ou néophyte est informée ? Ni les fonctions de dirigeant ou d’associé ni le statut de parent des dirigeants de l’entreprise cautionnée ne suffisent à définir la qualité de caution avertie. 5. Les enjeux de la distinction. L’enjeu est de concilier les intérêts des créanciers et une protection mesurée des garants vulnérables. Au risque de créer un déséquilibre contractuel qui viderait la garantie de son attractivité(7), il est évident que toutes les cautions ne doivent pas être soumises aux mêmes règles, de même qu’il n’y a pas une caution profane type. Dans certains cas, la dissymétrie de l’information sera le critère décisif de distinction. Dans d’autres cas, ce sont les qualités personnelles de la caution qui rentreront davantage en ligne de compte. 6. Le cautionnement à deux vitesses. L’impossibilité de trouver un critère unique de la caution à protéger justifiera l’existence d’un cautionnement à deux vitesses pour être cohérent avec les réalités socio-économiques africaines. 7. La protection taillée sur mesure. Une caution de mauvaise foi qui veut échapper à sa responsabilité s’abritera derrière sa qualité de profane pour invoquer par exemple le principe de proportionnalité. À l’inverse, une banque peut s’exonérer de son obligation de mise en garde en prétextant que la caution est avertie. Outre la nécessité d’une définition des critères de la caution profane actuellement introuvables se pose le problème de sa protection sans ôter à la garantie son efficacité(8). En effet, cette protection ne doit être ni excessive pour ne pas être dissuasive, ni abandonnée aux excès des créanciers, mais taillée sur mesure, dans un esprit de solidarisme contractuel. Celui qui sait doit faire savoir les éléments déterminants du (5) Cass. 1re civ., 25 mai 1964, Bull. civ. I, n° 269. (6) AUSGIE, art. 10, depuis la réforme du 30 janv. 2014. (7) M. Akouété Akué, Plaidoyer pour un espace OHADA plus attractif pour les investisseurs étrangers, RLDC 2010/67, n° 3700. (8) M. Bourassin, L’efficacité des garanties personnelles, LGDJ, 2006, p. 10. 44 consentement du cocontractant ignorant mais diligent. Il s’agit de protéger le consentement et le patrimoine de celui qui s’est engagé dans un contrat de contrainte en ignorant le risque encouru. Pour éviter les abus d’une surprotection il faut lever le voile sur la qualité de caution profane (I) avant de faire la lumière sur les mesures de protection adaptées à son statut (II). I. – L’incertitude sur la qualité de caution profane L’absence d’archétype de caution profane (A) oblige la jurisprudence à utiliser plusieurs critères (B) pour appréhender cette notion. A. – L’absence d’archétype de caution profane Le cautionnement touche à la fois les illettrés et les cautions intellectuellement qualifiées. ➜ Caution à niveau intellectuellement faible 8. Caution analphabète. L’AUS ne définit ni la caution profane ni la caution avertie. L’article 14, alinéa 3, de l’AUS fait référence aux seules cautions analphabètes. Cependant existe aussi les cautions illettrées qui méritent protection. Est analphabète la caution qui ne sait ni lire ni écrire. Son engagement doit obéir à un formalisme validant portant sur des éléments substantiels du cautionnement. Elle doit avoir conscience d’être la débitrice de l’obligation caractéristique du cautionnement. 9. Caution profane et les vices du consentement. La caution analphabète peut facilement invoquer les vices du consentement et la disproportion de la garantie. Elle est excusable de se tromper sur la nature et les conséquences juridiques de son engagement et démontrer qu’elle croyait avoir signé un simple engagement d’honneur. Elle peut prétendre qu’elle a été victime d’une erreur-obstacle parce qu’elle s’est trompée sur l’objet même du contrat. L’ignorance de la langue du contrat et de la terminologie juridique, ou encore du risque lié à la garantie est un élément essentiel de ce profil. Et bien souvent, la disproportion entre les revenus modestes du garant et l’énormité du montant de la dette cautionnée est un signe révélateur de cette erreur sur la nature de l’engagement. La preuve de l’erreur substantielle est également établie lorsque cette disproportion se conjugue avec l’ignorance des affaires. Les cautions analphabètes rentrent bien dans cette catégorie. L’analphabétisme peut donc invalider la plupart des cautionnements signés par une bonne frange de la population africaine. Dorénavant, la validité de l’engagement des cautions analphabètes découle de la procédure de certification par deux témoins. Mais qu’en est-il des cautions illettrées ? 10. La caution illettrée. Les cautions illettrées peuvent lire et écrire mais sans comprendre la portée de ce qu’elles Revue Lamy Droit des Affaires Nº 114 AVRIL 2016 Étude signent(9). Dès lors, elles font partie des cautions dont l’engagement doit échapper au consensualisme pour être soumis à une procédure particulière que ne vise pas l’acte uniforme. Le recours aux témoins certificateurs doublé de l’exigence d’un écrit à titre de validité peut être une solution. En tout état de cause, la faiblesse de leur niveau de compréhension des engagements juridiques signés exclut le recours au consensualisme notamment lorsqu’elles contractent avec un professionnel du crédit. Le statut de caution profane doit alors leur être reconnu quelles que soient les fonctions qu’elles occupent dans l’entreprise cautionnée, ou encore le lien entretenu avec le débiteur principal. ➜ Caution intellectuellement qualifiée 11. Les cautions profanes lettrées. Certaines cautions intellectuellement qualifiées ignorent tout du milieu des affaires et ne peuvent donc se défendre à armes égales avec les établissements de crédit. Peuvent donc être cautions profanes celles qui sont recevables à invoquer l’erreur sur la solvabilité présente du débiteur(10). Ce sont celles qui sont excusables d’ignorer qu’au moment de la conclusion du cautionnement le débiteur était déjà en état de cessation de paiement ou dans une situation irrémédiablement compromise. La caution profane n’a pas les moyens d’apprécier la situation patrimoniale du débiteur avant de s’engager. Le créancier professionnel du crédit aura manqué à son obligation de bonne foi s’il retient ces informations. Ces hypothèses sont à redouter dans les cautionnements pour les crédits accordés aux petites entreprises familiales, pour les crédits à la consommation et pour les contrats de bail d’habitation ou à usage mixte. Ce sont parfois des personnes physiques qui se porteront volontiers caution pour rendre service à un ami ou à un proche parent sans avoir les moyens de mesurer les conséquences juridiques de leur engagement. La seule qualité de conjoint, d’ascendant du dirigeant de la société cautionnée ou du débiteur cautionné ne suffit pas à lui enlever le statut de caution profane. 12. Un cas de réflexion. En revanche, le cas des cautions dirigeantes mérite réflexion. Certains dirigeants sont parfaitement informés sur la portée juridique du contrat de cautionnement et sur le risque de l’opération financée. Pour conserver au cautionnement son attractivité et son efficacité, il convient de distinguer les dirigeants avertis des dirigeants profanes. Mais cette distinction n’est pas évidente. Ne seront cautions profanes que les dirigeants néophytes sans aucune maîtrise du milieu des affaires où ils arrivent parfois après une reconversion profession- nelle. Un pharmacien qui monte sa première entreprise n’a aucune expérience en matière de finance. Toutefois, la banque peut prouver que la caution avait la qualité de caution avisée par des critères variés. B. – La pluralité des critères 13. Le choix d’un critère. L’absence de définition légale oblige la jurisprudence à faire jouer des critères sur la personne et l’information de la caution. ➜ Critères personnels 14. Critère légal. Dans l’AUS, l’analphabétisme semble être l’unique critère dans la désignation de la caution dont l’engagement ne résulte pas du seul consensualisme. Les juges doivent préciser les autres critères tenant tant à la personne de la caution qu’à ses fonctions et compétences professionnelles. 15. L’âge et l’expérience professionnelle. Le droit africain doit protéger les cautions dont les capacités physiques ou intellectuelles sont diminuées à cause de l’âge(11) trop avancé qui, en Afrique n’ont aucune familiarité avec le cautionnement. Cependant, la qualification en caution profane ou avertie ne dépend pas que de son jeune âge(12)ou des fonctions de dirigeant, ni encore moins du haut niveau intellectuel sans rapport avec la finance. Sera donc considérée comme profane, la caution diplômée mais excusable d’ignorer les risques d’un engagement financier. Même si les juges du fond africains n’ont pas toujours adopté cette ligne de conduite(13), c’est l’expérience professionnelle qui peut conférer la qualité de caution avertie à un dirigeant(14). Elle ne saurait se déduire uniquement des fonctions de dirigeant qui ne peuvent servir d’alibi aux banques pour échapper à l’obligation d’information et au devoir de mise en garde qui leur incombent(15). Le banquier doit démontrer que cette caution avait une compétence particulière lui permettant d’être informée sur les risques de son engagement. ➜ Le critère de l’information 16. L’information partagée. L’information est l’apanage de la caution avertie. Une présomption d’ignorance est profitable aux cautions analphabètes dont le nombre dépasse 160 millions en Afrique noire. En revanche la caution informée des risques de l’opération garantie est une caution avertie. Mais c’est plus la détention de l’information que l’exercice de la fonction de dirigeant qui détermine la qualité de caution avi- (11) Cass. 1re civ., 4 mai 2012, n° 10-13.545, Bull. civ. I, n° 102. (12) Cass. com., 5 févr. 2013, n° 11-26.262. (9) Sur les cautions illettrées voir B. Martor, N. Pilkington, D. Sellers et S. Thouvenot, Le droit uniforme africain des affaires issu de l’OHADA, LexisNexis, 2009, p. 237. (10) Exclusion de l’erreur sur la solvabilité future : Cass. 1re civ., 13 nov. 1990, n° 89-13.270, Bull. civ. I, n° 242, RTD civ. 1991, p. 149, note M. Bandarac, D. 1991, somm., p. 385, note L. Aynès. Nº 114 AVRIL 2016 (13) Tribunal du Burkina refuse la qualité de profane à une caution au seul motif qu’elle est ingénieur, TGI Bobo-Dioulasso, 15 mars 2006. (14) Cass. com., 11 avr. 2012, n° 10-25.904, Bull. civ. IV, n° 76 ; TPI Katiola, 23 mars 2000, Rec. de jurisprudence CSJ 1-2003-3 n° CICC 20010705 434 ; TPI Daloa, 28 mai 2006, n° 53 ; TGI Mfoundi, 28 mars 2005, jugement n° 404/civ. OHADATA J-08-112. (15) Cass. com., 27 nov. 2012, n° 11-25.967. Revue Lamy Droit des Affaires 45 sée. La fonction n’est qu’un instrument d’information. Dès lors, la notion de caution avertie ne se prête guère à l’exercice d’une systématisation à partir des fonctions. 17. Les cautions intéressées. Une caution avertie peut être une caution justifiant d’un intérêt patrimonial dans le crédit accordé au débiteur principal. C’est le cas des dirigeants et des associés cautions. Mais une distinction se fait entre celles qui sont excusables d’ignorer et celles qui sont censées savoir. Ces dernières doivent démontrer qu’elles ne disposent pas des mêmes informations que le banquier dispensateur de crédit sur l’évolution de la situation financière de l’entreprise qu’elles ont créées et qu’elles dirigent(16). C’est le cas du dirigeant néophyte, personne physique ou personne morale caution(17). Il arrive que la caution dirigeante invoque sa qualité de profane pour échapper aux conséquences pécuniaires d’opérations ou de montages juridiques complexes et périlleux dont elle n’avait pas mesuré la portée(18). Une caution qui dirigeait une holding constituée en vue de racheter des parts de société selon une opération de LBO reproche au banquier d’avoir manqué à son obligation de mise en garde quant à sa capacité financière et aux risques d’endettement. La complexité de ces opérations est telle que le seul critère de l’exercice de la fonction de dirigeant est insuffisant pour en déduire la qualité de caution avertie. C’est au créancier de démontrer le contraire. Quant à l’associé, sa qualité de caution profane ou avertie dépend de son implication dans la société. Sur ce point, les solutions manquent de cohérence générale. Mais l’information dont l’appréciation varie selon chaque espèce est le critère de distinction. Il a été admis qu’un associé majoritaire ou égalitaire conjoint du dirigeant social et participant à l’exploitation sociale est une caution profane(19). Mais parfois, l’associé sera considéré comme informé à cause de la connaissance particulière qu’il a au jour de son engagement du risque de défaillance de la société dans l’exécution de ses obligations en faveur du créancier cautionné(20).Cette qualité peut se déduire de l’exercice de son droit d’associé qui lui permet d’avoir des informations précises sur la situation économique de la société. Cette information pouvant se retrouver facilitée par le lien de parenté l’unissant au dirigeant(21). Tout dépend de la taille de l’entreprise et du degré de son information sur le risque garanti. (16) Voir l’arrêt Nahoun, Cass. com., 8 oct. 2002, n° 99-18.619, Bull. civ. IV, n° 136, JCP E 2002, n° 1730, note D. Legeais ; D. Pohé, Principe de proportionnalité et cautionnement, RJ com. 2003, p. 262. (17) N. Vallet, Les techniques de protection des clients de banque, Thèse Reims 2009, nos 618 et s. (18) CA Aix, 12 mai 2011, n° RG : 2011/94. (19) Cass. com., 6 févr. 2007, n° 04-15.362, Bull. civ. IV, n° 18, Bull. Joly Sociétés 2007, p. 713, note J.-F. Barbieri, LPA 2007, n° 156, p. 4, obs. D. Houtcieff. (20) Cass. com., 13 févr. 2007, n° 05-20.884. (21) CA Limoges, 18 juin 2008, Dr. sociétés déc. 2008, comm. 242, M.L. Coquelet. 46 18. Caution désintéressée. Quant aux cautions sans aucun intérêt patrimonial, elles s’engagent pour rendre service(22). Elles rentrent dans les cautions profanes qui ne doivent pas être soumises au même régime juridique que les cautions averties. II. – Un régime juridique diversifié 19. Les intérêts de la distinction. La pratique révèle plusieurs catégories de cautionnements dont la formation (A) et l’exécution (B) doivent répondre à des règles différentes pour conserver l’utilité de la garantie et protéger également la caution fragile contre la rigueur d’un engagement irréfléchi ou disproportionné(23). A. – La diversité au stade de la formation du contrat 20. Entre le consensualisme et le formalisme. Le nouvel article 14 alinéa 1 de l’AUS fait désormais du cautionnement un contrat consensuel(24). Les cautionnements d’affaires touchant les opérations économiques entre groupes de sociétés, les garanties bancaires à l’exportation ou d’achèvement d’un programme immobilier, les cautionnements professionnels rémunérés et les cautionnements intéressés sont soumis à la règle du consensualisme. Mais cette règle sera écartée par le formalisme et l’octroi d’un délai de réflexion lorsqu’il est nécessaire de protéger les cautions en situation de faiblesse. ➜ Le recours mesuré au formalisme L’écrit est nécessaire pour les cautions lettrées. Pour les autres, le recours aux témoins est une condition légale. a) L’apport de l’écrit 21. Les insuffisances de l’écrit. Pour les cautions profanes lettrées, l’écrit peut être érigé en règle de forme. À (22) TPI Yaoundé, Centre administratif, 8 juill. 2004, ord. n° 794/C, OHADATA J. 04-4-418 (la caution est la tante de la débitrice principale) ; CA Daloa, 5 févr. 2003, arrêt n° 32 ; TPI Gagnoa, 4 juin 2003, jugement n° 79 : la caution est la belle fille du débiteur principal. (23) Voir S. Piedelièvre, Le cautionnement excessif, Defrénois 1998, art. 36836 ; S. Piedelièvre, De la proportionnalité de l’engagement d’une caution, Gaz. Pal. 8 nov. 2012, p. 12 ; Y. Picod, Proportionnalité et cautionnement, le mythe de Sysiphe, in Étude du droit de la consommation, liber amicorum Jean Calais-Auloy, Dalloz, 2004, p. 843 ; S. Pesenti, Le principe de proportionnalité en droit des sûretés, LPA 2004, n° 51, p. 12 ; G. Piette, La sanction en cautionnement disproportionné, Dr. & patr. 2004, n° 127, p. 44 ; D. Pohé, Le principe de proportionnalité du cautionnement, préc. ; S. Le Gac-Pech, La proportionnalité en droit privé des contrats, LGDJ, 2000, p. 64. (24) Y. Kalieu, La mention manuscrite dans le cautionnement OHADA, Juridis Périodique, n° 55, juill.- août- sept. 2003, p. 109 et s., <http://kalieu-elongo.com/wp-content/uploads/2015/01/La-mention-manuscrite-dans-le-cautionnement-OHADA.pdf>, OHADATA D. 03-02. Revue Lamy Droit des Affaires Nº 114 AVRIL 2016 Étude condition de comprendre le sens du contenu du contrat, elles doivent écrire de leur main sur l’acte de cautionnement des mentions dont la lettre doit être impérativement imposée par la loi(25). Le droit OHADA doit adopter un régime spécifique adapté au crédit à la consommation(26). L’insertion d’un chapitre spécial consacré aux cautions profanes est nécessaire. Lorsqu’elles contractent avec un professionnel du crédit, elles doivent, à peine de nullité de leur engagement, écrire de leur main le montant de la somme maximum à payer (ce qui permet d’exclure le cautionnement omnibus pour les cautions profanes), la durée de leur engagement, la clause de solidarité. La mention manuscrite du montant des loyers garantis et les conditions de la révision du bail doivent être une obligation légale. À cela s’ajoutera celle de remettre un exemplaire du contrat de bail au garant qui sera simplement sanctionnée par une condamnation pécuniaire. 22. Source d’inefficacité. Toutefois, la généralisation de ce formalisme est contraire à l’impératif de simplicité et d’attractivité du cautionnement. Son usage doit être limité pour éviter aux cautions de mauvaise foi d’en tirer profit pour se délier d’un engagement souscrit en connaissance de cause. Cette protection ne sera pas envisagée pour les cautionnements établis sous la forme authentique et ceux dans lesquels le créancier n’est pas un professionnel du crédit mais un professionnel (agriculteurs, professions libérales) qui prête pour rendre service. 23. Les limites de l’écrit. Dans la civilisation de l’oralité, l’écrit n’est pas forcément le meilleur moyen de protection du consentement(27) car il ne toucherait qu’une infime partie des cautions à protéger. Le recours aux témoins est une solution réaliste pour les cautions analphabètes. b) Le recours aux témoins 24. Les témoins certificateurs. L’article 14, alinéa 2(28), de l’AUS précise que la caution qui ne sait pas ou qui ne peut pas écrire doit se faire assister de deux témoins qui certifient dans l’acte de cautionnement son identité et sa présence et attestent, en outre que la nature et les effets de l’acte lui sont précisés. Ils attestent que la portée du contenu de son engagement lui a été précisée(29). Le défaut de cette formalité devra être sanctionné par la nullité du cautionnement. Mais alors comment appliquer à ce type de caution l’alinéa 1er de l’article 13 qui consacre le cautionnement des dettes futures en Afrique ? L’engagement pour une somme indéterminée suppose que la caution avait connaissance de manière non équivoque et certaine de la nature et de l’étendue de l’obligation garantie. Comment garantir cette certitude par la certification de témoins ? Une caution illettrée peut-elle valablement cautionner le solde d’un compte courant ? 25. Mécanisme à définir clairement. Tous les paramètres de ce formalisme n’ont pas été clairement définis par la loi. De nombreuses interrogations sur l’identité et la compétence des témoins restent sans réponse dans la loi. La même interrogation subsiste quant à l’auteur du choix des témoins. Par ailleurs, on peut craindre que le créancier accepte comme témoin toute personne sachant lire et écrire mais sans aucune compétence juridique, pour remplir une condition légale. Il peut arriver que par incompétence ou par mauvaise foi les témoins choisis n’instruisent pas la caution sur tous les aspects contraignants du cautionnement pour l’encourager à s’engager(30). La caution pourra alors remettre en cause le contrat sur la base de la réticence dolosive. En outre, le choix de la caution est risqué, car elle n’a pas les moyens d’apprécier la compétence des témoins en droit des garanties bancaires. Ne fallait-il pas soumettre le choix des témoins à homologation d’une autorité judiciaire ou administrative pour éviter plus tard toute contestation sur la portée de l’engament de la caution ou sur la nature du contrat ? Ou encore dresser une liste de témoins assermentés dont la compétence est certifiée pour éviter la remise en cause du cautionnement par la caution illettrée ? 26. Traducteur, traître. Le recours aux témoins soulève des difficultés pratiques dont la conséquence peut être la mauvaise information de la caution. L’obstacle de l’accès à la langue nécessite une traduction qui peut déboucher sur une trahison du sens ou de la portée des engagements juridiques découlant du contrat en cause. Il convient donc de s’assurer de l’authenticité du message transmis et de la certitude de la bonne compréhension par son destinataire. La compétence des témoins est nécessaire pour l’efficacité même des cautionnements sans forcément aller en présence des notaires qui ne sont implantés que dans les grandes métropoles africaines. Ce formalisme peut être complété par un délai de réflexion. ➜ L’opportunité d’un délai de réflexion (25) Sur ce point voir C. consom., art. L. 313-7 et L. 313-8. (26) Y.-H. Gué, La protection du consommateur en Côte d’Ivoire, thèse, Montpellier 2009. (27) M. Fontaine, Acte uniforme OHADA sur le droit des contrats, note explicative de l’avant-projet – <http:/www.unidroit.org/french/legalcooperation/OHADA>. (28) Voir Code sénégalais des obligations civiles et commerciales, art. 20. (29) J. Issa Sayegh, La certification des actes des personnes qui ne savent ou ne peuvent signer, Penant janv. - mai 1991, n°805. Nº 114 AVRIL 2016 27. La technique de l’offre préalable. Dans le souci de renforcer la protection du consentement de la caution, l’organisation d’un temps de réflexion avant de s’engager ou d’une période pour se rétracter peut prévenir ou corriger les in- (30) Voir P. Nkou Mvondo, L’information de la caution dans le nouveau droit des sûretés dans les États Africains, <www. ohada.com/ohadata. D-06-33.OHADATA>, n° 66, p. 28. Revue Lamy Droit des Affaires 47 suffisances des vices du consentement(31). Faut-il généraliser ce délai de réflexion à tous les contrats de cautionnement conclus entre un profane et un établissement de crédit ? 28. Une technique ciblée. Pour éviter l’affaiblissement du cautionnement et son délaissement par les créanciers(32), cette technique ne devrait être instituée que pour des personnes physiques qui se portent caution d’un consommateur de crédit mobilier ou immobilier à l’égard d’un établissement de crédit. Malgré tout, des doutes persistent sur l’efficacité de ce délai de réflexion qui ne garantit pas à terme une bonne compréhension de la portée de l’engagement de caution. Dans un souci différent, l’imposition à l’établissement de crédit d’un délai d’information par écrit avant la formation du cautionnement d’un entrepreneur individuel pour les besoins de son activité le protégerait contre la prise de sûretés excessives. 29. Utilité pour les cautions lettrées. Faut-il instituer la remise d’un document à la caution pendant cette période pour s’imprégner des conditions générales et bénéficier éventuellement de l’avis éclairé d’un expert avant de s’engager ? C’est sans doute l’un des moyens pour lutter efficacement contre la remise en cause d’un contrat aussi complexe que le cautionnement. Ainsi, la conclusion définitive serait « ponctuée » d’étapes préalables intégrées dans le processus de sa formation(33), ce qui n’empêchera pas le « dépeçage » du cautionnement au stade de son exécution. B. – La diversité au stade de l’exécution 30. La justice contractuelle. Il faut régler la contradiction entre la nécessité du crédit et la protection de la caution sur la base de la fraternité contractuelle(34). L’équité impose que les obligations des parties ainsi que leurs sanctions soient plus ou moins rigoureuses en fonction de leur qualité. 31. Le débiteur de l’obligation. Tous les créanciers sont soumis à l’obligation légale d’information concernant le montant du capital restant dû et de la faculté de révocation du contrat. En revanche, ils ne sont pas tous débiteurs de la même obligation d’information(35)au stade de la conclusion. Elle ne pèse que sur le créancier professionnel du crédit qui est le mieux placé pour renseigner la caution profane à la conclusion du contrat(36). Il doit lui fournir le mode d’emploi du contrat de cautionnement et indiquer les précautions d’usage utiles à sa bonne exécution, la renseigner sur les caractéristiques essentielles de ce contrat pour qu’il soit conclu de bonne foi. 32. Bilatéralisation du cautionnement. L’obligation d’information des créanciers participe à la bilatéralisation du cautionnement(37). En contrepartie de l’engagement de payer, le créancier est tenu d’un devoir de renseignement dont l’utilité n’est pas à sens unique. L’information donnée à la caution sur l’état de la situation cautionnée peut contribuer à la satisfaction du créancier en ce sens que le garant averti peut faire pression sur le débiteur pour prendre toutes diligences nécessaires pour que celui-ci honore son engagement(38). 33. Information des cautions illettrées. L’information personnelle et efficace de la caution renforce l’efficacité de la garantie en ce qu’elle met le créancier à l’abri de toutes critiques sur ce point. Les témoins certificateurs ont-ils également l’obligation d’informer les cautions illettrées sur leurs droits à l’égard du créancier ou de leurs recours contre le débiteur principal ou les cofidéjusseurs ?(39) Revient-il aux témoins de renseigner la caution illettrée sur la perte du bénéfice de la subrogation par la faute du créancier ?(40) Si l’obligation de témoins se cantonne au stade de la formation du contrat, la caution illettrée sera livrée à elle-même au stade de son exécution. (35) P. Nkou Mvondo, L’information de la caution dans le nouveau droit des sûretés des États Africains, préc. (31) Voir C. consom., art. L. 311-11 et L. 312-7. (32) P. Dupichot, L’efficience économique du droit des sûretés personnelles, LPA 2010, n° 74, p. 31 ; D. Fenouillet, Le Code de la consommation ou pourquoi et comment protéger la caution ?, RDC 2004, p. 310. (33) G. Cornu, La protection du consommateur et l’exécution du contrat, Travaux de l’association H. Capitant, T. XXIV 1973, p. 144 ; G. Rouhette, Droit de la consommation et théorie générale du contrat, in Études offertes à René Rodière, Dalloz, 1981, p. 247 ; J. Calais Auloy, H. Temple et V. Christianos, Délai de réflexion : théorie juridique et efficacité de la protection des consommateurs, D. 1993, chr., p. 29 ; A. Cerles, La mention manuscrite du code de la consommation, une protection de la caution source du contentieux, RD bancaire et fin. 2012, n° 5, p. 68. (34) D. Mazeaud, Le solidarisme contractuel et la réalisation du contrat, in Le solidarisme contractuel, Economica, 2004 ; D. Mazeaud, Loyauté, solidarité, fraternité, la nouvelle devise contractuelle ?, in Mélanges en l’honneur de F. Terré, l’avenir du droit, Dalloz-PUF-Éditions du Jurisclasseur 1999, p. 606. 48 ➜ Une répartition variée des obligations des parties (36) Ch. Mouly, Les causes d’extinction du cautionnement, Litec, 1979, p. 481, n° 376 ; D. Legeais, Sûretés et garanties du crédit, LGDJ, 9e éd., 2013, p. 80, n° 97, selon cet auteur : avec l’essor du cautionnement, la protection de certaines cautions (la caution profane) est devenue une nécessité. (37) M. Séjean, La bilatéralisation du cautionnement ? Le caractère unilatéral du cautionnement à l’épreuve des nouvelles contraintes du créancier, LGDJ, 2011, p. 5 ; A.-S. Barthez et D. Houtcieff, préc., n° 41 ; Ph. Delebecque, Le cautionnement et le Code civil : existe-t-il encore un droit du cautionnement ?, RJ com. 2004, p. 226. (38) C. Mouly, Les causes d’extinction du cautionnement, préc., p. 478 ; D. Legeais, Sûretés et garanties du crédit, LGDJ, 9e éd., 2013, p. 94, n° 96 ; P. Crocq, L.-B. Yondo, M. Brizoua-BI, O.-F. Lambie, L.-J. Laisney et A. Marceau-Cotte, Le nouvel acte uniforme portant organisation des sûretés, la réforme du droit des suretés de l’OHADA, préc., p. 25. (39) art. 34. (40) art. 29, al. 2. Revue Lamy Droit des Affaires Nº 114 AVRIL 2016 Étude 34. Devoir de conseil et de mise en garde. La caution n’étant pas un contractant ordinaire, son information doit être une véritable obligation mise à la charge du créancier. Elle se matérialise en jurisprudence par un devoir de conseil et de mise en garde assorti de sanctions pécuniaires ou de sanctions affectant le cautionnement quand la caution est profane. Pour éviter l’infantilisation de la caution, cette protection sera sélective et subordonnée à la dissymétrie d’information entre les deux contractants. Il ne s’agit pas de protéger la caution profane contre sa propre imprudence ou son incompétence qui a provoqué la faillite de l’entreprise, mais d’attirer son attention sur les risques négatifs du prêt cautionné ou sur la vulnérabilité de l’emprunteur qui résulte de ce prêt. Lorsque la caution est profane, le créancier professionnel du crédit est inexcusable de ne pas l’éclairer sur les inconvénients de son engagement de garant du prêt cautionné, et sur la non viabilité attendue de l’opération financée. Pour cela, la banque doit mener des investigations afin de prodiguer des conseils sur l’opération à financer. Elle doit refuser le prêt et l’engagement de la caution si l’opération est d’emblée vouée à l’échec. Pour la caution, ce devoir de mise en garde revêt la forme particulière d’une exigence de proportionnalité entre la garantie souscrite et le patrimoine de la caution. 35. Le devoir de s’informer. L’obligation d’information impose également à son débiteur de s’informer sur la situation financière de la caution pour connaître ses capacités financières de remboursement. Le créancier doit la mettre en garde, voire la dissuader de s’engager si ses biens et revenus sont manifestement disproportionnés par rapport au montant de la dette garantie. 36. La sûreté excessive. La sûreté ne doit pas être excessive par rapport aux possibilités de remboursement de la caution. Et contrairement au droit français(41), le droit OHADA ne contient aucune règlementation sur les conditions, ni sur les sanctions applicables au cautionnement disproportionné. Toutefois, l’article 25 alinéa 2 de l’AUS y fait une vague allusion en disposant que « la caution doit présenter des garanties de solvabilité appréciées en tenant compte de tous les éléments de son patrimoine(42) ». 37. L’équité et la justice contractuelle. Dans un esprit d’équilibre et de justice contractuelle, le bénéfice de la proportionnalité ne doit pas être accordé à toute caution (41) P. Crocq, Sûretés et proportionnalité, in Mélanges offerts au Doyen Philippe Simler, Litec, 2006, p. 291 ; voir C. consom., art. L. 341-1 à L. 341-4 ; O. Cuperlier et A. Gorny, L’engagement disproportionné de la caution après la loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique : réflexions et statistiques, JCP N 2004, n° 1540 ; A.-S. Barthez, Exigence de proportionnalité en matière de cautionnement, RDC 2012, p. 1269 ; L. Aynès, Cautionnement excessif : application dans le temps de la sanction légale, Dr. & patr. 2007, n° 155, p. 22. (42) B. Martor, N. Ilkington, D. Sellers et S. Thouvenot, Le droit uniforme africain des affaires issu de l’OHADA, LGDJ, p. 236, n° 1054. Nº 114 AVRIL 2016 qui conclut un cautionnement avec un créancier professionnel. Seule une caution non avisée, personne physique ou morale contractant avec un professionnel du crédit devrait pouvoir l’invoquer au nom de l’équité. La prise en considération de l’engagement disproportionné de la caution lui évite de se ruiner pour autrui. L’équilibre des prestations issu du principe de proportionnalité est un instrument de satisfaction pour chaque contractant.(43) 38. L’exigence de circonstances exceptionnelles. La finalité de l’utilité du contrat de cautionnement impose que certaines cautions soient exclues du bénéfice de proportionnalité. Ainsi en va-t-il de toutes les cautions qui sont censées avoir plus d’informations ou partager les mêmes informations que le créancier. L’évolution de la jurisprudence française depuis l’arrêt Macron(44) est une voie à suivre. En effet, après avoir admis le principe de proportionnalité en matière de cautionnement de crédits professionnels donnés par les dirigeants de société, la jurisprudence a affiné son analyse dans l’arrêt Nahoun(45) pour les cautions dirigeantes. Celles-ci ne peuvent invoquer une telle disproportion qu’en établissant que la banque aurait eu sur les revenus, patrimoine et facultés de remboursement raisonnablement prévisibles, en l’état du succès escompté de l’opération entreprise par la société, des informations qu’elles-mêmes auraient ignorées. 39. Pour les cautions dirigeantes avisées. Cette solution a certes l’inconvénient de briser l’unité dans la protection des cautions, mais présente l’avantage de ne pas encourager la mauvaise foi des cautions dirigeantes. En effet, celui qui librement cautionne un crédit que sa situation financière lui recommanderait raisonnablement de ne pas garantir, ne peut rien reprocher à la banque, si par la suite il doit payer à la place de la société débitrice que son incompétence professionnelle a précipitée dans la faillite. Même si la banque a pris le risque d’accorder un crédit excessif, c’est un risque courant et normal en matière d’affaires. La banque et la caution comptent, de bonne foi, plus sur les succès escomptés de l’opération pour un auto-remboursement que sur le patrimoine personnel du débiteur ou de la caution. La caution ne doit pas reporter sur le créancier les conséquences domma- (43) P. Crocq, Sûretés et proportionnalité, in Mélanges offerts au Doyen Philippe Simler, Litec, 2006, p. 291 ; voir C. consom., art. L. 341-1 à L. 341-4 ; O. Cuperlier et A. Gorny, L’engagement disproportionné de la caution après la loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique : réflexions et statistiques, JCP N 2004, n° 1540 ; A.-S. Barthez, Exigence de proportionnalité en matière de cautionnement, RDC 2012, p. 1269 ; L. Aynes, Cautionnement excessif : application dans le temps de la sanction légale, Dr. & patr. 2007, n° 155, p. 22. (44) Cass. com., 17 juin 1997, n° 95-14.105, Bull. civ. IV, n° 188, JCP E 1997, 1007, note D. Legeais, Defrénois 1997, art. 36703, obs. L. Aynès, RTD civ. 1998, p. 100, obs. J. Mestre, RTD com. 1997, p. 662, obs. M. Cabrillac. (45) Cass. com., 8 oct. 2002, n° 99-18.619, préc. Revue Lamy Droit des Affaires 49 geables de sa défaillance, sauf circonstances exceptionnelles dont il lui incombe de faire la preuve. 40. Les cautions dirigeantes profanes. Dès lors, seules certaines cautions dirigeantes sans aucune expérience de la gestion pourront bénéficier du principe de proportionnalité. Pour ces cautions, le devoir de mise en garde doit être sanctionné. ➜ Les sanctions taillées sur mesure 41. Sanctions en cas de cautionnement excessif. Au niveau de l’exécution du contrat certaines sanctions comme la nullité du contrat ou l’inopposabilité sont inappropriées. 42. Sanctions inappropriées. La nullité suppose que le consentement de la caution ne soit pas intègre au moment de la conclusion du contrat. Il faudrait par exemple invoquer une erreur sur la substance. Or, la jurisprudence estime que la disproportion entre les ressources de la caution et le montant du cautionnement n’est pas constitutive d’une erreur sur la substance(46). Très souvent, le dirigeant d’une société s’engage librement dans les liens d’un cautionnement disproportionné(47). C’est pour cette raison que la nullité est une sanction à écarter, au même titre que l’inopposabilité sauf à admettre une inopposabilité temporaire. 43. Inopposabilité. Cette sanction ne fait pas disparaître le contrat mais prive le créancier de tout recours en paiement contre la caution. Mais le créancier professionnel retrouve son droit d’agir en exécution de la garantie si la disproportion disparaît parce que la caution est revenue à meilleure fortune. Ces effets sont trop doux pour sanctionner un créancier de mauvaise foi qui a violé l’obligation de mise en garde vis-à-vis d’une caution profane. Peut-on la retenir tout au plus pour les cautions averties qui ont voulu prendre des risques ? Pour ces dernières, les sanctions consacrant trop facilement leur libération sont à proscrire également. C’est pour cette raison que la décharge est l’une des sanctions adaptées. 44. La sanction pécuniaire. La sanction du devoir de mise en garde doit varier en fonction de la qualité de la caution ou du créancier. Pour les cautions profanes, la mise en cause de la responsabilité du dispensateur du crédit qui violerait l’obligation de mise en garde a pour objet de lui faire supporter l’intégralité du risque. La déchéance du créancier professionnel de se prévaloir d’un cautionnement manifestement dis- proportionné serait la sanction idéale pour stimuler ce créancier professionnel à conclure de bonne foi le contrat. Quant aux cautions intégrées, qui ont le devoir de s’informer elles-mêmes, il est indécent de faire supporter l’intégralité du risque pris au dispensateur de crédit(48). La faute de la banque d’éclairer son cocontractant prive seulement la caution d’échapper, par une décision plus judicieuse, au risque négatif du crédit cautionné. Cette perte de chance cause un préjudice à la caution qui est distinct des opérations réalisées. C’est pour cette raison que sa réparation ne peut pas correspondre au montant des encours accordés et garantis(49). Dès lors, en cas de disproportion pour les cautions bénéficiant de circonstances exceptionnelles, un remboursement partiel de sa créance à proportion des facultés réelles de la caution est à conseiller. 45. Décharge de la caution. En définitive, le législateur africain peut s’inspirer de l’expérience française pour consacrer la décharge de la caution non avertie(50). Il appartient ensuite au juge de prononcer une décharge totale ou une décharge à la mesure de l’excès. Mais contrairement à l’article L. 341-4 du code de la consommation, le champ de la protection doit être limité. Seules les cautions profanes créancières d’une obligation d’information pourront prétendre à une décharge totale, tandis que la décharge de celles qui ne peuvent invoquer le bénéfice de proportionnalité qu’en cas de dissymétrie d’information sera à la hauteur de l’excès. Le but de la sanction est d’inciter ces dernières à contracter de bonne foi dans les limites de leur patrimoine et sans compromettre gravement leur avenir(51). L’efficacité de la protection dépendra également de l’appréciation du contenu du patrimoine affecté surtout pour les cautions impliquées dans un lien conjugal polygame. Lorsqu’une telle caution est en communauté de biens avec plusieurs conjoints, la question est de savoir quel sera le patrimoine de référence dans l’appréciation de la disproportion ? Dans tous les cas, l’efficacité et l’effectivité du droit des garanties nécessitent une balkanisation des normes applicables. Le droit actuel sied aux hommes d’affaires et aux pools bancaires. Il reste à statuer sur les cautions d’en bas. (48) Cass. com., 30 juin 2009, n° 08-10.719. Une caution dirigeante qui avait mis en place un crédit pour sa société était considérée comme une caution avertie ; ce dont il résulte que la banque n’était pas tenue à son égard d’un devoir de mise en garde. (49) Voir l’arrêt Macron, préc., D. 1998, p. 208, note J. Casey, RTD. civ. 1998, p. 157, obs. P. Crocq, Bull. Joly Sociétés 1997, p. 866, note P. Le Cannu, Banque et droit 1997, p. 79, obs. J.-L. Guillot, Dr. sociétés oct. 1997, p. 8, obs. Th. Bonneau. (50) Voir C. consom., art. L. 313-10. (46) Cass. 1re civ., 17 juill. 1996, n° 94-14.132. (47) Les affaires Macron (Cass. com., 17 juin 1997, n° 95-14.105, préc.) et Nahoun (Cass. com., 8 oct. 2002, n° 99-18.619, préc.) vont dans ce sens. 50 (51) G. Piette, La sanction du cautionnement disproportionné, Dr. & patr. 2004, n° 127, p. 44 ; J. Raynaud, La solvabilité de la caution, LPA 2000, n° 15, p. 12. Revue Lamy Droit des Affaires Nº 114 AVRIL 2016 Index thématIque des sources commentées Caution – Conjoint – Banque – Obligation d’information ou de mise en garde (non) Cass. com., 9 févr. 2016, n° 14-20.304, P+B......................... Faute séparable des fonctions de dirigeant – Infraction pénale du gérant – Qualification 5885 Caution – Information annuelle – Preuve Cass. com., 9 févr. 2016, n° 14-22.179, P+B ......................... 5884 Cass. com., 2 févr. 2016, n° 14-20-747, P+B ......................... 5878 5880 Mandat ad hoc – Conciliation – Confidentialité Cass. com., 15 déc. 2015, n° 14-11.500, P+B+I...................... Clauses abusives – Conditions générales d’utilisation de Facebook – Clause attributive de compétence – Tribunaux californiens 5881 Impôt de solidarité sur la fortune – Réduction – Cessation d’activité de la société Cass. com., 2 févr. 2016, n° 14-24.441, P+B ......................... Cession de droits sociaux – Droit de préemption – Tiers évincé 5897 Manquement d’initié – Délit d’initié – Cumul de sanctions Cons. const., 14 janv. 2016, n° 2015-513/514/526 QPC ..... CA Paris, pôle 2, ch. 2, 12 févr. 2016, n° RG : 15/08624, Facebook c/ X .......................................................................... 5888 Code de la consommation – Réforme – Ordonnance 5889 Délit de favoritisme – Marchés publics 5890 Délit d’organisation frauduleuse d’insolvabilité – Caractérisation 5887 Plan de redressement – Cession forcée des parts sociales du dirigeant Cass. com., 26 janv. 2016, n° 14-14.742, P+B....................... Cass. crim., 17 févr. 2016, n° 15-85.363, P+B+I .................... 5892 Observatoire de l’inclusion bancaire – Informations – Transmission Arr. min. 9 mars 2016, NOR : FCPT1530671A, JO 15 mars ... Ord. n° 2016-301, 14 mars 2016, JO 16 mars ....................... 5883 Pratiques commerciales trompeuses – Éléments constitutifs – Répression Cass. crim., 13 janv. 2016, n° 14-84.072, P+B ; Cass. crim., 17 févr. 2016, n° 14-86.969, P+B ...................... 5891 Droit des contrats – Réforme – Ordonnance Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016, JO 11 févr. ......................... 5877 Emprunteur – Devoir de mise en garde – Banque – Limites Cass. crim., 13 janv. 2016, n° 14-88.136, P+B ....................... 5893 Procédures collectives – Tribunaux de commerce spécialisés – Liste – Publication D. n° 2016-217, 26 févr. 2016, JO 28 févr. ............................ 5882 Retraites chapeaux – Rapport de gestion – Mentions obligatoires – Décret Cass. com., 9 févr. 2016, n° 14-23.210, P+B ......................... Nº 114 AVRIL 2016 Cass. 3e civ., 10 mars 2016, n° 14-15.326, P+B ..................... 5886 D. n° 2016-182, 23 févr. 2016, JO 26 févr. ............................ Revue Lamy Droit des Affaires 5879 51