LES REGLES DE ROTTERDAM ET LA CMR

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LES REGLES DE ROTTERDAM ET LA CMR
LES REGLES DE ROTTERDAM ET LA CONVENTION CMR
QUELLES EN SONT LES IMPLICATIONS POUR LES TRANSPORTEURS
ROUTIERS ? (1)
1. CHAMP D’APPLICATION DES REGLES DE ROTTERDAM
Les Règles de Rotterdam ont pour vocation de s’appliquer, dans les relations entre
le transporteur multimodal et le chargeur non seulement au transport maritime
mais également au transport terrestre le précédant ou le suivant.
Supposons qu’un conteneur arrive par mer, sous le régime des Règles de Rotterdam,
à:
•
(2) Londres en provenance de Jakarta et à destination de Newcastle.
Le tronçon routier Londres – Newcastle est alors soumis aux Règles de
Rotterdam
•
(3) Rotterdam en provenance de Jakarta et à destination de Francfort.
Le tronçon routier Rotterdam – Francfort est alors soumis partiellement à la
Convention CMR (questions de perte, d’avarie ou de retard de la
marchandise) et partiellement aux Règles de Rotterdam (autres questions)
•
(4) Copenhague en provenance de Jakarta et à destination de Lund en
Suède.
Le camion est chargé sur un ferry Copenhague – Malmö et continue son
voyage à Lund. Ce tronçon Copenhague - Lund à bord d’un camion est alors
soumis à la Convention CMR
•
(5) Copenhague en provenance de Jakarta et à destination de Lund. Le
camion emprunte le pont Copenhague – Malmö (Øresundsbron) et continue
son voyage à destination de Lund. Ce tronçon à bord d’un camion est alors
soumis partiellement à la Convention CMR (perte, avarie, retard) et
partiellement aux Règles de Rotterdam (autres questions)
•
(6) Le Havre en provenance de Jakarta et à destination de Newcastle.
Le camion emprunte l’Eurotunnel sous la Manche et continue son voyage à
destination de Newcastle.
Ce transport Le Havre – Newcastle est alors soumis partiellement à la
Convention CMR (perte, avarie, retard) et partiellement aux Règles de
Rotterdam (autres questions)
On constate donc une pléthore de régimes juridiques.
On constate aussi clairement que l’application de tel ou tel régime sur le même
tronçon résulte du seul hasard.
Il y a une place libre sur un car-ferry, on y charge le camion et, par cet acte, on
soumet le transport à la Convention CMR.
Il n’y a pas de place libre sur un car-ferry mais comme il y en a sur un wagon
ferroviaire desservant l’Eurotunnel, on y charge le camion et, par cet acte, on soumet
le transport partiellement à la Convention CMR et partiellement aux Règles de
Rotterdam. Ces exemples peuvent être multipliés.
Toutefois, une observation importante doit être faite.
2
L’article 5 des Règles de Rotterdam prévoit qu’elles s’appliquent aux contrats de
transport dans lesquels le lieu de réception et le lieu de livraison sont situés dans
des Etats différents dont au moins un est devenu Partie contractante. Toutefois, selon
l’article 1 des Règles de Rotterdam, le terme « contrat de transport » est limité au
contrat entre le transporteur multimodal et le chargeur.
(7) Il résulte donc de ces articles, interprétés ensemble, que ces Règles s’appliquent
au contrat entre le transporteur multimodal et le chargeur, son partenaire contractuel.
En d’autres termes, tous les régimes susmentionnés s’appliquent à leurs relations.
Par contre, les Règles de Rotterdam ne s’appliquent pas au contrat de transport entre
le transporteur multimodal et les transporteurs terrestres.
(8) Vous vous souvenez que la Convention CMR contient les articles 34 – 40 réglant
l’adhésion des camionneurs successifs au contrat de transport conclu par le premier
camionneur et leurs rapports réciproques. Mais, aucune disposition similaire ne figure
dans les Règles de Rotterdam pour régler les rapports entre le transporteur
multimodal et les transporteurs terrestres.
En d’autres termes, pour soumettre le tronçon terrestre aux Règles de Rotterdam, le
transporteur multimodal devra négocier avec les transporteurs terrestres et obtenir
leur consentement pour une telle application.
Si le transporteur terrestre ne donne pas son consentement à l’application des
Règles de Rotterdam, qu’elles en seront les conséquences pratiques ?
Revenons à un de nos exemples.
(9) Un conteneur en provenance de Jakarta arrive à Rotterdam sous les Règles de
Rotterdam. Il est chargé sur un camion à destination de Francfort. Dans les relations
entre le transporteur multimodal et le chargeur de la marchandise, on applique alors
au tronçon routier partiellement la CMR et partiellement les Règles de Rotterdam.
Tandis que dans les relations entre le transporteur multimodal et le camionneur, on
applique exclusivement la CMR.
Quelles peuvent en être les conséquences et quel intérêt peut avoir le transporteur
multimodal pour imposer aux transporteurs terrestres l’application des Règles de
Rotterdam ?
La réponse est simple. Prenons par exemple la prescription. Les Règles de
Rotterdam prévoient une prescription générale de 2 ans à partir du moment de la
livraison. La CMR prévoit une prescription générale d’une année à compter du
moment de la livraison.
Si un chargeur reproche au transporteur multimodal une avarie non apparente et le
cite en justice une année et demie après la livraison, le transporteur multimodal peut,
en vertu de l’article 26 des Règles de Rotterdam, lui opposer la prescription
annale prévue par la CMR.
Par contre, si la réclamation du chargeur ne concerne pas la perte, l’avarie ou le
retard de la marchandise mais un autre manquement au contrat, par exemple le
manquement du camionneur concernant la collecte à destination de l’ensemble des
connaissements, le transporteur multimodal devra payer les dommages réclamés si
la réclamation est juste et présentée avant deux ans après la livraison.
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Toutefois, le transporteur multimodal ne pourra plus faire recours contre un
camionneur fautif car celui-ci lui opposera la prescription d’une année résultant de la
CMR. En d’autres termes, le transporteur multimodal devra payer de sa poche les
dommages occasionnés par le camionneur.
(10)Il est clair que pour éviter de telles surprises, le transporteur multimodal a tout
intérêt à calquer la responsabilité du transporteur terrestre sur sa propre
responsabilité résultant des Règles de Rotterdam.
Sur le plan pratique, il paraît que le transporteur multimodal ne réussira pas à
imposer les Règles de Rotterdam au transport ferroviaire suivant ou précédant le
transport maritime puisque, comme vous le savez, dans un port, il y a plusieurs
navires mais un seul chemin de fer et c’est lui qui dictera les conditions.
Hélas, la situation du transport routier est plus délicate.
(11) Certains camionneurs dont la position économique est suffisamment forte pour
ne pas accepter les contrats d’adhésion aux Règles de Rotterdam proposés par les
transporteurs multimodaux peuvent imposer l’application de la CMR au tronçon
routier et émettre la lettre de voiture CMR avec la clause habituelle, utilisée jusqu’à
présent, selon laquelle le transport routier sera soumis entièrement à la CMR.
Toutefois, il ne faut pas considérer que de tels camionneurs sont à 100% protégés
des inconvénients résultant de leur participation à l’exécution du tronçon routier du
transport multimodal. En effet, un chargeur, surtout dans un pays d’outre-mer qui
n’appartient à la CMR, peut le citer en justice devant un tribunal de son pays et sur la
base de la législation nationale concernant la responsabilité extra contractuelle. On
ne peut pas connaître à l’avance le résultat d’une telle action en justice.
S’il y a un nombre de camionneurs qui peut rejeter la proposition de transporter sous
les Règles de Rotterdam, il y en a aussi beaucoup d’autres plus faibles
économiquement qui, pour ne pas perdre une opportunité de transporter, seront
tentés d’accepter l’application des Règles de Rotterdam au tronçon routier.
Notre rôle consiste à les convaincre de ne pas le faire en leur indiquant qu’ils
s’exposeront à différentes difficultés pratiques et juridiques.
Passons donc aux inconvénients résultant de l’acceptation des Règles de Rotterdam
par un camionneur dans un contrat passé entre un transporteur multimodal et un
camionneur.
2.
APPLICATION DES REGLES DE ROTTERDAM EN VERTU D’UN CONTRAT
ENTRE UN CAMIONNEUR ET UN TRANSPORTEUR MULTIMODAL
2.1
Application des Règles de Rotterdam aux transports domestiques
(12) Il suffit, selon l’article 5 des Règles de Rotterdam, que le pays du port de
chargement, par exemple l’Indonésie, soit Partie contractante aux Règles de
Rotterdam pour que ces Règles s’appliquent au contrat de transport Jakarta Newcastle, y compris le tronçon routier, par exemple, Londres – Newcastle.
Le transporteur multimodal responsable de l’ensemble du transport entre Jakarta et
Newcastle selon les Règles de Rotterdam souhaitera les étendre au contrat de
transport conclu avec un camionneur anglais.
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Si ce dernier utilise les conditions générales de la RHA pour les transports
domestiques, il les remplacera par les Règles de Rotterdam.
Pour savoir si un tel contrat avec un camionneur pour l’application des Règles de
Rotterdam au transport routier à l’intérieur du pays sera reconnu ou pas, il faut se
référer à la législation de ce pays et sa jurisprudence.
2.2
Application des Règles de Rotterdam aux transports internationaux par route
2.2.1
Application des Règles de Rotterdam dans le cas où les deux pays où débute et se
termine le transport international par route n’ont pas adhéré aux Règles de
Rotterdam
(13) Supposons qu’un transport multimodal a débuté à Jakarta sous le régime des
Règles de Rotterdam, puis est effectué par transport routier sur le tronçon, par
exemple, Hambourg - Prague.
Le transporteur multimodal ayant convaincu un transporteur allemand ou tchèque de
soumettre le tronçon routier aux Règles de Rotterdam, ils concluent un contrat dans
ce sens.
Lors de réclamations à l’égard du transporteur routier portées devant un tribunal
allemand ou tchèque, les deux tribunaux considéreront, en vertu de l’article 41 de la
CMR, que le contrat conclu pour le tronçon Hambourg – Prague n’est pas valable et y
appliqueront la CMR.
Toutefois, il ne faut pas en déduire que les camionneurs sortiront indemnes de cette
affaire. En soumettant le tronçon Hambourg – Prague aux Règles de Rotterdam, les
camionneurs n’ont pas pu insérer une clause prévue par l’article 6 de la CMR selon
laquelle le transport Hambourg – Prague est soumis à la Convention CMR.
Par conséquent, en déclarant non valable le contrat soumettant le tronçon Hambourg
– Prague aux Règles de Rotterdam, le tribunal chargera encore les camionneurs,
conformément à l’article 7 de la CMR, de tous les frais et dommages subis par l’ayant
droit à la marchandise (par exemple, le destinataire) du fait que le transport routier
n’a pas été soumis à la CMR.
(14) La situation devient difficile pour les camionneurs en question si le litige n’est pas
porté devant un tribunal allemand ou tchèque, mais devant un tribunal indonésien, ce
qui serait conforme aux Règles de Rotterdam.
L’Indonésie n’appartenant pas à la Convention CMR, son tribunal peut considérer
qu’il s’agit d’un acte de mauvaise foi d’un camionneur qui connait la CMR et qui
réclame son application au tronçon routier alors qu’il a soumis lui-même ce tronçon
aux Règles de Rotterdam par un contrat séparé.
Par conséquent, il peut appliquer les Règles de Rotterdam au tronçon Hambourg –
Prague et, en leur vertu, partiellement la CMR et partiellement les Règles de
Rotterdam.
2.2.1
Application des Règles de Rotterdam dans le cas où un des pays où débute ou se
termine le transport international par route a adhéré aux Règles de Rotterdam
(15)La situation devient encore plus confuse sur le trajet Hambourg – Prague dans le
cas où l’Allemagne adhère aux Règles de Rotterdam.
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Et, qui plus est, lorsque le transporteur multimodal ne conclut pas un contrat séparé
avec un camionneur tchèque pour le tronçon Hambourg – Prague mais l’invite à
adhérer au contrat multimodal basé sur les Règles de Rotterdam.
Ce contrat peut prévoir que tous les deux deviennent transporteurs multimodaux
lorsque l’un d’eux effectue le transport maritime et l’autre le transport par route et que
tous les deux sont responsables solidairement à l’égard du chargeur indonésien. De
telles clauses ne sont pas interdites par l’article 79 des Règles de Rotterdam. Les
lettres de transport électroniques faciliteront même une telle solution. Au lieu de deux
contrats, le tribunal en aura un seul.
Si le litige est porté devant un tribunal indonésien, celui-ci donnera la préséance aux
Règles de Rotterdam.
La question se pose de savoir quel instrument juridique appliquera le tribunal
allemand lorsque ce litige sera porté devant ce tribunal. Appliquera-t-il ou non l’article
41 de la CMR au tronçon Hambourg – Prague pour invalider un tel contrat ?
S’il donne la préséance à la CMR, l’Indonésie pourra reprocher à l’Allemagne que
son tribunal a violé les Règles de Rotterdam à l’égard du chargeur indonésien. Par
contre, s’il donne la préséance aux Règles de Rotterdam, la République tchèque
pourra reprocher à l’Allemagne que son tribunal a violé la Convention CMR à l’égard
du destinataire tchèque et au détriment du camionneur tchèque.
Toutefois, si le litige est porté devant un tribunal tchèque, il donnera certainement la
préséance à la Convention CMR. De plus, le camionneur tchèque sera tenu pour
responsable de tous les frais et dommages résultant pour le destinataire en raison du
fait que le contrat auquel le camionneur a adhéré ne contenait pas une clause
prévoyant que le transport routier était soumis à la Convention CMR.
Dans les cas présentés, les camionneurs, mais aussi les chargeurs et les
destinataires de la marchandise, seront confrontés à une grave incertitude juridique.
On ne connaîtra pas à l’avance le verdict d’un tribunal et encore moins le choix d’un
instrument juridique s’appliquant au tronçon routier.
Qui plus est, les parties en litige seront encore confrontées à un différend préalable
concernant le choix d’un tribunal compétent pour leur litige principal. En effet, chacun
des avocats cherchera un pays dont les tribunaux seront les plus favorables à leur
client. Ce phénomène s’appelle joliment « Forum Shopping ».
Nous avons examiné les cas où les parties au contrat de transport vont aux
tribunaux.
Il ne faut pas perdre de vue que, dans la plupart des cas, les camionneurs, ne sont
pas conscients de leurs droits ou, même s’ils en sont conscients, ils souhaitent garder
un client important.
(16) Dans de tels cas ils se soumettront volontairement aux réclamations basées sur
les Règles de Rotterdam.
On peut, même penser que la majorité des camionneurs accepteront l’application des
Règles de Rotterdam aux réclamations concernant le tronçon routier.
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2.3
Inconvénients de l’application des Règles de Rotterdam
2.3.1 Perte, avarie, retard
Supposons que l’application des Règles de Rotterdam au contrat du camionneur
avec le transporteur multimodal soit reconnue valable.
Supposons que lors de la partie terrestre, la marchandise ait été perdue, avariée ou
que le transport ait été retardé.
(17) Il est clair que, dans ce cas, le tribunal comprendra les perte, avarie ou retard
dans le sens prévu par les Règles de Rotterdam. Il faut savoir que ces Règles et la
Convention CMR définissent profondément différemment les trois notions.
(18) Selon la CMR, le camionneur est tenu, en ce qui concerne le retard,
d’indemniser un préjudice qui, selon l’article 23, paragraphe 5, de la CMR, ne peut
pas dépasser le prix du transport. Le prix du transport multimodal est beaucoup plus
élevé.
Par contre, les Règles de Rotterdam prévoient que l’indemnité dans un tel cas ne
peut pas dépasser 2 fois et demie du fret du transport multimodal.
Le camionneur responsable du retard sera alors obligé de payer le montant
correspondant calculé sur l’ensemble du fret du transport multimodal et non
seulement celui limité au tronçon routier.
2.3.2
La prescription.
(19) Nous avons déjà mentionné que le délai principal fixé par la CMR est une année
à partir du jour où la marchandise a été livrée alors que les Règles de Rotterdam le
fixent à 2 ans après la livraison de la marchandise.
Dans le cas où les Règles de Rotterdam s’appliquent pleinement (transports
domestiques), le camionneur sera confronté à ce délai dans tous les litiges.
Par contre, dans le cas où les Règles de Rotterdam et la CMR s’appliquent
partiellement au transport, on peut considérer que le délai de 2 ans s’appliquera
certainement aux questions litigieuses qui ne portent pas sur la perte, l’avarie ou le
retard.
Il s’ensuit que tout camionneur qui consentira à transporter la marchandise sous le
régime des Règles de Rotterdam pourra s’attendre à des actions en justice, intentées
dans des pays ayant adhéré aux Règles de Rotterdam et ayant reconnu son contrat
comme valable, encore pendant 2 ans après la livraison de la marchandise.
2.5.2
Le tribunal compétent
(20) Il peut souvent arriver qu’un camionneur européen, consentant le transport sous
le régime des Règles de Rotterdam, soit cité en justice dans un pays d’outre-mer, par
exemple, en Indonésie ou en Corée, si la marchandise a été chargée sur un navire
dans un port indonésien ou coréen.
Nos camionneurs européens ne disposent d’aucune infrastructure leur permettant de
faire face aux réclamations provenant des pays d’outre-mer. Vu les frais de
déplacement et les frais inconnus de la procédure locale, ils seront souvent obligés
7
d’accepter la réclamation même si elle leur paraîtra injuste car cela pourra être moins
onéreux qu’un procès dans un pays lointain.
Bien sûr, les parties au contrat peuvent désigner un tribunal compétent. Toutefois, le
camionneur sera confronté au même problème si un contrat d’adhésion aux Règles
de Rotterdam prévoit la compétence d’un tribunal d’un pays d’outre mer et le
transporteur multimodal n’est pas disposé à changer cette compétence.
Passons au document électronique émis en vertu des Règles de Rotterdam.
3.
(21) DOCUMENT DE TRANSPORT ELECTRONIQUE
Les Règles de Rotterdam placent sur le même pied le document de transport utilisant
le support papier et le document électronique. C’est une très bonne idée. Toutefois,
elles ne fournissent aucun modèle du document de transport. On peut dire que cette
question reste encore en suspens.
On se souvient que la Commission de l’Union européenne examine la question d’un
document de transport unique pour tous les modes de transport, dont le transport
multimodal.
Ce n’est pas une idée nouvelle et, en outre, c’est une idée erronée.
La Commission économique pour l’Europe des Nations Unies a examiné déjà la
même question dans les années 80 du siècle dernier. Ce projet a été abandonné au
début des années 90 car il était finalement considéré comme irréalisable. Rien n’a
changé depuis lors. (22) Il suffit de jeter un coup d’œil sur les lettres de voiture
CIM(23) et CMR(24) pour se rendre compte des difficultés. La lettre CMR compte 24
rubriques, la lettre CIM 119.
Qui plus est, les réseaux ferroviaires COTIF et SMGS sont parvenus, après une
douzaine d’années de travail, à aligner les lettres CIM et SMGS sur un modèle
commun, ce qui permet d’effectuer sur la base du même document les transports
ferroviaires entre l’Atlantique et la mer de Chine. L’Union européenne est trop petite
pour changer la lettre CIM/SMGS. Elle devra obtenir le consentement notamment du
réseau SMGS qui échappe aux décisions de Bruxelles.
Toutefois, peu importe quel sera finalement ce document de transport multimodal, il
faut se rendre compte que sa version électronique aura beaucoup de difficulté à
s’appliquer au tronçon routier.
Comme vous le savez, le transporteur routier est obligé d’avoir à bord de son camion
un document de transport sur support papier. Ce n’est pas une exigence de la CMR
mais une exigence résultant du droit administratif de plusieurs pays européens dictée
par des raisons de sécurité publique.
(25) On se souvient que l’absence, à bord d’un véhicule routier, de la lettre de voiture
CMR sur support papier est sanctionnée par une amende qui, à titre d’exemple,
s’élève à 88 € environ en Allemagne et à 125 € aux Pays-Bas, mais à 1500 € en
Espagne et en France et jusqu’à 10.000 € en Belgique.
Cette sanction peut être complétée par l’immobilisation du véhicule et, dans les cas
graves, par l’emprisonnement du chauffeur.
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4.
CONTRIBUTION DES REGLES DE ROTTERDAM AU DECONGESTIONNEMENT
DES ROUTES
On se pose parfois la question de savoir si ces Règles peuvent avoir un effet positif
pour la mise en place de « l’Autoroute maritime », en permettant ainsi de réduire des
bouchons et d’augmenter la fluidité du transport routier grâce au transfert en Europe
des marchandises de la route à la mer.
La réponse doit être négative car, comme vous le savez, le camionneur ne peut pas,
de son propre chef, modifier le contrat de transport par route et envoyer un conteneur
ou un véhicule routier par mer.
Nous nous souvenons de la jurisprudence qui depuis une trentaine d’années oblige le
camionneur à indemniser l’expéditeur selon les règles de la CMR et non pas selon
les règles maritimes si cet expéditeur lui a confié le transport par route tandis que le
camionneur, pouvant entièrement effectuer ce transport par route, l’a effectué
partiellement par car-ferry. Pour remplacer(26) le transport routier par un transport
partiellement routier et partiellement RO-RO, le camionneur doit donc obtenir le
consentement de l’expéditeur de la marchandise.
Mais, quel expéditeur, agissant comme bon père de famille et pouvant choisir entre la
route et la mer, enverra sa marchandise par mer. Non seulement, son transport
prendra plus de temps mais cette marchandise sera exposée aux pertes et avaries
dont la fréquence est la plus élevée parmi tous les modes de transport.
(27) En outre, en cas de perte ou d’avarie, l’indemnité payée par le transporteur
maritime sera, actuellement 4 fois et, en vertu des Règles de Rotterdam, presque
trois fois moins élevée que celle payée par les camionneurs.
Quelqu’un parmi vous pourra me dire que, selon l’article 59 des Règles de
Rotterdam, il est possible d’énumérer dans le contrat de transport maritime tous les
colis groupés dans un conteneur ou dans un camion.
(28) Par exemple, si l’on inscrit qu’il y a 1000 téléviseurs dans un conteneur ou dans
un camion, l’indemnité due par le transporteur maritime peut alors s’élever à 1000 x
875 DTS soit 875 000 DTS. C’est exact, mais théorique, car souvent les
transporteurs maritimes ne permettent pas de telles inscriptions.
En outre, ils limitent cette indemnité. Actuellement, beaucoup d’entre eux payent
souvent 666,67 DTS, c’est-à-dire environ 808 € par conteneur ou par camion et son
contenu. Bien évidemment une telle indemnité est déjà ridicule en elle-même.
Voilà un des exemples.
(29) Norfolkline – General Terms & Conditions
8 (a) Each vehicle (whether consisting of a single unit, articulated unit or a trailer or
semitrailer) together with any containers(s), flat(s), pallet(s), packages(s) or
other equipment and together with their respective contents (if any) shall be
deemed to be one package or unit for the purposes of Art. IV, para. 5 (a) of the
Hague Rules.
8(b) The Carrier shall be entitled to limit its liability to 666,67 SDRs per package or
unit, and Article IV, para 5 (a) of the Hague Rules shall be read as though the
words "2 SDRs per kg of gross weight of the Goods lost or damaged, whichever
is the higher," were deleted.
9
En résumant ce texte en français, on peut constater qu’un véhicule routier avec son
contenu doit être considéré comme un seul colis ou unité.
Le transporteur maritime est autorisé à limiter sa responsabilité à 666,67 DTS par
colis ou unité. En outre, l’article IV, paragraphe 5 des Règles de La Haye doit être lu
comme si les mots « 2 DTS par kilo brut de la marchandise perdue ou avariée, lequel
est plus élevé » étaient biffés.
Vous trouverez les stipulations analogues dans des conditions générales de :
(30)
,
Certes, vous pouvez me dire que tous cela est possible en vertu des Règles de La
Haye-Visby et que peut-être cela ne sera plus possible sous le régime des Règles de
Rotterdam. Je dois vous décevoir. Les Règles de Rotterdam ne changent rien à cet
égard.
(31) La pratique actuelle est basée sur l’article VI des Règles de La Haye-Visby dont
les dispositions ont été reprises, malgré l’opposition formelle de l’IRU, par l’article 81,
lettre b/ des Règles de Rotterdam.
Après l’entrée en vigueur des Règles de Rotterdam, les transporteurs maritimes
paieront, en vertu de leur article 59, un peu plus, à savoir 875 DTS, c’est-à-dire
environ 1060 € par conteneur ou camion. Encore une fois, une indemnité ridicule.
Qui plus est, les Règles de Rotterdam vont, dans leur article 25, encore plus loin et
permettent au transporteur maritime de s’exonérer totalement du paiement de
l’indemnité lorsque les conteneurs ou les camions sont transportés en pontée.
En d’autres termes, rien ne changera après l’entrée en vigueur des Règles de
Rotterdam et aucune facilité juridique ne sera fournie pour créer « les autoroutes de
la mer » et décongestionner une partie du trafic routier.
5.
CONCLUSIONS
(32) La Convention CMR a été adoptée par 55 Etats. Grâce à cette Convention, les
règles du droit contractuel routier s’étendent de façon uniforme de l’Atlantique au
Pacifique.
L’entrée en vigueur éventuelle des Règles de Rotterdam briserait l’unité du droit
routier contractuel si les transporteurs multimodaux arrivaient à imposer leur
application aux camionneurs économiquement faibles.
Il n’y aurait plus un seul régime juridique uniforme dans le transport routier, mais un
imbroglio juridique, une mosaïque de régimes disparates et des camionneurs
confrontés aux conséquences juridiques et financières de ce changement.
La création de « l’autoroute de la mer », comme nous l’avons constaté, ne sera pas
non plus facilitée par l’entrée en vigueur des Règles de Rotterdam.
Pourtant, il faut faire quelque chose pour développer cette idée d’autoroute de la mer.
10
A titre privé et en tant que ressortissant de l’Union européenne, j’invite la Commission
européenne à abandonner des projets irréalisables comme un document de transport
unique et à retirer son appui, s’il existe, aux Règles de Rotterdam.
(33) La Commission européenne serait par ailleurs beaucoup plus inspirée en
demandant à la Commission économique pour l’Europe des Nations Unies de
reprendre les travaux, actuellement suspendus, sur le projet paneuropéen visant le
rapprochement des régimes de responsabilité civile dans le transport intermodal.
Ce projet concerne le transport terrestre et le transport maritime à courte distance,
dont les principes seraient basés sur la Convention CMR, également sur le tronçon
maritime.
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