ch-38-malles - La malle en coin

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Malles
.
Valise en cuir de marque
Moynat, la valise moderne
n’est apparue
qu’au XXe siècle.
Elles ont
du coffre
Plates, bombées, cintrées, recouvertes de toile,
en métal et en bois, Jean-Philippe et Marie
restaurent tout type de malles.
Qui, dans son grenier, n’a pas un jour
découvert une malle renfermant des trésors
oubliés ? Jean-Philippe et Marie ne
s’intéressent pas à ces trésors mais à leur
contenant, les malles qu’ils collectionnent
depuis quelques années. Une passion qui a pris
une telle ampleur qu’ils n’envisagent pas de la
vivre seuls et qu’ils ont fondé une association,
Voyages, bagages et Cie, pour partager
toutes les connaissances qu’ils ont acquises
petit à petit.
Grande malle bombée recouverte
de toile enduite unie et cornière
en cuir du malletier
strasbourgeois Eugène Kuhn.
Cette malle porte une plaque
montrant qu’elle a appartenu
à Jeanne Kuhn, sans doute
une personne de sa famille.
P
our Jean-Philippe, le premier intérêt d’une
malle, c’est sa matière. “J’aimais bien le
bois, les meubles et je suis allé faire des formations en ébénisterie, en menuiserie, en tournage sur bois, en finition et, au fur et à mesure
de ces formations, j’ai appris, mais je suis amateur et je faisais cela pour rigoler !”. Sa santé le
contraignant à arrêter son travail, il profite de
ce temps libre pour s’adonner à son passetemps. “Mais la maladie a pris le dessus, je ne
pouvais plus soulever de meubles et, à ce
moment-là, je me suis mis à restaurer plus de
malles car ce sont des objets que nous aimons :
il y a du cuir, du bois, du laiton, du tissu.” Son
épouse, Marie, partage cette passion mais est
plus attirée par le travail du tissu. Le partage
des tâches s’établit donc tout naturellement.
Pour parfaire leurs connaissances, ils commencent par rendre visite aux malletiers qui exercent toujours le métier dans les règles de l’art,
notamment Goyard et Vuitton. Puis ils achètent
de nombreuses malles, les unes dans un état
parfois pitoyable et d’autres très bien conservées, des grandes ou des petites, des françaises
et des étrangères, et les démontent. En effet,
pour apprendre et saisir toute la technique mise
en œuvre, rien de tel que le démontage qui
n’est évidemment envisageable que sur des
malles à restaurer.
A l’identique ou en déco
Les malles, qui sont avant tout des objets utilitaires, ont parfois subi l’outrage des années.
Jean-Philippe et Marie adaptent donc leur restauration à l’état de la malle et à sa rareté. Pour
les malles “historiques”, ils restaurent à l’identique en conservant les éléments d’origine et en
s’employant à ne jamais faire d’opérations irréversibles. Les malles plus courantes et dégradées sont restaurées pour faire de la “déco” et
leurs propriétaires préfèrent généralement des
Grande malle de la maison Moynat
à Paris datant de la fin du XIXe siècle.
Elle est toujours recouverte de la toile
rayée imperméable et munie de poignées
en métal. L’intérieur contient un panier
et une pochette sur le couvercle.
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Camphrier et nécessaire de toilette en cuir.
Le bois de camphre était utilisé dans la marine
pour ses propriétés imputrescibles, on utilisait
parfois le camphre dans des malles destinées
à transporter des fourrures
pour les protéger des mites.
Malle plate transformée
en étagère, l’intérieur
a été entièrement
restauré et tapissé
avec un coutil bleu.
Malle-armoire
de poupée servant
de jouet à une
fillette. Elle est
recouverte d’un
papier imitant
la toile enduite
et capitonnée
de rose à
l’intérieur.
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Tout s’emballe
Malle armoire (wardrobe)
de la marque américaine
“The Totty Trunk” en carton
enduit. Années 30. L’intérieur
dévoile des tiroirs, une penderie
et en partie basse un logement
pour les chaussures.
L’une des serrures verrouille
la malle et la seconde
la penderie.
Très sobre en apparence,
cette malle plate de marque
Alligre et Dellac à Paris est
une malle commode dont
la façade est amovible.
Le couvercle capitonné
dévoile un panier.
Les malles les plus simples s’apparentent aux
coffres mais la différence notable est la construction. Alors que le coffre n’est pas destiné à
être transporté, la malle voyage et doit donc
être légère. Elle est généralement construite
en peuplier, assemblée avec des pointes, renforcée dans les angles et munie de poignées et
de sangles. Revêtue d’une toile imperméable,
elle est également capitonnée à l’intérieur. La
malle emprunte au départ sa forme au coffre
en adoptant un couvercle bombé construit
avec de petites lattes conférant une plus grande solidité. Les malles bombées ne se rangeant
pas rationnellement, la malle plate, qui peut
s’empiler, apparaît au milieu du XIXe siècle et
se généralise à la fin du siècle. Variation de la
malle plate, la forme cintrée est réalisée grâce
à une structure en bois courbé. D’Angleterre
sont importées, dès les années 1875, des “baskets”, malles dont la structure en osier, et non
en bois, est parfois recouverte de toile.
La taille des malles s’est peu à peu standardisée : la largeur des malles commercialisées par
Manufrance était généralement de 70, 80 ou
90 centimètres. Elle varie en fonction de leur
usage : les plus petites, les malles de poupée,
servaient aux fillettes à jouer ou à ranger leur
poupée. La véritable malle-cabine, à ne pas
confondre avec la malle-armoire, faisait une
hauteur maximum de 35 cm pour pouvoir se
glisser sous la couchette. La malle courrier avait
une hauteur de 50 cm et la malle haute de 70.
L’arrivée de l’automobile voit aussi la construction de malles spécialement destinées à être
fixées sur la carrosserie et dont les lignes épousent souvent le galbe de la voiture.
Les aménagements intérieurs sont aussi multiples. Les malles les plus simples contiennent un
ou deux compartiments, l’un destiné au chapeau et l’autre aux vêtements, ou des paniers
qui se superposent permettant un rangement
plus facile. Les malles-commodes possèdent
une façade amovible qui découvre des tiroirs.
Les malles-armoires qui reposent sur un petit
côté s’ouvrent et dévoilent généralement une
penderie, des tiroirs et un casier pour les chaussures. Certaines possèdent même un abattant
pouvant former écritoire. Aux côtés des malles
destinées à transporter des vêtements, une
multitude sert à des usages très particuliers :
on trouve des malles à chapeau dans lesquelles
on peut ranger un ou plusieurs couvre-chefs,
des malles spécialement destinées aux chaussures reconnaissables à la taille de leurs compartiments ou des malles destinées à ranger les
vêtements d’une troupe de théâtre ou d’un
créateur de mode. Certaines malles contribuent aussi au confort des passagers pendant
leur périple comme cette malle en osier se
fixant à la fenêtre d’un train et contenant tous
le nécessaire pour préparer son thé dans la plus
pure tradition anglaise : réchaud à alcool,
bouilloire, boîte à thé et tasses. D’autres, réalisées sur commande, emballent des objets très
précis : une canne à pêche, des livres ou un
instrument de musique…
Cette grande malle
de marque
“la malle Bernard”
originellement destinée
aux costumes d’une troupe
de théâtre ou d’un créateur
de mode a été reconvertie
en vestiaire.
Malle en osier de marque
“Old England” datant
des années 1900 contenant
un nécessaire à thé. Une fois
la malle amarrée à la vitre
d’un train grâce à sa poignée,
la préparation de thé à l’aide
du réchaud et de la bouilloire
pouvait commencer !
Trois malles de poupée de taille
différente à couvercle plombé.
Les plus grandes servaient
à ranger la poupée
et son trousseau,
les plus petites étaient
de simples jouets.
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Malle à chapeau de marque Moullera
à Lyon. Conçue pour ranger un haut-de-forme,
cette malle en cuir est équipée d’une pochette
dans le couvercle et d’un rangement
pour les gants.
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Les layetiers-emballeurs
se métamorphosent en malletiers
.
Malle cintrée en bois
de la marque Sturm datant
des années vingt. Les malles
cintrées ont été beaucoup
fabriquées en Allemagne
et en Autriche mais furent
aussi commercialisées
en France.
Malle basket en osier recouvert
de toile enduite noir et doublé
de tissu à l’intérieur. Ces malles
peu coûteuses d’origine anglaise
envahissent la France à la fin
du XIXe siècle.
Malle de pique-nique
en osier de marque
“Old England “
comprenant
six couverts
et ayant conservé
ses accessoires.
malles en bois brut qui semblent être un matériau plus noble que la toile enduite. Cette toile,
qui permettait d’étanchéifier le fût et le couvercle, a contribué au succès des malles, lors du
développement des transports ferroviaires et
maritimes au XIXe siècle. Elle a parfois disparu
sous la saleté, se révélant après avoir utilisé du
savon et de l’huile de coude, mais souvent elle
est irrécupérable et il faut remettre le bois à nu.
Il est ensuite plus simple de le laisser ainsi que
de rentoiler, ce qui nécessite un gros travail car
il faut déposer à la fois les lattes de renforts et
la bijouterie, c’est-à-dire toutes les parties
métalliques, serrures, clous et pointes. Les poignées en cuir ont aussi pu être sectionnées et
ne peuvent être changées que si l’intérieur est
complètement décapitonné. Quant aux cornières qui protégeaient les arêtes, elles étaient en
métal, en cuir ou en lozine. Cette fibre vulcanisée était d’une rigidité et d’une solidité à toute
épreuve sauf si elle se déchirait et devenait perméable. A l’intérieur, le tissu est parfois abîmé
ou a tout simplement disparu. Marie utilise
alors des cartonnettes qu’elle tapisse de tissu et
fixe ensuite sur le fût et le couvercle de la malle. Cette garniture peut ensuite s’enlever facilement si nécessaire. Lorsqu’ils récupèrent une
malle-armoire qui a perdu son aménagement
intérieur, Jean-Philippe et Marie préfèrent la
doter d’un nouvel aménagement plus conforme au mode de vie actuel plutôt que de réinventer. C’est ainsi que les malles changent de
moyen de communication passant de l’ère
ferroviaire à l’ère télévisuelle accueillant un
écran plat et des rangements pour la HI-FI.
Depuis le XVIe siècle, les malles étaient
fabriquées par la corporation des layetiersemballeurs dont les caisses permettaient
d’emballer des marchandises. Au XIXe siècle, la
facilité d’entreprendre des voyages, née du
développement des moyens de transport,
donne un nouveau souffle à cette profession,
qui tire son nom d’un petit coffre, la layette.
Présents dans la plupart des grandes villes
françaises, les layetiers fabriquent des malles
pour tous les usages et, pour certains, signent
leur production en apposant une étiquette qui
permet aujourd’hui de mieux les connaître. Ils
sont généralement spécialisés dans les “articles
de voyages” et parfois à la fois malletiers et
maroquiniers. Parmi les légendes de la
malletterie figurent les maisons parisiennes
Goyard et Vuitton. François Goyard prend la
succession de la maison Morel en 1853, trois
ans avant la naissance de Vuitton en 1856.
Après avoir recouvert ses malles de toiles unies,
rayées puis à damiers, Vuitton lance en 1896, la
célèbre toile monogrammée. Goyard emploie,
à partir de 1892, la toile à chevrons, qui est
encore utilisée à l’heure actuelle. Ces deux
maisons sont primées lors des expositions
universelles et ouvrent dès la fin du XIXe siècle
des succursales à l’étranger. Leurs malles sont
dès le début destinées à une élite. A Paris,
Moynat vendait également des malles de
qualité dont le prix reste aujourd’hui plus
abordable. Les malles ne sont évidemment pas
une spécialité française, on trouve aussi des
fabricants anglais, américains ou allemands,
comme Moritz Mädler. Les grands magasins
diffusaient également des malles tout comme
Manufrance dont le catalogue de 1912 compte
près d’une cinquantaine de modèles différents
sur quatre pages.
Malle de la marque “Goyard”
reconnaissable à sa toile
à motif de chevrons,
lancé en 1892.
Elle possède toujours
sa plaque d’identification.
Malle bibliothèque en cuir
de marque “Vuitton” datant
des années trente.
La bijouterie est marquée
du monogramme et comme
toutes les malles Vuitton,
elle est numérotée.
Des malles de toutes les origines
Cette malle a été
transformée en
malle “vidéo”.
Dans l’intérieur,
refait avec
de nombreux
rangements,
a été fixé
un écran plat.
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Jean-Philippe et Marie ne font pas de ségrégations et s’intéressent à toutes les malles quels
que soient leur pays d’origine et leur qualité.
Ainsi aux côtés des grands malletiers, on peut
admirer chez eux des malles américaines datant
de la fin du XIXe siècle. Les malles étant des
objets nomades par excellence, il n’est pas rare
d’en découvrir en Europe où elles débarquaient
des transatlantiques dans les ports. Elles sont
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Etiquettes du malletier parisien
Moynat. De nombreux malletiers
apposaient une étiquette à leur
nom dans leurs créations.
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Le musée de “Voyages, bagages et Cie”
est installé au grenier. A milieu des
malles, un diable spécialement étudié
pour transporter les malles dont les
poignées se transforment en béquille.
Deux malles américaines, l’une recouverte
de zinc embossé à décor floral datant
des années 1880 et l’autre plus récente
de la marque “Never Break”.
Malle-armoire américaine
de la marque
“The traveller”, datant
des années 40, conçue
pour un homme
dont la penderie est
équipée de cintres pour
les vestes et les pantalons.
Grande malle
bombée
recouverte
d’une toile
enduite
de fabrication
française.
Malle de voiture recouverte
d’une toile enduite.
La découpe du fût s’adapte
à la carrosserie
de l’automobile, sur
laquelle elle était sanglée
grâce aux passants
métalliques.
Moynat,
début du XXe siècle.
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souvent ornées d’une bijouterie très typée qui
permet de les différencier au premier coup
d’œil. En Angleterre, apparurent aussi des
malles en osier produites à un coût très faible
qui concurrencèrent les malles françaises.
Le désir de Jean-Philippe et Marie est d’augmenter les collections de leur musée, qui se
visite actuellement uniquement sur rendezvous, et de le compléter avec toutes sortes
d’objets anciens liés aux voyages. Des bagages
bien sûr mais aussi des objets plus anecdotiques comme une banquette de métro en
bois surmontée d’un porte-bagages ou un diable sophistiqué pour porter les bagages et
malles dont les poignées pivotaient pour servir
de béquilles. Leur association finance les nouvelles acquisitions en restaurant bénévolement des malles qui sont ensuite revendues à
des amateurs. Et maintenant que leur collection a grandi, ils recherchent des malles en
bon état de conservation ou signées de grands
noms quand elles sont encore à des prix accessibles. Car les prix des malles font le grand
écart : s’il est possible de chiner des malles
ordinaires et dans leur jus à partir de 50 euros,
il faut débourser 200 euros pour une mallearmoire simple et au moins le double pour les
malles-commodes. Mais une signature prestigieuse fait vite grimper les prix et les amateurs
de Vuitton, qui souvent d’ailleurs ne s’intéressent pas aux malles des autres marques, sont
prêts à débourser plusieurs milliers d’euros
pour la toile monogrammée. Les malles de
Goyard sont également très recherchées et
quasiment inaccessibles à moins de 1 000
euros. Jean-Philippe conseille aux amateurs de
privilégier d’autres marques comme Moynat
dont les modèles peuvent être de grande qualité et dont la cote est moins spéculative. La
règle d’or étant de préférer une malle qui
aura conservé tous ses accessoires d’origine, le
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nec plus ultra étant que les sangles de serrage
en cuir aient été préservées. Il est en effet très
difficile de trouver des pièces de rechange
pour compléter les serrures par exemple ou
refaire une poignée. Ces éléments ne se trouvent souvent qu’aux Etats-Unis et le prix d’une
serrure est parfois supérieur à la valeur de la
malle. Quant à la période de fabrication de la
malle, elle a, semble-il, moins d’importance
que sa qualité. Les premières malles qui datent
du milieu du XIXe siècle sont forcément plus
rares et plus recherchées mais durant l’âge
d’or de la malle, entre les années 1870 et la
Seconde Guerre mondiale, il est parfois difficile de dater précisément une malle. Pour les
grandes maisons, les spécialistes traquent les
étiquettes sur lesquelles sont parfois indiquées
les récompenses reçues lors de diverses expositions, ce qui indique forcément une date postérieure ou les adresses des différents
établissements de la marque qui donnent des
indices lorsque les créations ou déménagements des boutiques sont connus, ou un
numéro de téléphone qui atteste une fabrication du début du XXe siècle au plus tôt. Les
décors des tissus intérieurs donnent aussi des
indices : on peut trouver des motifs géométrisés typiques de l’Art Déco. Enfin, une toile de
marque peinte révèlera une malle qui a pu servir lors de la Seconde Guerre mondiale, certains propriétaires badigeonnant une malle un
peu trop voyante pour la rendre plus discrète !
Voyages, bagages et cie
Visite uniquement sur rendez-vous.
Site internet : la-malle-en-coin.com
Tél : 03.88.93.28.23
e-mail : [email protected]
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Cette malle, conçue pour une harpe,
n’a pas été fabriquée par un malletier
mais par le facteur de harpe italien Salvi.
L’ajout d’étagères a permis
de la transformer en dressing.
Malle en cuir
de la marque
“Bazar du voyage”
de Godillot.
Malle-armoire
recouverte de toile
enduite et équipée
d’un abattant
formant écritoire
et d’un emplacement
pour déposer son
chapeau. Le châssis
de la penderie
est amovible.
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