La nouvelle loi sur l`usure dans l`UMOA
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La nouvelle loi sur l`usure dans l`UMOA
La n ouvelle loi sur l'usure dan s l'UMOA Article publié pour la première fois en 1998 aux Cahiers Juridiques et Fiscaux de l’Exportation (CJFE) n° 5/98 p. 1161 L A NOUVELL E LO I SUR L 'USURE DANS L'UMOA ................................................ 1 I : PRESENTATION GENERALE ET ENJEUX.......................................................... 1 II : LA PORTEE DU PROJET DE LOI ET DU DECRET D'APPLICATION................ 2 1. Le champ d'application de la loi sur l'usure :.................................................................................................. 2 2. La sanction civile de la pratique de taux usuraires : le remboursement des intérêts trop perçus / le recours au taux d'intérêt légal .............................................................................................................................................. 4 3. La difficulté d'application aux usuriers et au secteur informel ....................................................................... 4 III - LE CALCUL DU TAUX EFFECTIF GLOBAL (TEG)............................................ 4 1. Description ..................................................................................................................................................... 4 2. L'absence de prise en compte de l'épargne préalable dans le calcul du TEG. ................................................ 5 L'Union Monétaire d'Afrique de l'Ouest (UMOA) 1 a élaboré, dans le courant de l'année 1997, un projet de loi portant réglementation de l'usure et des taux d'intérêts. Ce projet, élaboré par la Banque Centrale des Etats d'Afrique de l'Ouest (BCEAO), a été ensuite adopté par le Conseil des Ministres de l'UMOA. Transposé en droit interne par les différents pays membres, il constituerait alors une évolution profonde par rapport aux anciennes prescriptions concernant la pratique des taux d'intérêts. Il a à ce jour été adopté, au moins partiellement, par trois pays : le Burkina Faso, le Niger et le Sénégal. I : Présentation générale et enjeux L'innovation majeure consiste, d'une part en une libéralisation de la fixation du 1 comprenant les pays suivants : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, le Mali, le Niger, le Sénégal, le Togo, et depuis 1997 la Guinée Bissau. montant des taux d'intérêts pratiqués (le taux effectif global), et d'autre part en une fixation du taux de l'usure sans référence à un taux pratiqué sur le marché. En effet la précédente réforme, intervenue en 1993, supprimait le système d'encadrement strict du crédit consenti par les banques (comportant un minimum et un maximum fonctions du taux d'escompte la BCEAO). Depuis, le taux de l'usure était fixé au double du taux d'escompte de la BCEAO. Par application de l'article 2 du projet de loi, "le taux effectif global est librement débattu entre l'emprunteur et le prêteur sous réserve de respecter le plafond fixé à l'article premier (le taux de l'usure) ; il doit être fixé par écrit". Ce taux plafond est "un taux effectif global excédant à la date de sa stipulation, le taux de l'usure". Le projet de loi réprime les contrevenants de sanctions pénales pouvant aller jusqu'à cinq ans d'emprisonnement, et 15.000.000 de francs CFA (150.000 francs français) d'amende. Il convient de noter toutefois que le texte de la BCEAO pouvant subir quelques modifications lors de sa transposition, certains pays peuvent décider 1 de sanctions pénales moins sévères : ainsi le Burkina Faso n'a-t-il prévu que six mois d'emprisonnement et 150.000 francs CFA d'amende. Le taux de l'usure est déterminé de façon uniforme par le Conseil des Ministres de l'UEMOA, qui l'a fixé le 3 juillet 1997 à 18% pour les banques et à 27 % pour tous les autres acteurs de la vie économique (dont les établissements financiers, les coopératives d'épargnecrédit, les particuliers...). Il est fixé pour une durée indéterminée et est modifiable par décision du même organe. Il peut toutefois faire l'objet de dérogations par le biais de perceptions forfaitaires que pourrait percevoir le prêteur pour certaines catégories d'opération comportant des frais fixes élevés (on pense en particulier à l'octroi de petits crédits aux populations des zones rurales peu peuplées). Le Conseil des Ministres de l'UEMOA n'a cependant pas, à notre connaissance, mis en oeuvre cette disposition. II : La portée du projet de loi et du décret d'application 1. Le champ d'application de la loi sur l'usure : 1.1 Définition des opérations soumises à la loi : Le projet de loi sur l'usure couvre "tout prêt ou toute convention dissimulant un prêt d'argent consenti, en toute matière, à un taux effectif global excédant à la date de sa stipulation, le taux de l'usure" Le législateur a donc entendu donner à cette loi la plus large portée possible, ne se contentant pas de régir les prêts à intérêt. En particulier, les articles 5 et 6 de la loi précisent explicitement que les ventes à tempérament sont soumises à la loi, et qu'"en cas de prêt sur des denrées ou autres choses mobilières et dans les opérations de vente ou de troc à crédit, la valeur des choses remises ou le prix payé par le débiteur, en principal et accessoire, ne pourra excéder la valeur des choses reçues d'un montant supérieur à celui correspondant au taux d'intérêt maximum fixé à l'article 1er". Il convient d’envisager quelles opérations peuvent rentrer dans ces dispositions. 1.1.1. Les mécanismes de prêt de biens meubles, assortis d'une promesse de vente, transférant dans un premier temps à un acheteur potentiel le seul usage du bien mais pas sa propriété, tombent sous le coup de l'article 6 du projet de loi. En effet, dans les cas de crédit-bail, leasing ou locationvente les sommes perçues par le "loueurvendeur" peuvent être assimilées à des loyers, l'opération se rattachant donc à un prêt mobilier. Ainsi, dans le cas du crédit-bail, que la levée de l'option d'achat s'effectue ou non, les versements du crédit-preneur ne pourront excéder la valeur du bien majorée d'intérêts au taux maximum de l'usure. Sur la base du taux actuel, pour un bien d'une valeur de 100, loué pour une durée d'un an, la somme capitalisée des versements du débiteur ne saurait excéder 127. 1.1.2. La vente à tempérament n'est qu'une variété de vente à crédit dont le prix est payable par fractions. Sa soumission à la loi par l'article 5 n'ajoute donc rien aux prescriptions de l'article 6. 1.1.3. L'opération de troc à crédit n'est pas définie par la législation. Toutefois la doctrine (Cornu, Vocabulaire Juridique) assimile le troc à l'échange, lequel est un contrat synallagmatique à titre onéreux défini par le Code civil français dont les dispositions sont reprises par la plupart des pays de l’UMOA. 2 Le contrat d'échange fait application de la plupart des règles du contrat de vente, à l'exception notamment du paiement d'un prix (encore qu'en cas de différence entre les choses échangées, il soit possible d'adjoindre à l'échange le paiement d'une soulte, ce qui rapproche alors l'échange de la vente). La vente à crédit étant visée par la loi sur l'usure, il est donc logique que le troc à crédit le soit aussi, lorsque l'intention des parties est clairement d'effectuer un échange à titre onéreux. Toutefois, certains échanges cachent une intention libérale, qui rend inadéquate l'application de la loi. Dans une telle hypothèse, au demeurant difficile à déterminer en pratique, il nous semble plus pertinent d'appliquer exclusivement la législation sur les donations. 1.1.4. La soumission à la loi sur l'usure des opérations de prêt de choses mobilières et des opérations de vente et de troc à crédit, sans autres précisions, laisse penser que certaines opérations boursières (prêt et pensions de titres, opérations de portage, swaps,...) seraient aussi concernées par la réglementation. 1.1.5. Il convient enfin de s'interroger quant au silence de la loi à propos des prêts immobiliers (terrains, bâtiments), alors que les prêts mobiliers sont prévus expressément à l'article 6. En l'absence de précision de celle-ci, il semble en effet difficile de considérer que les prêts immobiliers - mais aussi le crédit-bail immobilier - constituent une opération dissimulant une somme d'argent. Toutefois la raison d'un régime de faveur (ou de défaveur des opérations de location/vente mobilières, d'autres législations (notamment la France) l'excluant du champ d'application de la loi sur l'usure), ne nous paraît pas évidente. 1.2 L'aléa et la stipulation d'intérêts conventionnels : Un des moyens les plus justifiés de ne pas se placer sous le coup de la loi sur l'usure est vraisemblablement de réaliser une opération comportant un aléa quant à la rémunération du créancier. En effet, le risque rendant incertaine la rémunération du créancier fait que l'opération ne comporte pas de stipulation d'intérêts conventionnels, mais une rémunération liée à la réussite d'une opération économique. Le créancier se comporte alors plus comme un investisseur supportant des risques inhérents à un associé que comme un rentier. 1.2.1. Il semble donc possible d'exclure les prêts aléatoires, en ce que les parties ont entendu fixer la rémunération, voire le remboursement même du prêt, par rapport à un élément réellement incertain (par exemple, le montant des bénéfices réalisés grâce au prêt). 1.2.2. De même, on peut se demander si les opérations d'achat/vente d'une chose future (par exemple la vente d'une récolte sur pied) peuvent entrer dans le champ d'application de la loi sur l'usure, à partir du moment où l'acheteur (qui paie immédiatement, donc fait crédit) accepte de supporter le risque lié à l'activité (en l'espèce la destruction totale ou partielle de la récolte sur pied). 1.2.3. La loi bancaire de l'UMOA inclut l'acquisition de créances dans les opérations de crédit. L'affacturage serait donc soumis à la loi sur l'usure, en ce qu'il constitue une opération de prêt triangulaire. Toutefois le transfert du risque lié au recouvrement de la créance peut rendre aléatoire la rémunération du facteur, ce qui exclurait l'opération de la loi. Le caractère réellement risqué, ou non, de la créance, n'est cependant pas toujours évident à déterminer. 3 1.2.4. La notion de risque et d'aléa peut enfin être intéressante pour les opérations boursières mentionnées au 1.1.4. C'est peut-être par ce biais que de telles opérations pourraient échapper à la loi sur l'usure. 2. La sanction civile de la pratique de taux usuraires : le remboursement des intérêts trop perçus / le recours au taux d'intérêt légal Le projet de loi prévoit que le prêt effectué à un taux usuraire n'est pas nul. En revanche, les perceptions excessives sont imputées de plein droit sur les intérêts à payer par l'emprunteur, à défaut sur le capital restant à rembourser. Dans l'hypothèse d'une créance éteinte, les sommes indûment perçues doivent être remboursées avec intérêts au taux légal du jour où elles auront été payées. Le taux d'intérêt légal est égal à la moyenne pondérée du taux d'escompte pratiqué par la BCEAO au cours de l'année civile précédente. Le recours à ce taux peut survenir dans trois hypothèses : - en cas de condamnation au paiement d'intérêts au taux de l'intérêt légal (article 13 du projet de loi). Dans cette hypothèse, le taux est majoré de moitié deux mois après le jour où la condamnation en justice est devenue exécutoire. La condamnation étant une pénalité, cette disposition doit toutefois être interprétée strictement. Ainsi les jugements n'ayant pas cette caractéristique (par exemple en cas de liquidation judiciaire) ne devraient pas permettre l'application de cette disposition. - de plein droit, en cas de remboursement d'intérêts usuraires. - en tant que supplétif de la volonté des parties, y recourir semble possible lorsque celles-ci ont convenu d'un prêt à intérêt, mais que la stipulation du taux est nulle (par exemple pour n'avoir pas été fixé par écrit), ou lorsqu'un prêt sans intérêt n'est pas remboursé à échéance, après mise en demeure de payer, ou enfin pour le solde débiteur d'un compte courant après sa clôture. 3. La difficulté d'application aux usuriers et au secteur informel Il convient enfin de s'interroger sur le respect de cette législation par les différents acteurs économiques ; si le secteur financier formel (banques, établissements financiers, ...) ne peut que s'y conformer, en revanche il est douteux que "tous les agents économiques" respectent ces dispositions : un banquier ambulant du Togo ou du Bénin, qui pratique le plus souvent un taux supérieur à 27%, pourra assez facilement contourner la réglementation en inscrivant un montant de prêt supérieur à la somme effectivement versée... à supposer que les autorités en charge de l'application de la loi puissent réellement contrôler ladite application. III - Le calcul du taux effectif global (TEG) C'est peut-être dans le calcul du TEG que réside la plus grande faille de la nouvelle réglementation. 1. Description 4 Le TEG est le taux conventionnel de l'opération, calculé sur une base annuelle. Il tient compte de l'amortissement de la créance, auquel s'ajoutent les frais et rémunérations de toute nature, y compris ceux payés à des intermédiaires intervenus de quelque manière que ce soit dans l'octroi du prêt. Il est proportionnel au taux de période du prêt et à terme échu, lequel taux de période est déterminé sur une base actuarielle. Ce taux de période est calculé en équilibrant, selon la méthode des intérêts composés, d'une part les sommes prêtées et d'autre part l'ensemble des remboursements et sommes dues par l'emprunteur. Il exclut toutefois les impôts et taxes payés, ainsi que les pénalités payables par l'emprunteur en cas de non respect d'une de ses obligations contractuelle, les frais de transfert de fonds ainsi que les frais relatifs au maintien éventuel d'un compte permettant la gestion du prêt. Par exemple, dans l'hypothèse d'un prêt d'un an, remboursable à terme, d'un montant de 200 et d'un TEG de 24%, avec une épargne préalable bloquée de 100, rémunérée à 12%, le taux réellement pratiqué par l'institution sera de 36%, correspondant à un prêt effectif de 100, produisant 48 d'intérêts, desquels il faut déduire 12 de rémunération pour la phase d'épargne bloquée... La jurisprudence pourrait toutefois limiter les abus en la matière, comme par exemple la constitution d'une épargne préalable fictive, réalisée le jour même dans le seul but de bénéficier de la disposition de l'article 7. A titre indicatif, la jurisprudence française considère en effet que lorsqu'une somme (frais, commission, ...) est retenue par le prêteur le jour même du prêt, seule la différence est prise en considération pour le calcul du TEG. Les tribunaux des pays membres de l'UMOA pourraient ainsi réintégrer ladite "épargne préalable" fictive dans le calcul du TEG. ******************************* 2. L'absence de prise en compte de l'épargne préalable dans le calcul du TEG. L'article 7 du modèle de Décret-cadre adopté par la BCEAO, relatif au calcul du taux effectif global exclut, dans le cas d'un prêt subordonné à la constitution d'une épargne préalable, la phase d'épargne dans le calcul du TEG. Cette disposition ouvre une brèche importante dans la limitation des taux d'intérêts : en effet, les institutions pouvant effectuer des opérations d'épargne-crédit pourront rehausser sensiblement leur rémunération en imposant à leur client une épargne préalable bloquée dans l'institution, et pas ou faiblement rémunérée. La réforme effectuée par l'UMOA a le mérite de ne plus faire de l'usure un multiple du taux d'escompte de la BCEAO, ce qui avait des conséquences fâcheuses sur la marge d'intérêt dont disposaient les prêteurs en cas de baisse de celui-ci. Il n'en demeure pas moins que la fixation "administrative", telle qu'elle est actuellement prévue, ne garantira pas à elle seule que le taux de l'usure soit toujours adapté aux réalités du marché, c'est-à-dire tienne compte des taux réellement pratiqués par la majorité des intervenants. Laurent Lhériau 5