Colloque sur l`enfant et les troubles des apprentissages du langage
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Colloque sur l`enfant et les troubles des apprentissages du langage
Colloque sur l’enfant et les troubles des apprentissages du langage oral ou écrit. Conférences, table ronde, ateliers Samedi 24 mars 2007 de 13h45 à 18h45 Campus de Beaulieu – Université de Rennes 1 Amphi Louis Antoine - Bâtiment 2A 263 av général Leclerc 35000 RENNES Pourquoi ce colloque ? • Aider et informer les familles et les enfants, et toute personne concernée, • Pointer l'importance des troubles spécifiques du langage oral et écrit dans les troubles des apprentissages: origines, manifestations, conséquences mais aussi rééducations, compensations, adaptations pédagogiques, • Echanger et réfléchir à des partenariats pour accompagner ces enfants en situation de handicap vers la réussite. http://www.avenir-dysphasie.asso.fr http://www.apedys.org/ Dyslexie Apédys35 http://www.dyspraxie.info/ Dyspraxique Mais Fantastique Programme Conférences 14 h 00 Pr Jean-Emile Gombert (Université de Rennes 2). L’enfant et l’apprentissage du langage oral et écrit : aspects cognitifs. Situation en France. 14 h 40 Dr Michel Habib (Neurologue CHU Marseille). Les syndromes « dys » et leurs causes cérébrales. Prise en charge des enfants par un réseau de santé pluridisciplinaire : l'exemple de Marseille. 15 h 20 Dr Olivier Revol (Pédopsychiatre à l'hôpital Neurologique de Lyon). Troubles des apprentissages et leurs manifestations comportementales chez l’enfant à l’école et dans la vie quotidienne : précocité, hyperactivité, angoisse, dépression. 16 h 00 Table ronde et questions de la salle – Débat animé par Anne Chevrel 16 h 55 Dr Catherine Allaire – Mr Dominique Mélo (Centre du Langage de Rennes). Dépistage, le bilan, la prise en charge, un état de lieux en Ille et Vilaine : Les soignants Le rôle des différents acteurs de la rééducation en relation avec l’Ecole. 17 h 05 Dr Maitrot (Médecin Conseil auprès du Recteur). Education Nationale et troubles du langage : Le Plan Action Langage – Les outils - Les médecins scolaires de l’Académie – les aménagements aux examens. 17 h 15 Mme Hanry (Inspecteur d’Académie ASH : Adaptation et Scolarisation des élèves Handicapés). Scolarisation : quelles organisations possibles ? : L’enseignant référent - Les écoles primaires et les établissements secondaires - L’équipe éducative et l’intégration des enfants - Le rôle de l'Auxiliaire de Vie Scolaire. 17 h 25 Mr Claude Delahousse (Maison Départementale des Personnes Handicapées). MDPH son rôle et ses nouvelles attributions : La loi du 11 février 2005 (scolarisation des élèves handicapés) Les démarches administratives : L’équipe technique - L’Allocation d’Education de l’Enfant Handicapé (AEEH) - Articulation avec l’Education Nationale. Les classes langage et le SSEFIS. 18 h 45 Clôture et pot de l’amitié – Echanges avec les intervenants et les acteurs de la vie local Table des matières L'acquisition du langage oral et écrit Professeur Jean-Émile Gombert ....................................... 4 "Dyslexie et syndrome apparentés : Où en est la recherche neuroscientifique ?" L'exemple du réseau Dys à Marseille Docteur Michel Habib ............................................................................. 11 Petits arrangements avec les apprentissages Manifestations comportementales chez l'enfant à l'école et dans la vie quotidienne Docteur Olivier Revol.............................................28 Table ronde avec : Michel Habib, Olivier Revol, Jean-Émile Gombert .......................................49 Dépistage, bilan, prise en charge des enfants dys État des lieux des pratiques en Ille-etVilaine Docteur Catherine Allaire, neuropédiatre, M. Dominique Mélo, psychologue clinicien .....................................................................................................................................................................63 L'approche des troubles du langage dans l'Éducation nationale Dysfficultés et réussite scolaire : la rencontre possible ? Docteur Claire Maitrot .............................................................72 Différents types d'organisation possible pour scolariser les enfants "dys" Mme Laurence Hanry, inspecteur d'académie ASH ....................................................................................................78 Démarches administratives nécessaires pour l'accompagnement des enfants "dys" M. Claude Delahousse (MDPH 35)...........................................................................................................................84 Conclusion ................................................................................................................................................ 101 Présentation Mme Anne Chevrel, journaliste coordinatrice Introduction à la journée. 3 L'acquisition du langage oral et écrit Professeur Jean-Émile Gombert, directeur du centre de recherches en psychologie cognition et communication (CRPCC), responsable de la sphère de psychologie du développement cognitif (Rennes 2) 1 J'ai choisi d'utiliser une technique presque pédagogique, qui a été initiée par une collègue de Londres, Uta Frith, technique reprise notamment en France assez souvent par notre collègue Franck Ramus, qui consiste à essayer de distinguer, dans l'ensemble des fonctionnements normaux, différentes instances. - il en est certaines qui relèvent de la biologie ; - il en est une autre, celle de la cognition ; ce terme un petit peu barbare désigne tout le fonctionnement du système de traitement de l'information humain ; - il y a, bien entendu, ce que l'on constate, ce que l'on voit, chez l'individu : c'est ce qui relève de son comportement ; et enfin, - il y a un rôle important : c'est celui de l'environnement qui joue sur ces différentes instances. Si je remonte dans la hiérarchie, il existe une instance vraiment importante dans la détermination des fonctionnements : c'est le fonctionnement cérébral. Comment fonctionne le système nerveux central ? Ce fonctionnement cérébral est notamment déterminé par des facteurs présents dès la naissance. C'est tout le poids du patrimoine génétique et également du congénital qui correspondent à tout ce qui est déjà installé, en quelque sorte, au moment de la naissance. Mais 1. Analyse des tests de la Journée appel pour la défense (JAPD). 4 le fonctionnement cérébral ne dépend pas uniquement de ce type de facteurs : il subit également l'influence de l'environnement. Si le système nerveux central ne reçoit pas de stimulations, cela entraîne bien entendu des dysfonctionnements. Le cerveau se comporte comme les autres organes, en quelque sorte : si on ne le fait pas fonctionner, il ne suit pas un développement optimal. Je dirais donc que l'environnement joue un rôle dès l'amont, dès la compréhension du substrat neurobiologique. Il existe d'autres instances qui relèvent de la biologie : ce sont les organes sensoriels. Lorsqu'on s'intéresse à la dimension du langage, on pense tout de suite à l'audition, bien sûr, elle qui va jouer un rôle tout à fait fondamental, mais on pense également à la vision (dont je pourrais démontrer l'importance pour le langage oral mais ce n'est pas l'objet ici) qui va jouer évidemment un rôle important dans l'installation du langage écrit. On pourrait évoquer aussi d'autres dimensions sensorielles, telles que la kinesthésie, qui est à l'oeuvre dans l'articulation, donc dans la production de la parole. Il existe donc une dimension qui s'avère tout à fait fondamentale. Ces instances biologiques vont avoir une influence déterminante sur la mise en marche et le fonctionnement de ce qui relève du traitement de l'information, des processus de la cognition. Je voudrais quand même signaler, dans ce domaine de la cognition, quelques dimensions qui semblent importantes ; il s'agit, notamment de : - la perception car, bien entendu, lorsque je traite une information, il faut que je puisse correctement la percevoir ; - l'attention : la capacité que l'on a à sélectionner dans l'environnement les éléments que l'on doit traiter et prendre en charge ; - c'est également la capacité à négliger, à inhiber la perception de tout ce qui n'est pas important pour le fonctionnement. Imaginez l'écoute de la parole dans le bruit : c'est un environnement dans lequel il me faut pouvoir sélectionner dans un ensemble de bruits, ce qui est de l'ordre de la parole, celle à laquelle je prête attention, et simultanément négliger tout ce qui constitue l'environnement sonore non pertinent. Il y a donc toujours cette dimension de capacité à sélectionner dans l'environnement, l'information pertinente ; - la mémoire également, bien entendu ; ainsi, tout traitement de l'information réclame que l'on maintienne en mémoire des éléments déjà perçus, soit que je viens de percevoir, soit que j'ai perçus auparavant, il y a plusieurs jours, plusieurs semaine sou plusieurs années. Ces éléments doivent être remobilisés dans le système pour être efficaces dans le comportement. Dans ce champ général de la cognition, je voudrais mettre en évidence deux types de processus qui me semblent particulièrement déterminants pour la mise en place des traitements langagiers : - la catégorisation, tout d'abord, qui est cette capacité à différencier correctement les objets que je perçois. C'est pouvoir regrouper dans la même catégorie tous les objets qui en sont des représentants. Par exemple, si je vois cent chiens différents, chacun d'eux est un chien ; c'est la catégorie Chiens. Si je veux pouvoir correctement classer les informations que je vois, il me faut 5 pouvoir différencier le chien du chat, de la vache... J'établis des classifications. C'est vrai également dans le domaine du langage : le même mot prononcé par des personnes différentes donne des configurations sonores, des bruits, qui sont différents. Pourtant c'est le même mot, un mot que je dois différencier d'autres mots qui lui ressemblent. Cette problématique, qui consiste à rassembler ce qui appartient à la même catégorie et à le différencier d'une autre catégorie, se situe tout à fait au coeur des processus de traitement de l'information. En ce qui concerne notre sujet, la fonction du langage, particulièrement le langage oral mais aussi le langage dans sa globalité, va occuper une place tout à fait centrale. Ce langage est en partie déterminé par des préprogrammations, des dispositifs inscrits dans la biologie. Si je nais humain, je dispose de tout l'équipement nécessaire pour installer le langage, tandis que, si je nais ver de terre, j'aurai beaucoup plus de difficulté : je ne suis pas pourvu des mêmes préprogrammations pour installer le langage. Il existe donc une préprogrammation biologique et celle-ci s'avère évidente ; mais je n'apprends pas à parler si je ne vis pas dans un environnement linguistique. On voit donc également que l'environnement joue un rôle tout à fait déterminant. Les caractéristiques de mon environnement linguistique, celles du langage que je perçois et celles des échanges langagiers que j'ai avec mon environnement vont en grande partie déterminer les caractéristiques de mon langage, de celui que je suis capable de maîtriser. Dans cet ensemble langage, je voudrais différencier deux types d'instances : - d'une part, celle qui relève des connaissances linguistiques que je relie directement à l'environnement. J'entends par là ce que j'ai installé directement sous l'influence de mon environnement, du langage qui m'entoure. On peut notamment citer le lexique, le vocabulaire : ainsi, les mots que je maîtrise, ceux que je connais sont ceux qui ont été utilisés dans mon environnement. Plus généralement, c'est tout ce qui concerne la langue que je maîtrise, plus particulièrement "ma" langue, c'est-à-dire ma langue maternelle, celle de mes parents, celle que j'entends parler autour de moi. - c'est, d'autre part, celle qui relève des compétences. Peut-être que certains linguistes parleraient de l'incompétence" linguistique, qui elle est prédéterminée par les préprogrammations biologiques, même si celles-ci sont, bien entendu, nourries par l'environnement. Parmi ces compétences, on trouve : la syntaxe, ce terme quelque peu barbare qui désigne les habiletés que j'ai installées à traiter les phrases, à les comprendre et à les produire, en quelque sorte à construire du langage à partir d'un ensemble de mots. C'est tout ce système de règles qu'on installe, sans s'en apercevoir, lorsque l'on apprend à parler ou à comprendre. Je voudrais également signaler ce qui relève de la morphologie, pour les linguistes cette capacité dont on dispose à construire le sens des mots, à comprendre que chaton désigne un petit chat, que certains mots sont construits à partir d'autres pour dessiner des champs sémantiques. Il est une instance très importante lorsque l'on s'occupe des apprentissages, des fonctionnements et des dysfonctionnements : c'est la phonologie. Il s'agit de ce système qui 6 permet de construire des mots à partir de briques sonores dépourvues de sens, de segments qui ne veulent rien dire s'ils restent isolés. Cette dimension phonologique semble tout à fait difficile à percevoir par certains individus. Je voudrais vous proposer un exercice que je fais assez souvent subir à mon auditoire. Je vais prononcer devant vous, en un seul souffle, des suites de consonnes, des sortes de syllabes sans voyelles. L'exercice n'est pas facile. Votre rôle va consister à essayer d'analyser ces suites-là, à trouver quelles lettres vous ajouteriez pour écrire ces suites de consonnes : - la première suite que je vous demande d'analyser, c'est tsp. Je la répète : tsp. On entend une sorte de i résiduel, mais c'est pour sonoriser les consonnes ; n'en tenez pas compte ! Seules les consonnes m'intéressent ; - la deuxième est différente : c'est ptsp ; vous entendez que ce n'est pas le même. Si vous trouvez que c'est la même, c'est que vous avez faux. Donc, c'est ptsp. Pourquoi se livrer à cet exercice-là ? C'est pour vous confronter à des suites prononcées que vous n'avez pas l'habitude de manipuler, auxquelles vous n'avez pas l'habitude de réfléchir. Lorsqu'il s'agit d'en analyser les segments, vous vous rendez compte de la difficulté : - la première s'écrit tsp. Vous avez faux ! - la seconde c'est pst. Là, vous avez bon ; C'est normal. En effet, - la première séquence viole des règles linguistiques liées à des profils de sonorité dans les mots : on ne la trouve pas dans les mots prononcés dans les langues ; alors que - la seconde constitue une suite possible, légale ; elle s'avère donc plus facile à analyser. Ce petit exercice veut vous montrer l'intervention d'une dimension qui a trait au langage : c'est la construction des mots. C'est avec ces briques-là que l'on construit des mots. Dans des perspectives d'apprentissage, on se dit : "Mais bon sang ! C'est bien sûr. Quand je vais apprendre à lire et à écrire, il va falloir que je sois capable de faire correspondre à ces éléments, des lettres ou des groupes de lettres. Or, si je ne suis pas capable de le faire à l'oral, comment vais-je pouvoir faire des transpositions de l'écrit à l'oral ?". C'est de façon très brève, cette problématique de la conscience phonologique du lien entre la phonologie et l'écrit. Tous ces éléments, qui relèvent du traitement de l'information, dépendent fortement de ce que j'ai appelé ici : l'exercice. Je répète que certaines préprogrammations interviennent, bien sûr, qui sont liées à la biologie ; mais certains instruments ou traitements se construisent aussi à travers la répétition de ces comportements. Ces exercices, constitutifs en quelque sorte de la construction du système de traitement de l'information, vont également avoir une influence importante sur l'*habileté* à se comporter. A cette dernière ligne Comportement, je vais m'intéresser volontairement davantage au langage écrit, sur ce qu'on doit installer dans les apprentissages scolaires, qui dépend non seulement de la biologie ou du traitement de l'information, mais beaucoup de la pédagogie, des interventions extérieures. Car celles-ci vont, en quelque sorte, permettre à l'enfant de construire des 7 compétences nouvelles que soit il a du mal à construire soit il ne peut pas construire seul sans un accompagnement. Dans cet ensemble environnement, la dimension pédagogique représente évidemment un élément essentiel, à la fois comme fondateur et éventuellement comme déconstructeur. Si la pédagogie apporter une aide, elle peut de temps à autre produire des effets négatifs si le matériel qu'elle présente à l'enfant ne correspond pas au fonctionnement du système de traitement de l'information. Les compétences à construire sont multiples : ainsi - pour lire, je dois être capable non seulement de traiter les lettres mais également, notamment, de les catégoriser correctement et de considérer, par exemple, que des lettres qui se présentent visuellement différemment sont une même lettre (en majuscule, en script, en minuscule, en différentes polices de caractère). En revanche, deux lettres qui se ressemblent, se distinguant seulement par l'orientation peuvent représenter des lettres différentes, par exemple comme le d et le b minuscules en script. C'est bien un problème de catégorisation pour arriver à correctement traiter les lettres. - S'agissant du traitement des phonèmes, on a vu dans l'exercice précédent d'analyse de traitement des séquences bizarres, la nécessité d'être capable à la fois d'analyser les mots prononcés en segments et de les reconnaître. Un r prononcé par différentes personnes, placé en début de mot, placé en fin de mot ou dans un groupe de consonnes, fait des bruits différents. Or, c'est pourtant la même unité phonologique, le même phonème. En revanche, be, pe sont deux phonèmes très proches dont les bruits se ressemblent. Pourtant je dois être capable de les catégoriser comme étant différents. Ce n'est pas facile ; cela ne devient facile que lorsque je sais lire et écrire. Au départ, ce n'est pas facile et il va falloir faire les catégorisations adaptées. Bien entendu, au cours de l'apprentissage, il va falloir mettre en correspondance lettres et phonèmes. C'est cette problématique de la maîtrise des correspondances appelées graphophonologiques : - d'une part, ce qui est du côté de ce que je perçois visuellement, les lettres, et - d'autre part, ce qui est du côté de ce que j'entends, c'est-à-dire les phonèmes. La maîtrise des correspondances graphophonologiques va s'avérer plus ou moins facile suivant la langue dans laquelle on apprend à lire. Ainsi, - si j'apprends à lire en italien, je ne vais pas rencontrer trop de problèmes. Pourquoi cela ? C'est parce que lettre ou groupe de lettres ne se prononce que d'une façon et que chaque unité de l'oral ne s'écrit que d'une façon ; - si c'est en anglais, en revanche, ça va être un peu "galère" ! En effet, chaque phonème, chaque unité minimale de prononciation s'écrit en moyenne d'une trentaine de façons différentes. Quant au français, la situation est en quelque sorte intermédiaire : cette langue compte en moyenne quatre écritures différentes pour un seul phonème. 8 C'est donc une charge d'apprentissage qui va dépendre grandement des caractéristiques de la langue (là, je réduis la case correspondante graphophonologique pour nous dégager un peu de place à côté). Bien entendu, ce n'est pas pour le plaisir que l'on maîtrise les correspondances graphophonologiques, mais c'est parce qu'elles sous-tendent la problématique de la reconnaissance des mots écrits. Quand je perçois un mot écrit, je dois y reconnaître un mot oral que je connaissais préalablement. Donc j'établis un lien entre correspondance graphophonologique et reconnaissance des mots. Cette reconnaissance va dépendre aussi de mon vocabulaire oral (la flèche qui vient du lexique) : si je ne connais pas un mot en l'entendant, je ne le reconnaîtrai pas à l'écrit. C'est, bien sûr, une évidence. Je fais aussi un lien avec cette catégorie de "morphologie" que j'ai évoquée en citant l'exemple de chat et de chaton. Il s'agit de mots apparentés sémantiquement. La maîtrise du vocabulaire, c'est aussi cette maîtrise de la construction des mots, de la dérivation d'un mot à partir d'un autre mot. La reconnaissance des mots écrits doit se mettre au service de la compréhension : si je lis, c'est pour comprendre. Personne, notamment aucun chercheur, n'a jamais prétendu que la vérité de la lecture résidait ailleurs que dans la compréhension. Celle-ci suppose la reconnaissance des mots : en effet, si je reste incapable d'identifier les mots isolés, je ne suis pas capable de comprendre les textes écrits avec ces mots. On doit affirmer cela très fortement parce que, une période, on a prétendu qu'il suffisait de comprendre globalement les textes pour pouvoir deviner les mots écrits. Non ; cela ne marche pas ainsi et si je ne suis pas capable de lire un mot isolé, je ne comprends pas les textes fabriqués avec ces mots. C'est tout à fait définitif. Cela dit, ma compréhension ne dépend pas que de la reconnaissance du mot écrit : il me faut aussi maîtriser ma langue, bien entendu ; ma langue orale doit être en correspondance avec la langue qu'on me fait manipuler à l'écrit. Il me faut aussi maîtriser la syntaxe ; il faut que je comprenne que, lorsque je change l'ordre des mots constituant une phrase, je change la phrase. La fille pousse le garçon et Le garçon pousse la fille sont deux phrases constituées des mêmes mots, mais leur sens est différents. J'entends et je comprends ces phrases différentes parce que je leur applique des traitements syntaxiques. Donc, la compréhension ne dépend pas que de la reconnaissance des mots écrits ; elle dépend aussi de ma maîtrise linguistique et j'ai construit celle-ci à l'oral. Je vais terminer sur ce point-là en rajoutant sur cette mécanique, un petit peu comme un placard et non pas sans lien particulier, la catégorie motivation. C'est une catégorie tout à fait essentielle qui échappe un peu à ma mécanique. Mais il est clair que, lorsqu'il s'agit d'installer des capacités à faire des choses complexes (or lire et écrire constituent des activités complexes), cela va demander des efforts, des efforts cognitifs, toute la dimension affective qui sous-tend cette motivation ; mais également son rapport aux apprentissages. Cette motivation que l'enfant a à l'initial de l'apprentissage intervient. 9 Généralement, l'enfant a envie d'apprendre. Dans la plupart des cas, cette motivation initiale est forte ; mais, bien entendu, si mes efforts débouchent sur des désagréments, des échecs, une image négative, je perds cette motivation. Sur mes échecs initiaux s'inscrivent des attitudes de "refus des apprentissages" qui à terme risquent de "bloquer" le système, en quelque sorte. Même lorsque l'origine du problème se situe ailleurs, la démotivation dans ce cas va constituer le premier obstacle à lever pour pouvoir réenclencher le processus. Voilà un petit peu ce que je souhaitais vous exposer pour cadrer le discours sur les troubles, sans parler de ces troubles. Mme Anne Chevrel, journaliste coordinatrice l'apprentissage des enfants * pluridisciplinaire, avec l'exemple de Marseille. 10 "Dyslexie et syndrome apparentés : Où en est la recherche neuroscientifique ?" L'exemple du réseau Dys à Marseille Docteur Michel Habib, neurologue praticien, CHU de Marseille 2 Tout d'abord merci aux organisateurs pour cette invitation. Ma première casquette est celle de professeur à l'université Paris-VI ; j'ai également dirigé la publication d'une revue de neurologie ; ma deuxième casquette est celle de clinicien. Je vais donc vous parler d'aspects plus pratiques qui résonneront aux oreilles des cliniciens ici présents, qu'il s'agisse d'orthophonistes, de psychologues, de psychomotriciens ou de pédagogues. Je pense que tous ces professionnels qui se voient confrontés quotidiennement à la difficulté d'apprendre seront intéressés par le discours un plus pratique que la première partie plus théorique. Je m'excuse par avance de l'aspect un peu plus technique de cette première partie. Ma troisième casquette m'amènera à évoquer, si j'en ai le temps, les aspects organisationnels qu'on a mis en place dans notre région à la suite des plans d'actions qui remontent à 2002 déjà - on a donc un certain recul - et en particulier le choix que nous avons fait d'une structure de réseau régional dont je vous dirai quelques mots. Le cerveau du dyslexique Nous allons parler du dyslexique, mais vous verrez que l'on peut extrapoler ensuite ces notions à d'autres entités. Le cerveau du dyslexique souffre d'une dysfonction des aires 2. Auteur de : Échecs en lecture - l'éclairage des neurosciences. 11 corticales du langage. Nous allons voir à quoi correspond le terme "dysfonction". Je ne vous parle pas là de maladie, même si je suis médecin, mais bien de dysfonction. * Premièrement, les aires du langage sont une partie du cerveau qui est spécialisée dans le langage. On les connaît très bien (depuis plus d'un siècle). On sait que le langage s'élabore dans l'hémisphère gauche du cerveau. Ainsi, la grande majorité des individus, environ 90 % d'entre nous, ne font fonctionner pratiquement que leur hémisphère gauche quand ils parlent ou écoutent parler. * Deuxièmement, l'environnement joue un rôle majeur sur l'apparition des anomalies constatées. Cela s'inscrit dans le droit-fil de ce que le professeur Jean-Émile Gombert vient de vous exposer. On va voir qu'il existe une intrication très importante entre les facteurs biologiques, d'une part, et environnementaux, d'autre part. A l'heure actuelle, aucun chercheur ne peut prétendre s'occuper de l'un sans s'occuper de l'autre. * Troisièmement, la dyslexie et les autres troubles de l'apprentissage entretiennent des relations étroites mais complexes. Une des conséquences de ce dernier message, c'est la nécessité de pratiquer une approche pluridisciplinaire. C'est à ce propos que j'évoquerai mon exemple : celui d'un réseau de santé, qui, par définition, fait intervenir un certain nombre de praticiens issus d'horizons différents ; ceux-ci vont travailler ensemble pour gérer au mieux la prise en charge de ces enfants. Je voudrais partir de ce petit schéma avec deux constats. Le premier est maintenant bien admis : 5 à 7 % des enfants d'âge scolaire n'arrivent pas à apprendre à lire. On les appelle dyslexiques. Quand on dit qu'ils n'arrivent pas à lire, c'est qu'ils n'arrivent pas, malgré une intelligence normale, malgré un environnement pédagogique et familial normal, malgré l'absence de tout facteur psychologique capable de les empêcher d'apprendre à lire et à écrire, malgré tout cela, ils n'arrivent pas à assembler sons et lettres, comme l'a dit le professeur Gombert. Ils n'arrivent pas à établir cette conversion graphophonémique. Il leur manque un outil (c'est probablement dans le cerveau qu'il leur manque) pour réaliser cette action qui paraît si simple : mettre ensemble des lettres et des sons. En revanche, un deuxième élément assez problématique apparaît ici : c'est que 30 % des enfants (à 10 % près, ce sont les chiffres de l'Éducation nationale) arrivent au collège sans savoir lire (on pourra se poser la question de savoir ce que cela signifie) ; ils ne maîtrisent pas la lecture à leur arrivée en 6e. Entre ces deux éléments, on trouve une sorte de pont qu'il est difficile de franchir. On se demande si tous les enfants qui arrivent en 6e sans savoir lire seraient des dyslexiques (ce qui est impossible à imaginer) ou si ce sont deux entités totalement différentes ? Evidemment, cette question cela soulève un débat majeur car on mettrait en avant : - pour les premiers surtout les facteurs neurobiologiques, - pour les seconds surtout des facteurs d'environnement. 12 De même, le traitement du problème est différent : - les premiers mériteraient une réponse médicale alors que - les seconds ne mériteraient "qu'"une réponse pédagogique. J'aimerais montrer que cette zone de chevauchement réunissant les deux catégories n'est peut-être pas si étroite que l'on dit et certains chevauchements plus importants pourraient éventuellement rendre caduque une présentation dichotomique des deux entités : une approche très neurobiologique et une approche très environnementale. En tant que neurologue, je vais vous parler essentiellement du cerveau du dyslexique. On verra ensuite comment on peut l'extrapoler à autre chose. Le cerveau du dyslexique présente un certain nombre de caractéristiques qui sont désormais bien connues des scientifiques : il possède une organisation atypique, déficiente, de cette aire du langage. Tout laisse à penser qu'il s'agit d'une prédisposition génétique qui se manifeste de la sorte. Les généticiens s'occupent beaucoup de dyslexie actuellement, menant beaucoup de travaux dans ce domaine de la génétique pure (qui m'échappe totalement). Le cerveau du dyslexique ne distingue pas parfaitement les phonèmes contenus dans la parole. Je vous montrerai un exemple de travaux scientifiques qui tendent à montrer cela. Les individus dyslexiques (en tout cas certains d'entre eux) n'arrivent pas à établir cette distinction entre les phonèmes proches comme le pe, be ou le te, de. Leur cerveau ne peut pas manipuler volontairement le son de la parole, de la langue orale : c'est la phonologie dont on vient de parler. En l'occurrence, la conscience phonologique, cette capacité à concevoir que la parole qu'on entend, celle qu'on utilise depuis tout petit, est constituée de sons séparés les uns des autres. On verra que les dyslexiques sont en grande difficulté face à ces tâches phonologiques, et même une fois devenus adultes, après avoir pratiquement "guéri" de leur dyslexie et réappris à lire. Cela dénote l'importance de cette problématique. Le fondement de leur difficulté, de leur incapacité à apprendre, c'est ce problème qu'ils rencontrent (et qui paraît insurmontable dans les premiers mois, voire dans les premières années de leur apprentissage) lorsqu'il s'agit de mettre ensemble, d'associer, d'assembler les sons (phonèmes) et les images visuelles (graphèmes), réalisant la conversion graphophonémique sans laquelle on ne peut pas aller plus loin dans l'apprentissage de la lecture. En conséquence de cette difficulté rencontrée dans l'apprentissage des conversions graphophonémiques, le dyslexique ne va pas développer de procédure de reconnaissance globale des mots, cette aptitude que présente en revanche le lecteur expert (dont je vais donner un exemple) s'avère capable de reconnaître les mots de façon très brève. Ainsi, il lui suffit de les "flasher" pendant quelques millisecondes. Le dyslexique, lui, n'arrive pas à faire cela ; même s'il a réappris à lire, ce qui est heureusement le cas de la majorité d'entre eux, il reste néanmoins en difficulté dans cette procédure de reconnaissance des mots. M. Gombert vous présentait tout à l'heure ce schéma constitué de trois niveaux, qui illustre la théorie classique actuelle la plus généralement admise comme étant à l'origine des difficultés du dyslexique. 13 Elle distingue : - un niveau neurobiologique (en haut), celui d'une déficience des aires du langage ; - un niveau cognitif intermédiaire avec, comme base de la difficulté, une incapacité qu'aurait le petit enfant à se constituer des représentations solides des phonèmes ; et puis - un niveau comportemental où se situe la conséquence, la difficulté à entrer dans la conversion grapho-phonémique, à pratiquer les tâches de conscience phonologique et à entrer dans la lecture elle-même. Il existe par ailleurs une verticalité de l'environnement qui agit à chacun de ces trois niveaux. Représentation dans le cerveau Voyons comment cela se situe dans le cerveau : c'est dans l'hémisphère gauche, qui est spécialisé dans le langage, que se situent les aires du langage. * Une première anomalie a été mise en évidence qui se situe dans les aires auditives de l'hémisphère gauche. Si les aires auditives sont présentes dans les deux hémisphères, celle de l'hémisphère gauche est spécialisée dans la perception des unités du langage. On a pu prouver que, chez des adultes dyslexiques (probablement aussi chez des enfants), ces aires auditives n'étaient pas capables de recruter des groupes de neurones de façon synchrone à la succession d'éléments acoustiques caractérisant les phonèmes. Qu'est que cela veut dire ? Cela signifie que les phonèmes, les sons constituant la parole, sont en fait une série d'éléments très brefs qui se succèdent. Par exemple les phonèmes ba et pa, pratiquement identiques à une vibration près de la corde vocale (qui se manifeste ici par cette petite zone qui précède ba mais qui n'est pas présente dans le pa), correspondent dans l'activité des aires du langage, en particulier de l'aire auditive du langage, à une succession d'évènements électriques que l'on peut enregistrer en faisant un électroencéphalogramme. Cette succession est parfaitement synchrone des différents éléments acoustiques : le cerveau gère le contenu sonore de la parole sous la forme d'une succession d'éléments électriques qu'il produit. Or, chez les sujets dyslexiques, cette succession est totalement perturbée. On dirait que son cerveau ne peut plus produire des évènements électriques synchrones des évènements acoustiques qu'il entend. * Le cerveau du dyslexique présente un deuxième élément de déficit : la phonologie ; on l'a évoquée tout à l'heure. On passe là du niveau de la perception à celui de la conscience des sons. Par exemple, une tâche toute simple de phonologie consisterait à dire si deux mots riment ou ne riment pas ? Si je prononce "bateau" puis "chapeau", vous me répondez que ça rime, c'est simple. Si je prononce "lapin" puis "moyen", c'est un peu plus difficile parce que cela ne s'écrit pas pareil, mais cela rime aussi. Si je prononce "mille" puis "bille", cela ne rime pas, pourtant cela s'écrit pareil. Vous voyez que c'est le genre d'exercice très difficile pour un dyslexique. 14 Une autre tâche de ce genre consiste à montrer des lettres, par exemple g et h ou b et d, puis à demander si cela rime. Est-ce que ces paires de lettres riment ? Les lettres b et d riment, tandis que g et h ne riment pas. On le voit écrit mais on doit le transformer en un son, ce qui constitue un exercice de conscience phonologique. On observe ce qui se passe dans le cerveau d'enfants ou d'adultes qui accomplissent ces tâches-là. On les met dans une IRM, devant un écran sur lequel on projette des paires de lettres. Ils doivent appuyer sur une touche si cela rime et sur une autre touche si cela ne rime pas. Voilà ce qu'ils activent dans leur cerveau : ces trois zones, qui sont un peu les mêmes que précédemment : - celle de l'audition ; - celle de la mémoire de travail auditive, qui se situerait dans le lobe pariétal. Les sons entendus y seraient stockés pendant quelques secondes. On la considère comme une zone de la mémoire immédiate des sons. Si vous entendez deux sons : b puis d, il vous faut les garder tous deux en mémoire, juste pendant quelques secondes, pour pouvoir accomplir la tâche car si le premier est déjà effacé lors de l'arrivée du second, vous ne pouvez jamais faire l'exercice ; - une dernière zone, enfin, dite zone de l'aphasie est connue des neurologues sous le terme d'"aire de Broca". C'est cette région qui sert à articuler le langage dans le cerveau. Ainsi, les sujets adultes qui ont subi une destruction de cette zone-là ne peuvent plus parler et deviennent aphasiques. Lorsqu'on lit et que l'on accomplit des tâches phonologiques de ce type-là, on active fortement cette aire de Broca. Lors de tâches phonologiques, les aires du langage du sujet dyslexique ne s'activent pas aussi bien. 15 Voici ce que cela donne : les lettres riment-elles ? Oui, non ? Voici ce qui se passe chez un enfant dyslexique à qui on pose la même question : il s'opère une activation beaucoup moins importante, un petit peu dans l'aire de Broca mais un peu déplacée et toutes les autres zones ne se mettent pas en route. C'est une absence d'activation des régions normalement impliquées. Ces auteurs ont fait passer le même test aux mêmes enfants, mais après cinq semaines d'un entraînement quotidien à ce type de test. Voilà ce qu'on nous apprend : après un entraînement de cinq semaines, les zones réapparaissent - en partie du moins - mais surtout, ce qui était absolument inattendu, on voit réapparaître dans d'autres parties du cerveau des zones d'activité qui n'étaient pas présentes auparavant et qui ne sont pas non plus présentes chez un sujet non dyslexique. Ce qui veut dire que les cinq semaines d'entraînement quotidien ont reconstitué l'activation normale dans leur hémisphère gauche mais également ont recruté d'autres zones qui n'étaient pas a priori impliquées dans la tâche normale. S'agirait-il d'un mécanisme de compensation ? Probablement. Est-ce une sorte de réorganisation ? On ne sait pas. En tout cas, il est assez intéressant de noter qu'on peut maintenant visualiser sur le cerveau humain l'effet d'une thérapeutique, d'un entraînement, d'une rééducation. 16 La première conclusion, c'est que : Les aires du langage sont insuffisamment activées chez le dyslexique lors d'exercices phonologiques. Un entraînement intensif de quelques semaines, focalisé sur le système déficient, non seulement réactive les zones affaiblies, mais sollicite des zones "muettes" des deux hémisphères. Donc l'entraînement, une intervention extérieure (cela, c'est très important à noter), a modifié l'organisation cérébrale dans le sens d'une probable meilleure connectivité entre des zones habituellement inutilisées. Tel est donc le message : en intervenant de façon efficace, ponctuelle et focalisée sur un processus qu'on sait être déficitaire, on fait évoluer quelque chose dans le cerveau et il y a des raisons de penser que les modifications sont durables. Maintenant, j'aimerais que vous regardiez cet écran ; je vais vous y présenter des mots, assez brièvement. Vous allez constater que vous allez pouvoir très vite les reconnaître. Tout le monde a lu ce mot ? Maintenant voici un autre mot. Vous avez donc reconnu, pour la plupart d'entre vous, deux mots : l'un était bol, l'autre confortablement. Je vous les ai présentés pendant environ 300 ms, mais vous auriez pu les reconnaître en 100 ms. Le point important, c'est que vous avez pu reconnaître ces deux mots aussi vite l'un que l'autre. Or, si un processus était intervenu qui permette de les reconnaître en lisant de gauche à droite, il aurait fallu beaucoup plus de temps pour lire le mot de 15 lettres que celui de 3 lettres. Cela prouve bien l'intervention d'un processus spécifique qui vous permet de reconnaître aussi vite l'un et l'autre de ces deux mots. Pour comprendre la nature de ce processus, je vous montre un troisième mot : tambenefoneclor. Ce mot n'existe pas. Cependant, il est constitué des 15 mêmes lettres que le précédent, placées dans un autre ordre. N'étant pas un mot existant, vous ne l'avez jamais vu et donc vous ne vous en êtes pas fait une trace en mémoire, ce qui vous empêche de le reconnaître de la même façon que les mots qui existent. Cela nous explique vraiment la nature de ce processus qui est photographique, immédiat, flash ; comme on reconnaît un visage en fait. On l'a déjà vu ; alors tout de suite, en le revoyant, on va pouvoir l'évoquer immédiatement sans avoir besoin de l'analyser. Or, les enfants 17 dyslexiques n'ont pas ce processus-là, ou alors il ne fonctionne pas bien chez eux, en tout cas pas pour tous les mots ; seulement pour les plus fréquents. Observez les enfants dyslexiques de près, vous allez voir qu'ils utilisent en fait la procédure que vous, vous avez utilisée pour lire le dernier mot, celui qui est illisible. C'est-à-dire qu'ils vont partir de la gauche pour aller petit à petit vers la droite et ils n'ont pas le temps de lire la fin sauf à ralentir le débit de lecture, ce qui va s'avérer préjudiciable à l'efficacité de la lecture. Certains, qui ne veulent pas se ralentir, vont inventer la fin du mot. Vous en voyez, vous en connaissez, qui procèdent systématiquement ainsi. Ou même, pour aller plus vite, ils sautent ou changent les petits mots sur lesquels ils n'arrivent pas à se focaliser : le de va devenir et, ou le a va devenir en, sans que l'on sache pourquoi. C'est parce que cela paraît plus facile. Voilà les deux caractéristiques de ces enfants dyslexiques lorsqu'ils sont face à des mots à lire. Voilà le schéma classique, pour expliquer les deux systèmes. Vous le trouverez dans tous les traités : - le premier système, dit orthographique, est celui de la lecture par adressage que je viens de vous montrer ; il permet de reconnaître les mots très rapidement ; - le second, beaucoup plus lent, est celui de lecture par assemblage. Or, les enfants dyslexiques doivent d'abord maîtriser la lecture par assemblage pour pouvoir se constituer un système de lecture par adressage. Comme, par définition, le système de lecture par assemblage leur fait défaut, puisqu'ils n'arrivent pas à associer sons et lettres, ils ne mettent jamais en place un système par adressage très efficient. Telle est la théorie actuellement admise pour expliquer les difficultés en lecture du dyslexique. 18 On a localisé ce système de reconnaissance des mots dans le cerveau : il ne se situe pas du tout localisé au même endroit que la phonologie (qui est quand même l'élément le plus caractéristique chez le dyslexique). Avec de la pratique, on reconnaît une petite zone située sous l'oreille gauche, dans la région temporale inférieure du cerveau, là où ce dernier repose sur la base du crâne. On appelle cette zone l'"aire de la forme visuelle des mots". On sait que cette aire s'active face à des suites de lettres qui présentent des caractéristiques particulières. Ainsi, - si vous alignez des consonnes les unes à la suite des autres, produisant comme le mot illisible que je vous ai montré, cela n'active pas la zone ; - si le mot est lisible et familier, et même s'il existe une familiarité dans la suite de ces lettres (des consonnes alternant avec des voyelles, par exemple) cela active cette zone. Elle peut donc être considérée comme la partie du cerveau qui reconnaît les mots dans leur globalité. Or, on peut pratiquer, comme nos collègues de Toulouse, une analyse en IRM de sujets dyslexiques et la comparer à celle de sujets non dyslexiques : on soustrait l'activité cérébrale des dyslexiques et celle des non-dyslexiques en introduisant, par exemple, la représentation de 30 cerveaux de dyslexiques dans l'ordinateur et celle de 30 cerveaux de non-dyslexiques ; puis on demande à l'ordinateur d'extraire la différence entre les deux groupes. Voilà ce qui sort : juste cette petite zone-là. C'est la partie la plus différente du cerveau entre les dyslexiques et les non dyslexiques. Je souhaitais vous présenter un dernier travail montrant des images un peu techniques. Il me semble intéressant parce qu'il soulève la question du rôle de l'environnement. J'indique, pour la petite histoire, que ses auteurs sont regroupés en une équipe mixte de pédagogues et de neuroscientifiques ; aux États-Unis les pédagogues utilisent les neurosciences de façon beaucoup plus importante que nous le faisons en France. L'équipe a proposé à des sujets adultes qui avaient été dyslexiques et dont on connaissait toute la trajectoire disons "académique" depuis l'enfance, une tâche toute simple : dire si deux mots qu'ils lisaient, rimaient ou pas, des non-mots, "leat" [li:t] qui en anglais n'existe pas et "jete" [dji:t] qui n'existe pas non plus. Il s'agit d'homophones, c'est-à-dire deux mots qui s'écrivent différemment mais se prononcent de façon identique. Pendant qu'ils faisaient cette petite tâche, on observait ce qui s'activait dans leur cerveau. On distingue les sujets d'expérience en trois populations pour les comparer : - une population d'adultes non dyslexiques (la population témoin ici à gauche), - une intermédiaire de dyslexiques qui ont bien récupéré de leur dyslexie (une fois adultes, ils lisent de façon convenable) et - une "PPR", des adultes qui n'ont pas récupéré de leur dyslexie (qui restent encore très gênés, très en difficulté face à la lecture tout en étant devenus adultes). Les auteurs se sont posés la question de savoir ce qui différenciait ceux qui, au bout du compte, avaient bien récupéré de ceux qui n'avaient pas récupéré. Sans entrer dans les détails, on constate que : 19 - premièrement, les sujets ayant récupéré activent globalement plus de zones dans leur cerveau que ceux qui n'ont pas récupéré. Cela renvoie à la notion de compensation dont je parlais tout à l'heure ; - deuxièmement, tant ceux qui ont récupéré que les autres présentent une non-activité dans la zone visuelle de reconnaissance des mots. Cela veut dire finalement qu'indépendamment d'avoir récupéré ou pas, cela laisse comme séquelle cette non-mise en activité de la zone visuelle des mots. Cela va dans le sens que je vous disais : à partir du moment où on a connu cette difficulté au départ à assembler lettres et sons, on ne développe jamais une véritable capacité - et cela se manifeste dans le cerveau - de reconnaître globalement les mots ou, en tout cas, d'activer la zone qui sert à cela ; - troisièmement, cette étude fait ressortir un autre élément encore plus intéressant : les auteurs ont regardé a posteriori certaines caractéristiques de leurs deux groupes de dyslexiques et montré que ceux qui n'avaient pas récupéré étaient issus de milieux socio-économiques moins aisés que ceux du groupe qui avaient récupéré. D'où l'idée d'une implication probablement très forte des facteurs d'environnement dans l'apparition de la différence, observable dans le cerveau, d'activation en question. Ainsi, - les dyslexiques compensés activent des zones non en jeu chez les normolecteurs ; - les dyslexiques persistants comme les compensés n'activent pas l'aire de la forme visuelle des mots ; - les dyslexiques persistants proviennent plus souvent de milieux défavorisés. On en tire la troisième partie de la deuxième conclusion : 20 L'absence de mise en jeu de l'aire de la forme visuelle des mots est la conséquence commune à terme, quel que soit le degré de récupération du trouble et quelle que soit la raison du défaut d'apprentissage de la lecture. On pourrait penser que le troisième groupe, celui des personnes sévèrement dyslexiques, supposait une plus forte participation de facteurs d'environnement dans la genèse du trouble que le deuxième groupe. Dans cette dernière partie, je voudrais vous présenter ce qu'on appelle la constellation dyslexie, pour vous montrer qu'en fait la dyslexie n'est pas un trouble isolé. Certes, elle existe (représentée au milieu) : elle est fréquente et on la connaît beaucoup mieux scientifiquement ; on la prend souvent comme modèle de compréhension de toutes les autres entités. Certains troubles peuvent accompagner la dyslexie : - la dysorthographie lui est toujours associée ; - elle est liée étroitement au langage oral ; en particulier, les enfants qu'on appelle dysphasiques vont très souvent devenir dyslexiques. Chez les enfants dyslexiques, on retrouve très souvent des problèmes de langage oral ; - les sujets sont fréquemment en difficulté dans tout ce qui a trait au temps (la dyschronie), en particulier cette difficulté à avoir conscience du temps qui passe, à pouvoir évaluer la durée des évènements, ce sont des processus qui s'avèrent assez difficiles pour eux en général ; - la dyscalculie, on en parle peu parce qu'on la connaît moins ; mais c'est très fréquent. Ces liens entre dyslexie et dyscalculie restent très mal connus ; - la dysgraphie et la dyspraxie qui sont assez surprenantes à voir associées dans ce groupe-là. Tandis que la dyslexie reste un problème finalement très linguistique, la dyspraxie et la dysgraphie constituent des problèmes moteurs. Pourtant elles sont associées entre elles très 21 fréquemment. A peu près 30 à 35 % des dyslexiques sont aussi dysgraphiques, un peu moins souvent dyspraxiques ; mais on est dans le domaine de la motricité. Ce qui intéresse les chercheurs, c'est de se poser la question suivante : Comment se fait-il que deux troubles en apparence si différents tels que ne pas pouvoir apprendre à lire et présenter des troubles moteurs, soient associés aussi fréquemment ? Cela fournit des pistes aux chercheurs pour essayer de trouver une cause commune qui servirait à expliquer les deux troubles. Sans entrer dans les détails, je cite l'hypothèse cérébelleuse. Elle fait du cervelet, cette petite structure nerveuse, située en dérivation sur le névraxe, à la partie postérieure du cerveau, un organe clef pour expliquer une partie de l'ensemble de ces troubles, la partie commune en tout cas, celle qui traite des aspects temporels, moteurs et d'automatisation. En effet, vous savez que les dyslexiques rencontrent des difficultés à automatiser : c'est une caractéristique que présentent tous ces enfants-là. Rendre automatique, transformer l'acquisition en une procédure, grâce à ce qu'on appelle la mémoire procédurale. Comme apprendre à conduire : au début, c'est très difficile : il faut penser à tout ; par la suite, cela devient automatique. Il semble que tous les sujets dont il est question ici, tous les enfants qui présentent cette difficulté dys, éprouvent des difficultés à passer dans ce mode automatique. Cela, tous les thérapeutes le savent et en particulier les orthophonistes, qui ont à traiter ces enfants : on leur apprend quelque chose et on a l'impression que c'est acquis et puis la fois suivante, on constate que cela ne l'est pas et qu'il faut recommencer l'apprentissage, etc. Il faut beaucoup plus de temps à ces enfants pour automatiser les apprentissages. C'est un élément commun à beaucoup de ces troubles. Nous avons procédé à un petit inventaire des diagnostics de 209 patients de notre centre de référence. Ce qui apparaît, c'est que la dyslexie constitue le motif de consultation de loin le plus fréquent (en pourcentage) pour troubles de l'apprentissage dans un centre ; elle passe devant les autres qui arrivent à peu près à égalité : - dyscalculie ; - dyschronie (qui n'est pas un motif de consultation mais un trouble associée ) ; - dysphasie et troubles du langage oral sont fréquents également ; - dyspraxie et dysgraphie ; - également le Trouble déficit de l'attention avec hyperactivité (TDAH) dont va vous parler Olivier Revol ; et - assez étonnamment, la précocité intellectuelle. On la retrouve chez 21 enfants dans une consultation de troubles de l'apprentissage. C'est un domaine qui est très mal connu. On constate aussi une association, dont la fréquence dépasse celle du simple hasard, entre troubles de l'apprentissage et précocité intellectuelle. Beaucoup d'enfants, considérés comme des enfants en difficulté, méritent qu'on mesure leur quotient intellectuel. Dans ce cas-là, on peut parfois avoir des surprises. Vous voyez : 21 sur les 22 200 là, ce qui dépasse largement l'incidence de la précocité dont le taux reste de l'ordre de 2 %. Dans ce groupe d'enfants, il atteint 10 %. Il existe certainement des raisons pour que les deux caractéristiques soient associés. Ces raisons sont probablement multiples ; mais il faut savoir que la pratique du quotient intellectuel - je pense qu'Olivier Revol va en parler abondamment - est actuellement indispensable pour tous ces enfants. On ne peut pas se passer du quotient intellectuel pour faire le diagnostic de ces troubles. C'est absolument impossible ; ou alors on passe à côté du diagnostic une fois sur deux. C'est ce qu'on appelle les comorbidités : ici sur 177 enfants dyslexiques, on en trouvait - 63 (donc 35 %) qui présentaient aussi des troubles du langage oral, - 42 (donc 23 %) qui présentaient une dyscalculie, - 26 qui étaient dysgraphiques, - etc. Il en ressort donc cette notion d'une association entre les différents syndromes plus fréquente que ne le voudrait le hasard. C'est un des messages clefs que donne cette étude : - le premier, c'est qu'intellectuellement, c'est intéressant de remarquer cela parce que cela pose des questions sur les mécanismes, sur la façon dont tout cela s'articule ; - le deuxième c'est qu'en pratique, l'intérêt majeur consiste à montrer la nécessité d'une prise en charge de ces enfants par une équipe pluridisciplinaire. En effet, finalement, plus on avance dans la connaissance et dans la compréhension de leurs difficultés, plus on dissèque des domaines de déficit très différents les uns des autres et pourtant associés chez un même individu. Au bout du compte, c'est plus fréquent d'avoir un dyslexique qui présente aussi 23 d'autres syndromes associés qu'un dyslexique qui n'aurait que de la difficulté à apprendre à lire. Dans l'absolu, je crois même que la dyslexie pure n'existe pas. Le réseau Dans la région PACA, à Marseille et dans ses environs, nous sommes partis de cette triple constatation : - la dyslexie constitue une atteinte multimodulaire, qui nécessite donc l'intervention de plusieurs professionnels, donc d'une équipe ; - l'analyse du déficit se fait de plus en plus précise. Au fur et à mesure qu'on progresse dans la connaissance du trouble, on développe des outils de plus en plus fins et qui deviennent de plus en plus spécialisés. Chaque profession va devoir maîtriser des outils de plus en plus complexes ; d'où l'élément central que constitue l'étape de l'évaluation. Il devient de plus en plus inconcevable d'entrer dans la thérapeutique sans avoir préalablement procédé à une bonne évaluation. Il faut donc passer par une étape préalable d'évaluation très précise de chacune des fonctions potentiellement dysfonctionnelles. C'est ce qui nous a amenés à faire le choix de mettre en place un système qu'on appelle des "unités de bilan" ; celles-ci sont réparties dans la région PACA, en relation avec le centre de référence de Marseille, localisé dans le service de neuropédiatrie du CHU ; - l'autre élément était la notion d'un continuum de sévérité qui, évidemment, nous oblige à penser qu'il faut graduer la mise en jeu des moyens. Ainsi, on peut représenter, sous la forme d'un entonnoir * une forme habituelle, qui regrouperait 80 % des troubles, en particulier les dyslexiques, pour lesquels la prise en charge orthophonique en cabinet suffit ; c'est la grande majorité des enfants, heureusement. Ce sont des formes relativement bénignes qui, après un an ou deux de rééducation, vont rentrer dans l'ordre et permettre une continuation de leur progression académique ; * une forme très sévère, correspondant à moins de 1 % des cas. En général, ces enfants présentent justement l'association de tous ces troubles, qui s'ajoutent les uns aux autres et caractérisent la sévérité. Très souvent, ce sont des enfants qui ont présenté une dyslexie au départ dont on ne pouvait pas tout à fait présumer de la gravité, mais qui résiste de façon importante à une thérapeutique pourtant bien conduite. Ainsi, au bout d'un an, à la fin du CP, au milieu du CE 1, voire même plus tard, on ne constate toujours pas d'entrée dans la lecture. On peut qualifier ces formes-là de vraiment plus sévères ; on rencontre des formes encore plus sévères). Ces enfants doivent faire l'objet de bilans en CHU et on va éventuellement leur faire intégrer des établissements spécialisés. 24 Dans le sud de la France, par exemple, il existe une maison d'enfants à caractère sanitaire, "Les Lavandes". C'est un des rares établissements en France à offrir à la fois la rééducation et l'école regroupées dans un même établissement ; c'est un internat. Il en existe également un dans la région de Strasbourg. Peut-être en avez-vous ici en Bretagne ? ; * des formes intermédiaires pour lesquelles on a proposé une solution, une réponse de type réseau ; on a développé des équipes multidisciplinaires, à plusieurs localisations dans la région du Sud-Est. Chacune d'elles est constituée sur un même modèle et réunit le même type de professionnels : à savoir des orthophonistes, des psychomotriciens ou des ergothérapeutes, un neuropsychologue (sans neuropsychologue on peut difficilement fonctionner dans ce domainelà. On sait à quel point ils constituent une ressource assez rare parce que cette profession reste mal connue) ; et puis, quand c'est possible, des médecins scolaires et des équipes éducatives participent à ces groupes. On voit les 6 pôles qui travaillent sous cette forme-là, avec 6 équipes pluridisciplinaires. A Marseille, une coordination centrale associée au fonctionnement du centre de référence. En plus de cette mission de coordination, le réseau exerce . une mission de formation par convention avec le rectorat et . une mission de recherche par convention avec une équipe du CNRS. Nous avons mis au point un diplôme d'université dont l'enseignement a commencé en 2002, au moment de la création du réseau. Ce diplôme nous a servi à former les adhérents au réseau. Nous avons compté : . 80 personnes formées chacune des 2 premières années, . 60 la troisième et . 40 la quatrième. 25 Cela nous a permis de faire passer un message, un message également théorique, parce qu'il fallait transmettre de nombreuses nouveautés scientifiques. Nous avons obtenu un financement sous la forme de la Dotation régionale de développement des réseaux (DRDR) pour créer ces unités de bilans avec : un certain nombre d'objectifs à atteindre, la prise en charge d'actes de psychomotricité et de psychologues et la rémunération du temps passé en réunion de synthèse. Le système de fonctionnement s'appuie sur le dossier du patient et est systématiquement le même pour chaque enfant. Je dirai pour conclure, que la nécessité de raccrocher ces activités à la recherche me paraît importante dans ce domaine-là. En effet, les connaissances évoluent très vite dans ce domaine. D'une année sur l'autre, de nouveaux concepts apparaissent, de nouvelles conceptions se font jour, ne serait-ce que sous la forme de ces intrications entre l'environnement et le biologique. On rencontre de plus en plus ces aspects dans la littérature scientifique. En ce qui nous concerne, nous nous sommes justement un peu concentrés sur ce schéma en essayant de préciser les frontières séparant les différents "dys". Par exemple, nous menons une recherche sur les difficultés de calcul chez les dyslexiques, sans parler de véritable dyscalculie. Nous faisons passer systématiquement aux enfants dyslexiques de petits tests spécifiques de calcul ; c'est ainsi que nous avons été surpris de constater que, beaucoup plus souvent qu'on s'y attendait, les dyslexiques rencontraient des difficultés (même lorsqu'ils étaient bons en maths) à concevoir certains raisonnements arithmétiques, en particulier tout ceux qui concernent la représentation abstraite des quantités. De la même manière, on mène un travail de recherche actuellement sur l'incidence de la dysgraphie chez les dyslexiques. Vous savez certainement par pratique qu'un enfant dyslexique qui écrit bien (c'est un cas de figure qui existe heureusement), va s'en sortir toujours mieux qu'un enfant dyslexique qui écrit comme un chat. En effet, l'enfant dyslexique qui écrit mal va donner une image de lui-même très négative à l'enseignant, pendant sa scolarité ; cette image lui revient souvent comme une vague en pleine figure. Ce sont des enfants qui souffrent beaucoup, en général. Le dyslexique dysgraphique est en plus grande souffrance psychologique que celui qui n'est pas dysgraphique. C'est donc une raison de plus pour s'intéresser à l'association de ces deux troubles. On rencontre également l'association de la dyslexie, ou du trouble de l'apprentissage en général à la précocité intellectuelle. Elle constitue un cas très intéressant ; on a en effet l'impression que de nombreux diagnostics ne sont pas posés, actuellement. Or, ils s'avèrent pourtant importants à faire parce d'assez nombreux enfants, dont on n'apprécie pas vraiment la véritable intelligence, sont considérés comme des enfants "juste dans la moyenne" alors que leurs compétences sont largement au-dessus de la moyenne. Cependant, étant donné qu'ils présentent aussi un déficit dans un autre domaine, ils ne manifestent pas du tout leur véritable intelligence. D'ailleurs eux-mêmes ne se croient pas intelligents. Il faut vraiment arriver avec les chiffres en main en disant "Regarde ! Tu as 135 de QI !". Ils sont persuadés d'être nuls. C'est une population en perte d'estime de soi, ce qui est aussi paradoxal que néfaste. 26 Je vous remercie de votre attention. Mme Anne Chevrel Merci beaucoup pour cet exposé très clair et pour l'exemple que vous nous avez donné de Marseille. Il nous servira dans la deuxième partie de l'exposé. Olivier Revol, vous allez nous parler des troubles des apprentissages et surtout de leurs manifestations comportementales chez l'enfant à l'école et dans la vie quotidienne. 27 Petits arrangements avec les apprentissages Manifestations comportementales chez l'enfant à l'école et dans la vie quotidienne Docteur Olivier Revol, neuropsychiatre, pédopsychiatre, chef du Centre des troubles des apprentissages, hôpital neurologique de Lyon, spécialisé dans l'hyperactivité et la précocité 3 Je ne traiterai pas tout à fait ce sujet-là. J'essaierai d'élargir un peu le débat à la place des troubles dys (qui ont été largement abordés et avec brio) dans les troubles d'apprentissage globalement ; Comment les abordons-nous dans notre service ? Je porte également deux casquettes : je dirige un centre de référence pour troubles d'apprentissage, je suis psychiatre. L'hôpital neurologique de Lyon comprend donc un service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. Nous y avons 12 lits qui sont dédiés aux troubles de l'apprentissage. Ma deuxième casquette est celle d'un trouble d'attention ; et je suis dyspraxique. Il a bien fallu que je compose avec cette affaire. Bien entendu, j'adhère tout à fait à ce qui a été dit. La conclusion du docteur Michel Habib me semble très importante : - d'une part, l'intérêt de la recherche et - d'autre part, l'intérêt de la recherche scientifique pour avancer dans ce domaine que l'on appelle les "comorbidités", la coexistence chez certains enfants, de différentes causes d'échec scolaire. 3. Auteur de : Petits arrangements avec les apprentissages et de L'Échec scolaire : même pas grave, cela se soigne. 28 Pourquoi vous ai-je représenté Victor Hugo ? C'est parce que, pour prolonger le propos de Michel, j'indique qu'il faut faire très attention à ce qu'on dit et, bien entendu, appuyer sur l'aspect de la recherche. Cela fait 20 ans que Michel et moi travaillons, que je l'entends parler, qu'il m'entend parler : on affirme de nos jours des choses dont on disait l'inverse il y a 10 ans. La médecine avance avec ses contradictions. A ceux de ma génération, vous vous en souvenez, on disait qu'il fallait absolument coucher le bébé sur le ventre ; or, dix ans plus tard, on nous met en garde : "Surtout pas !" On nous disait également, vous vous en souvenez, et aussi toi Michel qui habitais au bord de la mer : quand on était petit, qu'on gardait l'oeil rivé sur la montre et qu'on attendait trois heures entre la fin de la banane et le moment de mettre le pied dans l'eau sinon notre coeur allait s'arrêter ; et maintenant, on sait que c'est une ânerie ! On est allé au ski récemment. Tous, nous avons appris étant petits, qu'il fallait 1, fléchir, 2, planter le bâton. Maintenant si vous faites cela, vous êtes "archiringard". D'abord vous ne pouvez plus, parce que les spatules sont plus larges. Il vaut mieux skier skis un petit peu écartés, maintenant, certainement pas "skis serrés" et surtout pas planter le bâton. Je pense donc que, certes, il faut avoir des convictions - et vous avez constaté que tous les trois nous en avions. Cependant, il ne faut pas avoir de certitudes. La différence entre convictions et certitudes, c'est l'humilité. C'est ce que Victor Hugo rappelle en disant que la science se rature elle-même. C'est justement en poursuivant les travaux de recherche comme le présentait Michel, qu'on peut se permettre aussi d'éviter toute certitude et de finalement respecter un peu l'enfant et son avenir. Ce que nous disait Michel sur la dyslexie et l'hypothèse actuelle consistant à postuler l'existence, - d'une part, d'un terrain, d'une vulnérabilité génétique certainement, et - d'autre part, d'un environnement, je peux vous dire que, nous psychiatres, à l'hôpital neurologique, nous savons bien que cela s'applique à tout. L'enfant anxieux, l'enfant déprimé, l'enfant instable, malheureusement l'enfant schizophrène, c'est la rencontre d'un terrain (on est sûr qu'il existe un terrain), une vulnérabilité génétique et d'un environnement. Et, si l'on n'aborde pas, dans la prise en charge, bien sûr le terrain avec une observation, une compréhension éventuellement une prise en charge médicamenteuse mais aussi l'environnement, on passe à côté de l'évolution de l'enfant. En ce qui me concerne, je vais vous présenter la place des troubles de l'apprentissage dans la globalité de l'enfant. A l'hôpital neurologique, dans notre centre de référence, nous recevons des enfants qui entrent le lundi et restent jusqu'au vendredi. Pendant une semaine, nous déroulons un arbre décisionnel, face aux formes sévères, bien sûr ; d'où l'importance des réseaux dont parlait Michel. Tous les enfants ne méritent pas d'aller dans un centre de référence. Les spécialistes de ville : les orthophonistes, les psychomotriciens sont tout à fait compétents pour le faire. 29 C'est à eux qu'il appartient de filtrer les cas (c'est cela le rôle du réseau), avec : - d'un côté, ceux qui méritent d'aller dans un centre de référence pour qu'on ne soit plus "embolisé" et qu'on puisse recevoir des enfants qui en ont vraiment besoin et dans un délai raisonnable, et - de l'autre, ceux qui peuvent très bien être pris en charge, comme ils le sont actuellement, par des spécialistes (du langage que sont les orthophonistes ou du geste que sont les psychomotriciens). Ce qui est intéressant dans notre service, c'est que nous sommes des psychiatres et que nous avons pris un tournant en 1995. Moi j'ai fait un DEA de neuropsychologie, c'est à ce moment-là que j'ai rencontré toute l'équipe des neuropsychologues de langue française dont le docteur Michel Habib et je suis parti 6 mois à Montréal. Et là, je peux vous dire j'ai halluciné. En effet, j'y ai entendu prononcer des mots que je n'avais jamais entendus pendant toutes mes études françaises. En 8 ans de médecine, 4 ans de psychiatrie et 2 ans de pédiatrie de l'enfant, je n'avais jamais entendu les mots de dyslexie, de dysorthographie, déficit de l'attention, précocité. La relecture de toute la pédopsychiatrie des troubles de l'apprentissage à la lumière de la neuropsychologie m'a permis de comprendre l'existence d'un très large spectre. Face à un enfant qui entre dans mon service ou face à un enfant que je reçois en consultation, qu'il ait 3 ans et ne parle pas, qu'il ait 8 ans et ne sache pas lire, qu'il ait 15 ans et ne "foute" rien, je n'ai pas d'a priori théorique et je m'interdis d'en avoir tel que : C'est un fainéant ; c'est ses parents qui ne veulent pas le laisser grandir ; c'est tout autre chose, tant que je n'applique pas une démarche médicale qui soit la plus rigoureuse possible. Je termine sur une remarque : je ne crois pas à la fainéantise. Cela n'existe pas. J'ai encore reçu au début de la semaine des parents. Ils arrivaient en urgence, des amis d'amis, à 21 h le soir. Le père laisse son gamin de 17 ans et me confie ne pas savoir pourquoi il me l'amène. Je lui demande pour quelle raison il me l'amène, de quoi il pense que son fils souffre. Il me répond que c'est d'une "infinie paresse". Je lui ai dit que je ne le croyais pas et lui expliqué pourquoi. Surtout pas à l'adolescence et surtout pas quand ils viennent et qu'ils sont en échec scolaire parce qu'ils sont scotchés sur MSN toute la journée (vous les connaissez aussi bien que moi). Je crois toujours, écoutez bien cela car c'est fondamental (cela fait plus de 20 ans que je les suis ces gamins et je me rends compte de ce qui se passe à l'adolescence) : je crois qu'un adolescent qui souffre d'un trouble au départ, un trouble dys quel qu'il soit (dyspraxie, dyscalculie, dysphasie, déficit d'attention ou précocité, on va en dire quelques mots) et qui est en échec à cause de cela, à une époque où au collège il faut être comme les autres (vous êtes bien d'accord avec moi, il faut faire style comme ils disent), il lui est insupportable d'imaginer d'être en échec à cause d'un handicap. A leur insu, inconsciemment, ces enfants dys ont trouvé comme stratégie d'arrêter de travailler ce qui leur permet d'attribuer leur échec non pas au handicap, mais au manque de travail. Donc la paresse, cela n'existe pas ; il faut aller gratter derrière ; on y trouve toujours une 30 cause. Parce que, comme Jean-Émile le disait, tous les adolescents et tous les enfants aimeraient bien réussir. Quand je demande, en fin de consultation, au "pire des branleurs" comme disent les parents qu'ils m'ont amené, ce qu'il voudrait s'il possédait une baguette magique et pouvait changer quelque chose dans sa vie, à ce moment là il me répond que ce serait d'avoir de bonnes notes. Tous ont envie de réussir et c'est cela le problème. Tant qu'on n'a pas compris vraiment cette origine du problème, on rate réellement son approche médicale. Pourquoi un transparent sur l'"intelligence troublée autour de l'intelligence" ? A propos de la réussite scolaire. On sait que, pour réussir, comme Jean-Émile l'a dit tout à l'heure, il faut aligner des compétences. Si la plupart des enfants les possèdent, un certain nombre d'entre eux, disons 25 %, ne les ont pas ; ce sont les enfants dys. On va les aider à contourner, à les acquérir, à les rattraper par la rééducation. Cependant, ce n'est pas suffisant : on a vu qu'il fallait s'appuyer sur une motivation. Quand on part de cette histoire-là, de ce principe-là, on peut relire totalement la démarche diagnostique : - face à cet enfant en échec en primaire, au collège ou au lycée, je ne sais pas s'il a un problème instrumental, s'il souffre d'un manque de moyens, il n'a pas toutes les compétences, il est "dys" quelque chose, c'est ce que j'appelle un trouble de l'intelligence ; ou - au contraire, il a tous ses moyens, mais encore faut-il qu'on les ait expertisés. Michel évoquait la mesure du QI. Celle-ci s'avère fondamentale. On ne peut pas avancer sans avoir mesuré le QI, au-delà du bilan orthophonique qui est très important pour les troubles du langage. Un QI dont la valeur du chiffre global ne nous intéresse absolument pas, car celle-ci ne sert à rien. Ce qui va nous intéresser - je vous montrerai des exemples - c'est la façon dont le QI s'est construit, quels sont ses points forts et ses points faibles. Certains enfants sont très bien équipés, ont tous les équipements pour réussir mais ne réussissent pourtant pas. C'est la deuxième branche de mon arbre décisionnel. Ce n'est pas qu'ils manquent de moyens, c'est qu'ils n'arrivent pas à les utiliser. C'est ce qu'on appelle l'intelligence troublée ; on verra par quoi elle peut l'être . Il faut bien sûr expertiser tout cela. Concernant la partie instrumentale des troubles de l'intelligence, qui est expertisée pendant la première partie de la semaine, dans le service : il est des enfants dont on va dire, à la fin de la semaine, à leurs parents qu'ils n'ont pas le niveau, présente une baisse globale de leur intelligence, une baisse homogène, et qu'ils seront bien mieux en classe d'intégration scolaire. Mais les parents répondent que c'est terrible ce que nous leur expliquons là. Cependant, quinze jours ou un mois plus tard, ils nous confient que l'enfant a retrouvé le sourire depuis qu'il est en CLIS. C'est-à-dire qu'on a arrêté de lui demander des performances trop élevées pour son niveau. Ensuite, la précocité ; et surtout tous ces fameux troubles spécifiques des apprentissages, les enfants inattentifs, les enfants dys, qui eux présentent un fonctionnement cortical global correct, sont intelligents, mais dont une région du cortex dysfonctionne, ce qui va les gêner pour 31 la lecture, pour certaines formes de lecture comme l'évoquait Michel, pour le calcul ; ou encore les enfants inattentifs dont on sait qu'ils présentent un dysfonctionnement du cortex préfrontal. Quant aux causes psychologiques, l'intelligence est là (tous les moyens sont là), mais elle n'est pas utilisable parce qu'elle est troublée par des préoccupations. C'est-à-dire que l'espace psychique de l'enfant est occupé, voire préoccupé par autre chose. Par quoi est-il préoccupé ? Il l'est par des troubles anxieux ; ceux-ci peuvent s'organiser en véritables troubles obsessionnels compulsifs. L'enfant a des pensées obsédantes touchant à la mort, à la maladie. A cause de ses rituels (par exemple, il est obligé d'aligner tous ses crayons sur sa table avant de commencer "sinon je vais me faire interroger" ou "sinon il va arriver un drame à la maison"), il perd du temps et ne peut pas travailler. L'enfant dont l'esprit est totalement occupé par la tristesse, par la dépression, n'est pas disponible pour travailler. Bien entendu, on ne l'explore pas de la même façon, et on ne le prend pas en charge de la même façon qu'un enfant dys. Cela paraît bien beau comme cela, si ce n'est que c'est souvent intriqué. L'origine même de ma communication, c'est cela : éviter à ces enfants qui, du fait d'un trouble spécifique des apprentissages (dyslexie, dyspraxie, dyscalculie, déficit d'attention, précocité) qu'on ne repère pas, passent en échec scolaire. Or, un échec scolaire chez un enfant intelligent, mais qui est juste pénalisé dans un certain domaine de son apprentissage, c'est insupportable et cela conduit nécessairement à des moments dépressifs. On l'évoquait tout à l'heure : il en vient à douter de lui-même, il a une baisse de l'estime de soi. Nos travaux de recherche portent actuellement sur les thèmes de "Précocité et estime de soi" et de "Dyslexie et estime de soi". Cet enfant peut bouger en cours ; on peut dire qu'il est hyperactif mais c'est simplement dû à son mal-être. Bien entendu, ces troubles du comportement aggravent l'échec scolaire et surtout sont responsables d'une démotivation qui va secondairement aggraver le trouble du comportement, l'échec scolaire et surtout les troubles des apprentissages. On sait bien que tous nos petits enfants dys, ont besoin d'une motivation exceptionnelle pour arriver à compenser leur déficit initial ; ils ont besoin de capacités motivationnelles et attentionnelles terribles. On les a démotivés, l'école les a démotivés comme c'était le cas jusqu'à maintenant. Cependant, j'avouerais percevoir le frémissement qui s'amorce. Depuis septembre dernier, je trouve qu'il s'opère un changement : on met à la disposition des enseignants pas mal d'éléments qui vont permettre d'éviter cette démotivation. Une journée comme aujourd'hui en apporte un peu la preuve. En tout cas, quand nous les recevons, ils sont pris au milieu de cette spirale infernale et c'est à nous de les en faire sortir. Parce que cela, c'est d'autant plus dommage que, si l'école constitue ce fantastique lieu d'apprentissage - qui sert à cela, qui sert d'observatoire aussi, qui repère (parce qu'on doit les repérer à temps) - elle ne se limite pas à cela. 32 Tous, nous savons que l'école, c'est aussi un lieu extraordinaire pour la médiation. C'est la première fois que l'enfant rencontre d'autres modèles éducatifs que ceux de ses parents, qu'il noue ses premiers contacts avec des enfants. Or, des enfants dys qui sont en difficulté, en délicatesse avec l'école comme lieu d'apprentissage, risquent de rater leur rencontre avec l'école comme lieu de médiation. Et cela, c'est un peu regrettable. C'est d'autant plus idiot qu'il y a un petit problème avec l'école en France, si vous voyez ce que je veux dire. Je suis désolé pour les enseignants (ce n'est pas de leur faute ! On ne peut pas leur jeter la pierre parce qu'ils n'ont pas reçu plus de cours sur la dyslexie que nous. On navigue à vue. En plus, c'est la fonction des associations. Je pense que cette fédération des trois associations est très importante ; elles peuvent travailler ensemble et diffuser l'information parce que ni les pédagogues, ni les médecins ne l'avons reçue pendant nos études. Toujours est-il qu'il y a un petit problème quand même avec l'école en France. Regardez vos enfants : tous les enfants, en fin de maternelle, n'ont qu'une envie : celle aller rapidement à la grande école. Tous. Ils sont contents : ils montrent le cartable qu'ils vont emporter et ils veulent y aller ; il y a leur grand frère et tout. Vous prenez le même un mois plus tard ; il est dégoûté. Il s'est quand même passé quelque chose entre-temps. Il s'est passé que le rythme scolaire, à la française, n'est pas cohérent. Nous savons bien, nous les scientifiques, que le rythme français ne respecte pas la chronobiologie des enfants ; qu'il est des moments dans la journée où c'est une escroquerie que de leur apprendre des notions nouvelles (en particulier si l'enfant est dys et qu'il aurait besoin de beaucoup plus d'attention que les autres parce que la lecture n'est pas encore automatique chez lui, comme pour les autres etc.). Donc il y a un problème de rythme. Il existe également un problème d'ambiance. Faites venir les correspondants anglais ou allemands de vos enfants au collège : ils hallucinent. A l'inverse, quand vos gamins vont en Allemagne, ils trouvent que c'est bien, là. On peut manger, grignoter pendant le cours, se lever, interpeller le professeur, etc. Donc, il y a un vrai problème. Cette remarque m'est venue récemment. A Lyon, il y a Interpol (Interpolice, la police internationale). De petits Américains arrivent, venant chercher chez nous leur Ritaline. Ils ne comprennent pas pourquoi nous ne leur délivrons pas ce fameux médicament dont on parlera tout à l'heure. Une mère me confie que cela ne va pas son fils à l'école. Je lui demande ce qu'il se passe. Elle me répond que c'est quand même bizarre l'école avec nous, que les enfants n'ont pas l'air contents. Je lui demande s'ils ont l'air contents chez elle. Elle m'explique : "Savez-vous ce qui se passe en Amérique ? Quand on dépose son gamin tous les jours à l'école, qu'il fréquente la maternelle, le primaire, le collège ou le lycée, même à l'université, les parents les conduisent dans leur grosse voiture et les déposent à l'école et tous les parents disent tous la même chose à leur gamin en partant : Have fun ! Et la mère me demande si, nous, nous ne leur souhaitons pas cela. Je lui réponds que je vais y réfléchir. Le lendemain, lorsque j'emmenai en voiture mes enfants à l'école, dont mes deux 33 adolescents qui "font la gueule", surtout parce que la radio ne leur convient pas (c'est vrai que ce n'était pas une bonne idée que de leur mettre Nostalgie). Au moment de les déposer (à 100 m de l'école, sinon cela fait pitié), j'ai tenté le coup de la brave américaine et leur ai dit "Régalez-vous !". Je ne vous le conseille pas : je n'ai jamais eu si peur pour mon pare-brise. Entrons un peu plus dans les détails pour aborder quand même quelques éléments, puisque Michel a lancé l'idée, de ces causes instrumentales, sans revenir sur la déficience. J'aimerais dire quelques mots, parce que c'est la spécialité de mon service depuis une quinzaine d'années (d'ailleurs à Rennes, une unité remarquable s'est ouverte avec Sylvie Tordjman qui se penche sur la précocité et l'enfant précoce en grande difficulté scolaire, bien sûr, et comportementale). La précocité, c'est un peu un paradoxe : pourquoi ces enfants finalement suréquipés, rencontreraient-ils des difficultés scolaires ? Je ne reviens pas sur les définitions : QI supérieur à 130 (mais vous savez ce que je pense du QI : le QI global ne veut rien dire, il faut surtout regarder comment ce QI s'est construit). En France, on utilise le terme d'"enfant intellectuellement précoce" ; or, ce n'est pas un bon terme parce qu'il voudrait dire que, comme l'avance de taille et de poids, à un moment donné il rattrape, ou les autres le rattrapent, alors qu'on reste précoce toute sa vie comme on reste dys toute sa vie. Simplement, on apprend à vivre avec et on apprend à contourner cette affaire. Beaucoup d'enfants précoces vont bien ; il ne faut pas imaginer que tous les enfants précoces sont en difficulté. Cependant, il en est quand même beaucoup qui présentent des problèmes de comportement. Ce qui justifie que j'en parle ici, c'est que - la moitié des enfants précoces rencontrent des difficultés scolaires sévères ; et - le dernier chiffre s'avère quand même édifiant : un tiers des enfants précoces n'arriveront pas 34 au lycée, non pas qu'ils ne veulent pas y arriver, mais parce qu'ils vont être exclus avant le lycée. Pourtant, leur équipement au départ était censé être tout à fait satisfaisant. Pourquoi arrivent-ils en échec scolaire ? C'est le résultat du cumul de nombreux facteurs ; nous allons les décliner les uns après les autres. - Le décalage : Certains enfants se trouvent d'emblée en décalage avec leurs parents, avec les adultes en général. La moitié de ma consultation est consacrée à des enfants précoces. C'est un décalage que l'on voit aussi lors des consultations. Voilà des enfants qui, avec les enseignants, avec les médecins, avec les adultes en général, ont une façon de faire sauter les barrières qui les séparent, qui n'est pas nécessairement bien comprise par l'environnement. L'exemple typique que je reprends souvent, c'est celui d'une gamine de six ans. Je suis en retard et je lui mets la main sur la tête. Je ne sais pas qu'elle est précoce (elle est venue pour cause d'échec scolaire) et je l'ai compris à ce moment-là. Je lui ai dit "Émilie, je suis un retard. Je viens te voir dans cinq minutes". Elle dégage sa tête, lève les yeux au ciel et soupire comme une ado (à six ans) et elle dit "Pfut, le geste con de tous les médecins". Vous imaginez avec la maîtresse quand elle fait cela ! Et elle le faisait. Voilà des enfants qui présentent un décalage avec les adultes. Très tôt ils mettent les parents en difficulté et leurs parents ont alors du mal avec ces enfants qui raisonnent, argumentent parce qu'ils ne savent pas nécessairement comment faire. La meilleure façon de répondre, c'est de rester le plus ferme et le plus rassurant possible, en expliquant aux enseignants et aux parents qu'un enfant précoce, c'est un enfant pas tout à fait comme les autres mais comme les autres, c'est un enfant. Et, plus que les autres, il a besoin de sérénité autour de lui, il a besoin d'un cadre. Cela le rassure. Sinon la précocité fait fabriquer de l'anxiété. Dès qu'ils ne sont pas rassurés par l'environnement, ils se mettent à penser. Parce que l'intelligence, cela leur fait penser à la mort. Ils savent déjà très tôt que la mort ce n'est pas quelque chose qui va disparaître et puis revenir comme on le pense vers trois-quatre ans, mais c'est définitif. 35 Ce décalage se fait par rapport aux autres, mais ils présentent une dyssynchronie interne. C'est cela qui les gêne à l'école. Ils ne sont pas très bons partout. Leurs QI s'avèrent extrêmement hétérogènes, avec des points très forts dans le raisonnement verbal, dans la compréhension (qui est fulgurante) et des points beaucoup plus faibles, voire même déficitaires dans le domaine du geste graphique. Donc cela, c'est très compliqué. Comme l'évoquait Michel, on constate la coexistence d'une dyslexie et d'une précocité bien plus fréquemment qu'on l'imagine. On compte davantage de dyslexiques parmi les enfants précoces que dans la population générale. Voilà le QI d'une enfant précoce, une jeune fille : On voit que : - les épreuves qui font appel à l'intelligence pure (celle de compréhension et de similitude) sont très bien réussies ; - les épreuves qui font appel à la mémoire de travail, au geste graphique et à l'attention le sont beaucoup moins. - L'ennui : Enseigner, c'est répéter. Ces enfants étant en décalage, ils s'ennuient. Quand l'enseignante a répété trois fois pour que tout le monde comprenne et que lui a compris la première fois, la deuxième fois, il n'est plus là. - Difficultés face à l'effort : il est très important d'en parler aujourd'hui. Quand vous avez compris tout, tout de suite, depuis toujours, que les choses se sont imposées à vous, vous n'avez jamais eu, comme nos petits patients dyslexiques, à passer une heure dès le CP pour comprendre que be et de ce n'est pas la même chose. Or le précoce lui, s'il n'est pas dyslexique, cela lui est venu tout seul, facilement. Et cela va lui manquer par la suite. Vous savez qu'actuellement, on repère quand même bien ce point fort des enfants dys, des enfants 36 dyslexiques en particulier, qui est le sens de l'effort, le sens de la méthode, lequel va singulièrement manquer à l'enfant précoce. J'ai vu sur Internet l'autre jour (ce n'est vraiment pas une blague) : Recherche architecte dyslexique (c'est en Amérique). Pour être architecte, pour tirer des traits, il n'y a pas nécessairement besoin de maîtriser l'orthographe. En revanche, le patron n'étant pas stupide il sait que celui-là va rendre ses plans à temps au jour convenu parce qu'il a appris à faire des efforts depuis le tout début de sa vie. Donc le sens de l'effort, la méthode, cela manque au précoce. - L'effet pygmalion négatif est une caractéristique extrêmement fréquente. L'enfant précoce risque de finir, de s'identifier à ce qu'on lui demande. Ainsi, il va se conformer progressivement au niveau qu'on lui dit être le sien. Si on ne l'a pas fait accélérer, si on ne lui a pas donné plus à manger, il va renoncer progressivement à ses compétences. J'en cite un exemple typique : une mère voulait faire sauter la classe de CE 1 à son fils alors que la maîtresse ne voulait pas. La mère va avec son fils à l'école et la maîtresse dit "Vous savez, le CE 1, il en a bien besoin". Alors la mère : "Allez lis, s'il te plaît". Et l'enfant lit comme cela : "Je-vous-re-mer-cie-et-je-vou-lais..." La maîtresse dit alors : "Vous savez Madame, le CE 1 c'est la classe du plaisir de lire ; et je crois que votre enfant a vraiment besoin d'une année supplémentaire" Et la mère lui dit "Tu peux lire comme hier ou tu t'en prends une ? D'accord ? La mère demande alors : "Pourquoi est-ce que tu lis comme cela ?" Et la maîtrise également : "Pourquoi est-ce que tu lis comme cela ?" Et l'enfant : "Je ne sais pas : vous leur mettez 10 quand ils lisent ''fan-tas-ti-que'' Mais il le disait de bonne foi, ce n'était pas de la provocation. Il pensait réellement que lire consistait à ânonner. Tel est l'effet Pygmalion négatif qui, finalement, amène l'enfant à ressembler à ce qu'on lui demande. - Les préoccupations anxio-dépressives. Quand un enfant précoce s'ennuie, il pense. Il a passé sa journée à penser des trucs incroyables : à la maladie, à la mort, à la séparation de ses parents. On se dit : on ne va pas lui faire accélérer une classe parce qu'il est vraiment trop bébé, il pleure tout le temps. Faites le accélérer, vous allez voir. Il saute sa grande section ou il saute son CP et, comme par miracle, la maîtresse du CE 1 dit "il n'a pas du tout le même comportement que ce qu'on m'avait dit, au contraire il est tout le temps souriant, dynamique" parce qu'aller à l'école quand vous savez que toute la journée vous allez penser ou vous ennuyer, c'est très difficile. - Les stratégies spécifiques des enfants précoces, enfin. On sait mieux comment ils fonctionnent : ils ont une réflexion fulgurante et analogique. Pas analytique : ils ne décomposent pas la question, ne décortiquent pas le problème. Cela leur pose pas mal de difficultés quand ils arrivent en 6e. En effet, on va leur demander comment ils ont obtenu la réponse de maths qu'ils trouvaient juste en CM 2, ayant compris tout de suite la question et fait le lien avec un autre exercice qu'ils avaient résolu une autre fois et qui leur avait amené la réponse. Peu leur importe la façon dont ils ont procédé. Ils ne savent pas faire ; et ils ne savent pas pourquoi ils le diraient puisqu'ils ont juste. Mais cela ne convient pas au professeur. 37 On sait qu'ils font appel à la mémoire "épisodique". C'est-à-dire que leur pensée est intuitive et non pas déductive. Ils ne font pas une déduction, ils n'enlèvent pas les parenthèses, ils ne vont pas à la ligne, ils ont une intuition du résultat, ils le marquent mais cela ne suffit plus. Ils font appel à la mémoire épisodique. C'est celle qui est en jeu dans le passage de la madeleine de Proust, dans Du côté de chez Swann. L'auteur trempe sa madeleine dans le thé, et c'est alors toute l'image de la maison de son enfance qui s'impose à lui. Eux, comme cela, ils trouvent des analogies avec des souvenirs qui leur reviennent et leur donnent la réponse. C'est très compliqué parce que, du coup il y a l'enfant scolaire, celui que les enseignants aiment bien. Celui-là aime apprendre, mémorise bien, il aime la clarté, connaît la réponse, s'intéresse, copie, a de bonnes idées, aime l'école. Celui-là ne pose pas de problème. Tout va bien ; mais il ne s'en souvient pas. C'est exact. Mais point par point. Quant à l'enfant précoce, lui n'aime pas apprendre ; il veut savoir, il préfère deviner, il complexifie. Si vous lisiez la rédaction d'un enfant précoce, c'est énorme ! D'abord, il rend un brouillon parce qu'il n'a pas eu le temps de finir et puis qu'il n'écrit pas assez vite (ils ont un problème avec le graphisme). Ensuite, le texte regorge d'idées mais elles sont beaucoup trop riches, jetées en vrac, et ne sont pas nécessairement comprises par l'enseignant. Il pose des questions ; il est curieux, il préfère créer, il a les idées riches, il subit l'école. 38 Voyons l'exemple de deux pages de cahiers : Que faut-il faire face à cela ? L'enseignant peut ne pas avoir compris la particularité de cet enfant comme il n'aurait pas compris celle d'un dyslexique ou d'un dyspraxique. Tous les jours j'entends dire "Applique-toi !". Et je l'ai entendu, moi aussi, dans ma vie parce qu'étant dyspraxique à mon époque ! Vous vous rappelez, ceux de ma génération, on trempait le porteplume dans l'encrier. Et quand vous êtes gaucher, de surcroît, vous voyez le travail ! Quand vous avez entendu pendant toute votre enfance "Sois plus soigneux !" alors que vous n'y 39 pouvez rien. C'est comme tous les petits enfants "dys" que je suis et qui me disent "Tu ne te rends pas compte ! On me dispute tout le temps. J'ai l'impression qu'on me reproche un handicap". Ce que j'appelle le principe de la double peine : une telle conduite est inqualifiable et très dure pour un enfant. Alors, que faut-il faire face à ce genre d'enfant, cet enfant atypique ? (c'est de la place de l'enfant différent que je parle). Soit on se place dans le registre de l'antipathie (les dyslexiques n'entraînent pas trop l'antipathie, parfois si, mais les précoces, c'est terrible), voilà ce que cela donne. Le gamin ne voit pas l'intérêt d'apprendre une carte ; en effet, il suffit de taper les mots clés sur Internet pour la trouver. Il la remplit et lui appose quand même une belle légende : Là, Madame, vous avez des pays bleus ; là vous avez les pays rouges. Il s'était appliqué parce qu'il écrit moins bien que cela, je vous signale. Il est en 5e. Là vous avez les anciens pays bleus devenus rouges ; là les anciens pays du bord de l'eau qui ont migré ; là les pays à forte exportation d'oranges ; là les pays atteints de varicelle aiguë. Là c'est Madagascar. Ah, un truc vrai parce qu'il y était allé. Là, c'est les pays de 10 habitants où le bleu règne en maître Ce qui était assez bien vu aussi. L'appréciation tombe : Visiblement, tu n'as pas compris les limites nécessaires à ton soi-disant humour ; 0,5/20. Démotivant quand même ! Lui n'était pas dans l'antipathie, il était dans l'excellentpathie. Les enfants précoces, sont dans l'excellentpathie à la différence des enfants autistes qui manquent d'empathie (empathos, souffrance avec). Lui, avait souffert avec sa prof parce qu'il avait écrit : Explication (c'est en bas) : L'étendue de mes connaissances dans ce sujet étant quasiment nulle, je me suis dit que, quitte à avoir 0, autant vous amuser un peu. Alors j'espère que vous avez pris du bon temps en corrigeant ma copie et que cela vous décompressera un peu lors de cette séance de correction longue, fastidieuse et exaspérante. Empathie ratée. Vous allez me demander ce qu'il aurait fallu faire. Le seul conseil qu'on puisse donner aux parents et aux enseignants, c'est de rester fermes et bienveillants avec ces enfants et de faire preuve d'empathie effectivement. Un autre qui a essayé un truc parce qu'il ne peut pas apprendre les règles (les enfants précoces détestent apprendre les règles, parce que les règles, c'est idiot). Comme il voulait quand même avoir une bonne note, il a osé lui marquer cela, en 5e : J'ai les calculs dans ma tête, je les ai au bout de la langue, mais cela ne veut pas sortir ; alors pouvez-vous s'il vous plaît me donner les 4 points de l'exercice, plus encore quelques points (10 points me suffiront). Je vous remercie d'avance si vous faites ce geste. Elle lui répond : J'ai vos 4 points au bout de mon stylo mais l'encre ne veut plus sortir. Voilà comment il faut faire. Puis lui demander de refaire le devoir à un autre moment. Le cas des enfants dyslexiques et précoces, Michel l'a abordé de façon remarquable, s'avère très compliqué. En effet 40 - soit on a reconnu leur dyslexie sans avoir identifié leur précocité et, dans ce cas, on sousestime leurs capacités intellectuelles, leur image d'eux-mêmes n'est pas la bonne ; - soit, à l'inverse, on a compris qu'ils étaient précoces mais on n'a pas vu la dyslexie. En effet, la précocité permet de compenser la dyslexie. C'est-à-dire que l'enfant précoce sait très vite quelle voie de lecture marche moins bien. Il compense son handicap avec celle qui marche le mieux. On va ne poser le diagnostic qu'en 5e ou en 4e ; or, c'est souvent trop tard. Parce qu'on lui dit qu'avec le niveau qu'il a, avec l'intelligence qu'il a, il peut obtenir de meilleurs résultats. Or, là encore, on va le sous-estimer - soit encore - c'est le cas le plus fréquent - on le découvre une fois par semaine : un enfant vient, dont on dit qu'il est moyen, pourtant on ne comprend pas, on a tout essayé, on a tout vu, etc. Et quand on mesure son QI, on s'aperçoit qu'il est précoce et dyslexique, qu'on avait raté les deux. La précocité venant masquer la dyslexie et la dyslexie venant abraser l'impression de précocité. Méfions-nous quand un enfant nous dit qu'il ne comprend pas parce que "à l'école, il y a des moments où c'est trop dur et d'autres où c'est trop facile". Et cela c'est vraiment une phrase que j'ai entendue très fréquemment de la part des enfants précoces. Restons dans la partie instrumentale : on a vu que les enfants précoces étaient équipés d'une façon différente et que cette façon différente allait les gêner pour apprendre. Cependant, il existe des enfants inattentifs. Il faut quand même que j'évoque leur cas, parce qu'il concerne quand même beaucoup d'enfants "dys". Parmi ces enfants inattentifs, on trouve ce fameux syndrome des Troubles-déficits d'attention avec hyperactivité (TDAH) figuré sur les bulles présentées par le docteur Michel Habib. Ces enfants présentent dans le cortex préfrontal, vraisemblablement et entre autres, des liens avec d'autres régions, mais qui fonctionnent moins bien. Cela durera toute la vie, contrairement à ce qu'on disait il y a 5 ans où on pensait qu'ils allaient récupérer à la fin de l'adolescence. On est désormais pratiquement sûr que 70 % d'entre eux garderont l'inattention ; et, parce qu'ils sont inattentifs, ils bougent parce qu'ils "zappent" en permanence. Bien entendu, on va voir que cela les gêne à la maison, à l'école et bien sûr dans leurs relations sociales. Eux aussi, ils ont un problème neurologique (attention : tous les enfants qui bougent n'ont pas un problème neurologique ! Il en est certains qui sont déprimés, d'autres anxieux). A nous - c'est notre mission - de poser le diagnostic étiologique de leur hyperactivité. En général, ceux-là présentent un déficit de l'attention, se montrent impulsifs et hyperactifs ; en général, ils associent tout cela. Mais parfois ce sont des enfants qui surprennent les parents et l'école parce qu'ils ne supportent pas les contraintes ; ils ne respectent pas les consignes. Cela c'est l'impulsivité. Quand je veux quelque chose, si je ne l'obtiens pas tout de suite, je ne peux pas m'empêcher d'exiger de l'avoir. Parfois on les voit aussi parce qu'ils sont rejetés : rejetés à l'école, à la maison, partout, ils souffrent d'une baisse de l'estime d'eux-mêmes. On reprend exactement le précédent tableau : la spirale. Je souffre d'un déficit de l'attention qui m'empêche de rester en place ; je coupe sans cesse la parole à la maîtresse. Elle n'a pas compris cela, pense que je suis mal élevé ; elle me punit, et je commence à douter de moi- 41 même. Nombre d'enfants hyperactifs me confient : "Je dois être nul, puisqu'on me le dit de partout". Même en sport, même dans les loisirs ; voilà des enfants qui souffrent dans toutes les situations. C'est cela qui fait le diagnostic d'un trouble développemental constitutionnel. Qu'il soit à l'école, au foot ou ailleurs ; un des derniers que j'ai vus était au foot. Il s'est fait virer du foot ; pourtant cela marche bien le foot à Lyon, normalement. Eh bien il s'est fait virer ; il jouait goal et quand il avait soif, il allait boire. Avec son fonctionnement de TDAH, il était absolument incapable d'anticiper les conséquences de ses actes. Voilà des enfants qui courent, grimpent, s'agitent, ne restent pas assis. C'est un bon signe dans le service. A la fin de la semaine, le vendredi, nous organisons une réunion de synthèse où tout le monde intervient. La puéricultrice m'explique que, même à table, même pour les jeux, il ne peut pas rester assis. Il ne joue pas en silence. En fait, ils bruitent tout ce qu'ils font. J'essaie de parler avec la mère "Ouah" il y a une voiture qui... Alors je lui demande "Tu peux t'arrêter deux secondes Kevin (ils s'appellent toujours Kevin, pratiquement) ?". "Tu peux t'arrêter deux secondes ?". Et il s'excuse et deux secondes plus tard il recommence. C'est des enfants qui promettent beaucoup et s'excusent souvent. En général, ils ont une dent cassée là vers 6 ans. Ils éprouvent des problèmes pour se concentrer, par exemple, dès que le copain assis à côté de lui fait bouger son stylo. Comme l'évoquait Michel, ils présentent une attention sélective, cette incapacité à focaliser leur attention sur ce que dit la maîtresse ou le professeur. En effet, dès qu'un distracteur se trouve à côté de lui, il est distrait. Il n'y peut rien, c'est comme cela. A nous de trouver des aménagements pédagogiques (on va en parler tout à l'heure) qui vont permettre à la maîtresse de l'aider à contourner son problème. Cette impulsivité les amène en difficulté : scolaire, bien sûr, mais aussi sociale. Ils coupent la parole ; ils n'attendent pas leur tour ; ils perdent leurs affaires, ils oublient tout le temps ; ils sont incapables de planifier, de faire leur cartable. Un des aménagements pédagogiques qu'on conseille, c'est d'arrêter de supprimer la récréation pour lui faire faire des lignes parce qu'il a oublié son matériel ! Donc interdiction. J'ai une liste complète d'aménagements pédagogiques pour enfants souffrant d'un déficit d'attention. Et souvent les enfants "dys" ont aussi des déficits d'attention. S'il passe sa récréation à écrire "Je ne dois pas oublier mes affaires" alors que c'est lui qui a le plus besoin de la récréation parce que c'est le moment où il peut libérer sa décharge motrice, c'est vraiment terrible. Ce qui est intéressant, c'est que certains enfants présentent un tableau de TDAH pur (certains autres l'associent à la dyslexie et dyspraxie) ; ils font des erreurs en orthographe. Mais ces erreurs commises sont très particulières : elles ne sont pas présentes au début. Les traits rouges apparaissent au fil de la tâche. Plus la tâche augmente, plus les fautes augmentent. On appelle cela le trouble de l'attention soutenue. En lecture, c'est pareil ; en graphisme, c'est pareil. L'enfant écrit bien en début de ligne ; puis arrivé à la fin du texte, il commence à écrire moins bien. 42 Dans les aménagements pédagogiques, on conseille, comme pour les dysorthographiques, de préférer, Madame l'enseignante, les épreuves à trous. Il y a juste un trou et il écrit le mot que l'on attendait dans un trou. Mais si le mot dont on attendait qu'il le sache est perdu au milieu d'une phrase, et que l'enfant s'est épuisé à écrire sa phrase, il va écrire de façon erronée le mot qu'il savait juste. Voilà comment on pose le diagnostic : un utilise une échelle, celle de Conners. On la fait remplir à Papa, à Maman, aux maîtresses (à celle du matin et à celle de l'après-midi). Un score est calculé : - Est-ce qu'il est agité ou très actif ? Oui, énormément, 3 points. - Est-ce qu'il est nerveux et impulsif ? Enormément, 3 points. - Est-ce qu'il a une attention de courte durée ? Beaucoup, 2 points. On fait le total. Quand le score est au-dessus de 15, on ne sait pas pourquoi l'enfant est hyperactif, mais on sait que la personne qui a rempli la grille estime qu'avec elle, l'enfant se montre hyperactif. Ensuite, je mets en perspective les différentes échelles : celle de Papa, celle de Maman, celle de la maîtresse, celle du professeur de foot : - si l'enfant est hyperactif partout, a plus de 15 points partout, vraisemblablement, c'est constitutionnel ; - s'il ne l'est qu'à l'école et pas à la maison, c'est que l'école n'est pas adaptée. L'enfant est précoce ou déficient ou "dys" ; mais en tout cas l'école ne peut pas s'adapter à lui ; - s'il ne l'est qu'à la maison et pas à l'école, cela dénote un problème plutôt psychoaffectif pour l'heure. Nous disposons de nombreux tests dont je vous épargne la description. Dans notre service (qui comporte trois neuropsychologues et quatre psychologues cliniciennes), les 43 neuropsychologues font passer des tests qui vont évaluer l'attention, la concentration, le contrôle de l'impulsivité. Je vous montre d'abord des tests de QI que font passer les psychologues. Le Wisc-IV est le dernier QI : le chiffre global ne voudrait rien dire chez cet enfant de 9,5 ans, parce qu'il présente une compréhension verbale normale, un raisonnement perceptif normal. En revanche, en ce qui concerne la mémoire de travail (celle dont parlait Michel), cette mémoire à très court terme qui sert à emmagasiner l'information et à la manipuler pour s'en resservir, quand on lui pose un problème de maths par exemple, on voit qu'il est très en dessous de la norme. De même, pour ce qui est de sa vitesse de traitement de l'information, il est très en dessous. C'est un enfant qui présente typiquement un déficit d'attention. On le voit grâce au QI et point n'est besoin de pousser plus avant les investigations. 44 Le test de Stroop (entraînez-vous !) Peut-être le connaissez-vous. Il faut lire de haut en bas non pas le mot mais la couleur de l'encre. Donc il faut lire bleu, rouge, vert, bleu, vert, rouge, etc. Les vrais enfants qui présentent un déficit d'attention tout le long ils vont vous lire : "Rouge... Ah non... bleu, je suis c.." ; "Vert... Non, je suis nul !".). C'est-à-dire qu'ils ont beau connaître la consigne, ils ne peuvent pas l'inhiber, ils ne peuvent pas revenir dessus. Il existe un traitement qui s'appelle le Concerta ou la Ritaline. Quand il agit, quand c'est de bonne indication, c'est magique. Et pensez, si vous avez un enfant qui est dyslexique, qui fait des fautes bêtes en plus de sa dysorthographie, à faire évaluer son attention. Sur un Wisc-IV on vous dira s'il a un trouble attentionnel. N'hésitez pas alors à demander au centre de référence le plus proche qu'on vous prescrive ce médicament qui va modifier pas mal de choses. Mais ce n'est pas cela le fond du problème. Le fond du problème, c'est que soient mis en place les conseils psychopédagogiques. L'enfant doit être assis près de l'enseignant. En général, on le met au fond de la classe, tellement il est pénible, alors qu'il doit être devant et on doit le regarder dans les yeux et solliciter son attention visuelle en permanence. Bref, je ne vais pas vous énumérer tous les conseils à suivre ; j'en ai toute une liste de conseils. Ils sont extrêmement importants. Passons aux enfants "dys" ; je ne comptais pas en parler : 45 Je vous montre juste une page de cahier concernant les enfants dysphasiques. Je vous dis juste une chose fondamentale : les enfants dysphasiques ont un problème avec le langage oral. Certaines caractéristiques sont communes. C'est l'orthophoniste qui va nous confirmer, après un bilan, que l'enfant présente bien tous les marqueurs de la dysphasie. Parmi ces marqueurs de la dysphasie, il en est un, d'extrême importance, que l'on appelle la dissociation automatico-volontaire. Pourquoi est-ce que je vous en parle ? C'est parce que les dyslexiques l'ont ; les enfants porteurs du syndrome du TDAH l'ont également. Cela signe le plus souvent un problème neurologique. Ainsi, l'enfant arrive mieux à faire des choses de façon automatique que sur commande. Quand on lui demande de lire, c'est plus difficile pour lui de le faire à ce moment-là qu'à un autre moment où il n'a pas lu le tableau, il va être capable de lire une affiche tout fort, spontanément, de façon automatique. Il faut le savoir. En effet, si la maîtresse le surprend en train de lire cela, qu'est ce qu'elle va dire ? "Tu vois, quand tu veux, tu peux ! Et c'est à nous les professionnels d'aller expliquer à la maîtresse, pendant les réunions tenues sur les petites tables et les petites chaises : "Non, Madame, ce n'est pas quand il veut, qu'il peut, c'est quand il ne veut pas". Et cela, c'est quand même complètement différent de leur expliquer cette notion de dissociation entre ce que je peux faire sur commande et ce que je peux faire, beaucoup mieux, spontanément. Ma conclusion sur les enfants "dys" c'est que ce sont des enfants intelligents, qui souffrent de ne pas pouvoir le montrer, de ne pas pouvoir le prouver. Ma mission consiste à rappeler constamment aux enseignants que ces enfants sont dotés de capacités d'apprentissage différentes ; mais leur volonté d'apprendre, au départ, est la même et semble peut-être même supérieure aux autres. Voici une page du cahier d'une enfant dysphasique qui était prise pour une enfant psychotique ; la confusion est fréquente : 46 La maîtresse me dit qu'elle pense que la fillette est psychotique, qu'elle se fout d'elle. "J'ai fait comme vous m'aviez conseillé : je l'ai encouragée. Le 16 mars, elle me mettait : "Le gamin fait un câlin à son lapin." C'était très bien écrit. Le 17, regardez comme j'ai été récompensée : je lui dicte "un chemin", elle m'écrit "un chplaide" ; "le patin" : "un maridr" ; "la dinde" : "la ordaal". En fait, la maîtresse avait là une magnifique image de la dysphasie : - quand l'entrée est visuelle, la gamine est capable de décoder, en copie ; - quand l'entrée est auditive, la gamine reste absolument incapable de décoder. Bien entendu, cela peut passer pour un trouble psy alors qu'en fait c'est un trouble tout à fait neurologique. Je me réinviterai l'année prochaine pour traiter des causes psychologiques. Je vais simplement dire : Comment fait-on pour faire la part des choses ? Les psychologues cliniciennes n'ont pas à leur service les outils tels que les tests neuropsychologiques ; elles disposent d'outils qui sont des tests projectifs. Dans un test projectif, comme son nom l'indique, l'enfant va projeter sur l'histoire, son propre vécu psychique. On a pour les petits le "Patte noire" et pour les grands le Rorschach. Par exemple, en faisant passer le "Patte noire" à un enfant, on lui dit : "Tu vois, tu as une famille Cochon" ; et tu racontes ce que tu vois." L'enfant raconte alors ce qu'il voit. On met en perspective, la réalité, une histoire et son imaginaire. Cette planche que j'aime bien permet de poser le diagnostic. Par exemple : un enfant qui est déprimé, et qui bouge pour cette raison, commentera : "Ah, eh bien il est foutu" ; "Il est foutu". Alors que le gamin venait pour hyperactivité. "Il est tombé dans le piège que lui a tendu le boucher et demain ils vont en faire du saucisson". Et il me rajoutait même "immangeable à cause de la tache noire". 47 Alors que le petit Kevin qui bouge faute de pouvoir se contrôler, mais est heureux comme tout, voit la même image, il présente le même symptôme, il a le même âge, le même QI et il dit : "Super, il s'est planqué ; et maintenant que ses parents dorment, il peut aller s'amuser avec ses copains". Comprenez-vous la finesse d'un test projectif ? Et même si le gamin se dit : "Je vais lui faire croire que je vois cela, eh bien c'est ce qu'il a vu en première intention qui compte." Je conclus. J'ai repris ceci à Françoise Dolto, figurez-vous. J'ai beau avoir étudié la neuropsychologie, j'ai quand même une formation psychanalytique. Françoise Dolto a écrit des choses bien pensées à l'époque ; ainsi, elle écrivait sur le handicap, il y a trente ans : La contrainte, c'est le handicap. Le piano est abîmé mais le pianiste est intact. Je passe mon temps à corriger cela et à l'expliquer aux maîtresses à propos des enfants "dys". Ce qui ne va pas, ce qui gêne l'enfant dans son écriture, dans son calcul, dans sa lecture, c'est la fonction. Seules quelques notes du piano ne fonctionnent pas correctement ; on va les aider à fonctionner ; mais le pianiste, lui, va bien et vous ne pouvez pas assimiler l'enfant à sa fonction déficiente. Alors, la maîtresse change le regard qu'elle porte sur l'enfant dès l'instant où elle a compris cela. Cela c'est ma première conclusion. Et je n'en ai plus que deux ! Ma deuxième conclusion, notre mission à tous c’est de restituer le désir d’apprendre pour l’enfant et je terminerais par ces paroles de Jacques Prévert : « Avec des craies de couleur, sur le tableau noir du malheur, il dessine (enfin) le visage du bonheur... » 48 Table ronde avec : Michel Habib, Olivier Revol, Jean-Émile Gombert Mme Anne Chevrel * monde médical * des pistes. On a parlé de médicaments, même si cela a été très rapide ; je pense qu'il faudra peut-être en parler. On a parlé de rééducation aussi. Nous, parents, ne savons pas trop quoi faire, ni ce qui va se passer. Avant tout, je voulais vous poser, peut-être à tous les trois, une question de définition. On parle de troubles "dys". Ce terme de "troubles" reste assez vague et couvre un champ assez vaste. On ne parle pas de maladie ; et vous avez utilisé, les uns et les autres, le terme de handicap. C'est parfois un petit peu difficile pour des parents d'accepter ce terme-là quand on détecte chez leurs enfants des troubles. Est-ce que ces troubles "dys" constituent vraiment un handicap, pour vous ? Ou est-ce qu'ils n'en sont pas vraiment un ? Pouvez-vous nous éclairer sur ces points-là ? Je ne sais pas lequel d'entre vous veut commencer ? Docteur Michel Habib Ce n'est pas par la question la plus facile que vous commencez, là. Non, je crois que le terme de handicap revêt une connotation de handicap moteur ou intellectuel ; finalement, l'employer fait dévier a priori la compréhension vers ce que cela n'est pas pour les enfants "dys". En effet, les enfants "dys", les dyspraxiques, souffrent d'un trouble qui ressemble plus à du handicap moteur ; les dysphasiques, dans leur difficulté à communiquer, clairement cette difficulté-là, pourrait prendre plus facilement cette connotation ; mais la grande majorité des enfants dont on a parlé, qu'ils soient hyperactifs ou dyslexiques, ne sont pas des handicapés au sens commun du terme. En revanche, je crois qu'il va quand même falloir s'approprier le terme de handicap, par la force des choses. En effet, les lois sont là. Vous savez qu'une loi de 2005 parle de handicap. Finalement on se trouve, par la force des choses et pour le moment, (vous allez probablement en parler, Madame, tout à l'heure), soit dedans, soit dehors. On ne peut pas rester entre les deux. Si l'on est dehors, que l'on n'est pas dans le handicap, on ne bénéficie d'aucune des prérogatives ni d'aucun des avantages qu'instaure la loi. Finalement, il faut mettre en balance - d'une part, l'inconvénient d'employer le terme de handicap, qui s'avère parfois un peu lourd à porter, c'est clair, et - d'autre part, l'inconvénient de ne plus pouvoir bénéficier des avantages que procure la loi. 49 On est entre les deux. J'avoue que c'est parfois difficile. Et je peux comprendre les parents qui rechignent à utiliser le terme de handicap à propos de leur enfant car ils ne le considèrent pas comme un handicapé au sens habituel. Cela dit, si on va au-delà du mot, je crois que c'est quand même important, à beaucoup d'égards, et en particulier dans le domaine scolaire, de faire reconnaître que l'enfant présente une différence. On a parlé aussi de différence ; dans certains cas, ce mot de différence s'avère plus approprié que celui de handicap ; mais pour arriver à faire entendre à toutes les personnes concernées que l'enfant est différent, il faut parfois utiliser certains moyens. L'un de ces moyens consiste à utiliser le terme de handicap. Voilà ce que j'ai à dire ; mais peut-être as-tu une autre vision ? Docteur Olivier Revol Non, je pense que c'est un peu à double tranchant, effectivement, parce que certains parents, comme tu le disais très justement, y répugnent. Je trouve que le terme "maison du handicap", c'est lourd. Cela nous est tombé d'un coup, comme cela ; ce n'est quand même pas très facile à accepter. Je pense que, dans les années qui viennent, on va s'y faire. Mais comme disait Michel, c'est avec la reconnaissance de cette différence que commence l'adaptation pédagogique. En ce qui me concerne, je procède avec douceur, je peux vous le dire. Ils vont obtenir le tiers-temps pour les examens ; c'est une chose. En revanche, ils n'aiment pas l'avoir (et les professeurs n'aiment pas le leur donner d'ailleurs) pour les contrôles, pour l'année scolaire. Il existe une façon de contourner le problème : on dit à l'enfant que l'on a reconnu que c'était plus difficile pour lui que pour les autres d'écrire dans les temps ; il suffit de demander aux enseignants de supprimer le dernier exercice. Donc, cela ne se voit pas ; l'enfant fait le travail pendant le même temps que les autres, moins un exercice ; et il est noté comme eux. Donc il a à la fois besoin d'être reconnu dans sa spécificité, dans sa différence ; mais je pense qu'il n'est pas prêt non plus à porter l'étiquette de handicap, surtout à l'adolescence où cela devient tellement important que d'être habillé comme les autres et de parler comme eux, d'être comme eux. C'est cela qui est un peu compliqué ; je pense que c'est peut-être plus simple pour les petits. Professeur Jean-Émile Gombert Vous avez tout dit. Mais je ne pense pas qu'il faille se focaliser sur les mots. Je suis d'accord avec Michel : certaines classifications deviennent incontournables pour les bénéfices qu'elles procurent. Mais quel est l'état de fait ? Si je dois faire un exercice de tir et que j'ai une poussière dans l'oeil, cela ne gêne personne de dire que je suis handicapé dans cet exercice. Cela ne me stigmatise pas parce que l'on n'a jamais considéré ce type de handicap comme stigmatisant. En revanche, lorsqu'on parle d'un obstacle qui retentit sur les apprentissages scolaires, alors le terme de handicap est considéré comme stigmatisant. Le problème ne réside pas dans le terme 50 mais dans la façon dont on considère l'activité visée et dans laquelle on situe les responsabilités de chacun dans la réussite de l'activité. Mme Anne Chevrel L'un des problèmes qu'on peut se poser quand on parle de handicap et je suis bien d'accord avec vous, dans la vie quotidienne effectivement, il faut accepter ce terme, c'est que souvent quand on parle de maladie, on se dit "cela se soigne, on guérit". Quand on parle de handicap, cela suscite toujours beaucoup plus d'interrogations sur l'avenir. C'est vraiment aux médecins et aux scientifiques que je m'adresse. Evidemment, il y a l'adaptation au système scolaire, dont on va beaucoup parler. Beaucoup peut être fait pour améliorer la situation des enfants ; cependant, peuvent-ils être "soignés" ? M. C'est plutôt une question à poser à un neurologue ! Docteur Michel Habib Cette question-là est plus facile. Effectivement, je crois que ce n'est pas une maladie, mais cela se soigne ; ce n'est peut-être pas un handicap, c'est peut-être un handicap, mais cela ne guérit pas. Vous voyez que ce n'est donc ni l'un, ni l'autre. C'est quelque chose qui se soigne mais dont on ne guérit pas. Donc cela échappe totalement à un abord par des concepts connus ; il ne faut pas y appliquer les concepts connus. Je crois que, pour ce qui est de la dyslexie, on naît dyslexique dès la naissance et on le sait maintenant ; on va mourir dyslexique. On aura toujours ce handicap. D'ailleurs on le voit chez les parents et les grands-parents de nos petits dyslexiques qui viennent en consultation. Vous savez, il existe un aspect héréditaire à ce trouble ; très souvent on trouve que les pères ont été dyslexiques eux-mêmes, même si on ne l'a pas diagnostiqué comme tel. Très souvent, ils gardent trace de cette difficulté en orthographe, de ce passé lourd, de cette scolarité qui leur a pesé pendant toute leur enfance. La dyslexie reste un trouble que l'on garde, qui ne guérira pas à proprement parler. Cependant, cela ne signifie pas qu'elle ne se soigne pas ; et c'est en cela qu'elle diffère un peu de ce qu'on appelle une maladie. Effectivement, les méthodes de rééducation se font de plus en plus nombreuses. Vous avez parlé de médicaments mais cela reste assez exceptionnel, limité à un cadre très spécifique. Je dirais que c'est le seul cadre où on recourt à des médicaments. Pour tout les autres, on reste dans le cadre de l'intervention rééducative de professionnels et, le plus souvent maintenant, de groupes de professionnels en équipe pluridisciplinaire. La rééducation constitue un soin véritable et j'ai montré à quel point elle s'avérait efficace puisque allant jusqu'à modifier même l'organisation du cerveau. 51 Mme Anne Chevrel Une question nous arrive de l'autre salle justement sur la rééducation : Que peut-on faire pour un enfant qui est diagnostiqué comme dyslexique sur lequel la rééducation orthophonique ne fonctionne pas ? Qu'est-ce qui se passe ? A quel type de schéma cela correspond-il ? Docteur Olivier Revol Cette question semble importante : il s'agit là d'un cas où le centre de référence peut tout à fait présenter son intérêt. Dans la plupart des cas, on l'a dit, un centre de référence avec une orthophoniste qui maîtrise bien son affaire, qui a établi un bilan complet, cela ne sert à rien. En revanche, quand une rééducation orthophonique a été bien conduite, sur un enfant d'intelligence normale, et qui a été expertisé comme porteur d'intelligence normale, ne fonctionne pas ou pas assez bien, on doit demander un avis complémentaire. En effet, la réponse est l'éventuelle coexistence d'un autre trouble : un déficit d'attention, d'une précocité, d'une dépression, des troubles obsessionnels compulsifs, qu'il faut rechercher, en plus. Je crois que c'est cela l'idée. Mme Anne Chevrel Une dysphasie peut-elle être détectée par un IRM ? Docteur Michel Habib Vous parlez de détection ; mais il est un sujet dont nous n'avons pas du tout parlé ; je crois que nous en parlerons. Il s'agit de tout ce qui a trait au dépistage. Sachez cependant que, de tous les progrès qui ont été réalisés ces cinq dernières, il en est de considérables qui concernent le dépistage. L'institution scolaire y est pour beaucoup puisque je pense que, dans toutes les régions, ici comme ailleurs, l'Éducation nationale a fait un effort considérable de dépistage, à travers la médecine scolaire. Parmi les éléments permettant ce dépistage, le langage oral joue un rôle important. On sait désormais qu'un enfant qui présente des troubles du langage oral risque de connaître des troubles de l'apprentissage ultérieurement. On n'a pas eu l'occasion de parler pendant ces trois interventions de cette notion de la préséance du langage oral sur le langage écrit. Cependant, elle reste capitale et on peut profiter de cette question pour l'aborder. Cela dit, la question portait plutôt sur la dysphasie, sur le devenir des dysphasiques. Mme Anne Chevrel Sur la détection par IRM. Docteur Michel Habib Je crois qu'actuellement on n'en est pas là. Toutes ces images que je vous ai montrées restent du domaine de la recherche et pas du tout de la pratique clinique : on n'en a pas besoin pour faire des diagnostics. 52 Mme Anne Chevrel Donc, pour l'instant, pas de détection par cette méthode ? Docteur Michel Habib Ce n'est absolument pas un élément qui permette la détection. En revanche, pour l'avenir, il est probable que cela puisse aider dans divers domaines, dont la détection. Mais pour le moment, la détection passe par la clinique. Une enseignante A vous entendre, je suis très interpellée. En effet, nous sommes vraiment seuls dans nos classes. Je me demande si l'Éducation nationale fait de temps en temps appel à vous. En effet, face à un enfant dyslexique, à part travailler autour d'une table (c'est déjà très bien) avec des parents ou des spécialistes, on ne fait pas grand-chose. Je voulais savoir si, dans notre formation (initiale ou continue), des évolutions ou des changements avaient lieu. En effet, je ne savais franchement pas ce qu'était un dyslexique avant d'en avoir accueilli un dans ma classe. Grâce aux parents, j'ai pu m'y intéresser ; nous sommes une petite équipe, mais nous restons isolés. C'est un point dans mon département. Docteur Habib On va peut-être demander au régional de l'étape ? Professeur Jean-Émile Gombert Je ne veux pas parler pour l'Éducation nationale, bien que j'en fasse partie ; mais quand même ! Il faut dire que les choses évoluent rapidement depuis quelques années. Il y a encore 5 ans, l'Éducation nationale niait, en général, rejetait totalement la notion même de troubles "dys". En mars 2002, un texte est venu officialiser l'existence des troubles "dys" et la nécessité de les prendre en charge. Depuis, il se développe au sein de l'Éducation nationale, toute une quantité de dispositifs qui, non seulement sont destinés à détecter les enfants à risque mais tracent aussi des pistes pour la prise en charge des enfants et pour la formation des enseignants. Cela dit, il reste encore un long chemin à parcourir ; on entend de nombreuses déclarations d'intentions. Il faut bien avouer que les moyens ne suivent pas ; j'aurais même tendance à dire voir une corrélation inverse entre le développement des intentions et l'affectation des moyens. Je pense que c'est un point important : s'il y a urgence, si on prend clairement la décision de prendre en charge cette difficulté particulière que rencontrent un certain nombre d'enfants et de parents, il faut affecter les moyens nécessaires à la formation, d'une part des enseignants toutvenants et, d'autre part, des professionnels. Et ce sont là de réels investissements qui supposent des priorités à donner dans les dépenses de la nation. 53 Mme Anne Chevrel Nous aurons l'occasion de revenir tout à l'heure sur ces questions d'Éducation nationale et d'interactions entre les différents acteurs. Une autre question nous arrive de l'autre salle, portant toujours sur la détection des troubles "dys". L'un de nos interlocuteurs demande ce que l'on peut faire quand les troubles "dys" sont détectés à l'adolescence par exemple, de façon tardive ? Cela ne constitue-t-il pas un handicap supplémentaire ? Peut-on encore, à l'adolescence, entreprendre quelque chose pour aider ces enfants ? Docteur Olivier Revol Oui, c'est une très bonne question. D'abord il n'est jamais trop tard pour entreprendre quelque chose. Il n'est jamais trop tard pour faire identifier à l'enfant la raison de ses difficultés. J'irais même plus loin : certains parents viennent nous consulter alors que leur enfant a maintenant 20 ans et qu'il a quelque peu échoué dans sa scolarité. Ils me demandent si je n'aurais pas une idée. On fait passer des tests à l'enfant et on lui montre, grâce à son test de QI, à son test logico-mathématique, à son test orthophonique, les raisons de ses difficultés. Il n'était pas un enfant fainéant ; il n'était pas un enfant opposant ; il n'était pas un enfant qui avait des problèmes. Il n'était simplement pas équipé pour apprendre. Il n'est jamais trop tard pour le faire et c'est toujours apaisant pour lui. A l'adolescence maintenant pure, c'est-à-dire au collège puis au lycée, il n'est pas trop tard. On peut, bien sûr, entreprendre encore certaines rééducations ; une évaluation orthophonique peut conduire à une reprise ou à une mise en route initiale d'orthophonie. Il n'est jamais trop tard pour commencer une aide, un accompagnement. Mme Anne Chevrel Qu'est-ce qui peut nous alerter quand cela survient à l'adolescence ? Qu'est-ce qui fait que l'on va y penser d'un seul coup ? Docteur Michel Habib Je vais juste rajouter à ce qu'a dit mon collègue que, si un enfant dyslexique n'est détecté qu'à l'adolescence, il existe probablement une raison à cela. Il y a à peine 10 ans, ces cas se présentaient assez fréquemment ; désormais, ils ont pratiquement disparu. Je crois que le système est suffisamment bien conçu pour permettre la détection de tout enfant dyslexique. Pour qu'il passe à travers les mailles du filet, il faut une raison. Une des raisons possibles, c'est qu'il ait compensé, qu'il fasse partie de cet aspect des enfants précoces. Sa dyslexie est passée inaperçue à cause ou grâce à son intelligence. Franchement, face à un enfant de 12 ans dyslexique, qui n'a jamais fait l'objet d'un diagnostic auparavant, moi je ferais volontiers une mesure de QI. Mme Anne Chevrel Vous conseillez d'ailleurs presque systématiquement cette mesure du QI ! 54 Docteur Michel Habib Oui. Mme Anne Chevrel Merci. Voyons une question de définition : Que sont les troubles dysexécutifs ? Docteur Olivier Revol Les troubles "dysexécutifs" (je parle sous le contrôle de Michel, qui est neurologue), sont des troubles liés à un dysfonctionnement du cortex préfrontal ; or, les fonctions qui sont soustendues par le cortex préfrontal sont les fonctions exécutives. Ce sont celles qui permettent d'atteindre un but. Si je veux saisir un objet, je dois élaborer un plan dans ma tête. Je le fais ; et si, entre-temps, je pense ce n'est pas le moment de prendre mon verre parce qu'on me pose une question ailleurs, je dois être capable de revenir sur ma première idée (ce qu'on appelle la flexibilité mentale) puis de changer d'avis. C'est cela les fonctions dysexécutives. Les enfants qui présentent un déficit attentionnel souffrent très souvent d'un trouble "dysexécutif" et rencontrent des difficultés justement, avec la flexibilité mentale, à penser à lever la main, à mettre en place une stratégie pour travailler, à s'organiser, à revenir sur une idée parce qu'elle n'est pas bonne. Cela les pénalise fortement sur les plans social et scolaire. M. *David Pouly* Je suis père d'un enfant dyslexique. Je me demandais quel était votre point de vue sur les redoublements d'enfants dyslexiques ? Je reprends une de vos précédentes réflexions : ce sont les enfants que l'on repère tardivement. Je pense que les parents font aussi beaucoup ; ils participent énormément pour permettre à leurs enfants de se "raccrocher aux wagons" en permanence. Ces parents n'ont pas l'impression, dans ces cas, de bénéficier toujours d'un soutien derrière. On leur objecte que leur enfant n'ayant pas redoublé trois fois,il n'y a donc pas de souci. Docteur Olivier Revol Cette question est fréquente. Quand on se retrouve assis sur les petites tables et les petites chaises, lors des réunions hebdomadaires avec les enseignants et les orthophonistes, je pense que la première chose qu'on doive annoncer à l'enseignant, c'est que l'enfant ne saura pas lire à la fin du CP ; mais qu'il ne saura pas non plus lire à la fin du CE 1, à la fin du CE 2, à la fin du CM 1. Donc il faut revoir à la baisse les objectifs. Si vous le faites redoubler uniquement pour son problème de lecture et ensuite pour son problème d'orthographe, c'est une faute, et c'est une faute grave ! Cela ne servira à rien. Par la suite, bien sûr, si d'autres problèmes surviennent, d'autres difficultés, d'autres lacunes, on peut en rediscuter. Mais faire redoubler un enfant uniquement parce qu'il rencontre un problème spécifique de calcul, de lecture ou d'orthographe et qu'on sait que cela ne signifie pas un retard simple, mais que c'est dû à un trouble "dys", développemental, qui va durer et qu'il va garder 55 toute sa vie, qu'on va lui apprendre à compenser au fil des années, mais pas l'année prochaine, ni dans deux ans, je suis opposé au redoublement des enfants "dys". Certainement. Mme Anne Chevrel Une autre question nous vient de l'autre salle : vous nous avez parlé tout à l'heure de médicaments. Dans le traitement des troubles de l'attention, c'est un aspect qui suscite encore la polémique ; peut-être plus chez vous scientifiques. En tout cas, chez les parents, il persiste toujours une inquiétude. Est-ce que, chez les enfants qui présentent un trouble de l'attention, on doit réellement recourir aux traitements médicamenteux ? Ne comportent-ils pas un risque ? La Ritaline a aussi fait parler pas mal d'elle. Docteur Olivier Revol Est-ce qu'on doit donner de l'insuline à un enfant qui est diabétique ? Mme Anne Chevrel Je crois. Docteur Olivier Revol Après la question, c'est cela. Il n'y a plus de polémique ; il ne devrait plus y en avoir. Il faut se donner les moyens d'expertiser les causes du trouble de l'attention de l'enfant. L'Amérique du Nord offre l'exemple d'une situation extrême : on y traite 8 millions d'enfants par la Ritaline. Là-bas, dès qu'un enfant bouge l'oreille, sans même se poser la question de savoir pourquoi il bouge, on le traite et cela pour différentes raisons : - d'abord, c'est pour des raisons d'ordre économique, parce que les assurances ne remboursent qu'une seule consultation chez le médecin ; celui-ci doit régler en une fois le problème et cela va donc très vite ; - ensuite, c'est certainement lié au fait que l'Amérique du Nord compte plus d'enfants hyperactifs que l'Europe, pour des raisons génétiques, parce qu'on sait que le TDAH, c'est génétique. Ceux qui sont partis sur le Mayflower, ce n'étaient pas les plus stables à l'époque (cela n'engage que moi !). A peine arrivés, sur la côte Est, il a fallu qu'ils repartent sur la côte Ouest dans des chariots. Je le pense ! Mais blague à part, on voit ces enfants ; ils sont notre lot quotidien. Sur les 10 enfants que je reçois en consultation chaque semaine, 5 sont hyperactifs. On déroule, au fil de la semaine, la liste des causes possibles de leur hyperactivité. Je dirais que, sur 10 enfants hyperactifs, . 4 sont déprimés. On oublie que la première manifestation de la dépression de l'enfant est l'agressivité et l'hyperactivité. Dans ce cas, leur prescrire de la Ritaline constitue une faute grave, car cela majore la dépression ; . 2 rencontrent des problèmes "dys", parce qu'ils s'ennuient à l'école, parce que c'est trop dur ou trop facile ; 56 - 2 autres souffrent de maladies génétiques ; il faut entreprendre des recherches, réaliser un examen neuropédiatrique, car certaines maladies font bouger ; et enfin - 2 sont des TDAH ; ils sont donc 2 sur 10. Quand on a apporté la preuve que c'était vraiment un TDAH - on dispose des moyens d'établir cette preuve grâce au QI, à des tests d'attention, etc. ne pas lui prescrire de la Ritaline, c'est une faute. C'est-à-dire que, de ne pas traiter un enfant qui en a besoin, dont on sait pertinemment (dans notre service, nous sommes en train de reproduire les études prospectives américaines) que ces enfants-là, non traités, peuvent connaître une évolution qui serait extrêmement défavorable. Ne pas traiter ces enfants qui présentent une symptomatologie qu'on connaît bien et qui peut avoir des conséquences très défavorables, se manifester par les troubles des conduites sociales, des blessures à répétition etc., c'est une erreur. En revanche, traiter en connaissance de cause, en ayant évalué, en faisant prendre le médicament les jours d'école (parce qu'on sait que c'est quand même surtout à l'école que c'est difficile), qu'on évite l'accoutumance en ne le donnant pas le week-end, en sachant que l'on va instaurer des aménagements pédagogiques pour accompagner le traitement puis, à un moment donné, se substituer à lui, je pense que c'est indispensable de leur prescrire. J'imagine que certains d'entre vous ont des enfants qui ont été traités. Cela marche tellement bien ! Je pense à un instituteur de Gap : quand les parents sont revenus et que l'enfant était sous Ritaline, il paraît que, le premier soir, l'instituteur les a appelés pour leur dire que ce n'était pas à Lyon qu'ils étaient allés, mais à Lourdes. Mme Anne Chevrel Merci. Professeur Gombert, je vous vois acquiescer ; voulez-vous ajouter quelque chose à propos de la Ritaline ? Professeur Jean-Émile Gombert Non ; n'étant pas médecin, je n'ai pas le droit d'en parler. Mais je suis entièrement d'accord. Il se trouve qu'on sait aussi que parfois on a commis des abus et que certains médecins ont prescrit de la Ritaline à des enfants "dys" ; et là effectivement, cela devient n'importe quoi. Mme Isabelle *Gauthier Je suis ophtalmologiste. Beaucoup de parents d'enfants dyslexiques interrogent les ophtalmologistes sur la posturologie, éventuellement sur la pose de prismes sur des verres. J'avoue que c'est une méthode que j'ai essayé de comprendre et dont je n'arrive pas à être convaincue. Est-ce que vous en avez une expérience ? Est-ce que vous pouvez nous en parler ? 57 Docteur Olivier Revol Je pense que chacun de nous doit en dire un mot. Bien sûr, j'ai l'expérience de cette méthode. Elle a été importée du Portugal. On en entend beaucoup parler. Un de ceux qui l'ont importée travaille à Beaune, à côté de Lyon ; il est ophtalmologiste. Beaucoup de personnes me posent la question. Donc, pour ceux qui ne sont pas au courant de cette technique, j'indique que l'idée repose sur la proprioception. La posturologie consiste à dire que l'enfant dyslexique a du mal à positionner son corps et son regard par rapport à la lecture ; donc on lui propose, après un bilan, un pupitre incliné et éventuellement, après l'avoir mis sur un podoscope, des semelles compensatrices pour modifier sa position et des prismes. Une enquête a été faite ; la recherche a été menée et on n'en a pas encore les résultats, pour l'instant ; ou on ne les publie pas. Il s'agit d'une expérience empirique ; vous avez compris ma position, quand je vous dis que "la science se rature elle-même", je ne suis vraiment pas de ceux qui critiquent ce qu'on ne connaît pas. Mais je suis de ceux qui restent méfiants face à ce qui n'est pas validé. La Ritaline, cela a été validé en double aveugle, contre placebo. Donc on sait ce qu'on fait. On a reconnu l'efficacité des choses. Donc, quand une méthode a été validée en double aveugle, selon un protocole scientifique, auquel on a éventuellement participé, alors oui, je lui donne mon soutien total. Mais quand une méthode n'a pas été validée, je ne la critique pas systématiquement, je me méfie. En tant que médecins, notre mission consiste quand même à soulager et je pense que beaucoup de mes confrères, et en particulier mes confrères psychiatres, l'ont oublié. Nous sommes là pour soulager, y compris avec des médicaments et des techniques de médecine douce. Nous sommes là pour apaiser la souffrance d'un enfant, celle de sa famille. S'il existe une technique qui apporte un apaisement, sans être nocive, qui a fait preuve de sa non-nocivité, j'y adhère. Quand mes petits dyslexiques me demandent s'ils peuvent aller à Beaune, je leur réponds qu'ils sont grands, qu'ils sont libres et que s'ils veulent y aller, ils n'ont qu'à le faire. Mais, en revanche, que cela m'intéressera qu'ils me donnent leur avis. Les gens y vont ; les enfants reviennent équipés de prismes, de semelles. Un certain nombre de parents estiment quand même, de façon subjective, que leur enfant est amélioré. Mais dès qu'on fait quelque chose de positif et qu'on encadre un enfant et qu'on lui apporte une amélioration, surtout face à une problématique où on reste si démuni - à part la rééducation qui demeure fondamentale - il n'y a pas de médicament, il n'y a rien d'autre, quel est l'effet placebo de cette méthode ? Je ne sais pas. Donc je ne sais pas si cela marche ou si cela ne marche pas. Je sais que plusieurs de mes patients se sont estimés mieux. J'ai un peu l'impression qu'au fil du temps, l'effet produit s'amenuise. Je ne sais pas. Je ne critique pas. J'attends qu'on me donne des résultats d'études validés. 58 Docteur Michel Habib Je connais bien la personne qui a réalisé la seule étude qui est actuellement en cours et qui m'a révélé quelques résultats : apparemment, ceux-ci resteraient extrêmement minimes, pratiquement inexistants. C'est-à-dire que la seule étude qui ait essayé de comparer les effets de cette méthode sur un groupe avec un autre groupe qui ne la recevait pas, montre un résultat pratiquement inexistant. Ce qui veut dire, comme le disait tout à l'heure Olivier, on ne peut pas présumer de l'éventuelle nocivité de cette méthode ; en revanche, on sait qu'elle est pratiquement inefficace. Cela équivaut à prendre un risque. Je vous ai montré ce qu'un entraînement était capable de produire sur le cerveau, un entraînement qui utilise des méthodes qui, elles, ont prouvé leur efficacité. On ne sait pas ce qu'une méthode qui n'est pas prouvée comme efficace pourrait produire sur le cerveau. Je pense qu'il y a donc vraiment un risque à l'utiliser tant que l'on n'a pas démontré l'obtention de résultats flagrants. J'ajouterais que, plus la science avance, plus ce risque va devenir palpable. C'est-à-dire qu'on peut démontrer qu'on est en train de modifier quelque chose dans le cerveau. On joue à l'apprenti sorcier, sans s'appuyer sur une base théorique solide ni sur des preuves scientifiques statistiques certaines. Je serais, pour ma part, fermement opposé à l'utilisation de ce type de méthode. D'autant plus que les aspects théoriques correspondants restent assez flous, comme vous le souleviez, Madame, disant que vous ne compreniez pas comment cela marchait. Et pour cause : la méthode ne s'appuie sur aucune théorie sous-jacente qui soit logique ; elle se fonde sur une intuition ; certes, les intuitions s'avèrent parfois bonnes. Avec tout le respect qu'il faut avoir pour les gens qui ont ces intuitions. Mais face à une intuition à ce niveau-là, surtout à une grande échelle comme prétend être cette méthode, j'émettrais pour ma part les plus grandes réserves - mais alors les plus grandes réserves - sur son utilisation, tant qu'il n'y a pas du nouveau, très clair sur le plan scientifique, des articles publiés dans des revues scientifiques. Professeur Jean-Émile Gombert Pour abonder un peu dans le même sens, parce que c'est vraiment important, j'ajouterais qu'il risque de se développer un marché qui va parier, en quelque sorte, sur l'investissement des parents dans des méthodes pour lutter contre les difficultés que rencontrent leurs enfants. Dans le cas présent, le dispositif mis en oeuvre ne correspond à aucune des quatre grandes théories qui se disputent, en quelque sorte, l'explication de l'origine du trouble dyslexique. Il s'agit donc d'une méthode dans un premier temps totalement intuitive, que l'on habille, dans un second temps, d'une pseudo-théorie : on vient brancher un discours pseudo-scientifique sur une pratique lucrative. Il se trouve que la personne qui est auteur de ces discours pseudothéoriques, a fait sa thèse sous la direction d'un neurologue de Marseille. Je faisais partie de son jury d'habilitation à diriger des recherches. L'un comme l'autre, nous avons de bonnes raisons d'au moins disqualifier le discours théorique qui sous-tend cette méthode. 59 Mme Anne Chevrel D'accord. Je voulais vous poser une question complémentaire sur d'autres méthodes. On a parlé de cette méthode-là. Les fiches qui nous parviennent évoquent d'autres méthodes : BorelMaisonny, Makaton... Avez-vous pour ces méthodes de rééducation cette même réticence, cette même réserve ? Professeur Jean-Émile Gombert Elles n'ont rien à voir. Dans le cas de la méthode Borel-Maisonny, c'est en quelque sorte une pratique qui repose sur le multisensoriel. C'est vrai qu'elle a été élaborée sur des bases très empiriques, très intuitives. Mais les connaissances actuelles ont plutôt tendance à conforter le bien-fondé, en quelque sorte, de ce type d'approche. Docteur Olivier Revol Tout à fait ; il s'agit quand même là de méthodes qui ont fait la preuve de leur efficacité. Peutêtre ne conviennent-elles pas, en revanche, à tous les enfants. Docteur Olivier Revol Elles ne prétendent pas agir sur tout. Pour certains enfants qui ont besoin de l'aide kinesthésique pour comprendre les mots, les lettres et ensuite les syllabes et accéder à la syllabique, la méthode Borel-Maisonny s'avère magique. La méthode Makaton s'appuie sur l'utilisation de pictogrammes. Pour certains enfants qui présentent des problèmes de langage oral, cela marche aussi très bien. Docteur Catherine Allaire, neuropédiatre, responsable du Centre de référence du langage, Rennes A propos de la question de la posturologie, de la proprioception, qui marche de temps en temps et fait couler beaucoup d'encre, je ferai une brève remarque : cela montre bien, justement, à quel point il faut essayer de comprendre le mécanisme du trouble du langage écrit qui renvoie à différents types de dyslexie. Je pense qu'une des causes sous-estimées, ce sont les troubles du regard, les troubles neurovisuels. Effectivement, de temps en temps, les prismes ou la prise en compte des difficultés neurovisuelles, cela marche. Mais en fait, dans le cadre d'un trouble bien étudié. C'était une réflexion. Docteur Michel Habib Certains spécialistes, les orthoptistes, connaissent très bien cela et depuis longtemps. Docteur Catherine Allaire Tout à fait. 60 Docteur Michel Habib Dans certains cas très précis, ils emploient des méthodes de rééducation des mouvements oculaires qui s'avèrent parfois efficaces pour compléter le traitement de l'orthophoniste ; mais ce n'est plus du tout un traitement étiologique. Mme Anne Chevrel Cela sera l'occasion peut-être, comme vous le disiez, l'année prochaine, on vous invite, c'est cela ? Ca sera l'occasion de lancer d'autres rencontres. Mme Concernant les troubles du langage, je me posais une question. On a beaucoup parlé de méthodes. Est-ce que l'utilisation de la langue des signes peut constituer une méthode, apporter une aide supplémentaire ? J'ai eu cette information-là. Je connais la fille de Philippe *Lefait, un journaliste de France 2. On avait vu un reportage sur sa petite fille ; elle présentait des troubles de l'apprentissage. Elle a été rééduquée grâce à la langue des signes. J'ai trouvé cela formidable. C'est une petite fille qui avait du mal à s'exprimer mais qui entendait bien. Mme Anne Chevrel Merci. Avez-vous un avis là-dessus ? Professeur Jean-Émile Gombert Tout dépend de ce que l'on veut rééduquer : - en présence d'un trouble de la parole, par exemple, pourquoi ne pas passer par une "autre langue" qui mobiliserait moins la parole - s'il s'agit, en revanche, de rééduquer une personne dyslexique, présentant un trouble de l'accès à l'écrit, l'aide ne peut venir que d'un système qui est en correspondance avec un langage alphabétique. Dans ce cas-là, un certain nombre d'études suggèrent que passer par le langage parlé complété (LPC) - mais il ne s'agit pas du tout de langue des signes -, utiliser ce système qui permet de rendre visible la phonologie et d'assister la lecture labiale, peut aider l'enfant à prendre conscience des phonèmes, en quelque sorte. Mais, dans un tel cas, la langue des signes elle-même serait en décalage avec l'objectif visé. Mme Anne Chevrel Merci pour la réponse à cette dernière question. Pour ma part, j'ai juste un point qui vient en conclusion tout en proposant une ouverture : on a parlé de médicaments, de médecine également ; mais on a aussi parlé de méthode. A entendre vos explications, on comprend bien que les scientifiques, les médecins ne sont pas les seuls concernés : vous travaillez avec des professionnels de santé, avec des professionnels de l'enseignement, avec des parents. Cela fera l'objet de la deuxième partie du débat. L'une des idées de la journée était un réseau. M. Habib, vous nous avez parlé d'un réseau. Je suppose que, en tant que scientifique et 61 médecin, c'est une structure sur laquelle vous souhaitez vous appuyer ? Un réseau vous semble-t-il vraiment utile pour travailler ? Docteur Michel Habib Je pense que nous pouvons répondre tous successivement dans un sens positif. Non seulement c'est utile, mais c'est indispensable. Il va nous falloir construire, en quelque sorte, des dispositifs partenariaux pour prendre en charge les difficultés, en général, peut-être sans isoler les troubles "dys". Il nous faut réunir un ensemble de partenaires qui soient capables d'apporter des réponses aux enfants en difficulté, quelle que soit l'origine de leur difficulté, et aux parents de ces enfants. Docteur Olivier Revol Oui, tout à fait. On aura compris la nécessité d'appréhender cette question à plusieurs, en portant différents regards : médicaux, psychologiques, rééducatifs, pédagogiques. C'est en croisant les expériences et les compétences que l'on devient le plus efficace pour les enfants. C'est en devenant vraiment leur supporter - il faut également que les parents le soient - qu'on arrive à les aider. C'est donc : - d'une part, un réseau d'amont, qui filtre en amont, qui doit venir au centre de référence ; et - d'autre part, un réseau d'aval sur lequel on puisse s'appuyer, une fois les bilans réalisés, en sachant que l'enfant va dans tel village, dans tel coin de la ville, il sera aidé. Nous avons constitué un réseau sur le modèle de celui de Marseille, qui est remarquable ; il s'appuie également sur un diplôme universitaire. A ce moment-là, on travaille en équipe, on ne reste plus isolé : en ce qui nous concerne, dans une espèce de forteresse, dans un centre de référence, où nous serions complètement coupés de l'extérieur ou isolés comme tous les professionnels qui accomplissent un travail remarquable en libéral mais qui restent seuls. On a besoin de travailler ensemble. Docteur Michel Habib J'ajouterai juste une dernière précision : dans l'expérience du réseau que nous avons créé dans le Sud-Est, qui était un réseau de santé créé par et pour les professionnels de santé, chaque année qui passe nous montre un peu plus qu'on ne peut rien faire sans inclure dans le réseau l'Éducation nationale : l'enseignant et la pédagogie. Tous les efforts que l'on peut faire, aussi sophistiqués et aussi pluridisciplinaires soient-il, entre médecins et corps paramédical, resteraient vains s'ils n'étaient faits en collaboration avec l'école, et au plus près possible de l'enseignant lui-même. On s'aperçoit que l'idéal consisterait à inclure dans nos groupes de réflexions l'enseignant qui s'occupe de l'enfant. Malheureusement, ce n'est pas toujours possible. 62 Mme Anne Chevrel Je vous remercie tous les trois. Au quotidien, pour encadrer, accompagner nos enfants, les suivre, médecins et professionnels de santé ne sont pas les seuls à intervenir ; une collaboration s'établit entre de nombreux partenaires : des spécialistes, des médecins, du personnel médical, mais aussi l'Éducation nationale, des associations. Je vous propose, dans un premier temps, d'entendre quatre présentations de structures qui accompagnent nos enfants. Dans un second temps, nous pourrons avoir un débat sur le rôle de chaque intervenant, sur la façon dont on procède pour détecter les troubles, accompagner les enfants. Nous commençons par une présentation du docteur Catherine Allaire et de Dominique Mélo. Tous deux travaillent au Centre du langage de Rennes. Vous allez tout d'abord nous parler de dépistage, de bilan, de prise en charge en dressant pour nous un état des lieux des pratiques en Ille-et-Vilaine. Dépistage, bilan, prise en charge des enfants dys État des lieux des pratiques en Ille-et-Vilaine Les dysfficultés d'apprentissage Docteur Catherine Allaire Je voulais d'abord remercier les organisatrices (j'ai surtout rencontré des femmes) de ce colloque et saluer la synergie des trois associations avec lesquelles nous collaborons depuis plusieurs années déjà. Comme on dit : "L'union fait la force". Nous allons parler de terrain ; je n'évoquerai pas du tout l'aspect scientifique sur lequel tout ou presque a été dit. Nous verrons la démarche diagnostic en insistant en particulier sur le travail d'équipe et son caractère multidisciplinaire. Je passerai rapidement la parole à Dominique Mélo, psychologue clinicien pour cela. Que l'on soit psychiatre ou neurologue, en l'occurrence je suis neurologue, il faut garder présent à l'esprit, comme cela a déjà été souligné, l'ensemble des déterminants qui permettent les processus d'apprentissage, faute de quoi on risque de passer à côté des difficultés qui sont souvent intriquées. Il est vrai que, depuis quelques années, ce concept de maladie développementale émerge. Autrement dit, c'est l'idée qu'un dysfonctionnement d'origine neurologique pourrait être à l'origine de troubles de la mise en place de fonctions cognitives et de difficultés d'apprentissage. C'est un vaste groupe de maladies qui comprend les troubles dits spécifiques qui sont ceux-là ; on a déjà décliné les différents troubles. 63 D'autre part il faut, chez un certain nombre d'enfants dits "à risque" de trouble des apprentissages, savoir peut-être les anticiper. Je pense en particulier : - aux enfants victimes de traumatismes crâniens dont on dit souvent que "tout va bien" par la suite, mais qui peuvent pourtant poser des problèmes de séquelles cognitives en particulier, de mémoire ; - les enfants épileptiques ; et - les grands prématurés, mais en général, ces enfants sont relativement bien suivis ; - de façon plus confidentielle, les sujets souffrant de maladies neurocutanées qui peuvent être diagnostiquées uniquement à l'occasion de la consultation pour les troubles des apprentissages ; et enfin - un certain nombre de maladies génétiques orphelines. En fait, on se querelle sur les chiffres : une étude est très souvent citée, celle de l'European Association for Special Diseases. Relativement consensuelle, elle fait état de 4 à 6 % de troubles spécifiques ; malheureusement, elle ne permet pas de cibler les troubles associés et les troubles intriqués. Si bien que le diagnostic pose de grandes difficultés parce que la frontière semble parfois difficile à établir entre une difficulté et un trouble, notamment chez l'enfant jeune. Je repense notamment aux chiffres de Mme Tascon-Ménetrier 4 qui parlait de 12 % d'enfants en difficulté de langage oral dans les crèches. Mais c'est vrai que, quand on revoit ces enfants deux ou trois ans plus tard, ils sont beaucoup moins nombreux, parce qu'un certain nombre présentait une simple immaturité. Comme on l'a déjà dit, d'une part, de nombreuses situations semblent intriquées et, d'autre part, il n'existe pas toujours un consensus sur les définitions. En fait, la situation devant laquelle on se trouve, c'est celle d'un enfant qui présente un trouble : soit graphique, soit de lecture, soit de langage oral, soit de comportement. En fait, ce qu'il faut faire, c'est non pas descendre à partir d'une pathologie mais remonter vers les hypothèses diagnostiques. 4. Mme Clotilde Tascon Ménetrier, conseillère municipale, Ville de Rennes en charge de la Santé. 64 Un enfant présentant un trouble massif du graphisme à huit ans : Voilà une situation assez complexe parce qu'un trouble graphomoteur peut être consécutif à de très nombreuses pathologies. Il va falloir essayer de comprendre selon une méthode hypothéco-déductive qui va nécessiter une autre approche sur le langage oral, mais on peut faire la même chose sur le langage écrit également. Il y a déjà eu beaucoup de choses dites. Les centres de référence ont été positionnés pour poser le diagnostic des troubles sévères et spécifiques du langage, oral et écrit, de façon plus large peut-être des apprentissages (c'est un 65 concept qui a émergé ensuite) au sein d'une équipe pluridisciplinaire, ainsi que de participer aux formations et de développer un réseau avec les professionnels qui prenaient en charge ces enfants (les professionnels paramédicaux libéraux, le secteur psychiatrique, les CMPP) et l'Éducation nationale, bien sûr, étant donné qu'il s'agit également d'un plan qui la concernait. Le centre de référence de Rennes est situé dans le service de rééducation fonctionnelle des enfants à Pontchaillou au CHR de Rennes. L'équipe est réellement multidisciplinaire, comme vous pouvez le constater. Quant au fonctionnement du centre : on procède : - d'abord à un examen du dossier de façon à déterminer s'il y a vraiment lieu d'aller plus loin dans l'évaluation, pour savoir si cela va rendre service au jeune patient ; - ensuite, la démarche est entreprise d'un bilan avec un ou deux professionnels, la synthèse et ; - le travail de lien se fait par la suite avec les professionnels qui prennent en charge l'enfant et avec l'école. C'est ce travail multidisciplinaire que va développer Dominique Mélo. La prise en charge : l'équipe et les liens entre les équipes M. Dominique Mélo, psychologue clinicien Ma présentation sera orale, sans l'aide d'éléments visuels. Mon propos va consister à intervenir sur la dimension de l'équipe. Quand vous confiez des enfants au Centre du langage, on entreprend, dans un premier temps, une démarche d'équipe. Celle-ci a pour effet d'en rendre compte déjà à l'enfant et aux familles, c'est évident, mais également à d'autres équipes par 66 derrière ; celles-ci peuvent être des équipes isolées puisque cela peut être des professionnels libéraux. J'aimerais vous présenter en quelque sorte le lien qui unit ces deux types d'équipe, interne et externe. Je soulignerai aussi, peut-être au moment où on parlera des remédiations des équipes externes, l'apport, l'effet que peut produire chez l'enfant chaque action que l'on peut entreprendre avec lui. Certes, constituer une équipe pluridisciplinaire ne se limite pas simplement à juxtaposer différents métiers. Déjà, pour rentrer au Centre du langage, il faut une maîtrise de grec parce que c'est truffé de radicaux anciens tels que neuro, psy, ergo. Faute d'avoir étudié un minimum le grec - langue qui est pourtant perçue comme morte -, il s'avère bien difficile de s'y retrouver. On connaît de mieux en mieux certains métiers : les neuropsychologues, les psychologues, les ergothérapeutes (cela y est, on les connaît depuis cinq ans quand même ! Ils ont opéré une très nette percée en tout cas dans le monde des troubles des apprentissages. Par le passé, c'est plutôt les centres de rééducation des troubles moteurs, par exemple, qui les connaissait). Nous disposons donc, en ce qui nous concerne, de cette palette de différents métiers ; la démarche va au-delà de la simple addition de ces métiers. Tout à l'heure, M. Revol disait que la prise en charge devait affiner le diagnostic puis devenir une prise en charge globale. Il est vrai que, de ce point de vue, nous, Centre du langage de Rennes, comme beaucoup d'autres centres du langage, faisons une belle démonstration de la nature de ce type de prise en charge. Le cas particulier de Rennes, avec quelques autres centres en France (je viens d'entendre avec plaisir que Marseille se situait dans cette perspective-là), c'est de faire intervenir un psychoclinicien. Je ne dis pas cela pour représenter ma boutique ; c'est pour bien resituer aussi l'a priori des approches et des troubles du langage, des troubles d'apprentissages qui vont se faire à Rennes. On se trouve à un carrefour, au confluent très précis de trois types de sciences. On va considérer : - des sciences naturelles - des sciences humaines, dont les approches vont être plus psychologiques, concernant beaucoup plus l'histoire de l'enfant ; et - la troisième dimension, ce sont aussi des sciences sociales. C'est également cette connaissance indispensable du terrain, des apports qui peuvent être donnés, de ce qu'on appelait tout à l'heure aussi les différentes "démarches de rééducation" qui vont être entreprises. Sur un tel plateau, nous n'allons pas additionner des constats, mais plutôt contester nos modèles (ce qui ne veut pas dire qu'on s'"engueule", cela se passe vraiment très bien) tous les jeudis matins. Le moment fort du centre de langage a lieu au moment de la synthèse du jeudi matin. Pendant le reste de la semaine, on réalise des bilans, on reçoit les enfants, on fait les différentes approches. Mais le moment où le Centre du langage développe vraiment toute son 67 envergure et prend toute son ampleur, c'est celui de la synthèse : chaque professionnel y est alors testé à son tour, après l'enfant ; là, c'est le professionnel. C'est alors que l'on va faire revivre le seul et vrai théoricien, finalement, c'est-à-dire l'enfant lui-même. Il faut savoir que les cas particuliers des enfants que l'on voit et qui sont en échec et en difficulté sont très souvent et presque systématiquement ceux d'enfants qui n'ont pas participé à la constitution des épreuves qu'on leur présentait. C'est-à-dire qu'on va leur présenter des tests de QI, des épreuves psychométriques, des exercices d'orthophonie et ainsi de suite ; et ces épreuves-là sont des épreuves standardisées. Elles refont un rapport à la moyenne des enfants de leur âge et finalement rendent compte d'une norme et d'un fonctionnement classiques. Ce qu'ils nous apprennent, c'est que toutes nos théories s'écroulent, au bout du compte. L'intérêt de ce type d'approche pluridisciplinaire, c'est cette remise en scène du réel théoricien, lui qui n'a rien demandé, pour se sentir soudainement revendiqué par des professionnels, mais qui va justement nous en apprendre énormément sur les choses qui résistent. Et c'est à ce moment-là précisément que, dans l'échange, dans la confrontation des modèles, on peut faire revivre cette démarche-là. La première question que l'on pose - cela ne signifie pas que la façon dont je vais vous présenter les éléments soit systématique -, c'est celle de la spécificité du trouble. Pour l'avoir croisé professionnellement au Centre du langage et dans d'autres pratiques, je sais que cela reste une question douloureuse pour les parents. En effet, à partir du moment où on l'interroge sur la spécificité du trouble, on pourrait être pris comme ne considérant pas le trouble pour lequel ils viennent consulter : la dyslexie, la dyspraxie ou la dysphasie. Cependant, nous avons besoin de savoir si la difficulté touche essentiellement une fonction particulière ou si elle est partagée avec d'autres territoires. Autrement dit, par exemple à propos du problème de la lecture, la question que l'on pose, c'est de savoir si cet enfant-là présente un trouble spécifique de la lecture ou s'il présente d'autres troubles qui affecteraient la lecture, le langage ou la praxie. Ou alors, troisième éventualité - c'est une question qui m'incombe, je n'en suis pas spécialiste non plus, puisque chacun y va de sa pratique et de son ancienneté, et de son sens clinique : ne s'agit-il pas d'un trouble du locuteur, du lecteur, du manipulateur, si j'ose dire, ou en tout cas du bricoleur pour la praxie. Vous voyez donc que la première recherche porte sur la spécificité. Quand on voit des enfants, très souvent on ne voit pas le trouble à vif : on est en présence de choses aménagées. Tous les enfants que l'on teste, sauf les très petits, ont fait l'objet d'une démarche, d'une intervention pédagogique, d'une intervention rééducative et la description du dysfonctionnement nécessite, une fois de plus, d'être décomposée. Par exemple, on reçoit des enfants pour lesquels on va se rendre compte que les diagnostics des orthophonistes sont impeccables, très pertinents. Ces diagnostics-là soulignent le privilège d'une voie de traitement des données (je reviens à la dyslexie). Vous avez peut-être entendu parler de cette voie d'adressage ou de la voie de l'assemblage que M. Gombert a évoquées 68 précisément tout à l'heure : - l'enfant va-t-il cibler une reconnaissance du mot en image, ou bien - l'enfant est-il dans une situation où il va construire ou bricoler le mot ? Mais il faut savoir que cela ne constitue pas le trouble, mais peut déjà représenter un réaménagement du trouble, traduisant déjà la correction de quelque chose qu'il s'agirait de rechercher plus profondément. Pour ce faire, nous allons tous nous attaquer aux processus, à cet inventaire de tout ce qu'ont pu évoquer les trois intervenants précédents, en excluant évidemment la dimension topographique et localisée (même si cela peut parfois avoir lieu et aura certainement lieu de plus en plus souvent) puisqu'on en dispose de peu pour certains enfants, ce qui viendrait préciser le diagnostic a priori, ce qui se passe très bien ; mais n'en disposant pas, ce n'est pas de cela que l'on va partir. Partant des productions de l'enfant, on va le placer dans des situations permettant de repérer en quelque sorte ces processus. Mais on ne va pas chercher simplement les processus qui s'avèrent défaillants, ni tous ces a (ce dont l'enfant est privé) : alexies, aphasies... On peut parfois trouver des indications dans des sur. Tout à l'heure, on a parlé de la précocité et des surdoués : il peut ainsi exister des refuges, des surinvestissements, une tentation qu'auraient certains enfants à valoriser certaines aptitudes, compétences ou processus parce que, historiquement, pédagogiquement, rééducativement ou affectivement, ils se sont sentis menacés ou en insécurité dans un territoire ; ils vont alors le surinvestir. C'est vrai qu'on peut trouver chez beaucoup d'enfants présentant des profils de précocité, ce type de surinvestissements-là qui, sans être le talent révélé en lui-même, ne constituent que le réaménagement, généralement alimenté par une très forte angoisse, de ces difficultés-là. Le processus tel que je vous le présente mérite d'être analysé dans les termes d'une explication carentielle : - Ce processus manque-t-il ? - S'il manque, est-ce parce que l'enfant n'en a pas été doté ? - Ou bien peut-il rendre compte d'une détérioration ? Enfin, le processus n'est pas seul en cause. Les orthophonistes ont alors - qu'ils m'excusent pour ce terme - le loisir de le constater, puisqu'ils ont l'aménagement d'un enfant en séance pendant 40 à 45 minutes. Pour l'enseignant qui accueille plusieurs enfants dans sa classe, c'est moins évident. Mais des troubles de procédure sont en cause dans les grandes "dys" dont nous avons parlé aujourd'hui. Qu'est-ce que la procédure ? Si le processus est ce qu'utilise l'enfant, la procédure est la façon dont il l'utilise. On a souvent des échanges et des débats au Centre de langage pour déterminer l'élément en cause : - Est-ce son style cognitif, cette procédure qu'il va mettre en place ? ou bien - Est-ce le processus lui-même qui est en cause ? Voilà une brève explication de la teneur de nos fameux débats du jeudi matin et de leur fondement. 69 Premièrement, c'est pour que vous sachiez, vous, parents, ce que nous cherchons chez vos enfants pour vous le restituer ; voilà les questions que vous pouvez nous poser le jour de la restitution. Deuxièmement, c'est pour que les professionnels sachent sur quoi ils peuvent compter dans le compte rendu. Le compte rendu écrit reste parfois très court, succinct, un petit peu éludé ; un compte rendu oral est possible lors d'une rencontre (prévue tous les premiers jeudis matins du mois) ; nous gardons notre porte ouverte pour une consultation possible par des professionnels. Je conclurai en vous livrant une de nos interrogations permanentes : nous avons toujours la vigilance que, si on parle de langage, de lecture, de calcul, on a aussi à s'interroger sur le lien entre sciences humaines et sciences sociales. Certains intervenants l'ont dit tout à l'heure et les parents l'ont également vu : les contraintes, qui sont spécifiques à nos langues et à nos écritures, restent arbitraires et historiques. C'est ainsi que toutes ont une histoire et celle-ci va prendre une importance croissante là-dedans, tant il est évident qu'il y a des millions d'années c'était la configuration anatomique des organes de la phonation qui permettait à l'homo erectus de parler d'une façon particulière. De plus en plus, c'est l'histoire de l'homme qui a donné cette capacité-là. Je vois assis en face de moi les enseignants du dispositif dyslexique de Rennes, de *l'adoration*. Ils ont sous les yeux tous les jours des enfants qui vont manifester une dyslexie de 9 h à 11 h, c'est-à-dire qu'ils vont être dans une situation française, francophone, de difficultés et qui au moment finalement de faire de l'italien la perdront. Pourquoi cela ? M. Gombert nous l'a très bien expliqué tout à l'heure : c'est parce que ce qu'on va solliciter dans la correspondance par exemple entre graphème et phonème en italien va être beaucoup plus économe alors qu'en français, pour le couple graphème-phonème o, je crois que l'on compte 37 possibilités ou occurrences (peut-être les orthophonistes pourront-il me corriger) qui permettraient de rendre compte, par différents phonèmes et conjugaisons de phonèmes, de ce son-là. On reste donc toujours attentif à cet aspect, comme on l'est également aux classes et niveaux de classe. En effet, celles-ci ne deviennent pas de plus en plus compliquées, comme on tendrait à le croire ; elles sont différentes. Ce qui est neuropsychologiquement, maturationnellement, psychologiquement sollicité à un certain niveau, n'est pas du tout ce qu'on va solliciter l'année suivante. Par exemple, certains enfants de CP vont pouvoir s'en tirer par une des deux voies (d'assemblage ou d'adressage), et même un bon enseignant de CP (j'en connais ; il y en a ici !) ne pourrait même pas en fin d'année savoir quel est le privilège du vecteur. Par exemple, si l'enfant a privilégié une voie d'adressage, cela risque de devenir la panique en CE 1 puisque l'on impose alors inévitablement la décomposition puis l'assemblage, ne serait-ce que pour lire mais également pour écrire. On reste donc attentif aussi à tous ces aspects-là ; mais on est également attentif par le bilan à ce que, ce qui est valable à une époque ne permet pas obligatoirement d'anticiper sur des réussites ou sur des échecs qui auront lieu plus tard. 70 Et je suis navré de conclure aussi vite parce que je voulais vous parler d'autre chose pendant exactement le même temps. Mme Anne Chevrel Je vous propose maintenant d'entendre le docteur Maitrot qui est médecin-conseil auprès du recteur d'académie et qui va nous parler de l'approche des troubles du langage au niveau de l'Éducation nationale. Je vous rappelle qu'après cette présentation nous aurons à nouveau un temps d'échanges avec M. Mélo et les autres invités pour pouvoir éventuellement compléter ce qui n'a pas pu être dit dans les exposés. 71 L'approche des troubles du langage dans l'Éducation nationale Dysfficultés et réussite scolaire : la rencontre possible ? Docteur Claire Maitrot, médecin-conseil auprès du recteur d'académie Parler devant vous m'impressionne un peu. En tant que médecin-conseiller auprès du recteur de l'académie, j'ai en charge, entre autres, de proposer à M. le Recteur des axes de travail en matière de politique de santé en faveur des élèves et de collaborer avec d'autres professionnels à l'animation et à la mise en oeuvre des axes de travail retenus par M. le Recteur. Dans l'intitulé de mon propos, je n'ai pas écrit réussite scolaire au pluriel. C'est tout simplement pour me conformer à l'expression traditionnelle de la réussite scolaire. Cependant, je ne vous cache pas que je mettrais bien plus volontiers un s à réussite, surtout quand il s'agit des enfants "dys", car je pense qu'il existe plusieurs formes de réussite scolaire. Au demeurant, pour aller plus loin dans le propos et vous présenter un peu plus longuement le cadre dans lequel nous travaillons dans l'académie sur ce champ-là, je dirais tout simplement que la politique de l'académie se résume par le terme de volonté. C'est la volonté de prendre en compte les besoins particuliers des élèves. Tout à l'heure, nous débattions de la pertinence de parler de handicap, de malades, de situation de handicap ? Quant à nous, nous parlons volontiers de prise en compte des besoins des élèves. Quelle que soit la situation particulière de chaque élève, celui-ci a des besoins qui peuvent être d'ordre éducatif ou curatif. Notre objectif consiste à articuler au mieux ces deux aspects pour que l'enfant réussisse. Si les besoins ne sont pas identiques chez tous les enfants "dys", comme nous l'avons vu tout à l'heure, si les outils et techniques de remédiation de ce fait ne sont pas nécessairement les mêmes, nous poursuivons, par la politique académique que nous menons, un même objectif qui est la réussite de tous. Pour ce faire, nous déployons une stratégie que nous avons tirée d'une expérience un peu particulière : le Plan académique langage. S'il restait à l'origine certes essentiellement focalisé sur la question de la dyslexie, il s'ouvre petit à petit à l'ensemble des dysfficultés. 72 Nous nous sommes inscrits : - d'une part, dans le Plan académique langage. Ce fut un point d'ancrage dans les textes (vous savez que l'Éducation nationale est très amoureuse des textes). Ainsi, lorsqu'est paru le plan interministériel (cela signifie qu'il a été cosigné par les ministères concernés dont le nôtre), en mars 2001, portant sur la question des enfants atteints d'un trouble spécifique du langage (ce plan faisait suite, souvenez-vous en, au rapport de M. Jean-Charles Ringard dont le nom résonne de façon un petit peu affective puisqu'il a exercé dans notre académie et donc nous étions ravis de pouvoir lire sa production nationale), nous nous sommes inscrits dans ce plan. - d'autre part, dans un contexte un petit peu particulier à la Bretagne. Vous n'ignorez pas que nous sommes l'académie dite "de toutes les réussites". C'est la nôtre qui affiche les meilleurs taux d'accès au baccalauréat, les meilleurs résultats au brevet des collèges ainsi qu'aux évaluations de sixième, le plus fort taux de scolarisation précoce en maternelle... Pour autant sommes-nous l'académie de la réussite de tous ? La question reste posée. C'est bien dans ce contexte-là que s'ancre le PAL (Plan académique langage). Nous avons affiché le postulat suivant (dont on a parlé tout à l'heure ô combien !, notamment avec le professeur Revol, des qualités des enfants "dys") : Un enfant "dys" est un enfant le plus souvent - je dirais même presque toujours courageux et un enfant le plus souvent - je dirais même presque toujours découragé. Dès lors qu'on est d'accord avec ce postulat, pour que "dysfficulté" rime d'une part avec "reconnaissance" du désavantage (plutôt que du handicap) par rapport à un enfant qui ne connaît pas ce genre de difficultés et, d'autre part, avec "réussite scolaire" possible, il s'agit d'assurer de façon précoce l'identification des besoins de l'enfant (quand on parle de précocité, c'est dès la maternelle, avant même l'entrée au CP) pour un accompagnement adapté tant sur le plan scolaire avec une guidance pédagogique, avec une façon particulière personnalisée d'accompagner cet enfant dans ses apprentissages, que sur le plan du soin puisque beaucoup d'entre eux soit iront en rééducation soit feront l'objet de prescriptions, de thérapeutiques médicamenteuses... et que les deux doivent s'articuler. 73 Il est un acteur - mais je vais y revenir tout de suite - que vous me pardonnerez de privilégier, compte tenu du fait que je suis médecin : c'est le médecin scolaire, le médecin de l'Éducation nationale. Son rôle consiste, à mon sens, non pas tant à dépister pour dépister (parce que dépister des situations sans leur donner une suite ne sert strictement à rien), mais à dépister pour identifier les besoins, pour identifier aussi les potentiels des enfants et pour expliciter avec l'équipe éducative, avec le Réseau d'aide spécialisée aux enfants en difficulté, avec le psychologue scolaire ces potentiels sur lesquels l'enseignant va pouvoir s'appuyer pour tirer les enfants vers le haut et les faire réussir. Pour ce faire, nous avons identifié une stratégie par étapes ; à chaque étape interviennent des acteurs. Première étape : il s'agit de repérer, dès la grande section de maternelle, les difficultés (je dis bien les difficultés et pas les troubles) que rencontrent les enfants notamment en matière d'aptitudes langagières. Les acteurs vont être multiples ; certains sont déjà entrés en action avant la grande section. Mme Tascon-Ménestrier nous a rappelé que la Ville de Rennes oeuvrait déjà dès la moyenne section ; la Protection maternelle et infantile le fait également dans les autres zones du Département. Bien entendu, recommencer et faire comme si la PMI n'avait rien détecté serait complètement stupide. Nous prenons donc en compte les données qui nous parviennent avant même l'entrée en grande section. Un autre acteur est représenté par la famille : vous, parents, nous apportez des éléments. Vous êtes en capacité de nous dire ce que vous savez de votre enfant ; d'autant plus qu'un enfant ne se comporte pas tout à fait de la même façon à la maison qu'à l'école. 74 Un autre acteur extrêmement précieux est représenté par l'infirmière scolaire ; celle-ci réalise en grande section un bilan infirmier. Elle évalue notamment les aptitudes sensorielles, identifie un certain nombre de paramètres inclus dans le bilan infirmier. Les enseignants sont un dernier acteur, bien évidemment ; sans eux on ne fait rien. C'est également le RASED et éventuellement les évaluations que réalisent les enseignants pendant leur enseignement, en matière d'identification de la maîtrise du langage. O combien il est important de ne pas étiqueter trop tôt un enfant. O combien poser un diagnostic de dyslexie, de dysphasie, de dyspraxie ne doit pas se faire à la légère et doit s'inscrire dans une certaine durée. Je pense que Mme Allaire ne me contredirait pas sur ce plan-là. Néanmoins, cela ne veut pas dire que, tant que l'on n'a pas posé un diagnostic fin, précis (surtout dans le cas d'un enfant aussi jeune), il n'y a pas de remédiation possible, dès la classe. M. Gombert, M. Revol et M. Habib ont évoqué les entraînements. Il est évident que, dès l'étape du repérage, on peut accompagner les enfants pour leur permettre d'optimiser leurs apprentissages. Lors de la deuxième étape, néanmoins, on parle de troubles. On a repéré des enfants comme étant en difficulté. Il s'agit de dépister chez eux des troubles au sens lésionnel du terme. Le médecin scolaire intervient alors, bien entendu, comme l'un des acteurs clés. C'est pourquoi nous avons développé une formation de l'ensemble des médecins scolaires et des infirmières scolaires à la maîtrise d'un certain nombre de tests. Nous travaillons dans cette académie sur le Bilan de santé pour l'évaluation des développements pour la scolarité à 5-6 ans (BSEDS 5-6). On peut également utiliser d'autres tests pour détecter des enfants plus âgés, puisque nous avons vu aussi qu'on pouvait dépister ces troubles à tout âge. Là encore, dès ce stade du dépistage où on a simplement détecté la présence (ou l'absence) de troubles qui relevaient éventuellement d'une origine pathologique possible, dès lors qu'ils sont identifiés, des remédiations pédagogiques peuvent être mises en place avec des enseignants et avec le RASED. La troisième étape est la dernière ; elle concerne le diagnostic de confirmation. Pour le poser, nous avons besoin de l'aide des réseaux de professionnels spécialisés, des centres de référence (dès lors que les cas sont complexes et relèvent de leur expertise). Cette étape aboutit à une finalisation, à une optimisation plus poussée de la prise en charge des besoins de l'enfant, sur le plan tant de la scolarité que du soin, avec l'intervention des principaux acteurs que sont le médecin, l'équipe éducative et la famille. Telle est donc schématiquement exposée la stratégie. Pour en accompagner la mise en oeuvre, nous avons développé un certain nombre d'outils. 75 Premièrement, un outil a consisté à définir des protocoles pour évaluer les besoins, dès la grande section de maternelle, à partir de l'identification des aptitudes langagières. Je ne m'étendrai pas sur ces outils, sur ces protocoles, cela serait trop long. Je pourrai répondre à des questions, si vous en avez. Deuxièmement, nous avons également dès 2003, donc avant la parution du texte qui fait actuellement référence (il n'existait pas de texte à l'époque pour cadrer l'aménagement des épreuves d'examen et concours), au plan académique, nous avons rédigé un certain nombre de consignes pour aménager les épreuves d'examens et concours passés par les enfants identifiés dans le Plan académique langage. Troisièmement, nous avons rédigé un document, un guide destiné aux enseignants qui, à l'école ou au collège, accueillent un enfant dyslexique dans leur classe. Sans se vouloir exhaustif, il expose les grandes lignes des concepts et explicite les difficultés que rencontre un enfant dyslexique ; il indique également ce que, dans le cadre du collège ou de l'école, on peut faire pour cet enfant dyslexique, ce que l'on peut lui apporter. Ce document a été diffusé à plus de 15 000 exemplaires dans l'ensemble du réseau breton. Il existe actuellement en version informatique sur le site de l'académie, sous forme parfaitement téléchargeable et reproductible, sans droits d'auteur ni copyright. Quatrièmement, nous avons également développé un dernier outil, dont je dois reconnaître que nous sommes particulièrement fiers : nous avons constaté que, enfants et familles, quand vous changez d'école ou d'équipe éducative, quand vous passez de l'école au collège, voire du collège au lycée, il faut de nouveau raconter toute l'histoire, solliciter les aides obtenues l'année précédente ; il faut à nouveau "traumatiser", l'enfant par cette nécessité de se remettre en lumière le fait qu'il reste un enfant différent et qu'il faut absolument prouver qu'il a besoin d'une aide. Un livret, qui a la forme du carnet de santé, a été rédigé avec l'aide, fort précieuse 76 d'ailleurs, des associations de parents pour permettre à l'enfant et à sa famille, dès lors qu'ils en sont demandeurs (ce n'est pas une obligation, c'est la famille, c'est l'enfant qui demande l'ouverture de ce livret), de garder une trace disons crédible de son histoire, dans ses aspects tant de handicap que de scolarité, pour que l'équipe suivante puisse prendre en compte ses besoins. En fin du document figurent deux fiches détachables, qui peuvent être photocopiées ; il s'agit de fiches récapitulatives pour le passage de l'école au collège et pour le passage du collège au lycée. Je crois que je vais arrêter là et plutôt répondre à vos questions si vous en avez. Mme Anne Chevrel Merci beaucoup, docteur Maitrot. Je vous propose maintenant d'entendre Mme Hanry : vous êtes inspecteur d'académie pour l'Adaptation et la scolarisation des élèves handicapés. Vous allez nous parler à présent des différents types d'organisation possible pour scolariser les enfants "dys". 77 Différents types d'organisation possible pour scolariser les enfants "dys" Mme Laurence Hanry, inspecteur d'académie ASH C'est chose pas facile du tout que de prendre la parole pour l'Éducation nationale. D'abord, parce que c'est très net aujourd'hui : l'environnement est devenu extrêmement médical. Cependant, dans cet environnement, il y a l'Éducation nationale. De plus, c'est souvent à l'école qu'on voit vraiment apparaître les difficultés de l'enfant lorsqu'il se confronte à la lecture, à la parole, à l'écriture, d'une façon finalement beaucoup plus normée qu'à la maison. Ce qu'il me semble important de dire, le docteur Maitrot en a parlé, mais je crois que c'est primordial, c'est qu'il s'agit bien d'un partenariat. Elle a expliqué que les ministères concernés (ceux de la Santé et de l'Éducation nationale), s'étaient positionnés dès le départ sur tout ce travail autour des "dys" ; et c'est effectivement une voie qui a été poursuivie constamment. Or, ce n'est pas une évidence quand on connaît les fonctionnements des uns et des autres. J'avais préparé quelques éléments d'historique que je n'exposerai pas, finalement. Malgré tout, il me semblait important de rappeler que le principe de reconnaissance de l'existence de déficiences du langage ou de la parole comme déficiences des modes de communication, avait été posé en 1989. Or, arrivé en 2007, on a parfois l'impression de ne pas avoir énormément avancé ; et cependant on a quand même avancé. Je tiens à rappeler cela, comme je reviendrai tout à l'heure sur les problèmes propres aux enseignants et à leur formation qui me semblent extrêmement importants. Le point de départ de ce qui se fait actuellement, cela a été le Haut Comité de la santé publique. Celui-ci a posé les troubles d'apprentissage (qu'ils touchent le langage, l'oral, l'écrit ou le calcul) comme un problème de santé publique ; ce qui équivalait quand même leur donner absolument toute leur place. Quelle est la définition des troubles spécifiques du langage pour l'Éducation nationale ? Elle ne peut que s'appuyer sur la définition qu'en donne, pour le coup, l'OMS et ses définitions répertoriées par ces classifications internationales. Je me suis longtemps occupée de circonscriptions que l'on disait "ordinaires", qui comportaient donc des écoles élémentaires, des écoles maternelles et pas uniquement des établissements spécialisés ou un point d'ancrage sur l'enfant en très grande difficulté ou handicapé. En allant inspecter des classes, puisque c'est quand même le coeur de mon métier, j'ai été étonnée de constater à chaque fois la façon dont on pouvait manier facilement le terme de "dyslexie". Ainsi, j'ai eu très souvent face à moi des personnes qui m'ont avoué avoir face à elles, dans leur classe "un grand nombre d'enfants dyslexiques". 78 Les études sont quand même relativement récentes et c'est depuis ces 5 dernières années que l'on a progressé extrêmement rapidement, je me disais que c'était quand même poser très vite des mots sur des choses qui ne le sont pas obligatoirement. C'est pour cela qu'il me semblait important de rappeler que le mal-lire et le mal-parler constituent certes des déficiences, mais que tous les enfants qui présentent ces déficiences ne sont pas pour autant en situation de handicap ; d'où l'importance d'un diagnostic. Celui-ci s'avère d'autant plus important - on en a parlé tout à l'heure et il ne faut pas se leurrer sur cela - l'enfant est parfaitement conscient de sa différence. Lui en est conscient, sa famille en est consciente. Étant très attachée aux mots, il me semble qu'à partir du moment où on met un mot sur quelque chose, on change fondamentalement le regard des uns et des autres sur la personne à laquelle on applique ce mot : le regard du parent sur l'enfant ; celui de l'enseignant sur ce même enfant ; celui de l'enfant sur les autres élèves... Tous ces regards-là changent. Et peu ou prou, on assiste à un effet de marginalisation. Il se pose aussi la question du repérage et du dépistage. Le docteur Maitrot en a parlé tout à l'heure : ce sont deux champs qui, pour le coup, relèvent l'un et l'autre de deux entités différentes. Qui repère ? Qui dépiste ? Avec le repérage, on applique plutôt un principe de prévention, tandis qu'avec le dépistage, c'est plutôt un principe de précaution. Cela laisse penser, à juste titre, que le repérage sera plutôt assuré par l'Éducation nationale tandis que le dépistage sera plutôt l'affaire des services de santé. 79 Comment passe-t-on du repérage au dépistage ? On suit une sorte de continuum qui fait qu'au fond, c'est pris en compte par les différents acteurs s'occupant de l'enfant, à des moments légèrement décalés dans le temps, parfois parallèles, mais pas innocents. Les premiers observateurs du problème sont représentés par les parents. C'est eux qui posent les premières questions lorsque l'enfant commence à parler, se disant qu'ils sont là en présence de quelque chose qui relève d'une difficulté ou en tout cas suscite une inquiétude. Souvent, ils en restent au stade de l'inquiétude. Puis l'enfant arrive à l'école (comme l'a dit le docteur Maitrot, chez nous c'est quand même souvent à deux ans). Là, ce sont les enseignants qui vont apporter un complément à ce regard porté par la famille. Les parents font part de leur inquiétude ; alors, on fait appel aux professionnels de la santé et on quitte l'étape du repérage pour passer à la phase du dépistage en lui-même. Quel est le problème qui se pose à nous, enseignants ? C'est celui qui s'est posé à moi aussi. En effet, ayant enseigné pendant 20 ans, je me suis souvent très posé ces questions-là. C'est qu'au bout du compte, il n'est pas du tout simple de différencier certaines choses. - S'agit-il de difficultés ? - S'agit-il de retard ? - Est-on en présence d'un enfant qui serait mauvais lecteur parce que n'aimant pas lire ? - Est-on confronté à un trouble global de l'apprentissage ? - Est-on confronté à un trouble sévère spécifique du langage ? Toutes ces questions ne sont pas simples et quelquefois les frontières séparant un terme de l'autre s'avèrent extrêmement ténues, au moins pour les enseignants. Parce qu'effectivement nous sommes enseignants ; et en tant que tels, c'est un certain nombre de connaissances médicales, neurologiques, que nous ne possédons pas. Cela nous empêche de fixer clairement cette frontière entre difficultés, retard, trouble global ou trouble sévère. J'en reviens donc à mon précédent propos : il convient d'éviter, et cela à tout prix, de mettre une étiquette avant qu'un diagnostic soit posé ou de faire un diagnostic précipité. D'où cette légère gêne que je ressens régulièrement lorsqu'un enseignant me confie avoir plusieurs enfants dyslexiques dans sa classe. Une chose est sûre : lorsqu'un enfant pose souci dans une classe, la première chose à organiser, c'est une confrontation au langage oral et au langage écrit. Pour notre part - je précise bien pour notre part, nous enseignants de l'Éducation nationale - nous évitons de parler d'un trouble spécifique du langage oral avant l'âge de 5 ans, qui est l'âge de la maternelle des grands. Jusqu'à ce stade, en gardant une attitude de veille, en essayant d'entourer l'enfant de toutes les aides possibles et imaginables, cependant on évite de parler de troubles spécifiques. 80 Il en va de même du langage écrit avant 8 ans, puisqu'il est quand même difficile de parler d'un trouble spécifique du langage écrit avant que l'enfant ait appris à lire. Je disais tout à l'heure que l'Éducation nationale s'occupait de l'aspect du repérage ; c'est une tâche qui revient donc à un enseignant car c'est quand même lui qui arrive en première position vis-à-vis de cet enfant. L'enseignant se demande quels signes d'alerte il va trouver, de quels outils il peut disposer et quel relais il va pouvoir solliciter face à cette problématique. Il convient de poser d'emblée le fait que l'on applique un principe de prévention et que, quel que soit l'enfant, on part du postulat qu'il a besoin, essentiellement besoin, d'un certain nombre de connaissances et que ces connaissances-là sont à construire dès l'école maternelle. A ce titre-là, le premier outil qui s'avère indispensable à l'école et à tout enseignant c'est le BO, le Bulletin officiel de 1999, qui fixait les langages comme priorité de l'école maternelle, précisant d'ailleurs "école maternelle, école de tous les possibles". Les langages, parce que de fait il existait le langage oral, le langage écrit... ; mais c'étaient également le langage artistique, le langage corporel, le langage informatique. Il s'agissait bien de tous les langages. Sauf que certains langages deviennent d'un abord plus ou moins facile lorsque l'on a déjà acquis le premier d'entre eux : le langage oral. Ce qui nous semble constituer un premier signe d'alerte, c'est lorsque vers 3,5 à 4 ans, un enfant présente ce que nous appelons une "perturbation sévère du langage oral". Je dis encore nous, nous les enseignants. Ainsi, à la maternelle, un enfant de cet âge-là n'est pas capable de constituer une phrase si minime soit-elle qui soit compréhensible ; qu'il n'est pas capable de prononcer des mots qui font partie d'un lexique commun, lexique qu'il devrait avoir acquis, d'une façon qui soit compréhensible ; qu'il n'est pas capable de solliciter un vocabulaire qu'il est censé posséder. Tous ces signes-là constituent à nos yeux des signes d'alerte s'ils sont présents à l'école maternelle. Un deuxième outil nous permet à la fois de faire un peu le point, de repérer et puis peut-être ensuite de dépister (le docteur Maitrot en a parlé), c'est le Plan académique langage. Il a été passé l'an dernier dans la totalité des classes maternelles. Je vous en donnerai quelques éléments à la toute fin de ce diaporama. En effet, il s'avère quand même extrêmement intéressant dans les réponses qu'il nous a données. Nous l'avons pourtant mis en veille cette année parce qu'il ne nous a pas semblé pertinent dans la finesse d'analyse qu'il nous autorisait pour repérer les enfants qui étaient en difficulté profonde, qui souffraient de troubles sévères du langage. Il nous a permis de repérer - et c'est déjà très appréciable - des enfants qui étaient en difficulté et en difficulté avérée ; mais pas au-delà de ce stade. Et il s'est trouvé que nous distinguions deux publics : - un premier public qui avait passé ces épreuves-là (d'ailleurs dans les écoles publiques) ; et - un second public, celui des écoles privées, qui lui ne l'avait pas passé. Cette distinction nous a permis d'établir une comparaison, laquelle a montré la nécessité, dans l'état actuel des choses, d'affiner l'outil, tout intéressant qu'il était. C'est ce qui nous a amenés à en geler l'utilisation cette année, en attendant. 81 Un autre plan est mis en place que nous appelons le repérage orthographique collectif (ROC). Cela concerne les élèves de CM 2 et de 6e ; il s'agit d'un repérage certes orthographique, mais il comporte quand même une forte incidence sur les capacités de lecture et d'écriture des élèves de 6e. Les résultats qu'il nous donne nous permettent aussi de porter un regard beaucoup plus affiné sur les difficultés de lecture et d'écriture. Ce qui est sûr, c'est qu'il nous paraît important et nécessaire, dès le départ - la loi, malgré sa présentation, a repositionné cela - d'entraîner l'enfant à la discrimination, tant auditive que visuelle, au travail de mémoire, en psychomotricité, en conscience phonologique et en compréhension orale. Quels que soient les enfants, ces mesures nous semblent absolument incontournables et encore plus pour les enfants en difficulté. Cela signifie que l'enfant va devoir faire trois choses : - apprendre à écouter pour reconnaître les sons ; - s'interroger, par exemple pour savoir quels sons composent tel mot ; - échanger : échanger avec les autres, échanger en sollicitant toutes les connaissances qu'il a pu enregistrer. Ces trois verbes là s'appliquent aussi à l'enseignant, lequel va également avoir : - à écouter l'enfant pour repérer ses difficultés ; - à s'interroger sur l'origine de ses difficultés ; et - à échanger, cela avec les différents partenaires, sur cet enfant, et sur la façon dont on va l'aider. C'est obligatoirement un travail de partenariat. Il est évident que ce travail-là ne peut se faire qu'en partenariat : - en partenariat avec les rééducateurs et en particulier avec les orthophonistes ; - en partenariat avec les médecins scolaires et avec la Maison départementale des personnes 82 handicapées (MDPH) ; - en partenariat avec les RASED ; et - si des médecins scolaires et la MDPH interviennent, il y a sans doute aussi médecin et traitement parfois. Je répondrai aux autres questions après. Mme Anne Chevrel Merci. Avant les échanges avec la salle, nous allons entendre Claude Delahousse, représentant la Maison départementale des personnes handicapées qui va maintenant nous présenter rapidement les différentes démarches administratives nécessaires pour l'accompagnement des enfants "dys". 83 Démarches administratives nécessaires pour l'accompagnement des enfants "dys" M. Claude Delahousse, référent à la scolarité à la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH 35) Mon propos sera bref pour laisser la place au débat, parce que c'est plus intéressant. J'occupe ce poste de référent à la MDPH depuis à peu près un an ; enseignant spécialisé, professeur des écoles, je fais partie de l'équipe pluridisciplinaire d'évaluation que je vais vous présenter tout à l'heure. Celle-ci comprend : un médecin, un assistant social, un psychologue scolaire, et moi-même ainsi que d'autres personnes qui peuvent être invitées. Cette équipe est chargée d'évaluer les besoins des enfants handicapés. La MDPH est de création tout à fait récente. En Ille-et-Vilaine, on est en situation de MDPH depuis le mois d'avril de l'année dernière. Les Commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel (COTOREP) et les Commissions départementales d'éducation spéciale (CDES) sont réunies depuis la mi-novembre. Comparé à durée d'existence de la CDES ou de la COTOREP (depuis 1975), notre structure existe depuis très peu de temps. Une loi à mon sens très intéressante sur le fond vient d'entrer en application ; elle rencontre nécessairement des difficultés dans sa mise en place et il faut lui donner un petit peu de temps. Je ne nie pas les difficultés qui se présentent ; ce n'est pas très facile et nous faisons de notre mieux. Pour vous, la modification importante à retenir par rapport à la précédente situation, c'est que seuls les parents peuvent désormais saisir la Maison départementale des personnes handicapées. Autrefois, les saisines de CCPE pouvaient se faire par les établissements, par les écoles etc. Aujourd'hui, ce sont les parents qui pilotent : ils s'adressent à la MDPH pour obtenir un dossier de demande de compensation de handicap, généralement. Dans cette compensation du handicap, il existe un projet personnalisé de scolarité (PPS) qui est un élément du plan de compensation du handicap. Pour aider à la rédaction de ce plan personnalisé de handicap, le législateur a pensé qu'il était intéressant de demander au moins à la famille de formuler un projet de vie, un projet de formation ou de scolarisation pour son enfant. Je sais que le formulaire n'est pas facile à remplir, qu'il n'est pas très lisible et que ce n'est parfois pas facile de se projeter. D'abord, on peut refuser de le remplir en cochant la case prévue : "Je refuse d'exposer le projet de vie". Cependant, je crois qu'il faut retenir quand même que c'est intéressant parce qu'il permet d'entamer un dialogue avec les partenaires (on travaille en partenariat). Il est intéressant pour nous de l'avoir parce que nous allons recevoir les différents éléments de votre dossier. Il faut 84 que vous sachiez que c'est en tout cas ce que nous lisons en premier lieu : ce que vous avez écrit. Cela peut être un projet à court terme, à moyen terme, à long terme. Le texte peut se limiter à quelques mots ou détailler tout ce que vous avez envie de dire sur tout cela. De toute façon c'est lu : tout ce qui émane de la famille est entièrement lu et lu avec attention. Voici la définition du handicap telle que la loi la donne. Pour mémoire, le législateur en 1975, au moment de la création des CDES, n'avait pas volontairement fixé de définition. Il en existe désormais une, qui vaut ce qu'elle vaut ; mais elle permet d'introduire un certain nombre de déficiences dans le champ du handicap qui n'y figuraient pas auparavant. La MDPH reçoit votre demande ; ensuite, elle propose à la famille, par courrier le plus souvent, de rencontrer l'enseignant référent du secteur géographique correspondant. Il faut savoir que l'Ille-et-Vilaine compte 12 enseignants référents (ils seront 15 l'année prochaine) ; ils dépendent directement de Mme Hanry, l'inspectrice de l'Éducation nationale ASH. Ils sont chargés - c'est leur mission sur le terrain en particulier - d'informer et d'accueillir les parents d'enfants handicapés. Je dis bien : accueillir et informer. Donc, c'est tout naturellement qu'on va vous proposer de les rencontrer. Je vous indiquerai, au moment des échanges, la façon dont vous pouvez trouver leurs coordonnées. C'est ces personnes-là qui vont être les clés pour vous accueillir au départ, pour vous aider à formuler votre demande, éventuellement pour regrouper certains éléments du dossier. Ce sont également elles qui seront chargées par la suite de veiller à la mise en place. Une fois que la MDPH aura rédigé le projet personnalisé de scolarisation, qu'elle aura notifié un certain nombre de décisions, c'est le référent, aidé par l'équipe de suivi, qui sera chargé de vérifier la mise en oeuvre du projet. Il représente donc un acteur véritablement central de la loi. 85 Pour ce qui est de la constitution du dossier : si on ne connaît pas la personne, il nous faut des documents officiels : - une fiche d'identification ; - le document qui s'appelle "mon projet de vie" ; - un certificat médical dont on aimerait bien qu'il soit rempli le plus souvent possible (il arrive qu'il reste pas ou peu rempli) ; - surtout que vous utilisiez le formulaire qui est téléchargeable et qui est *sacratisé* (ce n'est pas un certificat médical "Je soussigné, médecin, reconnais..." ; il comporte un certain nombre de renseignements sur la déficience, l'autonomie, etc. et c'est pour cela qu'il vaut mieux utiliser celui-là). Il faut vous dire que plus l'équipe pluridisciplinaire a recueilli de renseignements sur les difficultés de l'enfant, plus elle est à même de mettre en place un plan personnalisé précis et efficace ; inversement, moins elle possède de renseignements (et doit souvent mettre en instance, ce qui prend du temps), plus elle doit vous demander des renseignements complémentaires ; - la fameuse feuille qui contient la Demande de parcours de scolarisation. Lorsque vous avez d'autres demandes en plus (comme des prestations ou d'autres), il y a d'autres formulaires. Tous ces documents sont téléchargeables sur le site Internet que je vous indique : mdph35.fr à la rubrique Formulaires. Il en est encore deux qui n'y figurent pas ; mais théoriquement la semaine prochaine on doit remédier à cette absence en les mettant en ligne. Comment se constitue le dossier ? L'enseignant référent transmet à l'équipe pluridisciplinaire d'évaluation (ÉPÉ) ... tous documents ou observations de nature à l'éclairer de façon exhaustive sur les compétences et les besoins en situation scolaire. 86 L'enseignant référent peut être amené aussi, comme le législateur l'a prévu, à participer aux réunions de l'équipe pluridisciplinaire d'évaluation. Comme dans d'autres structures, il faut à la MDPH une équipe pluridisciplinaire ; c'est comme cela que le législateur l'a institué. L'équipe comprend donc : - un médecin, - un psychologue scolaire, - un travailleur social (un assistant social), et - un enseignant spécialisé ; - l'équipe pluridisciplinaire peut faire appel à toute personne qu'elle juge nécessaire pour élaborer le plan ; - un coordinateur en organise le fonctionnement. C'est l'équipe pluridisciplinaire qui propose à la Commission des droits et de l'autonomie (CDA) le plan personnalisé de scolarisation ; ensuite, la CDA notifie, ratifie ou modifie le projet, si elle juge qu'il ne convient pas. On voit bien que c'est . d'un côté, les personnes qui évaluent les besoins, font les propositions et . de l'autre côté, une commission qui n'est pas constituée du tout des mêmes personnes, qui ratifie et notifie. Ce qu'il faut savoir, c'est que, dans la majorité des cas, vous êtes averti 15 jours auparavant, de la teneur de la proposition (de son contenu), ainsi que des jour et heure auxquels cette proposition sera soumise à la CDA. Donc vous pouvez être auditionné si vous le désirez. Quant à la composition de la CDA, vous voyez qu'elle inclut des représentants : de l'État, des associations de personnes handicapées, de la DDASS, de l'Éducation nationale, du ministère du Travail, du Département et, d'établissements. Deux ou trois jours après la prise de décision, la notification de décision est envoyée à la famille, aux établissements ou aux services, à l'enseignant référent, aux organismes payeurs et, quand c'est nécessaire, à l'inspection académique pour mise en oeuvre. 87 Qu'est-ce qui se passe après ? C'est cette suite qui est intéressante : les chefs d'établissement, avec leurs équipes éducatives, sont chargés de la mise en oeuvre. Ces chefs d'établissements sont : les directeurs d'école, les principaux de collège et proviseurs de lycée, les directeurs d'instituts médico-éducatifs, d'instituts thérapeutiques éducatifs et pédagogiques, les chefs de service de SESSAD... La loi dit que c'est à eux qu'il appartient de mettre en oeuvre ce que la décision impose. Ils le font donc avec leur équipe éducative. Le référent et l'équipe de suivi de la scolarité sont chargés d'aider à cette mise en oeuvre et d'en vérifier le bon déroulement. La mise en oeuvre relève de la responsabilité du chef d'établissement. Quant aux équipes de suivi, elles facilitent cette mise en oeuvre, assurent le suivi, évaluent une fois par an au moins, et informent la CDA de toute difficulté mettant en cause la poursuite de ce fameux Plan personnalisé de scolarisation. Éventuellement, elles proposent à la CDA une réorientation, une révision et il est bien précisé "avec l'accord de la famille". Donc rien ne peut se faire sans votre accord. Au sujet de l'équipe de suivi, les premières personnes à en faire partie sont les parents : une équipe de suivi de scolarité ne peut pas se réunir sans la présence des parents. La loi précise même que, dans la mesure du possible, on doit s'arranger pour organiser les réunions à des heures où ils peuvent se libérer. C'est inscrit dans la loi ! La MDPH joue un rôle de suivi des décisions : ainsi, elle se doit d'aller vérifier si celles-ci sont suivies d'effets. Elle joue également un rôle de médiation lorsque les décisions ne sont pas effectives ; elle peut recevoir les familles, leur proposer d'autres notifications, étudier d'autres problématiques. Elle doit aussi faire remonter toutes les décisions qui ne sont pas effectives auprès de ses administrations d'origine ; c'est dans l'esprit de la loi. J'espère que c'est effectivement pour créer des places ; on peut l'espérer, quoi ! Je vous ai indiqué le site web de la MDPH, le contact. Je vous remercie beaucoup de votre attention : http://www.mdph35.fr 88 Table ronde avec : Catherine Allaire, Laurence Hanry, Dominique Mélo, Claire Maitrot Mme Anne Chevrel On a vu avec vous, dans une sorte de panorama, que de nombreuses structures - qu'il s'agisse de centres référents, du travail de l'Éducation nationale, des médecins scolaires, de la MDPH - intervenaient dans le suivi de ces enfants. A vous écouter, on a l'impression qu'il y a beaucoup de choses et pourtant parfois, certains parents n'ont aucune idée de tous ces dispositifs, sauf à venir dans ce genre de conférences, de colloques. Comment expliquer cette méconnaissance et le fait d'échapper complètement à ces dispositifs, tant dans l'Éducation nationale que par la suite, les centres de référence. On ne sait pas. J'aimerais bien qu'on m'explique pourquoi, avec tout cela, cela ne marche pas tout le temps. Docteur Claire Maitrot Je crois que vous posez la question du lien entre famille et école, au-delà de celle du handicap et de la prise en compte des besoins particuliers. Il reste beaucoup à faire pour faciliter l'accès des familles à l'école et à ce que l'école peut leur apporter. Cependant, j'ai envie de dire que le chemin est à parcourir des deux côtés : ainsi, nous avons de gros efforts à faire en direction des familles - chacun doit balayer devant sa porte -, mais je profiterai de la présence d'une majorité de familles dans la salle pour leur conseiller de ne pas hésiter à nous poser des questions. En particulier aux intervenants que je représente, à savoir les médecins. N'hésitez pas à demander à rencontrer le médecin scolaire et à lui faire part de vos interrogations et préoccupations. Je crois qu'on ne pourra avancer ensemble que si chacun fait un pas vers l'autre ; je vous ai dit que les documents que nous avions rédigés étaient en mis ligne sur le site de l'académie ; ils restent à votre disposition. Mme Anne Chevrel Oui, mais pour les parents tout de même, avant même de pouvoir vous contacter, il faut savoir ce qui se passe avec nos enfants. Or, dans la plupart des cas, nous ne pouvons pas, a priori, dire que notre enfant est dyslexique ou dysphasique car nous n'en savons rien. Vous disiez tous tout à l'heure le rôle important qu'avaient à jouer les enseignants dans ce domaine-là, ce rôle dans le repérage, dans la détection des problèmes. Les parents ne savent pas ce que c'est ; les enseignants, la plupart du temps, non plus. On parlait tout à l'heure des formations à l'IUFM. Les enseignants sont-ils suffisamment formés pour détecter les cas de "dys" ? En ce qui me concerne, j'ai l'impression que tel n'est pas le cas. 89 Mme Laurence Hanry C'est vrai : chacun doit balayer devant sa porte. C'est vrai aussi qu'on fait avec les possibilités dont on dispose. De fait, des outils il en existe, qui sont nombreux ; certains sont distribués dans les écoles ; d'autres sont à trouver sur le site académique. Or, on se rend compte qu'ils ne sont guère sollicités en pratique. Cela, c'est la première chose. M. Letort, conseiller pédagogique Effectivement, le dispositif de repérage qui peut être mis en place en 6e ou en CM 2, le repérage orthographique collectif (ROC), est un outil disponible et pourtant très peu sollicité dans le département aujourd'hui. Certains établissements l'utilisent, qui ont eu l'occasion de le tester pour en faire un étalonnage. Cependant, il reste pour ainsi dire dormant dans notre académie. Mme Anne Chevrel Pas sollicité, cela signifie-t-il pas sollicité par les enseignants ? Mme Laurence Hanry Pas sollicité par les enseignants. Ceci dit, cela ne préjuge en rien d'une insuffisance d'information. A l'évidence, si l'outil n'est pas suffisamment sollicité, c'est quand même que l'information préalable n'a peut-être pas été suffisante. Il convient donc d'en refaire une sur les outils disponibles. Premièrement, nous mettons en place à l'inspection académique d'Ille-et-Vilaine un site académique. Ce site prévoit un volet traitant de tout ce qui concerne les handicaps. Plus spécialement réservé au handicap, ce site fournira à la fois des outils, des adresses, des liens vers d'autres sites Internet, des points de relais. Le problème, c'est qu'il faut le mettre en place. Il a déjà fallu mettre en place le site en lui-même, à l'académie, et puis l'approvisionner des différentes appartenances des uns et des autres à l'académie. Il faut désormais que l'on puisse entrer dedans de façon plus précise. Cela c'est une première chose. Deuxièmement, la formation. Là aussi, le problème auquel on est confronté actuellement, c'est qu'on dispose d'un volant d'heures de formation, aussi bien pour IUFM qu'en formation continue. Or, ce volant est contraint ; cela il faut l'entendre. Je pense que personne ne prend à sa réelle mesure ce qu'a impliqué l'entrée en application de la loi 2005 pour l'Éducation nationale et pour la mise en oeuvre des apprentissages, des stages et des programmes de formation. La majeure partie du temps de formation a tourné autour de cela : - Que signifie cette loi ? - Comment la met-on en place ? - Qui sont les référents ? - Comment travaille-t-on avec eux ? - Qu'est-ce qu'un projet de suivi de scolarisation ? 90 Si on met les formations sur ce plan-là, on ne peut pas les mettre ailleurs. Mme Anne Chevrel Mais ces formations existent aujourd'hui ? Mme Laurence Hanry Oui. Ceci dit, il existe des formations au plan académique. On en a dispensé un très grand nombre l'année dernière dans le second degré ; cette année aussi d'ailleurs. Il y en aura aussi l'an prochain. Force est de constater que les personnes s'inscrivent relativement peu à des formations académiques parce qu'elles sont dispensées dans un seul département, ce qui pose donc le problème du déplacement ; elles sont peu accessibles. On a réfléchi ici à un système de formations qui permette de prendre en compte différents handicaps et de faire tourner ces formations dans les quatre départements de Bretagne. Cela permettrait d'organiser deux formations spécifiques tous les ans dans chaque département. Par exemple, la formation dispensée dans le département d'Ille-et-Vilaine portera - l'année prochaine, sur les troubles sévères du comportement et sur les troubles envahissants du développement ; et - l'année suivante, sur les troubles sévères du langage. Par ailleurs, des formations de proximité sont également mises en place. Mais tout cela étant dit, le fait est - et je le comprends parfaitement - que les enseignants peuvent se trouver solitaires. Nous nous sommes rencontrées, le docteur Allaire et moi, justement pour réfléchir un peu à la mise en place d'un dispositif plus performant et surtout qui sorte à la fois les enseignants de cette solitude et leur donne des "billes". Pour l'instant, nous en sommes au stade de la réflexion ; par la suite, nous envisagerons les modalités d'une mise en oeuvre. Cette réflexion portait sur deux points qui nous semblaient intéressants : - la formation de personnes ressources et - la formation d'établissements disons "phares" dans lesquels il soit possible de porter une attention particulière à toutes les "dys". Voilà ce que je peux apporter actuellement comme réponse. Mme Anne Chevrel Formation initiale ou IUFM ? Mme Laurence Hanry N'étant pas quelqu'un de l'IUFM, je suis un peu moins qualifiée pour répondre à cela. Je ne suis pas responsable de l'IUFM. Ce que je sais aussi quand même, c'est que, là encore, cette année la formation dispensée a beaucoup visé la mise en place de la loi et la façon d'accueillir un enfant dans une classe, un enfant intégré dans une classe. 91 Ce que je sais aussi c'est que le plan de formation en IUFM va maintenant se prolonger pendant la première année qu'ils passeront sur le terrain, débordant même sur la deuxième année ; et que, sur ces temps de retour en formation de première et de deuxième année, un temps spécifique est réservé à la prise en charge des handicaps. Je terminerai sur un autre fait. Tous les acteurs m'expliquent qu'il leur faudrait plus de formation : les parents d'enfants tant autistes que trisomiques ou malvoyants ; il faut pouvoir partager. A titre d'exemple, cette année à l'échelle du département, on a ouvert un poste dans un IME ; on a ouvert au SESSAD un poste sur le trouble spécifique du langage kerveiza ; on a ouvert deux postes de référents ; on a ouvert un poste dans une unité pédagogique d'intégration de lycée. Comme vous le constatez, on a essayé de diversifier les choses de façon à ce que personne ne se sente abandonné. Cela, il faut y penser. M. Pierre Baligand, secrétaire de l'association Avenir dysphasie, Charente-Maritime Je parle librement par rapport à ce département. Certes, il y a le problème de parents plus ou moins bien informés et qui cherchent. Je peux donner des exemples de ce qui s'est passé chez nous et se passe aussi sans doute également ici. Il y a 18 mois, c'était encore des CCPE. Deux enfants en maternelle, avaient fait l'objet de diagnostics élaborés dans un centre référent, qui ne s'appelait peut-être pas encore référent, à Nantes, des choses très claires. Le diagnostic était tombé. On demande ce qu'il fallait faire des enfants ; on ne savait pas quoi en faire : ils avaient redoublé la maternelle déjà ! Aux deux enfants, on a proposé un triplement de la maternelle. On a réagi. Où sont ces enfants maintenant ? Une famille a accepté finalement une CLIS ; elle était contre. Mais c'est une CLIS "retard mental" où la dysphasie n'est pas du tout prise en compte. L'autre enfant est parti dans le privé où il a trouvé une place, une institutrice gentille avec les enfants en difficulté. Donc les problèmes ce n'est pas du tout un bon discours de l'Éducation nationale mais il faut voir les problèmes comme ils se posent dans les familles. Le docteur Maitrot a évoqué tout à l'heure le texte sur le plan d'actions qui a été repris dans la circulaire de janvier 2002 relative aux troubles du langage. Ce texte préconise notamment l'aménagement de classes spécifiques pour besoins éducatifs spécifiques à destination des enfants présentant des troubles sévères du langage. Un certain nombre de départements (la moitié des départements français) les ont mises en place. Mais dans plus de la moitié des cas, c'était dans l'enseignement privé. Je demande à Mme Hanry, sachant qu'elle travaille depuis peu de temps dans le département (je ne la vise pas personnellement), s'il existe des projets dans ce département d'appliquer la circulaire ? Est-ce qu'il n'y a pas d'enfants qui souffrent de troubles sévères suffisants pour justifier la création d'un petit groupe, d'une CLIS, un cadre d'accueil pour un nombre réduit d'enfants, où on pourra mener de la rééducation et porter une attention à ces problèmes beaucoup plus forte, dans un cadre sécurisant, poursuivant bien sûr l'objectif de voir les enfants rejoindre un jour l'enseignement ordinaire, ce qui sera d'autant plus possible et facile 92 qu'ils auront été pris en charge très tôt. Donc c'est non seulement une CLIS en primaire qu'il faudrait instaurer, mais c'est d'abord et peut-être avant tout des CLIS en maternelle. * des CLIS parce qu'on a peur de l'étiquette, qui fait peur, parce que des groupes éducatifs, on commence à avoir un groupe éducatif, avec un travail collectif en groupe dans le cadre d'une maternelle et c'est très intéressant. Mme Laurence Hanry Premièrement, je ne me sens pas visée effectivement parce que moi je suis là en tant que personne et donc en tant que personne je n'ai pas me sentir visée par ce genre de discours. Deuxièmement, j'aurais tendance à dire que, même une inspection académique fait avec les moyens qu'elle a ; or, ces moyens-là sont déterminés au niveau national et je crois que vous êtes d'ailleurs bien placé pour le savoir. Troisièmement, le fait est qu'on est en train de s'acheminer vers ce type de structure-là et il est vrai que l'on a réfléchi à la possibilité de mettre en place de petites unités pour accueillir des enfants souffrant de troubles spécifiques du langage. Il se trouve que ces unités restent actuellement positionnées sur le second degré. C'est-à-dire que, dans le second degré, nous disposons actuellement de cinq dispositifs qui permettent d'accueillir des enfants souffrant de troubles spécifiques du langage, dont quatre dans le public et un dans le privé. Dans le premier degré, la situation semble un peu différente mais je ne porterais pas le même regard que vous sur cela. Je vous rejoins tout à fait quand vous précisez "CLIS ou autre dispositif" pour ne pas étiqueter. Je suis toujours un peu étonnée qu'à la fois on mette en oeuvre une loi qui prétend viser à considérer chaque enfant à l'égal d'un autre enfant et qu'en même temps on multiplie des structures qui vont les remettre ensemble. C'est vrai que, de ce point de vue, on agit quelquefois à l'inverse de ce que voudrait la loi. Pour autant, il y a nécessité de faire attention et de porter une attention particulière à des élèves présentant des problèmes particuliers. D'où la discussion que nous avons eue avec le docteur Allaire et les projets que nous menons pour les enfants et ceux du premier degré aussi. Pourquoi avons-nous d'abord commencé par le second degré ? C'est parce que, les enseignants portent un regard très différent sur les enfants du premier degré, ceux des écoles maternelle et élémentaire. Du coup, c'est vrai que la prise en compte par les enseignants du premier degré (écoles élémentaire et maternelle) est quand même une attention de proximité, même en intégrant le fait qu'ils manquent de formation et quelquefois d'information et de connaissances. Ils les ont presque toute la journée ; ils les ont dans toutes les disciplines ; ils les connaissent sous différents regards ; ils portent sur eux une autre attention dans leur gestion du temps. Tout cela fait que, la prise en compte d'un enfant en difficulté de langage à l'école maternelle ou élémentaire devient finalement plus simple, et reste cachée plus longtemps. Je rends hommage aux enseignants pour cela : ils déploient des trésors de patience et de savoir-faire pour aider et étayer l'enfant aussi loin qu'il le peut. C'est bien souvent au moment de son arrivée 93 au collège - et les chiffres montrent très bien cela -, lorsque l'enfant se trouve dans une détermination du temps très différente, très normée, avec un nombre d'enseignants multiples, que la dyslexie ou la dysphasie apparaît de façon extrêmement flagrante. Pour autant, on mène une réflexion sur la mise en place du dispositif en élémentaire et nous essayons de faire le mieux possible avec les enveloppes que nous avons. Mme Anne Chevrel Vous venez de nous donner votre réponse sur ces questions d'école. Je voulais entendre l'avis du docteur Allaire sur une des questions qui nous vient de l'autre salle : Comment les enfants progressent-ils ? Progressent-ils mieux dans une classe spécialisée ou en milieu scolaire disons ordinaire ? Docteur Catherine Allaire On n'a pas beaucoup d'expérience, à part celle d'une classe Langage à Paul Cézanne. En fait, on a l'impression qu'il ne faut pas être obnubilé par le trouble. En effet, on peut retrouver des points communs aux différents enfants. Ce qui suggère de considérer chaque enfant dans sa propre spécificité, c'est que les voies de compensation diffèrent. La problématique scolaire n'est donc pas la même. Je pense que ce n'est pas nécessairement au médical de se positionner sur les *habiletés scolaires. Chacun doit assumer sa responsabilité et les acteurs scolaires doivent garder leur responsabilité de décisions d'orientation. En ce qui nous concerne, nous donnons un éclairage, si vous voulez. Certes, nous avons des choses à dire, il peut être intéressant de faire passer un enfant dysphasique en grande section, même s'il est en grande difficulté, de le faire passer en CP parce que, dans certaines formes de dysphasie, il s'appuie sur l'écrit, tandis que, dans d'autres situations au contraire, on aura tendance à dire qu'il vaut mieux le maintenir. Il s'opère de nombreux regroupements de CLIS à Rennes qui accueillent des enfants ne présentant pas véritablement de déficience mentale... On s'adapte aussi un peu au contexte local ; mais on s'adapte surtout et tout d'abord à l'enfant dans son individualité et avec les acteurs de l'école. Mlle Marine *, candidate dyslexique au concours d'entrée à l'école d'infirmières Je voudrais savoir si l'on fait ou si l'on fera quelque chose un jour pour nous aider à passer les concours parce que je ne suis pas sûre que ma dyslexie m'empêche de devenir une bonne infirmière. Docteur Claire Maitrot Les choses ont quand même évolué. Je vous ai dit que nous avions pris l'initiative, dans cette académie et dès 2003, de préconiser un certain nombre d'aménagements pour faciliter le passage des épreuves, examens et concours, tout au moins de ceux qui sont sous responsabilité de l'enseignement scolaire. Depuis lors, un texte tout à fait récent, datant du 26 décembre 2006, est paru qui schématiquement, non seulement ne nous met pas en difficulté 94 parce qu'il reprend les mesures que nous avions envisagées, mais il ajoute même un certain nombre de dispositifs que nous n'avions pas osé afficher à l'époque. Cela va du traditionnel tiers-temps, que vous connaissez, en passant par la possibilité d'avoir un lecteur ou un secrétaire assistant, de disposer de logiciels informatiques adaptés, voire d'aménagement dans le fond et dans la forme d'un certain nombre d'épreuves, avec des distances plus ou moins partielles, avec la possibilité d'utiliser par exemple pour le baccalauréat à la fois la session de juin et la session de remplacement, voire avec la possibilité (dans les cas extrêmement sévères) d'étaler sur plusieurs années le passage d'un même diplôme. Je pense donc que de très importantes avancées ont quand même eu lieu. Toutefois, je voudrais attirer votre attention sur le fait qu'en matière d'examens et de concours, il ne s'agit ni de dramatiser ni de banaliser, mais bien de compenser strictement le handicap dans un esprit très rigoureux d'équité entre tous les candidats. Cela peut expliquer une certaine rigidité dans le formalisme que nous exigeons pour la demande d'aménagement, en particulier dans le champ de la dyslexie parce que cela explose littéralement et que beaucoup de chefs de centres nous alertent en nous disant qu'il auront bientôt à faire passer le baccalauréat à plus d'enfants dyslexiques que normaux. Je profite encore une fois de la possibilité de vous donner l'information, à savoir, a minima : - un bilan orthophonique récent de la dysfficulté en question. Combien de fois ne nous transmeton qu'un bilan orthophonique qui date de l'époque des 8 ans du petit pour passer le baccalauréat quand il en a maintenant 18 ! - la reconnaissance éventuelle qui a pu être établie par l'ex-CDES ou actuellement la CDA ; - l'avis de l'enseignant, portant notamment sur les aménagements dont l'enfant candidat a bénéficié jusque là. En effet, je répète que l'on ne va pas rendre service à un candidat en mettant à sa disposition, tout d'un coup, pour passer le baccalauréat, soit un ordinateur équipé d'un logiciel adéquat, alors qu'il ne l'a jamais utilisé pendant sa scolarité, soit même un secrétaire assistant. Quand on n'a pas été habitué à travailler avec un secrétaire assistant, on peut s'en trouver fortement pénalisé. Donc ce qui s'est passé doit être pris en compte également ; - et puis, autant que faire se peut, pour nous permettre d'objectiver mieux le "degré de sévérité" de la situation, par exemple, un exemplaire d'une copie de français. C'est extrêmement éclairant dans un certain nombre de cas. Je vous invite encore une fois à ne pas nous en vouloir de rigidifier la composition du dossier : c'est bien pour que les enfants qui ont vraiment besoin de ces aménagements en bénéficient et d'éviter de prendre le risque, à force d'établir comme des "certificats de complaisance", d'obtenir finalement l'effet inverse et de constater l'annulation complète de tous ces dispositifs. 95 Mme Anne Chevrel Merci. Madame, vous souhaitez devenir infirmière et une autre question posée par un architecte dyslexique dans l'autre salle vient compléter la vôtre, qui a trait aux métiers qu'on veut exercer. Quel métier peut-on exercer ? Quelles orientations peut proposer l'Éducation nationale à des enfants dyslexiques ? Professeur Jean-Émile Gombert Je pense qu'il n'y a pas d'orientation à conseiller. On trouve des dyslexiques dans tous les métiers. Ceux qui me connaissent savent que je suis dyslexique. Je suis professeur d'université en psychologie et j'ai écrit des livres ! Ce parcours montre bien qu'aucune porte n'est a priori fermée aux enfants dyslexiques. Certes, on constate que, dans les études supérieures, les dyslexiques vont plutôt avoir tendance à s'orienter vers des disciplines soit techniques soit scientifiques parce que, dans leur cursus scolaire, ils ont essayé de minimiser en quelque sorte la part de ce qui les pénalisait plus pendant les examens. Ainsi, lorsque pour des études souvent d'imagerie cérébrale on a besoin de recruter des populations d'adultes dyslexiques, on veut s'assurer que ce sont des adultes qui ont un bon niveau intellectuel, qu'ils présentent vraiment des troubles du langage spécifiques, on les recrute généralement dans des écoles d'ingénieurs, puisque l'orientation fait que c'est plutôt dans ce type de cursus que l'on va trouver des populations importantes d'étudiants de haut niveau qui ont conservé un handicap sérieux dans l'écrit. Il n'y a donc pas d'orientation à conseiller et elles restent toutes possibles. Mais, comme pour tous les élèves, les choix doivent être en rapport à la fois avec les aspirations et les possibilités de l'élève. Mais cela, c'est une règle générale. Mme Laurence Hanry Pour vous dire à quel point il n'existe pas de métier interdit aux personnes dyslexiques ou dysphasiques, j'indique que M. Letort, le conseiller pédagogique d'une circonscription, me confiait que certains enseignants également étaient dyslexiques. Donc vous voyez ! Mme Françoise Thouvenot, APEDYS 35 Je transmets une question à Mme Maitrot de la part de M. *Ficaux de la DAFPEN, organisme de formation continue pour les élèves du secondaire qui n'a pas pu venir. Il nous a chargés de vous demander pourquoi la DAFPEN dispensait des formations dans le secondaire dans les trois départements bretons sauf dans celui d'Ille-et-Vilaine, alors qu'il y avait des demandes. Quelle est donc la procédure à mettre en oeuvre pour que la DAFPEN puisse organiser des formations et les faire connaître ? Nous avons suivi la première formation, puisque nous avons assisté M. *Ficaux cette semaine dans un collège ; mais selon lui, les demandes sont multiples. Comment cela pourrait-il s'organiser ? 96 Docteur Claire Maitrot La DAFPEN est le service qui élabore et gère le Plan académique de formation du personnel du second degré et également, peu ou prou, du premier degré, même si, dans ce dernier cas, ce sont quand même les inspections académiques qui la prennent en charge. Je suis un petit peu gênée pour vous répondre. J'ai envie de vous dire que c'est lui qui détient la réponse ! Un Plan académique de formation se monte de la façon suivante : un cahier des charges est d'abord rédigé par le recteur au regard en général du projet académique. Cela me donne l'occasion de vous dire que tout ce que je vous ai présenté tout à l'heure est inscrit dans le projet académique. Le PAL fait partie du projet académique. Dès lors que le cahier des charges donné à la DAFPEN prévoit la nécessité de répondre à ce cahier des charges par l'élaboration d'un plan académique adéquat, le cahier des charges est ensuite offert à un certain nombre d'offreurs, de prestataires - l'IUFM en est d'ailleurs un - qui proposent des formations en conséquence. C'est ensuite la DAFPEN qui choisit quelles formations sont éligibles ou pas. Ce schéma semble un petit peu caricatural et c'est un peu comme cela que les choses se passent. Donc je n'ai pas la réponse, là. Mme Anne Chevrel On parlait de suite à donner à cette journée : en voilà une. Mme Hanry ? Mme Laurence Hanry J'ajoute un élément de réponse supplémentaire relatif au plan de formation du second degré et à la DAFPEN : dans le domaine particulier de l'ASH, les inspecteurs ASH des quatre départements se réunissent pour proposer un certain nombre de formations. Celles-ci repassent après à la DAFPEN, qui en retient un certain nombre qui apparaissent dans le plan de formation. Or, force est de constater qu'un certain nombre d'entre elles ne sont pas suivies d'effets, simplement à cause du nombre insuffisant de personnes à s'être inscrites au stage en question ; du coup, le stage disparaît (avant de protester violemment), le stage disparaît. Donc cela, c'est une partie des stages. J'ai expliqué d'ailleurs tout à l'heure que c'était parfois pour des raisons d'éloignement. Un autre facteur intervient : il faut toujours mettre en relation les stages et les moyens de remplacement. Si les moyens de remplacement ne sont pas disponibles à ce moment-là pour le stage, il arrive qu'on le supprime. Mais ce n'est pas chose fréquente et cela ne concerne en tout cas pas des stages qui nous paraissent essentiels. Mme Marie-Christine Leprince, médecin dans l'Éducation nationale Je voudrais faire une remarque : je souhaite revenir à des choses peut-être un peu plus simples. Les personnes intervenant en première ligne pour repérer des problèmes d'apprentissage de la langue, orale et écrite, sont les parents et les enseignants. Les enseignants doivent savoir qu'ils ont des partenaires de première ligne : le RASED et le médecin de l'Éducation nationale. 97 Avant d'en arriver éventuellement à constituer un dossier pour la MDPH, avec un diagnostic avéré de dyslexie sévère, il peut exister des formes de dyslexie un petit peu moins sévères qui sont prises en charge par des orthophonistes. Je rends hommage aux orthophonistes d'Ille-etVilaine qui viennent participer régulièrement aux équipes éducatives, avec les parents et les enseignants : ils proposent de très bonnes pistes de travail et rassurent les enseignants. Je crois que c'est une pratique à développer en primaire et que l'on poursuit ensuite en secondaire. J'invite tout le monde à écouter les enseignants quand ils conseillent de consulter un médecin scolaire parce qu'ils aimeraient bien avoir un avis complémentaire. Il faut déjà éliminer une cause auditive ou un problème visuel, ou quelque raison somatique toute bête qu'il suffit de prendre en charge. Ces équipes éducatives par la suite, si elles trouvent que c'est beaucoup plus important, vont éventuellement déboucher sur une invitation à constituer un dossier de MDPH en explicitant la procédure dans l'école. Là, je crois que c'est très important. Et je rends hommage, pour ma part, aux enseignants et aux orthophonistes qui aident bien les enfants. Mme Régine *Delégarac, APEDYS des Côtes-d'Armor J'ai quatre points à élucider : j'essaierai d'être le plus brève possible. Premièrement, un aspect me paraît primordial, c'est le Plan académique langage qui a été mené en Bretagne et, à ce propos, je remercie Claire Maitrot et Jean-Émile Gombert, ici présents. Il y a une chose qu'il faut quand même savoir, c'est que, dans ce Plan académique langage, ce qui paraît se faire de façon extrêmement fluide en Ille-et-Vilaine ne se fait pas nécessairement dans tous les départements bretons. On constate donc une disparité énorme entre les départements bretons. On rencontre notamment un souci parmi les médecins scolaires qui n'arrivent pas à mettre en place le livret de suivi de l'élève dyslexique, avec beaucoup de difficulté, ils nous objectent que cela va marginaliser l'enfant ou produire tel ou tel effet. Deuxièmement, nous nous retrouvons coincés aussi par un manque de médecins scolaires. Je rejoins donc la précédente intervenante qui trouvait appréciable d'avoir un médecin scolaire, mais encore faut-il en avoir dans nos départements. Troisièmement, on évoquait tout à l'heure un phénomène de marginalisation. Certes, il est n'est peut-être pas bon d'étiqueter un enfant trop tôt ; mais ne pas nommer la dyslexie n'équivaut-il pas non plus à le marginaliser ? En effet, on ne mesure pas la souffrance que peut supporter cet enfant-là. Quatrièmement, il est enfin un dernier point que j'aurais voulu aborder : il s'agit de l'action n° 27 du plan d'actions. On nous parle du plan d'actions en nous disant le rôle que doivent jouer tant l'Éducation nationale que la Santé. Or, l'action n° 27 nous demande de faire remonter ce que nous avons fait dans nos départements pour que la dyslexie devienne un fait de culture, qu'elle soit connue de façon culturelle, par un large public. Je trouve que cette action-là n'est pas du tout menée dans nos départements. Nous n'avons pas du tout de comités pour faire remonter les pratiques en cours dans nos départements. Cela entraîne qu'au niveau national on n'arrive pas à faire connaître la dyslexie de façon culturelle. 98 Cinquièmement, j'ajoute une dernière remarque à l'attention de la petite copine de Caroline. Quand on lui parle de concours à l'Institut de formation en soins infirmiers, cet enseignement ne relève plus la compétence de l'Éducation nationale mais de celle la Santé. Et de ce fait, il m'est arrivé de voir des personnes obtenir leur tiers-temps pour passer ces concours, tandis que d'autres ne l'obtenaient pas. Voilà une autre disparité qui touche les départements. Voilà ce que je voulais dire. Mme Anne Chevrel Des stands sont installés à l'extérieur ; nous allons pouvoir y poursuivre nos échanges. M. Excusez-moi : je pose une question très courte. On n'a pas du tout parlé des auxiliaires de vie scolaire, c'est important pour les familles. Pourquoi est-ce que les auxiliaires de vie scolaire sont remis en cause chaque année, ce qui met les familles dans l'angoisse chaque année, et ne fonctionnent pas par cycle comme le font désormais les cycles d'enseignement ? Docteur Claire Maitrot Je vais essayer de répondre de façon extrêmement rapide à cette question-là, faute de temps. Vous avez vu, j'ai dû interrompre mon PowerPoint plus tôt que prévu mais j'étais prévenue assez tard que je n'aurais pas le temps dont je pensais disposer au départ. Mon intervention contenait un volet abordant les AVS. Premièrement, je dirai que le projet de scolarisation - et c'est bien aussi la raison de l'existence d'un plan de compensation à la Maison des personnes handicapées - contient une possibilité d'être aidé par des AVS. Pour le coup, on va également mettre en place une formation - je crois d'ailleurs que c'est cette semaine - pour les AVS concernant la dyslexie. Cela, c'était un premier point. Deuxièmement, je rappelle que le dispositif AVS est national ; il remonte maintenant à 4 ans. Il partait de l'idée d'un contrat de 1 an renouvelable 5 fois. Pour l'instant - et, là encore, je n'ai pas de réponses autres que celle-là à vous donner, n'étant pas au niveau du ministère - le fait est que les AVS avaient une possibilité de travailler sur 6 ans. Je suis très claire sur ce point : vous savez très bien que nous connaissons une situation, ces mois-ci, qui verra peu de choses évoluer. On n'aura pas de réponse à ce sujet. La seule chose que je puisse dire, c'est que tous les éléments qui me parviennent indiquent que l'on réfléchit à professionnaliser l'accompagnement des élèves handicapés. Cependant, je ne peux pas aller au-delà de cela, ne disposant pas de réponse institutionnelle à ce sujet. Quoi qu'il en soit, il faudra de toute façon qu'on puisse accompagner tous ces "petits bouts de chou" et donc que le système d'accompagnement perdure. 99 M. Claude Delahousse Je voulais juste dire au sujet des AVS, en réponse à votre remarque sur la durée, que c'est une réflexion qui est au sein de l'équipe pluridisciplinaire d'évaluation, qu'il s'agisse des notifications d'AVS ou d'autres notifications ; ils pourraient allonger les durées. Néanmoins, c'est notre médecin d'équipe pluridisciplinaire qui met en garde à chaque fois sur le fait qu'un enfant évolue. Le nombre des AVS nécessaire peut augmenter ou diminuer. Les besoins peuvent évoluer. Il faut donc aussi rester prudent. Ne pas mettre une AVS pour 5 ans. Mme Anne Chevrel Merci. Je voulais vous remercier. Évidemment, on n'a pas eu le temps de tout traiter et de nombreuses questions restent en suspens. Avant de nous séparer, je voulais remercier et féliciter les membres des trois associations organisatrices que sont : l'Apedys 35, Avenir dysphasie et Dyspraxique mais fantastique. Je crois qu'on peut les applaudir très fort, car ils ont travaillé très dur. 100 Conclusion Nous vous remercions de votre participation au Colloque que nos 3 associations « APEDYS 35, DYSPRAXIQUE MAIS FANTASTIQUE 35, et AVENIR DYSPHASIE Bretagne » ont organisé le 24 mars sur le thème « les dysfficultés » Votre intervention était importante tant pour les parents, les enseignants que les soignants pour une meilleure appréhension des « dysfficultés » de nos enfants. Nous espérons que ce colloque donne l’impulsion à la mise en place d’un réseau de santé dans notre département. Réseau qui doit être une des réponses de prise en charge et d’accompagnement de nos enfants avec pour objectif de n’en laisser aucun sur le bord de la route … Françoise THOUVENOT – APEDYS 35 Isabelle LACOFFRETTE, Annie MARQUER – DMF 35 Laurence DAVROU – AAD Bretagne Le colloque se termine. Il a pu voir le jour par la volonté de rapprochement et de travail collectif de 3 associations départementales : APEDYS avec Françoise Thouvenot, Luc et Catherine Dyspraxique Mais Fantastique avec Isabelle Lacoffrette et Annie Marquer Avenir Dysphasie avec Laurence Davrou, Rachel, Marguerite Notre volonté commune pendant ces 9 mois de gestation (c’est une attente que nous connaissons bien...) a été de mettre en évidence la difficulté pour les parents et les enfants de dépister les troubles, de les nommer, de les faire reconnaître et de mettre en place les rééducations, et les aménagements scolaires. Nous souhaitons qu'avec l'accompagnement qui leur est nécessaire, nos enfants accèdent à une vie professionnelle, comme leurs amis. 101 Tous les intervenants que nous avons écoutés avec grand intérêt ont bien démontré la difficulté à connaître les origines, les raisons de ces troubles. Le public nombreux, vous êtes 800, prouve bien que les Dysfficultés sont un sujet de santé publique qui préoccupe BEAUCOUP de monde. Nous attendons bien de ce colloque qu’il soit le détonateur à la mise en place d’un réseau de soins départemental. Nous, parents, représentants d'associations, avons su nous mettre autour d'une table et faire naître ce colloque, alors Mesdames et Messieurs les Professionnels de santé, Mesdames et Messieurs les représentants de l'Education Nationale, Mesdames et Messieurs les décideurs de notre département, nous osons espérer que par votre présence d'aujourd'hui, vous avez la même préoccupation et que vous saurez demain vous rapprocher pour créer ce partenariat nécessaire dans un réseau de soins. La journée nationale des DYS, le 10 octobre prochain ne fera que souligner cette nécessité. Nous, parents nous le souhaitons profondément. Nous tenons à remercier : Le Dr Revol, le Docteur Habib et le Professeur GOMBERT qui ont immédiatement répondu présents à notre invitation. Nous remercions également : le Centre du Langage : le Docteur Allaire et Mr Mélo, le Rectorat d’Académie : Mme Maitrot L’Education Nationale : Mme Hanry, la MDPH : Messieurs Duperron et Delahousse Et bien sûr merci aux partenaires financiers sans qui ce colloque n’aurait pas pu voir le jour : 102 Mr Raymond Marie de l’Université de Rennes I Mr Hervé Maire de Rennes et Mme Tascon Mennetrier Mr Tourenne, Mr Le Menn, Mme Massot, Mr Théaudin du Conseil Général Mr Le Drian du Conseil Régional Mr Quédillac de la MGEN, Mr Bougerie et Mme Touzin de la MAIF La Caisse Primaire d’Assurance Maladie Et encore merci à tous les participants – nos grands témoins – professionnels de la rééducation, de l’enseignement, les écoles, les classes spécifiques MERCI POUR VOS CONSEILS A TOUS ET VOTRE IMPLICATION dans ce temps fort. Ils seront tous présents dans le hall – par thème d’intervention – pour vous informer et vous conseiller. Et un grand coup de chapeau à Fabienne et à tous les bénévoles qui se sont mobilisés à nos côtés pour que nous ayons le son, l’image, pour que nous vous accueillions dans les meilleures conditions Merci à nos familles qui nous ont soutenu pendant ces 9 mois de réunionite aiguë !! Un pot de l'amitié vous est proposé dans le hall principal. Merci de votre attention et bonne fin de soirée à tous. 103