Syllabus (automne 2002)

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Syllabus (automne 2002)
Méthodologie du travail intellectuel
Département de philosophie de l’UQAM
La problématisation d’un sujet de recherche
1. Problématisation et problématique, en tant que caractères de textes
autonomes
Nous posons que le prototype des textes autonomes est le texte de recherche, par
exemple la dissertation-recherche. Faire de la recherche, que ce soit en sciences pures
ou en sciences humaines, que ce soit en science ou en philosophie, c'est appliquer la
réflexion à des problèmes, en vue de les résoudre. Une personne entreprend une
recherche après s’être rendu compte de son ignorance à propos de quelque chose qu’elle
voudrait pourtant savoir ou connaître. On veut savoir, pourquoi certaines choses se
produisent ou pourquoi elles sont comme elles sont; on fait alors des recherches, dans
l’espoir d’arriver par ce moyen à des théories, des explications, des modèles, des
systèmes, etc., qui constituent des réponses ou du moins des éléments de réponse — ce
qui est le plus souvent le cas.
Problématisation: Processus cognitif ou intellectuel par lequel on construit
une problématique.
Problématique: Au sens technique du terme, une problématique est une
organisation systématique et hiérarchique, sous un problème principal qui
les englobe et unifie, des multiples sous-problèmes qu’un auteur entend
traiter, en vue de les résoudre, dans son rapport de recherche.
En un sens dérivé, une “problématique” est un texte rédigé dans lequel le chercheur
décrit, pour le bénéfice de quelqu’un d’autre, sa problématique, entendue comme
l’ensemble organisé des problèmes qu’il entend traiter.
La définition précédente de la notion de problématique montre bien que l’organisation
des problèmes en un tout systématique et consistant est l’effet d’une construction
consciente et il faut toujours s’attendre à ce qu’elle exige un effort soutenu de la part du
chercheur — sans pour autant exclure totalement les exceptions: le coup de chance,
l’illumination subite, ou l’intuition pénétrante résultant d’une connaissance déjà
approfondie de la question à l’étude.
2.1 Les deux catégories de problèmes: problèmes-quel et problèmes-si
D'un point de vue épistémologique, il y a deux grandes classes de problèmes: (1) ceux
où l'on veut connaître la valeur d'une variable, d’une inconnue et (2) ceux où l'on veut
savoir si un objet possède une propriété donnée. En raison du type particulier de
question associé à chaque classe de problèmes, nous nommerons la première
"problèmes-quels" et la seconde "problèmes-si" (qu'on pourrait aussi nommer
"problèmes-est-ce-que").
1) Problèmes-quel
Chaque objet (objet entendu dans un sens large comprenant: objet concret ou abstrait,
événement, état de choses, etc.) possède plusieurs propriétés. Toutes ces propriétés
peuvent être considérées, du point de vue logique, comme des valeurs possibles d’une
variable. Un problème-quel s'interroge sur la valeur d'une variable qui représente une
propriété d'un objet donné.
Linguistiquement, les problèmes-quel ont plusieurs formes; une des plus fréquentes
est la forme suivante:
QUEL EST LE X (objet demandé, valeur de la variable x) DE Y (objet interrogé,
possédant la propriété variable)? Par exemple:
- Quelle est la cause (objet demandé) du décrochage chez les jeunes (objet
interrogé)?
Lorsque la forme d'un problème-quel a été normalisée ("Quel est le x de y?"), il est aisé
d'identifier l'objet demandé (c'est le premier terme, x) et l'objet interrogé (c'est le
second terme, y).
2) Problèmes-si
Chaque objet possède, nous l'avons dit, un ensemble de propriétés. Certaines sont
connues, d'autres non. Un problème-si s'interroge à savoir si un objet possède une
propriété donnée.
Linguistiquement, les problèmes-si ont la forme suivante:
[JE VEUX SAVOIR] SI Y (objet interrogé, duquel on veut savoir s'il possède la
propriété) EST X (objet demandé, la possession de la propriété en question). Par
exemple,
- [Je veux savoir] si le décrochage chez les jeunes (objet interrogé) est lié aux
pressions financières particulières qu'ils rencontrent (objet demandé).
Lorsque la forme d'un problème-si a été normalisée (si le y est x?), il est aisé d'identifier
l'objet demandé (c'est le second terme, “est x”) et l'objet interrogé (c'est le premier
terme, y). Attention: l'ordre d'apparition des termes est inversé par rapport à l'ordre
d'apparition des termes dans un problème-quel.
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2.2 L’organisation des problèmes en une structure
2.2.1 Le problème principal
Parmi l'ensemble des problèmes examinés par une recherche, il y en a un (ou quelquesuns) qui possède un statut épistémologique particulier: c'est celui pour lequel la
recherche est entreprise en premier lieu; celui dont la solution est l'objectif de la
recherche. Nommons ce problème le "problème principal".
Problème principal : Problème motivant un programme de recherche. C'est
le point focal d'une problématique: tous les autres problèmes y sont associés
plus ou moins directement. Et puisque toute dissertation est motivée par un
problème, le problème principal est aussi le point focal de la dissertation: ce
à quoi tous les procédés discursifs, thèmes et thèses de la dissertation sont
en dernière analyse subordonnées.
D'un point de vue sémantique, le problème principal, comme tout problème, est
constitué de deux composantes:
1. l'objet de recherche (du problème), ou l'objet interrogé: le thème sur lequel
porte la recherche.
2. l'interrogation (posée par le problème), ou l'objet demandé: ce qui doit être
déterminé à propos de l'objet pour que le problème soit résolu.
Ainsi, un problème peut être représenté comme un couple ordonné <objet interrogé,
objet demandé>, par exemple:
<la pauvreté chez les jeunes, pourquoi (les causes?)>
Il est utile de représenter un problème par un couple ordonné parce que (1) l'objet
interrogé et l'objet demandé y sont bien distingués et (2) parce qu'on s’élève ainsi au
niveau du contenu logique et qu’on dépasse les considérations purement linguistiques
liées à la formulation du problème, au style de l'auteur, etc.
2.2.2 Les problèmes associés
Sous-problèmes : Les sous-problèmes sont les problèmes associés créés en
subdivisant thématiquement l'objet interrogé ou en modifiant l'objet
demandé, ou encore en appliquant simultanément les deux opérations.
Pour créer ce type de problème associé, il faut subdiviser l'objet interrogé ou l'objet
demandé du problème principal ou d'un problème associé par l'une ou l'autres des
méthodes de subdivision thématique. Par exemple,
Subdivision de l'objet interrogé
Supposons le problème principal: <la pauvreté chez les jeunes, pourquoi (les causes)>.
On pourra le subdiviser
(1) par découpage temporel
 <la pauvreté chez les jeunes avant les compressions budgétaires, pourquoi (les
causes)>,
 <la pauvreté chez les jeunes après les compressions budgétaires, pourquoi (les
causes)>,
(2) par découpage spatial
 <la pauvreté chez les jeunes Montréalais, pourquoi (les causes)>,
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
<la pauvreté chez les jeunes Gaspésiens, pourquoi (les causes)>,
(3) par variation des points de vue
 <la pauvreté chez les jeunes du point de vue du législateur, pourquoi (les causes)
>,
 <la pauvreté chez les jeunes du point de vue des organismes d'aide aux jeunes,
pourquoi (les causes)>,
(4) par variation de l'aspect
 <l'aspect déshumanisant de la pauvreté chez les jeunes, pourquoi (les causes)>,
 <l'aspect pathogène de la pauvreté chez les jeunes, pourquoi (les causes)>,
Subdivision de l'objet demandé
Supposons le problème principal: <la pauvreté chez les jeunes, pourquoi (les causes)>
On pourra le subdiviser
(1) par découpage temporel
 <la pauvreté chez les jeunes, pourquoi avant aujourd'hui (les causes avant
aujourd'hui)>,
 <la pauvreté chez les jeunes, pourquoi maintenant (les causes actuelles)>,
(2) par découpage spatial
 <la pauvreté chez les jeunes, pourquoi aux É.U.(les causes aux É.U.)>,
 <la pauvreté chez les jeunes, pourquoi au Canada (les causes au Canada)>,
(3) par variation des points de vue
 <la pauvreté chez les jeunes, pourquoi selon Freud (les causes selon Freud)>,
 <la pauvreté chez les jeunes, pourquoi selon Skinner (les causes selon Skinner)
>,
(4) par variation de l'aspect
 <la pauvreté chez les jeunes, pourquoi (les causes)>,
 <la pauvreté chez les jeunes, quelles conséquences (les effets)>,
Métaproblèmes: Les métaproblèmes forment une classe spéciale de
problèmes associés; ils sont caractérisés par le fait qu'ils prennent le
problème principal comme objet d'analyse (objet interrogé).
La formulation de métaproblèmes exige une réflexion sur le problème principal ou sur
ses sous-problèmes.
Ainsi, si le problème principal d'une recherche donnée est: <la pauvreté chez les jeunes,
pourquoi (les causes)>, les métaproblèmes associés pourront être:
 <<la pauvreté chez les jeunes, pourquoi (les causes)>, comment répondre>
 <<la pauvreté chez les jeunes, pourquoi (les causes)>, problème important?>
C'est-à-dire, en bon français:
 Comment répondre à la question "Quelle est la cause de la pauvreté chez les
jeunes?"?
 Le problème lié à la question "Quelle est la cause de la pauvreté chez les jeunes?"
est-il important?
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Si le problème dont il est question est "-----------------?", il est toujours possible de
transformer la question exprimant un métaproblème eu égard à ce problème en l'une ou
bien l'autre des formes suivantes:
(1) Quel est le x (objet demandé) de "-----------------?" (objet interrogé),
(2) [Je veux savoir] si "-----------------?" (objet interrogé) est x (objet
demandé).
Si l'objet interrogé du métaproblème est le problème principal lui-même, la demande
portera, par exemple,
 sur les termes (dans lesquels le problème principal est formulé);

sur la valeur (du problèmes principal);

sur la genèse (du problème principal);

sur la méthodologie (nécessaire pour solutionner le problème principal);

sur les procédés d'observation ou de cueillette;

sur le traitement des données;

sur les procédés d'exposition des résultats de la recherche;

etc.
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