Le salaire des chauffeurs est-il suffisant?

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Le salaire des chauffeurs est-il suffisant?
Salaires
Le salaire des chauffeurs est-il suffisant?
De longues journées et un salaire insuffisant: qui est intéressé? A vrai dire, pas
grand monde. Mais certains n’ont pas le
choix: nous parlons des chauffeurs professionnels en Suisse...
A
ujourd’hui, en Suisse, les chauffeurs
travaillent entre 46 et 48 heures par
semaine. Au vu des longues journées qu’ils
effectuent, des risques qu’ils doivent prendre
sur la route, des contrôles policiers qu’ils
subissent en permanence et des responsabilités importantes qu’on leur confie, on pourrait
au moins s’attendre à ce qu’ils soient rémunérés correctement. Ce n’est malheureusement
pas le cas. En moyenne, le salaire d’un chauffeur est compris entre 5300 et 5500 francs.
Dans de nombreuses entreprises, on trouve
des chauffeurs expérimentés qui sont dans
la maison depuis longtemps, qui font leur travail de manière irréprochable et qui touchent
un salaire compris entre 6000 et 7000 francs.
Mais on sait également que certains chauffeurs sont sous-payés. Tant que le chauffeur vit
seul, qu’il n’a pas d’enfants à charge, la situation est vivable, même si tout achat extraordinaire ou un tant soit peu luxueux est à bannir.
Certains salaires atteignent à peine les 4000
francs, et d’autres sont même encore plus
bas! Voilà qui ne donne pas vraiment envie de
choisir le job de chauffeur. Pourtant, presque
10 % des chauffeurs doivent se contenter d’un
tel salaire, comme le confirme une étude de
l’Université de Genève.
Mais pourquoi les salaires des chauffeurs sont-ils si bas? Au cours des dernières
années, la guerre des prix a été déclenchée
suite à l’apparition d’une multitude d’entreprises spécialisées. Chacune d’entre elles veut
la place de leader, en proposant les offres
les plus avantageuses à ses clients. Et qui fait
les frais de cette politique? Le chauffeur bien
sûr! Le client bénéficie de prestations aux prix
les plus bas et le transporteur se rattrape sur
les salaires des chauffeurs. Autre raison qui
explique les bas salaires pratiqués dans la
profession, l’arrivée des chauffeurs venant de
l’étranger. Lorsqu’un chauffeur suisse commence à coûter trop cher, on finit tôt ou tard
par le remplacer par un chauffeur issu de la
Communauté européenne, qui acceptera le
même travail à un tarif inférieur. Car, pour un
chauffeur venant de l’étranger, un job payé
moins de 4000 francs est une aubaine. Une
petite partie de ce salaire sera dépensée en
Suisse, alors que tout le reste partira dans son
pays d’origine, où les produits de consommation de la vie courante sont bien meilleur marché. Malheureusement pour lui, un chauffeur
suisse ne peut pas utiliser son salaire de la
même manière. S’il ne veille pas à acheter
le strict minimum, il se retrouvera les poches
vides avant la fin du mois. Pas très folichon.
Et, pendant ce temps, certains employeurs se
plaignent: «Nous ne trouvons personne pour
assurer la relève.» Avec le temps, travailler
autant pour gagner si peu d’argent devient
frustrant. Le travail de chauffeur ne paie plus.
Un chauffeur qui a effectué un apprentissage
de trois ans gagne sensiblement moins qu’un
employé travaillant dans d’autres branches
après avoir lui aussi suivi une formation de
trois ans. A titre de comparaison, vous trouverez ci-après les salaires pratiqués dans
l’industrie des transports et dans d’autres
branches de l’économie. Le profil de ce chauffeur, qui concerne la région lémanique (les
chiffres correspondant à d’autres régions
Comparaison des branches
Branche Salaire (brut) femmes Salaire (brut) hommes
Transport (chauffeur)
4712.–
5323.–
Tiravaux publics
5923.–
6827.–
Fabrication des boissons
5028.–
5959.–
Fabrication de vêtements
4682.–
5549.–
Paysagisme5517.–
6112.–
Services de sécurité
5626.–
6233.–
Imprimerie5023.– 5964.–
Mécanique automobile
4710.–
5322.–
Construction/chantiers5389.–
6211.–
Branche automobile/production
5014.–
5943.–
Denrées alimentaires
4794.–
5681.–
Fabrication de meubles
4824.–
5717.–
Métallurgie4897.– 5803.–
(La part correspondant au 13e salaire figure déjà dans les montants indiqués ci-dessus.
Le salaire effectif net est donc inférieur à ces chiffres).
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peuvent être consultés sur le site de l’OFS)
concerne un employé âgé de 30 ans effectuant des tâches qualifiées de manière indépendante, travaillant 48 heures par semaine,
engagé depuis deux ans auprès d’une entreprise occupant entre 20 et 49 employés et
touchant un 13e salaire. Afin que la comparaison soit aisée, tous ces salaires sont des
salaires bruts. Et il s’agit de salaires «moyens»,
ce qui signifie que l’ensemble des salaires
de la branche se divise en deux groupes
d’importance égale: ceux qui sont inférieurs
à cette moyenne et ceux qui sont supérieurs.
Ce tableau permet également de comparer
les salaires des hommes et des femmes (voir
tableau). La plupart des professions sensiblement moins pénibles, bénéficiant d’horaires
de travail réguliers, sont mieux rémunérées
que l’activité de chauffeur. Il est donc absolument nécessaire de fixer des salaires minimaux, que ce soit par le biais d’une convention collective de travail ou de la législation. Un
salaire minimal compris entre 5000 et 6000
francs serait envisageable. Il ne s’agit pas
là d’une exigence irréaliste, mais plutôt d’un
salaire moyen correct. Mais pourquoi l’activité
de chauffeur est-elle si mal payée? Il n’y a pas
vraiment de raison expliquant cette situation.
Pourtant, le chauffeur fait un apprentissage,
tout comme les employés travaillant dans
d’autres branches de l’industrie.
Nombreux sont les employeurs qui mettent
le manque d’attractivité du métier de chauffeur sur le compte de la mauvaise image qui
colle à la peau de la profession. Mais aucun
d’entre eux ne dit d’où vient cette mauvaise
image, ou à quoi elle tient. Il ne vient à l’idée
d’aucun d’entre eux que les mauvais salaires
payés dans la branche ne font rien pour améliorer cette image. Il est vrai qu’il n’est pas
facile d’avouer que l’on préfère engager un
chauffeur de la Communauté européenne
pour lui donner 1000 francs de moins par
mois: ce n’est pas l’image du chauffeur qui est
mauvaise, mais bien celle de la profession!
Dans ces conditions, il ne sert à rien de
changer la dénomination de la profession
pour transformer les chauffeurs en «spécialistes des transports routiers». Ce n’est pas ce
qui va aider le chauffeur à payer ses factures
à la fin du mois! Les employeurs et leurs associations dénoncent les mauvaises conditions
de travail, mais ne font rien pour les améliorer. On essaie même de lorgner sur les
chauffeurs étrangers pour parer au manque
de chauffeurs suisses, comme si cette situation ne faisait pas déjà partie de notre réalité.
On est apparemment allergique à l’idée de
mettre sur pied une CCT, tout en faisant semblant de plaindre nos chauffeurs. (EM)
CAMION 10 / 2013
18.09.13 10:08