111 173-176 Nécrologie Girard

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111 173-176 Nécrologie Girard
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Le Professeur René GIRARD (1894-1972)
(d’après un portrait de F.-M. Roganeau)
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BULLETIN
DE LA
SOCIETÉ DE PHARMACIE
DE BORDEAUX
TOME 111
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1972
LE PROFESSEUR RENE GIRARD
(1894-1972)
L’assistance nombreuse, qui, le 20 septembre 1972, était réunie en l’église
Saint-Nicolas de Bordeaux, avait bien conscience que c’était une figure
bordelaise qui venait de disparaître.
C’est que celui à qui, ce matin-là, on rendait les derniers devoirs n’a pas
été seulement un Professeur à l’ex-Faculté de Médecine et de Pharmacie de
Bordeaux, mais aussi un Homme, qui, par son activité dans des domaines
très variés, avait su conquérir l’estime de ses concitoyens, dans des milieux
divers.
Rappelons, tout de suite, que le professeur Girard était président du
Syndicat d’initiative de Bordeaux ; membre et ancien président de l’Académie
nationale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de cette ville ; président honoraire
de la section du Sud-Ouest du Club alpin français et président d’honneur du
Ski-Club bordelais ; président honoraire de la Société linnéenne de
Bordeaux ; ancien inspecteur principal des Pharmacies et membre du Conseil
de l’Ordre des pharmaciens; membre des comités du Festival international et
de la Foire internationale de Bordeaux ; ancien président de la Maison de
l’Europe ; président d’honneur du Skall-Club. Et nous en passons.
Né en Charente, à Ruffec, le 20 août 1894, René Girard, après des
études secondaires faites à Poitiers, vint à Bordeaux pour y conquérir des
diplômes universitaires.
Ce fut d’abord le stage en pharmacie, chez René Guyot, maître de stage
réputé, qui s’efforçait d’orienter ses élèves vers la connaissance des sciences
de la nature ; puis les études à la Faculté de Médecine et de Pharmacie.
A l’issue de celles-ci, pharmacien, R. Girard entre, en qualité de préparateur,
au Laboratoire de Zoologie et de Parasitologie que dirigeait alors le professeur
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H. Mandoul. Il y travaille en vue d’une thèse de doctorat en pharmacie de
l’Université de Bordeaux, qu’il soutient en 1921. Le sujet en était : le Papier
monnaie, porteur de germes.
Il assurait alors le service des travaux pratiques de microbiologie, destinés
aux étudiants de quatrième année. Beaucoup de nos confrères l’ont déjà
connu, en ce temps-là.
Ce sont ensuite les études médicales, assorties du diplôme de médecin
colonial et couronnées, en 1927, par une thèse : Recherches microbiologiques
sur les eaux artésiennes de la région bordelaise.
Devenu assistant, le docteur Girard change de service en 1933, passant
au Laboratoire de Botanique et Matière médicale, lorsque le professeur
J. Golse succède au professeur L. Beille, qui était titulaire de la chaire
correspondante. Dans ce laboratoire, qui devait changer d’appellation par
la suite, R. Girard restera jusqu’à l’heure de la retraite et de l’honorariat.
Dans ce service, il est tout de suite chargé du cours de botanique ;
officieusement d’abord, puis officiellement à partir de 1935. Un peu plus
tard, le professeur Golse lui confie en plus le cours de cryptogamie, et,
d’autre part, les circonstances l’amènent à faire un cours d’hydrologie durant
quelques années.
En 1939, ayant conquis, entre temps, à la Faculté des Sciences, des
certificats de licence et un diplôme d’études supérieures de botanique, il
devient agrégé de botanique et matière médicale, après un concours brillant.
Enfin, après avoir été professeur sans chaire puis professeur à titre personnel, il
devient titulaire de la chaire de Botanique et Cryptogamie, lorsque celle-ci
est séparée de la chaire de Matière médicale, en 1948.
L’âge de la retraite étant venu, en 1964, R. Girard, professeur honoraire,
se consacre à ses activités extra-universitaires, restant toutefois directeur
du Jardin botanique de Talence.
En 1971, il est douloureusement affecté par la disparition brutale de son
épouse. Sa santé et son dynamisme s’en ressentent profondément. Des troubles
divers puis un accident cardiaque ont, quelques mois plus tard, raison de
sa résistance. Et il s’éteint assez doucement le 17 septembre 1972, dans
sa maison de la rue Adrien-Baysellance, entouré de l’affection des siens.
Si le professeur Girard avait autant d’amis, dans des milieux fort variés,
c’est qu’il était un homme affable, de commerce agréable, toujours prêt à
rendre service.
A la Faculté, il était aimé des étudiants, qui lui savaient gré de leur faire
des cours clairs, faciles à comprendre et à retenir. Sans doute, on chantait,
au cours de botanique ; c’était là une vieille tradition, héritée du temps du
professeur Beille. On chantait avant et après la leçon ; mais celle-ci était
écoutée avec attention.
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C’est aussi que ses élèves savaient bien qu’aux examens le professeur Girard
faisait preuve, comme dans la vie courante, de beaucoup de mansuétude.
Il donnait des notes, aux candidats, plus en considération de l’effort qu’ils
avaient fourni et de la bonne volonté qu’ils montraient qu’en fonction de
la somme de connaissances que leur mémoire leur avait permis de retenir.
Pour nombre d’étudiants, la botanique était une matière salvatrice, qui
compensait certaines autres, plus exigeantes. Combien d’entre eux ont-ils
dû de ne pas doubler une année à leur note de botanique ! Et combien de
pharmaciens, peut-être, doivent-ils leur diplôme à ces mêmes notes et à
celui qui les leur a données...
R. Girard n’a pas été, sur le plan scientifique, l’un de ces éminents
biologistes de laboratoire ou de terrain qui, par de longs et opiniâtres efforts,
réussissent à faire largement progresser la science, dans un domaine plus
ou moins important. Sa conception de la vie n’était pas compatible avec ce
genre de travail. Quoi qu’il en fût, il savait enseigner, au juste niveau ; et
cela doit compter avant tout, pour qui a charge d’instruire les jeunes.
Il ne négligeait d’ailleurs pas la recherche. Nombreuses sont ses publications,
faites seul ou en collaboration, sur des sujets précis. Citons, comme exemple,
l’étude anatomique de Ramondia pyrenaica, dont la structure polystélique
avait spécialement retenu son attention ; ou encore des observations sur les
Protophytes responsables de la coloration rouge que prend parfois la neige,
et qui intéressait particulièrement le fervent de la montagne qu’il était.
Dans son service à la Faculté, le professeur Girard était un chef agréable
pour son personnel. Ses collaborateurs immédiats, dont les auteurs de ces
lignes ont été longtemps, en peuvent témoigner. Notamment, il n’était pas
de ceux qui, ayant en tête une idée ou un projet, critiquables, s’y accrochent
avec d’autant plus d’âpreté qu’ils sont discutés et qui finissent par les
imposer, coûte que coûte. Tout au contraire, il recherchait et admettait
souvent la manière de voir de ceux qui travaillaient avec lui. De ce comportement
résultait une véritable collaboration, dont bénéficiaient fréquemment
les étudiants. Aussi bien, le professeur Girard, tout au long de sa carrière,
n’a-t-il jamais oublié que ces derniers, à 1’Université, ont beaucoup de droits,
à côté de quelques devoirs.
L’une de ses préoccupations était la bonne tenue et le bon fonctionnement
du Jardin botanique de Talence, annexe normale de la chaire de Botanique,
dont il était, en conséquence, le directeur. Il le considérait comme essentiel
à la formation des étudiants, en ce qui touche la connaissance élémentaire
des plantes, qui devrait faire partie du bagage scientifique de tout pharmacien.
A la fin de sa vie, sans pouvoir lui dissimuler les difficultés qui se sont
présentées, les derniers temps, au sujet de ce jardin, nous avons pu éviter
qu’il ait connaissance de la disparition du statut originel, qui le reliait,
logiquement, à la chaire de Botanique et Cryptogamie.
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Imbu de l’excellence du principe des échanges internationaux entre
universités, le professeur Girard fut l’instigateur de la venue régulière, à Bordeaux,
du professeur R. Cortesi, de Genève. Celui-ci a fait chaque année, de
1953 à 1961, un bref cours de phytopharmacie, axé sur la pathologie
végétale, aux étudiants en pharmacie de troisième année. C’était un heureux
complément au cours de cryptogamie. C’est durant la même période qu’ont
été publiés, sous la forme de fascicules annuels et sous la direction conjuguée
des professeurs Girard et Cortesi, des extraits des travaux du Laboratoire et
de l’Institut botanique de la Faculté de Bordeaux.
Au sein de notre compagnie, dont il était membre depuis 1922, R. Girard
a longtemps joué un rôle capital, puisque, de longues années durant, il fut
rédacteur en chef du Bulletin de la Société de Pharmacie de Bordeaux,
donnant tous ses soins à une bonne tenue de l’organe, qui porte au loin le
renom de notre Société. Cette fonction a été, sans doute, la raison pour
laquelle, paradoxalement, il ne l’a jamais présidée. Mais le travail qu’il
accomplissait était de plus d’importance que celui d’un président éphémère.
Nous ne pouvons ici, même en résumant, évoquer l’activité qui fut celle
de R. Girard, dans les divers organismes dont il a fait partie. Cela sera dit
ailleurs. Rappelons, toutefois, que, partout, son bon sens, sa clairvoyance,
son esprit d’organisation le faisaient apprécier. Très vite, il entrait dans
les conseils d’administration et, souvent, y a été porté à la présidence. Les
exemples en sont multiples, qu’il s’agisse d’associations locales, régionales,
nationales ou même internationales.
Ces activités nombreuses n’ont pas été sans valoir, au professeur Girard,
des distinctions non moins nombreuses. Aussi, lorsqu’un événement universitaire
l’amenait à se mettre en robe, voyait-on briller sur celle-ci une double
rangée de décorations. Nous ne les citerons pas toutes : il y en avait une
vingtaine. Nous nous contenterons de rappeler que R. Girard était officier
de la Légion d’honneur ; commandeur des Palmes académiques et de la
Santé publique ; chevalier du Mérite social, des Arts et des Lettres ; titulaire
de la Médaille d’or de l’Education physique et des Sports ; officier du Mérite
agricole ; officier du Nicham Iftichar ; commandeur du Ouissam Alaouite
chérifien ; officier du Mérite civil espagnol ; commandeur du Mérite de la
République italienne.
R. Girard a eu d’innombrables amis, quelques ennemis aussi, peut-être ;
mais ceux-là étaient plutôt des jaloux d’une réussite polyvalente qu’ils enviaient.
Nous espérons que, dans le bref portrait que nous venons d’esquisser, ceux
qui restent, des uns et des autres, reconnaîtront un homme de qui la
disparition laisse un vide et de qui le souvenir persistera longtemps dans
l’esprit de ceux qui l’ont connu et estimé.
Ils sont légion.
H. LAUBIE et G. TEMPERE