Analyse du code foncier et évolution de la législation foncière en

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Analyse du code foncier et évolution de la législation foncière en
Analyse du code foncier et évolution de la législation foncière
en République Démocratique du Congo
Par Me Bâtonnier Thomas LWANGO
(Texte tiré des actes de la Table ronde organisée à Bukavu par l’IFDP du 10 au 11 mai 2010)
NOTRE DROIT FONCIER CONTEXTUALISE A TRAVERS SON HISTOIRE : PERPETUEL
RETOUR DES BOUCLES ETRANGES
« Qui terre a, guerre a ! ». Belle leçon du Moyen-Age européen. Les congolais ne devraient pas la
mépriser sous prétexte de décrépitude. Chaque fois que nous l’oublions, ceux qui nous regardent
s’offusquent de nous voir « endormis sur la fortune immense ». Et… comme la nature "abhorre" le
vide, et que nous affichons des velléités de souveraineté, on nous fait la guerre. L’histoire de notre
droit foncier et celle de nos déboires répétitifs semblent s’emboîter si bien ! À travers la formation
bien intentionnée des lois, leur contenu simplifié à dessein et leur pratique toujours déplorée, nous
nous attirons les foudres des gens qui osent. Parce que terre nous avons et que d’autres prétendent en
manquer, ceux-ci s’en prendront toujours à nous, si nous paraissons dormir sur nos montagnes sans les
exploiter rationnellement.
LA FORMATION VERTUEUSE ET LE CONTENU BIEN FICELE DE NOS LOIS
FONCIERES
Les trois temps forts de notre histoire foncière au cours de nos cent ans passés sont, on le sait bien :
d’abord, l’entrée dans le royaume dit Etat Indépendant du Congo de Léopold II ; ensuite le saut dans
l’ère de La Colonie ; et enfin la naissance de la République du Zaïre de Mobutu. Ce que furent nos lois
dans ces époques et ce qu’on en fit est instructif.
Lorsque « l’Ouragan de l’Histoire » jetait les Européens sur les bordures de l’Afrique et d’autres
continents, asiatique et sud-américain, le Congo fut confié au roi Léopold II, roi des Belges. Ce fut fait
ainsi, parce que, devant l’inconnu et l’idée, cependant, de trouver des fortunes sur cette « terra
incognita », tous les Gouvernants des 14 Etats qui comptaient alors, entrevoyaient une ruée vers un
hypothétique Eldorado. Les Hautes Parties Contractantes de la C.D.A.1 de Berlin ne se trompèrent pas.
En quelques années, guerres de colonisation du Congo et de libération de l’état de peuples arriérés,
allaient devenir enrichissantes pour ceux qui s’engagèrent dans l’aventure.
Les critiques de cette époque décrivent, à longueur de livres, et de projections cinématographiques
depuis lors, le « modèle » léopoldien d’exploitation de colonie. La gestion « égoïste » des terres y
occupe la première place au rang des reproches faits au régime. Les contrats de concessions de terrains
rivalisèrent avec les monopoles de la cueillette des produits naturels et même miniers. On sait combien
d’ennuis cette politique d’entreprises étatiques faisant concurrence aux investisseurs privés causa des
ennuis à notre « Roi – Souverain du Congo ». Cela l’obligea à céder le Congo à la Belgique, parce que
consuls, journalistes et commerçants, outre les réclamations des « indigènes » avaient réussi à
mobiliser l’opinion de la Communauté internationale contre les souffrances et crimes infligés au
peuple congolais, et aussi contre les monopoles et autres exclusivités « foncières » reprochées au roi et
aux « belges ». Entre temps, on doit constater que le régime léopoldien ne s’était pas donné la peine de
doter le pays d’un régime foncier porté par des lois construites dans une logique de développement
1
J’emploie l’abréviation de C.D.A. pour désigner l’historique série appelée Conférences Diplomatiques Africaines (Berlin,
1884-1885 ; le sigle A.G.C.B. pour Acte Général de la Conférence de Berlin (où, entre autres « Gateaux », le Bassin
Conventionnel du Fleuve Congo fut discuté et doté d’un statut international de « Porte Ouverte » ; c’est-à-dire un pays où
étaient absolues la liberté d’entrer, circuler et ressortir, de commerce et d’industrie, d’importation et d’exportation,
d’établissement, le tout en totale égalité entre les Ressortissants de tous les Etats dits Hautes Parties Contractantes. Cette
liberté couvrait aussi les Chercheurs, les Evangélisateurs, et tous autres hommes de culture.
2
économique et de promotion sociale, notamment intellectuelle et technique, des peuples « acquis » à
Berlin. C’est par simples voies de fait que le « 2Roi – Souverain du Congo » exploita les terres à sa
guise, invoquant sa qualité de propriétaire pour balayer d’un revers de main les penser et dires de ceux
qui vitupéraient contre sa gestion calamiteuse. La discrimination institutionnalisée au préjudice des
congolais, frappait aussi, disait-on, les étrangers non belges ; elle développait même un favoritisme
dont souffraient les non belges et - par un retournement de la situation dans laquelle des anglais, y
compris protestants, avaient joué un rôle évident dans l’œuvre de ce Morton Stanley en faveur de
Léopold II, - les missionnaires protestants. Les pratiques des régisseurs royaux des terres congolaises
laissèrent ce pays, non seulement à la merci de gens qu’on qualifie aujourd’hui de « prédateurs » mais
aussi sous les lumières des censeurs virulents. Ainsi, la « Cession du Congo à la Belgique » eut pour
cause, entre autres, la mauvaise « gouvernance » de cette ressource qu’est la terre.
Le régime de Congo belge, ou si l’on préfère : la Colonie belge d’Afrique, améliora le système, si l’on
s’en tient au fait qu’enfin des lois furent promulguées. Remarquons que la première, qui dota le Congo
d’un régime de la propriété, et qui fit sens, est datée du 31 juillet 19123. Le nouveau régime, décidé à
remédier aux causes d’ennuis du précédent, fut bien productif de lois foncières, dont relevé joint à la
présente note. L’administration des terres (y compris les concessions minières et forestières, toutes
choses inséparables) fut rationalisée par les administrateurs coloniaux. Mais un vers destructeur était,
comme le diable, logé au cœur du système, la discrimination raciale – colonisés exclus du régime de
propriété foncière et immobilière -, outre le favoritisme colonial en faveur des nationaux belges (les
autres peuples, européens comme américains, étant tenus résolument à l’index).
Et lorsque l’on juge cet état des choses, il est sans doute utile de regarder les statistiques des terres
congolaises qui furent concédées et cédées aux colons, non seulement agriculteurs, mais aussi
industriels, miniers et forestiers4 (moins de 60.000 étrangers). Il faut ajouter que la distribution des
terres congolaises pour promouvoir des investissements avait revêtu la modalité de cession de service
public5 à des entreprises privées (comité spécial du Katanga, Compagnie des Chemins de Fer des
Grands Lacs Africains (C.F.L. bien connues au Maniema) et Comité National du Kivu (C.N.Ki.),
lesquelles sont qualifiées de compagnies à charte ou, mieux encore, « pouvoirs concédants », dans la
littérature de la Colonie. Ce mode de gestion qui, dans le cas du C.N.Ki., eut le mérite de doter le pays
d’un organisme « paraétatique » de rationalisation de la gestion foncière – une manière d’organisme
de Programmation ou Planification de l’économie et des solutions aux problèmes sociaux coloniaux.
Mais comme déjà dit, la législation de La Colonie excluait les congolais de tous ces avantages
rationalisés. Il était donc décidé de développer le Congo sans les congolais. Tout cela était un dossier
« mal ficelé » ; une bombe à retardement. Et dès 1956/57, la fière bâtisse de la colonisation révéla ses
graves vices de construction.
La République du Zaïre, bien que prévenue par la mésaventure des systèmes qui l’avaient précédée,
tomba dans le gouffre d’une gouvernance terrienne aventureuse. Kasa-Vubu, le premier paraît-il, avait
suscité, dans les années 1956/57, la réflexion sur la dette coloniale6 ; posée très globalement, la
discussion ne pouvait manquer d’atteindre les obligations que l’on faisait peser sur le Congo, au titre
2
Il est vrai que l’illogisme de Berlin sur la conquête du Congo, son occupation et son exploitation, peut expliquer le fait que
le Roi – Souverain du Congo exploita intensément la vente des terres, pendant au moins dix ans, pour se procurer les moyens
financiers de sa politique : l’A.G.C.B. lui avait interdit tout impôt ; il se rabattit sur les contrats fonciers, sur le monopole
« étatique » des produits forestiers et agricoles, et, bien plus tard, sur les concessions minières. Les chercheurs, tels que
Daniel Vangroenweghe (Du sang sur les lianes) ont fourni des statistiques des revenus considérables de ces « monopoles »
étatiques.
3
Kalambay Lumpungu, Droit civil zaïrois, t.2, vol. 2, Droit foncier et immobilier; Piron et Devos, Codes et lois du Congo
belge, t. 1, Ed. Larcier, Léopoldville et Bruxelles, 1960
4
KALAMBAY LUMPUNGU, Droit civil congolais, t. 2, Droit foncier et immobilier, Ed. Mafundisho, Kinshasa, 1995
5
L’expression et la notion de concession de service public ne me paraît pas approprié à ce que fit la Colonie ; les « pouvoirs
concédants » allaient, surtout après le retour du Congo à se comporter, non pas en concessionnaire de service public, mais en
véritables propriétaires opposant leurs droits de disposition terrienne à la volonté de l’Etat. Le régime Mobutu l’expliquait à
qui voulait l’entendre, et même à qui ne voulait pas !
6
Ne pas oublier que Kasa-Vubu, outre sa formation de philosophie et de théologie, alignait son savoir d’agent de la direction
coloniale des Fiances ; il pouvait donc, sur la dette coloniale, parler en connaissance de cause. Il comptait parmi les élites
intellectuelles d’alors.
3
de moyens empruntés à l‘étranger et dans le pays, pour financer la mise en exploitation de celui-ci. Un
dossier des concessions foncières, forestières et minières, y était compris. Lumumba, venu au combat
par la suite, donna à la revendication une allure vigoureuse. Il articula, ouvertement, les griefs dirigés
contre la manière dont le colonisateur avait géré nos terres. La Table Ronde de Bruxelles, dans ses
phases politique et économique, traita du statut des fameuses Compagnies à charte (« Pouvoirs
concédants », selon la littérature de la Colonie du Congo belge). Elles furent dissoutes. Mais, hélas !,
tout fut « brouillon ». Alors qu’on ne supprime bien que ce que l’on remplace, - c’est bien connu,- les
Congolais n’organisèrent rien pour remplacer avantageusement les coloniaux « pouvoirs concédants ».
Même après le courageux Arrêté du Premier Ministre Tshombe, de février 1965, qui décréta
effectivement le chemin vers le remplacement de la gestion coloniale, les pesanteurs postcoloniales,
doublées des luttes nées d’une indépendance mal « montée », firent oublier les vraies fins de la lutte
indépendantiste.
On se serait bien attendu à voir le régime de la « Deuxième République » éviter les tentatives de hisser
la pierre de Sisyphe sur la montagne savonneuse que constitue la prétention d’un sol et sous-sol, ainsi
que d’autres ressources naturelles, gérées comme propriété exclusive et surtout inaliénable de l’Etat
(article 53 de la loi nr. 63-0217). Léopold II avait périclité sur cette voie. Qu’allait faire le régime
installé en 1965 et « institutionnalisé » dès 1972.
Prétendant reprendre le flambeau lumumbiste, le Régime du président Mobutu parut foncer dans la
gorge ouverte, semblant oublier qu’il arrive aux « Pharaons et leurs fières armées d’être culbutées dans
la mer ouverte ». Voici une chronologie de ses actes :
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7
Avril 1966 : la Loi-Bakajika qui prétendit rendre au Congo sa « pleine souveraineté » sur ses
terres, étant sous-entendue qu’il s’agissait, surtout, de frapper les sociétés qui continuaient à
opposer aux pouvoirs publics congolais le régime de pouvoirs concédants, notamment pour se
réserver des pouvoirs de gouvernance substitués à ceux des institutions et administrations de
l’Etat. Plusieurs actes, en forme de lois ou de règlements furent alors promulgués et publiés8 par
les tenants des pouvoirs publics, allant jusqu’à supprimer des sociétés anciennes et à transférer
leur patrimoine à l’Etat.
Décembre 1971 : après avoir, depuis Bukavu jusqu’à Matadi, en passant par tous les chefs-lieux
de provinces et même par certains chefs-lieux de districts, prêché que les lois héritées de la
colonisation avaient été injustes envers les congolais sur notre propre sol ; qu’il fallait
radicalement anéantir les droits acquis en vertu de ces lois et obliger tous leurs titulaires à en
réintroduire demande auprès de l’autorité congolaise, et qu’alors serait conduite en faveur des
congolais une redistribution sécurisée des terres, le président Mobutu qui s’en prit aussi aux chefs
traditionnels (coutumiers) accusés de causer l’insécurité juridique par des atteintes aux droits
acquis par leurs « sujets », décida que la loi Bakajika fût renforcée. La loi nr. 71-09 fut adoptée et
promulguée, le tout en une nuit, les 5 heures de temps, entre 19 heures et 24 heures, du 31
décembre. On introduisit ainsi, dans la Constitution d’alors, un article 14bis selon lequel le sol et
le sous-sol sont la propriété exclusive et inaliénable de l’Etat. Et celui-ci, contrairement à ce
qu’avait accepté Léopold II, ne pouvait accorder à qui que ce fût, que des locations et
concessions ; les cessions, même à titre onéreux des terres, et même des terrains déjà mis en
valeur, étaient décrétées d’illicéité fondamentale.
Puis vint le mouvement, « mélangé de fait et de droit » (timides formes législative et
réglementaire), qui fut baptisé des concepts de « zaïrianisation, radicalisation, stabilisation et
rétrocession »9. Un mouvement vaste, mais par touches successives et cumulées était en marche.
Le 20 juillet 1973 était promulguée, après celles de 1966 et de décembre 1971, la « loi nr. 73-021
Cette inaliénabilité absolue de toute terre, même mise en valeur, avait été critiquée par ceux que le régime, en 1971 et 1972,
avait chargé de couler ses volontés en un texte législatif. Mais, « révolution obligeant », l’objection fut « chahutée ».
8
L’essentiel de ces textes a été reproduit ou renseignés dans ma plaquette « Essai sur la législation économique du régime
Mobutu » écrite en 1969.
9
Deux publications ont été proposées dans cette période sur ces « Mesures » ; la première, d’un Avocat de Lubumbashi, Me.
Yabili ; l’autre d’un Avocat et Professeur de Kinshasa, Me. Lukombe Ngenda. Voir les indications bibliographiques ajoutées
à la présente étude.
4
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du 20 juillet 1973, portant régime général des biens, régime (s) foncier et immobilier et régime
des sûretés »10. Cette loi, qui « révolutionnait » le droit des biens (régime général, articles 1 à ??),
codifiait un nouveau système foncier et agraire; et, en conséquence, selon avis de ses rédacteurs
matériels, elle exigeait, pour raison d’harmonisation dans le système juridique du Pays, de dire ce
que devenait le système des sûretés. Elle vint abroger et remplacer toutes les lois antérieures ayant
les mêmes objets. Il était expliqué que le régime nouveau serait plus bénéfique aux nationaux, et
même à la Nation. Un discours présidentiel prononcé à la tribune de l’Assemblée générale des
Nations Unies à New-York, le 24 octobre 1973, rendit publique une autre décision du Chef de
l’Etat (désormais « zaïrois ») de nationaliser toutes les entreprises appartenant à des étrangers,
personnes physiques comme personnes morales. Un second discours, en plein Conseil législatif
(parlement du Parti unique, Parti-Etat), en date du 30 novembre de la même année, confirma les
nationalisations généralisées, en précisant que les entreprises seraient, non pas étatisées, mais
vraiment nationalisées, c’est-à-dire non pas converties en entreprises publiques, mais cédées aux
nationaux, sous la qualification juridique d’entreprises privées ; ces nationaux, qualifiés
d’acquéreurs, paieraient aux anciens propriétaires le prix de cession. Il sera décidé plus tard que
ces paiements seraient effectués par l’intermédiaire de l’Etat.
Après janvier 1975 : Mais, une allocution du même chef de l’Etat, délivrée au titre de vœux du
Nouvel an 1975, vint « radicaliser » les expropriations : même les nationaux étaient frappés, du
moment que leurs affaires réalisaient un chiffre d’affaires annuel égal ou supérieur à 1 million de
dollars US.11 Certains ont soutenu une doctrine, selon laquelle toutes ces « mesures » avaient pour
base légale la loi nr. 73-021 précitée. Le Président Mobutu, peut-être saisissant cette perche
gratuitement avancée vers lui, plastronna que cette liaison était bien perçue. Mais on a vu que les
assurances données aux nationaux même dans les lois, n’ont plus été respectées. Eux aussi furent
frappés. Théoriquement tous, mais certains de « l’entourage du chef » s’étaient déjà taillé la part
du lion dans la nationalisation ; ce sont ceux que le kinois railleur appela « les en-haut d’enhaut »12.
On peut résumer le constat fait du processus normatif au Congo, dans le domaine de la gestion des
terres, et en rapport avec la thématique scrutée par la Table Ronde, par quelques propositions telles
que :
1. Les temps forts du mouvement législatif se suivent et se ressemblent : on part des meilleurs
espoirs et promesses, et on aboutit à une législation qui révèle rapidement ses vices cachés,
nombreux et graves. Il y a boucles étranges.
2. Ainsi s’est perpétuée, voire progressivement aggravée, une option d’étatisation des terres et de
leur distribution ; Léopold II avait inauguré cette « technique d’exploitation terrienne » et y
avait échoué ; la « Deuxième République » s’y frotta (art. 53 de la « loi foncière ») et s’y
piqua à en mourir ;
3. De bons textes de lois ont existé ; les pratiques les ont répétitivement contournés, voire
allègrement violés. Notamment au détriment des nationaux.
Voyons maintenant ce troisième aspect, celui du droit vécu à travers les pratiques.
DES PRATIQUES EN MARGE DE LA LOI, VOIRE CONTRE LA LOI
10
Journal officiel, d’août 1973.
Le « régime » donnait de cette démarche nouvelle une explication politique ; selon son « chef », les congolais dont le
chiffre d’affaires annuel (chiffre d’affaires et non pas bénéfice !) dépassait 1 million de dollars US étaient suspectés d’être
dangereux pour la sécurité de l’Etat.
12
Cette expression, désignant les grands privilégiés dans le « partage du gâteau » et spécialement ceux que M. Mobutu luimême fustigea, en juillet 1977, en les qualifiant de « intouchables » ; la journaliste belge a parlé de dinosaures et de
prébendiers. On se souviendra qu’au début des années 1990 ont circulé dans Kinshasa des copies de listes des « en-haut d’enhaut » dont la dette individuelle née des acquisitions de 1974 se chiffraient en millions et dizaines de millions de dollars U.S.
fussent une menace pour la sécurité du Congo. Alors que, dans la même période, M. Mobutu jurait n’avoir aucun problème
politique intérieur…
11
5
La nature des pratiques, surtout sous l’E.I.C., mais aussi sous la Deuxième République, est tissée de
contournements des règles légales, voire de leurs violations, et ce, par les particuliers, par les pouvoirs
publics et par les agents de ceux-ci. Même les magistrats n’échappent pas au doigt accusateur.
L’opinion publique, - ou, plutôt, les informations souvent entendues – attesteraient des faits, à peu
près, comme suit :
Alors que les gouvernants invoquent souvent que leurs actes, y compris les dispositions légales, ont
pour justification la rationalisation de la distribution des terres dans le but d’orienter et soutenir le
développement économique du Pays, par le levier, notamment, d’une distribution rationnelle des
terres, celles-ci sont en réalité :
a. Distribuées dans l’anarchie, c’est-à-dire sans que les autorités aient organisé un plan
d’équipement du Territoire en vue d’un développement rationnel ; ainsi nous plaignons-nous, par
exemple, du fait que nos villes sont devenues des bidonvilles avec les autorisations de bâtir
données au vogel pick, disaient autrefois les flamands, alors que la loi interdit, dans ces villes,
toute construction faite en l’absence ou en marge de plans d’urbanisme13 ; les fonctionnaires et
autres autorités politiques, qui distribuent des parcelles de terre urbaines, des contrats ou autres
titres d’occupation, et des autorisations de bâtir, savent que leurs actes sont illégaux, nuls, de
nullité absolue et de nul effet ;
b. Accordées à certains demandeurs, « à la tête du client », au mépris des expectatives légitimes,
voire licites, d’autres, les critères du choix allant du népotisme et du clientélisme, jusqu’à la
corruption abjecte tout le temps décriée ; les dossiers qui viennent aux cours et tribunaux montrent
effectivement que l’on écrase « la veuve et l’orphelin ».
c. Les débats, par exemple sur les antennes des radios, montrent que la part des litiges fonciers dans
nos juridictions représenterait plus du tiers des cas dans l’ensemble des procès civils.
d. Dans ces litiges, un lot très important tourne au tour de fraudes ou erreurs des services des
Cadastre et Affaires foncières ; alors que la loi, les règlements et les techniques et technologies
dont ces services sont censés se servir, y compris les mécanismes d’enregistrement des titres
divers, - voir la définition opératoire de la Conservation des titres dans la loi du 20 juillet 1973,
sont supposés produire des documents non sujets à confusion, ni à perte, ni oubli. Ce mois de mai
2010, dans un des « Dialogues Entre Congolais, D.E.C. », la RadioOkapi interrogeait des invités
qui affirmaient haut et fort que le contentieux foncier congolais comporte de nombreux cas où les
Services de la Conservation des Titres Immobiliers avaient délivré deux certificats
d’enregistrement ou autres titres « légaux » sur une même parcelle de terre, à des personnes qui
finissent par se battre.
e. A plus forte raison, voit-on les débats judiciaires exposer au public présent des superpositions de
croquis, des erreurs de calculs de surfaces, des remplacements d’identités cadastrales de terrains,
même urbains14 ; des disparitions de dossiers cadastraux et fonciers, dans les services compétents,
alors que la fonction sociale et économique de ceux-ci est de, justement, produire ces titres, les
conserver et en garantir aussi bien l’existence que l’authenticité, etc.
f. Une des sources des ennuis de la population provient de l’imbroglio des compétences opposant les
chefs traditionnels aux fonctionnaires des Affaires foncières ; alors que la loi, depuis le 20 juillet
1973 a retiré tout pouvoir foncier au chef coutumier. 15, celui-ci continue, même à la barbe des
13
Décret du 20 juin 1957 sur l’urbanisme ; texte réimprimé par le Journal officiel de la RDC sous n° spécial de la 33e année,
produit en 1992 (sans date plus précise). Cette reproduction a été appelée « Code foncier » (en réalité une compilation, - et
même pas une coordination autorisée,- des textes législatifs et réglementaires). Louons, quand même, au plan des faits, cette
initiative des fonctionnaires du Journal Officiel.
14
Traitant des empiètements, le législateur, en 1972-1973 avait cru à son efficacité, lorsqu’il a décidé, par exemple, que les
empiètements (on peut en dire autant des accaparements) sur terres urbaines et autres cadastrées seraient toujours qualifiés
œuvres de mauvaise foi (référence, a contrario, faite à une prohibition de présumer la mauvaise foi en Droit civil ; c’était
sans compter avec la criminalité des futurs dirigeants … d’autant plus que la même loi a mis à charge de l’Etat les préjudices
que causeraient ses fonctionnaires, par erreur (on s’empresse alors de qualifier erreurs toutes les offenses, jusqu’aux plus
impardonnables.
15
C’était l’une des décisions que le Président du M.P.R . avait annoncée dans un « rassemblement populaire » tenu à Bukavu
en septembre 1971, qu’il avait ordonné à son « parlement » de couler en forme de loi, et qu’il avait promulguée sous la forme
de la loi nr. 71-09 du 31 décembre 1971 qu’il appela « la loi Bakajika renforcée ».
6
gouvernants de Kinshasa, à concurrencer les services de l’Administration compétente dans la
distribution des terres ; j’ai vu récemment des cas où ces fonctionnaires retardent un
investissement socialement et financièrement important ; le motif des fonctionnaires était que
l’investisseur, une Institution philanthropique, devait obtenir le terrain, non pas de
l’Administration, mais du chef coutumier … !
g. Les accusations devenues monnaie courante, atteignent même les magistrats, ce qui fait dire
souvent que le justiciable congolais est privé de tout recours contre les injustices et les illégalités.
Nous savons tous que cet état des choses exaspère tous les investisseurs, actuels ou potentiels, qui
se disent non protégés par les lois congolaises dès lors que la Justice elle-même est accusée de
multiples illégalités. C’est dire que le mal est très étendu et très profond. Et que dire alors de ceux
qu’on qualifie de avocats véreux … !
h. On sait que même les droits fonciers, voire immobiliers, de l’Etat ont cessé d’être respectés. Le
prétendu régime du domaine public ne protège plus rien. Les terrains réservés à la puissance
publique, aux besoins actuels ou futurs des services publics, sont allègrement retirés à l’Etat et
vendus (donnés, en fait) à des hommes forts qui auraient bien pu se pourvoir ailleurs. On voit
aujourd’hui, par exemple, l’Etat loger ses fonctionnaires, même magistrats ou officiers de
l’Armée, dans des hôtels (certains n’ayant d’hôtel que le nom), d’où il leur arrive souvent d’être
délogés sans façon, le propriétaire se plaignant de voir s’accumuler des factures impayées par
l’Etat. C‘est le cas, même dans la ville de Bukavu, où, pourtant, la Colonie nous avait laissé un
héritage de plus de 300 logements propriété de l’Etat, non compris les camps militaires construits
(Camp Saïo, Camp Jules Moke, Camp de la Gendarmerie à Bagira, Camp de Kadutu, etc.).
i. Pour en revenir à la justice, remarquons que même des certificats d’enregistrement, le cœur même
de notre système des droits fonciers et immobilier, pièce essentielle dans la prétendue protection
des investissements, sont déférés en justice et souvent marqués par un imbroglio inextricable. Ce
système de règles d’ordre public16, qui avait bien fonctionné pendant les 80 ans d’administration
belge, a été abattu comme château de cartes, dès que la cupidité de nos nationaux a remplacé la
rationalité du … colonial.17
Disons aussi quelques constatations sur la rationalité sociale dans nos lois qui ont un rapport avec la
gestion des terres.
a. Les aspects hygiène et santé s’y trouvent bien marqués : les villes et autres centres urbanisés
doivent comporter, dans leur plan d’aménagement, des portions de terre affectées à la construction
d’hôpitaux, de dispensaires, etc.18 De même qu’à l’enfouissement des déchets industriels et
domestiques. Il en est de même dans les territoires (ruraux). La gestion minière et forestière
obligeait les concessionnaires à aménager leurs secteurs et autres implantations à forte
concentration d’habitations en y prévoyant non seulement les habitations, mais aussi les bâtiments
affectés au service médical. Des agents sanitaires étaient affectés partout, même dans les villages
ruraux, et y veillaient à ce que des aires soient affectées par exemple à des lieux d’aisance.
b. Le scolaire est traité de même. Des espaces suffisants, y compris pour hygiène et santé scolaires,
pour les aires de jeux et de formation physique doivent être prévus dans les plans d’aménagement.
c. Le commerce : dans la gestion des terres, l’administration doit déterminer d’avance les aires
réservées aux marchés publics, aux boutiques et aux magasins. Vers Bitale, on voyait encore, il y a
quelques années, les aires et restes de bâtiments, qui avaient été réalisés par une société minière
sous l’impulsion des autorités du territoire de Bunyakiri.
d. Les sports et loisirs bénéficient aussi d’un privilège : des espaces doivent leur être affectés, ce qui
entraînerait régime de domaine public, c’est-à-dire inaliénabilité.
Toutes ces prescriptions légales sont jetées dans les oubliettes actuellement. Dans les villes et autres
villages autrefois urbanisées (Uvira, Bunyakiri, alentours de Kamituga, et des autres chefs-lieux des
territoires), les agents d’un cadastre, généralement non formés, coupent la terre, la découpent, la
16
Un arrêt de la Cour suprême de justice a déjà consacré ce caractère des règles de ce titre.
Etre obligé d’ainsi avouer la déchéance de ce qui est censé être un Etat, est certainement très regrettable.
18
Décret de 1920 sur l’urbanisme
17
7
dépècent, à qui mieux, sans autre souci que celui de procurer des parcelles à construire, même non
constructibles, ce qui a donné à tous nos espaces habités cet aspect de bidonvilles peu « ragoûtants ».
Je ne peux m’empêcher d’épingler, ici, une constatation de réalité qui confirme combien est véridique
l’affirmation que les autorités ont laissé le domaine des terres dans l’abandon et le mépris. Je vise la
situation scolaire que les belges nous ont laissée et dont, je suppose, bien peu nombreux ceux d’entre
nous qui savent encore reconnaître les vestiges de notre ancienne grandeur.
Il y avait au Congo belge, des écoles qui formaient des géomètres et arpenteurs d’un niveau
technique fort appréciable. Il y en avait, par exemple, à Jadotville (Katanga), au Bas-Congo (le nom de
la ville précise ne me revient pas exactement, mais je pense que c’était à Boma) et au Kivu-Maniema
(précisément à Kalima). Leurs diplômés nous ont fait honneur longtemps et j’ai eu la joie, dans les
années 1967 – 1968 et 1969, de voir un Monsieur Nyamamana, du Cadastre provincial de Bukavu,
mener discussions techniques avec un Ingénieur (Manzavrakos) grec spécialiste des constructions
aéronautiques, puis effectuer, toujours avec lui, un travail cadastral de grande envergure dans les
alentours de Bukavu, pour déterminer un bon site pour la construction de ce qui devait devenir le
grand aéroport de Bukavu (un … rêve qui finira bien par se réaliser, même si, depuis 40 ans, des
opinions farouchement favorables à Goma nous en ont fait… baver (excusez-moi le terme).
Alors, pendant trente bonnes années, les autorités, ayant négligé les écoles, ont affecté à ces services
du Cadastre et de la Conservation des Titres fonciers et immobiliers des agents n’ayant pas suivi une
formation solide, ni dans le domaine du Cadastre (ne fût-ce que celle de géomètre, voire de simple
arpenteur ou jalonneur…), ni dans celui des règles des droits fonciers (notamment des juristes
spécialisés), ou de l’Urbanisme et habitat.
Au total, tous les mécanismes (politiques, administratifs, judiciaires, techniques, éthiques,
déontologiques, …) qui composent le fameux paradigme Etat, sont, au Congo, en décomposition fort
avancée19. Dans le domaine de notre concentration dans le présent document, certains parfois en
veulent à la loi. Que penser, en réalité, de pareille assertion ?
LA LOI DE 1973 EST-ELLE SUICIDAIRE POUR NOTRE ETAT ?
Les faits vécus, dans le domaine de la gestion des terres, sont bouleversants. Sous l’E.I.C., les
gouvernants prennent appui sur les solutions posées par la Conférence de Berlin, dans l’Acte général
de celle-ci concernant le Bassin Conventionnel du Fleuve Congo ; ils avaient mission, entre autres, de
sortir les populations congolaises de l’état de peuples arriérés et les amener à « La » Civilisation. Dans
les faits, ils conduisent ces peuples dans ce que la Communauté internationale a unanimement
condamné. L’injustice, dans le domaine de la terre, a consisté à dénier aux congolais les droits
fonciers. Les quelques textes épars, que le système léopoldien nous a laissés nous ont enfoncés dans
une ère extrêmement sombre. Les prétendues enquêtes de vacance des terres qui, à la pièce (lors de
l’examen de quelque demande d’investisseurs), ou voulues globales totales (lorsque le Roi –
Souverain du Congo a eu la prétention d’inventorier toutes « ses » terres20), auraient peut-être pu
conduire à reconnaître aux congolais quelque droit, fût-ce de jouissance (comme disent certains
aujourd’hui, défaitistes en fait !), pourvu que ce droit fût protégé surtout contre les abus des pouvoirs
publics et de puissance économique. Le régime royal perdit de vue ce moyen qu’impliquait la
promotion « matérielle et morale » des indigènes.
19
Il est bien entendu que nous ne mettons point en cause la reconnaissance internationale dont jouit notre Etat ; le phénomène
dont je parle relève de la seule critique nationale ; que deviendrions-nous, aujourd’hui, si les principes fondamentaux du
Droit international public, notamment l’irréversibilité de la reconnaissance d’Etat et ses conséquences juridiques, ne nous
protégeaient pas contre un monde qui, comme chez le Psalmiste, le «Fratres, sobrii estote et vigilate, quia adversarius vester,
diabolus, tamquam leo rugiens, circuit quaerens quem devoret » et contre lequel nous ne cessons de dire « …cui resistite,
fortes in fide… ». Chant des Complies du dimanche au Petit Séminaire ; tiré de 1 Petrii, 5 ; 1re Epitre de Pierre, chapitre 5,
versets 8 et 9 (partim).
20
Décret du Roi- Souverain demeuré lamentablement inopérant et même ineffectif.
8
L’ère de la Colonie, fondée sur l’idée d’instaurer un régime plus juste, dans tous les domaines envers
tous les habitants du Congo, a maintenu cependant la discrimination au détriment des congolais. Le
développement économique et le progrès social, dont la Colonie eut raison de s’enorgueillir, se
révélèrent s’être fourvoyés d’autant plus que cette prospérité économique aurait pu promouvoir aussi
l’homme noir. Un des symboles de l’injustice fut le fait que c’est seulement par un décret de 1956
qu’on envisagea d’admettre le noir à la propriété. Les pesanteurs coloniales empêchèrent ce projet
d’aboutir avant le retour du Pays à l’indépendance.
La loi 73-021 n’a pas apporté le remède espéré et promis. Le Congolais est d’autant plus frustré que la
lutte indépendantiste avait gagné la « guerre » notamment au moyen des slogans promettant que le
noir allait, enfin, rejoindre le blanc, notamment dans le domaine de l’accès à la propriété. Les
déclarations d’intention du régime politique, entre novembre 1965 et mai 1997 aboutirent à la même
« boucle étrange ». Et pire encore : les pratiques abusives, infractionnelles même, tant décriées même
par les ministres qui devraient les éradiquer, règnent et prospèrent, au point que de prétendues
« tolérance – zéro » n’ont pas contre le crime un effet plus significatif que des gouttelettes de pluie sur
le dos d’un canard.
EN GUISE DE CONCLUSION
Les enjeux, dans la thématique de cette Table Ronde vont de l’intérêt général économique à la
restauration de l’ordre social, et à la restauration morale de tout un peuple. Sur le plan politique, il
nous paraît évident que la perpétuelle question foncière et agraire a débordé les limites des villes,
répandant l’insécurité juridique, économique et sociale jusque dans les villages, dès lors que, comme
le relèvent bon nombre de chercheurs du domaine, les élites urbaines excellent à ravir les terres aux
communautés locales pour se procurer de véritables latifundia, et ce, sans que les habitants recueillent
ne fût-ce que des emplois agricoles, ou les avantages sociaux tels que la solution aux préoccupations
de santé et d’éducation.
Les personnes, qui pourraient être tenues pour responsables de la dégradation, ne sont pas seulement
des particuliers (entrepreneurs) qu’on accuse de rapacité aveugle, mais aussi les tenants des pouvoirs
publics, jusques et y compris les personnes qui devraient, avec le désintéressement du fonctionnaire21,
arbitrer les litiges fonciers et protéger par des actes de leur compétence, « la veuve et l’orphelin ».
Les « attaques » de tous ces acteurs contre l’ordre public, qui devrait être observé et sauvegardé dans
la distribution des terres et la protection des titres des droits acquis, ne respectent plus aucun impératif.
La loi, spécialement celle de juillet 1973 n’apparaît plus contenir les règles d’ordre public. Le
fonctionnaire du Cadastre ou de la Conservation des Titres immobiliers se croit dispenser de toute
responsabilité, non seulement dans les cas d’erreur excusable, mais aussi lorsque son erreur est grave,
équipollente au dol, ou que son acte est résolument dolosif. Des règles comme l’exceptionnel, selon
lequel l’Etat est responsable des dommages que causeraient des erreurs de ses fonctionnaires, se
trouvent interprétées extensivement et l’on prétend que le fonctionnaire est irresponsable en toute
hypothèse. On trouvera difficilement des jugements où les juges se soient donné la peine de vérifier
sérieusement l’hypothèse de responsabilité personnelle de l’agent. Les plaideurs eux-mêmes sont
souvent défaitistes sur ce moyen juridique puissant. Même lorsqu’un Géomètre fait chevaucher des
croquis de terrain, ou qu’un Conservateur a établi un certificat d’enregistrement ‘sur’ une parcelle de
terre qui en comportait déjà, et qu’il a omis d’annuler le précédent ; de même lorsque, balayant d’un
revers de main, il écarte les règles, depuis l’article 101 de la « loi foncière » jusqu’à l’article 145, qui
lui interdisent d’annuler ou résilier unilatéralement un contrat, et prescrivent au fonctionnaire, si la
tentation le taraude, d’agir en justice et demander la vérification judiciaire des cas d’extinction ‘forcée’
d’un droit qu’il argue d’extinction, par exemple pour absence de mise en valeur ou pour mise en
21
Avant que de respectables théoriciens contemporains de la moralité dans l’Etat, tels que les Léon Duguit, n’enseignent
curieusement que la détention d’une parcelle d’autorité irait naturellement de pair avec leur enrichissement, les anciens, pour
leur part, y compris les Richelieu ont enseigné que, même les élus, sont régis par le principe de désintéressement. On
comprend que bien des personnes qui ont lu sommairement ces contradictions théoriques se soient perdues dans ce dédale.
9
valeur conforme ou insuffisante, ce fonctionnaire voit les tribunaux le suivre, souvent en s’abstenant
simplement d’examiner le caractère d’ordre public des protections légales (articles 101 à 108,
régissant la concession perpétuelle ; art. 145 accordant, mutatis mutandis, la même protection à la
concession ordinaire ; qui va jusqu’à prescrire au chef des services des Affaires foncières, qui querelle
un contrat de location et qui n’obtient pas la renonciation expresse et écrite du locataire, de demander
un jugement22 qui dira le droit, sur la question préalable de savoir si la résiliation ou le prétendu
abandon de droits fonciers est « juste et bien vérifié »).
Lorsque apparaît un conflit entre titres égaux délivrés par un même fonctionnaire, il est rare que, par
exemple, les jugements rendus examinent la question de l’antériorité entre ces titres concurrents, alors
que l’antériorité est un principe général du droit.
Un autre droit (de créance immobilière), clairement inscrit dans la loi de 1973, est toujours oublié. Il
s’agit du fameux droit à devenir concessionnaire de terrain et propriétaire d’immeuble. On prétend
souvent que la loi ne reconnaît aucun droit foncier et/ou immobilier non enregistré. Or, ce faisant, on
altère la loi. Celle-ci exige le certificat d’enregistrement uniquement pour les droits réels (concessions
foncières et propriété immobilière ; hypothèque ; location de plus de neuf ans ;…), non point pour les
créances foncières ou immobilières. Que de jugements l’oublient … D’ailleurs, s’il est vrai que le
certificat d’enregistrement fait pleine foi au profit du tiers qui y aura ajouté foi, il est anormal de
retenir cette règle en faveur d’un concessionnaire foncier ou propriétaire immobilier qui aura abusé ce
crédit dû à son titre pour en déjouer d’autres personnes ayant traité avec lui mais s’étant trouvées dans
l’impossibilité de faire opérer la mutation qui leur était due. Le titulaire d’un certificat
d’enregistrement, qui aura justement commis quelque faute, par exemple quelque réticence, ayant
privé l’acquéreur du bien de la procédure de mutation, devrait se voir sanctionner sévèrement. Quand
même un de ses cocontractants ultérieurs bénéficierait de la foi qu’il aura ajouté au certificat, l’ancien
titulaire de celui-ci, qui aura violé son « obligatio contrahendo » ou celle « de délivrer la chose,
représentée par un certificat d’enregistrement, et de concourir à la mutation qui était due à ses
ayants-cause », devrait voir le tribunal protéger les personnes qui, de bonne foi, ont passé contrat
d’acquisition grâce à la foi due au certificat ; mais en même temps sanctionner cet ancien titulaire
dudit certificat, en ce qu’il aura omis de concourir aux opérations préalables à la mutation, par
exemple de comparaître devant notaire ou conservateur des titres immobiliers pour faire recevoir en
forme notariée le premier contrat qui conférait un droit de créance immobilière.
Il y a quelques jours, des informations radiodiffusées faisaient état de ce qu’un citoyen venait d’être
expulsé, en vertu d’un jugement, d’une habitation dont il était connu comme propriétaire depuis plus
de 20 ans et sur laquelle il invoquait, paraît-il, être fondé d’un certificat d’enregistrement aussi ancien,
mais qui aurait été évincé au moyen d’une vente récemment enregistrée à l’une des Conservations des
Titres immobiliers de Kinshasa. C’est le genre de mésaventure devenue courante, depuis que des
esprits quelque peu clercs ont trouvé le moyen d’abuser des dispositions légales.
Voyons un autre détournement de la loi souvent perdu de vue.
Je relevais, il n’y a guère, que les services du Cadastre et des Affaires foncières, avaient comme
définitivement, écarté l’application des règles posées par la loi pour rationaliser la gestion des terres.
Les articles 185 à 189 : Ainsi, par exemple, les articles 185 à 189, prenant exemple sur la partie saine
de l’ancienne gestion par le Comité National du Kivu, ces dispositions de la loi prévoyaient la mise en
place de ce que j’appelle les Sociétés Mixtes d’Investissements (Equipements) Concertés, que la loi,
en 1973, avait prévu (prescrit) de créer pour que les équipements et développements du territoire
22
La loi 73-021 avait volontairement inclus en son corps deux règles qui dérogent ou paraissent déroger à une étude simpliste
du contentieux administratif : tout le contentieux relatif aux droits fonciers était clairement et fermement attribué aux juges de
l’ordre judiciaire ; de même, le fonctionnaire qui prétend exercer la sanction de reprise d’un terrain en alléguant des
reproches au ‘tenancier’ doit prendre l’initiative de l’action en justice ; enfin, il est clair que la loi a exclu que les
fonctionnaires du Cadastre et des Affaires foncières (Conservation des titres) se réfugient derrière la théorie de l’acte
unilatéral.
10
soient rationalisés. Ces articles privilégiaient la distribution des terres, combinée avec des équipements
du territoire et autre investissements par zones de développement. Au lieu que de telles zones fussent
d’abord morcelées et données à des demandeurs individuels, les autorités compétentes convenaient,
avec des promoteurs immobiliers, des équipements et autres investissements d’ensemble. Les terrains
ainsi ‘planifiés’ seraient alors mis sur le marché et les pouvoirs publics comme les administrés
pourraient acquérir des droits individuels ou de particuliers dans un ensemble formant un tout
harmonieux. C’est une version, un prolongement de l’idée de « planning » et « zoning » dont
l’organisation est centrale dans le développement des villes.
Ces règles rationnelles sont oubliées depuis 1973. Les textes que la loi prescrivait de promulguer à cet
effet n’ont jamais vu le jour. Les autorités compétentes ont abandonné le système juridique congolais à
une de ses lacunes dont tous les investisseurs, nationaux comme étrangers, ont tout lieu de se plaindre.
Les simples fonctionnaires ont des raisons inavouables de se garder de suggérer les textes nécessaires.
Articles 163 et suivants, en faveur des Etablissements publics, des Etablissements (privés) d’utilité
publique et des associations sans but lucratif : même « oubli » des articles 163 et suivants. Le
législateur, en 1973, avait entendu toujours privilégier les voies qui auraient dû forcer les gestionnaires
des terres à accorder suffisamment de terres aux projets sociaux, tels que devraient les assumer les
ASBL et autres Etablissements d’Utilité Publique (ces derniers fussent-ils de droit public ou de droit
privé). C’est pourquoi la loi contient des règles favorables à ces projets et dérogatoires, à bien des
égards, au droit commun de la gestion des terres. Mais les responsables, politiques et administratifs,
ont eu comme un souci d’oublier ces règles de bonne gouvernance.
La loi de 1973 a, manifestement, pêché par un excès de confiance dans les gouvernements qui ont eu à
en assurer l’application, notamment à élaborer, promulguer, publier et faire appliquer effectivement les
mesures d’injonction aux administrations. Et pourtant, on a entendu, dès sa promulgation, des cadres
de gouvernements qui querellaient ce texte d’être excessivement prolixe et de pêcher en ne sacrifiant
pas à la sacro-sainte brièveté des lois.
Mais aussi des causes extérieures ont joué pour permettre à toutes sortes d’acteurs d’opérer contre les
prescriptions de cette loi. Ainsi la rapacité, jusqu’à l’immoralité, non seulement des dirigeants
politiques et des agents publics, mais aussi des particuliers, - les scientifiques accusent ainsi « l’élite
d’affaires ou de diplômes ».
Ce sont, par exemple, de bons intellectuels qui occupent bien de leur temps à conclure leurs recherches
scientifiques dans des formules alambiquées, sur les droits reconnus aux « communautés locales »,
voire à des particuliers villageois pris individuellement, comme droits à eux acquis en vertu de la
coutume. La loi prescrivait en 1973, de convertir ces situations en droits conformes au nouveau
régime foncier et immobilier (Articles 385 et suivants). Elle avait prescrit de délivrer aux personnes
visées par ces règles transitoires des titres conformes à la nouvelle législation, et ce, gratuitement. La
première « agression » contre ces villageois et leurs droits est venu du « parlement » qui, par loi
promulguée le 08 août 1980, a soumis les villageois à des dépenses en taxes administratives et autres
charges que même le colonisateur n’avait jamais voulu leur imposer. L’absence des règlements dont le
législateur avait chargé de pourvoir exécutif est une de ces lacunes intolérables qui font du Congo un
malade toujours agonisant, que la Communauté internationale se fatigue de porter à bras-le-corps.
On est en droit de se demander si les arguties répétées sont valides, lorsqu’elles jettent tout un peuple
dans un régime qui lui dénie le droit d’accéder à la propriété foncière ou, à tout le moins, à un droit
suffisamment stabilisé, qui concourrait alors à tirer nos masses – plus de 75% des habitants de la zone
de non droit.
Les débats vifs sur la décentralisation, depuis le 16 février 2006 : Parmi les causes extérieures
auxquelles une réforme devrait s’attaquer, je crois devoir mentionner brièvement le fait que les
institutions n’arrêtent pas de se chamailler sur la répartition des compétences dans le système
constitutionnel, même dans le cadre de la Constitution du 16 février 2006. La décentralisation, comme
dans la Loi fondamentale du 19 mai 1960 sur les Structures du Congo, a servi à camoufler l’incapacité
11
des rédacteurs des constitutions de choisir entre une forme unitaire et une forme fédérale. Comme sous
l’empire de la loi équivoque de mai 1960, la résistance contre l’autonomie des Provinces et de leurs
subdivisions, bat son plein. Même dans le domaine de la distribution des terres, fût-ce dans le but du
développement économique ou de la justice sociale.
Comment les dirigeants, depuis Kinshasa, peuvent-ils se nourrir de l’illusion de pouvoir, mieux que
les autorités les plus proches de la population et des entreprises, régler les problèmes des distributions
de terres ?
A ceci s’ajoutent, d’ailleurs, des contradictions entre lois qui s’accumulent. A la loi sur les terres,
prises en tant que telles, on a superposé deux autres Codes : l’un, minier ; l’autre, forestier. Tout à
l’heure, quand je suis arrivé de Goma, une intervenante exposait en quoi et à quel point les trois Codes
se contredisent et appellent réconciliation législative. C’est que, chacun tire la couverture de son côté,
au niveau des institutions publiques. Ce spectacle a vraiment de quoi livrer le Pays à toutes sortes de
« Bargaining private Poxers ». Cela est l’image d’un empire divisé contre lui-même.
Quand je vois tout cela, je m’empêche difficilement de penser à la pagaille que les Scientifiques et
autres géopolitiques américains, pronostiquant ce que deviendrait le monde en cas de chute de
l’Empire soviétique. Un monde anarchique, où la pléthore d’Etats, grands, moyens et petits, risque de
livrer l’humanité à une criminalité débridée. N’aurait-on pas raison de dire que le Congo est
précisément la préfiguration de ce monde d’une nébuleuse de poussières incapables de se comporter
en Etats et, par conséquent, proie facile des « Vautours » en tous genres.
Le musicien congolais illustre, qui a chanté il y a quarante ans, son fameux « Makambo ya mabele » et
qui voyait dans les boulimies des latifundiaires une véritable poire d’empoigne, n’avait encore rien vu.
Ah, s’il était encore avec nous, … Franco de mi Amor !
Que ne procédons-nous pas à compilation et analyses de toutes les prophéties qui ont été déversées sur
le Congo ! Au-delà de ce qu’on a eu tendance à disqualifier indistinctement comme du charlatanisme,
il y a eu, peut-être, de véritables prophéties. Peut-être le législateur congolais, devrait-il, oubliant les
querelles stériles, retrouver ses prophètes laïcs et … revoir alors toutes ces lois, dont beaucoup sont
scélérates.

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