Ce procès-verbal récapitule plusieurs séances d`interrogatoire. À

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Ce procès-verbal récapitule plusieurs séances d`interrogatoire. À
Ce procès-verbal récapitule plusieurs séances d’interrogatoire.
À cette époque, et jusqu’à récemment, le code de procédure
pénale ne prescrivait pas d’y mentionner les questions
posées. Le récit apparaît alors, à quelques lignes près, comme
un long monologue. Il convient bien sûr de l’analyser avec
circonspection: Tommy y ment par endroits (en particulier
sur les circonstances de son recrutement), et naturellement les
violences infligées n’apparaissent pas.
Les Archives de la Police n’autorisent pas de photographier
ou photocopier certains documents. Celui-ci en fait partie. Je
l’ai donc recopié, le plus fidèlement possible, sans corriger les
fautes ni les erreurs.
(Double carbone)
Vingt et Un Novembre Quarante Trois
Interrogatoire du nommé ELEK Thomas
Pierre Gautherie
Faisons comparaître le nommé ELEK Thomas, qui
interpellé décline son état-civil et répond comme suit à nos questions:
Je me nomme ELEK Thomas – je suis né le 27 (sic)
décembre 1924 à Budapest (Hongrie), de Alexandre et de Hélène
Hofmann. Je suis célibataire et je n’ai pas d’enfant.
Je suis de nationalité hongroise et de race juive.
J’ai détruit ma carte d’identité d’étranger qui m’avait été délivrée par la
Préfecture de Police au 1er janvier 1943, je pense.
Je n’ai pas de situation militaire.
Je n’ai pas de profession. Je continuais seul mes
études.
Je suis domicilié légalement 7, rue Roger, mais
j’habite en réalité depuis le mois de mai, 69, rue du Cardinal Lemoine,
chambre 22 à Paris (5ème), sous le nom de DESCHAMPS, je paie le loyer
annuel de 2.000 francs environ.
Je possède une instruction secondaire.
Je n’ai jamais été condamné.
SUR LES FAITS:
Je suis entré en France en 1930 venant de Hongrie.
De 1936 à 1938, j’étais sympathisant aux Etudiants Communistes, mais je
n’ai jamais adhéré à l’Organisation.
Au mois de mai ou juin 1943, j’ai revu l’un de mes
professeurs de mathématiques chez qui j’allais prendre des cours et j’ai
appris qu’il était en possession d’une fausse carte d’identité. Etant juif, et
ma carte d’identité étant périmée, je lui ai demandé s’il lui était possible
de me procurer une fausse carte. Il a accepté de m’en procurer une mais
à la condition que j’entre dans une organisation illégale dont le but était
de combattre les Allemands. Il m’a présenté un homme qui m’a
demandé de lui fournir une autobiographie et qui m’a interrogé sur ma
vie politique et privée. J’ai su par lui que j’étais entré dans les FrancsTireurs et Partisans et j’ai pris le nom de guerre de «TOMY» (sic). Je suis
passé par différents camarades pour finalement être présenté à
«GINO», commissaire politique du détachement, qui m’a présenté à
mon chef de groupe «RICARDO», qui m’a mis en contact avec les
membres du groupe, et notamment «CASSO» délégué politique et
«MARCEL» exécutant comme moi-même. J’ai réalisé en juin et juillet
deux tentatives d’attentat à dynamite, qui n’ont pas réussi. J’étais en
compagnie de «ROBERT» qui m’avait été présenté par «GINO». Je ne
me souviens plus du lieu de notre premier attentat; pour le second, je
crois que c’est aux environs de Rosny-sous-Bois ou sur sur-Seine; je ne
puis vous fournir d’indication. Nos expéditions étaient destinées à l’essai
d’un nouveau matériel de déraillement. Les deux engins fonctionnaient
théoriquement mais ils ne produisaient pas de bons résultats.
Nous n’étions pas armés et c’est «ROBERT» qui
apportait les engins.
Voici les déraillements ou tentatives que j’ai
réalisés en compagnie de mon équipe; ou plus exactement auxquels j’ai
participé1. Le 28 juillet, j’ai participé comme guetteur à un déraillement
sur la ligne Château-Thierry. J’étais accompagné de «PIERRE» qui est le
nommé BOCZOR dont vous me représentez la photographie et de
«JEAN CLAUDE». Mes 2 camarades ont déboulonné le rail entre 6
traverses et ils ont déposé une charge d’explosif. Le train est passé,
l’engin a fonctionné mais le train a continué sa marche normalement.
D. – Nous vous donnons lecture du communiqué
saisi chez un responsable de l’organisation et indiquant qu’une partie du
train avait complètement déraillé. Qu’avez-vous à répondre?
R. – La teneur du communiqué est inexacte.
Personnellement j’ai vu le train continuer sa marche.
Dans2 la nuit du 3 au 4 août, notre groupe sous le
commandement de «RICARDO» a déboulonné 15 traverses sur la ligne
Paris-Reims près de la gare de la Ferté-Millon. J’ai effectué un travail de
guetteur. J’accompagnais «RICCARDO» (sic) qui commandait
l’opération, «CASSO» et deux autres camarades. Je ne puis vous dire s’il
s’agit de «JEAN CLAUDE» ou de «ASSO». Il pleuvait à torrent et nous
1
2
En marge: déraillement d’un train sur la ligne Château-Thierry 28 juillet
En marge: déboulonnage de traverse sur la ligne Paris-Reims à la Ferté-Millon
étions mouillés jusqu’aux os. Je crois qu’un train de marchandise a
déraillé, mais je ne l’ai pas vu. J’ai appris ces renseignements par un
camarade qui se rendait chaque fois sur les lieux.
Le matériel nous avait été apporté par
«BOCZOR», nous possédions 2 ou 3 pistolets.
Notre3 équipe était au complet pour réaliser le
déboulonnage de traverses à Maison Rouge, je crois, que nous avons
tenté de réaliser dans la nuit du 12 au 13 août. Elle n’a pas réussi car
nous étions fatigués et nous ne possédions pas l’outillage nécessaire.
Participaient à l’opération: «RICARDO», chef de groupe, «MARCEL»
(Wajsbrot) et «CASSO». Le matériel nous avait été remis par
«PIERRE»» à notre départ de Paris; je faisais le guetteur et j’étais armé
d’un pistolet ainsi que mon camarade «MARCEL».
Contrairement à ce qui est affirmé sur le
communiqué des F.T.P., je n’ai pas participé dans la nuit du 17 au 18
août au déraillement d’un train de permissionnaires sur la ligne de
Montreau-Longeville; c’est vraisemblablement une autre équipe qui a
réalisé cette opération.
Dans4 la nuit du 20 au 21 août, en compagnie de
«Marcel» et de «Casso» et sous le commandement de «Ricardo» nous
avons déboulonné des traverses ou plus exactement «Ricardo» et
«Casso» ont déboulonné des traverses sur la ligne de Reims à Rethel
pendant que «Marcel» et moi faisions le guet. Nous possédions chacun
un revolver. C’était «Pierre» (Boczor) qui nous avait apporté les clés
avant notre départ.
Je crois qu’un train de marchandises a déraillé à la
suite de notre sabotage. Le résultat nous en a été communiqué par mes
camarades.
Comme5 pour les autres déraillements c’est
«Ricardo» qui nous commandait, dans la nuit du 27 au 28 août.
Notre groupe était au complet, c’est-à-dire «Marcel»,
«Casso» et moi-même, notre armement comportait en (sic) deux
pistolets qui étaient en ma possession et en celle de «Marcel». Je ne me
souviens plus si les résultats m’avaient été communiqués par l’un de mes
camarades.
Dans6 la nuit du 3 ou 4 septembre toujours sous le
commandement de «Ricardo», notre équipe renforcé (sic) d’un
camarade prénommé «Toscano» a exécuté un sabotage sur la ligne de
3
En marge: déboulonnage de traverses à Lechâtelet ou Maison Rouge 12/13
août 43
4
En marge: Déraillement sur la ligne Reims-Rethel 20-21.8.43
5
En marge: Déraillement d’un train de marchandises sur la ligne Paris-Troyes
27-28.8.43
6
En marge: Déraillement sur la ligne de Paris-Reims près le Loupeigne. –34.9.43
Paris-Reims près de Loupeigne. Des traverses ont été déboulonnées,
«Marcel» et moi faisions le guet. Le matériel nous avait été apporté par
«Pierre». Je ne me souviens plus du résultat. Je crois même que
l’opération n’a pas réussi.
Je n’ai pas participé, pour cause de maladie, au
déraillement près de Nemours, sur la ligne de Paris-Montargis le 20
septembre 1943.
Dans7 la nuit du 21 au 22 octobre un sabotage a
été effectué sur la ligne de Paris-Troyes près de la gare de Hermé, nous
étions 5 pour cette opération, et un nouveau recruté prénommé
«Henri».
Tout s’est déroulé normalement, cependant
«Ricardo» avait commis une erreur de topographie et il nous avait fait
marcher environ 20 km pour finalement revenir à 3 km de notre point de
départ. Comme pour les autres opérations, je faisais le guet avec
«Marcel». Nous étions armés chacun d’un revolver.
Le8 11 Novembre dans la nuit, nous étions p(?) «Marcel», «Henri»,
un camarade dont je ne me souviens plus du nom mais qui porte des
petites moustaches, sur la ligne de Troyes, aux environs d’Hermé, pour y
effectuer un déraillement mais des équipes de garde-voies patrouillaient
et nous sommes rentrés sans rien faire.
S.I.9 – En outre, en plus des attentats dont je viens
de vous parler j’ai effectué des reconnaissances d’objectifs sur voie ferrée
dans la région de l’est qui était spécialement réservée à notre groupe.
S.I. – Depuis le 17 Novembre, je n’ai plus revu
«Marcel» au rendez-vous que nous avions fixé. Je suis allé chez lui une
première fois samedi, j’ai frappé mais personne ne m’a répondu, c’est
pourquoi j’avais laissé un mot lui fixant un rendez-vous pour l’aprèsmidi. Ne l’ayant pas vu, j’y suis retourné le même jour et je lui ai laissé
un mot lui fixant une nouvelle rencontre où j’ai été appréhendé.
S.I. – Je n’ai jamais effectué d’autres attentats que
ceux sur la voie ferrée.
S.I. – C’est avec l’individu dont vous me
représentez la photographie et que vous me dites se nommer GLASZ
que je suis allé les deux premières fois essayer des engins explosifs. Je ne
l’ai jamais revu depuis le mois de Juillet. Je le connaissais sous le prénom
de «Robert», j’ignore son matricule.
S.I. – Je sais que «Ricardo» avait été rétrogradé et
était affecté à la base, cette décision ne lui ayant pas plu il avait quitté
7
En marge: Déraillement à Hermé sur la ligne Paris-Troyes 21-22.10.43
En marge: Tent.de déraillement dans la région d’Hermé 11-12.11.43
9
«S.I.» signifie «Sur Interpellation»: «On précisait de ce fait que les propos
retranscrits répondaient à une demande ou une relance de l’officier de police
judiciaire ou du juge…» (Les Procès-verbaux d’interrogatoire, Gildas Roussel, éd.
L’Harmattan, 2005).
8
l’organisation. Je crois que «Casso» qui était un de ses amis a quitté
aussi l’organisation.
S.I. – «Pierre» est le nommé BOCZOR dont vous
me représentez la photographie, c’est lui qui nous apportait le matériel
destiné à nos opérations. Il a effectué 2 ou 3 reconnaissances en ma
compagnie.
«Gino» est le commissaire politique du
détachement.
S.I. – Je constate que vous me représentez divers
objets et documents saisis sur moi ou à mon domicile. Je vais
m’expliquer sur leur provenance et leur destination.
La fausse carte d’identité au nom de
DESCHAMPS revêtue de ma photographie et portant le cachet de la
Police d’Etat de Seine et Oise, 4ème district, circonscription de Leraincy,
m’a été remise par «Gino», au début de mon activité. C’est avec cette
carte que je me suis fait inscrire au Conservatoire National des Arts et
Métiers et que j’ai loué la chambre que j’occupe 69, rue du Cardinal
Lemoine.
J’ai maquillé ma carte de la bibliothèque SteGeneviève.
Les deux photographies d’identité sont celles que
j’avais remises à «Gino» elles portent au dos, tous les renseignements
pour l’établissement de ma fausse carte.
Les 3 clés à tire-fonds qui étaient à mon domicile
sont inutilisables. Elles sont chez moi depuis quatre ou cinq mois. Je les
ai rapportées d’une expédition.
«La Vie du Parti» m’a été remise par «Gino»
pour ma documentation.
Le rapport manuscrit intitulé «Henri» m’a remis
la clé à tube» m’avait été réclamé par «Gino» à la suite de la perte d’une
tige. Je devais le faire passer à «Ricardo» mais celui-ci ayant quitté
l’organisation je l’ai conservé.
S.I. – Je portais dans l’organisation le pseudonyme
de «Tommy» et le matricule 10.306, j’étais appointé à raison de 2.300
francs net et je touchais mes titres de rationnement. J’étais appointé soit
par «Gino» soit par «Pierre», je rectifie «Pierre» m’appointait quand
«Gino» ne pouvait venir.
S.I. – J’ai appris par mes camarades que 3
dérailleurs avaient été appréhendés mais je ne les reconnais pas sur les
photos que vous me montrez. Jamais je n’ai travaillé avec eux.
Lecture faite persiste et signe
Le Commissaire de Police.

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