Une nouvelle définition de la notion de navire en

Transcription

Une nouvelle définition de la notion de navire en
Une nouvelle définition de la notion
de navire en droit américain(1)
Christopher KENDE
Cozen O`Connor
New York
[email protected]
ENGLISH SUMMARY
In the landmark ruling Lozman v. City of Riviera Beach, no. 11-629, decided January 15, 2013, the United States Supreme Court departed from the traditional definition of a vessel as “anything that floats” to a more refined and complex test based
on what the Court termed “the view of a reasonable observer” as to whether the
structure involved is “designed to a practical degree for transportation on water.”
The structure involved consisted in a “floating home”, made of plywood, with an
empty bilge space underneath, and “French doors”, rendering it far more similar to a
residence than a vessel. Based on a “reasonable observer” analysis, the Court determined that the structure was not a vessel because it was not designed to any practical degree for the transportation of persons, or things over water; it was lacking
in a steering mechanism, with no capacity for propulsion and no ability to generate
or store electricity. Although the Court contended that the test is objective, it can
be observed that the threshold issue of whether a structure is a vessel and therefore subject to maritime jurisdiction should be more clearly defined, rather than dependent on the views of an external “observer” regarding whether the structure is
“designed to a practical degree for the carrying of people or things over water.”
NOTIONS DE BASE
Tout pouvoir, toute compétence judiciaire aux États-Unis doit figurer dans la
constitution. En matière maritime, c’est l’article III § 2 de la constitution qui donne
compétence aux tribunaux fédéraux pour juger des affaires de nature « maritime »
(« all cases of admiralty and maritime jurisdiction »). Une clause dénommée « savings
to suitors » réserve les recours qui existaient selon le droit commun au moment de la
signature de la constitution, à savoir, par exemple, le droit d’un ‘jury’ en affaire civile,
même quand il s’agit du droit maritime (une exception à la règle qui veut que normalement les affaires maritimes soient jugées par des magistrats et non par des ‘jurys’).
Les hypothèques maritimes (« maritime liens ») et les procédures in rem(2) sont
des procédures particulières du droit maritime aux États-Unis et permettent la sai(1) Texte d’une allocution prononcée dans le cadre du programme du XXIIIème colloque de la « Journée
Ripert » organisé par l’Association Française du Droit Maritime (AFDM), Paris 29 juin 2015.
(2) Une action ‘in rem’ est une action contre une chose plutôt qu’une personne (action ‘in personam’).
Un recours ‘in rem’ est véritablement ‘contre’ le navire lui-même.
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sie conservatoire (« arrest ») d’un navire et la vente obligatoire de celui-ci afin de
satisfaire l’hypothèque en cas de non-paiement de la créance qui donne lieu à l’hypothèque (« foreclosure of lien and judicial sale »). Pour qu’une hypothèque maritime soit valable, il faut que la réclamation soit de nature maritime (par exemple le
fournissement de fuel (« necessaries ») et il faut également que le bien saisi soit de
nature maritime (« maritime property ») comme par exemple un navire.
Une définition, adoptée par le Congrès il y a plus de 200 ans, définit un navire
comme « toute motomarine de n’importe quelle nature ou autre engin artificiel qui
est utilisé ou bien est capable d’être utilisé comme moyen de transport sur l’eau
(« every description of watercraft or other artificial contrivance used, or capable of
being used, as a means of transportation on water. ») » 1 U.S.C. § 3. Cette définition
était autrefois interprétée pour permettre le classement de presque tout ce qui flotte
comme étant un ‘navire’, la ‘capacité’ d’effectuer un transport maritime prévalant
alors sur le transport véritable ou bien la conception ‘artificiel de l’engin’.
Les faits dans l’affaire Lozman
Monsieur Fane Lozman a acheté en 2002 ce qu’il a décrit comme étant un ‘domicile flottant’ (en l’espèce cela ressemble à un mobile-home flottant surmonté d’un
étage. V. photos sur demande). La structure comprenait un cadre en bois de la forme
d’une maison avec des portes à ouverture à la française (« French doors ») sur trois
côtés, un salon, une chambre à coucher, un placard, des toilettes et une cuisine, ainsi
qu’un escalier qui montait au deuxième étage utilisé comme bureau. La construction
en question n’a pas été conçue pour être utilisé dans le contexte d’un transport maritime. Il manquait toute forme de propulsion et d’équipements pour la navigation.
La structure n’avait pas d’étrave, ni de canot de sauvetage ou autre équipement de
sécurité ou de sauvetage. La « coque » n’avait pas de numéro d’immatriculation
et n’aurait pas pu être enregistrée auprès des autorités fédérales, ni certifiée par le
Coast Guard américain.
Après l’achat de la structure, Monsieur Lozman l’a faite remorquer à 200 miles
jusqu’à North Bay, en Floride, puis à nouveau deux fois entre deux marinas. En 2006,
il l’a faite remorquer à 70 miles, jusqu’à une marina dont le propriétaire était Riviera
Beach, un « village » en Floride où il l’a amarrée au quai. Diverses disputes ont alors
éclatées avec des personnes du « village » à tel point que le « village » a essayé d’expulser Monsieur Lozman de la marina mais la requête déposée alors auprès du tribunal étatique a été rejetée. Dès lors, le village a unilatéralement modifié l’autorisation
d’amarrage dont bénéficiait Monsieur Lozman, l’obligeant à posséder un certificat
d’assurance RC et exigeant que tout navire mis au quai à la marina soit immatriculé
et capable de quitter la marina pour se rendre au large en cas de catastrophe naturelle. Monsieur Lozman a refusé de respecter les termes de l’accord modifié et a cessé
de payer les frais d’amarrage (« dockage fees »).
Le « village » a donc engagé une procédure maritime in rem auprès du tribunal
fédéral contre le propriétaire de la « maison flottante », prétendant qu’il s’agissait
d’un « navire », en vue d’imposer une hypothèque maritime sur la « structure » pour
les frais d’amarrage impayés et pour « intrusion maritime » (« maritime trespass »).
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Monsieur Lozman a sollicité le rejet de l’assignation, arguant que le droit maritime
n’était pas applicable à l’espèce puisqu’il ne s’agissait pas d’un navire mais d’une
structure non maritime.
Le tribunal d’instance et la cour d’appel du 11ème circuit ont déterminé que la
structure était, en effet, un ‘navire’ en appliquant la définition citée plus haut. Le
village a pris possession de la structure, l’a faite remorquer depuis la marina jusqu’à
Miami et l’a détruite. La Cour Suprême a accepté le pourvoi le 8 mars 2012.
La Cour suprême casse
La Cour Suprême a cassé la décision de la cour d’appel basée sur son interprétation de l’article 1 U.S.C. § 3. Elle a rejeté l’approche de la notion de navire retenue, à
savoir que : « tout ce qui flotte est un navire ». La Cour relève que : “A wooden wash
tub, a plastic dish pan, a swimming platform on pontoons, a large fishing net, a door
taken off its hinges, or Pinocchio (when inside the whale) are not ‘vessels’ even if they
are ‘artificial contrivances’ capable of floating, ...”
Raisonnement de la Cour suprême
La Cour a mis l’accent sur le terme « moyen de transport » utilisé dans la définition du navire pour créer une distinction entre une « maison flottante » et un navire
et s’est prononcée en faveur d’une définition « pratique » plutôt que théorique du
navire. Bien que la structure en cause flottait, la Cour a jugé qu’il n’y avait aucun
aspect de la structure de Monsieur Lozman qui pouvait laisser entendre qu’elle avait
été conçue dans l’optique de transporter des personnes ou des biens sur des eaux
navigables. La Cour a par ailleurs noté que la structure avait des « French doors », ce
qui la rapprochait plus d’un salon que d’un navire, et était dépourvue de moyens de
propulsion, à la différence d’une péniche. Puis, une comparaison est faite par rapport
à une décision relative à la définition d’un navire dans une autre affaire récente, l’affaire Stewart v. Dutra Construction Company Inc., 453 U.S. 481 (2005). Analysant cet
arrêt, la cour juge qu’un dragueur qui avait la capacité de creuser des canaux et de
draguer le sol avait beaucoup plus les caractéristiques d’un navire que la structure
de Monsieur Lozman. Sans compter que le dragueur possédait un commandant, un
équipage, des citernes pour « déballaster » et avait la capacité de se déplacer dans
l’eau par l’entremise de la manipulation de ses ancres et de ses câbles, ce qui n’est
pas le cas de la structure de Monsieur Lozman. La Cour a également relevé l’absence
de tout « intérêt maritime » dans la classification des domiciles flottants comme
celui en question alors qu’un navire est soumis à des enregistrements compliqués
avec les autorités fédérales et l’application des lois maritimes comme le Jones Act
(3)
et d’autres règlements de sécurité exigés par la loi. Enfin, un certain nombre de
conclusions déposées par les personnes intéressées (« amicus curiae briefs ») ont
exprimé leur préoccupation quant à la possibilité d’un test « subjectif » plutôt qu’
« objectif » en ce qui concerne la classification des navires. La Cour a rejeté cette
(3) Le Jones Act est une loi particulière applicable aux marins blessés ou tués à bord les navires.
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notion en décidant que sa conviction était basée seulement sur des preuves objectives quant à sa recherche d’un « but de transport maritime » de la structure en
cause (« water borne transportation purpose »); cette recherche doit être fondée sur
les observations d’un observateur raisonnable. Aussi, un test basé sur la ‘capacité’
théorique de la structure à transporter des personnes ou des biens a été rejeté. Par
contre, il est évident que cette ‘structure’ était capable de transporter des personnes
et des biens car elle a été remorqué plusieurs fois sans incident. Il semble donc qu’il
va falloir maintenant se mettre dans la tête d’un ‘observateur raisonnable’ pour évaluer la nature d’un objet qui flotte. Est-ce vraiment un test ‘objectif’? Deux juges ont
exprimé leur désaccord avec la majorité. Il ne s’agissait pas tellement d’un désaccord
avec le raisonnement du tribunal, mais plutôt un manquement dans les faits en ce
qui concerne la nature de la structure en question.
Suites de l’arrêt Lozman
L’arrêt Lozman a été cité maintes fois depuis son rendu en 2013.
Quelques exemples :
La Cour d’appel du 5ème circuit (qui coiffe la Nouvelle Orléans et donc une Cour
d’appel très importante dans le domaine du droit maritime) a jugé qu’une plateforme flottante, rattachée au sol de la mer par douze chaînes de façon permanente
et qui n’était pas capable de se déplacer sans des opérations très compliquées et très
chères n’était pas un navire selon l’arrêt Lozman. Warrior Energy Services Corporation
v. ATP Titan M/V, 551 Fed. Appx. 749, 2014 AMC 2514 (5th Cir. 2014).
La Cour d’instance du district du sud de New York s’est demandée si l’assurance
d’une cale sèche relevait de l’assurance ‘maritime’, et s’est intéressée pour cela à la
nature de la cale sèche, se demandant s’il pouvait s’agir d’un navire. Firemens Fund
v. Great American Insurance Company, SDNY 1/25/2013. La cale sèche, constitué par
huit grands pontons, a été construite pendant la deuxième guerre mondiale, et a été
remorquée jusqu’à la partie ouest de l’Océan Pacifique pour traiter des navires de la
marine nationale pendant la guerre. Cette cale sèche possédait quelques qualités du
navire puisqu’elle était capable de flotter et pouvait effectuer de longues distances
sous remorque en haute mer. Néanmoins, la Cour a décidé que depuis l’arrêt Lozman
la cale sèche ne constituait pas un navire puisqu’elle avait été amarré très longtemps
dans un lieu fixe et que sa raison d’être principale n’était pas de transporter des personnes ou des biens en mer, mais de permettre la réparation des navires.
Un arrêt de la Cour fédérale du district du sud du Texas à Houston a décidé de
façon semblable qu’une barge qui était fixée au sol de la mer et ne se déplaçait pas,
n’était pas un navire dans le contexte d’un litige soulevant le Jones Act. Johnnie Badon
v. Nabors Offshore Corporation, 2015 U.S. Dist. Lexis 26382 (S.D. Tex. Houston Division
2015).
Enfin, dans l’affaire Schouest v. Marsh Buggies, Inc., 2015 U.S. Dist. Lexis 10542
(U.S.D.C. ED. La. 2015), un tribunal d’instance à la Nouvelle Orléans n’a pas pu statuer sur la qualité d’un dénommé ‘Marsh Buggy’, qui avait comme fonction de creuser des fonds près des plages, qui était capable de flotter mais avait des capacités de
propulsion très limitées et ne travaillait que dans des endroits peu profonds, près des
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marais et dans des eaux très calmes. La Cour a décidé que c’était une question de fait
qui ne devrait être tranchée qu’après la présentation des preuves.
Conclusion
La Cour suprême semble avoir abandonné l’idée que ‘tout ce qui flotte’ constitue
un navire, critère qui était appliqué traditionnellement par toutes les cours jusqu’à
l’affaire Lozman. Dorénavant, il s’agirait moins de s’intéresser à la ‘capacité’ de transport de l’engin considéré qu’à rechercher, sous l’œil d’un ‘observateur raisonnable’,
si celui-ci est conçu pour le transport de personnes et de biens. Il est fort probable
que cette nouvelle orientation sera source de confusions dans certains cas, comme
par exemples dans les décisions citées supra. Un test serait plus clair, moins subjectif et plus pratique, surtout quand la question concerne la notion fondamentale de
compétence (« subject matter jurisdiction »). En lisant entre les lignes, ils nous semble
que la Cour n’a pas voulu classer la structure de Monsieur Lozman comme ‘navire’
vues les complications de la règlementation fédérale et le fait que même une femme
de chambre qui nettoie les toilettes de Monsieur Lozman pourrait alors être éventuellement considérée comme Jones Act Seaman, donc sujet à la compétence des
tribunaux fédéraux et à la réglementation fédérale.
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