Insider - Caroline MOTHE

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Insider - Caroline MOTHE
Insider : un projet d’innovation de rupture
Cas réalisé par Catherine et Dominique Puthod
Contexte et objectifs du cas
Dramæra est une petite société de pointe dans le secteur du multimédia. Connaissant des
difficultés financières (comme nombre de ses concurrents d’ailleurs), elle est à la recherche
d’un repreneur qui pourrait investir des fonds et lui redonner l’oxygène nécessaire à la
poursuite de son activité. Elle trouve en la personne de François Salomon, fils d’un industriel
français renommé, un acheteur potentiel. Ce passionné de cinéma d’animation a en effet déjà
investi dans plusieurs entreprises du secteur, notamment dans une société de distribution de
films d’animation et dans l’Internet. François Salomon n’est néanmoins pas un philanthrope.
Comme tout investisseur, il souhaite être rassuré sur la pertinence de cette opportunité
d’achat.
Il fait alors appel à vous en tant que conseiller. A ce titre, il vous charge d’étudier les
différentes options de développement possibles de la société.
Travail suggéré
Afin d’appuyer le nouveau Business Plan sur des bases solides, vous envisagez d’effectuer un
examen critique du développement passé de l’entreprise. Pour ce faire vous tenterez de
comprendre la logique qui a animé le dirigeant et vous analyserez la stratégie d’innovation qui
a été mise en œuvre. Puis vous étudierez le secteur du jeu vidéo afin de définir si Dramæra
doit se maintenir ou se retirer de cette activité. A partir de là, vous pourrez proposer une
stratégie pour Dramæra. Le travail demandé comporte donc les étapes suivantes :
1
1/ Un examen de la logique entrepreneuriale
-
Analyse du profil du dirigeant.
-
Etude de l’évolution des objectifs poursuivis.
2/ Une analyse de la stratégie d’innovation
-
Quelles sont les conditions de réussite du projet « Insider » ?
-
Quelles influences ce projet a-t-il sur les ressources et compétences de l’entreprise, sur
son système d’offre ?
-
Quelles sont finalement les raisons essentielles de l’échec ?
3/ Une étude du secteur du jeu vidéo
-
Examen de la conjoncture du jeu vidéo fin 2001 - début 2002.
-
Analyse des relations de pouvoir au sein de la filière et identification des facteurs clés de
succès.
-
Position concurrentielle d’un studio de développement indépendant comme Dramæra.
4/ Une stratégie pour Dramæra
Celle-ci devra répondre à un certain nombre de questions : Faut-il revenir aux activités
d’origine ? Quel positionnement central ? Comment valoriser les actifs (Insider) et notamment
la technologie AVA ?
Pour répondre à ces interrogations, vous étudierez la capacité stratégique de l’entreprise,
c’est-à-dire sa capacité à proposer des produits et services que les clients valorisent ou
pourraient valoriser dans l’avenir.
Pour vous permettre de répondre à ces questions, vous avez à votre disposition différents
documents : l’énoncé et les annexes.
L’énoncé qui suit retrace l’évolution de la société Dramæra à travers le parcours de son
dirigeant. Il est construit à partir d’interviews de ce dernier1 et présente une version
chronologique des événements.
Les annexes reprennent l’histoire financière et la situation économique de l’entreprise, une
présentation de ses principales réalisations, ainsi que des informations sur le marché des jeux
vidéos.
1
Les parties en italique correspondent à des citations du dirigeant.
2
I – L’histoire personnelle du dirigeant : Jean-Noël Portugal
Jean-Noël Portugal (JNP) est un homme d’une quarantaine d’année qui n’a pas un profil de
dirigeant classique.
1.1/ Un littéraire mal orienté
Ce dirigeant hors-normes se définit lui même comme étant « un littéraire mal orienté ». Après
une préparation au concours d’entrée HEC dans un lycée d’une petite ville de Rhône-Alpes,
JNP est admis à l’ESCP (Ecole Supérieure de Commerce de Paris) et à l’EM Lyon (Ecole de
Management de Lyon) en 1980. Mais cette formation aux affaires ne correspond pas
véritablement à un choix, puisqu’il s’avère qu’il est avant tout attiré par la littérature. Ce n’est
donc pas la hiérarchie supposée des écoles de commerce qui va lui permettre de trancher entre
les deux grandes écoles. Des critères moins conventionnels lui feront privilégier l’EM Lyon.
Pour JNP, ce qui compte ce ne sont pas les techniques de gestion ou les savoir-faire appris sur
les bancs de l’école (il rejette les modèles), ce sont avant tout les utopies : « le bonheur, tout
de suite2 » et « la relation à autrui ». Ses orientations à la sortie de l’école seront donc
influencées par cette « philosophie » et par son attirance profonde pour la littérature : « il n’y
a rien au-dessus d’Albert Camus ». Dès lors, à une époque (les années 80) où de nouveaux
champs sont en train de s’ouvrir (ex : essor des radios libres), deux secteurs professionnels
vont être privilégiés par JNP pour le début de sa carrière : le livre et le cinéma. Pour préparer
son entrée dans le mode professionnel, JNP décide donc d’envoyer à tous les éditeurs français
une lettre de candidature spontanée.
1.2/ Une attirance pour les médias
La revue « Autrement » sera la première à lui donner une réponse positive. En janvier 1984,
JNP rejoint donc cette petite maison d’édition parisienne de littérature alternative.
Immédiatement, il sera fasciné par la personnalité du directeur, Henry Dougier. Mais la
fonction qui lui est confiée, vendre de la publicité, ne correspond pas du tout à ses attentes.
« Pour vendre, il faut parler, séduire, demander. A l’époque, je voyais ça comme une activité
un peu obscène, humiliante… ». JNP décide alors de rechercher un autre poste, plus en
2
Les expressions en italique sont extraites des interviews réalisés avec le dirigeant.
3
cohérence avec son profil. En 1985, il rejoint ainsi l’agence Octet, créée à l’initiative de Jack
Lang, afin de palier une certaine frilosité du Centre National de la Cinématographie (CNC)
dans le domaine du dessin animé et des images de synthèse. Il rencontre une deuxième
personnalité qui va également le fasciner : Daniel Populus, le patron de l’agence, une homme
à la créativité débordante. Dans sa fonction de « chargé de mission », JNP va cette fois-ci
prendre beaucoup de plaisir. Il co-produit des dessins animés, s’occupe de vidéo-clips, que ce
soit pour les Rita Mitsouko (Marcia Baïla) ou pour Indochine, et finance l’écriture d’Alger la
Blanche, premier court métrage de Cyril Collard, le futur réalisateur des « Nuits fauves », film
primé aux Césars. Cette agence a un positionnement très artistique et travaille en partenariat
avec des personnalités de talent. Mais elle sera dissoute deux mois avant les élections
législatives de 1986…
JNP est alors recruté par un groupe de la grande distribution qui possède également des
activités dans l’édition (des magazines comme « Nous deux » ou « Télé Poche ») et dans
l’audiovisuel (Vidéos). JNP va assurer la fonction d’attaché de direction de la filiale de
Vidéos, qui doit être redressée (l’entreprise est en perte de vitesse, il va devoir trouver
rapidement un équilibre financier). C’est au cours de cette expérience qu’il va apprendre la
rigueur de la méthode de travail, auprès d’une femme qui restera pour lui un modèle : MarieChristine Grollemund. Parallèlement à la restructuration, une politique d’achat de films,
parfois sur scénario, est mise en œuvre, qui rencontrera de beaux succès avec « Terminator
1 », « La Rose Pourpre du Caire », ou « Le grand chemin »…
1.3/ L’acquisition d’une compétence en ergonomie des interfaces hommes machines
Quatre ans plus tard, en 1989, JNP décide pour des raisons personnelles de rejoindre Grenoble
et travailler dans une petite entreprise d’audiovisuel. Mais là encore il n’est pas totalement à
l’aise. Il s’associe alors avec un consultant indépendant pour prendre le virage des
technologies de l’information. C’est à partir de cette période qu’il découvre ce que sera son
métier. Il commence à former des salariés d’entreprises à des logiciels de bureautique et à des
progiciels de gestion. Ceci l’amène à récolter ou formuler de nombreuses critiques sur les
contenus de ces logiciels. Progressivement, JNP développe de nouvelles compétences dans le
domaine de l’ergonomie des Interfaces Hommes/Machines (IHM). Il analyse ainsi les
différents standards proposés par Microsoft, Apple, IBM…, trouvant de plus en plus de points
communs entre l’IHM et la linguistique. Il propose ainsi son expertise aux fabricants de
4
logiciels, afin qu’ils repensent leurs produits. Son nouveau mentor devient l’américaine
Brenda Laurel, véritable fondatrice de la culture homme/machine et auteur du célèbre ouvrage
« The art of Human Computer Interface Design ». C’est donc autour de ce nouveau domaine
de compétences, qui mêle design et ergonomie dans les applications interactives, que JNP
exerce le métier de consultant indépendant. Le retour vers les médias se fait avec Canal+ qui
devient un client important dans la mesure où ses besoins en matière de conception
d’interface seront dans le futur multiples (ergonomie du décodeur, des services interactifs, du
site Web…, cf. annexe 4).
La vision de JNP est la suivante : « l'ergonomie n'est pas une discipline isolée, maîtrisée
seulement par quelques spécialistes détenteurs d'un savoir ex cathedra. Il s'agit au contraire
d'une compétence collective, que doit partager toute l'équipe d’un projet (concepteurs,
graphistes, développeurs…). Par ailleurs, l'ergonomie n’est pas non plus une discipline figée,
au contraire, elle évolue en permanence. Elle est au cœur des nouvelles technologies et des
médias, qui sont eux-mêmes en perpétuel mouvement. Elle doit prendre en compte ces
changements, mais aussi l'acquisition continue d'expérience par les utilisateurs. Sollicités de
plus en plus par des interfaces de toutes sortes, ceux-ci développent des habitudes, des savoirfaire et des modes de représentation toujours nouveaux. Le concept d'interface intuitive (qui
est à la fois le Graal et l'Arlésienne des ergonomes) évolue sans cesse, car l'intuition se fonde
en grande partie sur la mémoire, la reconnaissance et l'anticipation, donc sur l'expérience.
Une interface ne peut donc jamais être conçue hors contexte ». Progressivement cette
pratique expérimentale en IHM permet à JNP de développer une méthodologie
d’intervention. Celle-ci est schématisée sous la forme d'une "Pyramide ergonomique", « où la
conception de l'interface apparaît comme la synthèse des potentiels, objectifs, et contraintes
qui caractérisent le projet, son environnement interne (entreprise éditrice) et son
environnement externe (utilisateurs, concurrence, état de l'art technique…). L'analyse prend
en compte la situation instantanée et les perspectives d'évolution probables ou possibles. Le
designer / ergonome joue alors un rôle à la fois pivot et relationnel, qui ne se réduit ni à une
technique isolée, ni à quelques recettes ».
Fort de cette nouvelle expérience et à la demande d’un de ses gros clients qui lui fournit de
plus en plus de travail (Canal Plus), il décide de créer sa propre structure en 1994 : In Visio.
5
II - La création de la société « In Visio »
La société In Visio, SARL au capital de 50 000 francs (7622 euros), est fondée en septembre
1994 avec cinq associés3. L’entreprise s’installe à Annecy en Haute-Savoie. A l’origine, elle
répond à une opportunité qui vise à accompagner la chaîne Canal+ dans le développement de
ses premiers produits interactifs. L’entreprise est donc un prestataire de services qui imagine
et réalise, pour le compte de tiers, des produits multimédias. Plusieurs projets vont façonner
progressivement un véritable studio de création et de réalisation, intégrant la chaîne de
production interactive, de l’idée originale à la livraison du produit final.
L’évolution vers la production interactive ne remet pas en cause le conseil en ergonomie
interactive4. Bien au contraire, elle facilite une intervention plus globale de l’analyse des
besoins à la conception d’application et au design d’interface, pouvant aller jusqu’à la
réalisation de maquettes ou de prototypes (cf. en annexe 4 : les réalisations). En effet, « en
maîtrisant contenant et contenus, l’entreprise peut créer l’environnement émotionnel
permettant à l’utilisateur d’accéder plus facilement aux informations, images et services
nouveaux que proposent les objets de la vie courante… ».
2.1/ La production interactive
En 1994, une nouvelle tendance monte dans l’industrie du multimédia : la production de
Cédérom. Canal+, sollicite In Visio pour sortir un Cédérom à l’occasion de ses 10 ans. Ce
premier produit « Les 10 ans de Canal+ » est réalisé à partir de la charte graphique élaborée
par le Directeur Artistique de la chaîne, Etienne Robial, In Visio s’occupant de la conception
de l'interface, de la création graphique, du traitement des médias, du développement et de la
production exécutive. Il présente de façon exhaustive les émissions et animateurs de la chaîne,
dans une interface dépouillée proche de l'univers visuel de Canal+. Destiné aux journalistes
dans un premier temps, le cédérom a finalement été distribué à tous les abonnés de Canal+ qui
en ont fait la demande, soit plus de 67 000 personnes. Il remportera le Milia d'Or (catégorie
professionnelle) en 1995.
3
Parmi les associés, quatre ont rejoint JNP pour fonder In Visio (les deux directeurs généraux, le directeur
technique et le directeur artistique). Le dernier associé est Marie-Christine Grollemund qui sortira du capital lors
de sa première augmentation…
4
Depuis sept ans, cette compétence a été étendue à la réalisation complète de jeux, produits éducatifs et
d’apprentissages, sites Web, et toute une gamme de créations interactives.
6
Peu après, c’est pour les « Guignols de l’Info », une émission au sommet de sa gloire, qu’un
projet de scénario de jeu interactif est élaboré. Il s’agit en fait de la première adaptation
interactive à succès d'un programme phare de la télévision. Plus de 20 000 heures de travail
sont effectuées en moins de six mois par une équipe de 15 personnes : scénario original,
univers en 3D (trois dimensions), adaptation (esprit, humour et graphisme en parfaite
harmonie avec le modèle). Ce produit rencontre un grand succès public avec plus de 250 000
exemplaires vendus. Ce jeu noue une collaboration entre l'équipe des Guignols de l'Info et In
Visio. Celle-ci dure maintenant depuis 7 ans. Afin de maîtriser parfaitement l'écriture et le
style, une base de données indexée de tous les dialogues écrits par les Guignols de l'Info sur la
période est réalisée.
2.2/ Un savoir-faire créatif sur un marché où la qualité n’est pas prédominante
Le milieu des années 90 est marqué par le plein essor de la production de cédérom : le marché
explose et l’improvisation devient la règle. « Tout marche et la médiocrité est au cœur de
cette activité. Le contenu est bâclé, voire absent, quant au graphisme, il est généralement
nul… ». On observe « un océan de daubes à 250 francs » déclare JNP. En 1995, la FNAC,
consciente de cette pauvreté, n’hésite pas à qualifier ce marché de poubelle. Pour influer sur
l’offre standard, elle invente alors les « flèches FNAC », afin d’attirer l’attention des clients
sur les produits de qualité. Sur 3 500 produits sortis, la FNAC en référence 700 et seuls trente
obtiennent une « flèche ».
Dans ce contexte, la période 1994-96 est plutôt positive pour l’entreprise. In Visio, qui mise
sur des produits de très grande qualité, sort notamment en coproduction avec les Editions du
Seuil et L’école de Voile des Glénans, un cédérom centré sur les fondamentaux pédagogiques
de la navigation (« Navigation virtuelle »), bientôt suivi par un deuxième opus : « Croisières
Virtuelles ». Un tel projet est ambitieux, dans la mesure où il demande :
-
la conception d’un scénario pédagogique réalisé en commun avec l'équipe des Glénans
(plus d'un an d'écriture au total),
-
la reconstitution d'un bateau de 9 mètres en 3D, avec tout son accastillage, et 5 équipiers
animés,
-
la reconstitution d'un plan d'eau côtier de 60 miles par 40, avec ses cartes et son modèle
physique (vents, courants, marées…), permettant une navigation en 3D temps réel,
7
-
l’élaboration d'un système expert (moniteur virtuel) qui observe, commente et critique les
décisions prises et les manœuvres accomplies par le joueur.
L’équipe d’In Visio s'est investie totalement sur ces projets, allant jusqu’à effectuer plusieurs
stages d'apprentissage en mer, afin d'acquérir les compétences nécessaires au dialogue avec
les experts de l’école des Glénans. Les deux cédéroms ont été traduits en huit langues.
2.3/ Les compétences maîtrisées
Progressivement, l’entreprise va développer des compétences dans trois directions : l’écriture,
la création graphique et l’animation, et le développement informatique de produits
multimédia.
- L’écriture doit permettre d’adapter un contenu, de rechercher la meilleure plus-value
interactive, d’imaginer un scénario original… Elle fait partie intégrante du métier et
correspond aussi à une passion. Les compétences internes sont multiples : fiction, création
d'univers et de personnages, « gameplay »5, mise en scène d'informations, scénarios
pédagogiques… L’entreprise sait également mobiliser son réseau pour rechercher et diriger
l'auteur le plus adapté au style de la demande.
- Pour la création graphique et l’animation, l’équipe graphique polyvalente est formée aux
meilleurs outils de création et d'animation en 2D comme en 3D : Photoshop, Illustrator,
3DSMax, CharacterStudio, LightWave, StrataStudio, Effect, AfterEffect… Elle maîtrise la
modélisation, la création de décors, la création et l'animation de personnages, la conception
d'univers originaux, le design et la déclinaison de composants d'interfaces, les maquettes,
gabarits et modèles.
- Le développement est assuré par une équipe constituée d'ingénieurs de haut niveau,
expérimentés dans les langages C/C++, Java, HTML, Lingo, et les outils NetImmerse (moteur
3D temps réel), Director, Flash, DreamWeaver, FrontPage… en environnements PC et
MacIntosh. Elle possède un savoir-faire important en analyse et spécification d'architectures
logicielles complexes.
A ces compétences nécessaires, il faut ajouter la maîtrise des méthodes de gestion de
production, liée à l'expérience de productions importantes (de 3 000 à 5 000 jours/hommes)
qui peuvent réunir des équipes internes et parfois plusieurs sous-traitants. La société est ainsi
5
Le « Gameplay » est le mécanisme ludique d’un jeu vidéo couplé à l’interface avec l’utilisateur. Il définit les
buts du jeu et les moyens donnés au joueur pour atteindre ses objectifs.
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en capacité d’assurer la pré-production (phase exploratoire indispensable à la plupart des
projets permettant de certifier budget et planning) ; la sélection et le recrutement des équipes
et des prestataires techniques en fonction des compétences requises ; l'ingénierie juridique en
particulier en matière de droits de Propriété Intellectuelle ; la direction technique, éditoriale et
artistique ; la coordination de tous les intervenants ; l'établissement des états intermédiaires de
production, le reporting et la livraison des « milestones » (versions successives aux phasesclés du projet) ; l'élaboration des protocoles d'évaluation, les tests techniques et d'usage ; la
documentation du projet.
2.4/ L’organisation d’In Visio
En juillet 1995, dix mois après sa création, la société compte dix-sept personnes.
L’organigramme d’In Visio
Jean-Noël Portugal
Président
Stratégie, Directeur de création, Auteur
Nicolas Boutherin
Directeur Général
Développement commercial
Marc Alvarado
Directeur Général
Management et Organisation
Eric Caul Futy
Directeur Technique
Une équipe de 5 développeurs
Marc Limousin
Directeur artistique :
Une équipe de 5 graphistes
La structure d’In Visio est organisée autour de Jean-Noël Portugal. En tant que Président de
l’entreprise, il est inévitablement la référence, il incarne la vision de l’entreprise et suscite
l’enthousiasme. Au delà de cette fonction, il assume la direction de la création dans la mesure
où il intervient sur la conception éditoriale et influe sur les contenus. Souhaitant partager le
pouvoir, on trouve autour de JNP deux directeurs généraux associés au capital.
NICOLAS BOUTHERIN est un autodidacte qui a fait toute sa carrière dans l’audiovisuel.
Son parcours, de la petite entreprise spécialisée à Canal+, lui a permis de côtoyer la plupart
des décideurs de l’industrie du multimédia et de l’audiovisuel. En rejoignant In Visio, il fait le
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choix d’une petite structure agile et mobile et met sa vision à la fois créative et commerciale
ainsi que son réseau de relations à la disposition de l’entreprise.
MARC ALVARADO, ancien de l’EM Lyon, est un ami personnel de JNP. Musicien,
excellent créatif, il partage avec JNP la même sensibilité artistique. Ancien fondateur d’une
agence de marketing, il apporte non seulement des compétences en Management
(organisation et finance), mais aussi tout un savoir faire dans le domaine de la communication
et de la représentation de l’entreprise6.
ERIC CAUL FUTY, le directeur technique, est un ingénieur informaticien de haut niveau. Il
dirige une équipe de développeurs qui comprendra jusqu’à cinq salariés.
Quant à MARC LIMOUSIN, c’est un graphiste de talent que connaît bien JNP. Jusque là, il
travaillait de manière indépendante. C’est pourquoi, JNP souhaite qu’il s’associe à son
nouveau projet et qu’il accepte de diriger une équipe qui atteindra jusqu’à cinq graphistes.
Mais gérer une entreprise qui a une croissance aussi rapide et assumer la responsabilité de 17
salariés, ce n’est pas toujours évident : « C’est en principe là que les ennuis commencent »…
III - La recherche d’une nouvelle position dans la filière
Les réalisations d’In Visio ont permis à l’entreprise de se construire une image forte dans le
domaine du multimédia. Cependant, sa position de prestataire ne lui permet pas d’exploiter
pleinement son savoir-faire créatif. Par ailleurs, elle ne perçoit pas ou peu de recettes issues
des ventes, mais seulement une rémunération forfaitaire pour la réalisation. C’est pourquoi
une ouverture du capital est envisagée, afin de faire naître des concepts originaux dont
l’entreprise détiendrait les droits d’exploitation…
3.1/ L’ouverture du capital
En 1996, pour financer son développement, In Visio se tourne vers le capital-risque et
sollicite trois fonds d’investissement. Ils répondront tous positivement, au grand étonnement
du dirigeant : « on est allé courtiser des gens, qui en retour se sont mis à nous courtiser ».
JNP se rend compte que les mises de fonds se font de façon relativement aléatoire et que
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l’objectif des « risqueurs » est d’investir sur un projet à potentiel avant leurs concurrents. Les
futures augmentations de capital, à une valorisation plus élevée, doivent en effet leur
permettre de rentabiliser rapidement leur investissement. JNP découvre le milieu du capital
risque à un moment où les choses s’emballent. Le marché a besoin de success stories et vit
dans l’ivresse. « On pouvait lever des sommes qui nous paraissaient folles. On se demandait
comment cela pouvait être possible avec un capital de 50 000 F ! ».
Sa société est ainsi valorisée à sept millions de francs « pré-monnaie » (plus d’1 million
d’euros). En juillet 96, il obtient 2,5 MF (400 000 euros) auprès d’un des fonds. Mais cette
somme est engloutie en six mois, entraînant la société dans un engrenage : quand ses
responsables cherchent de l’argent, ils ne prospectent pas de nouveaux clients, et les liquidités
font à nouveau défaut7. La pression est alors à son maximum : il faut salarier 17 personnes, ce
qui représente une très grosse responsabilité. Les charges sont énormes, c’est la course en
avant.
3.2/ La volonté d’évoluer vers le métier de producteur et d’éditeur
Cette première levée de fonds doit permettre à l’entreprise de devenir producteur de ses
propres œuvres (prises de participation en coproduction). Mais pour faire évoluer l’entreprise
vers le métier d’éditeur, et donc sortir de la production exécutive (sous-traitance), il faut des
moyens de plus en plus importants (cf. annexe 4). « En fait, il aurait fallu 25 millions de
francs (3,8 millions d’euros), mais on a sous-estimé le besoin et on n’a reçu aucun conseil des
gestionnaires de fonds visant à nous montrer que la somme demandée initialement était
insuffisante ». Le premier plan éditorial vise à créer un produit pour les enfants sur la forêt,
mais le fond d’investissement n’est pas intéressé, il souhaite un produit plus risqué. JNP est
alors torturé entre sa nature interne plutôt réservée et le message du représentant de son fond
d’investissement : « Il faut foncer, c’est la logique du capital risque. On ne veut voir que la
gagne. Ne travaillez pas dans la prudence ».
L’évolution vers le métier d’éditeur est donc plus difficile que prévue. L’entreprise est trop
petite, trop provinciale et arrive trop tardivement sur le marché. Seul un co-développement est
envisageable, avec des partenaires comme Le Seuil, Ubi Soft, Infogrames... Dès lors,
6
En fait, plus attiré par la dimension créative, ce dernier va très vite délaisser la fonction Management pour
écrire des scénarios …
7
Au total, ils feront quatre levées de fond (juillet 1996, mars 1997, mars 1999, avril 2001, cf. annexe 2).
11
beaucoup de temps est perdu en rencontres, négociations et coordination. Une bonne coédition voit le jour avec les éditions du Seuil sur « Les Glénans 2 : croisières virtuelles » En
revanche, avec une autre société, la collaboration se passe mal. Le projet porte sur un cédérom
pour enfants, où In Visio est à la fois co-producteur et co-éditeur. In Visio doit donc assurer la
réalisation, et prendre en charge tous les dépassements de budget. Au final, les ventes ne
couvriront jamais les investissements engagés en production. En outre, le rapport de forces
défavorable à In Visio se traduit dans le déséquilibre des contrats. L’expertise juridique
devient un facteur clé de succès et il apparaît impératif de disposer d’avocats d’affaires
spécialisés. « Ce marché s’apparente à un Western où il faut jouer les cowboys ». In Visio est
appréciée pour sa capacité à faire rêver. Les acteurs avec lesquels l’entreprise travaille
exploitent cette compétence mais se sécurisent sur le marché par l’intermédiaire de contrats.
« Ils ont tendance à nous pomper toute notre imagination, tout en nous laissant prendre les
risques techniques ».
En fait, chaque fois que In Visio sort un nouveau produit, l’entreprise rencontre un succès
d’estime, mais les résultats ne suivent pas. Pour tenter de défendre ses titres, In Visio a acheté
des publicités dans les catalogues, mais ce type d’investissement n’a jamais pu être
rentabilisé. Il semble trop tard pour réussir sur le marché de l’édition ou alors il faut
reconfigurer la chaîne de valeur (par exemple s’affranchir de la distribution pour augmenter la
marge). En outre, il faut posséder un catalogue bien fourni, ce qui permet de faire du
marketing croisé sur l’ensemble des titres. L’idéal serait de sortir un produit par mois, ce qui
implique des co-productions, des co-financements, l’adaptation de produits étrangers…
Finalement au sein de cette filière (création, édition, distribution, marché), le studio de
création de jeux est le premier à engager des ressources et le dernier à être rémunéré… Face à
ce constat, de nombreuses entreprises sortent du marché ou sont éliminées.
Malgré les difficultés financières, les associés gardent espoir et multiplient les co-productions,
avec des réalisations remarquées parues en 1997 ou à paraître en 1998 (Notamment les trois
jeux suivants : « Destination Zenith », « Petit Ours Brun » et « Les Trois Petits Cochons »).
Puis, ils renoncent à leur ambition d’aller vers l’édition, réalisant que « cela prend un temps
fou et que la société cumule les difficultés ». Finalement, les trois dirigeants de l’entreprise
vont se séparer. JNP rachète une partie des actions des deux directeurs généraux (Nicolas
Boutherin et Marc Alvarado) et reste seul pour définir un nouvelle voie pour l’entreprise.
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Il souhaite d’une part rompre avec la sous-traitance (production exécutive), où le chiffre
d’affaires est directement indexé sur le nombre d’heures travaillées (obligeant l’entreprise à
augmenter sans cesse le nombre de salariés si elle veut croître) et, d’autre part, défricher de
nouveaux territoires où la concurrence n’est pas présente « stratégie du Polder ». La
recherche d’une position originale doit également permettre de limiter la prise de risque dans
le financement de la production et de l’édition, où l’intensité capitalistique s’est accrue de
manière importante, et où l’intégration verticale des métiers régit la compétition entre les
majors.
Un changement de raison sociale clôt ce premier âge de la vie de l’entreprise. Attaquée par
Visio Corporation, une société américaine dont les avocats préparent au lance-flammes le
terrain d’un prochain rachat par Microsoft, In Visio devient Dramæra.
IV – L’engagement dans le développement d’un projet innovant très
ambitieux : la fiction interactive, ou le mélange de l’art et de la technologie
4.1/ La genèse de l’idée
En 1997, JNP assiste à la « Game Developpers Conference » de San-José, ville Californienne
située dans la Silicon Valey, à 500 kilomètres au nord de Los Angeles et des studios
d’Hollywood. Une grande partie des interventions sur la game design, insistent sur le fait que
l’industrie du jeu vidéo, à la différence du cinéma, n’est pas capable de raconter de bonnes
histoires. JNP va être particulièrement réceptif à ce message critique qu’il partage sur le fond.
A titre personnel, il se sent d’ailleurs plus attiré par l’univers du cinéma que par celui du jeu
vidéo. Il est vrai que l’état de l’art de la narration interactive lui semble particulièrement
pauvre. La plupart des jeux sont purement linéaires et fonctionnent sur le modèle du
« chapelet de saucisses ». Chaque « saucisse » est un niveau où un monde et les « nœuds »
sont les passages obligés entre les différents univers, l’accès au niveau supérieur étant
toujours limité par une seule porte. C’est seulement quand un joueur réussit à atteindre un
niveau supérieur ou nouveau monde du jeu, qu’il a droit à une belle scène graphique. Mais en
fait, l’expérience montre que le joueur n’apprécie pas à leur juste valeur ces effets graphiques
ou sonores, puisqu’il a tendance à s’échapper rapidement de la scène pour continuer sa
partie… Par ailleurs, JNP ajoute une autre critique, le héros du jeu vidéo est conçu
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« en creux », dans la mesure où, bien qu’immergé dans un univers particulier, il ne possède
pas de personnalité. Il n’a pas de passé, ni d’envie, ni d’objectif et n’est pas soumis à des
émotions à la différence des personnages de roman ou de cinéma. Il agit comme un robot.
« Ainsi Lara Croft, héroïne du jeu Tomb Raider, pourrait être facilement remplacée par une
mobylette équipée de deux gros revolvers ». Voilà une déclaration qui sera souvent reprise par
JNP lors de ses différentes interventions dans le monde professionnel. Autant dire qu’il ne se
fera pas que des amis parmi les acteurs du jeu vidéo...
JNP souhaite donc ouvrir une nouvelle voie, entre le jeu vidéo et le cinéma, encouragé par le
marché et notamment la presse professionnelle. Toute la communauté créative semble alors
persuadée que ce nouveau palier peut être franchi par le jeu vidéo à court terme et qu’il y a la
place pour un nouveau genre de produit. C’est donc un modèle de rupture qui va être
privilégié par Dramæra, à l’image des frères Miller lorsqu’ils ont sorti « Myst », un des
pionniers du jeu d’aventure8 (cf. annexe 1). « Pour valider notre raisonnement, il suffisait de
trouver un éditeur partenaire. Lorsqu’on a signé avec Index, on a pensé que notre vision
pourrait se concrétiser ».
Début 1998, une ambition est donc affichée pour Dramæra : se lancer dans le cinéma « en
temps réel », en créant de véritables fictions interactives pour le public du cinéma. Ce
nouveau genre de jeux vidéos doit s’appuyer sur un scénario original et le développement
d’une technologie « d’acteur intelligent ». Cette dernière, passage obligé pour raconter une
histoire non linéaire a priori, consiste en fait à adapter des technologies d’Intelligence
Artificielle à l’univers du jeu. Ce nouveau projet prend le nom d’Insider.
4.2/ Le projet « Insider » doit ouvrir un nouveau genre
Un marketing d’offre
Au niveau marketing, Dramæra se lance donc dans une stratégie d’offre. La cible du projet
Insider correspond en effet à un nouveau segment de marché, composé d’une clientèle moins
adolescente, plus cultivée, moins soucieuse d’effets techniques et plus féminine que la
clientèle des jeux actuels. Le positionnement est clair « un jeu pour le public du cinéma »,
où les ressorts psychologiques des personnages sont mis en avant, en plus des ingrédients
traditionnels tels que l’action, l’aventure, le suspense et le rêve. Tout en conservant les
8
En créant ce nouveau segment sur le marché du jeu vidéo, cette fratrie a en effet réussi à attirer un nouveau
public, qui s’est ensuite tourné vers les autres types de jeux (jeux d’action, puis les jeux d’aventure et
d’action…).
14
qualités d’un jeu, chères à l’équipe de Dramæra : beauté graphique, performance technique,
invention scénaristique et ergonomie de l’interface.
Dans ce nouveau genre imaginé par la société, le joueur est immergé dans un univers 3D dans
lequel les personnages ont une identité, une personnalité. Tout personnage est donc en
capacité de refuser une action demandée par le joueur, d’agir par lui-même et d’interagir avec
les autres personnages du jeu. Le joueur devient uniquement un « interacteur » : il ne peut
qu’influencer un ou plusieurs personnages, en leur communiquant simplement des intentions,
à l’image du théâtre d’improvisation9.
En cela, ce projet est complètement innovant. Il doit permettre au joueur de se projeter
complètement dans le personnage et d’exploiter tous les ressorts de son caractère (conflits
internes par exemple) et au gameplay de se déplacer de l’action vers l’intention.
En outre, le projet Insider est conçu comme une série. Chaque titre présentera un nouvel
univers avec une nouvelle intrigue, mais le héros sera capable de transposer dans ce nouvel
univers les connaissances acquises lors d’un jeu précédent. Une véritable relation doit donc
s’instaurer entre le joueur et son héros, relation qui sera entretenue entre deux épisodes par
diverses actions marketing : la création d’un « micro-univers » correspondant à l’appartement
du héros, stocké sur le disque dur du PC du joueur, lui permettant de rentrer en contact
régulièrement avec son personnage, la réalisation d’un site web à partir duquel on pourra
télécharger des séquences des jeux à venir, une personnalisation du nom et de la voix du
héros, etc. La stratégie marketing s’inspire ainsi des qualités des produits à succès de l’univers
du jouet (ex : Tamagoshi) : attachement, relation, projection de soi et affection pour le
produit.
Le premier épisode d’Insider
L’histoire de fond de la première version du jeu est la suivante : au démarrage d’« Insider »,
le joueur découvre un jeune homme, Simon Blurr, qui reprend connaissance dans un endroit
qu’il de connaît pas. Frappé d’amnésie, il ne sait pas qui il est et d’où il vient. C’est au joueur
de reconstruire ce qui s’est passé pour comprendre quel doit être l’objectif du jeu : sauver la
vie de son personnage central10. C’est donc seulement en partant à la recherche des racines de
9
Dans la plupart des jeux, le joueur dirige le héros : il lui ordonne de marcher, sauter… Le héros est une
marionnette.
10
Dans cet univers situé au début du 20ème siècle et conçu comme une uchronie, un savant cherche à mettre au
point une machine qui permettrait de ressusciter les soldats morts au combat, rendant leur armée virtuellement
indestructible. Bien que l’inventeur tarde à mettre au point sa machine diabolique, il n’est pas loin de toucher son
15
ce personnage que l’on pourra découvrir son histoire et influencer son futur, puisque l’écriture
n’est pas a priori linéaire (plusieurs chemins narratifs peuvent être empruntés) et que les
évènements s’imbriquent sans qu’ils puissent être totalement maîtrisés par l’interacteur.
L’intérêt peut être prolongé, dans la mesure où aucune « partie » ne ressemble à la précédente.
Cependant pour parvenir à ses fins et mettre en œuvre le concept de fiction interactive, il
convient, d’une part, de disposer d’un ensemble de technologies très avancées qui semblent
pouvoir être pour partie empruntées à des partenaires venant d’autres secteurs, comme celui
de la robotique, et, d’autre part de convaincre et de s’associer avec un partenaire solide dans
l’édition.
4.3/ Le pari fou des « Acteurs Virtuels Autonomes »
Pour créer une fiction interactive, il convient de disposer de ressources technologiques
permettant de créer des « Acteurs Virtuels Autonomes » (AVA). Ces acteurs virtuels doivent
être intelligents et autonomes et doivent être dotés de comportements et d’émotions
(décryptables par une gestuelle et des expressions). Ils sont capables de jouer un rôle et
d’interagir avec leur environnement (avec les autres acteurs, le décor ou le joueur), sous le
contrôle d’un scénariste et d’un metteur en scène virtuels, à la manière d’acteurs de théâtre.
Pour développer cette technologie d’AVA, une architecture composée de trois couches
logicielles imbriquées est imaginée par Dramæra (cf. figure 1). Au plus haut niveau, c’est la
couche décisionnelle. Chaque acteur essaie d’orienter l’histoire vers l’objectif qu’il cherche à
atteindre. Au niveau moyen, c’est la couche théâtrale. Les acteurs jouent la scène qui doit
permettre l’accomplissement de l’action. Leur comportement, leur gestuelle, leur expression
physique doivent être en adéquation avec l’atmosphère, les dialogues, le décor… Au plus bas
niveau, c’est la couche de mouvement. Les acteurs se déplacent, utilisent des objets et
interagissent entre eux.
but ultime. C’est dans ce contexte que Simon Blurr, espion anglais, a reçu comme mission de son gouvernement
de voler les plans d’une éventuelle invasion européenne. Après les avoir dérobés, il doit les remettre à un contact
lors d’une soirée à l’Opéra de Paris. Mais Simon, repéré par ses adversaires, est tué d’un coup d’épée dans le
dos. La guerre aura lieu et l’Europe sera dévastée. Pendant ce temps le corps de Simon est introduit dans la
machine dont il subit les premières expériences et, peu à peu, il revient à la vie. Malheureusement, le protocole
scientifique ayant été interrompu, il n’a, au moment où il reprend conscience, qu’une espérance de vie limitée à
six mois. Simon doit donc absolument retrouver la machine pour subir un second traitement et prolonger son
existence.
16
Cette architecture fait appel à plusieurs sous-domaines de compétences scientifiques et
techniques : l’animation qui s’intéresse à la production automatique de mouvements ; les
techniques de planification de mouvements, issues de la robotique, qui donnent la capacité
aux personnages de calculer les déplacements et mouvements nécessaires pour effectuer une
tâche donnée11; les techniques d’animation comportementale qui s’intéressent aux
comportements et aux réactions, de manière individuelle ou collective, au sein d’un
environnement.
11
Dans un environnement 3D, le logiciel de planification de mouvement calcule automatiquement une trajectoire
sans collision… Il peut s’agir d’un robot évitant des obstacles, d’une main articulée saisissant un objet, d’un
personnage se déplaçant dans un labyrinthe…
17
Figure 1 - L’architecture du projet Acteurs Virtuels Autonomes
Niveau 1 :
Couche décisionnelle
Gestion de l’histoire
Objectifs
d’acteur
Scénario
Action
Dramatique
Unités
Dramatique
(récit)
Niveau 2 :
Couche logique, théâtrale
Planification de tâche
Scénariste Virtuel
(arbitre)
Moyen (description
de scène)
Dramatique
ProtoScène
Comportement
Action
Geste
La technologie « Motivate »
Animation
Niveau 3 :
Couche géométrique,
de mouvement et
d’animation
Gestionnaire de
trajectoires
(planification)
Décor
« topographie »
Gestionnaire de
d’animations
Objet
« modèle 3D »
Acteur
« squelette et
modèle 3D »
18
La société estime pouvoir réaliser les deux premières couches du modèle (la partie cognitive :
couche décisionnelle et couche logique), c’est-à-dire la brique technologique qui permettra de
donner un comportement réaliste aux Acteurs pilotés par le noyau d’Intelligence Artificielle.
En ce qui concerne le niveau 3 (le moteur de planification de trajectoires et le moteur
d’animation), deux types d’outils, acquis à l’extérieur et intégrés, vont être nécessaires : un
moteur de rendu 3D temps réel et un moteur comportemental. Pour ce qui est du moteur rendu
3D (affichage de décors et des personnages animés), c’est la technologie NetImmerse qui va
être utilisée. Le moteur NetImmerse apparaît comme le plus performant et le plus complet du
marché. Son éditeur, NDL, le maintient en permanence sur la crête de l’innovation. Quant au
moteur comportemental, il s’agit d’un outil capable d’intégrer les modèles 3D et leurs
animations d’une part et l’intelligence artificielle d’autre part. JNP souhaite utiliser la
technologie « Motivate » en achetant une licence d’exploitation. Celle-ci est développée par la
société californienne Motion Factory. Cette structure, créée par des chercheurs, est issue du
laboratoire de robotique de l’Université de Stanford : « la Mecque de la robotique ». Cette
technologie est alors sans équivalent. Le logiciel se charge des aspects robotiques des
personnages, comme la planification de trajectoires avec évitement d’obstacles, ou la
cinématique inverse (pour prendre des objets quelle que soit leur position). « La technologie
américaine semblait très impressionnante et on portait un regard quasi-mystique sur ces
chercheurs de Stanford »…
Pour Dramæra, l’acquisition de Motivate et de NetImmerse permet de disposer des
technologies les plus performantes du marché dans leur domaine. Cela doit donc se
concrétiser par un gain de temps par rapport à un développement interne de compétences et
permettre à l’entreprise de se concentrer sur l’intégration de capacités d’intelligence dans les
acteurs du jeu.
Le capital-risque apparaît comme la source naturelle de financement de ce projet de rupture.
L’obtention de capitaux auprès de quatre fonds d’investissement (CITA, CDC Innovation,
Financière Natexis, SudInnova) confirme les potentialités du projet (cf. annexe 2). De plus,
pour sa recherche-développement, Dramæra obtient l’appui de l’ANVAR et du CNC (Centre
National de la Cinématographie). Le soutien financier de l’ANVAR est concrétisé par un
19
contrat, sur la base d’un programme prévoyant plusieurs phases de R&D, réparties jusqu’en
l’an 2000. Il s’accompagne du label « Technologie clé12 ».
4.4/ La réorganisation de l’entreprise
Le départ de deux des co-fondateurs permet de repenser la structure de Dramæra autour de
JNP et en fonction de son nouveau projet.
Le remplacement de Nicolas Boutherin, DG chargé du développement commercial, n’est pas
envisagé ce qui revient à alléger la fonction commerciale. Il est vrai qu’à partir de 1998 et
pour au moins deux années encore, l’activité de l’entreprise est censée reposer sur une
« économie de la rareté », avec peu de contrats et une approche « business to business ».
Quant à Marc Alvarado, DG chargé de l’organisation et du management, il est remplacé par
Gilette Deléglise qui prend en main la direction administrative et financière. Son expérience à
la direction financière d’un grand éditeur apporte à la structure la crédibilité nécessaire vis-àvis des partenaires financiers.
La fonction de Recherche et Développement est renforcée et étendue. Deux docteurs en
Sciences Cognitives de l'IMAG (Institut de Mathématiques Appliquées de Grenoble)
rejoignent l’entreprise et lui donnent le potentiel pour mener à bien son projet d'innovation et
pour trouver les solutions techniques les plus appropriées. Par ailleurs, des accords souples
sont passés avec des laboratoires universitaires. Les compétences internes permettent de
diriger et d’intégrer leurs travaux.
Quant à l’équipe de développement, elle est composée de sept permanents. Dans les phases de
développement intense, elle pourra être complétée par trois ingénieurs mis à disposition par
une société de services spécialisée.
Dans le domaine graphique, tout en maintenant son potentiel, Dramæra n’hésite pas à soustraiter pour différentes raisons. Tout d’abord, la structure de la société ne doit pas être trop
lourde (flexibilité) dans les périodes de R&D. Ensuite, Dramæra du fait de sa réputation n’a
12
Au delà des besoins du jeu vidéo, on peut estimer que la technologie AVA ouvre un vaste champ
d’applications pour toutes les formes de simulation : visites virtuelles d’entreprises, présentations commerciales,
formation interactive avec enseignants virtuels. Dans le contexte de l’entreprise, de nombreuses situations
peuvent être simulées : négociation, recrutement, accueil de nouveaux collaborateurs, apprentissage d’une
fonction…
20
pas de difficulté à fidéliser des partenaires de talent (indépendants ou entreprises). Enfin d’un
point de vue juridique, il est plus facile de gérer des contrats commerciaux librement négociés
avec les artistes13. De cette manière, Dramæra assume certes le risque entrepreneurial en
créant un actif qui la distingue, mais l’entreprise en garde la propriété pleine et entière.
Deux postes sont également créés pour épauler JNP. Le premier est un « responsable projet »
qui doit être capable d’assurer le suivi de la conception de produits jusqu’à leur réalisation en
passant par la relation avec l’ensemble des partenaires de l’entreprise. Le second vient en
soutien de JNP sur son métier d’origine : le conseil en IHM. Ce poste intègre également la
fonction de communication de Dramæra.
Cette évolution de la structure est effective à partir de septembre 1998.
4.5/ A la recherche d’un éditeur partenaire
Un autre souci est d’ordre économique : il faut trouver un éditeur et un distributeur. Un
premier contrat est signé avec Canal+ Multimédia et un grand distributeur européen. Mais très
vite, le second partenaire semble rester en retrait ne croyant pas véritablement au projet.
Ainsi, Dramæra décide d’arrêter la collaboration avec cette dernière société en mars 2000.
Trois mois plus tard, c’est avec la société Index, éditeur de produits remarquables dans le
domaine culturel, que JNP va finalement trouver une écoute attentive et signer une
coproduction intéressante. Index s’engage à apporter 325 000 euros en cash et à réaliser le
portage sur la PlayStation 2 de Sony, estimé à 535 000 euros14. De plus, la société promet un
investissement minimum de 93 000 euros en marketing. Aux termes de l’accord signé,
Dramæra reste propriétaire de toutes les technologies développées pour Insider. Quant à la
distribution internationale, elle est assurée dans de bonnes conditions, puisque le jeu sera édité
simultanément en France, Angleterre et Allemagne, puis exploité sous licence dans une
cinquantaine de pays, les frais d’édition restant à la charge d’Index. Enfin pour ce qui est des
retombées financières, elles restent avantageuses pour Dramæra15. Par ailleurs, la Réunion des
13
En effet, il existe un risque à l’étendue de la rémunération proportionnelle aux artistes salariés ayant une
participation déterminante à une œuvre.
14
Passer d’un jeu développé pour PC à un jeu adapté pour une console (ici celle de Sony) représente un coût de
transfert important, à cause de la différence technique entre les systèmes.
15
Sur le marché PC, les remontées pour l’éditeur sont d’environ 40 à 43 % du prix net hors taxes en exploitation
directe (France, par exemple) et environ 10 % du prix net hors taxes en cession de licence. L’éditeur répartit ces
remontées auprès des ayant droits (coéditeurs, coproducteurs,...) au prorata des pourcentages définis
21
Musées Nationaux a confié à Dramæra un nouveau produit : Paris 131316, qui sera lui aussi
édité par Index.
En fin de compte, ce projet innovant de fiction interactive exige la mise en œuvre d’un
véritable modèle économique permettant de réunir en amont les ressources (humaines,
financières, techniques, commerciales…) indispensables pour sécuriser le parcours. Ainsi, le
projet nécessite un travail créatif sur les contenus avec la naissance d’un nouveau personnage
évoluant dans un univers rétro-fantastique. Il implique le recrutement d’une équipe de
cogniticiens et de développeurs ainsi que l’acquisition d’outils pour la 3D temps réel
(NetImmerse). Il réclame également d’intégrer des technologies en provenance de tiers
(Motivate). Enfin, la mise sur le marché du produit exige un partenariat avec un éditeur prêt à
porter le projet avec un marketing offensif…
V – Les difficultés qui affaiblissent l’entreprise
5.1/ Un positionnement original difficile à défendre
Au sein de l’industrie du jeu vidéo, on distingue traditionnellement quatre segments. Les jeux
de plates-formes, où le héros doit collecter des objets disséminés à travers les écrans (ex :
« Super Mario ») ; les jeux d’action, où le joueur doit tuer tout ce qui bouge (ex : « Doom »,
« Mortal Kombat ») ; les jeux de simulation dans lesquels on peut trouver des simulations
économiques, historiques (ex : « Civilization »), des simulateurs de vol (ex : « Combat
Flight »), des jeux de sport…, et les jeux d’aventure et/ou d’action (ex : « Tomb Raider »,
« Myst »). Un des paris du projet Insider est d’être à l’origine de la création d’un nouveau
genre. Cette fiction interactive vise en effet le public du cinéma, donc une cible plus âgée que
les jeux traditionnels (à l’image des jeux de simulation ou des jeux d’aventure et d’action). Ce
public attend des graphismes soignés ou réalistes, un scénario complexe et long et une bande
sonore originale. Mais pour des raisons marketing, Index veut faire figurer Insider dans son
catalogue, à l’intérieur de l’un des quatre segments de marché, a priori celui du jeu
contractuellement en fonction des actions engagées par chacun. Dans notre cas la rémunération négociée auprès
l’éditeur s’établira à 46 % en moyenne.
16
Paris 1313 est un jeu historique dont l’action se déroule au moyen-âge entre le Palais Royal, la Sainte Chapelle
et Notre Dame sous le règne de Philippe Le Bel. Ce jeu est produit par la Réunion des Musées Nationaux et
Canal+ Multimédia.
22
d’aventure. Dans un univers où la concentration des éditeurs de jeux s’intensifie, ces derniers
n’ont en effet plus d’intérêt à prendre des risques qui pourraient « casser la machine qui les
nourrit ». Ils préfèrent donc sortir la troisième version d’un jeu en introduisant quelques
nouveaux effets spéciaux et des images plus sophistiquées que lancer un produit totalement en
rupture avec ce qui existe. « Ce pragmatisme, doublé de mercantilisme, apparaît d’autant
plus évident que ces sociétés d’édition rentrent en bourse. Finalement la nouvelle voie
qu’Insider souhaite ouvrir avec une fiction interactive, encouragée par les médias spécialisés,
commence à se heurter au fait que les éditeurs ne sont pas prêts dans leur grande majorité à
défendre un nouveau genre. La signature avec Index a laissé croire que le jeu concurrentiel
était ouvert, alors qu’il ne l’était pas ».
Par ailleurs si, dans l’optique d’une stratégie mondiale, un des premiers facteurs de vente d’un
jeu est qu’il soit attendu (version 2 d’un produit), le second facteur est directement lié à la
déclinaison de produits issus du monde de l’entertainment et plus particulièrement du cinéma
(produits dérivés de films comme « Top Gun », « Star Wars », « Harry Potter », « James
Bond »…). Ceci s’illustre parfaitement avec le film pour adolescents qui n’est plus une œuvre
isolée, mais un « produit décliné ». Paul Degarabedian, Président d’une agence de consultants
spécialisée dans l’analyse des goûts du public, explique à ce propos: « le public des teenagers
est recherché parce qu’il forme une génération multimédia. Il n’hésite pas à dépenser 7 euros
pour sa place de cinéma, 15 euros pour la bande originale du film et 50 euros pour le jeu
vidéo qui s’en est inspiré. Le film devient alors un moteur qui sert à alimenter la dynamique
de la consommation. ». Dés lors, il devient difficile pour les adolescents d’échapper au
blitzkrieg commercial. Ainsi, le second volet du Seigneur des Anneaux n’est pas encore sorti
dans les cinémas que le nouveau jeu vidéo de la saga, créé par Sony, est déjà dans les bacs des
distributeurs. Il en est de même pour le dernier James Bond... Dans un contexte, où près de
deux tiers des films sortis dans les multiplexes américains visent en priorité les 11-18 ans, la
capacité à obtenir des licences d’exploitation auprès du monde de l’entertainment devient
essentielle17. On peut alors s’interroger pour savoir si l’éditeur Index aura un marketing
suffisamment fort pour pousser le projet Insider dans la distribution et affirmer sa singularité
17
In Visio a cherché à acquérir une licence notamment « Le nom de la rose » de Umberto Ecco, mais l’écrivain a
répondu négativement. Celle d’Arsène Lupin aurait pu être achetée pour à peine 7 500 euros, mais JNP s’est
laissé influencer par Canal+ qui souhaitait créer un personnage nouveau. C’est finalement Cryo qui l’a obtenu.
En fait, acquérir une licence est une procédure difficile pour une petite structure dans la mesure où les licences
ont déjà été négociées par les maisons d’édition. L’ensemble des droits d’un catalogue est en général traité avec
une Major comme Warner ou autre… La seule solution pour un petit studio de création est alors de travailler en
production exécutive (sous-traitance).
23
(le jeu d’aventure « de nouvelle génération »), alors qu’il s’agit d’une histoire originale non
déclinée d’un film à succès…
A cette première difficulté de taille, s’en ajoute une deuxième plus grande encore.
5.2/ Une plate-forme logicielle complexe à mettre en œuvre
Le développement de l’architecture AVA va s’avérer beaucoup plus long et complexe que
prévu, dans la mesure où Dramæra va découvrir progressivement les limites du moteur
comportemental (niveau 3 de la figure 1) reposant sur la technologie américaine « Motivate ».
La société annécienne avait estimé a priori qu’elle n’aurait à intervenir que sur les deux
premières couches, mais malheureusement le test approfondi, d’une durée d’un an et demi,
permettra de découvrir que ce moteur possède des limites qui sont rédhibitoires pour une
utilisation à des fins de création artistique. Les personnages ont par exemple des
comportements d’automates, ils planifient leur trajectoire mais n’arrivent pas à anticiper… Ils
se déplacent, se positionnent, mais agissent séquentiellement. Accomplir une tâche est une
chose, mais l’accomplir comme le ferait un humain en est une autre. La fluidité du
mouvement naturel est simplement absente18. Au fur et à mesure des difficultés rencontrées,
Dramæra tente de les surmonter et son équipe de développeurs se met en fait à travailler sur
ce niveau 3, même si ce n’était pas prévu au lancement du projet. En développant des
compétences informatiques très spécifiques, l’entreprise glisse doucement vers une activité de
R&D.
Durant cette période, « Motion Factory », la société qui a vendu sous licence la technologie
« Motivate », fait faillite et est reprise par une entreprise qui très vite va se désintéresser de
cette technologie. Dramæra se retrouve sans interlocuteur et doit réfléchir à développer luimême un planificateur 3D. Pour poursuivre les développements, Dramæra noue des relations
avec un laboratoire français et recrute un docteur en robotique.
Le projet Insider prend donc du retard, puisque les développeurs19 sont obligés d’aller dans
les couches basses au lieu de se concentrer sur les niveaux 1 et 2. Et comme ils finissent
18
« Le problème est encore plus complexe lorsque plusieurs acteurs sont impliqués par exemple s’approcher
pour se serrer la main ou pour s’embrasser, avancer de front vers un étranglement qui n’autorise pas de passer à
deux… Différentes actions, accélérations et décélérations des acteurs doivent être coordonnées tout au long de
leur trajectoire respective ».
19
A cette période, l’équipe de développeurs atteint dix personnes. « Il n’y en avait jamais assez »…
24
toujours par trouver une solution à leur problème (ils ne sont jamais vraiment bloqués),
Dramæra rentre dans un cercle vicieux : problème identifié, nouveau développement interne
qui permet de progresser jusqu’à un nouveau problème… En définitive, la technologie
américaine, impérative pour poursuivre une ambition dans le domaine de la fiction interactive,
bride le moteur comportemental et devient une faiblesse dans le projet. Par ailleurs, elle est à
la source d’une dépendance extérieure20.
Parallèlement, ce temps est mis à profit par l’équipe artistique : les personnages qui devaient
compter 700 facettes vont en compter 2500, elle multiplie les décors, les sophistique… La
sortie de « The Insider », première fiction interactive, est donc décalée, ce qui ne va pas
faciliter les relations avec les partenaires…
5.3/ La pression des fonds d’investissement
Le projet Insider prenant du retard en raison de sa complexité notamment technologique, les
représentants des fonds d’investissement délivrent un message paradoxal. JNP : « Ils avaient
un double discours, dans la mesure où ils critiquaient notre compte d’exploitation tout en
nous expliquant qu’ils n’étaient pas là pour faire de la gestion de bon père de famille. Or si
on avait privilégié exclusivement le projet Insider, cela aurait eu pour conséquence directe un
chiffre d’affaires égal à zéro jusqu’à la sortie du produit. Mais j’ai toujours cherché du
travail, du premier au dernier jour, que ce soit dans le domaine du conseil ou sur de la
production exécutive (Jeu Vidéo Paris 1313). Bien sûr, on était enterré sous Insider et quand
il a fallu mobiliser des ressources sur Paris 1313 tout en coordonnant des équipes sur RhôneAlpes, Angoulême (graphisme) et la Belgique (développement informatique), on a pris du
retard et perdu beaucoup d’énergie… ».
Ainsi JNP tout en étant l’homme orchestre du projet Insider (scénariste, réalisateur,
producteur, responsable R&D) continue ses activités de chef d’entreprise. C’est lui qui
négocie avec les principaux clients21 ou supervise les activités de conseil. Un sentiment de
20
Progressivement JNP réalise que la technologie Motivate ne peut pas répondre aux besoins du jeu vidéo. Il
imagine alors le développement d’un projet R&D, intitulé « AVA Motion », en partenariat avec une PME (Kinéo
CAM) et deux équipes de recherche française (le LBEM de Rennes II et l’IRISIA). L’objectif de AVA Motion
est de développer son propre moteur de contrôle, de planification et de coordination des mouvements humains.
Ce projet sera labellisé par RIAM (Réseau Recherche et Innovation en Audiovisuel et Multimédia) fin 2001 et
permettra à Dramæra d’obtenir une subvention de 183 000 euros. Mais à cette date, il est trop tard et le dépôt de
bilan est inévitable… Cependant le repreneur pourra toutefois mobiliser ces financements dans la mesure où il
choisirait de poursuivre le développement de la technologie AVA.
25
schizophrénie s’empare de lui : « Comment concilier un projet de rupture soutenu par les
représentants des fonds d’investissement, mais consommateurs de ressources, avec un
équilibre des activités ? »
5.4/ Une coopération avec l’éditeur qui se dégrade
Quelques semaines après la signature du contrat entre Index et Dramæra (mi-2000), Index est
vendu à Wanadoo Editions, filiale Multimédia d’une grande entreprise nationale, au prix fort.
Au même moment, Wanadoo s’introduit en bourse. Mais septembre 2000 est marqué par la
fin de la bulle spéculative sur les nouvelles technologies et le cours de Wanadoo s’effondre
rapidement dans des proportions alarmantes. Il faut alors donner des signes positifs au marché
pour que le cours remonte.
La filiale Wanadoo Editions a promis pour la fin de l’année 2000, période particulièrement
importante pour les ventes, la mise sur le marché de cinq nouveaux produits. Or trois vont
prendre du retard, dont le projet « Insider ». Dans cette conjoncture difficile, les relations
entre Wanadoo Editions et Dramæra vont devenir très tendues, d’autant plus que Wanadoo
Editions décide de rompre avec le positionnement original et différenciateur d’Index pour
adopter une stratégie mainstream dans laquelle un produit aussi innovant que The Insider ne
trouve plus sa place. En février 2001 Dramæra est contactée par son éditeur qui souhaite
récupérer les actifs artistiques du produit pour faire développer un jeu d’aventure classique
par une équipe de game developpeurs classiques. A cette date, Dramæra a investi 900 000
euros dans cette création. L’apport de Wanadoo Editions se monte à 119 000 euros seulement.
Mais bien plus, c’est tout le projet stratégique de Dramæra qui est remis en question. JNP
refuse cette sortie unilatérale qu’il considère comme un chantage et une mainmise de
Wanadoo Editions sur plusieurs années de travail. A ses yeux, l’éditeur doit aller au bout de
son engagement, qu’il s’agisse de son investissement en coproduction ou du portage sur Play
Station 2. Wanadoo Editions lui oppose les retards dans le calendrier de production et s’arcboute sur sa position agressive.
Dramæra est à court de liquidités. Pour continuer le développement de sa fiction interactive,
la société a encore besoin d’argent frais. Une dernière levée de fonds va donc être tentée
21
On notera qu’il n’y a plus personne pour épauler JNP au niveau commercial…
26
auprès de ses partenaires financiers, dans des conditions difficiles et alors que les tentatives
d’influence négative auprès des investisseurs se multiplient.. Malgré cette pression, la
confiance des actionnaires de Dramæra reste intacte. Ils reconnaissent les qualités de JNP, son
honnêteté et sa vision prospective, croient toujours en ce produit innovateur que doit être
Insider, et font bloc face à la tempête. Les trois responsables de fonds décident alors chacun
d’apporter 122 000 euros, c’est-à-dire un sursis d’environ six mois pour dénouer la situation.
Conclusion : le dépôt de bilan
-
L’inévitable dépôt de bilan
Dans ce contexte délétère, le contentieux avec Wanadoo Editions va s’exacerber. Les mises
en demeure se succèdent, mais les deux partenaires campent sur leur position et Wanadoo
Editions joue sur le temps qui passe. La dégradation du climat entre les deux sociétés va
aboutir alors au blocage du projet Insider et tous les investissements réalisés, qu’ils soient
artistiques ou technologiques, semblent figés. Le dépôt de bilan de Dramæra apparaît
inévitable et cela d’autant plus que Wanadoo Editions décide de l’assigner en justice et
demande le remboursement de son apport de 119 000 euros ainsi qu’un dédommagement de
610 000 euros pour préjudices subis22 (retard, engagements non tenus, image auprès des
distributeurs…) !
JNP : « Il aurait certainement fallu avoir une approche plus pragmatique. On aurait pu sortir
d’abord un jeu classique et proposer, dans une version suivante, un produit plus novateur.
Avec du recul, on se dit qu’on aurait pu utiliser la dernière levée de fonds pour revenir à de
la prestation légère, le temps de se refaire une santé. Mais ça n’aurait pas été honnête vis à
vis de nos actionnaires et on aurait dû se séparer d’une partie de l’équipe. Or ce projet de
fiction interactive, on l’a porté tous ensemble et des valeurs de solidarité doivent être
respectées. Mort pour mort, on a pensé qu’il valait mieux mourir debout. L’équipe a été
remarquable, à aucun moment il y a eu d’indignité. On a vécu une belle histoire, mais la
colline était bombée et on ne voyait jamais son sommet. C’est clair, je suis exigeant, endurant
et je ne sais pas ce que c’est qu’abandonner. J’avais la capacité à fédérer des gens autour
d’un projet, je me suis épuisé mais je ne pouvais pas laisser tomber. Il fallait que ce soient les
27
évènements qui m’arrêtent. C’est une question de frontière ; cette frontière ténue entre la
ténacité et l’entêtement… Cela paraissait accessible et je pense que cela l’est encore, que
d’autres y parviendront bientôt. Le code ADN de la société était la prise de risque parce que
le choix du capital-risque est fondamentalement définissant, et parce qu’on avait de
l’imagination. A partir de là, beaucoup de choses étaient déterminées. »
Le dépôt de bilan de Dramæra est opéré fin 2001 dans un contexte où toutes les entreprises de
l’industrie du jeu vidéo connaissent des difficultés. Fin 2002, un grand nombre d’entre elles
ont en effet disparu ou sont dans une situation délicate. Après l’effondrement de la bulle
Internet, l’industrie du multimédia comme des jeux traverse une période de turbulences. C’est
ainsi que Montparnasse Multimédia dépose le bilan, que Nicolas Gaume, à la tête de Kalisto
(300 collaborateurs), jeune entrepreneur encensé par les médias, verra son entreprise liquidée.
Suivront ensuite In Utero, Game Squad, Chaman, Polygon et même Cryo, un leader français,
dont les actifs seront repris par un concurrent. Au total, ce sont dix-sept entreprises de
l’industrie du jeu vidéo qui disparaîtront en une année. On peut alors se demander si la
« french touch » survivra à cette crise23.
-
La recherche d’un repreneur
Fin 2001, les entreprises susceptibles de proposer une offre au tribunal de commerce ne se
bousculent pas pour une éventuelle reprise de Dramæra.
Infogrames, le leader européen du secteur, qui aurait pu être intéressé par les compétences
R&D développées par l’entreprise, pense plutôt à rationaliser sa structure, dans un
environnement chahuté.
Dramæra n’a pas de passif dans la mesure où la société, bien qu’ayant mobilisé une majorité
de ressources sur le projet Insider, a toujours continué des activités de conseil et de
production. Paradoxalement, cette approche prudente qui a pu être reprochée à JNP par les
représentants des fonds d’investissement devrait aujourd’hui faciliter une reprise. Il semble au
dirigeant qu’il faudrait moins de six mois pour remettre sa société sur les rails…
22
Il s’agit pour Wanadoo Editions d’éviter de passer pour le responsable du dépôt de bilan.
A l’automne 2002, le premier ministre , J.P Raffarin, a annoncé la création d’un fonds d’amorçage du CNC de
2 millions d’euros. « Le seul problème, c’est que les projets innovants ont disparu ».
23
28
Mais en décembre 2001, toutes les sociétés du secteur ayant été approchées et n’étant pas été
en mesure de faire une offre en raison de leurs propres difficultés, JNP estime que la société a
peu de chances d’échapper à la liquidation au premier trimestre 2002.
Pourtant, il rencontre François Salomon, un acteur du capitalisme local. Celui-ci reprendra les
actifs de l’entreprise début 2002...
-
La fin du conflit avec Wanadoo Editions
Quelques jours avant la reprise (février 2002) suite à une modification d’organigramme du
côté de Wanadoo Editions, le conflit entre les anciens partenaires sera résolu en l’espace de
quelques jours seulement. Une transaction amiable est acceptée par l’ensemble des parties
prenantes. Toutes les procédures judiciaires sont éteintes. Dramæra reste propriétaire de
toutes les technologies développées pour le jeu. Les actifs artistiques restent une copropriété
des parties prenantes proportionnellement à leurs apports à savoir 62% pour Dramæra, 30%
pour Canal+ Multimédia24 et 8% pour Wanadoo Editions.
24
On notera que ce partenaire n’a jamais posé de difficulté.
29
Annexe 1 : Quelques données sur le marché des jeux vidéo
Le marché
Les jeux constituaient, en 1997, 30% du marché du logiciel aux Etats-Unis, ce qui représente
un chiffre d’affaires de plus de 5 milliards de dollars. Les ventes progressaient de 22% en
valeur et 38% en volume (baisse du prix de vente moyen).
En Europe, la croissance était plus forte, avec une progression de 71% en volume et 62% en
valeur. Ce taux de croissance s’expliquait en partie par une progression rapide des ventes de
micro-ordinateurs sur la période. Il est à noter que le double équipement des foyers
(PC/console de jeu) progressait également.
En 2002, le marché total (jeux + consoles) est estimé à 31 milliards d’euros, selon l’IDATE,
avec une prévision pour 2003 équivalente à 28 milliards d’euros.
Tableau 1 - Décomposition du marché du jeu vidéo (en millions d’euros)
2001
2002
2003
2004
Consoles
8 894
10 356
7 701
5 602
Jeux pour consoles
11 216
13 343
12 478
8 718
Jeux pour PC
6 905
7 355
7 882
8 410
TOTAL
27 015
31 054
28 061
22 730
Source : Idate, 2002
Tableau 2 - Répartition géographique du marché du jeu vidéo (en millions d’euros)
2001
2002
2003
2004
Europe
9 771
10 757
10 879
9 223
Japon
7 038
7 825
6 840
4 945
Etats-Unis
10 206
12 472
10 342
8 562
TOTAL
27 015
31 054
28 061
22 730
Source : Idate, 2002
30
La France représentait, en 2001, un marché équivalent à 700 millions d’euros uniquement
pour les jeux (hors consoles). Par rapport aux autres industries culturelles (livre, disque ou
cinéma), c’est dans ce secteur que les entreprises françaises ont la meilleure position
internationale. Mais en 2001, le secteur a connu une vraie crise notamment en ce qui concerne
la création.
Le jeu vidéo peut donc être considéré comme un produit de grande consommation qui fait
vivre des pans entiers de l’économie : scénaristes de jeux, graphistes (décors), créateurs et
animateurs de personnages, programmeurs, musiciens, acteurs (voix), testeurs, éditeurs,
distributeurs, traducteurs, juristes spécialisés dans la propriété intellectuelle, fabricants de
console et d’accessoires (joysticks), logiciels (3D), médias spécialisés (presse, télévision)…
Les fabricants de matériel
Le jeu vidéo peut être utilisé sur un PC (via un CD –Rom ou en ligne), sur une console de jeu
ou en arcade.
•
Les PC : ce segment se développe avec l’accroissement du taux d’équipement des
ménages en ordinateur. Le PC est en effet pour beaucoup considéré avant tout comme une
machine ludique. A partir d’un PC, on peut jouer à deux types de jeux : ceux sur
Cédérom, ceux en ligne.
•
Les jeux sous forme de Cédérom : ils ont l’avantage de pouvoir être utilisés sur
n’importe quel micro-ordinateur (le Cd est standard) et représentent l’essentiel des
ventes de jeu pour P.C.
•
Le jeu on line : les éditeurs de jeu restent relativement prudents et seuls les gros
opérateurs investissent massivement dans le web, proposant des jeux spécifiques
(Electronic Arts, Sony Online Entertainement et Microsoft). Toutefois la
possibilité de parties multi-joueurs attirent de plus en plus les jeunes vers le jeu en
réseau (les jeunes préférant affronter un adversaire en chair et en os plutôt que
l’ordinateur), même si ce dernier réclame d’être équipé en haut débit. Sony a ainsi
développé un site « The Station » qui enregistre, en 2002, 13 millions
d’utilisateurs. Les ressources financières d’un site de jeux proviennent des revenus
publicitaires, de l’achat du jeu dans le commerce (35 dollars environ) et/ou des
abonnements mensuels.
31
Dans le même esprit se développent les LAN parties : compétitions de jeux vidéo
qui rassemblent plusieurs joueurs dans un même lieu, connectés entre eux par un
réseau local.
•
Les consoles sont de deux types : de salon ou portables (comme la Gameboy). Elles sont
fabriquées par des industriels de l’électronique. Dans les consoles de salon, qui
représentent 43% du marché total, la Playstation de Sony (version 1 lancée en 1995) est en
1997 le leader du marché (30 millions de consoles vendues de cette première version),
devant l’Ultra 64 de Nintendo et la Dreamcast de Sega25. En 2002, trois fabricants se
partagent le marché : Sony et sa PlayStation 2 (malgré son prix élevé de 450 euros, 24
millions de consoles ont été vendues), la GameCube de Nintendo et la X-Box de
Microsoft. La domination d’une console provient directement de la qualité et du nombre
des jeux disponibles. Les ventes de consoles et de jeux sont donc intimement liées. Les
fabricants ont souhaité conservé une forte activité éditoriale (cf. tableau 4 plus loin), à la
fois pour se différencier et pour compenser les faibles marges récupérées sur la vente de
consoles. Les alliances fabricants de consoles et éditeurs de jeux se multiplient également
(à la différence des jeux pour PC, un éditeur ne peut mettre en vente un jeu destiné à une
console sans passer par le fabricant, qui touchera des royalties de l’ordre de 20% du prix
de vente).
Les consoles sont en moyenne renouvelées tous les six ans, rendant obsolètes les jeux
développés pour l’ancienne version.
Les studios de développement de jeux
Il s’agit essentiellement de petites et moyennes entreprises (entre 5 et 250 personnes) qui
conçoivent les jeux. Leur activité est donc à la fois artistique (graphique) et technologique
(développement de solutions techniques nouvelles pour améliorer le jeu). Dans l’ensemble,
ces studios emploient pour moitié des graphistes, des musiciens, des scénaristes et pour une
autre moitié des informaticiens. Généralement, vu leur taille et les ressources disponibles, ces
studios ne travaillent que sur un ou deux projets de jeu à la fois. Une fois conçu, le jeu sera
confié à un éditeur qui le commercialisera (le prix de vente finale moyen d’un jeu est de 29
25
Devant la concurrence agressive de Sony et de Nintendo, Sega a décidé de se retirer du marché des consoles
pour se concentrer sur l’édition de jeux.
32
euros en France). Le marché de ces studios est souvent national (le jeu peut être considéré
comme un produit culturel).
En termes de produits, on assiste à une uniformisation de la production. La réalisation est
aujourd’hui impeccable, mais l’originalité fait souvent défaut. Les coûts de plus en plus
prohibitifs de développement et de commercialisation incitent à limiter les risques et
l’exploitation généralisée des cartes accélératrices 3D permettent d’obtenir le même rendu
graphique pour tous les jeux.
Dans les années 90, les principales évolutions du marché ont toujours été le fait de petites
entreprises indépendantes ayant su saisir un progrès technologique ou créer un game-play
innovant.
Exemples :
•
La petite entreprise Bulfrog lance « Populous » en 1987, une simulation permettant au
joueur de prendre la place de Dieu et de guider son peuple à travers les âges. Ce concept
innovant en genre et en technologie effraie tous les éditeurs. L’entreprise finit par en
trouver un qui accepte de prendre le risque et, en 1996, les ventes dépassent les 3 millions
d’exemplaires. La société et ses 60 salariés sera finalement rachetée par son éditeur.
•
Cyan Software, créée par les frères Miller, lance « Myst » en 1993, un jeu non violent
avec un univers à explorer, où l’émotion remplace l’action : 5 millions d’unités vendues.
La société sera rachetée par un groupe du multimédia.
•
ID Software crée l’événement en 1993 avec « Doom » : choc technologique pour un jeu
d’action d’un nouveau genre. Ce jeu deviendra un classique et donnera lieu à de multiples
versions, ID Software devenant le leader de ce nouveau segment.
•
Core Design produit le premier jeu d’action en Full 3D au game-play original (mélange de
jeu d’aventure et d’action où le héros est une femme séduisante) : « Tomb Raider ». Ce
sera le plus gros succès de l’histoire du jeu vidéo. Core Design a été rachetée en 1995.
Mais aujourd’hui les petites structures et donc les studios indépendants souffrent de difficultés
financières, car le développement d’un jeu nécessite de plus en plus d’argent : acquisition
d’une licence, réalisation du contenu, complexité technologique croissante … Ainsi, les
spécificités et les fragilités de ces métiers apparaissent d’autant plus nettement que ces studios
sont autonomes par rapport aux éditeurs. Dans un contexte de crise, les équipes de création
intégrées aux sociétés d’édition semblent donc moins exposées aux aléas conjoncturels.
33
Les éditeurs-distributeurs de jeu
Les éditeurs assurent généralement la production, au sens du cinéma, c’est-à-dire l’initiative
et le financement d’un projet de jeu (une fois développé par le studio, ils en détiennent les
droits exclusifs), sa fabrication (pressage, emballage) et sa commercialisation (marketing,
promotion, commerce de gros).
A l’instar des coûts de développement, les coûts de lancement d’un jeu enflent à vue d’œil : il
faut diffuser le jeu à grande échelle (convaincre les grands distributeurs tels la Fnac),
conquérir la clientèle (promotion, publicité dans la presse spécialisée ou à la télévision) et la
fidéliser (événements spéciaux, marketing direct, site web…)… Ces investissements poussent
les éditeurs à se concentrer pour avoir une taille critique mondiale (ex : Electronic Arts26,
Acclaim, Activision… qui emploient souvent plusieurs centaines de salariés).
Les 10 premiers éditeurs de jeux maîtrisent plus des 2/3 du marché. Leur taille et les barrières
à l’entrée sont telles que les nouveaux entrants sont rares. Seuls les grands groupes de
communication peuvent encore percer le marché (tel Vivendi Universal). Les stratégies
marketing dans le domaine du jeu sont en effet de plus en plus proches de celles du cinéma ou
de la musique, avec notamment une valorisation des licences. Ainsi le budget de lancement
d’un jeu doit en Europe au minimum être équivalent à celui de sa production (le double aux
Etats-Unis).
Dans ce contexte, les éditeurs ne peuvent pas être indifférents à leurs cours de bourse. En
effet, à leur niveau de taille, le simple maintien de leur part de marché implique d’importants
besoins de financement, qui supposent des cours boursiers à peu près stables. La dépression
boursière, qui affecte l’ensemble du domaine, finit par faire peser des menaces sur l’ensemble
du marché (cf. Les Echos du 16 décembre 2002).
26
Electronic Art, 1er éditeur mondial de jeux vidéos, possède de très fortes licences, par exemple celles du
« Seigneur des Anneaux », de « Harry Potter » ou de « James Bond ».
34
Tableau 3 - Poids des éditeurs dans les ventes en France, en 2001
Editeurs français
Nb d’unités
(en milliers)
CA en KE
Infogrames
Ubi Soft
Vivendi Universal
Cryo
Microids
Delphine
Wanadoo Editions Edition
Titus
…
Total
1 900
1 300
750
350
200
150
110
90
52 000
41 000
24 300
9 100
4 700
4 250
3 400
1 670
5 700
163 000
Editeurs étrangers
Nb d’unités
(en milliers)
CA en KE
Electronic Arts
Nintendo
Sony
Microsoft
…
2 350
2 300
1 200
500
87 000
97 000
50 000
21 600
Source : GFK
Tableau 4 - Les principaux éditeurs de jeux vidéos dans le monde
(Chiffre d’affaires en millions d’euros)
Entreprise
Pays
1999
2000
2001
Sony (1)
Nintendo (1)
Microsoft (1)
Electronic arts
Sega
Activision
Infogrames
Square Soft
Take Two Interactive
Konami
Vivendi Universal Publishing
THQ
Capcom
Ubi Soft
Eidos
Japon
Japon
EU
EU
Japon
EU
France
Japon
EU
Japon
France
EU
Japon
France
R Uni
6 451
4 711
1 076
1 145
697
409
306
591
286
516
265
284
185
133
338
6 575
5 326
1 760
1 538
1 870
619
522
732
394
615
361
375
359
186
313
5 610
3 926
2 181
1 476
983
692
674
641
504
502
444
423
269
260
226
Source : Idate, septembre 2002
(1) : Le chiffre d’affaires des trois premiers du classement est à relativiser car il comprend, pour Sony et
Nintendo, l’activité consoles de jeux (=pas uniquement l’édition de jeux) et, pour Microsoft, les activités
Internet, les accessoires informatiques et les logiciels ludo-éducatifs.
35
Les joueurs
70% sont des hommes. L’âge des joueurs figure dans le tableau 5.
Tableau 5 – Répartition des joueurs par tranches d’âge
- 18 ans
18-35 ans
+ 36 ans
PC
30.4%
31.1%
38.5%
Console
43.9%
36.4%
17.9%
Source : IDSA
Les joueurs sont avant tout sensible à la nouveauté du jeu, à sa qualité et à son prix.
Les distributeurs
En France, les jeux vidéos sont principalement vendus dans les hypermarchés ou les grandes
surfaces spécialisées comme la Fnac ou Micromania…. Mais il existe de fortes disparités
selon les pays. Ainsi en Europe du Sud ou aux Etats-Unis, il existe de nombreuses boutiques
spécialisées, où ce sont les vendeurs qui conseillent leurs clients sur l’achat d’un jeu. Leur
avis est d’autant plus important que la critique issue de la presse spécialisée ne joue pas son
rôle puisque trop dépendante des revenus publicitaires.
Chez les distributeurs, le linéaire accordé aux jeux pour consoles est trois fois plus important
que celui destiné aux jeux pour PC, les ventes d’un jeu pour console étant plus élevées (le top
10 des ventes de jeux pour console dépasse les 80 000 unités vendues, ce chiffre s’abaissant à
30 000 unités pour les versions PC). Par ailleurs, les distributeurs sont très sélectifs et se
concentrent sur les titres promis à un fort succès.
36
Annexe 2 : Histoire financière de l’entreprise
Fondation
SARL au capital de 50 000 F (7 622 euros), créée en septembre 1994 par 7 personnes
physiques dont l’actuel Président-Directeur Général : Jean-Noël Portugal.
Première augmentation de capital : juillet 1996
Transformation de la SARL en SA, augmentation du capital par les fondateurs à 38 000 euros.
Entrée d’un investisseur financier, CDC Innovation :
• émission de 893 actions,
• prix d’émission : 427 euros,
• apport : 381 311 euros.
• Le capital est porté à 380 000 euros.
Création de la holding des fondateurs, IVCH27, par apport d’actions de la S.A.
Répartition du capital à l’issue de la première augmentation
Fondateurs
6,9 %
IVCH
66,8 %
CDC Innovation
26,3 %
Deuxième augmentation de capital : mars 1997
Ouverture du capital à deux nouveaux investisseurs, SIT et Innovaction :
• émission de 1 576 actions,
• prix d’émission : 630 euros,
• apport : 1 million d’euros.
• le capital est porté à 448 413 euros.
•
Répartition du capital à l’issue de la deuxième augmentation
IVCH
50,3 %
CITA
21,9 %
CDC Innovation
18,0 %
SudInnova
9,8 %
27
A la suite de la deuxième augmentation de capital, les fondateurs regroupent leurs actions à l’intérieur d’une
holding In Visio Canal Historique (IVCH). A l’intérieur de cette holding, JNP détient la majorité (51%) ce qui
permet de parler d’une seule voie au sein du conseil d’administration.
37
Troisième augmentation de capital
Ouverture du capital à un nouvel investisseur, Natexis (Groupe Banques Populaires) :
• émission de 2 236 actions,
• prix d’émission : 429,45 euros,
• apport : 960 000 d’euros.
• le capital est porté à 659 037 euros.
Répartition du capital à l’issue de la troisième augmentation
IVCH
34,7 %
CITA
21,5 %
CDC Innovation
17,3 %
Natexis
14,8 %
SudInnova
11,7 %
Emission d’un emprunt – Obligations Convertibles
En avril 2001, Dramæraa émis des Obligations Convertibles
-
Montant de l’emprunt obligataire : 487 854 euros
-
CITA, CDC Innovation, Natexis et SudInnova ont chacun souscrit à cet emprunt pour ¼
-
Durée de l’emprunt : 2 ans
38
Annexe 3 : La situation financière de Dramæra
Comptes d’exploitation de Dramæra S.A. (KE)
1998
753,81 €
Chiffre d’affaires
Coûts externes
310,82 €
442,99 €
Marge Brute
Salaires imputés
257,01 €
Amortissement des productions
74,85 €
111,13
€
Marge nette
Crédit Impôts Recherche
16,77 €
Subvention
61,89 €
Frais commerciaux (Salons…)
- 67,07 €
122,71 €
Marge après frais commerciaux
et subventions
Salaires improductifs
318,60 €
Loyers + charges
89,79 €
Crédit bail et réseau
58,54 €
Comptabilité
22,10 €
Conseil juridique / Avocats
38,87 €
Déplacements / rp
60,21 €
Impôts et taxes
16,31 €
Divers
16,16 €
Frais de fonctionnement
620,58 €
Amortissement
83,08 €
- 580,95 €
Résultat d’exploitation
Net financier
14,94 €
Exceptionnel
- 21,95 €
- 587,96 €
Résultat net
1999
752,44
335,82
416,62
97,87
10,67
308,08
27,74
5,95
329,88
2000
845,58
231,55
614,02
104,42
509,60
51,68
1,68
559,60
229,42
55,34
37,65
27,74
24,85
21,65
26,22
7,01
429,88
98,93
- 198,93
2,44
3,05
- 199,54
185,98
55,34
49,39
23,48
8,38
25,00
30,18
10,82
388,57
25,15
145,88
6,40
152,29
39
BILAN ACTIF (KE)
ACTIF
Immobilisations incorporelles
Immobilisations corporelles
Immobilisations financières
Total de l’actif immobilisé
Stocks et en-cours
Créances clients et comptes rattachés
Autres créances
Valeurs mobilières de placement
Disponibilités
Charges constatées d’avance
Total de l’actif circulant
Total de l’actif
Brut
Amortissements
au 31/12/2000
et provisions
482 102,22
373 328
1 424 517,04
60 295
3734,75
0
1 709 723
433 623
12 796,73
0
221 653,78
0
78 266,95
0
233 798,16
0
10 303,90
0
13 445,46
0
0
0
570 302
0
2 280 025
433 623
Net au
31/12/2000
60 036,76
1 211 787,5
3 734,75
1 276 100
12 796,73
221 653,78
78 266,95
233 798,16
10 303,90
13 445,46
0
570 302
1 846 402
Net au 31/12/1999
54 567,59
540 980,18
3 734,75
599 322
0
296 642,95
95 635,93
393 414,97
63 545,46
8 369,58
0
857 665
1 456 887
BILAN PASSIF
PASSIF
Capital (Dont versé : 4 323 000)
Primes d’émission, de fusion, d’apport
Réserve légale
Report à nouveau
Résultat de l’exercice
Avances conditionnées
Total des capitaux propres
Provisions pour risques et charges
Emprunts et dettes auprès des établissements de crédit
Emprunts et dettes financières diverses
Dettes fournisseurs et comptes rattachés
Dettes fiscales et sociales
Autres dettes
Total des dettes d’exploitation et financières
Total du passif
Dettes à moins d’un an
Net
au 31/12/2000
659 037
225 045
65 904
(199 656)
152 282
110 525
Net
Au 31/12/1999
659 037
225 045
65 904
1 013 137
860 855
70 180
400 924
230 520
127 881
3759
4 552
219 526
152 334
128 405
91 314
833 265
1 486 402
596 131
1 456 987
378 983
596 131
-199 656
110 525
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Annexe 4 : les principales réalisations de In Visio / Dramæra
Dramæra est au service de groupes ou d’entreprises majeurs dans le domaine de la télévision,
l’édition, Internet, la téléphonie, le design, la domotique, le jouet, le jeu vidéo…
3.a/ Sept années d’expérience dans le domaine de l’ergonomie des interfaces
Citons en exemple trois projets que Dramæra a réalisés.
– L’ergonomie du décodeur Pilotime de CanalSatellite
Question posée par CanalSatellite
« Comment faire de la télévision, objet domestique par excellence, pivot de l'univers des
loisirs et de l'information, un objet "augmenté" de multiples fonctions interactives, sans perdre
la simplicité, l'évidence, et la hiérarchie fonctionnelle qui ont fait son succès ? ».
Méthode de travail
Au sein d'une équipe pluridisciplinaire, supervisée par la Direction des Opérations du groupe
Canal+, Dramæra a :
-
défini le périmètre des nouveaux services,
-
unifié les modes manipulatoires, comportements d'interfaces et règles de navigation,
-
adapté les périphériques (télécommande, clavier infrarouge) à ces exigences (design
physique réalisé ensuite par l'agence Kréo).
-
développé une maquette interactive complète, enrichie et modifiée tout au long du
processus et soumise en permanence à l'évaluation de groupes d'utilisateurs.
Durée d'intervention : 2 ans.
– L’ergonomie des services interactifs de CanalSatellite
Le développement de services interactifs de plus en plus nombreux et sophistiqués sur le
bouquet actuel, a nécessité la publication d'une charte de design et d'ergonomie, afin d'unifier
les interfaces et les modes manipulatoires proposés aux utilisateurs.
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Méthode de travail
-
Analyse de l'existant, des contraintes techniques, et des habitudes prises par les différents
concepteurs,
-
Expression des principes fondamentaux, des similitudes et des ruptures,
-
Définition d'un protocole d'évaluation permettant aux éditeurs et concepteurs de services
d'évaluer la performance et la qualité de leurs créations au regard de critères communs,
-
Conception de la base de règles pouvant être appliquées à toute nouvelle création, et des
composants élémentaires avec leur attributs physiques et comportementaux,
-
Hiérarchisation des règles et des tolérances s'appliquant principalement à la mise à jour de
l'existant ("la jurisprudence"),
-
Elaboration de modèles et gabarits permettant de progresser facilement dans les
compositions.
Durée d'intervention : 5 mois.
– L’ergonomie du site Web de Canalsatellite
Question posée
« Faire évoluer le site de Canalsatellite, en restant cohérent avec la formule expérimentée
pendant 3 ans pour sa première version, tout en se rapprochant de l'univers télévisuel, dont la
principale caractéristique est la qualité de l'offre : "Le meilleur du numérique" !
Permettre aux abonnés de trouver sur le site un prolongement de leur de relation avec le
bouquet satellite, une continuité de ton, d'image, d'atmosphère, et de sensation ».
Méthode de travail
-
Assistance à la définition d'un nouveau concept : animation de réunions et définition
d'un planning de travail qui ont permis de formaliser une structure éditoriale, des
modes de présentation et de navigation, des règles et fréquences de mises à jour, des
équilibres de contenu… en un mot les principaux termes du "contrat" entre
Canalsatellite et les internautes.
-
Analyse des différents supports édités : le bouquet lui-même, le magazine des
abonnés, la communication corporate, afin d'identifier les fondamentaux de la marque.
Prise en compte de la charte graphique réalisée pour l'antenne par Gédéon.
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-
Définition d'une Charte d'Ergonomie et de Design, incluant tous les composants de
base (icônes, boutons, menus, objets typographiques, etc.), les gabarits et les pages
types. Refonte des outils d'aide à la consommation de programmes (Grille, GuideTV),
afin de faire du site de Canal satellite la référence en la matière.
Cette mission a été réalisée en collaboration avec une « web agency » qui assure la réalisation
technique du site.
3b/ Sept années dans la production interactive
Ces sept années ont permis de réaliser plusieurs produits parmi lesquels se trouvent les cinq
qui suivent…
- Mémoires vives
Infogrames grave ses mémoires sur cédérom à l'occasion de ses 10 ans. Dramæra effectue un
véritable travail journalistique en rassemblant une multitude d'informations sur les très
nombreux produits réalisés par Infogrames. Véritable encyclopédie du jeu vidéo, ce cédérom
retrace la vie de l'entreprise à travers son catalogue et les interviews de ses fondateurs. A cette
occasion, Dramæra emploie pour la première fois le concept de chemin narratif,
accompagnement sonore des liens parcourus par l'utilisateur.
Missions : scénarisation, recherche documentaire, création graphique, développement.
Sortie : 1996
- Petit ours brun
Des dessins animés racontent tous les moments de la journée de Petit Ours Brun: Petit Ours
Brun se réveille, Petit Ours Brun prend son petit-déjeuner, aide sa maman, joue, prend son
bain, se couche… A la fin de chaque histoire, l'enfant est invité à jouer avec son héros préféré
: des jeux amusants, inventifs et très variés, en relation avec l'histoire et adaptés aux petits.
Le cédérom est réalisé entièrement en 2D, dans le style graphique original des histoires de
Petit Ours Brun de Bayard Presse.
Missions : scénarisation, création graphique et animations, développement, production
exécutive.
Sortie : 1997
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- Paris 1313
Paris 1313" a été initié par la Réunion des Musées Nationaux, dans la lignée des produits
ludo-culturels qu'elle avait précédemment édités. L'action se déroule dans le Paris du MoyenAge, sous le règne de Philippe le Bel et de son conseiller Guillaume de Nogaret. Une
mystérieuse machine est sur le point d'être inventée, mais certains sont prêts à tout pour
empêcher sa découverte. Le joueur incarne tour à tour trois personnages, dont les histoires se
croisent à de multiples reprises. La reconstitution historique est minutieuse. Sous la direction
du Musée National du Moyen-Age, chaque décor ou personnage est d'abord dessiné à la main
dans le détail, puis modélisé. Le moindre détail fait l'objet d'une étude, pour parvenir à un
résultat final d'un grand degré de réalisme.
Missions : suivi de l'écriture, conception du game-play, création graphique et animations,
développement, production exécutive.
Sortie : 1999
- Chirurgie ORL
Outil de démonstration pour la préparation d'interventions chirurgicales complexe sen O.R.L.
-
Tournage de 8 opérations (caméra, endoscope), réalisées par le Professeur Christian
Debry,
-
Découpage et insertion d'hyperliens dans le flux vidéo,
-
Synchronisation
avec
une
base
de
données
multimédia
permettant
l'approfondissement.
- Lilou Story
Smoby crée son premier cédérom en 2000, autour de son poupon star Lilou. Destiné aux
fillettes de 3 ans et plus, "Lilou's story" leur propose de s'occuper de Lilou, comme une vrai
maman. Le repas, le bain, le coucher et la promenade ponctuent la journée du bébé.
Les fillettes retrouvent à l'écran la reproduction exacte et animée de leur poupon de plastique.
Elles jouent avec lui via l'interface du cédérom, ou grâce au "surclavier" jouet, qui s'adapte
aux enfants moins habitués à la souris.
Missions : scénarisation, création graphique et animations, développement, production
exécutive.
Sortie : 2001 - 10 000 exemplaires vendus.
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