l`enfant sauvage - collegesaucinema

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l`enfant sauvage - collegesaucinema
L’ENFANT SAUVAGE
Ce film pose la question : qu’est-ce qu’un homme ? Quel est le
rapport entre la nature et la culture ? Quel est la place de « l’autre » ?
En préambule il faut rappeler que l’histoire de « Victor de l’Aveyron » est réelle. Il a
été effectivement capturé dans l’Aveyron au début du XVIIIème siècle. Le docteur Itard était
un grand médecin de l’époque qui travaillait à l’Institution Nationale des sourds-muets de
Paris et son collègue, le docteur Pinel est considéré comme l’un des fondateurs de la
psychiatrie. C’est l’histoire vraie d’un sauvetage moral. D’un « idiot irrécupérable », Itard fit, à
force de patience et de soins, un être humain qui, s’il ne réussit jamais à parler, (aujourd’hui
on sait qu’il existe des périodes à ne pas dépasser pour l’acquisition de certaines facultés et
notamment du langage mais on ne le savait pas encore à l’époque) put se tenir debout,
marcher, se vêtir, lire, manger comme un homme, éprouver des sensations et des
sentiments humains et vivre dans la civilisation de longues années.
Le film prend ses sources dans deux rapports rédigés par le docteur Itard qui
venaient d’être réédités en 1964, 5 années avant que Truffaut le mette en scène en 1969. Il
en avait lu le compte rendu dans la presse. Ils sont considérés comme les 1ers essais de
pédagogie expérimentale (notamment redécouverts par Maria Montessori). Les raisons
biographiques qui font que ces rapports ont touché Truffaut sont sans doute un écho dû au
fait qu’il n’a pas été voulu par sa très jeune mère (17ans), que celle-ci l’a toujours considéré
comme une gêne et qu’il n’a pas connu son père. (1ères années en nourrice avant d’être
élevé par sa grand-mère. A 8 ans, au décès de celle-ci, il retrouve sa mère. Il est privé
d’affection, se réfugie dans la lecture, petite délinquance, décrochage scolaire, 1ère fugue à
11ans.). En d’autres époques, aurait-il pu connaître le sort de ce petit « sauvage »
abandonné ? « Un enfant illégitime, encombrant, dont il fallait se débarrasser » dit-il sous le
masque du personnage du docteur Itard.
Les personnages
Victor :
Faire comprendre le sujet de ce film : l’éducation d’un enfant sauvage ; le rôle des
rapports humains dans la possibilité de l’être humain de devenir vraiment un homme,
Comparaison avec d’autres « enfants sauvages » connus de nos élèves : Tarzan et
Mowgli, Pour réaliser ce que ce film montre d’étonnant et d’inédit. Finalement cela nous
amènera à nous interroger sur la place de l’affection dans l’éducation.
Au contraire de Tarzan et Mowgli Victor est chétif, nu, sale, ses cheveux sont longs et
crasseux, ses ongles ressemblent à des griffes. Il marche à quatre pattes, grimpe aux
arbres, pousse des cris, griffe et mord. Il dort dans un terrier. Il mange le poisson cru et peutêtre vivant. Les animaux ne sont pas ses amis (nombreuses cicatrices sans doute dues à
des combats), il est solitaire et n’hésite pas à tuer un chien.
Il n’a aucune des caractéristiques culturelles de la vie en société : se laver, se vêtir
prendre soin de son corps et de son apparence.
Tarzan et Mowgli sont des héros débrouillards et actifs, que l’on admire et à qui on
s’identifie facilement. Victor au contraire ressemble à « une bête sauvage » pour qui nous
pouvons avoir de la pitié mais sûrement pas de l’admiration.
Il est très différent de nous, son comportement nous restera largement étranger.
Dans le film il va traverser différentes étapes : perché puis terré, puis capturé. C’est
une chute dont Itard le relèvera. A la fin il monte les escaliers.
Dans l’Aveyron : Le sauvage ressemble à un animal et est considéré ainsi. Il est
chassé comme un animal avec des chiens et enfumé dans son terrier de la même façon. Il
dort enfoui dans la paille et manifeste son affolement par des mouvements incontrôlés
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comme une bête prise au piège. Il brise même la fenêtre avec sa tête. Le gendarme le tient
en laisse. A part un paysan qui le traite avec douceur, personne ne semble le considérer
comme un être humain. L’ensemble de la séquence est assez violent.
A l’institution : passage à l’anormalité (16min 53) . Bête de foire pour les Parisiens.
Idiot pour les scientifiques. Maltraité par les enfants sourds-muets. L’enfant attire la curiosité
des scientifiques et des autres enfants. C’est « l’idiot ». Il reste sous la pluie, s’enfouit sous
les feuilles mortes, dort sous le lit. Physiquement il est normal. C’est son comportement qui
l’apparente aux « idiots » de Pinel. « Il est au-dessous de l’animal». Il se balance (comme
autistes ou animaux enfermés seuls).
Il a une audition bizarre (pas gêné par les bruits violents mais sensible à ce qui lui est
utile : bruit d’une noix que l’on casse). Par contre il renifle ce qui attire son attention comme
le miroir où il se voit pour la 1ère fois mais sans se reconnaître bien sûr. Il n’a pas atteint le
stade du miroir, il n’a pas d’identité propre. Indifférent à tout, son regard ne fixe rien. Il voit
sans regarder, il entend sans écouter. Plus tard on n’apprendra qu’il n’éternue pas (la 1ère
fois que cela lui arrivera, cela lui fera peur. Il n’est pas sensible au chaud ni au froid. Il peut
saisir des braises et supporte l’eau bouillante. Il n’y a pas de naturalité des sens.
Il n’est pas en relation avec le nouveau monde qui l’entoure. Pas de sentiments, pas
de sourires, pas de pleurs, pas de rires. Emotions brutes : plaisir quand il boit de l’eau, peur
mouvements désordonnés et cris.
Il est traité comme un objet d’étude. On ne s’adresse pas directement à lui. (sauf
l’infirmier, mais cela sonne plutôt ironiquement !). Il est objet aussi pour la caméra qui ne
donne jamais son point de vue.
L’évolution chez le docteur Itard :
Il fait tout pour la première fois. Cela touche le docteur Itard. Nous avons oublié tous
les efforts que nous avons fournis pour simplement marcher debout… Avec lui, nous
prenons conscience que ce qui nous semble « naturel » ne l’est pas comme se tenir debout,
monter un escalier, manger dans une assiette avec une cuillère, se couvrir, marcher avec
des chaussures, éternuer, dormir dans un lit, utiliser une clé…
Allure physique : Propreté, hygiène… (Lavé, habillé, chaussé, cheveux et ongles
coupés.) , signes extérieurs de la civilisation. Il se tient debout. Puis il va courir debout même
s’il ne sait pas marcher calmement. Au départ s’exprime par des mimiques, frappe des
mains comme avec l’eau et la brouette quand il éprouve du plaisir. Assez vite communique
par un « langage en action ».
Il n’est pas autiste. Il n’est pas « idiot » non plus » comme le montre sa « stratégie »
pour retrouver la place des lettres de l’alphabet. Il est dans l’ensemble assez docile.
Tendresse 1h (pas échange de regards). Iléveloppe son intelligence :
- capable de logique associative.( mettre un objet sur la forme correspondante)
- acquiert le langage. La voyelle « o », associer le mot et la chose, l’écriture. « lait » 4
- Socialisation : séquences avec la famille Lémeri. On lui donne un nom. (42mn 24)
-Finalement il inventera un outil. (Dans la réalité ce sera sa seule invention…)
1h10mn15
- Il acquiert la notion du juste et de l’injuste.
- D’abord recroquevillé dans sa solitude, il éprouve peu à peu le besoin des autres.
Il découvre des émotions comme la colère, la révolte, la tristesse de l’échec, . le
plaisir de réussir ; des sentiments comme l’affection. Il apprend à sourire. (à Mme Lémeri
derrière la vitre.)
De sa vie sauvage il garde un rapport très particulier avec les éléments naturels.C’est
une relation physique, directe. Il semble manifester des sortes d’états extatiques sous la
pluie ou à la pleine lune. Il connaît des plaisirs intenses par exemple à courir dans la nature
ou à boire de l’eau qu’il boit souvent près de la fenêtre comme si boire de l’eau le remettait
en contact étroit avec la nature. (Le vrai Victor avait ce comportement.). Il a les mêmes
réactions d’intérêt de rejet ou de révolte que des élèves d’aujourd’hui face à l’effort et à
l’enfermement.
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Pour montrer son évolution, il est intéressant de le revoir dans la nature lors de sa
fugue et de comparer avec le début. Sa marche, quand il boit de l’eau il ne bat plus des
bras, il ne grimpe plus aux arbres et ne sait plus voler une poule. (voir avec la musique)
Itard
Médecin, directeur de l’institution des sourds-muets.
Il pense contrairement à son collègue Pinel que c’est l’isolement qui a fait de l’enfant
un sauvage et qu’il n’est pas idiot, même s’il présente les mêmes symptômes que les
malades de l’hôpital Bicêtre. Il croit donc qu’une évolution est possible. L’idiotie de Victor
viendrait d’un manque culturel et non d’une anomalie biologique. Cette insuffisance peut être
comblée par l’éducation. Il se propose de le démontrer par l’expérience. Au départ, Victor
n’est donc pour lui qu’un sujet d’étude.
L’image qui nous est donnée de lui au début est celui du savant. On entend d’abord
sa voix sur l’affiche de la tête d’écorché et il vient se placer devant. (Où chercher
l’intelligence humaine ?), puis la caméra détaille la pièce avec une grande profondeur de
champ et nous laisse voir la « décoration » : l’alphabet sourds-muets et autres documents
scientifiques, un écritoire, des plumes, des livres. C’est son univers.
Il semble froid et distant. Sans doute cela est dû aussi à son époque : les rapports
entre les éducateurs et les élèves, les pères et les enfants étaient placés d’abord sous le
signe de l’autorité, du respect, de l’obéissance et de la sévérité. (Aujourd’hui on tiendrait
davantage compte des besoins de Victor et notamment de l’affection qui doit accompagner à
nos yeux toute éducation.).
Itard a toujours un ton très calme. On a parlé d’une voix blanche. La voix de Truffaut
était très particulière. Cf. « la Nuit américaine ». Elle convient bien au personnage.
Itard n’exprime pratiquement jamais ses sentiments à son élève (il écrit ses pensées
personnelles mais ne les dit pas). Il sourit rarement (chez les Lémeri). Il n’a pas de gestes de
tendresse sauf quand Victor manifeste sa conscience morale. Pourtant il est inquiet à la
pensée de ne pas pouvoir le garder. Revenu de Paris sans réponse, il va réveiller Victor
dans sa chambre et a des gestes de tendresses guidés par Victor lui-même. A la fin on
ressent son angoisse lors de la disparition de Victor. Il passe une nuit blanche. Il ne s’agit
pas seulement d’une perte scientifique. Peut-être qu’il le découvre lui-même.
« Je suis content, Victor, tu es revenu chez toi. Tu comprends : tu es chez toi. Tu n’es
plus un sauvage même si tu n’es pas encore un homme.». Cependant il reste distant, parle
presque sans émotion et ne prend pas Victor dans ses bras comme madame Guérin mais le
tient par les épaules. Il reste dans son rôle de père traditionnel.
Il semble ne pas ressentir de plaisirs particuliers. Pas de vie sensuelle. Il semble ne
vivre que dans l’intellect, ce qui se traduit par son rapport à l’écriture qui tient le réel à
distance. Seule distraction : le jacquet !!! Mais quand il observe Victor heureux sous la pluie
ou sous la lune, il reste séparé de la nature par la fenêtre. Eprouve-t-il comme un regret de
ce manque ? Il a une relation symbolique avec la nature. Cela passe par l’écriture. Papier,
plume, encre, livres, affiches, abécédaires, c’est le monde d’Itard. Cadre sec et dépouillé
d’une existence austère qui semble consacrée à sa mission.
Il est cependant d’une grande humanité. Il manifeste une grande douceur et est doué
d’une patience infinie malgré des moments de découragement. Il n’accuse jamais son élève
mais les erreurs de sa pédagogie et l’insuffisance du pédagogue. En fait c’est un grand
pédagogue qui cherche les stratégies pour aider l’autre à apprendre.
Madame Guérin :
C’est la figure maternelle, douce, tendre, attentive et calin. Elle est sentimentale,
souffre à l’idée de ne pas pouvoir garder l’enfant et s’émerveille de ses progrès. Elle le
protège quand Itard va trop loin et sait apaiser ses crises. Elle s’adresse immédiatement à
Victor comme s’il pouvait comprendre et le traite comme un enfant normal. Elle lui fait visiter
la maison. C’est à sa voix qu’il réagit quand elle prononce le nom de Victor. Elle brille par
son humanité simple.
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Les thèmes
Le thème essentiel est : comment devient-on humain ? Comment cesser d'être sauvage ?
1)- L’EDUCATION : C’est le moteur du récit.
Il va s’agir d’aller de l’attention au vouloir et à l’imagination reproductrice (ce qui implique la
capacité de représentation et d’association) et enfin à l’imagination créatrice avec le portecraie.
Méthode :
- Il s’appuie sur les penchants, les besoins, les plus primaires de l’élève : la faim, la soif,
sur le plaisir comme avec son goût pour le lait. Itard s’appuie aussi sur ce qui est du ressort
du jeu comme le souffle sur la bougie ou le tambour ; plus tard sur son goût de l’ordre.
- La répétition. Tout ce que nous apprenons passe par la répétition. Dans ce film de
nombreuses répétitions marquent les étapes de l’évolution de Victor. (Relever les scènes qui
se reprennent est d’ailleurs être un axe d’étude.)
Les objectifs que s’est fixés Itard :
Réveiller sa sensibilité nerveuse : cf les bains bouillants qui l’amèneront à être
sensible au froid et à sentir la nécessité de se vêtir et donc à s’habiller tout seul. Les
aspersions de gouttes d’eau froide. Chaud froid plaisir. Mais aussi discrimination des
sensations par opposition.
Réveiller les oreilles qui n’ont servi qu’à l’avertir de la chute d’un fruit sauvage ou de
l’arrivée d’un animal dangereux. Ensuite il pourrait apprendre à parler. Tous ses sens se
perfectionnent à l’exception de l’ouïe. La sensation est à la source de toute connaissance.
Condillac, sensualiste du XVIIIème siècle.
Capter son attention : A partir de ses centres d’intérêt : cacher la noix après la lui
avoir fait sentir.
Etendre la sphère de ses idées et exercer ses facultés intellectuelles. En partant
de ses besoins, la faim, et de ses plaisirs, l’eau, Itard a inventé une véritable méthode
pédagogique.
Le point de départ est le goût de Victor pour l’ordre qui prouve aussi qu’il est arrivé à
observer le monde qui l’entoure et surtout qu’il a de la mémoire. Cf la place de la clé.
Il développe d’abord des capacités d’association puis d’abstraction avec l’usage du mot qui
désigne des choses. La complexité est croissante : les objets, leur images et les mots. Le
problème est d’étendre le mot à un ensemble d’objets, ex le livre de la chambre ou tous les
livres mais pas les carnets.). Le but est de le conduire à l’usage de la parole. Même
technique pour l’écriture, d’abord des gribouillis en rond, puis imitation des lettres.
Denière étape :L’acquisition de la conscience morale avec la punition injuste.
L’éducation a un aspect violent par les contraintes qu’elle impose à l’enfant. Nous
n’en avons plus conscience. Ex : les chaussures. Demander aux élèves quelles violences ils
ont l’impression de subir à l’école ?
Ambivalence : l’éducation est profitable mais le prive du bonheur d’être dans la nature.
2)-L’affectivité :
Finalement au cours de tous ces mois d’apprentissage (9 pour le premier rapport
d’Itard) ce qui s’est joué en profondeur c’est le tissage de liens affectifs profonds.
A la fin si l’enfant revient, c’est qu’il a appris à apprécier la compagnie du docteur
Itard et celle des autres humains, en particulier celle de Mme Guérin. Il recherche
maintenant l’affection de ses semblables. Itard lui-même découvre son attachement à
l’enfant. Cela explique l’émotion que nous ressentons à la fin quand apparaît cette dimension
si longtemps contenue : l’affectif, les sentiments qui ont été retenus si longtemps et qui
constitue en fait le sujet profond du film.
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Choix esthétiques
La parole et l’écrit
Le problème à résoudre : transcrire en langage cinématographique le rapport du
docteur Itard. Truffaut a eu l’idée de le transformer en voix off. Le problème de Truffaut était
de faire comprendre le film au spectateur. S’inspirant d’un fait réel, il est proche du
documentaire. L’image ne se suffit pas à elle-même. La voix off permet d’expliquer ce que le
docteur Itard enseigne à l’enfant, ce qu’il attend de lui (comme pour la punition injustifiée). Le
scénario très habilement a transformé les deux rapports d’origine en un journal de bord où
Itard note les progrès de Victor et ses propres réflexions. Ceci dit il a souvent repris mot pour
mot le texte d’origine.
En fait la voix off nous permet de suivre à la fois ce qu’il pense, ce qu’il écrit et ce
qu’il lit. Cette voix est essentielle au fonctionnement et à la compréhension du film.
La parole
Infans= celui qui ne sait pas parler. Sauvage -> Sylvia= la forêt.
Premières scènes avec les paysans, les parisiens et les enfants sourds-muets : la
parole est réduite à un brouhaha indistinct, un patois inaudible. (On comprend un peu mieux
le paysan qui s’est attaché à Victor et qui a réellement existé. Il s’était même proposé pour
l’adopter).
La parole devient articulée avec la première apparition d’Itard lisant le journal à voix
haute. C’est lui le garant du pouvoir intelligible des mots, les associant d’emblée à la
réflexion et à l’intellect (au détriment d’un rapport direct et extatique avec la nature ?).
Le traitement visuel des foules renforce cette idée. Elles sont indistinctes : les gens, paysans
comme Parisiens, sont filmés le plus souvent de dos. La curiosité les guide, seuls les
savants savent reconnaître en Victor un être humain.
La parole et l’écrit ont une place très importante dans le film.On l’a vu Itard revient
systématiquement à l’écrit (journal ou lettre). Victor, à son tour va prendre possession du
langage et de l’écriture. Cet apprentissage occupe une grande partie du film. Pendant
longtemps ce qui a fait l’humain, c’est l’usage de la parole. ( cf, l‘acharnement à faire parler
les sourds.) Victor tente de parler mais on sait maintenant que Victor avait irrémédiablement
dépassé le stade d’apprentissage de la langue orale.
A la fin, la réalité et l’image triomphent du mot : pendant qu’Itard écrit dans son
journal qu’il a échoué, la figure de Victor apparaît derrière la fenêtre, venant ainsi contredire
ce qui est écrit. Ici encore, le film traduit subtilement l’ambivalence des choses.
La distance
Le traitement de cette histoire par Truffaut est remarquable par le refus de l’émotion
et du commentaire. Le cinéaste donne les faits bruts, comme une réalité dont le sens n’est
pas donné ou n’est pas clair. André Bazin : « le cinéma comme un art d’un réel non encore
doté de signification ».
Le début du film est pratiquement muet ce qui crée une distance immédiate. Nous
observons les évènements sans trop les comprendre. Nous suivons les personnages de
paysans sans comprendre leur dialecte. Nous regardons chasseurs et chassé sans rester
avec les uns ou les autres.
La caméra accentue cette distance en privilégiant les plans généraux ou les plans
d’ensemble. L’enfant sauvage est pratiquement perdu au milieu de la forêt.
Aucun point de vue ne semble privilégié sauf dans les tout premiers plans où la
paysanne entend un bruit suspect et où la caméra nous montre ce qu’elle voit : une agitation
indistincte. Dans la suite de la séquence, la caméra suit indistinctement les poursuivants et
le poursuivi mais n’adopte pas leur point de vue .Les évènements sont montrés de manière
objective, a part les quelques éléments de dramatisation que nous avons étudiés.
Cette distanciation de la mise en scène correspond bien à l’attitude d’Itard.
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La séquence suivante débute par la voix du docteur Itard qui lit le compte rendu dans
le journal : pas de subjectivité mais les faits bruts. Remarquer la voix « blanche » de Truffaut.
Les marches dans la nature : Itard garde son maintien d’homme civilisé, marche d’un
pas régulier sans se détourner du chemin. Pas de plaisir. Il garde la nature à distance. La
caméra filme la scène en plan général ou d’ensemble, reste à distance et ne privilégie pas le
point de vue de l’un ou de l’autre. Au contraire dans les séquences d’apprentissage la voix
« off » du docteur (sa voix intérieure) nous pousse à privilégier son point de vue. Nous
n’avons jamais le point de vue de l’enfant. En fait la mise en scène de Truffaut, cette mise à
distance, nous empêche de nous identifier vraiment à l’un de ces personnages.
Autre procédé de mise à distance, tout ce qui dans ce film leur semble lointain. Ainsi
du style même du film :
Noir et blanc : Pour Truffaut, un vrai film doit se faire en noir et blanc. Idem pour
l’ouverture et la fermeture à l’iris. On peut noter également le « carton » du début : « l’histoire
se passe… » Pour le spectateur, cela fait « vieux film » et donc donne une impression
d’éloignement dans le temps. Ce procédé nous rapproche du XVIII ème siècle, surtout pour
nos élèves.
On peut aussi signaler qu’ici, ces procédés provenant de l’origine du cinéma,
conviennent bien au thème du film dans la mesure où Victor fait tout pour la première fois.
Nous sommes à l’origine de la socialisation et de l’humanisation. C’est le film des
« premières fois », Truffaut joue dans son film, avec Nestor Almendros, directeur de la
photographie.
Jeu sur les époques : Pas d'électricité, bougies, vêtement, cheval, diligence.
Procédés visuels qui distinguent nature/culture.
Intérieur/extérieur :
Truffaut met en évidence le conflit entre la civilisation et la nature en opposant la
nature et les maisons, l’intérieur et l’extérieur. Parmi les moyens utilisés notons
l’omniprésence du motif de la fenêtre qui marque la séparation et aussi le passage possible
de l’un à l’autre. La fenêtre est d’ailleurs aussi source de la lumière qui peut symboliser la
raison. Le « dedans protège mais aliène », le « dehors est toujours regardé, rêvé et désiré. »
Thème à la fois de la limite et de la limitation.
Fenêtres
I. Les fenêtres fermées.
a) Vues de l’intérieur :
Appartement d’Itard : écritoire placé devant la fenêtre fermée. Regarde vers extérieur
quand il évoque Victor. Victor est l’être du dehors, de la nature.
10mn : dans la grange où il est enfermé, Victor brise la fenêtre avec la tête en cherchant à
s’enfuir comme un oiseau.
Passage où enfant est sous la lune ou sous la pluie : Itard est coupé de la nature, de la
pluie et de la lune. C’est filmé en champ/contre champ
Elles sont souvent cadrées de l’intérieur comme un appel de l’extérieur. Cela donne un
sentiment d’enfermement. Cela traduit le désir de Victor de se retrouver dans la nature.
b) Vues de l’extérieur :
A l’institut, les deux savants observent Victor derrière une fenêtre fermée. Ils sont
radicalement différents de l’enfant. Il n’y a pas de liens entre eux à part la curiosité
scientifique. D’autre part la composition de l’image les maintient chacun dans un cadre bien
séparé. Ce sont deux théories qui s’affrontent.
Quand elles sont filmées de l’extérieur, elles peuvent donner un sentiment
d’enfermement mais être aussi le signe de la socialisation comme dans la scène où Victor
apprend à mettre son pantalon. Même chose après la punition injuste, Victor est vu de
l’extérieur, il est dans le monde des humains. 1h14mn09.
Parfois combinaison des deux, les deux mondes se complètent et interagissent l’un
en fonction de l’autre. : ex Chez les Lémeri arrivée de Victor vue trois fois depuis l’intérieur
de la maison. Socialisation. Notez que la fenêtre est fermée la 1ère fois, puis ouverte comme
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une invitation alors que Victor est en arrière plan, puis elle est entr’ouverte et c’est Victor qui
a appris à sourire qui s’approche d’elle.
II. les fenêtres entr’ouvertes : Cadrées de l’intérieur, elles sont un appel de l’extérieur.
Comme une hésitation entre deux mondes, entre deux vies. La fenêtre entr’ouverte à la fin :
c’est une possibilité du retour de Victor # fenêtre fermée dans la nuit : Itard n’a plus d’espoir.
III- Les fenêtres ouvertes : C’est souvent aussi un jeu entre les deux tentations, la nature et
la culture.
- Victor boit son eau ou son lait. Comme si le fait de boire le remettait en contact étroit avec
la nature et les plaisirs de sa vie d’avant.
- Arrivée de l’enfant dans la maison. Postée dans l’entrée, la caméra filme madame Guérin
qui guette l’arrivée du fiacre avant de sortir dans la cour pour accueillir le sauvage.
Remarquer l’évolution de la marche de Victor qui entre dans la maison presque debout et
commence à gravir péniblement les escaliers de même.
- Autre interaction intérieur/extérieur : l’enfant met la table et son tuteur arrive derrière la
fenêtre et explique le geste de Victor qui tapotait le ventre de madame Guérin avec son
écuelle.
- Victor se retourne vers l’intérieur de la maison : il reçoit son nom.
- La scène du mot « lait » : elle est vue de l’extérieur, à la fin. Le docteur Itard regarde vers
l’extérieur : pour lui, c’est un échec, Victor n’a pas compris le rôle du langage, il est encore
« de la nature » mais c’est aussi par là que l’on peut s’échapper quand l’appel est trop fort.
La dernière fenêtre : celle qui nous remplit d’émotion et de joie.
Escaliers :
- A l’institut : Pinel et Itard s’arrêtent au milieu des escaliers pour parler du sort de Victor.
(confrontation des deux théories ? Observer le point de vue , lacontre plongée : On ne sait
qui a raison.). Itard décide de le prendre chez lui. Plongée panoramique et travelling arrière.
- A l’arrivée de Victor chez le docteur. Plongée, gros plan sur le bas des jambes.(victoire de la
version de Pinel ?)
- A la fin, il gravit les escaliers avec madame Guérin, s’arrête pour nous regarder. (Victoire de
la version d’Itard ?)
Passage de l’état de nature à celui de culture. (# terrier, dormir par terre).
Autres motifs visuels : Le feu, la bougie connnotent la civilisation. La clé : en dessin,
placard du lait chez les Lémeri qui ouvre la porte de la connaissance et celles chez le dr
Itard, la clé n’est pas à sa place.
Cadre et mouvement de caméra :
Cadre souvent fixe. Composition : angles durs, morceaux de portes et de fenêtres,
lignes droites, murs blancs sans perspectives, tableaux noirs, couloirs. La composition
contraste avec les nombreux mouvements de caméra qui prennent en charge le désir de
mouvement, de liberté, d’espaces ouverts surtout de Victor. Ces mouvements luttent contre
l’emprisonnement du cadre, ils cherchent l’horizon, la perspective, celle de la nature comme
un enfant qui boit son eau.
D’un côté les cadres secs et dépouillés d’une existence austère dédiée à l’instruction
mais par laquelle tout être qui aspire à l’humanité doit passer. De l’autre le mouvement de la
vie et de l’espace qui traduit le refus de Victor de l’enfermement. Cf opposition : Victor dans
son arbre et ensuite à l’institut.
Ex de plan séquence : les voyelles. Pour André Bazin, l’idéal est le plan séquence qui
est censé nous donner la réalité brute.Ici, il est très travaillé.
Montage : cut, iris, fondu enchaîné.
Nous avons vu que le film commence sur une ouverture « à l’iris » et que ce procédé
permet de donner une impression d’éloignement dans le temps. Il y a plusieurs ouvertures
ou/et fermetures à l’iris dans ce film. En général pour ponctuer des étapes ou souligner des
moments forts émotionnellement :
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- passage de la prison à la diligence (13mn05)
- Victor vient de recevoir son nom (42mn)
- Victor heureux sous la pluie : mvt, pluie et cris / affiche d’écorché, statique, Vivaldi très
calme (59mn01).
le fondu enchaîné permet le plus souvent une ellipse dans le temps et/ou l’espace.
- passage de la forêt à la maison d’Itard : les deux personnages sont désormais liés grâce à
l’article de journal. 8mn42
- Mvt caméra= pensée du docteur= fondu enchaîné= enfant dans paille (9mn29).
- Après la fuite de Victor de la grande/traversée du village (10mn55)
- fondu en chaîné presqu’au noir. Passage de la nature et de l’eau sauvages à l’univers
clos, construit et à l’eau enfermée de l’institut. Ce passage est souligné par le mouvement
de caméra qui s’éloigne de l’arbre par un travelling arrière accompagné d’une plongée.
(14mn40)
Autre procédé de montage : « cut » : utilisation dans les deux premières séquences où il
amène suspense et violence.
Il y a d’autres façons d’accompagner ce montage.
- raccord cut sur le mot : Itard écrit le mot gendarmerie/ la gendarmerie de Rodez (12mn 24).
- « les Parisiens veulent te voir »/ scène avec les Parisiens 22mn20.
- raccord sur regards (36mn). Le montage explique d’une façon très sobre pourquoi Victor
brise son bol. 1) Victor arrive chez les Lémeri ; l’armoire est fermée.2) vue sur la brouette
abandonnée (ce que voit Victor). 3) retour sur l’armoire, pb de la clé. 3) plan sur Itard qui
observe et arrive. Grande profondeur de champ : Lémeri aussi observe la scène. 4) Victor
obtient son lait et retourne à la fenêtre, voit la brouette et casse son bol. Itard ne peut pas
comprendre mais nous nous savons.
- raccord sur le motif du lait (44mn25).
- voix off , les pensées d’Itard/ écrit son journal (45mn42).
- Ellipse du voyage à Paris puis bougie, raccord sur musique et bougie à nouveau (1h06).
CONCLUSION
L’homme naît avec des aptitudes inscrites en lui mais elles n’existent, ne se réalisent
qu’en fonction du milieu. L’homme ne se développe qu’au milieu d’échanges avec les autres
hommes. Une génération forme l’autre.
Regard de l’enfant à la fin : dirigé vers le spectateur, ce qui est mis en valeur par la
fermeture à l’iris : quelle place lui réserve la société ? L’avenir de l’enfant, de tout enfant,
dépend de nous.
Ce film est l’histoire de l’apprentissage de la communication, une réflexion sur le rôle
de la culture et du langage. C'est surtout la révélation du rôle de l’affectivité dans tout
processus d’humanisation, du rôle de l’amitié et de l’affection dans l’éducation.Le film
souligne aussi l'importance du plaisir : eau, lait (éléments liés à la femme, à la mère).
Ambivalence : langage et humanité / langage qui tient le monde à distance.
Intellect et humanité / contact direct et heureux avec la nature.
A partir du moment où Victor a un minimum de culture, il ne peut plus retourner à la
vie antérieure, c’est un retour impossible à la nature. Question : Victor est-il plus heureux ?
N’est-ce pas trop cher payé pour être « bien élevé »?
Autres films sur ce thème :
Le livre de la jungle des Studios Disney (1967)
L'Enigme de Kaspar Hauser de Werner Herzog (1974)
L'enfant des loups de Philippe Monnier (1991)
Nell de Mickael Apted (1994)
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