SABATAILLE DE STALINGRAD
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SABATAILLE DE STALINGRAD
Date : 26/09/2012 Pays : FRANCE Page(s) : 32-34 Rubrique : spécial Paris Diffusion : 642647 Périodicité : Hebdomadaire SA BATAILLE DE STALINGRAD Les vers d'OxmoPuccino ont pris racine entre les stations de métro Danube et Stalingrad. Dans les années 1980,quand l'énergie venait de la rue. Aujourd'hui, le rap se décline aussi sur les scènes des clubsparisiens. Par Laurent Rigoulet Portrait Pierre-Emmanuel Rastoin pour Télérama A l'origine, il y a des trous partout. Quand Oxmo Puccino débarque dans lenord de Paris,à lafin des années 1970, en provenance du Mali, la ville est en plein chambardement. Sa famille em ménage dans le premier immeuble de la cité HLMbordée par les rues AlsaceLorraine, Gaston-Pinot et de LaSolida rité, quideviendront le triangle d'or de ses premiers raps. Lesautres bâtiments ne sont pas encore sortis des tranchées. Autour de la station de métro Danube, sur les collines du 19earrondissement, le décor est mouvant, les terrains va gues et les fabriques en friche incitent à l'aventure. «On avait vitefait de faire sa vie ici, raconte-t-il. Cequartier était une enclave.Onétait à Paris et, enmême temps, on en était loin. Rejoindre le centre était une expédition.Nousavions le parc des Buttes-Chaumont et les ter rains vagues qui couraient jusqu'aux rivesdu canal del'Ourcq.Nous restions entre nous. » A l'orée des années 1980, les populations se mélangent. Nombred'Africainsde l'Ouest seregroupent dans ce secteur où les Algériensviventdepuis un bail, dans un décor de vieilleFrance. Floraison d'images pour le jeune Oxmo, de nature rêveuse :les marchés et les pavés, les crieurs de cirque perchés sur leurs échasses, les vendeurs de couteaux et de tapis, les cafés auvergnats et ka byles, les vieux réseaux ferrésmangés par les herbes, les pre miers graffitiset les enfants de la cité Gaston-Pinot,dont les grands frères sont déjà des demi-légendes, parce qu'ils pei gnent les murs, à la nuit tombée, et sont branchés sur l'Amé rique et la culture hip-hop émergente. Les tableaux du Paris populaire se confondent avec ceux du «mondede demain»1. Les premières imagesen provenance de New Yorksont comme un électrochoc pour un môme de 13ans. «DesNoirs avec deschapeaux, deschaînes en or,du style,du bagout, une musiqueénergique...Danslesannées 1980,l'imagedu Noirqui A ECOUTER ffff Roisans carrosse, d'Oxmo Puccino lire notre critique page 77. s'en sort bienétait rare, etça nousfascinait. Onne comprenait rien aux paroles, mais on captait la revendication, on sentait que les mecs n'étaientpas contents de leur situation, de l'en droit où ils vivaient,mais qu'ilsen tiraientuneforce.»Les graf fitis fleurissent dans le nord de Paris, les cassettes circulent à vitesse grand V,des mômes de Danube partent à Trocadéro avec des morceaux de linoléum et en reviennent avec une aura fantastique parce qu'ilsont porté haut les couleurs du quartier dans les concours de danse hip-hop. Une com munauté se forme et s'invente des lieux mythiques. Place Stalingrad, le terrain vague de La Chapelle est le rendezvous de fêtes clandestines improvisées avecun groupe élec trogène, des enceintes et deux platines. L'armature d'acier du métro aérien, en arrière-plan, donne des faux airs de Bronxaux murs crevés du quartier. Dans la familled'Oxmo, on ne plaisante pas avec les études, il n'a pas le droit de sor- Tous droits de reproduction réservés Date : 26/09/2012 Pays : FRANCE Page(s) : 32-34 Rubrique : spécial Paris Diffusion : 642647 Périodicité : Hebdomadaire 5 62 03 1 2 3 * «Peace,unity, loveand havingfun», professe NTM.En quelques années, Paris devient la première capitale rap du monde non-américain.«Pendantdesannées,Paris a fait rêverlesétrangers de la | mêmemanière que New York,explique l OxmoPuccino.C'étaitlavilledetoutesles rencontres,unecapitale dujazz, delà mu siqueafricaine.Dans lesannéesi960, ily avait du boulotà tire-larigot,et la mixité était féconde. Pour les mômes de mon époque,l'énergieétait la même que celle des Etats-Unis, elle venait de la rue. » Quand il commence à écrire, Oxmo ne parle que de sonquartier. Saplume tient la chronique d'un Paris quasi invisible, raconte les citésde l'intérieur, dresse le portrait de personnages «éminents» quigravitentdans un rayon de quelques centaines de mètres, leur donne une voix et les fait exister comme des super héros. «Pendant longtemps,c'était mon cap, et puis j'ai évolué. Un type m'a dit: "Pourquoi tu n'écrisplus de rap de quar tier?"-Je nevaispasporter ledrapeau toutemavie,lesrappeurs quifont ça sont fatigants, ils radotent, ils tournent en rond! - "Maissi tu neparlesplus de nous, m'aditlegars, quivalefaire ? Personne!"J'avoueque ça m'a secouéparce quec'étaitvrai... » Audébut des années 1990,Parisdécouvre ses banlieues. Le rap lui en fournit soudain une description foisonnante, une cartographie précise où l'ondistinguevitele 92 des Lunaticdu 93 de NTMet du 94 de KeryJames. «Lecouvercles'estlevéde manière impressionnante.C'était la première fois que s'expri maientdes chosesquiavaientété tuespendantplusieursgénéra tions. Sur nos parents, notre éducation. Les histoires four millaient.Lesmômessebousculaientpourprendrelemicro. Sil'on écouteavecattentionlesvingtplusgrands titresde ceuxquionteu du succèsdans lesannées 1990,on obtientunportrait incroyable mentriche etprécisde lajeunessed'unegrandevilleetdeson état d'esprit.» Oxmova s'affirmercomme lechroniqueur le plus fin i i I tir le soir. Stalingrad, il ne s'y aventure que le mercredi après-midi. Depuis Danube, la virée a tout d'une épopée, mais la récompense est à la hauteur: «Nousnous retrouvions chez Tikaret, qui vendait des accessoires,desfringues impor téesd'Amérique,desobjetstellementrares qu'onavait l'impres sion d'entrer dans un musée. On y croisait aussi des person nages hauts en couleur, commeJoeyStarr...»Le haut lieu de Stalingrad, c'est le mur du terrain vague, à l'emplacement de l'actuelle poste. Les rois du graffiti en ont fait leur lieu d'exposition. Les renommées se font et se défont avec l'en thousiasme et la rage qui vont marquer l'éclosion du rap en France. «Unelutte ardente, trèsphysique, se souvient Oxmo. Legrand jeu était de recouvrir une peinture, de barrer le nom d'ungraffiteur pour mettre lesien à la place-, c'étaitl'injuresu prême, pire que de marcher sur quelqu'un. Il fallait du culot, du talent et une équipesoudée derrière soi.» Le rappeur sur la place des Fêtes, le décor qui l'a vu grandir. M0 Stalingrad M0 Danube M0 Place des Fêtes Zénith i Tous droits de reproduction réservés Date : 26/09/2012 Pays : FRANCE Page(s) : 32-34 Rubrique : spécial Paris Diffusion : 642647 Périodicité : Hebdomadaire tHMMK » de cette génération.11en connaît les humeurs, les douleurs et le monde labyrinthique. Dansles cercles du rap parisien, il est connu pour faire le lien entre le centre et la banlieue, «deux mondes,deuxrythmes,trèsdifférents,trèséloignésl'undel'autre». C'est un «passeur » qu'on croisetoujours avecun sacsur le dos, dans lesRER,les trains de banlieue, lebus 183à l'arrière duquel (selon lalégende rap) se forme laMafiaK'i Fry,leprolifiquecol lectif^ rêvesafricains,moyensaméricains»)d'oùsortiront le 113 Clan,Rohff,Idéal J... Oxmo a de la famille dans le 94. Il y est aussi chez lui. Dansle voisinage de la MafiaK'i Fry,puis dans celuides Lunatic de Booba, ilvit les années fastesdu rap fran çais triomphant, qui sont aussi des années de plomb. Gloires, chefs-d'œuvre,embrouilles,tragédies. «L'argentet l'idéemême de l'argentont tuélemouvementdans l'œuf.Toutestdevenucom pliqué.La nature mêmede cequia fondé le rap, ledésirde liberté, laparole brutede la rue, necadraitpas aveclesstructures de l'in dustriedu disque.Pour beaucoupd'entrenous, lesplus beauxmo mentsrestaientceuxoù nousnous étionspris à rêver...» Pendant longtemps, le rap reste à Parisun monde invisible. Il n'a pas droit de cité.Peu de soirées.Peu de concerts. «Mon père est venu me voirpour la premièrefoisen 2008, à la Cigale. J'avais enregistrémonpremier disquedixans plus tôt, maisil ne savaitpascequeje faisais,ou nevoulaitpas savoir.Ilsavaitjuste quej'arrivaisàpayermon loyer.» Le rap a mauvaiseréputation. 11fait peur. Il n'est pas écouté. Encore moins compris. «Per sonne ne semble prêter attention au questionnement, à l'hu mour, au cynisme...Nostextessontsouventpris au rasdu rasdu premier degré, commesi nous n'étionspas choquéset marqués, nous-mêmes,par l'âpreté et la violencedu monde que nous décrivons.Ane pas savoir lire entre les lignes,on a sans doute perdu une occasionde comprendreet deréagir.» Aujourd'hui, dans un sentiment d'incompréhension per sistante, qui se double de la chute vertigineuse de l'industrie du disque, le rap des banlieues parisiennes s'est refermé en partie sur lui-même («le ghetto parle aux ghettos») et s'est réinventé dans une indépendance parfois proche de l'autar cie. Exemple : LIM, qui décroche un temps les meilleures ventes de France sans quitter les murs de sa cité de la Place- Graffiti sur leterrain vague de La Chapelle, en 1990, lieu mythique des fêtes clandestines. Haute, à Boulogne,où ils'est installé un studio. Ses disques et ceux d'une nou velle myriade de groupes se vendent beaucoup dans les circuits parallèles, sur Internet ou dans les allées du mar ché aux puces de la Porte de Clignancourt, dont certains stands sont deve nus les nouveaux lieux mythiques du rap made in Paris. «Jen'y voispas un re pli, encore moins un enfermement, dit Oxmo, mais lapreuveque le rap peut très bien vivrede sespropres initiativeset de ses propres structures, dans une écono mie à petite échelle.» Pour Oxmo, le rap devient adulte en même temps qu'il s'invente une nou velle jeunesse. Le triomphe de Sexion d'Assaut ou de Booba, qui remplissent Bercy, s'accompagne du succès des battles dans les clubs parisiens: de simples joutes oratoires où les fers de lance de la tchache se défient au micro. «C'estcomme lefoot le dimanche, tout le mondepeut y participer, pour peu qu'il innove.» C'est un défouloir, une manière de canaliser la violence comme l'était le rap des débuts dans le Bronx... «On s'y défoule aussi du trop-plein, du trop-manger, du gaspillage, des gestes inconsi dérés des années desuccès. On ne rêveplus forcément de vivre la grande vie, mais devivrepleinement. » * 1Untitrepharede NTM. Tous droits de reproduction réservés