Catherine VÉRONIQUE CRAM Nord-Est Table ronde Accès aux
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Catherine VÉRONIQUE CRAM Nord-Est Table ronde Accès aux
Table ronde Accès aux droits des migrants âgés : quelles réponses de proximité ? Le point de vue des institutions. ■ Communication de Mme Catherine VÉRONIQUE, Directrice Adjointe de l’Action Sanitaire et Sociale de la CRAM du Nord-Est. ■ Intervention du Dr Branchereau Médecin du pôle gérontologique CCAS de Nancy. ■ Jean-Pierre DUBOIS-PÔT, Directeur de l’Insertion et de la Prévention de l’exclusion CG 54. Catherine VÉRONIQUE CRAM Nord-Est Bonjour ! Je demande toute votre indulgence car le passage à la retraite n’est pas mon sujet de préoccupation principal, je m’occupe plutôt d’action sanitaire et sociale, mais je représenterai aujourd’hui la CRAM à ce titre là. Ce sur quoi je souhaite insister en tout 1er lieu c’est que le passage à la retraite ne doit pas théoriquement poser de problème, puisque nous appliquons les règles de droit commun au même titre que pour tout salarié ayant exercé son activité en France. Pour autant, on est confronté à de nombreuses difficultés et c’est ce que je suis allée rechercher auprès des services de façon à vous renvoyer le regard d’une institution : pourquoi ? Parce qu’on a tant de problèmes pour liquider les droits à la retraite des travailleurs migrants. En ce qui concerne le droit propre, cela est relativement facile mais ce à quoi faisait allusion Mme LE GOFF tout à l’heure, je crois, à savoir l’ASPA, c’est-à-dire l’allocation spécifique de solidarité, c’est un droit non contributif et effectivement qui est soumis à des conditions de résidence en France, et c’est là qu’il y a problème, comme on l’a déjà souligné. Le projet d’une personne migrante ou immigrée c’est de repartir dans son pays… et là on l’oblige à faire un choix, soit de rester en France loin de ses racines et d’y mourir, soit de se soumettre à des va-et- Ces immigrés qui vieillissent en Lorraine : accès aux droits et réponses de proximité 31 vient incessants pour conserver ses droits, puisque, dès qu’il n’y a plus de conditions de résidence, remplies, qui doivent être de 6 mois et un jour, l’allocation est dans un 1er temps suspendue, jusqu’à ce que la personne fasse la preuve de sa résidence en France, et ensuite d’un autre côté, l’allocation peut être carrément supprimée si jamais cette preuve n’est pas apportée. Cet aspect là est très important, car le droit propre d’un travailleur migrant est faible. Il a souvent eu une carrière chaotique avec des emplois peu qualifiés, donc ses droits sont relativement faibles. Ainsi met-on l’étage supérieur de solidarité et c’est cette fameuse ASPA qui les amène à un minimum vieillesse, ils obtiennent ainsi ce que l’on pourrait considérer comme des montants dignes pour vivre, quoique cela les entraîne à une conséquente nécessité, à savoir renvoyer de l’argent au pays, à la famille qui y est restée. On verra que cela rejaillit sur les problèmes de mutuelle dont on parlait auparavant. ■ Gilles DESRUMAUX Pour l’obtention des droits, compte-tenu de la situation très particulière des Immigrés dans la liquidation de leurs droits, vu leur extranéité, leur difficile maîtrise de la langue française et les relations complexes avec les administrations, comment la CRAM aborde-t-elle le problème ? ■ Catherine VÉRONIQUE On a repéré des problèmes de trois ordres : • des problèmes liés à la communication en général effectivement avec la barrière de l’isolement, notamment pour les personnes seules vivant en logement diffus ou en foyer, peu importe. Il y a donc le problème de la connaissance de leurs droits. • On a des barrières socioculturelles, d’une part l’illettrisme encore pour certains, même s’ils vivent dans notre pays depuis longtemps et puis pour certains il y a un problème de confiance, voire de réticence à faire confiance à du personnel féminin. Nos institutions sont largement "féminisées" (et ils ont des difficultés à croire à la parole d’un agent de la CRAM féminin). a incités et puis on travaille aussi avec des personnes relais, gestionnaires des foyers de travailleurs migrants ou les travailleurs sociaux référents sur les territoires, ou encore avec les associations qui sont présentes ici par exemple. Et puis on essaie aussi de s’appuyer sur les familles puisqu’en général la 2ème et 3ème génération étant bien intégrées, la constitution des dossiers en relation avec la famille est très importante ; nous réfléchissons aussi à recenser les compétences linguistiques au sein même de la CRAM de façon à avoir des référents "spécifiques" dès que les personnes se présentent. Voilà pour un ensemble de 1ères difficultés, d’ordre général. Ensuite nous avons des problèmes sur l’identification et la reconstitution des carrières, parce que nous sommes dans un pays qui fonctionne, qui produit sur l’écrit, sur le "justificatif" et donc on a un problème de fiabilité de l’information, voire de collecte de cette information. De plus on a du mal à obtenir des pièces précises d’état civil parce que les états civils des pays d’origine sont trop récents ou encore des pièces d’état civil détruites, lorsque ces pays ont été en guerre, ou bombardés dans certaines administrations, ainsi on a beaucoup de difficultés pour obtenir des éléments de carrières effectuées à l’étranger, lorsque les personnes immigrées ont commencé à s’ouvrir des droits à l’étranger, pour leur travail et qu’on voudrait pouvoir compléter chez nous. Et puis les carrières sont morcelées, disparates avec beaucoup de petits emplois et employeurs diffus. Les personnes du fait qu’elles bougent beaucoup ont des difficultés pour la conservation de pièces telles que les bulletins de salaire – pour nous cela semble évident – pour elles cela pose problème. Et pourtant, les divers éléments applicables à la constitution des dossiers à un Français-Français ou à un Immigré, sont les mêmes. Il y a chez nous une notion d’égalité de traitement du citoyen dans la liquidation de son dossier. Ainsi on essaie d’anticiper au mieux tout ce qui peut l’être avec des signalements précoces auprès des CAF, lorsqu’il y a des A.A.H.(Allocations d’Adultes Handicapés) car il y a des bénéficiaires A.A.H. et aussi des bénéficiaires RMI ; on est aussi en lien avec les ASSEDIC qui nous signalent le plus tôt possible ce passage du chômage à la retraite, de façon à ce que l’on traite les dossiers de façon systématique. On s’appuie sur des compétences expertes chez nous. On a aussi des pôles de compétences qui travaillent ces dossiers, on s’appuie sur les relais que vous êtes, il faut absolument que ces relations s’instaurent pour aider les personnes. • Puis on a la barrière de la langue qui est plus ou moins marquée suivant le pays d’origine et là-dessus on compte travailler dans des relations de confiance, mais cela prend du temps : il faut dialoguer, former nos équipes. Ainsi on a créé à la CRAM un service spécifique qui ne traite que de ces dossiers-là, on met en place des référents, du moins c’est ce qu’on essaie de faire, et c’est ce à quoi notre Caisse Nationale nous 32 Ces immigrés qui vieillissent en Lorraine : accès aux droits et réponses de proximité ■ Gilles DESRUMAUX Pour remercier Mme Catherine VERONIQUE de toutes ces précisions mais pour souligner aussi que les bonnes relations d’aujourd’hui entre Associations et CRAM n’ont pas toujours été telles et de citer sa propre expérience en tant que Directeur d’association à Grenoble où il fut obligé de recourir à de nombreux contentieux en Cour d’Appel et en Cassation pour arriver enfin à l’arrêté "MAZARI" qui reconnaissait le droit aux ressortissants étrangers non-communautaires de bénéficier du F.N.S. et de remercier derechef Catherine VERONIQUE pour le témoignage de cette nouvelle ère… ■ Catherine VÉRONIQUE Effectivement je voulais rebondir et reparler de cette Allocation Spécifique de Solidarité pour les Personnes Agées (ASPA). Il y a donc cette condition de durée de résidence en France, elle est fixée à 6 mois et un jour en sachant que le décret (d’application ndlr) n’est toujours pas paru. Nous avons pu constater suivant les CRAM des pratiques tout à fait hétérogènes pour vérifier cette durée de résidence, ce qui peut amener à des pratiques très dures et très investigatrices auprès des personnes, puisque certaines CRAM demandent à vérifier les passeports, à vérifier les tampons, elles envoient des agents enquêteurs à domicile etc.… A la CRAM du Nord-Est, nous travaillons sur ce qu’on appelle une notion liée à un faisceau de présomptions : on va essayer de déterminer si la résidence est bien effective à partir d’un certain nombre de clignotants, mais on n’est pas en Nord-Est sur la base de l’inquisition auprès des personnes. on suspend ou on supprime (l’allocation ndlr) et là attention car on peut être amené à condamner des gens, cela veut dire qu’il va y avoir des indus qui seront faits sur la pension des personnes et si la personne est toujours vivante, on va faire un indu et prendre sur sa pension active et ce qui va lui rester est quatre fois rien, donc attention à la tentation – pour avoir un minimun de vie décente et pouvoir vivre au pays - à ne pas rentrer dans des pratiques douteuses (car il y a des marchands de sommeil et des gens qui "vendraient" des adresses et c’est très tentant) et ce serait dommage ! Dernier point : la notion de pension de réversion. A notre connaissance il n’y a que les femmes qui la perçoivent. La pension de réversion s’élève à 54% du montant du droit personnel. Le problème est que le droit personnel est souvent très faible : imaginez ce que cela peut donner. C’est donc arrivé à des personnes qui vivaient à l’étranger et que l’on voit arriver ici maintenant. Ce sont des femmes qui ont des pensions de réversion très faibles et qui viennent en France pour bénéficier de l’ASPA, ces personnes se retrouvent complètement déracinées ici, elles sont venues ici avec la vision d’avoir un peu plus pour vivre décemment et elles se retrouvent en France, âgées pour certaines, déracinées, loin de leur base avec quatre fois rien pour vivre, elles se retrouvent dans des problématiques administratives pire encore que celles qu’elles auraient pu rencontrer chez elles peut-être (dans un environnement au moins connu et stable), donc ici cela peut être dangereux et très déstabilisant pour ces personnes. Par contre un grand projet que l’on doit mettre en œuvre dans les CRAM, c’est la lutte contre les fraudes, car effectivement on a pu constater des fraudes - je me dois de vous le dire - et c’est une chose qui nous a été demandée également. Sur ce problème de résidence il y a des gens qui peuvent avoir des adresses fictives ou des boîtes à lettre, on vérifie donc cette résidence et la durée de résidence de 6 mois et un jour sinon Ces immigrés qui vieillissent en Lorraine : accès aux droits et réponses de proximité 33 DÉBAT ■ Lucette LAMOUSSE Présidente de l’AMATraMi Je reviens sur le lien entre le monde associatif et l’institution pour préciser qu’un effort de chaque côté est à faire. Retenons le principe de rencontres annuelles, et ainsi mieux structurer les relations entre Associations et Institutions ce qui permettrait de trouver de meilleures solutions aux situations multiples et hétérogènes et d’avoir plus d’informations pour les associations. ■ Gilles DESRUMAUX Je renchéris sur la complémentarité nécessaire entre Associations et Institutions et insiste sur la nécessité de comprendre la vie d’un Immigré pour être efficace dans l’action. ■ Vincent FERRY Historien à l’Université de Metz Je suis scandalisé du non-respect du principe universel de la protection sociale et souligne que derrière cette obligation de durée de résidence, il y a une question politique globale ! ■ Gilles DESRUMAUX Je précise qu’il s’agit de la question de l’exportabilité des prestations (et droits). Voilà 20 ans que l’on travaille sur ce sujet et qu’à ce propos il y a la fameuse loi DALO mais que si le décret d’aide à l’insertion des Vieux Migrants n’est pas sorti, c’est que derrière, on a peur que l’Europe ne s’en mêle. ■ Bernard BOISSAY, Bénévole à l’AMATraMi Je m’interroge sur le fond de rationalité qui devrait être à l’origine de toute loi et que là on ne voit pas. Personnellement j’ai travaillé 14 ans à l’étranger (pour des entreprises françaises certes) je touche ma pension complète et je ne réside pas dans lesdits pays d’exercice. ■ Gilles DESRUMAUX Je reprécise la complexité de cette question liée au problème des impôts et j’ajoute que vraissemblablement, elle évoluera sous le coup des jurisprudences européennes. ■ Catherine VERONIQUE Je voudrais rappeler tout de même, qu’il n’y a pas si longtemps de cela encore, il fallait résider en France pour faire liquider sa prestation retraite, laquelle maintenant peut être versée à 34 l’étranger, et là il ne s’agissait que du droit propre, on ne parlait pas du minimum contributif – et ce n’est pas si vieux que cela ! - D’autre part, par rapport au minimum vieillesse, il y avait en plus une condition de nationalité : il fallait être Français pour la toucher ou étranger communautaire ; cela a été supprimé ! De plus les lois ne dépendent pas des administrations mais de l’Assemblée Nationale qui les vote et du législateur. A la question de Monsieur qui demandait pourquoi il fallait résider en France pour percevoir sa retraite, je pense que là encore c’est lié à la notion de solidarité de droit non contributif, alors que le droit personnel, c’est un droit propre qu’on s’est ouvert en fonction de son travail, mais là on est sur du droit contributif et je pense que d’autres prestations sont encore fondées là-dessus, je crois aussi que l’APL (j’ai bien vérifié dans mes dossiers avant de venir) fait partie également de ces conditions et elle est suspendue si la personne ne réside plus en France (ou au moins 4 mois), mais on y reviendra plus tard peut-être quand on reparlera du logement des Immigrés, cela entraîne alors une suspension des droits et toujours ce choix cornélien entre : est-ce que je retourne dans mon pays d’origine ou est-ce que je reste en France pour préserver mes droits ? Et je crois que même la CMU est sur cette logique là ; sur l’APL on n’est pas sur la même exigence de durée (4 ou 8 mois cela dépend) mais ce sont toujours des notions de solidarité qui sous-tendent ces exigences de résidence. ■ Gilles DESRUMAUX Je souligne que maintenant en matière de droit contributif, l’égalité est totale, mais que reste entier le problème ou la problématique de l’exportabilité des droits non contributifs qui reposent sur la solidarité nationale. ■ Catherine VERONIQUE Sur une enquête récente qui a été faite, 30% des migrants bénéficient de l’ASPA, ce qui est un pourcentage énorme ! ■ Jean-Pierre DUBOIS-PÔT, Directeur de l’Insertion et de la Prévention de l’exclusion CG 54 J’insiste sur la complexité de l’ouverture des droits à la retraite et au minimum vieillesse. A un moment on a même pensé ouvrir droit au RMI pour les Immigrés retraités. C’est une aberration : quelle insertion demander pour des personnes âgées de 65 ans, voire de 70 ans ? Si les montants sont quasi équivalents entre RMI et minimum vieillesse, rappelons que le RMI lui reste une allocation subsidiaire. Ces immigrés qui vieillissent en Lorraine : accès aux droits et réponses de proximité