MUSÉE DE PONT-AVEN
Transcription
MUSÉE DE PONT-AVEN
MUSÉE DE PONT-AVEN Les Rouart, De l’impressionnisme au réalisme magique Exposition temporaire présentée au Musée de Pont-Aven, du 26 mars au 18 septembre 2016. Augustin Rouart, Lagrimas y penas, 1943, Huile sur panneau de bois, 51x65,5 cm, Collection particulière DOSSIER PEDAGOGIQUE RDV enseignant le mercredi 20 avril de 14h30 à 16h 1 Avant-propos : A l’occasion de l’exposition temporaire intitulée « Les Rouart, de l’impressionnisme au réalisme magique », le Musée de Pont-Aven présente des œuvres de trois générations de peintres issus d’une illustre famille de collectionneurs, mécènes et artistes, la famille Rouart. Henri Rouart (1833 – 1912), son fils Ernest (1874 – 1942) et son petit-fils Augustin (1907 – 1997), ont joué, avec leur famille, un rôle aussi décisif que méconnu pour le développement et le rayonnement de l’art français aux XIXème et XXème siècles. Ce rôle essentiel dans la propagation de l’art est aujourd’hui reconnu, à tel point qu’Éric Biétry-Rivière, critique au Figaro, les surnomme "les Médicis français". Mais, à la différence des Médicis, ce n’est pas seulement une famille de mécènes, mais également d’artistes. Ainsi, à travers l’exposition et au cours des pages de ce dossier, vous découvrirez une famille, où l’art est omniprésent, où chaque génération se lie aux personnalités artistiques de son temps et constitue et protège une collection d’œuvres d’art exceptionnelle. Dans un second temps, ce dossier approfondit les genres artistiques favoris des Rouart, à savoir le paysage et le portrait. Enfin, autour de quelques œuvres choisies, nous mettrons en évidence les liens entre cette exposition et la collection permanente du Musée de Pont-Aven, pour ensuite proposer des pistes pédagogiques associées à ce parcours. Cette exposition inaugurale, associée à l’ouverture du Musée de Pont-Aven, nous offre une plongée au cœur de l’histoire de l’art. Sommaire : I. UNE FAMILLE, DES ARTISTES, HENRI, ERNEST, AUGUSTIN ROUART 1. Trois générations d’artistes 2. Une famille au cœur du monde artistique de son temps 3. Une vie au milieu des œuvres P. 3 II. DES COLLECTIONNEURS ET DES ARTISTES P. 6 1. Des artistes du paysage 2. Une attention particulière à l’humain : portrait et autoportrait 3. L’art comme fuite vers l’ailleurs P. 7 P. 3 P. 4 P. 4 P. 6 P. 7 III. UNE EXPOSITION TEMPORAIRE AU CŒUR DU NOUVEAU MUSEE DE PONT-AVEN P. 9 IV. PISTES PEDAGOGIQUES P. 12 V. BIBLIOGRAPHIE ET REFERENCES P. 16 VI. INFORMATIONS PRATIQUES P. 16 2 I. Une famille, des artistes : Henri, Ernest, Augustin Rouart 1. Trois générations d’artistes Henri Rouart (1833-1912) Né en 1833, de la même génération qu’Edouard Manet, Henri Rouart a une personnalité hors du commun et des talents multiples. Capable d’imaginer des inventions révolutionnaires, il dépose plusieurs brevets originaux qui sont à l’origine de sa fortune. Il mène, entre Paris et Montluçon, une vie de chef d’entreprise, dans laquelle il laisse aussi une place à sa passion, l’art. A 50 ans, il décide de mettre fin à sa carrière d’ingénieur et d’inventeur pour se consacrer totalement à la peinture. Henri Rouart fut sans doute l’un des rares peintres formés à la fois à Polytechnique et à l’école de Corot et de Millet, ses maîtres. Alors que son hôtel particulier, rue de Lisbonne à Paris, regorge de toiles de maîtres, aucune de ses œuvres personnelles ne figure sur les murs. Par pudeur et modestie, il garde ses toiles, à l’abri des regards, dans son atelier. Ernest Rouart (1874-1942), le fils Excellent en mathématiques, Ernest aurait pu tenter le concours de Polytechnique et prendre ensuite la relève de son père à la tête de ses affaires, ce pour quoi il le destinait. Ce n’est pas son souhait car sa vocation est de devenir peintre. Henri ne cherche pas à l’en détourner, il le confie alors à son ami Degas. Ernest ne suit ainsi les cours d’aucune école : Degas est son unique professeur, comme Ernest est l’unique élève de Degas. C’est sous l’œil de ce maître intransigeant, lui prescrivant de travailler et retravailler la technique, du dessin au pastel et enfin à la peinture, qu’il apprend son métier. La peinture d’Ernest évoque donc inévitablement celle de Degas, de par sa technique irréprochable, la distance de son point de vue et la maîtrise picturale. Mobilisé pendant la guerre 14-18, où il fut chargé de peindre des leurres, il meurt en 1942 d’une affection pulmonaire contractée durant la guerre lors des gazages à l’ypérite. Augustin (1907-1997), le petit-fils d’Henri et le neveu d’Ernest Comme les autres membres de sa famille, Augustin grandit au milieu des œuvres, mais une volonté d’indépendance le conduit à choisir une autre voie artistique. Il ne s’agit ni de rejet, ni de rupture, mais plutôt d’une volonté d’affranchissement avec l’impressionnisme. Petit-fils d’Henri, Augustin Rouart est qualifié par Bruno Foucart de « moderne des années 30». Cette liberté s’exprime très tôt, de sorte que l’environnement impressionniste et postimpressionniste s’efface, laissant une facture toute personnelle s’épanouir dans ses œuvres. Son vrai maître est son autre grand-père, le peintre et collectionneur Henry Lerolle, qui le prend sous sa coupe et lui prodigue conseils et encouragements. Arbre généalogique, Source : Les Rouart, de l’impressionnisme au réalisme magique par Dominique Bona Edition Gallimard, Paris, 2014 3 2. Une famille au cœur du monde artistique de son temps Henri Rouart propulse véritablement sa famille au cœur du monde artistique, autant par ses activités personnelles que par ses relations avec les artistes de son époque. Aux confluences de sa nombreuse et complexe descendance se croisent, par alliances ou amitiés, les artistes, Berthe Morisot, Edouard Manet, Julie Manet, Claude Monet, Pierre-Auguste Renoir et Henry Lerolle, mais aussi les écrivains, André Gide, Stéphane Mallarmé, Paul Valéry, et des musiciens, tel Ernest Chausson. Dans les salons des Rouart, les amateurs les plus avisés se retrouvent, où chacun et chacune, selon ses affinités, nouent de ferventes amitiés. Une très forte amitié avec Degas Amis dès le lycée, Henri Rouart et Edgar Degas sont réunis par la guerre de 1870. Ils se lient d’une amitié très forte, allant même jusqu’à la fraternité comme Degas le dit lui-même « Vous êtes ma famille ». Celui-ci dîne alors tous les vendredis, sans exception, chez Henri Rouart. Il prenait également conseil auprès d’Henri Rouart avant d’effectuer un achat. « Cher ami, lui écrit-il au moment de proposer un prix à un dessin, si tu ajoutes ton rapport d’expert, comme qualité et comme prix, tu m’aiderais beaucoup. Tu t’y connais ! » C’est également par l’intermédiaire de Degas que la famille Rouart se lie à d’autres artistes. Le mariage de Julie Manet (fille de Berthe Morisot, artiste femme impressionniste) et d’Ernest Rouart se fait par l’intermédiaire de Degas. Mallarmé C’est sans doute par le biais d’Edouard Manet que Mallarmé connut Berthe Morisot et devint, comme Degas, « Un monsieur de la famille ». Plus tard, Eugène Manet et Berthe Morisot le choisissent comme tuteur de leur fille Julie, et future épouse d’Ernest Rouart. Ernest Rouart et Paul Valéry Le 1er mai 1900, Ernest se marie avec Julie Manet, fille de Berthe Morisot et Eugène Manet. Or, le même jour, à la même heure et dans la même église, la cousine de Julie, Jeannine Gobillard (fille de la sœur aînée de Berthe), épouse Paul Valéry. Les deux couples ne se séparent plus. Leur vie se déroule sous le même toit, au 40 rue de Villejust (aujourd’hui rue Paul Valéry) : les Rouart au 4ème et les Valéry au 3ème étage. Sur Paris, on utilise même l’expression « Les Rouart-Manet-Valéry ». En épousant Jeannie Gobillard, Valéry se donnait une famille d’élection, celle des peintres et des poètes. Augustin Rouart Il naît en 1907, au cœur de cette famille d’artistes, tant du côté paternel que du côté maternel. Néanmoins, et peut-être à la différence de ses prédécesseurs, Augustin ne crée pas un cercle d’amis autour de lui ; il reste dans la discrétion absolue, éloigné du monde artistique public. Il peint pendant soixante ans en dehors du circuit de l’art, ne songeant qu’à ce qu’auraient pensé les maîtres qu’il admire, Ingres, Corot. 3. Une vie au milieu des œuvres Henri Rouart est artiste, mais il est principalement reconnu comme amateur d’art. Admirateur de Corot et de Millet, qu’il fréquente, il reçoit leurs leçons et achète leurs œuvres, c’est le point de départ d’une fabuleuse collection qui atteint, à son décès, jusqu’à 500 toiles et 400 dessins, aquarelles et pastels, sans compter les sculptures. Il vit au milieu de l’art, il ne peut concevoir sa vie autrement. Dans son hôtel particulier, rue de Lisbonne dans le 8ème arrondissement, les murs sont couverts du sol au plafond. Ses enfants bénéficient, tout naturellement, d’une éducation esthétique au contact de cette collection. C’est ainsi que le peintre Paul Signac, conduit par son ami l’artiste Édouard Vuillard en 1898, ressort d’une visite et note dans son journal « C’est affolant ; du haut en bas, la maison est pleine de tableaux qui, dans toutes les pièces, garnissent les murs du plancher au plafond. Il n’y a plus une place de vide. C’est une profusion de merveilles. » 4 Constituée pièce à pièce, au fil des jours par Henri, cette collection témoigne d’un goût sûr, autant pour les génies des temps anciens que de curiosité et d’enthousiasme pour les artistes contemporains que son époque ignore ou méprise. « Je n’ai jamais eu ici que des choses de passion » disait-il aux visiteurs qu’il accueillait chez lui. Ainsi, « Corot côtoyait un Degas surmonté d’un Greco voisinant un Renoir ou un Delacroix » comme le dit David Haziot dans son ouvrage consacré à la famille Rouart. Par ailleurs, Henri est un des premiers acheteurs des peintres impressionnistes et des œuvres de Paul Gauguin, alors que peu de connaisseurs de la peinture de cette période leurs accordaient un avenir. Henri est non seulement un amateur éclairé mais aussi un précurseur. Parmi les œuvres collectionnées, celles de Degas ont une place particulière, du fait de leur très grande amitié. Il détient un nombre important de ses œuvres, que Degas souhaite régulièrement récupérer pour les retravailler. Le salon-atelier rue de Lisbonne. La légende court qu’Henri Rouart avait mis un verrou au tableau Danseuses à la barre de Degas car l’artiste voulait supprimer un arrosoir, au coin gauche de la toile, mais Henri Rouart ne le lui a pas permis. Les « Médicis français »1 A la différence de ses amis artistes, Henri Rouart n’a pas besoin de l’argent de ces toiles pour vivre. Son rôle dans le succès de l’impressionnisme fut important. Devenu le mécène discret de ses amis, il paie le loyer de trois expositions impressionnistes sur huit. L’appui d’Henri Rouart fut alors déterminant pour le succès du mouvement impressionniste, mouvement qui aurait probablement eu du mal à s’installer dans la durée sans ce soutien. Il achète nombre de tableaux, participe à des souscriptions et pousse parfois les enchères pour aider les peintres. En outre, il avance de l’argent régulièrement à Renoir ou Monet en situation financière difficile et n’hésite pas à donner des œuvres qu’il avait achetés pour rehausser les expositions de ses amis. Se rendant régulièrement chez les marchands d’art parisiens soutenant la peinture d’avant-garde, il revenait rarement les mains vides : au premier coup de cœur il achetait sans tergiverser. Ernest et Julie Rouart Ernest Rouart est le protecteur des collections de son père mais aussi des œuvres héritées de Berthe Morisot, la mère de son épouse, Julie Manet. Il réalise d’importantes expositions pour mettre en valeur le courant impressionniste et l’œuvre de cette artiste femme, disparue prématurément en 1895. Julie et Ernest ont audessus de leur lit le Portrait de Monsieur et Madame Auguste Manet, ses grands-parents, et mangent face au Portrait de Berthe Morisot au bouquet de violettes, deux œuvres aujourd’hui conservées au Musée d’Orsay. À la mort d’Henri Rouart, en 1912, plusieurs ventes de la collection sont organisées, mais Ernest, ardent défenseur de la collection de son père en rachète, puis en offre au Musée du Louvre. 1 Selon l’expression d’Eric Biétry-Rivière, critique au Figaro, dans un article du 2/03/2012. 5 II. Des collectionneurs et des artistes 1. Des artistes du paysage Henri Rouart, qui voyageait beaucoup de par son travail, ne partait jamais sans un carnet de croquis, une boîte d’aquarelle, bientôt une palette à pouce et un minimum de couleurs : la nature était son atelier. En effet, au milieu du XIXème siècle, avec l’invention des tubes de couleurs en étain, s’opère une révolution favorisant la peinture sur le motif sans avoir à se charger d’un matériel lourd et encombrant. Henri Rouart, comme Claude Monet, mérite le qualificatif de « peintre du plein air ». Henri Rouart apprécie avant tout de poser son chevalet devant un site bucolique, de préférence un sous-bois ou la rive ombragée d’une rivière, ses paysages de prédilection, et, à l’intérieur de ceux-ci, il porte une attention particulière aux arbres. Selon Jean-Dominique Rey, commissaire de l’exposition présentée au musée Marmottan en 20122, son œuvre est comme « une variation sur le vert, synthèse d’ombre et de lumière ». Il poursuit, « si chaque peintre a sa couleur de prédilection, non pas exclusive mais dominante et dont il peut varier d’une époque à l’autre – garance ou rose chair pour Renoir, bleu aquatique pour Monet, brun peut-être pour Degas, avec Rouart, c’est le vert qui l’emporte. » Depuis 1880, le domaine de l’Hermitage à la Queue-en-Brie est propriété familiale et devient le cadre de nombreux tableaux. L’œuvre ci-contre présente une vue partielle de l’étang, proche de la rivière qui traverse le village. C’est sans doute l’un des tableaux les plus réussis, difficile à dater parce que l’artiste a pu revenir dessus à plusieurs reprises, mais où l’on sent que le peintre a atteint une certaine plénitude. Entre les arbres et leurs reflets dans l’étang, l’artiste utilise toute une gamme de verts, du plus tendre au plus sombre, à laquelle s’ajoutent, en bas à droite, deux morceaux de bleu, le ciel et l’eau. Henri Rouart L’Etang du domaine de L’Hermitage à La Queue en Brie, Huile sur toile, 73x92 cm, Collection particulière Plus tard, Augustin Rouart affirme son style dans sa peinture à partir de nombreux paysages. C’est notamment à Noirmoutier qu’il trouve son inspiration majeure et la lumière qu’il cherche dans ses toiles. Selon Jean-Marie Rouart, son fils : « Tous les jours, Augustin prenait sa bicyclette chargée de son matériel, pliant, parasol, couleurs, chevalet, pour tenter de capter la lumière sur une plage ou à l’intérieur de l’île, devant les marais salants. » Augustin privilégie, à l’instar de ses contemporains, les aspects proprement picturaux de ses œuvres, avec une maîtrise des accords de tons qui donne des couleurs extrêmement subtiles. Il tente de saisir la lumière du ciel et de l’eau. Pour Waldemar George, critique d’art qui a analysé l’originalité de l’œuvre d’Augustin « Il a eu le courage d’imiter la nature. Il l’a regardée avec des yeux éblouis. Il l’a scrutée et il l’a explorée. Son attitude et son comportement sont ceux d’un primitif ». Ses paysages, la plupart dégagés de toute silhouette humaine, sont peints pour eux-mêmes, dans un amour de la nature. L’œuvre ci-contre, inspirée par Noirmoutier, met en évidence la couleur et cette maîtrise de l’artiste pour faire vibrer les bleus. Le bleu reste la Augustin Rouart couleur dominante de ses tableaux et celle du bonheur à ses La plage par temps gris, 1973 yeux. Huile sur carton, 37,5x50,5 cm Collection particulière 2 Exposition temporaire « Henri Rouart, l’œuvre peinte », Musée Marmottan 6 2. Une attention particulière pour l’humain : portrait et autoportrait Comme pour beaucoup de peintres impressionnistes, le domaine de l’intime est une source d’inspiration et un motif, avec des portraits ou des scènes intérieures, traduisant une recherche de paix. Henri Rouart, Autoportrait 1880, Huile sur toile, 32x24 cm, Collection particulière Si Henri Rouart peint beaucoup l’extérieur, il affectionne aussi les portraits, pour lesquels sa femme et sa fille sont des modèles récurrents. Souvent placées dans ses paysages ou au sein de sa maison rue de Lisbonne, il les peint presque toujours de profil. En revanche, il ne se représente lui-même qu’une fois, dans une petite toile. Reprenant une œuvre de Manet, il se figure de trois quarts, sous un vaste béret, une palette à la main et dans l’autre des pinceaux, le regard tendu, focalisant dans un miroir invisible ce modèle difficile à saisir. Cette peinture est dominée de tons bruns, rehaussés de rouge, exceptés le béret et ses cheveux. Portraitiste de ses proches, et plus spécifiquement de Julie Manet, d’Eugène Rouart ou de Paul Valéry, Ernest Rouart aime peindre son environnement familial. De l’influence de Degas, il garde la passion du travail soutenu mais obtient une infinie douceur, qui peut être la marque des Rouart peintres. Ernest Rouart Portrait de Julie Manet peignant 1905, Huile sur toile, 70x 82 cm, Collection particulière Le portrait sera également un sujet de prédilection dans les œuvres d’Augustin, avec notamment une série de portraits de son fils dormant. Il montre une réelle virtuosité technique dans ses portraits. Un trait acéré, incisif, sans concessions ni déformations, caractérise ces ouvrages. La facture révèle un dessinateur hors pair. L’artiste semble avoir fait sienne l’injonction de Degas : « Ensorceler la vérité, lui donner l’apparence de la folie. » 3. L’art comme fuite vers l’ailleurs Augustin Rouart Cinq portraits d’enfant dormant Tempera sur carton, 46,5x55,5 cm, Collection particulière Dans cette famille, l’art relie les générations et offre à chacun un espace de « fuite », loin des tourments tant historiques qu’artistiques ou familiaux, que les Rouart traversent. Veuf trop tôt, en 1886, Henri, comme ses enfants, est durement atteint par la solitude. Il garde l’empreinte de la mort de cette femme. C’est dans cette atmosphère qu’Ernest, orphelin de sa mère à 13 ans, trouve dans les centaines de chefs-d’œuvre une secrète consolation à cette douloureuse blessure. La peinture et l’art prennent alors une place particulière dans sa vie. Avec Degas, Ernest est fils pour la seconde fois. Selon Sophie Monneret, critique d’art et auteur de 7 L’impressionnisme et son époque3, la peinture le soustrayait à de sombres souvenirs : la tristesse de son enfance sans mère et le traumatisme de la guerre de 14-18. Il y a une émotion contenue dans ses toiles si maitrisées, si impeccables, comme une fragilité sous la minutie du trait et des couleurs, et Léon-Paul Fargue, écrit à son propos, qu’il est un « artiste douloureux, éternel insatisfait, il aura accompli son œuvre « dans la haute solitude et dans le silence du labeur ». Son mariage avec Julie Manet le maintient dans cette attention aux absents, elle-même étant très attentive au souvenir de sa mère, Berthe Morisot. Quant à Augustin Rouart, c’est un solitaire. Marié, père de famille, il accorde à ses proches beaucoup d’attention et d’affection, mais sa vraie vie est ailleurs, comme l’indique les propres mots de son fils JeanMarie, écrivain et membre de l’Académie française, dans son ouvrage Une famille dans l’impressionnisme : “Quand il partait peindre sur le motif (…) il semblait aussi fiévreux et angoissé que s’il se rendait à une rencontre amoureuse (…). Il s’abstrayait du monde réel et tentait de rejoindre ce monde idéal de l’art qui ajoute l’esprit à la nature, et crée une beauté plus spirituelle à partir de celle qu’offre un paysage.” Il poursuit « Il évoluait tel un funambule sans se soucier des lois du monde. Ce qui n’avait pas trait à la peinture, à la sculpture, à la musique, ce qui ne se rattachait pas à l’art lui semblait secondaire et le lassait. La passion de peindre qui l’habitait lui rendant difficile le contact avec le monde réel. Il s’y sentait un étranger. » Ceux qui l’ont connu conservent le souvenir d’un homme qui semblait passer à côté de la vie, toujours insatisfait par la réalité mais qui ne cessait d’être ébloui par l’art. Des tableaux comme Le petit pêcheur ou Le Nageur, illustrent une tentation de l’homme au merveilleux. Un merveilleux qui trouve sa source dans une inspiration chrétienne, dans le Moyen Age dont il aime le symbolisme naïf et les séduisantes stylisations. Augustin Rouart Lagrimas y penas, 1943, Huile sur panneau de bois, 51x65,5 cm Collection particulière 3 Cette œuvre Lagrimas y penas est énigmatique. Les couleurs envoûtantes sont inspirées de Manao Tupapau de Paul Gauguin. Jean-Marie Rouart décrit cette œuvre avec ces mots « Un portrait de lui en particulier me plaisait et me troublait, celui de ma mère allongée sur un grand dessus-de-lit jaune, à demi nue, la tête dans ses mains comme si elle pleurait. Par une baie vitrée, on voyait un arbre et un chat noir, qui sur un mur observait la scène. En bas du tableau étaient inscrites ces paroles énigmatiques : Lagrimas y penas. A quel épisode de la vie de mes parents ce tableau faisait-il allusion ? ». Ce qui importe pour lui c’est l’imagination et le mystère dont est empreinte cette œuvre. Sophie Monneret, L’impressionnisme et son époque, Flammarion, 1987 8 III. Une exposition temporaire au cœur du nouveau Musée de Pont-Aven 1. Le paysage dans les collections du Musée de Pont-Aven Des paysages impressionnistes… Mouvement de la seconde moitié du XIXème siècle, l’Impressionnisme marque un véritable tournant dans l’histoire de la peinture. Rassemblés autour de Claude Monet, de jeunes peintres rejettent l’art enseigné dans les écoles des Beaux-Arts, jugé trop traditionnel. Revendiquant une filiation avec les peintres incarnant la modernité, ils délaissent la peinture d’histoire au profit de la représentation de la nature ou de la vie quotidienne. Ils exécutent leurs tableaux en plein air, évitant alors les artifices de la peinture en atelier, et tentent de saisir les variations de la nature ou de la lumière. Pour en traduire les effets et l’intensité, les artistes utilisent les couleurs du spectre solaire, ainsi que leurs tons intermédiaires et le blanc. Les couleurs ne sont pas mélangées sur la palette mais utilisées pures et directement posées sur la toile à l’aide de touches fractionnées qui se fondent ensuite dans l’œil du spectateur. Outre les arbres, Henri Rouart, comme nombre d’artistes impressionnistes, est inspiré par les paysages des bords de Seine. Cette vue de la Seine à la sortie de Rouen met l’accent sur le mouvement des bateaux. Le véritable sujet de l’œuvre reste pourtant l’atmosphère et les tonalités de l’instant vécu par l’artiste. La lumière et le calme contrastent avec l’activité industrielle de l’arrière-plan. Par ailleurs, avec la fumée et son mouvement, cette œuvre entretient la volonté des artistes impressionnistes de représenter le moment fugitif, l’éphémère. Henri Rouart La Seine aux environs de Rouen 1880, Huile sur panneau de bois 54x72 cm, Collection particulière C’est aussi une préoccupation partagée par Henry Moret, qui parcourt inlassablement la Bretagne et séjourne presque chaque année à Ouessant, de 1895 à 1903. Il s’approprie les principes de Claude Monet et des artistes impressionnistes : sa peinture est faite de petites touches entrecroisées, sorte de treillis, qui confèrent à ses paysages leur texture et leur « architecture ». Dans cette toile, l’artiste arrête le temps, immobilise l’ombre du nuage passant au premier plan. Cette zone plus foncée Henry Moret (1856-1913) Falaises à Ouessant, Vers 1898, huile sur toile, 66x81 cm, Inv. 1988.5.1, Collection Musée de Pont-Aven contraste avec le reste de la scène, travaillée avec des couleurs vives et de nombreuses nuances posées par petites touches. … à la représentation du paysage par les artistes de l’école de Pont-Aven Mejer de Haan, né en Hollande, a séjourné à Pont-Aven, à la Pension Gloanec, puis au Pouldu chez Marie Henry en 1889-1890, avec Paul Gauguin, Paul Sérusier et Charles Filiger. Il était l’élève de Gauguin et intègra les principes du synthétisme dans ses toiles. Dans ce tableau qui représente un verger à flanc de coteau, le dessin a été tracé au pinceau bleu, renforçant le motif simplifié. Les couleurs sont posées en aplats. Le cadrage de ce paysage est resserré, il ne présente pas beaucoup de perspectives. Au centre, un tronc, plus qu’un arbre, et une large diagonale qui vient couper l’arrière-plan en deux, montrent l’influence des estampes japonaises à cette période. Mejer de Haan (1852-1895) Paysage à l’arbre bleu 1889-1890, Huile sur toile, 54x65 cm, Inv. 2000.11.1, Collection Musée de Pont-Aven 9 2. Le portrait au Musée de Pont-Aven On acceptera comme définition générale du portrait : toute œuvre qui représente une personne d'après un modèle réel, qui est à l'effigie de cette personne, par un artiste qui s'attache à en reproduire ou à en interpréter les traits et expressions caractéristiques. Ainsi, un portrait n’est pas nécessairement ressemblant. De Marie-Anne Herlédan à Marie Lagadu… Le portrait de Madame Herlédan incarne le portrait type d’une Bretonne, peinte dans la tradition des portraitistes hollandais du XVIIème siècle. En effet, le peintre est attentif au réalisme et la lumière du tableau est concentrée sur le visage de cette femme, représentée en costume traditionnel noir avec une coiffe de Pont-Aven blanche sur un fond noir. Avec Paul Gauguin et les artistes de l’Ecole de Pont-Aven, les principes esthétiques évoluent, s’éloignant de la représentation fidèle du modèle. Paul Sérusier, l’un des principaux représentants de l’Ecole de Pont-Aven, réalise ce portrait à Pont-Aven en 1889. Marie Lagadu, servante à la Pension Gloanec est représentée de trois-quarts dans son habit de servante. Dans cette œuvre, l’artiste reprend les principes énoncés par Paul Gauguin dans le Bois d’Amour, avec une œuvre sans perspective dont les motifs sont cernés d’un trait de noir, des aplats de couleurs et des couleurs peu fidèles à la réalité. Hermann Van Den Anker Portrait de Marie-Anne Herlédan, Huile sur toile, vers 1880 Inv. 2007.2.1, Coll° Musée de Pont-Aven Paul Sérusier Portrait de Marie Lagadu, Huile sur toile, vers 1889 Inv. 2008.3.1, Coll° Musée de Pont-Aven … Portrait de Madame Champsaur par Émile Schuffenecker, une œuvre symboliste Émile Schuffenecker (1851-1934), Portrait de Madame Champsaur, Huile sur toile, 1890, Inv. 1995.6.1, Collection Musée de Pont-Aven Nature : Portrait Période : fin XIXème siècle. Contexte: La victoire des républicains vers 1880 enracine solidement la 3ème République. Description et analyse : Un sujet puisé dans la tradition. Ce portrait a été commandé par Monsieur Champsaur, écrivain et critique d'art très en vogue à la fin du XIXème siècle, connaissance de l'artiste. Dès 1894, le tableau est décrit en détail dans plusieurs revues sous le titre La Parisienne. Le personnage est mis en scène dans un salon bourgeois (tableaux sur les murs), assis dans un fauteuil, face au spectateur qu'il ne regarde pas. Celui-ci regarde vers l'extérieur et ouvre ainsi l'espace. L'atmosphère est à la fois précieuse et exotique : la femme tient un éventail japonais dans un intérieur décoré d'un palmier et d'une sculpture de Rodin Le Succube (sur la gauche). L'artiste suggère le portrait psychologique du modèle en réalisant un parallèle entre son modèle, vêtu avec élégance, cette statuette de femme nue agenouillée et démoniaque, et la figure animale sculptée sur l'accoudoir du fauteuil. 10 La composition se caractérise par le sujet principal décentré, l'emploi de motifs coupés par le cadrage et le traitement des aplats colorés, très vifs, de sorte que l'on peut noter une certaine parenté avec le fauvisme. Ces portraits témoignent de : - L'invention de la modernité, la réalité délaissée pour le rêve, la spiritualité, l'intimité : contextualisation des portraits - Les apports du synthétisme : le cloisonnisme, les pans de couleurs pures et contrastées déposées en aplats, les formes simplifiées. Contexte et dimensions historiques : Paris, capitale des arts : la ville de Madame Champsaur Si le voyage en Italie reste incontournable pour les lauréats des grands prix de Rome, cette destination prestigieuse est à partir du milieu du XIXème siècle concurrencée par de nombreux autres sites. La peinture d'histoire devient moins importante : se développent alors la scène de genre, le réalisme puis le naturalisme. Paris devient capitale des arts avec ses musées, ses Salons, son enseignement à l'Ecole des Beaux-Arts ou dans les ateliers privés. Le développement des séjours au bord de la mer, lié à celui du chemin de fer, permet de découvrir des régions jusque-là difficiles d'accès, loin des fumées de la ville industrielle et d’y peindre, pour les artistes, des motifs très différents et emprunts d’une certaine rusticité. La Bretagne : l’inspiration pour les peintres La Bretagne, à la mode dès 1845-1846 avec la diffusion des deux volumes Voyages pittoresques et romantiques de l'ancienne France sous la direction du Baron Taylor, et plus spécifiquement Pont-Aven, petite cité du Finistère, est la destination de Paul Gauguin (1886), d'Emile Bernard (1886) et de Paul Sérusier (1888). C'est là que naît le Talisman (1888) et que s'affirme une tendance idéaliste qui se démarque de la simple représentation du monde extérieur chère aux naturalistes. Ainsi, nait le symbolisme : refus de l'académisme, du naturalisme officiel et de l'impressionnisme, où se mêlent les influences parisiennes, où les brillantes expositions universelles apportent un regard vers Paul Sérusier Le Talisman, l’ailleurs, de l'art japonais au primitivisme. L'Ecole de Pont-Aven ou plutôt le Huile sur panneau de bois, cercle d'artistes autour de Gauguin (de 1886 à 1894) est une rupture, « le 21x27 cm, Coll° Musée d’Orsay droit de tout oser » en peinture selon Paul Gauguin. « Bout du monde », terre originelle et inviolée, les peintres viennent pour témoigner de ces modes de vie, tout en restant liés à Paris. Parcours d'artistes : Emile Schuffenecker : alsacien par son père, formé à la peinture à l'Académie suisse, il est aussi à l'origine de la rencontre historique entre Emile Bernard et Paul Gauguin à Pont-Aven en 1886. A la demande de Paul Gauguin, il organise la première exposition du groupe de Pont-Aven au café Volpini, à Paris, en parallèle de l’exposition universelle de 1889. Paul Gauguin : né à Paris, il est d’abord marin puis il abandonne la finance pour la peinture. De 1886 à 1894, à l’occasion de séjours en Bretagne, il définit une nouvelle esthétique à Pont-Aven et en 1895, il quitte définitivement la France pour Tahiti puis les Marquises. Son œuvre, voulant représenter une nature renouvelée pose aussi des questions existentielles, comme l’exprime le titre d’un de ses tableaux « D'où venons-nous? Qui sommes-nous ? Où allons-nous? ». 11 IV. Pistes pédagogiques 1. Pour le premier degré : approfondissement de l’impressionnisme La découverte de cette exposition et de ces thématiques, vous permet d’approfondir la compétence « Représenter le monde environnant ou donner forme à son imaginaire en explorant divers domaines » Les sujets d’inspiration L’impressionnisme marque un temps fort dans l’histoire de la représentation du paysage. Les titres des œuvres précisent un lieu, une saison ou même une heure. Les artistes tels que Claude Monet, instaurent un rapport au temps en peignant des séries. Proposition de pistes pédagogiques et d’atelier : - Peindre dans la nature - Représenter un paysage connu à différentes saisons ou à différents moments de la journée. - Travailler la représentation de l’arbre par différents artistes et notamment Claude Monet La couleur et la touche « impressionniste » Pour traduire les sensations naturelles du plein air, les impressionnistes utilisent les couleurs primaires et leurs complémentaires ainsi que les tons clairs et francs sur la toile. Par ailleurs, la forme se confond avec le coup de pinceau. L’exécution rapide et fragmentée diversifie les effets de matières. Proposition de pistes pédagogiques et d’atelier : - A partir des œuvres de l’exposition, proposer aux élèves de laisser la trace de leur geste dans leur peinture, de ne pas mélanger les couleurs mais de juxtaposer des couleurs primaires pour obtenir une couleur secondaire par la vision du spectateur. - A partir d’un détail ou d’une impression d’une toute petite partie d’une œuvre, laisser l’élève prolonger le tableau en exerçant le même geste que l’artiste. 2. Pour le second degré : ouverture pluridisciplinaire Histoire et art : Impressionnisme et société Le XIXème siècle correspond au passage d'un monde rural à une société urbaine. Apparaît alors une nouvelle classe dirigeante : la bourgeoisie. L'essor industriel permet en effet l'enrichissement rapide des grands entrepreneurs. Aux vieilles familles bourgeoises des siècles précédents, viennent s'ajouter de nouvelles dynasties industrielles. Parmi elles, les « maîtres de forges » comme Krupp ou Schneider et les banquiers comme Rothschild ou moins connue, les Rouart. La grande bourgeoisie cumule progressivement toutes les formes de pouvoir. À la puissance économique, elle ajoute le pouvoir culturel en contrôlant la presse. Elle s'impose également dans la vie politique. Ses représentants sont nombreux dans les parlements et les gouvernements. HISTOIRE DES ARTS - Période : XIXème siècle Impressionnisme Cartel : Ernest Rouart, L'Homme au chien, 1904, huile sur toile, 101x82cm, collection particulière 12 1. Situer l'œuvre dans son contexte historique, culturel et artistique Parmi les nouvelles dynasties industrielles, s’affirment les « maîtres de forges » comme Krupp ou Schneider et les banquiers comme Rothschild. Moins connue, la famille Rouart s’inscrit dans cette bourgeoisie. 2. Interroger l'œuvre sur différents plans Que représente ce tableau? Cette œuvre présente Eugène Rouart, frère ainé d'Ernest, de profil, assis sur un fauteuil, dans les allées du jardin de La Queue en Brie, à l'ombre des arbres, un après-midi d'été avec, couché à ses pieds, son chien au repos. Eugène pose, le regard vague, perdu dans les sous-bois. A l'arrière-plan, une explosion de lumière et de couleurs. La manière dont le peintre traite ce sujet prouve que son intérêt ne se concentre pas sur le seul portrait de son frère, plutôt classique, mais aussi sur l'inscription des figures dans le paysage, à la manière de Renoir. Le peintre cherche à créer une vision arcadienne, intemporelle, naturelle et immuable. Comment Ernest Rouart arrive-t-il à nous faire partager son intérêt? Ce grand format oppose l’ombre au premier plan à la lumière de l'arrière-plan. L’effet d'ombre renforce l'attention portée sur l'intériorité recherchée par Eugène. La peinture est-elle plutôt nette ou floue? On distinguera le premier plan, particulièrement net, très bien dessiné, avec le souci du détail, comme lui enseigne Degas, des autres plans, plus flous (massifs de fleurs et sous-bois aux couleurs éclatantes de bleu, vert et d'orange) abordés par touches exubérantes, adaptées à la luxuriance des lieux, dans la lignée des impressionnistes. Ernest Rouart peint-il avec précision et détails? Tandis que la silhouette et les traits d'Eugène sont modelés avec soin et précision, l'arrière est plus esquissé. Que peut-on dire de la composition du tableau? La composition est très classique. La pose des figures est conventionnelle, rappelant les portraits d'aristocrates et de bourgeois à la chasse réalisés sur commande. Comment est peint le tableau ? L’œuvre est réalisée en plein air. La technique combine emprunts au classicisme et à l'impressionnisme. Une impression de mouvement est perceptible. A quoi est-elle due ? 3. Mise en réseau Analysez et commentez les extraits suivants : Paul Valéry, Degas Danse Dessin, 1938 - Extrait n°1, p 12 : « Bien des traits de Degas que je rapporte ici ne sont point de mon souvenir. Je les dois à Ernest Rouart, qui depuis l'enfance l'a familièrement connu, a grandi dans l'admiration et la crainte révérencielle de ce maître fantasque, a été nourri de ses aphorismes et de ses préceptes, et a exécuté sur ses injonctions impérieuses diverses expériences de peinture ou de gravure. » - Extrait n°2, p 18 : «Observer, c'est pour la plus grande part, imaginer ce que l'on s'attend à voir». - Extrait n°3 : p 128-129 : «Je lui disais : « Mais enfin, qu'est-ce donc que vous entendez par le Dessin ? » Il répondait par son célèbre axiome : « Le Dessin n'est pas la forme, il est la manière de voir la forme. » (…) Je soupçonnais bien ce qu'il voulait dire. Il opposait ce qu'il appelait la « mise en place », c'est-à-dire la représentation conforme des objets, à ce qu'il appelait le « dessin », c'est-à-dire l'altération particulière que la manière de voir et d'exécuter d'un artiste fait subir à cette représentation exacte, celle que donnerait, par exemple, l'usage de la chambre claire. » Prolongement atelier : Activités dessin, lumière et mouvement : Dans un premier temps, à partir des exemples des œuvres suivantes, L'Homme au chien d'Ernest Rouart, mais aussi le Portrait de Madame Clapisson (Dans les roses) de Renoir, l’élève essaie de dégager une luminosité à l'arrière-plan dans une création. Puis, en prenant pour modèle Madame Renoir avec un chien (1880), il essaye de fondre les figures d'Eugène et du chien avec le milieu environnant par l'apposition de touches rapides. 13 Histoire - Français - Arts plastiques et Musique : Les rythmes élémentaires de la nature et de la vie HISTOIRE DES ARTS - Période : XXème siècle Symbolisme/ Art abstrait / « Réalisme magique » Cartel : Augustin Rouart, Lagrimas y penas, 1943, Huile sur panneau de bois, 51x 65,5 cm, Collection particulière 1. Situer l'œuvre dans son contexte historique, culturel et artistique : Le XXème siècle est une période très mouvementée, qui a vu de nombreux conflits, les deux guerres mondiales, mais aussi des découvertes scientifiques qui se succèdent à un rythme de plus en plus rapide. Le tableau Lagrimas y penas est réalisé en 1943, en pleine tourmente de la seconde guerre mondiale et de la France de Vichy qui collabore avec l'occupant nazi. Interroger l'œuvre sur différents plans : Que représente ce tableau? Cette toile représente dans sa chambre, une femme, allongée seule, à la chevelure ondulée, en tenue estivale, sur son lit, la tête entre ses mains sur l'oreiller, avec un chat qui pose sur le rebord d'une fenêtre surdimensionnée regardant son maître. Le chat joue le rôle de témoin. Le titre du tableau est inscrit sur la fenêtre de bois. Le soir est en train de tomber. A l'arrière-plan, on découvre un paysage sommaire aux couleurs pastellisées, onirique et évanescent, où il est difficile de faire la limite entre la terre, la mer, et le ciel. On peut s’interroger : que fait la personne, rêve-t-elle, pleure-t-elle ? Comment Augustin Rouart arrive-t-il à nous faire partager son intérêt? L’œuvre oppose des couleurs vives, franches juxtaposées au premier plan à la lumière déclinante de l'arrière-plan. Le mouvement des jambes intrigue : ce n'est pas le total abattement qui domine, le corps est en action. Il semble fournir un effort pour fuir ce monde, tournant le dos au spectateur et gagner le sommeil ou la rêverie, sous le regard indifférent de son chat. L'arbre puissant, à l’inverse, rassure : ses couleurs répondent au haut de la tenue de la femme représentée. Le calme l'emporte. Insatisfait de la réalité, Augustin peint pour se consoler et se protéger. Peut-on classer cette peinture dans un style ? Cette peinture dans sa composition et son sujet est très éloignée de l'impressionnisme, maître au sein de la famille des Rouart. Le dessin est très marqué. Aux peintres classiques tels Ingres, Holbein, Dürer, il emprunte la force de la ligne qui dit tout. Pour autant, comme Paul Gauguin, il adhère au principe de la simplification de la forme, cernée. Comme Félix Vallotton, il souhaite aller à l'essentiel et révèle le mystère. Son œuvre n'est donc pas réaliste : c'est pourquoi, son œuvre est qualifiée de réalisme magique. Que peut-on dire de la composition du tableau ? La composition est très moderne. Les proportions ne sont pas respectées, de sorte à amener le spectateur à la question suivante : est-il dans le tableau ou dehors ? La pose de la jeune femme n'est pas conventionnelle, elle se réfère à l'intime. La modernité du tableau est aussi renforcée par l'utilisation sur une large surface de ce jaune violent et extrêmement lumineux. 14 Mise en réseau Analysez les extraits suivants : Paul Valéry, Regards sur le monde actuel (1931-1945)4 « Nous avons vu, en quelques années, sept monarchies (je crois) disparaître ; un nombre presque égal de dictatures s'instituer ; et dans plusieurs nations dont le régime n'a pas changé, ce régime assez tourmenté, tant par les faits que par les réflexions et comparaisons que ces changements chez les voisins excitaient dans les esprits. Il est remarquable que la dictature soit à présent contagieuse, comme le fut jadis la liberté. Le monde moderne n'ayant su jusqu'ici ajuster son âme, sa mémoire, ses habitudes sociales, ni ses conventions de politique et de droit au corps nouveau et aux organes qu'il s'est récemment formés, s'embarrasse des contrastes et des contradictions qui se déclarent à chaque instant entre les concepts et les idéaux d'origine historique, qui composent son acquis intellectuel et sa capacité émotive, et les besoins, les connexions, les conditions et les variations rapides d'origine positive et technique, qui, dans tous les ordres, le surprennent et mettent sa vieille expérience en défaut. Il se cherche une économie, une politique, une morale, une esthétique, et même une religion – et même … une logique, peut-être ? Il n'est pas merveilleux que parmi des tâtonnements qui ne font que commencer et dont il est impossible de prévoir le succès ni le terme, l'idée de dictature, l'image fameuse du « tyran intelligent », se soit proposée, même imposée, ici ou là. » Recherchez les événements qui ont pu inspirer à Valéry cette méditation. a) Quelles sont les sept monarchies qui ont disparu ? b) Quelles sont les dictatures qui ont été instituées ? c) Quelles ont été les retombées dans les nations dont le régime n'a pas changé, et en particulier en France ? Quels sont les différents sens du mot tyran et les diverses conceptions de la tyrannie. Expliquez l'expression « tyran intelligent ». Peut-on confondre le tyran intelligent et le dictateur ? Prolongement en atelier : musique et histoire des Arts : A partir du poème symphonique de Richard Strauss Ainsi parlait Zarathoustra (https://www.youtube.com/watch?v=xqBiE0nUnMM), comparez les nuances musicales avec les nuances de lumières d’une photo ou d’un tableau. 4 En 1931, Valéry fait paraître cet ouvrage qui s'enrichit jusqu'à la mort de l'auteur, comme le prouve la réédition augmentée de 1945, où a été repris le texte de 1938 ci-dessous. Ce texte, « au sujet de la dictature » est paru en tête d'un album de photographies et documents, où étaient évoqués des hommes aussi divers que Mussolini, Salazar, Kémal, Roosevelt, Hitler, Staline. 15 Bibliographie et références Livres disponibles au centre de ressources du Musée de Pont-Aven - Au cœur de l’impressionnisme, la famille Rouart, Musée de la vie romantique, ouvrage collectif Henri Rouart, l’œuvre peinte, catalogue d’exposition du Musée Marmottan Monet, édition Hazan. Dominique Bona, Les Rouart, de l’impressionnisme au réalisme magique, Gallimard, 2014, ouvrage édité à l’occasion de l’exposition présentée au musée des Beaux-Arts de Nancy. Jean-Marie Rouart, Une famille dans l’impressionnisme, Paris, Gallimard, 2001. Paul Valéry, Degas Dans Dessin,… Dans cet ouvrage publié en 1936, Valéry écrit sur le peintre, sa vie et ses relations et livre une analyse de son œuvre. - Autres ouvrages sur la famille Rouart - Jean-Marie Rouart, Une jeunesse à l’ombre de la lumière, Paris, Gallimard, 2000. Fiches pédagogiques thématiques, - - Sur le site du Musée d’Orsay, l’espace ressources pédagogiques présente des fiches thématiques sur cette période artistique et l’impressionnisme : http://www.musee-orsay.fr/fr/espaceprofessionnels/professionnels/enseignants-et-animateurs/documentationpedagogique/documentation-pedagogique.html Sur le site ressources Canopé, à propos de Monet, de l’impressionnisme et de Paul Gauguin : http://www.cndp.fr/crdp-rouen/index.php/festival-normandie-impressionniste-2013/lespeintres/monet-et-giverny Autour du paysage impressionniste, avec des pistes pédagogiques : http://www.ac-grenoble.fr/artsculture-humaniste74/IMG/pdf/Autour_du_paysage_impressionniste_2-1.pdf Sur le portrait : http://ww2.ac-poitiers.fr/ia16-pedagogie/spip.php?article1003 Informations pratiques Le service des publics est à votre disposition pour toute information. Contact : Claire Cesbron et Stéphanie Derrien, médiatrices culturelles au 02.98.06.14.43 ou par mail à [email protected] ou [email protected] Geneviève Pouit-Godin, professeur-relais est aussi une interlocutrice privilégiée pour tous vos projets. Contact : [email protected] Retrouvez également nos actualités et nos dossiers pédagogiques antérieurs sur www.museepontaven.fr 16