REMÈDES MORTELS ET CRIME ORGANISÉ
Transcription
REMÈDES MORTELS ET CRIME ORGANISÉ
Peter C. GØtzsche, M.D. Traduction de Fernand Turcotte, M.D. En collaboration avec Pierre Biron Remèdes mortels et crime organisé Comment l’industrie pharmaceutique a corrompu les services de santé Remèdes mortels et crime organisé Comment l’industrie pharmaceutique a corrompu les services de santé Peter C. Gøtzsche Remèdes mortels et crime organisé Comment l’industrie pharmaceutique a corrompu les services de santé Traduit de l’anglais par Fernand Turcotte Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année du Conseil des Arts du Canada et de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec une aide financière pour l’ensemble de leur programme de publication. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition. Cet ouvrage a été publié en anglais par Radcliffe Publishing en 2013 sous le titre Deadly Medicines and Organised Crime. How big pharma has corrupted healthcare. © 2013 Peter C. Gøtzsche © 2015 pour la traduction française, Les Presses de l’Université Laval L’auteur et l’éditeur n’assumeront aucune responsabilité envers toute personne ou toute entité concernant les dommages ou pertes encourues ou alléguées encourues, directement ou indirectement, par l’information contenue dans cet ouvrage. Mise en page : Diane Trottier Maquette de couverture : Laurie Patry ISBN 978-2-7637-2223-8 PDF 9782763722245 © Presses de l’Université Laval. Tous droits réservés. Dépôt légal 1er trimestre 2015 www.pulaval.com Toute reproduction ou diffusion en tout ou en partie de ce livre par quelque moyen que ce soit est interdite sans l’autorisation écrite des Presses de l’Université Laval. Table des matières À propos de l’auteur.................................................................................. IX Avant-propos par Richard Smith............................................................. XI Avant-propos par Drummond Rennie.......................................................... XVII 1. Introduction......................................................................................... 1 2. Confessions d’un initié....................................................................... 7 Décès causés par l’asthme provoqués par les aérosols contre l’asthme.................................................................................................15 Marketing véreux et recherche .................................................................18 3. Le crime organisé, modèle d’affaires des grosses compagnies pharmaceutiques................. 29 Le plus gros revendeur de stupéfiants, Hoffman-La Roche.............32 Le temple de la honte pour les grandes pharmaceutiques.............34 Les crimes sont répétitifs..............................................................................44 C’est du crime organisé.................................................................................51 4. Très peu de patients tirent avantage des médicaments qu’ils consomment............................................................................. 59 5. Les essais cliniques, la rupture du contrat social avec les patients.................................................................................. 71 6. Les conflits d’intérêts dans les périodiques médicaux................ 89 7. L’influence corruptrice de l’argent facile........................................ 99 VI Remèdes mortels et crime organisé 8. À quoi donc s’affairent les milliers de médecins à la solde de l’industrie ?...................................................................................... 105 Études de familiarisation..............................................................................108 Louer un meneur d’opinion pour « conseiller ».....................................110 Louer un meneur d’opinion pour « éduquer ».......................................113 9. Vendre sous pression......................................................................... 123 Les études cliniques sont du marketing déguisé................................123 La rédaction par des rédacteurs anonymes (nègres).........................127 La machine du marketing.............................................................................129 Vendre sous pression ad nauseam............................................................135 Les médicaments très coûteux...................................................................138 Les exagérations au regard de l’hypertension......................................140 Les organismes de patients.........................................................................142 Le NovoSeven pour les soldats qui saignent.........................................143 10. L’impuissance de la régulation des médicaments........................ 151 Les conflits d’intérêts dans les agences du médicament..................153 La corruption dans les agences du médicament.................................156 L’insoutenable légèreté des politiciens...................................................161 La régulation des médicaments est fondée sur la confiance..........168 L’évaluation inadéquate des nouveaux médicaments.......................173 Trop d’avertissements et trop de médicaments..................................180 11. L’accès public aux données des agences du médicament.......... 193 Notre percée à l’Agence européenne du médicament (EMA) en 2010................................................................................................................196 L’accès aux données dans les autres agences du médicament......200 Des pilules amaigrissantes mortelles.......................................................203 12. Le Neurontin, un médicament pour l’épilepsie utile pour traiter n’importe quoi...................................................... 213 13. Merck, où les patients meurent en premier................................... 219 14. L’étude frauduleuse du celecoxib et autres mensonges............. 231 Le marketing fait du tort...............................................................................237 15. Substituer des médicaments coûteux aux remèdes moins chers chez les mêmes patients............................................. 241 Novo Nordisk fait passer les patients à l’insuline qui coûte cher...241 AstraZeneca fait passer des patients à la coûteuse oméprazole ...243 Table des matières VII 16. Le glucose sanguin était correct, mais les patients sont morts............................................................................................ 247 Novo Nordisk tente d’intimider un périodique scientifique............262 17. La psychiatrie, paradis de l’industrie pharmaceutique............... 267 Sommes-nous tous fous ou quoi ?............................................................268 Les psychiatres comme colporteurs de médicaments......................275 Le canular du déséquilibre chimique.......................................................277 Le dépistage des maladies psychiatriques.............................................280 Les pilules du malheur...................................................................................281 Prozac, un abominable médicament d’Eli Lilly transformé en vedette..........................................................................................................283 L’exercice est une bonne intervention.....................................................289 D’autres mensonges au sujet des pilules du bonheur.......................290 18. Inciter les enfants au suicide avec des pilules du bonheur........ 303 Étude 329 de Glaxo.........................................................................................303 Le camouflage des suicides et des tentatives de suicide dans les études cliniques..............................................................................308 Le rajeunissement du citalopram par Lundbeck..................................313 Les médicaments antipsychotiques.........................................................320 Le Zyprexa, un autre médicament horrible d’Eli Lilly transformé en grand succès........................................................................322 Pour en finir avec les médicaments psychotropes..............................325 19. Intimidation, menaces et violence pour protéger les ventes..... 331 20. Démolir les mythes de l’industrie.................................................... 349 21. La faillite générale du système commande une révolution....... 363 Nos médicaments nous tuent.....................................................................363 De quel médicament a-t-on vraiment besoin et à quel prix ?.........368 Le modèle à buts lucratifs est le mauvais modèle...............................369 Les études cliniques........................................................................................372 Les agences de régulation des médicaments.......................................376 Les formulaires de médicaments et les comités de consignes de pratique.............................................................................382 Le marketing des médicaments.................................................................385 Les médecins et leurs organismes.............................................................388 Les patients et leurs organismes................................................................392 Les périodiques médicaux...........................................................................396 Les journalistes.................................................................................................397 VIII Remèdes mortels et crime organisé 22. Un dernier éclat de rire aux dépens de Big Pharma..................... 405 L’argent n’empeste pas..................................................................................409 L’invention des maladies...............................................................................411 Index............................................................................................................. 419 À propos de l’auteur Le professeur Peter C.Gøtzsche a obtenu une maîtrise en biologie et chimie en 1974 et son diplôme de médecin en 1984. Il est spécialisé en médecine interne ; il a travaillé en études cliniques et en affaires réglementaires dans l’industrie pharmaceutique de 1975 à 1983 puis dans des hôpitaux de Copenhague, de 1984 à 1995. Il est cofondateur de la Collaboration Cochrane en 1993 et a mis sur pied le Centre Cochrane nordique, la même année. Il devint professeur de l’analyse et de la conception de la recherche clinique en 2010 à l’Université de Copenhague. Peter Gøtzsche a publié plus de 50 articles dans les « cinq grandes » revues (British Medical Journal (BMJ), Lancet, JAMA (Journal of the American medical Association), Annals of Internal Medicine et New England Journal of Medicine) et ses travaux scientifiques ont été cités plus de 10 000 fois. Peter Gøtzsche s’intéresse aux statistiques et à la méthodologie de recherche. Il est membre de plusieurs groupes ayant publié des consignes pour encadrer la publication correcte des résultats de la recherche et il fait partie des co-auteurs de CONSORT pour les études randomisées (www.consort-statement.org), de STROBE pour les études d’observation (www.strobe-statement.org), de PRISMA pour les synthèses méthodiques et les méta-analyses (www.prismastatement.org) et de SPIRIT pour les protocoles d’études (www.spirit-statement. org). Peter Gøtzsche est un des rédacteurs en chef du Cochrane Methodology Review Group. IX X Remèdes mortels et crime organisé Livres de Peter Gøtzsche Gøtzsche P. C. Mammography Screening : truth, lies and controversy. Londres : Radcliffe Publishing, 2012. Gøtzsche P. C. Rational Diagnosis and Treatment : evidence-based clinical decisionmaking. 4e éd. Chichester, Wiley, 2007. Gøtzsche P. C. [On safari in Kenya] [Danois]. Copenhague, Samlerens Forlag, 1985. Wulff H. R. et P. C. Gøtzsche. Rationel klinik. Evidensbaserede diagnostiske og terapeutiske beslutninger. (Rational clinical practice. Evidence-based diagnostic and therapeutic decisions) 5e éd. Copenhague, Munksgaard Danmark, 2006. Avant-propos par Richard Smith La seule mention du nom de Peter Gøtzsche comme orateur dans un congrès ou comme collaborateur cité dans la table des matières d’un périodique suffit à soulever l’enthousiasme d’innombrables personnes. En effet, on peut le comparer au jeune garçon qui voyait bien que l’empereur était nu et qui ne se gênait pas pour le dire. Or, la plupart d’entre nous ne voyons pas la nudité de l’empereur et, dans le cas contraire n’oserions pas en parler. Voilà pourquoi nous avons un si grand besoin de gens comme Peter. Avec lui, pas de compromis ni de dissimulation, mais un franc parler assorti de métaphores colorées. L’insistance de Peter à comparer l’industrie pharmaceutique au crime organisé peut certes en déranger plusieurs, mais renoncer à lire le présent ouvrage pour ce motif, ce serait rater l’occasion de comprendre une réalité importante et de s’en indigner. Peter conclut son livre en racontant que la Société danoise de rhumatologie lui avait demandé de prononcer une conférence sur le thème La collaboration avec l’industrie pharmaceutique : est-ce si dommageable ? Le titre était à l’origine La collaboration avec l’industrie pharmaceutique. Est-ce dommageable ? Mais la société l’avait trouvé trop fort. Peter commença sa conférence en énumérant des crimes des commanditaires de la réunion. Roche avait grandi grâce à ses ventes illégales d’héroïne. Abbott avait empêché Peter d’avoir accès à des études non publiées qui montraient qu’une pilule pour maigrir était dangereuse. UCB avait elle aussi caché des données tandis que Pfizer avait menti à la FDA (Food and Drug Administration) puis avait été condamnée aux États-Unis à une amende de 2,3 milliards de dollars pour avoir fait la promotion de l’utilisation hors indications de quatre médicaments. Merck, le dernier commanditaire, avait, selon Peter, provoqué le décès de milliers de patients en raison de son comportement malhonnête relativement à un médicament contre l’arthrite. Une fois son introduction complétée, Peter se lança dans une condamnation de l’industrie. XI XII Remèdes mortels et crime organisé On peut imaginer se trouver à cette rencontre dont les commanditaires bafouillent de colère et dont les organisateurs marinent dans l’embarras. Peter cite un collègue qui lui aurait dit que son approche aurait peut-être détourné des auditeurs dont l’opinion n’était pas encore faite. Mais la plus grande partie de l’auditoire a été captivée et a compris la légitimité des points soulevés par Peter. De très nombreuses personnes qui ont soutenu avec enthousiasme la mammographie de routine pour prévenir les décès par cancer du sein, peuvent comprendre la grogne des commanditaires – parce qu’ils ont été eux aussi critiqués par Peter qui a fait paraître un livre décrivant ses expériences relatives à la mammographie. Ce qui me semble particulièrement important c’est que Peter faisait partie des quelques rares critiques de la mammographie de routine quand il a commencé ses recherches et qu’en dépit des attaques très intenses dont il a été l’objet, les faits ont fini par lui donner raison. Il n’avait pas d’opinion arrêtée sur la mammographie quand les autorités du Danemark lui ont demandé de réviser les faits connus mais il a rapidement conclu que les preuves disponibles étaient de piètre qualité. Sa conclusion générale était que la mammographie de routine pourrait bien sauver des vies, cependant beaucoup moins que ne le prétendaient les promoteurs de cet examen, au prix de plusieurs faux positifs, imposant à des femmes des procédures invasives et inquiétantes sans aucun avantage et le surdiagnostic de cancers inoffensifs. Les discussions qui ont suivi à propos de la mammographie de routine ont été amères et pleines d’hostilité mais la perspective de Peter est maintenant devenue ce qu’on pourrait appeler la perspective orthodoxe quant à ce problème. Son livre montre d’une manière détaillée comment des scientifiques ont déformé les faits établis pour mieux soutenir leurs croyances. Je sais depuis longtemps que la science est pratiquée par des êtres humains qui ne sont pas des robots, ce qui signifie qu’ils restent exposés aux défaillances humaines, mais j’ai été renversé par les propos du livre de Peter sur la mammographie. Une grande partie du présent ouvrage est également renversante pour des motifs apparentés : on montre comment on peut corrompre la connaissance pour faire avancer certains arguments et comment l’argent, les profits, les emplois et les réputations sont les corrupteurs les plus puissants. Peter concède que certains médicaments ont procuré de grands avantages. Il le fait dans une phrase : « Mon livre ne concerne pas les avantages bien connus de médicaments comme les succès rencontrés pour traiter les infections, les maladies cardiaques, certains cancers et les déficiences hormonales comme le diabète de type I. » Certains lecteurs trouveront que c’est insuffisant, mais Peter est très explicite pour dire que le présent ouvrage porte sur les échecs du système Avant-propos par Richard Smith XIII au complet de la découverte, de la production, du marketing et de la réglementation des médicaments. Ce n’est pas un livre qui porte sur leurs avantages. Plusieurs lecteurs se demanderont si Peter n’exagère pas en suggérant que les activités de l’industrie pharmaceutique s’apparentent à celles du crime organisé. Les caractéristiques du crime organisé sont définies dans la loi des États-Unis comme le fait de commettre d’une manière répétée certaines transgressions comprenant l’extorsion, la fraude, le viol d’interdits fédéraux sur les drogues, la corruption, le détournement de fonds, l’obstruction de la justice, l’obstruction dans l’application des lois, l’intimidation des témoins et la corruption politique. Peter fournit des preuves, la plupart fort détaillées, pour soutenir son argument que les compagnies pharmaceutiques sont coupables de la plus grande partie de ces crimes. Et il n’est pas le premier qui compare l’industrie à la mafia ou à la pègre. Il cite un ancien vice-président de Pfizer qui a déclaré : Il est proprement effrayant de voir les ressemblances de cette industrie avec la pègre. La pègre gagne des quantités d’argent qui sont obscènes, tout comme l’industrie. Les effets secondaires du crime organisé sont des massacres et des assassinats alors que les effets secondaires de l’industrie sont de même nature. La pègre corrompt les politiciens et d’autres, tout comme le fait l’industrie L’industrie est certainement à couteaux tirés avec le ministère de la Justice des États-Unis en raison des compagnies qui ont payé des milliards en amendes. Peter décrit en détail les dix plus grandes sociétés, mais il en existe beaucoup d’autres. Il est aussi vrai que ces sociétés ont récidivé sans répit, calculant sans doute qu’il y avait toujours de plantureux profits à récolter en continuant à violer la loi et à payer des amendes. Les amendes peuvent être tenues pour des dépenses « d’affaires » tout comme les coûts du chauffage, de l’éclairage et du loyer. Bien plus nombreux sont les gens tués par l’industrie que ne le sont ceux qui périssent aux mains de la pègre. En effet, des centaines de milliers de gens sont tués chaque année par les médicaments ordonnancés. D’aucuns pourront penser que c’est inévitable parce que les médicaments sont utilisés pour traiter des maladies qui sont elles-mêmes létales. D’autres objecteront que les avantages des médicaments sont exagérés, souvent en raison de distorsions sérieuses des preuves censées fonder les médicaments, un « crime » qu’on peut raisonnablement imputer à l’industrie. Le grand médecin William Osler a déjà dit que ce serait bon pour l’humanité mais horrible pour les poissons qu’on jette à la mer tous les médicaments. Il parlait avant que ne survienne la révolution thérapeutique du milieu du XXe siècle ayant donné la pénicilline, d’autres antibiotiques et tant d’autres médicaments efficaces, mais Peter vient tout près de tomber d’accord avec lui en proposant qu’on serait beaucoup mieux sans la plupart des médicaments XIV Remèdes mortels et crime organisé psychoactifs dont les avantages sont minuscules et les torts considérables, tandis que le volume de leur prescription est colossal. La plus grande partie du livre de Peter est consacrée à la démonstration du fait que l’industrie pharmaceutique a systématiquement corrompu la connaissance pour exagérer les avantages et minimiser les torts causés par ses médicaments. Comme épidémiologiste doté d’une extraordinaire connaissance en mathématique et d’une passion infatigable pour les détails, Peter est devenu un chef international en critique des études cliniques et se trouve donc sur son terrain de prédilection. Il y retrouve plusieurs autres auteurs, y compris d’anciens chefs de la rédaction du New England Journal of Medicine, pour décrire cette corruption. Il montre aussi comment l’industrie a corrompu des médecins, des universitaires, des périodiques, des organismes de professionnels et de défense des patients, des départements d’universités, des journalistes, des régulateurs et des politiciens. Ce sont là des méthodes de la pègre. Le livre ne permet ni aux médecins ni aux universitaires d’éviter le blâme. En fait, on pourrait soutenir que les sociétés pharmaceutiques font ce qu’on attend d’elles en maximisant le rendement de leurs actionnaires tandis que médecins et universitaires sont censés avoir une autre motivation. Des lois exigeant des sociétés qu’elles déclarent les paiements faits aux médecins montrent que de grandes proportions de médecins sont redevables à l’industrie pharmaceutique, plusieurs recevant des sommes dans les six chiffres, pour conseiller les sociétés ou prononcer des conférences en leur nom. Il est difficile de ne pas conclure que ces « meneurs d’opinion » sont corrompus. Ils sont les tueurs à gages de l’industrie. Et, tout comme c’est le cas pour la pègre, malheur à quiconque lance une alerte ou accepte de témoigner contre l’industrie. Peter raconte plusieurs histoires de lanceurs d’alerte qu’on a harcelés alors que le roman de John Le Carré décrivant la brutalité d’une société pharmaceutique devenait un grand succès qu’on a porté à l’écran. Il n’est pas fantaisiste de comparer l’industrie pharmaceutique à la pègre et la population, en dépit de son enthousiasme pour la consommation de pilules, entretient du scepticisme à l’encontre de l’industrie pharmaceutique. Dans une enquête d’opinion menée au Danemark, le public a placé l’industrie pharmaceutique à l’avant-dernier rang de celles à qui l’on fait confiance, tandis qu’une enquête d’opinion américaine plaçait l’industrie pharmaceutique au bas de l’échelle en compagnie de l’industrie du tabac et des pétrolières. Le médecin et auteur, Ben Goldacre, dans son livre Bad Pharma soulève l’observation que ce que les médecins ont fini par tenir pour « normal » dans leurs relations avec l’industrie pharmaceutique deviendra complètement inacceptable pour la population quand elle en comprendra le fin mot de la signification. En GrandeBretagne, les médecins pourraient rejoindre les journalistes, les parlementaires Avant-propos par Richard Smith XV et les banquiers dans le déshonneur, pour n’avoir pas su reconnaître la corruption dans laquelle ils se vautrent. Pour le moment, la population fait confiance aux médecins et se méfie des sociétés pharmaceutiques, mais cette confiance pourrait se perdre rapidement. Le livre de Peter ne porte pas que sur des problèmes. Il propose des solutions dont certaines seront plus facilement appliquées. Il semble très improbable que les sociétés pharmaceutiques soient jamais nationalisées, mais il est probable que toutes les données utilisées pour obtenir l’autorisation de mise sur le marché deviennent disponibles. Il faut rehausser l’indépendance des autorités de réglementation. Certains pays pourraient être tentés d’encourager plus d’évaluation des médicaments par des organismes du secteur public, tandis qu’on assiste à un désir croissant de rendre publiques les relations financières liant les sociétés pharmaceutiques aux médecins, aux organismes de professionnels et de patients ainsi qu’aux périodiques médicaux. Il est certain qu’il faut améliorer la gestion des conflits d’intérêts. Il faudra sans doute restreindre encore plus la commercialisation, tandis que l’opposition à la publicité directe aux consommateurs se renforce. Les critiques de l’industrie pharmaceutique sont plus nombreux, plus respectables et plus impétueux, mais Peter les dépasse tous en comparant l’industrie au crime organisé. J’espère que personne ne se laissera dissuader de lire le présent ouvrage à cause de l’audace de la comparaison et que la franchise de son message va susciter une réforme convenable. Richard Smith, M. D. Juin 2013 Avant-propos par Drummond Rennie Indignation fondée sur la preuve Des centaines de rapports d’études scientifiques et plusieurs ouvrages décrivent déjà comment les sociétés pharmaceutiques pervertissent la méthode scientifique et utilisent leur richesse colossale pour travailler trop souvent à l’encontre de l’intérêt des patients qu’elles prétendent aider. J’ai moi-même participé à cette infamie. Alors qu’est-ce qu’apporte le présent ouvrage qui soit donc neuf et digne de votre attention ? La réponse est simple : les aptitudes scientifiques exceptionnelles, la recherche, l’intégrité, la vérité et le courage de son auteur. L’expérience de Gøtzsche est sans pareille. Il a travaillé aux ventes pour des sociétés pharmaceutiques, soit comme visiteur bonimentant les médecins sur divers types de médicaments, soit comme gérant de produit. Il est médecin et chercheur doté d’une grande réputation acquise à la tête du centre Cochrane du nord. De sorte que, quand il parle, il fonde ses opinions sur des recherches méticuleuses réparties sur des décennies et publiées dans des périodiques soumis à la révision des manuscrits par les pairs. Il comprend très bien les statistiques du préjugé et les techniques utilisées pour analyser les rapports d’études cliniques. Il a été à l’avant-garde de l’élaboration des révisions systématiques et de la méta-analyse des rapports d’études cliniques, pour en extraire à l’aide de critères stricts, l’efficacité réelle des médicaments et des tests. Sa persistance est souvent irritante, mais elle est toujours mue par la preuve. Donc, j’ai confiance en Gøtzsche. Ma confiance est fondée sur une preuve solide et ma propre expérience de plusieurs décennies à avoir dû me débattre avec ce qui résulte de l’influence de l’industrie pharmaceutique sur mes collègues en recherche clinique, et sur la population. De plus, je fais confiance à Gøtzsche XVII XVIII Remèdes mortels et crime organisé parce que je sais qu’il a raison quand il commente des évènements que je connais d’une manière indépendante. Le dernier motif de la confiance que j’accorde au récit de Gøtzsche est lié à mon expérience de chef de la rédaction d’un très grand périodique médical. Les chefs de rédaction sont les premiers à prendre connaissance d’un rapport écrit provenant d’un établissement de recherche. Les chefs de rédaction et leurs réviseurs identifient les problèmes de préjugés dans les articles proposés à leur périodique et c’est aux chefs de rédaction qu’on achemine les plaintes et les allégations. J’ai écrit, puis répété, des éditoriaux indignés décrivant les comportements incompatibles avec l’éthique de chercheurs soutenus par des intérêts commerciaux et leurs commanditaires. Au moins trois autres rédacteurs en chef que je connais bien, les Drs Jérôme Kassirer et Marcia Angell (New England Journal of Medicine) et Richard Smith (British Medical Journal) qui ont écrit des ouvrages dans lesquels ils ont fait état de leur consternation face à l’ampleur du problème. D’autres rédacteurs en chef, comme Fiona Godlee du British Medical Journal, ont écrit d’une manière éloquente au sujet de l’influence corruptrice de l’argent et de la manière avec laquelle il détourne le traitement des patients et augmente les coûts. Je ne prétends pas endosser tous les faits décrits par Gøtzsche – ceci étant un avant-propos et non une vérification – mais le tableau général qu’il trace n’est que trop familier. Bien que Gøtzsche puisse paraître exagérer, mes propres expériences décevantes et celles d’autres rédacteurs en chef et de chercheurs que je connais personnellement me disent qu’il a raison. Dans un cours que je donnais à un auditoire de juges, je remarquais que les chercheurs cliniciens et les membres de la profession juridique utilisaient le même mot, « essai », pour désigner deux procédés différents, l’un juridique et l’autre scientifique. Parlant au nom de ma profession, je me devais de reconnaître que les essais juridiques étaient réalisés d’une manière qui était plus juste et mieux fondée sur l’éthique que les essais scientifiques. (Gøtzsche cite cet exemple à la page 83.) Gøtzsche fait des propositions et appelle une révolution. À mon avis, rien ne changera tant qu’on n’aura pas complètement isolé l’évaluation de la performance des études du financement des mêmes études. Nous fondons nos traitements sur les résultats d’études cliniques de sorte que ces résultats deviennent des questions de vie ou de mort. Les patients qui acceptent d’être intégrés dans les études s’attendent à ce que leur sacrifice bénéficie à l’humanité. Ce qu’ils ne peuvent deviner, c’est que leurs résultats soient cachés puis manipulés comme autant de secrets commerciaux. Ces résultats sont des biens collectifs et ils devraient être payés par l’État, utilisant les taxes payées par l’industrie, puis