VIH et hépatite en prison

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VIH et hépatite en prison
VIH et hépatite
en prison :
la France doit réagir
Une nouvelle étude alerte sur la proportion six fois plus élevée de personnes atteintes
des VIH et VHC à l’intérieur des prisons qu’à l’extérieur. La politique de prévention
en milieu carcéral est à mettre en cause : toutes les mesures de réduction des risques
développées à l’extérieur ne sont pas admises en prison. Les programmes d’échange
de seringues restent bannis, en dépit du principe d’équivalence des soins et de la
prévention et des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé.
L
ES PERSONNES DÉTENUES SONT EN MOYENNE SIX FOIS PLUS
porteuses du virus du sida (VIH) et de l’hépatite C
(VHC) que la population générale, révèle une étude
publiée le 5 novembre dans le Bulletin épidémiologique de l’Institut de veille sanitaire. La prévalence
du VIH est estimée à 2 % en prison contre 0,35 % en population générale ; et celle du VHC à 4,8 % contre 0,8 %. La plupart
des personnes détenues atteintes d’une hépatite C ont été
contaminées par usage de drogues. Pour les auteurs, ces données « confirment l’intérêt du dépistage du VIH et du VHC » en
prison, mais aussi d’une véritable « politique de réduction des
risques » afin de « limiter la transmission de ces infections ».
Reconnaître l’existence de pratiques à risque
en prison
Une telle politique implique d’accroître les messages de prévention, de renforcer l’accès aux traitements post-exposition, de garantir aux personnes dépendantes aux opiacés une
bonne délivrance de traitements de substitution. Mais aussi
de permettre à celles qui restent consommatrices de stupéfiants de bénéficier de matériel stérile comme en milieu libre
(tampons alcoolisés, seringue, filtre, paille pour inhaler, etc.).
Or, les autorités françaises restent, à cet égard, particulièrement frileuses. En juin dernier, un groupe de travail ministériel santé-justice a préconisé, à l’instar du Conseil national du
sida depuis treize ans, de mener une expérimentation de programmes d’échange de seringues et de distribution de pailles
à usage unique en prison. Aucune mesure n’a pour l’instant
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été annoncée depuis. L’un des points de blocage semble être
la difficulté à admettre la consommation de drogues « dures »
en milieu carcéral. Refusant cette réalité, la direction de l’administration pénitentiaire a d’ailleurs tenu une position minoritaire au sein du groupe santé-justice, visant à ce que de nouvelles recherches soient conduites avant de lancer toute expérimentation. Pour elle, il n’y a pas ou peu de consommation,
car les personnels ne trouvent pas de seringues ou de pailles.
Interrogés anonymement, les détenus révèlent pourtant l’importance des pratiques à risque. Selon une étude publiée en
avril 2012, 27 % des détenus interrogés à la maison d’arrêt de
Bordeaux1 déclarent avoir consommé de la cocaïne en prison,
19 % de l’héroïne, 11 % du crack et 27 % d’autres substances.
La moitié de ceux qui inhalent disent partager leurs pailles et
plus de la moitié des injecteurs (60 %) leur seringues.
Tirer des leçons des expériences étrangères
La crainte d’encourager la consommation de stupéfiants
constitue également un point de blocage. Tout comme celle
que les seringues soient utilisées comme des armes. Pourtant,
dans les pays où de tels programmes ont été mis en place –
de la Suisse à l’Iran en passant par l’Allemagne, l’Espagne ou
le Kirghizistan – toutes les évaluations ont montré leur efficacité. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) souligne
qu’ils « réduisent le partage » de matériel et « l’incidence du
1 Rossard et al., « Consommation de substances et comportements à risque
au cours de l’incarcération, Enquête dans une maison d’arrêt en France »,
Le Courrier des addictions, n° 2 – avril-mai-juin 2012.
© Simon Jourdan
ACTU
Atelier de conditionnement de trousses de réduction des risques (Stéribox2) au centre de détention de Riom. Les détenus, eux, n’y ont pas accès,
malgré une prévalence six fois plus importante du VIH et de l’hépatite C.
VIH et des hépatites, sans augmenter l’usage de drogues »2. Au
contraire, « ils ont même tendance à le diminuer » : l’accompagnement conduit plus facilement à une alliance thérapeutique avec les professionnels de santé que la répression ou
l’injonction. Par ailleurs, l’OMS précise que « les seringues ne
sont jamais utilisées comme arme » et que « ces programmes
améliorent la sécurité générale de la prison ». Moins de seringues usagées circulent : remises de la main à la main par les
personnels soignants ou par distributeur anonyme, elles sont
placées dans des contenants spécifiques rigides, avec des
taux de retour importants (près de 99 %)3. Le risque de blessure ou de contamination lié aux seringues non jetées est ainsi bien moindre qu’en l’absence de programme.
Un immobilisme à haut risque sanitaire
Compte tenu des résultats positifs des expériences étrangères, rien ne permet de justifier l’absence de mise en place
2 Dr Anne Verster, département VIH de l’OMS, 16 juillet 2009, Sidaction.
3 H. Stöver, J. Nelles, « Ten years of experience with needle and syringe exchange programmes in European prisons », International Journal of Drug
Policy, 2003.
de telles mesures en France. A défaut, les détenus consommateurs sont exposés à des risques de contamination non négligeables. Le seul moyen autorisé pour désinfecter un tant soit
peu les seringues ou les pailles est l’utilisation d’eau de Javel
à 12° de chlore. Or, ce produit est inopérant pour le VHC. Et
ses vertus désinfectantes pour le VIH sont entièrement liées
au suivi d’un protocole strict, inadapté au milieu carcéral.
Comme le rappelle l’OMS, il est « hautement improbable que
les détenus passent quarante-cinq minutes à agiter les seringues pour les nettoyer »4 alors qu’ils craignent d’être repérés et
punis. Ce protocole est de plus inadapté aux seringues de fortune (fabriquées à l’aide de stylos) qui peuvent être utilisées
en détention. Pour que les personnes détenues ne soient plus
exposées à de hauts risques de contamination, il est temps de
faire entrer en prison l’ensemble des mesures de prévention
développées à l’extérieur.
Marie Crétenot
4 OMS, ONUSIDA, ONUDC, Intervention to adress HIV in prisons, Genève,
2007.
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